Les redresseurs de calavi
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Les redresseurs de calavi
LES REDRESSEURS DE CALAVI Par Zoé Noël commissaire d’exposition, chef de projet au Collège des Bernardins (Paris) On pourrait croire à un documentaire : l’histoire de jeunes gens d’un quartier populaire de la banlieue de Cotonou qui choisissent de faire régner leur justice et règlent pacifiquement les conflits de leurs voisins. Qui connaît les villes africaines, mais aussi et surtout les quartiers déshérités des villes du monde, a déjà croisé un ou plusieurs de ces redresseurs dont la morale, pas toujours aussi intacte qu’il y paraît, se définit par l’idée de maintenir la paix sociale en détenant la loi des plus forts. Corps et âmes. Mais Ishola Akpo ne donne pas la parole aux protagonistes de son film. Il ne cherche pas à comprendre, à juger ou à savoir. Simplement à observer. Sa caméra est au plus près. Cadrage serré, montage saccadé et rythmé visuellement par les mouvements de ces hommes soulevant leur poids. Pas un seul mot. Seulement des respirations, des battements de cœur et une gamme étendue d’émotions dont certaines semblent feintes. Douleur, rage, et fierté sans aucun doute, sont à la fois posture et sentiments réels. Nous sommes dans l’antichambre des héros. Le lieu de tous les jours dans lequel se forgent les corps et les idéaux. Loin des questions de justice, des actes, des débats, les redresseurs s’entraînent et se laissent voir presque à leur corps défendant. Mais si l’on a parfois l’impression, l’espace d’un instant, de pouvoir les capturer sur le vif, la mise en scène n’est jamais loin. Le vidéaste s’y laisse prendre et entrainer, ponctuant son film de ralentis sur fond de musique lyrique qui exacerbent le sentiment d’hommage, déjà présent par la référence à Herman Melville qui sous-titre les images. Pourtant dans la petite salle d’entraînement, la musique n’est pas la même et lorsque de « vieux adages sont marmonnés » ce sont ceux de la chanson “chop my money” du chanteur nigérian RnB P.Square (ici dans la version avec Akon et MayD) que l’on pourrait traduire par « elle doit bouffer (dépenser) mon argent, bouffer mon argent car je m’en fous ». SUNDAY SCREENING 2014 Carte blanche Galerie Cécile Fakhoury - Abidjan Mais si les mots s’opposent, c’est surtout pour révéler plusieurs niveaux de lectures. L’image et le texte, puis l’image elle-même qui se difracte lorsque le film de ce qui est en train de se passer se brise en kaléidoscope comme pour témoigner de ce que l’on cherche peut-être tous à comprendre. Qui sont les hommes derrière ces corps bodybuildés ? Quels sentiments les poussent chaque jour à venir s’entraîner pour faire la paix ? A cela Ishola Akpo ne répond pas. Il nous laisse simplement les images de ces corps musclés par l’idéal. Des images qui s’arrêtent sur ces mots « De tout tord le redresseur, sers la bonne cause…. et meurs ».