exploitation et politique minieres dans le pacifique : histoire

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exploitation et politique minieres dans le pacifique : histoire
EXPLOITATION ET POLITIQUE MINIERES DANS LE
PACIFIQUE : HISTOIRE, ENJEUX ET
PERSPECTIVES
Conférence du 21 au 25 novembre 2011 à Nouméa Contribution des associations « Corail Vivant » et « Action Biosphère » RESUME Les activités minières et métallurgiques représentent entre 9 et 15% du PIB du Pays. Elles contribuent indiscutablement au niveau de vie des calédoniens, même si les retombées qu’elles génèrent semblent très inégalement réparties et que les périodes fastes fluctuent en fonction du cours mondial du nickel. L'exploitation du nickel, métal considéré comme statégique, relevait jusqu’en 1999 de la compétence de l’Etat. Ceci explique probablement l’opacité entretenue autour des activités minières et métallurgiques et la difficulté des citoyens à accéder, aujourd’hui encore, à des informations fiables. Alors que de nouveaux projets au Nord et au Sud voient le jour et devraient saturer le marché mondial, les citoyens calédoniens sont en droit de réclamer un bilan réel de l’activité nickel en Nouvelle‐Calédonie. Ce bilan devra comporter des informations économiques, sociales, culturelles et sanitaires et non se limiter aux pertes et profits des opérateurs industriels. Il devra intègrer les coûts jusqu’ici externalisés laissés à la charge des collectivités publiques. Sur la Côte Est, à 126 km de Nouméa, Thio est un centre minier qui compte 3140 habitants. On y exploite le nickel depuis 1875, particulièrement sur la Mine du Plateau et le camp des Sapins. Mais la région de Thio présente également d’autres intérêts beaucoup moins connus comme la forêt relique de Saille avec ses kaoris géants, sa flore remarquable dans la vallée de la Dothio , ses peuplements de Nié très localisée dans la vallée de la Comboui, ses nids de roussettes endémiques sur l’îlot Toupeti, dans la Baie de Port Bouquet. Combien l’exploitation minière a‐t‐elle rapporté aux opérateurs et actionnaires des sociétés minières qui ont prospéré dans la région ? De quelle part les ressortissants de la commune ont‐ils bénéficié ? Combien coûterait une réhabilitation des sites dégradés par la mine dans la région de Thio ? Aucun habitant de cette commune, ni aucun calédonien ne serait en mesure aujourd’hui de répondre à ces légitimes questions. Plus grave: après 136 ans d’exploitation minière, quelles activités économiques alternatives a‐t‐on développées susceptibles d’intéresser les jeunes en quête de travail ? L’après nickel, qu’il va bien falloir envisager un jour compte tenu de l’épuisement de la ressource reste à ce jour une énigme. Hormis le gîte d’Ouroué, qui date des années 80, des campings de la Moara et de Port Bouquet, les initiatives sont quasi inexistantes. Où sont les équipements publics qu’on aurait été en droit d’attendre à Thio, compte tenu des richesses qu’on y a tirées ? Thio a connu une prospérité éphémère à la fin du 19° siècle et à l’époque du boom, de 1966 à 1971. C’est aujourd’hui une région sinistrée, pas seulement à cause des évènements de 1984 qui y ont pris une tournure dramatique, mais aussi à cause d’une exploitation minière intense et continue, qui a laissé une bonne partie de ses habitants au bord du chemin. Avec le développement actuel de la mine et les nouveaux projets métallurgiques au Nord et au Sud, on est en droit de se demander si Thio n’est pas une préfiguration de ce qui pourrait advenir à la Nouvelle‐Calédonie toute entière. Avec des procédés innovants comme la lixiviation acide, permettant de traiter des latérites à faible teneur, la Nouvelle‐Calédonie pourrait se trouver dans le peloton de tête des pays producteurs de nickel dans les années à venir. Mais, a‐t‐on sérieusement évalué les impacts environnementaux, sociaux, culturels, sanitaires de cette évolution ? Selon les procédés mis en œuvre, la durée de vie des ressources est évaluée entre 40 et 150 ans. C’est probablement la raison pour laquelle quelques opérateurs miniers (comme Géovic) se tournent dès à présent vers les ressources minières dans le lagon et que des experts s’intéressent aux perspectives de l’exploitation offshore. On n’a pas totalement écumé les ressources terrestres, ni même commencé à réparer les dégâts occasionnés, qu’on se précipite déjà vers l’exploitation marine, sans d'avantage de considération pour le milieu naturel ni les populations autochtones. Quelle que soit la durée de vie des gisements, l’industrie minière et métallurgiquen'est pas une activité de développement durable, parce que le nickel n’est pas une ressource renouvelable. Alors, avant de se jeter à corps perdu dans l’exploitation du nickel, comme les habitants de Nauru l’ont fait pour le phosphate, il est temps de nous poser un certain nombre de questions: Quels bénéfices les calédoniens ont‐ils retirés de l’exploitation du nickel ? A qui cette richesse a‐t‐elle essentiellement profité ? A combien s’élèvera une remise en état des sites et sur quels fonds va‐t‐elle être financée ? Le moment est venu aussi de faire un bilan de l’activité nickel en Nouvelle‐Calédonie, avec un volet économique, social et culturel, environnemental et sanitaire, qui intègre des coûts jusqu’ici externalisés, restant à la charge des collectivités publiques, donc des contribuables. Par externalités, nous entendons des éléments qui ne sont pas pris en compte dans le calcul de la production du nickel. Ces éléments peuvent être non chiffrables, comme l’ extinction d’espèces, ou des modifications profondes des structures sociales ou culturelles, mais aussi des éléments dont on peut évaluer le coût, comme la réhabilitation de sites, le dragage d’une rivière, la prise en charge médicale de certains malades, des manques à gagner financiers du fait de la défiscalisation…ou des compensations financières en cas de mise en place d’une taxe carbone. A l’heure où la Nouvelle Calédonie se trouve engagée dans un développement industriel sans précédent, avec une production de 230 000 t attendue à l’horizon 2014/2015, nous sommes en droit de savoir, quel est, en définitive, le prix à payer, par le pays, en matière environnementale, culturelle, sociale et sanitaire. •
Impacts sur le milieu naturel et la vie quotidienne des populations •
Une biodiversité exceptionnelle gravement menacée Dans un article paru dans le Journal de la Société des Océanistes en 2008, sous le titre « La Nouvelle Calédonie, un point chaud de la biodiversité mondiale gravement menacé par l’exploitation minière » Bertrand Richer de Forges et Michel Pascal dressent un tableau éloquent des impacts de l’exploitation minière sur le milieu naturel : « Du fait de son origine gondwanienne, « la flore de la Nouvelle Calédonie est l’une des plus riche du monde au regard de la superficie de l’Ile. Dans leur publication de 1995, Morat et al, y recensaient 3322 espèces indigènes dont 77% endémiques (Jaffré, 1992 ; Jaffré et al.2004a)… « En raison des particularités physico‐chimiques des terrains latéritiques, l’endémisme y est encore plus élevé. Les 2200 espèces de végétaux supérieurs recensés sur terrains miniers comprennent 80% d’endémiques…. Beaucoup de ces espèces des terrains latéritiques, qui occupent 5500 km2, soit près du tiers de la surface de l’île, ne sont connues que de quelques spécimens et leurs aires de répartitions se limitent à quelques km2 et parfois moins. » Le micro‐endémisme qui caractérise la majorité des espèces endémiques de la faune et de la flore des sols ultramafiques fait dire à Jaffré et al (1998) que « l’application des critères de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) les rangerait en totalité au nombre des espèces menacées de disparition ( Bouchet et al.1995). Elles devraient donc toutes être consignées sur la liste rouge de cet organisme international… » « Pour la seule entreprise de Vale Inco, dans un rapport de 2007, Lethier fait état de la destruction de 1595 ha de végétation », chiffre qu’il conviendrait certainement de réévaluer à la hausse en 2011 Selon Jaffré, (2003), 250 espèces de plantes au moins inféodées aux terrains latéritiques sont gravement menacées d’extinction du fait des activités minières…. La flore des terrains miniers est la plus riche et la plus originale de la Nouvelle‐Calédonie et représente l’une des composantes biologiques majeure du pays. »… Aussi est‐il de notre responsabilité de tout mettre en œuvre pour assurer la pérennité de ce patrimoine biologique tout à fait original et exceptionnel ». Il semble difficile d’évaluer aujourd’hui, le nombre d’espèces disparues en raison de l’exploitation minière depuis 150 ans, d’autant plus que la réglementation minière n’imposait pas d’étude d’impact préalable, ni d’enquête publique jusqu’à une date récente. Il est encore plus difficile d’en évaluer la valeur en termes financiers. La disparition d’une espèce est une perte irréversible. Pour Richer de Forges (2007), il convient de mettre en place : « un atelier international ayant pour objectif l’inventaire de la biodiversité des terrains ultramafiques de Nouvelle‐Calédonie…sur le modèle de l’expédition internationale Santo 2006, initiée et coordonnée par le Muséum d’Histoire Naturelle ainsi qu’une expertise collégiale ayant pour mission d’analyser le risque d’extinction des espèces endémiques en Nouvelle‐Calédonie… » Une érosion active Outre les menaces sur la biodiversité, l’exploitation minière a une autre conséquence significative sur le milieu naturel : une érosion très active, accentuée par des facteurs géographiques (fortes pentes) et climatiques, (particulièrement les précipitations cycloniques). Joël Danloux et Richard Laganier, en 1991 dans leur étude « Classification et quantification des phénomènes d’érosion, de transport et de sédimentation sur les bassins touchés par l’exploitation minière en Nouvelle Calédonie », apportent sur ce phénomène des précisions intéressantes: « Les gisements de nickel ont fait l’objet d’une exploitation dès la fin du XIX° siècle par le creusement de galeries souterraines (1875‐76), très vite relayées par des carrières (1888). L’extraction et le triage s’effectuaient alors manuellement, les « veines » à haute teneur en nickel (10 à 15 %) et proches de la surface étant les seules exploitées. Avec la mécanisation des moyens de production après la seconde guerre mondiale (premier trommel en 1948, camion de 20 t en 1949, première pelle diesel en 1950) et la possibilité d’exploiter des gisements plus profonds mais moins riches (2 à 5%) dans les saprolites, le matériel résiduel ( cuirasses, latérites et blocs rocheux non minéralisés) s’est considérablement accru. En 1979, on comptait pour 1 tonne de minerai marchand 2,1 tonnes de produits stériles à mettre en décharge (dont 0,8 de latérite), et pour une production de 1 million de tonnes, un décapage de 22 ha. Jusqu’en 1972, à l’exception de quelques sites de plateau (Thio, Do Thio), et afin d’éviter des travaux importants de découverte, de nombreux petits gisements ont été exploités sur les versants, dans des conditions qui se sont révélées par la suite extrêmement néfastes, tant par les moyens mis en œuvre (ouvertures et décapages au bulldozer) que par les méthodes d’exploitation (décharges incontrôlées, flancs et niveaux d’extraction non protégés). « L’affaissement des décharges non contrôlées et les transports torrentiels ont provoqué dans certaines vallées…des surélévations locales des lits des rivières par les stériles rocheux qui atteignent parfois plusieurs mètres à Tontouta – Kouaoua‐ Ouaco‐ Boakaine – Népoui » mais aussi à la Boutana à Pouembout ou sur la propriété Newland à Moindah. En aval des massifs, … « Les particules arrachées transitent par les cours d’eau pour sédimenter par gravité depuis les estuaires jusqu’aux pentes externes du récif où parviennent les particules les plus fines ( Bird et al.1984). Ce processus d’hypersédimentation est à l’origine de la destruction d’habitats marins. En effet, il s’accompagne d’une forte turbidité de l’eau, qui réduit l’activité photosynthétique en entravant la pénétration de la lumière, engendre un colmatage qui produit une forte mortalité des organismes benthiques et prévient la fixation des formes larvaires susceptibles de restaurer les peuplements… » (Richer de Forges & Pascal, 2008). Dans une étude récente, le gouvernement a identifié 20 000 hectares de « mines orphelines », dont la réhabilitation est évaluée à 160 milliards à raison de 8 millions à l’hectare, à la charge des collectivités publiques. •
Des réseaux hydriques perturbés et des ressources en eau fortement hypothéquées. Il n’est un secret pour personne que les massifs montagneux boisés constituent les châteaux d’eau des plaines environnantes. Une fois décapés, les sources tarissent, les creeks s’assèchent, le niveau des rivières baisse et leur débit se fait très irrégulier. Sur la Côte Est, pourtant traditionnellement humide, on constate déjà des périodes de sécheresse, probablement liées aux ravages périodiques des feux de brousse, ce qui contraint les pouvoirs publics, sur la commune de Poindimié par exemple, de restreindre la consommation d’eau des administrés. Qu’en sera‐t‐il dans les années à venir, à Koumac où on puise déjà dans les nappes phréatiques à des fins industrielles, ou à Koné, quand le massif du Koniambo aura été décapé de son couvert végétal ? Au sud de la ligne Yaté – Mont Dore, selon Léthier (conférence du 26 octobre 2007), une zone de 600 km2 serait affectée par l’exploitation minière, ce qui n’est pas sans incidence sur les réseaux d’eau de surface ou sous‐terraine. La zone autour de l’usine du sud est particulièrement touchée, notamment le creek de la Baie nord et le bassin de la Kwé où seront stockées les boues liquides de l’usine du sud. Compte tenu de la porosité du sous‐sol, on peut même se demander si les fosses minières creusées à plus de 60 mètres de profondeur ne risquent pas d’assécher à terme la Plaine des lacs. Zone qui mériterait d’être sanctuarisée en raison de son étonnante biodiversité. •
Des atteintes sévères au milieu marin A Vavouto, le projet du Nord a nécessité le creusement d’un chenal de 4,5 km de long dans le lagon, à travers le platier, occasionnant 9 millions de m3 de débris de dragages relargués au large et plusieurs hectares de mangrove ont été sacrifiés pour les besoins des installations portuaires. Dans le Sud, Valé va rejeter ses effluents liquides, issus du traitement chimique des latérites par lixiviation acide dans le canal de la Havannah au moyen d’un tuyau posé au fond du lagon par une profondeur de 40 mètres. A 6 km de la Réserve Merlet et à faible distance de zones inscrites au patrimoine de l’UNESCO, le débit moyen des effluents, s’élève à 1300 m3/h mais pourrait atteindre 3000 m3/ heure, soit environ 13 000 000 de m3 par an. Ils contiendront des matières en suspension, du gypse, des métaux lourds des résidus de solvants censés se diluer et être dispersés par les courants. Malgré des études qui se voudraient rassurantes, il est difficile de croire qu’une telle quantité de rejets industriels restera sans effet au bout de 30 ou 40 ans de fonctionnement de l’usine. Remarque:,pour l’occupation de la zone maritime, le gouvernement avait fixé en 2008 une redevance de 1% sur le chiffre d’affaire de la société soit environ un milliard. ,Elle a été réduite par un arrêté de la Province Sud du 4 novembre 2010 à 26 millions cfp. •
Un risque amiante avéré et une pollution atmosphérique dont on évalue mal l’impact sur la santé Dès les années 1990, un rapport des Amis de la Terre de Nouvelle‐Zélande avait alerté sur l’incidence de la poussière de nickel, et de façon générale la pollution atmosphérique sur les taux anormalement élevés de cancers, d’asthme ou d’autres maladies pulmonaires observés en Nouvelle‐Calédonie. Ce rapport est resté sans suite ? Le rapport de Francine BAUMAN, de l’Institut Pasteur, fraîchement accueilli localement, apporte dans ce domaine un nouvel éclairage. Elle montre qu’il y a une très forte exposition à l’amiante en Nouvelle‐Calédonie, à mettre en relation avec un taux anormalement élevé de cancers broncho‐pulmonaires (une vingtaine de cas par an) et de mésothéliomes ( 6 cas par an). Les recherches menées par André Fabre, président de l’ADEVA (Association de Défense des Victimes de l’Amiante –NC) sont à ce propos sans ambiguïté : « Les études relatives à la géologie de la Nouvelle‐ Calédonie ont mis en évidence la concentration naturelle de silicates hydratés de magnésie (chrysotile ou amiante blanc) et de nickel, concentration produite par l’altération des péridotites en climat tropical (latéritisation) » E. De Chetelat – La genèse et l’évolution des gisements de Nickel de la Nouvelle‐Calédonie. Bull.Soc.Géol.France.1947 A. Lacroix – Les péridotites de la Nouvelle‐Calédonie, leurs serpentines et leurs gîtes de Nickel et de Cobalt…. L’asbestose qui désigne une pathologie pulmonaire due à l’inhalation de « fibres asbestiformes » n’a figuré pour la première fois qu’en 1945 sous le n° 25, dans la liste des maladies professionnelles. La prise en charge effective de toutes les maladies ayant la même cause, a été classée, en 1950 sous le n°MP 30… En Nouvelle‐Calédonie, le texte le plus ancien de la réglementation du travail concernant l’amiante est constitué par la délibération 211/CP du 15 octobre 1997 dont l’ADEVA‐NC a demandé (et réclame encore) l’application rigoureuse. Il a fallu attendre le 16 novembre 2010 pour que, par l’Arrêté n° 2010‐4553/GNC, le Gouvernement de la Nouvelle Calédonie décide la mise en application d’une délibération relative à la protection des travailleurs contre les poussières issues de terrains amiantifères dans les activités extractives, de bâtiment et de travaux publics. L’ADEVA‐NC est convaincue que cet arrêté est la conséquence d’une action engagée le 22 août 2007, action qui a abouti, le 15 octobre 2010, à la condamnation pour faute inexcusable d’une entreprise de travaux publics. Le 27 septembre 2011, quatre nouvelles condamnations ont été prononcées à l’encontre d’une société industrielle et minière : Deux pour maladies contractées dans le cadre d’une activité à l’intérieur de l’usine de fusion du minerai de nickel, deux autres sur des sites d’extraction du minerai. Une dizaine d’autres dossiers sont en cours d’élaboration. Entre 1940 et 2010, soit pendant 70 ans, la présence d’amiante divers dans les sols de la Nouvelle‐Calédonie a souffert d’une « omerta » coupable d’autant plus scandaleuse qu’elle constitue un réel problème de santé public. L’ADEVA‐NC estime en effet que chaque année 30 décès sont liés à l’inhalation de fibre d’amiante, dix pourraient concerner des personnes non salariées et 20 relèveraient d’une exposition dans le cadre d’une activité professionnelle en rapport soit avec la fusion du minerai, soit avec l’extraction ou le transport de nickel. •
Une transformation profonde des relations sociales et culturelles Au début du siècle dernier, la population calédonienne était essentiellement rurale et fortement attachée à ses coutumes et traditions. Elles vivaient de façon quasi autarcique et consommait essentiellement ce qu’elle produisait. Les transferts financiers de métropole et le développement minier ont largement contribué à transformer ce mode de vie. Avec la mécanisation, la mine est devenue un secteur attractif et rémunérateur. Beaucoup ont donc abandonné le travail de la terre pour se tourner vers un emploi salarié leur procurant un certain pouvoir d’achat et leur permettant de se procurer des produits d’importation. Le secteur rural a de ce fait perdu de la main d’œuvre. La mine a en quelque sorte « aspiré » une grande partie des hommes, qui représentaient des « forces motrices » dans les tribus. Même si les travailleurs de la mine ont ré‐injecté une partie de leurs revenus dans la tribu, les activités traditionnelles agricoles ont décliné faute de « porteurs de projets », accaparés par la mine. De plus la production agricole autrefois florissante s’est effondrée au profit des produits d’importation, via la grande distribution. Alors que la Nouvelle‐Calédonie était un pays essentiellement rural au début du 20° siècle, produisant l’essentiel des produits qu’elle consommait, la part de l’agriculture au PIB a passé de 16% en 1969 à 2 % après 1984. Le passage d’une vie rurale traditionnelle à une activité salariée transforme radicalement le mode de vie des populations en les faisant rentrer dans la société de consommation dans un environnement de plus en plus urbanisé avec son lot de difficultés : chômage, précarité, exclusion, sur endettement, délinquances, dont le coût pour la société est loin d’être négligeable. L’activité minière n’est évidemment pas seule responsable de cette évolution, mais elle a joué et continue de jouer notamment en milieu rural un rôle prépondérant. Face à ces constats, les pouvoirs publics ont‐ils pris des mesures à la hauteur des enjeux, pour préserver l’intérêt général à l’échelle du Pays et au regard de nos responsabilités face à la Communauté internationale ? Rien n’est moins sûr. •
Des mesures qui favorisent les multinationales du nickel au détriment des collectivités et des populations locales •
Un accès gratuit à la ressource En Nouvelle‐Calédonie, une tradition bien établie consistait à « transformer les permis de recherche en titre d’exploitation », pour peu qu’on démontre l’existence d’un gisement exploitable. Le massif de Prony Sud a été bradé pour la somme dérisoire de 2 milliards et la concession de Prony Ouest (aujourd’hui annulée) avait été accordée à Valé Inco sans aucune contrepartie !? De telles opérations constituent pour le pays un manque à gagner inacceptable. Dans certains pays, comme le Canada, l’accès à la ressource se négocie en centaines de milliards. •
Des avantages financiers et fiscaux exorbitants (défiscalisation – exonération d’impôts‐ pacte de stabilité fiscale – lettre de confort…) Non seulement l’accès à la ressource est gratuite, mais les opérateurs miniers bénéficient d’avantages fiscaux considérables. Dans son Rapport de 2008, la Chambre Territoriale de Nouvelle‐
Calédonie on apprend que « les aides sectorielles à l’investissement accordées aux sociétés minières, s’élèvent depuis 2002 à 99,5 milliards de cfp. » « Pendant la phase de construction, dont la durée n’a pas été encadrée, ces sociétés sont exonérées, outre de toutes taxes douanières (TGI, TBI, DD….)de l’impôt sur les sociétés, de la patente, de la contribution foncière, de la TSS, des divers droits d’enregistrement, de la taxe hypothécaire et de l’IRVM…Puis, pendant la phase d’exploitation de l’usine, ces sociétés sont affranchies des mêmes impôts ( sauf IRVM) pour une période de quinze ans, suivie d’une demi‐
taxation sur les 5 années suivantes. En outre, elles bénéficient d’une clause « de stabilité fiscale de longue durée », leur garantissant « la stabilité de l’assiette et du taux des impôts, droits et taxes en vigueur au moment de l’agrément et la non application de tous nouveaux impôts, droits et taxes futurs », ce qui les met définitivement à l’abri de toute nouvelle contribution au cas où seraient adoptées des mesures environnementales plus contraignantes. …. » « L’avantage fiscal accordé à Goro Nickel pour l’implantation de son usine a été évalué par la société elle‐même à environ 47 milliards cfp sur une durée de 20 ans. Ses sous‐traitants ont bénéficié d’un crédit d’impôt de 3,5 milliards. Pour SMSP/ Falconbridge, cet avantage est de l’ordre de 32,5 milliards cfp. Quant à la SLN, pour Doniambo et sa laverie de Tiébaghi, elle a obtenu une aide de 3,5 milliards cfp. … « Ces sommes représentent une perte fiscale considérable pour la Nouvelle‐Calédonie, surtout si l’on tient compte du fait que les retombées économiques qu’elle est en droit d’attendre ne sont pas clairement évaluées… » et que l’impôt minier ne représente que 18 % des recettes fiscales de la Nouvelle‐Calédonie. •
Une valorisation médiocre des ressources Le Comité Stratégique Industriel réuni le 14 octobre 2011 sous l’égide de Madame Duthilleul préconise : « …la cohérence des projets miniers avec les conditions de valorisation les meilleures, afin d’assurer au Territoire les retombées les plus favorables possibles et la recherche de solutions à long terme … ». Un objectif que nous sommes loin d’atteindre puisque les calculs montrent que l’exportation du minerai brut nous prive de 51% de la valeur ajoutée générée par la fabrication du métal, ce qui correspond, pour l’année passée à un manque à gagner pour le territoire de 3,6 milliards de francs. •
Une politique énergétique soumise aux impératifs de l’industrie du nickel En 2005 l’usine de Doniambo a consommé 66% de l’électricité produite en Nouvelle‐Calédonie, contre 33% pour satisfaire les besoins des autres entreprises, de l’administration et des ménages. Pour faire face à l’augmentation continue de la consommation des ménages, mais surtout pour satisfaire les besoins des usines métallurgiques, le Pays s’est lancé dans la construction de centrales au charbon à Prony, Vavouto et Doniambo. L’électricité est facturée 13 cfp du kwh aux industriels contre 32 cfp aux particuliers. Depuis plusieurs dizaines d’années, la SLN utilise 90% de la production du barrage de Yaté au tarif très avantageux de 2,4cfp le kwh. Le charbon et le fuel lourd sont détaxés à l’importation. Ces éléments montrent que la politique énergétique du Pays a depuis toujours été dictée par les impératifs de l’industrie du nickel, et a conduit au retard considérable pris dans le domaine des énergies renouvelables. Faute de tarif de rachat et de mesures incitatives comme il en existe à la Réunion ou en métropole, il est impossible aujourd’hui pour un particulier de s’équiper en panneaux solaires raccordés au réseau, malgré des conditions d’ensoleillement exceptionnelles. Outre le fait que cette politique rend le Pays extrêmement dépendant des énergies fossiles, (96%), elle induit aussi une production de CO2 record de 13 tonnes par habitant, soit le double de la métropole. Avec la mise en service de toutes les centrales programmées, nous passerons à 36 tonnes de CO2 par habitant, ce qui place la Nouvelle‐Calédonie dans le peloton de tête des pays pollueurs. Si on applique le tarif tutélaire de la tonne de CO2 soit 32 euros, notre contribution à l’effort international de compensation carbone, conformément aux exigences de Kyoto, s’élèverait à x milliards par an. A qui incombera‐t‐il de payer cette facture ? •
Absence de transparence – déficit démocratique – non‐ respect du principe de bonne gouvernance L’étude d’impact de l’usine du Sud n’a été accessible au public que dans le cadre de l’enquête publique en 2008, une fois l’usine construite et prête à fonctionner. Quelle que soit l’avis de la population sur ce projet, elle a été mise devant le fait accompli. Les conflits parfois violents, qui ont opposé de 2004 à 2006, une partie de la population de Yaté et les associations écologistes aux promoteurs de l’usine du Sud, au moment de son installation sont une illustration du manque de dialogue, de l’absence de transparence et en définitive du non‐respect de la bonne gouvernance, qui devrait pourtant prévaloir pour des projets d’une telle ampleur. •
Un suivi juridique inopérant Malgré un développement minier sans précédent, il a fallu attendre 50 ans pour que les autorités compétentes ( l’Etat jusqu’en 1999), songent à dépoussiérer la réglementation minière datant de 1954. Elle comportait pourtant des lacunes flagrantes, du fait qu’elle exonérait les mineurs d’étude d’impact, d’enquête publique et même de réhabilitation du site après exploitation. Par ailleurs, il a fallu attendre 2009 pour que la Province Sud, compétente en matière d’environnement se dote enfin d’un Code de l’Environnement digne de ce nom, qui fut d’ailleurs contesté peu après son adoption par les mineurs. Malgré ces efforts, les mesures visant à encadrer les activités minières et métallurgiques ne sont pas à la hauteur des enjeux. Le 1° avril 2009, selon les termes même de l’Officier de Police chargé de l’enquête, « approximativement 40 m3 d’acide sulfurique s’échappent du complexe industriel de Valé, dont une partie s’écoule dans le Creek de la Baie Nord, causant la mortalité de centaines de poissons dont certains appartiennent à des espèces protégées mais aussi à des espèces inscrites sur la liste rouge de l’UICN…. » La faune a été entièrement détruite en aval de la fuite, sur une distance de 4km…. « Cet accident est dû à la conjonction de plusieurs facteurs : une défaillance mécanique, des erreurs de jugement, une méconnaissance des textes et une appréciation aléatoire de l’arrêté ICPE Après dépôt de plainte des associations environnementales et 2 ans de procédures, le Tribunal de police a prononcé la prescription des faits ! Cette anecdote scandaleuse est très symptomatique de la valeur que les autorités politiques, administratives et juridiques accordent à l’environnement, quand il y va de l’intérêt « supérieur » d’une multinationale. Conclusion : Une étude de l’ISEE (Institut de la Statistique et des Etudes Economique) montre que l’écart entre les populations aisées et les plus défavorisées n’a pas cessé de se creuser entre 1991 et 2008. Selon le Rapport Syndex, 33% des foyers vivent sous le seuil de pauvreté avec des ressources inférieures à 94000 cfp par mois. Malgré la volonté affirmée d’un rééquilibrage inscrit dans les Accords Matignon et Nouméa, la situation sociale reste explosive. Des mesures urgentes s’imposent pour répartir plus équitablement les richesses et faire en sorte que les retombées du nickel profitent d’abord au Pays. Nous considérons aussi, qu’avant de se lancer dans de nouveaux projets, nous devrions d’abord réparer les dégâts environnementaux dus à l’activité minière depuis son origine. Enfin, il nous appartient dès à présent de construire des réponses à la question de l’après nickel. Sur la base d’un bilan sans concession des activités minières et métallurgiques en Nouvelle‐
Calédonie, nous souhaitons que soit engagée, sans tarder, une réflexion approfondie destinée à préparer une sortie du nickel, notamment la mise en place de filières économiques alternatives à forte plus‐value et respectueuse de l’environnement, par exemple, dans le domaine des énergies renouvelables, de l’agriculture biologique, de la sylviculture, susceptibles de garantir un niveau de vie décent et une qualité de vie à long terme pour les populations du Pays. Réfèrences : ANONYME, 2008. Rapport d’observations définitives établi à la suite de l’examen de la gestion des recettes fiscales et douanières de la Nouvelle‐Calédonie à partir de 2002. ROD 08/16/NC du 13 novembre 2008 – Chambre Territoriale des Comptes de Nouvelle‐Calédonie. ANONYME, 2009. Procès‐verbal de synthèse relatif à la fuite acide du 1° avril 2009 sur le site de Valé Inco à Goro. ANONYME, 2009. Rapports des 9 ateliers du diagnostic – Nouvelle Calédonie 2025 – Schéma d’Aménagement et de développement de la Nouvelle‐Calédonie » – janvier 2009. Haut‐commissariat de la République et Gouvernement de la Nouvelle‐Calédonie. DANLOUX, J. & LAGANIER, R., 1991. Classification et quantification des phénomènes d’érosion, de transport et de sédimentation sur les bassins touchés par l’exploitation minière en Nouvelle‐
Calédonie. Orstom 1991. LETHIER, H., 2007. Expertise du plan de sauvegarde de la biodiversité terrestre de la société Goro‐
Nickel. Rapport final. RICHER DE FORGES, B. & PASCAL, M., 2008. La Nouvelle‐Calédonie, un « point chaud » de la biodiversité mondiale gravement menacé par l’exploitation minière. Journal de la Société des Océanistes 126‐127: 41‐58.