article bergers

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Les bergers
Le pastoralisme est la clé de voûte de notre économie agricole. Il
contribue à l’entretien de nos montagnes et empêche la fermeture des
paysages par l’envahissement des taillis et broussailles.
Il représente également un attrait touristique majeur. Bref, il est le garant
d’une montagne “humaine et accueillante”. Rencontre informelle avec
deux bergers, Philippe et Joseph, dans les vallons du Seuil et
d’Arrondaz, au-dessus de Modane, sous la pointe du Fréjus et du Grand
Vallon.
L’alpage, comme
un vert océan
Au chalet d’Arrondaz, sur le plateau
éponyme, à deux mille deux cent mètres
d’altitude, Lydie, la femme du berger,
aide-soignante en vacances, lit la biographie
de Napoléon de Max Gallo. Elle a mis
en route le repas du midi, qui cuit
tranquillement sur la gazinière. L’endroit
est accueillant mais spartiate ; tout y est
rassemblé dans une seule et même pièce
avec mezzanine. Tout ce qui est utile est
à portée de la main, bien à sa place,
comme dans la cabine d’un bateau parti
pour trois mois de traversée. C’est l’été
que le berger traverse, et la mer, ici, est
verte : c’est l’alpage ; la coque c’est le
troupeau qui fend l’herbe grasse, tirant à
tribord ou à bâbord, au gré du courant.
Le courant c’est l’humeur de la bête de
tête, qui emmène ses semblables tantôt
ici, tantôt là, nul ne sait pourquoi.
Heureusement que le berger a la barre
bien en main : c’est le chien, qu’il
commande de la voix, qui obéit aussi, au
doigt et à l’oeil, qui rassemble le
troupeau. Voilà pour les éléments.
L’habitat
Le chalet d’Arrondaz comporte aussi des
toilettes et une douche aménagées
récemment à l’extérieur, dans une cabine
accolée à l’habitation. Mais, même s’ils se
modernisent, les chalets des bergers
demeurent des lieux sommaires. N’y est
seul prévu que l’essentiel, et le confort
est un luxe. Mais au terme d’une journée
passée à arpenter les vallons d’alpage, à
surveiller le troupeau, à héler les chiens
pour qu’ils conduisent les brebis là où il
faut, le chalet, malgré son austérité, est
le meilleur des havres. De toute façon,
les bergers sont des gens de l’extérieur ;
ils vivent le plus clair du temps dehors,
avec leur troupeau, l’accompagnant dans
ses pérégrinations.
Au chalet, il y a une porte, mais il pourrait
ne pas y en avoir, car le berger est partout
chez lui dans l’alpage, même si celui-ci
ne lui appartient pas. Le berger, c’est un
petit roi dans la montagne. Le poète a
écrit un jour : « La terre appartient à
celui qui la foule ». Alors elle appartient
aussi au berger, qui arpente tous les
jours la montagne. En un seul été, il
apprend à la connaître mieux que
quiconque. Les bêtes le conduisent à
considérer toujours différemment l’espace
connu, reconnu, qui s’élargit encore. Le
berger finit par tout savoir de l’alpage,
comme un marin de son océan. Il sait les
barres rocheuses où perlent les sources,
les cols sauvages où les vents échevellent
les graminées. Il sait le pin cembro
centenaire, qui offre son ombre charitable
quand le soleil est au zénith. Le
berger y aura peut-être fait la sieste, son
troupeau rassemblé autour de lui, en
communion avec le ciel et la terre.
Le chalet, c’est pour manger et coucher.
L’espace du berger est au-delà. Il
commence aux abords de cet habitat
montagnard, où il égrène les activités
des heures creuses, où il s’adonne aux
petits travaux d’un quotidien qui doit
aussi trouver sa place : couper son bois,
réparer un filet de parc à mouton, tailler
un bâton de marche, éplucher quelques
légumes pour le dîner. C’est aussi dehors
qu’il tient « salon », qu’il accueille à
l’occasion quelques visiteurs. Car un
berger, ça cause, ça raconte les histoires
de la montagne, du troupeau, des
marmottes et… du loup ! Qui dit loup dit
chiens patou, et là encore il y a des
anecdotes à conter. Innombrables. Elle
est bien révolue l’image du berger solitaire,
fuyant la compagnie des humains.
Philippe Larinier, le berger, n’est d’ailleurs
pas du genre mutique : il parle à qui veut
l’entendre de son métier, de ses joies, de
ses difficultés, avec un accent aveyronnais
qui fleure bon la rocaille et l’herbe rase.
Ici, la graminée d’Arrondaz est plutôt
haute et d’un vert profond, tellement que
des éleveurs d’autres régions y envoient
paître leurs troupeaux, en louant les
alpages de Terra Modana aux
Associations Foncières Pastorales (AFP,
voir encadré).
Philippe Larinier
Ancien maçon, Philippe Larinier, 41 ans,
pratique le métier de berger depuis onze
ans maintenant, et cela toute l’année.
L’été, il est dans les Alpes, et le reste des
saisons dans le Sud de la France, dans
l’Hérault. Il passe l’hiver à Sète avec
d’autres troupeaux. Ses patrons sont des
éleveurs, dont il conduit, soigne, nourrit
les troupeaux. Il est arrivé à Modane le 3
juin dernier, avec les huit cents brebis et
quatre béliers de son patron ardéchois,
Guy Ville. Il n’est pas tout de suite monté
sur le plateau d’Arrondaz. « C’est qu’il y a
de l’herbe à manger avant d’arriver là-haut
» précise François Gravier, président de
l’Association Foncière Pastorale du Seuil
et d’Arrondaz. Philippe a donc d’abord
mené son troupeau au Champ des Pins,
puis au Replat sur l’ubac au-dessus de
Modane, puis au Charmaix, puis sur le
plateau d’Arrondaz par la piste des
Souches de Valfréjus. Bientôt, il dirigera
son troupeau vers l’alpage des Quartiers
d’Août. En septembre, il redescendra en
faisant le circuit inverse, les bêtes
mangeront alors le regain.
La tondeuse des pistes
Le troupeau, c’est la « tondeuse » des
alpages et des pistes de ski. Grâce aux
broutants de tout poil, vaches, moutons,
chèvres, le paysage montagnard demeure
ouvert, comme on dit dans le jargon
agropastoral. En mangeant la prairie, les
bêtes entretiennent une montagne plus
humaine, empêchant la forêt de gagner
sur les espaces si durement gagnés par
l’homme. Ce ne sont pas les nombreux
propriétaires de parcelles de montagne
qui s’en plaignent. En confiant leurs
terrains jadis fauchés à l’Association
Foncière Pastorale, qui les louent aux
éleveurs, ils s’assurent leur entretien, et
concourent à maintenir l’économie
agropastorale. De plus, les “tontes”
réalisées par les troupeaux laissent en
automne des prés “rugueux”. Résultat,
les premiers flocons accrochent plus
facilement, et le manteau neigeux se
stabilise plus rapidement, ce qui réduit le
risque d’avalanche. On n’imagine donc
pas une montagne sans troupeau, sans
compter que cette bonne herbe mangée
à deux mille mètres donne la meilleure
viande d’agneau qui soit ! Et ce n’est rien
dire du lait, qu’il soit de vache pour le
beaufort ou la tomme, ou de caprins pour
confectionner ces délicieux fromages de
chèvres qui se mangent sans faim.
En ce mercredi 11 juillet, le temps est
mitigé : le ciel est tout à la fois nuageux
et bleu, et quelques brumes caracolent
sur l’alpage. On dirait que la météo est
toute détraquée. On ne sait plus à quoi
attribuer les caprices du temps. Sont-ce
là les premiers effets du réchauffement
climatique ? Peut-être. En tout cas cela
n’arrange pas l’économie saisonnière. La
veille, il a neigé en Haute-Maurienne, à
1800 m ! Les vacanciers de début juillet
ne se sont pas déparés de leur pull-over.
Quelques bêtes du troupeau de Philippe
ont même pris froid. L’une d’elles en est
morte. Les renards et les corbeaux ont
nettoyé depuis la carcasse. Le gypaète
mangera les os, et cet automne, il n’en
restera presque plus rien.
Lupus canis italicus
La brebis meurt aussi, parfois, de faire
une “mauvaise rencontre”. « Le loup est
un animal intelligent » dit Philippe. « Il
observe le berger, il observe le troupeau,
il observe les allers et venues des chiens.
Un loup peut se poser à tel endroit, en
vue. Les chiens vont le sentir et fondre
vers lui. Et pendant ce temps, un autre
loup peut faire une attaque dans le
troupeau délaissé. Il ne faut que
quelques minutes... » Comme la plupart
des bergers, Philippe craint que son
troupeau soit un jour victime du loup. Il
a déjà vécu des attaques, mais pas à
Valfréjus. “Les attaques dépendent de plusieurs
facteurs : de la montagne ellemême,
du nombre de brebis (plus il y en
a, plus la protection du troupeau est
difficile), de l’attitude du berger et bien
sûr du nombre de loups, de la présence
ou non d’une meute.”
Pour parer les razzias du loup, les
éleveurs dotent leurs troupeaux de chiens
de protection : les patous. “Nés en bergerie,
les chiots de cette race pyrénéenne
tissent des liens affectifs très forts avec
les moutons. Leur relation s’établit jusqu’à
une acceptation totale et réciproque”. Les
liens qui unissent le chien adulte au
troupeau en font donc un vaillant défenseur.
Aux randonneurs, Philippe donne ces
conseils : “Si vous vous approchez des
moutons, les patous viendront vers vous,
très certainement en aboyant. Alors vous ne
devez rien faire : ni crier, ni courir, encore
moins brandir votre bâton de marche.
Une fois rassuré sur vos intentions, le
patou s’en retournera vers son troupeau.
De même il vaut mieux éviter de s’approcher
du troupeau avec un chien, même en
laisse. Si le chien n’est pas dominant,
cela passe encore. Dans le cas contraire,
il peut y avoir confrontation avec le
patou, qui est un chien dominant”.
Les bergers utilisent d’autres chiens, dits
de travail. Border collie, labrit, beauceron,
berger de Crau… L’utilisation du chien est
différente suivant la configuration du travail
: conduite sur route ou chemin,
rentrée en bergerie ou en étable, passage
à la salle de traite, tris, soins, pesées…
Pour sa part, Philippe Larinier utilise un
chien croisé berger de Crau-border collie
de trois ans et une femelle berger de
Beauce de huit mois. Ces chiens servent à
rassembler le troupeau et à le conduire là
où il le décide. Ils sont ses précieux
auxiliaires. Le berger les commande avec
des phrases courtes, exprimant ce qu’il
attend d’eux. Le chien s’exécute,
rectifiant si besoin est son attitude, au
moindre changement d’intonation de la
voix.
Le troupeau en capital
Après dix saisons passées dans les
alpages des Alpes, du Nord au Sud,
Philippe Larinier est devenu un berger
accompli. Il connaît ses bêtes, moutons
et chiens. Il est vigilant et se montre
attentif à ce que les instincts des brebis,
qui s’aventurent volontiers dans la
rocaille, ne mette pas le troupeau en
danger. Il gère également l’alpage,
veillant à ce que le maximum de parcelles
soient broutées. Son fils, Pierre, l’accompagne
dans ses longues journées. Il
apprend lui aussi la montagne. Il se sent
une âme de soigneur et guette la
moindre défaillance dans le troupeau,
alertant son père s’il lui semble qu’une
bête a besoin de soins particuliers. Les
bergers doivent souvent se débrouiller
seul avec une bête mal en point. Le
troupeau est le capital que l’éleveur leur
confie et tous les bergers dignes de ce
nom ont à coeur de le lui rendre en pleine
santé, quand l’été touche à sa fin…
Article tiré de Terra Modana N° 46 - Journal gratuit d’information touristique et des patrimoines des habitants
des sept communes du canton de Modane : Aussois, Avrieux, Fourneaux, Le Freney, Modane, Saint-André,
Villarodin-Bourget et des trois stations, Aussois, La Norma, Valfréjus.

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