CMJ 7-2 Summer-06_F.qxp - Revue militaire canadienne
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CRITIQUES DE LIVRES CANADA AND THE LIBERATION OF THE NETHERLANDS, MAY 1945 par Lance Goddard Toronto, Dundurn Press, 2005 240 pages, 29,99 $ Compte rendu de Tom Douglas « Nul n’est aussi capable de gratitude que celui qui a traversé le royaume des ténèbres. » – Elie Wiesel E n citant ce romancier de renommée internationale et ce survivant de l’Holocauste au début de son livre captivant, Lance Goddard répond succinctement à cette question qui laisse perplexes de nombreux Canadiens, y compris des vétérans qui se trouvaient au cœur des événements : « Pourquoi le peuple hollandais nous tient-il en si haute estime? » L’explication est donnée dans l’avant-propos du livre par le major-général Richard Rohmer, auteur et historien militaire, qui a servi dans l’Aviation royale du Canada pendant la libération des Pays-Bas. « La bravoure et le sacrifice des soldats et des aviateurs canadiens pendant les combats acharnés pour la libération des Pays-Bas donnent matière à légendes et sont la cause de l’éternelle reconnaissance que nous témoignent les Néerlandais », affirme Rohmer. Ayant ainsi posé les assises de son ouvrage, Goddard se lance dans une description prenante de la vie en Hollande juste avant l’occupation nazie. Au premier chapitre, intitulé Darkness, l’auteur plante le décor des événements déchirants qui allaient éclater. Il nous rappelle que les Pays-Bas avaient opté pour la neutralité durant la Première Guerre mondiale et que les Néerlandais avaient cru à la promesse faite par Adolf Hitler de leur reconnaître ce même statut dans le conflit imminent. Les forces armées symboliques des Pays-Bas n’étaient donc guère plus qu’une simple nuisance lorsque les hordes nazies ont pris d’assaut le territoire néerlandais, en mai 1940. Goddard est, par profession, un producteur d’émissions de télévision, ce qui transparaît rapidement dans son ouvrage : la narration dépouillée à la troisième 96 personne est ponctuée de brèves entrevues avec des survivants néerlandais de l’invasion et de l’occupation des Pays-Bas. Tout au long du livre, l’auteur emploie un style de commentaires et de témoignages enrichi, dans les derniers chapitres, de la voix des vétérans de l’armée et de l’aviation du Canada qui relatent un récit vivant de la campagne de libération de ce pays assiégé. En fait, on lit cet ouvrage comme on lirait le script illustré d’un documentaire – ce qui n’étonne pas lorsqu’on sait que Goddard a produit un DVD portant le même titre. Ce style de « narration documentaire » n’enlève rien au plaisir de lire le livre de Goddard. Au contraire, grâce aux brefs commentaires « hors champ » suivis d’entrevues à la première personne, l’histoire se déroule à vive allure. Goddard n’est certes pas le premier à utiliser la technique qui consiste à intercaler dans un récit de bataille ou de guerre les témoignages de protagonistes, mais son expérience de la réalisation cinématographique l’aide à rassembler tous les éléments pour créer un ouvrage aussi instructif que fascinant. L’auteur ne fait pas un compte rendu militaire définitif de la libération des Pays-Bas et il ne prétend pas s’adresser à des spécialistes militaires. Son livre vise de toute évidence un public bien plus large. Les cartes sont faciles à comprendre, un avantage pour les lecteurs qui ne sont pas rompus à la cartographie militaire. Les témoignages décousus des civils néerlandais tout comme ceux des vétérans canadiens n’ont pas la froide précision des comptes rendus de situation ou des rétrospectives militaires. Toutefois, pour le profane aussi bien que pour l’étudiant sérieux en histoire militaire canadienne, cet ouvrage permet de comprendre rapidement les événements qui ont entouré la libération des Pays-Bas. Les témoignages des citoyens néerlandais qui vivaient aux Pays-Bas à l’époque vont de l’anecdote amusante aux descriptions macabres. On retrouve tout d’abord Henry et Corrie Schogt, qui s’interrompent l’un l’autre sur un ton bon enfant et ont une discussion animée sur le terme qu’il convient d’utiliser pour désigner les combattants néerlandais de la liberté : doit-on parler de force clandestine ou de force de la résistance? Puis, Elly Dull cite Churchill, parlant en ces termes de l’énergique reine Wilhelmina qui assistait aux réunions du cabinet de guerre pendant son exil en Grande-Bretagne : « Il n’y a qu’un seul homme dans Revue militaire canadienne ● Été 2006 CRITIQUES DE LIVRES la salle, et c’est la reine des Pays-Bas. » Cependant, l’auteur rapporte aussi sur un ton bien plus amer les témoignages des atrocités nazies, comme cette lancée enflammée de Jack Heidema : « La faim est une arme terrible. Et les Allemands l’ont délibérément utilisée contre les Néerlandais. Ça ne fait aucun doute. Ils ont sciemment affamé la population, et des milliers de personnes sont mortes de faim. J’ai vu des gens, la ceinture aux genoux, s’effondrer en pleine rue pour y mourir. » En fait, les récits de la cruauté nazie et la multitude de photos montrant des personnes qui cherchent de la nourriture dans les poubelles ou qui gisent mortes dans une ruelle finissent par accabler le lecteur. On est tenté de dire : « Ça va, on a compris. Passons à d’autres choses. » C’est là un mécanisme de défense cynique issu d’un constat choquant et presque impossible à accepter : une nation de citoyens intelligents et civilisés, endoctrinés au point de commettre, ou du moins de tolérer, les horribles atrocités perpétrées contre leurs semblables. Qu’on le veuille ou non, cette histoire mérite qu’on la rappelle – surtout à la lumière des manchettes actuelles sur les abus contre les détenus de la prison Abu Ghraib à Bagdad et sur les rumeurs de relocalisation de prisonniers soupçonnés de terrorisme dans des pays où la torture est considérée comme un moyen légitime de soutirer des renseignements. La force de l’ouvrage réside dans sa capacité de plonger le lecteur dans les jours noirs de l’occupation nazie de la Hollande et de lui faire ressentir toute la gamme des émotions : la privation, le désespoir, la méfiance, les lueurs d’espoir et, enfin, la libération. En lisant la description du traitement ignoble réservé à la population juive des Pays-Bas – bon nombre de Juifs avaient naïvement fui l’Allemagne pour éviter la persécution –, le lecteur est envahi par un sentiment d’intense indignation dirigé non seulement contre la brutalité des nazis mais aussi contre le reste du monde qui a permis ces actes abjects. À mesure que la mire se déplace de la progression lente mais constante des Canadiens vers les troupes allemandes aguerries et tentant désespérément de contrecarrer l’invasion alliée de leur pays, un sentiment de fierté – qui fait trop souvent défaut aux Canadiens lorsqu’il s’agit des réalisations des forces armées de leur pays – commence à s’imposer. Le lecteur est bouleversé par le courage de ces jeunes Canadiens qui ont laissé leur vie au combat. Il rit de bon cœur avec les vétérans qui racontent les incidents cocasses de la vie au front. Et il ressent l’exultation des Néerlandais lorsque les premiers soldats canadiens arrivent dans les villages et les hameaux pour les libérer des nazis abhorrés. Été 2006 ● Revue militaire canadienne Le livre souffre néanmoins de plusieurs omissions qui auraient pu être évitées. Ainsi, bien que l’auteur fasse référence à Andrew Irwin, de la Marine royale du Canada, dans la section des remerciements à la fin de l’ouvrage, la description de l’apport de cet élément trop souvent oublié des Forces canadiennes fait cruellement défaut. Même le major-général Rohmer qui souligne dans l’avant-propos « la bravoure et le sacrifice des soldats et des aviateurs canadiens » passe sous silence la contribution des marins. Pourtant, la Marine royale a joué un rôle relativement mineur bien qu’appréciable dans la bataille de l’Escaut et dans d’autres combats. À titre d’exemple, selon le site Web du musée naval de Manitoba (www.naval-museum.mb.ca), la 29 e flottille canadienne de vedettes-torpilleurs avait eu la mission d’arrêter, à tout prix, les torpilleurs et les dragueurs de mines se trouvant à Hoek van Holland, « à tout prix » signifiant même si cela suppose des blessés ou des morts parmi les membres de l’équipage. L’auteur aurait pu aussi rapporter les exploits des trois Canadiens qui ont reçu la Croix de Victoria durant la campagne néerlandaise : le sergent Aubrey Cosens (Queen’s Own Rifles), le major Frederick A. Tilston (Essex Scottish Regiment) et le caporal Frederick G. Topham (1er Bataillon canadien de parachutistes). Si c’est le manque d’espace qui a empêché l’auteur de souligner de façon plus étayée l’héroïsme de ces trois hommes, ce problème aurait pu être réglé par l’élimination de certaines photos représentant des villages et des villes des Pays-Bas tels qu’on les connaît aujourd’hui, puisque ces illustrations n’ajoutent rien à la narration. À vrai dire, Goddard aurait dû faire une utilisation plus judicieuse des photos dans l’ensemble du livre. Il est étonnant de constater qu’un auteur dont le principal mode d’expression est la vidéo documentaire a choisi de présenter des dizaines de photos si petites qu’il faut une loupe pour en apprécier toute la portée. Il aurait été bien plus sage de réduire le nombre de photos et de les agrandir pour faire ressortir pleinement leur effet dramatique. Ce ne sont là toutefois que des détails. Il n’en reste pas moins que Goddard nous offre une capsule chronologique qui documente une période marquante de l’histoire mondiale. Il nous donne également un compte rendu vivant d’un exercice militaire canadien à la hauteur des batailles de la crête de Vimy et du jour J pour ce qui est de la fierté qu’inspirent les réalisations des Forces canadiennes de combat. Tom Douglas est auteur de trois livres sur la Seconde Guerre mondiale et réalisateur du documentaire The Tulip and the Maple Leaf. 97