Les Etats-Unis vainqueurs militaires de la Seconde Guerre Mondiale ?

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Les Etats-Unis vainqueurs militaires de la Seconde Guerre Mondiale ?
Les Etats-Unis vainqueurs militaires de la
Seconde Guerre Mondiale ?
Cette question peut être abordée sous trois angles:
Celui de la contribution militaire aux pertes (critère imparfait certes).
Celui de la chronologie des opérations.
Celui du poids respectif des fronts.
Nous citons Omer Bartov, historien dont la notoriété et la qualité des travaux sont
incontestables.
1- Contribution militaire aux pertes.
Question délicate car s'il existe un certain nombre d'études réalisées depuis 1945 elles
n'utilisent pas la même méthodologie et recourent à des contenus et des critères
différents. En outre, il arrive que les Etats révisent au fil du temps leurs méthodes
d'évaluation de sorte qu'une appréhension globale et unifiée de ces pertes est difficile
à percevoir. Par exemple, les Etats-Unis ont tendance à inclure dans leurs pertes les
hommes morts de maladie et n'ayant pas participé aux combats. A l'inverse, l'Union
soviétique ne comptabilisait pas les blessés dans ses pertes de guerre (18.000.000 de
blessés).
S'agissant du niveau de ces pertes, une évaluation étasunienne donne 400.000 pour
les pertes de l'US Army dont sans doute 230.000 en Europe et Afrique du Nord. Les
pertes de la Wehrmacht ont été revues à la hausse ces dernières années (de
4.000.000 initialement à 5.533.000 aujourd'hui). Les pertes soviétiques ont été
recalculées à trois reprises entre 1945 et 1991. Les tués au combat de l'Armée rouge
représentent près de 5.000 morts par jour, soit des pertes journalières quatre fois
plus élevées que celles subies par l’armée impériale russe sur ce même front de 1914 à
1917.
La commission d'historiens constituée en 1987 en Fédération de Russie évalua le
bilan des pertes à 26,6 millions dont près de 10 millions de tués pour l'Armée rouge,
10 millions pour les pertes civiles directes et 7 millions pour les pertes civiles
indirectes (surmortalité).
Les chiffres donnés pour l'extermination de civils concernent des civils abattus
individuellement ou collectivement par le Reich dans les territoires soviétiques
conquis et occupés en 1941, 1942 et jusqu'en 1943.
Tués de l’Armée rouge. 9.450.000.
dont tués directs. 6.400.000
dont prisonniers de guerre soviétiques exterminés. 2.500.000.
dont morts d’accidents et fusillés par le NKVD. 550.000.
Extermination de civils (Fédération de Russie actuelle). 1.800.000 dont Juifs.
170.000.
Extermination de civils (Ukraine). 3.500.000 dont Juifs. 1.430.000.
Extermination de civils (Russie Blanche - Biélorussie). 2.200.000 dont Juifs.
810.000.
Pertes civiles (siège de Leningrad). 700.000 (autre source 500.000).
Famines, bombardements, maladies, etc... 7.465.000.
Extermination de civils (Lettonie). 670.000 dont Juifs. 220.000.
Extermination de civils (Lituanie). 650.000 dont Juifs. 77.000.
Extermination de civils (Moldavie). 165.000 dont Juifs. 130.000.
Ne sont données ici que les pertes subies en Europe (des pertes britanniques, mais
aussi étasuniennes, françaises et allemandes sont subies à la fois en Europe et en
Afrique).
Les chiffres donnés ci-dessous ont surtout pour intérêt de donner des ordres de
grandeur, forcément approximatifs.
Allemagne. Pertes totales. 8.533.000. Militaires. 5.533.000. Civils. 3.000.000.
Belgique. Pertes totales. 84.500. Militaires. 9.500. Civils. 75.000.
Bulgarie. Pertes totales. ?. Militaires. ?. Civils. 10.000.
Canada. Pertes totales. 39.000. Militaires. 39.000.
Etats-Unis. Pertes totales (Europe). 230.000. Militaires. 230.000.
France. Pertes totales. 610.000. Militaires. 250.000. Civils. 360.000.
Grèce. Pertes totales. 687.000 (partisans et civils).
Hongrie. Pertes totales. 1.050.000. Militaires. 750.000. Civils. 300.000.
Italie. Pertes totales. 400.000. Militaires. 300.000. Civils. 100.000.
Pays-Bas. Pertes totales. 249.500. Militaires. 13.500. Civils. 236.000.
Pologne. Pertes totales. 5.420.000. Militaires 120.000. Civils. 5.300.000 (Juifs
3.000.000).
Roumanie. Pertes totales. 680.000. Militaires. 520.000. Civils. 160.000.
Royaume-Uni. Pertes totales. 388.000. Militaires. 326.000. Civils. 62.000.
Tchécoslovaquie. Pertes totales. 405.000. Civils. 405.000.
Union soviétique. Pertes totales. 26.600.000. Militaires. 9.450.000. Civils.
17.150.000.
Yougoslavie. Pertes totales. 1.000.000. Militaires. 300.000. Civils. 700.000.
Total pertes en Europe:
46.422.000 dont militaires 17.877.000 et civiles 28.545.000.
Total pays Alliés:
35.749.000 dont militaires 10.774.000 et civiles 24.975.000.
Total pays de l'Axe:
10.673.000 dont militaires 7.103.000 et civiles 3.570.000.
Constats:
Le total des pertes militaires et civiles de l'Allemagne et de l'Union soviétique réunies
représentent 75% du total des pertes humaines subies en Europe (87% avec la
Pologne, en quatrième vient la Yougoslavie avec 2,1%).
Si l'on ne considère que les pertes militaires, tous camps confondus, les tués de
l’Armée rouge constituent 53% du total des pertes militaires connues en Europe, ceux
de la Wehrmacht 31% et ceux de l’armée nord-américaine 1,3% (Royaume-Uni 1,8%,
France 1,4%). Le total des pertes militaires seules de l'Allemagne et de l'Union
soviétique réunies représentent donc 84% du total de toutes les pertes militaires
subies en Europe.
Les pertes militaires de l’Union soviétique représentent 88% du total des
pertes alliées en Europe (Royaume-Uni 3% - France 2,3% - Etats-Unis 2,2%).
De 1941 à 1945, 80% des pertes de la Wehrmacht sont subies sur le front
russe.
« Fin mars 1945, la totalité des pertes de l’Ostheer (la Wehrmacht sur le front russe)
s’élevait à 6.172.373 hommes, soit prés du double de ses effectifs initiaux, au 22 juin
1941. Ce chiffre représentait 80% des pertes subies par la Wehrmacht sur tous les
fronts depuis le déclenchement de l’invasion de l’Union soviétique. En termes
relatifs, les unités combattantes sur le front russe avaient subi des pertes encore
plus importantes ». O. Bartov.
Les pertes militaires du conflit germano-russe au sens strict (les seules opérations
militaires impliquant une confrontation entre l'Armée rouge et la Wehrmacht) sont
de 13.876.400soit 78% du total des pertes militaires subies en Europe.
Si l'on rajoute les forces de l'Axe qui combattirent en Russie (Hongrie, Roumanie,
Italie qui eut jusqu'à 200.000 hommes sur ce front) le rapport est encore plus élevé.
2- La chronologie des opérations.
Début 1944, l’Armée rouge met en ligne deux fois plus de chars, quatre fois plus
d’avions d’assaut que le Reich. Engagée dans une guerre totale contre la Russie,
l’industrie de guerre allemande « tourne » pourtant au maximum de ses capacités et
ne cesse de se développer jusqu’au début de 1945 (ses dépenses militaires passent de
35% du PNB en 1940 à 65% en 1944). Dés la fin de 1943, la poussée des armées
soviétiques vers l’Allemagne, parsemée de batailles dont l’ampleur et la férocité sont
sans équivalent à l’Ouest, apparaît irrésistible. Même si en 1943 la Wehrmacht peut
encore aligner 258 divisions en Union soviétique (5 millions d’hommes sur le papier,
en fait probablement moins de 3 millions, soit prés de 80% des effectifs totaux de
l’armée allemande qui compte en tout 320 divisions fin 1943) il s’agit d’une armée
saignée à blanc, qui a perdu ses capacités d’initiative et ses meilleures troupes.
Les armées soviétiques attaquent sans interruption depuis août 1943, sur un front
continu de plus de 2.000 km. La Wehrmacht subi défaite sur défaite. Les Russes ont
adopté les techniques de la guerre-éclair, et font des centaines de milliers de
prisonniers (en mai 1945 on dénombre plus de 3 millions de prisonniers allemands
détenus en URSS). Le 5 août 1943 une salve d’honneur fête la libération d’Orel. Le 5
août 1943 est ainsi le début du temps des « Salves de la Victoire ». Minsk est libérée
en juillet 1943, Smolensk en septembre.
Le 8 avril 1944, alors que les alliés n’en sont qu’aux préparatifs de leur débarquement
en France, une salve de 324 canons marque, à Moscou, l’arrivée de l’Armée rouge en
Roumanie et en Tchécoslovaquie. Fin avril 1944, les Russes sont aux portes de la
Prusse orientale. En juin 1944, avec 124 divisions et prés de 6.000 chars d’assaut, ils
infligent sur un front de 600 km une défaite totale aux divisions allemandes qui
combattent en Biélorussie.
L'« opération Bagration » aboutit à la destruction complète du groupe d'armées
Centre, et constitue la plus grande défaite de la Wehrmacht de la Seconde Guerre
Mondiale (380.000 tués et 150.000 prisonniers, 25 divisions anéanties). En juillet
1944, les fantassins soviétiques sont sur la frontière polonaise. Le 28 août ils
pénètrent en Hongrie (conquise fin décembre après de très durs combats), en
septembre les pays baltes sont libérés, les divisions russes entrent en Finlande. En
octobre, les Russes sont en Yougoslavie. Pour la seule année 1944, les armées russes
anéantissent 136 divisions allemandes et 50 des pays satellites.
La Russie lance l’offensive finale sur l’Allemagne en plein hiver, sur un front
s’étendant de la Baltique à l’Adriatique, avec 6,7 millions de combattants, prés de
8.000 chasseurs et bombardiers, 5.000 pièces d’artillerie autotractées, 7.000 chars
contre 3.500, 50.000 canons. Varsovie est libérée le 17 janvier 1945. Le 19 janvier
1945, les premières unités pénètrent en Allemagne.
Les chef militaires soviétiques ont la possibilité de foncer sur Berlin dés février (le
30 janvier 1945 les armées de Joukov sont sur l’Oder, à 70 km de la Chancellerie du
Reich) mais ils préfèrent d’abord liquider le corps d’armées de la Wehrmacht en
Prusse-Orientale puis le réduit de Poméranie, qui menacent leur flanc nord, et
nettoyer le flanc sud (Europe centrale). 60 divisions allemandes ont été anéanties lors
de ce premier assaut.
Pour ralentir la poussée furieuse des Russes, le commandement allemand transfère
encore 29 divisions du front ouest vers l’Est, dégarnissant encore un front ouest qui,
pourtant, mobilisait déjà moins de 25% des forces du Reich depuis juin 1944.
Le 13 janvier 1945, l’Armée rouge se lance à l’attaque de la Prusse Orientale avec 1,6
million de soldats. La Wehrmacht attend l’assaut avec 45 divisions, soit 580.000
soldats. Au terme de combats d’une incroyable férocité les poches de résistance de
l’armée allemande sont liquidées les unes après les autres. Le désastre est total pour
l’armée allemande. Il ne reste pratiquement plus rien de son corps d’armées de
Prusse-Orientale après seulement trois mois d’offensive russe. Toute l’Allemagne
s’ouvre alors à l’Armée rouge.
Les Nord-Américains ne parviennent à traverser le Rhin que le 7 mars 1945 (le 31
mars pour la 1ère Armée française). Le 13 avril 1945 les Russes ont déjà conquis
Vienne. Le 16 avril, la Stavka lance à l’assaut de Berlin (3,3 millions d’habitants) une
armée de 2,3 millions de combattants équipée de 41.600 canon, épaulés de 6.200
chars et canons autopropulsés, 7.200 avions (quatre armées aériennes).
La préparation d’artillerie sur les hauteurs de Seelow, à 60 km de Berlin, est
terrifiante (prés de 9.000 pièces d’artillerie). Le 9 mai, l’Allemagne, représentée par
Keitel, signe à Berlin (Karlshorst), devant son vainqueur représenté par Joukov, sa
capitulation sans conditions.
3- L'importance respective des fronts.
« C’est en Union soviétique que la Wehrmacht eut les reins brisés, bien avant le
débarquement des Alliés en France; même après juin 1944, c’est à l’Est que les
Allemands continuèrent à engager et à perdre la majorité de leurs hommes. Pour
l’écrasante majorité des soldats allemands, l’expérience de la guerre fut celle du
front russe ». O. Bartov.
De juin 1941 à juin 1944, le front de la Seconde Guerre Mondiale, en Europe, est le
front russo-allemand. Du déclenchement de l’opération « Barbarossa » aux dernières
étapes de la guerre, en mars 1945, la Wehrmacht consacre l’essentiel de ses
ressources en hommes et en matériels au front de l’Est.
34 millions de Soviétiques sont mobilisés dans les rangs de l’Armée rouge de 1941 à
1945, tandis que quelques 20 millions d’Allemands portent, à un moment ou à un
autre, l’uniforme de la Wehrmacht sur le front russe.
L’ampleur de l’engagement allemand fut gigantesque de sorte que c’est toute la
société allemande qui fut impliquée dans l’expérience de la guerre contre la Russie,
tant pendant la guerre qu’après. « La guerre sur le front de l’Est fut conçue comme
une lutte à mort, exigeant un engagement mental sans limites, une obéissance
absolue, la destruction totale de l’ennemi. A ce titre, la guerre contre la Russie
constitue non seulement le sommet du régime nazi, mais aussi l’élément essentiel de
son image dans la mémoire collective des Allemands après la guerre ». Omer
Bartov.
Pour la Wehrmacht, la Seconde Guerre Mondiale c’est avant tout la guerre sur le front
russe. « Pour l’écrasante majorité des soldats allemands, l’expérience de la guerre
fut celle du front russe ». O. Bartov.
En juillet 1943, lors de la gigantesque bataille de Koursk, à peine sept divisions et
deux brigades (2,7% des forces allemandes) sont engagées face aux Américains et aux
Britanniques.
Le reste (91 divisions et 3 brigades) se trouve cantonné dans les territoires de
l’Europe occupée. Les alliés ont certes pris pied en Afrique du Nord en novembre
1942 (débarquement de 70.000 hommes à Alger et Oran), en Sicile en juillet 1943
(160.000 hommes), en Italie à Salerne (sud de Naples) en septembre 1943 et à Anzio
en janvier 1944, mais les moyens engagés pèsent encore de peu de poids (la
Wehrmacht n'a que 23 divisions en Italie début 1944) comparés à la démesure des
effectifs et des matériels présents depuis 1941 sur le front russe.
Pour la Wehrmacht, c’est en Russie que la Seconde Guerre Mondiale commence
vraiment tant les pertes en hommes ont été faibles durant les campagnes de Pologne,
de France ou des Balkans. Alors que pendant les deux premières années de la guerre
(1939 et 1940), 1.253 officiers allemands seulement sont tués au combat, entre juin
1941 et mars 1942, 15.000 officiers disparaissent, ce qui indique un changement
radical dans l’évolution des pertes.
Selon Keitel, la moyenne mensuelle des pertes allemandes sur le front russe, en
dehors de toute grande bataille, était de 150.000 à 160.000 hommes. Les renforts
venus des dépôts d’Allemagne et des garnisons françaises permettaient de remplacer
les pertes par 90.000 ou 100.000 hommes. Ainsi, tous les mois, la Wehrmacht
fondait de 60 à 70.000 hommes.
La comparaison est donc difficile entre la guerre sur le front russe, depuis 1941, et
celle menée sur le front ouest, essentiellement à partir de juin 1944. Sur le premier,
on assiste à une « Guerre de Titans » démesurée et totale. La « guerre industrielle » y
atteint un paroxysme jamais égalé depuis, parsemée de gigantesques batailles
d’anéantissement.
Sur le front ouest, on voit des combats d’arrière-garde, sans influence sur l’issue
d’une guerre que l’état-major allemand sait avoir perdu face à la Russie dés 1943.
Le choc frontal, tectonique et impitoyable, qui voit se heurter la Russie et l’Allemagne
de 1941 à 1945, devient immédiatement une guerre de nations, qui épuise
démographiquement les peuples de ces deux géants européens. Valentin Faline,
docteur ès sciences historiques (Académie des Sciences de Moscou), relevait en mars
2005 qu' « En 1944, le pays mobilisait déjà des jeunes de dix-sept ans. La campagne
avait pratiquement été dépeuplée. Les jeunes nés en 1926-1927 étaient épargnés
uniquement dans les usines de guerre, les directeurs ne les laissaient pas partir ». O.
Bartov note que l'intensité et l'ampleur des combats sur le front russe sont
telles « que la terrible pénurie d’hommes était en train de saigner le Reich à blanc, à
tel point qu’il n’y aurait bientôt, tout simplement, plus d’hommes aptes à servir. En
fait, étant donné l’importance des pertes subies par les unités combattantes à partir
de l’été 1943 [sur le front russe], celles-ci finirent par être anéanties les unes après
les autres, même si elles combattirent jusqu’au bout avec des remplaçants de moins
en moins nombreux, grappillés partout où c’était possible ».
Catherine Merridale relève que seuls 25% des équipages de chars de l’Armée rouge
survécurent à la guerre. Ce taux de perte de 75% est supérieur aux taux de perte des
sous-mariniers de la Kriegsmarine (60%) et donne une idée de la cruauté du conflit.
La part du front russe dans les opérations de la Wehrmacht est écrasante, y compris
jusqu’en mai 1945. La comparaison des pertes subies par la Wehrmacht sur les deux
fronts à partir de juin 1944 montre bien, encore une fois, la part presque exclusive du
front russe même après le débarquement des alliés.
Du 1er juillet au 31 décembre 1944, pendant cinq mois, lors de la grande offensive
soviétique contre le groupe d’armées du Centre, les Allemands perdent chaque mois
en moyenne 200.000 soldats. A l’Ouest, au cours de la même période, c’est-à-dire
après le débarquement allié en Europe, la moyenne des pertes allemandes s’élève
seulement à 8.000 hommes par mois (soit un rapport de 1 à 25).
Quand les alliés débarquent le 6 juin 1944, l'essentiel de la capacité militaire
allemande a déjà été anéantie par l'Union soviétique. Enfoncée par l’Armée rouge,
exsangue et battant en retraite sur tous les segments du front Est, elle ne peut plus
guère opposer aux troupes alliées qui viennent d’être débarquées en Normandie
(150.000 hommes) que 30 divisions, réparties dans un rayon de 250 km autour de la
zone de débarquement.
Il s’agit de divisions dont la valeur opérationnelle n’a plus grand chose à voir avec
celle des 200 divisions qui attaquèrent la Russie en juin 1941, d’unités ramenées à
25% de leurs effectifs de combat, avec peu de matériels, et composées de rescapés du
front russe et d’adolescents n’ayant pas connu le feu.
En juillet 1944, plus d’un million d’hommes auront été débarqués en France (60
divisions nord-américaines, 18 anglaises, 10 françaises). La seule vraie réaction
d’envergure de l’Allemagne sera la contre-offensive des Ardennes de décembre 1944
où elle ne parviendra pourtant qu’a engager... 21 divisions, qui suffiront cependant à
stopper la progression américaine, alors que depuis octobre 1944 l’Armée rouge se
trouve déjà à 70 km de Rastenburg, QG de Hitler en Prusse Orientale.
Vladimir Simonov, historien, notait en avril 2005 qu'« En 1944, l'étendue du front
soviéto-allemand était quatre fois plus grande que celle de tous les fronts sur
lesquels nos alliés se battaient. A l'époque, jusqu'à 201 divisions ennemies à la fois
ont combattu sur le front russe, alors que seulement 21 divisions allemandes
s'opposaient, au cours de cette même période, aux troupes américano-britanniques.
Somme toute, l'ouverture du deuxième front par l'Occident n'a en fait changé que
très peu de choses dans ce rapport de forces ».
Et encore, « depuis mars 1945, le deuxième front, à l’Ouest, n’existait plus ni
formellement ni réellement. Les unités allemandes ou bien se rendaient ou bien
reculaient vers l’Est, sans opposer de véritable résistance aux alliés. La tactique des
Allemands consistant à conserver, autant que possible, leurs positions le long de
toute la ligne de confrontation soviéto-allemande jusqu’à ce que l’Occident virtuel et
le Front de l’Est réel se rejoignent, après quoi les troupes américaines et
britanniques prendraient la relève des unités de la Wehrmacht en repoussant la
«menace soviétique» suspendue au-dessus de l’Europe ». (RIA).
Le front ouvert en juin 1944 aura donc eu, militairement, environ neuf mois
d’existence contre 47 mois pour le front russe où, là, les combats resteront acharnés
jusqu’au tout dernier jour.
L’ouverture d’un second front obligera le Reich à dégarnir le front russe. Mais le front
ouest (France, Italie) ne mobilisera jamais plus de 75 divisions allemandes, dont une
minorité de divisions combattantes, à comparer aux 220 divisions de la Wehrmacht
début 1944, qui subissent les assauts des armées russes. Au plus fort de leur
engagement en Europe, à la fin de 1944, c’est-à-dire à la fin d’une guerre déjà gagnée,
les Etats-Unis mettront en ligne 90 divisions, à comparer aux 360 divisions de
l’Armée rouge qui combattent l’Allemagne nazie depuis 1941.
L’étonnante facilité de la progression des armées nord-américaines en Europe à
partir de septembre 1944 (« la chevauchée de Patton »…), le faible niveau des pertes
en vies humaines de ces forces, font simplement pendant à la défaite qui a emporté la
Wehrmacht sur le front russe.
A partir de 1945, l’état-major de la Wehrmacht décide d’opposer une résistance de
faible intensité à l’avance des troupes alliées en Allemagne tout en poursuivant une
guerre féroce et acharnée contre l’Armée rouge (600.000 soldats soviétiques tués
pour la libération de la Pologne, 700.000 autres tués dans les combats pour les pays
baltes). Les forces britanniques de Montgomery (20 divisions et 1.500 chars)
traversent le Rhin en Hollande à partir du 23 mars 1945 sans rencontrer de résistance
sérieuse. On mesure le peu d’opposition rencontrée si on observe que la 9ème armée
américaine, qui fournissait la moitié de l’infanterie d’assaut, a eu alors moins de 40
tués.
Ainsi que le souligne P. Miquel, les opérations de l’année 1944 ressortent avant tout
d’une volonté de « conquêtes territoriales » (avec des implications majeures
concernant le partage politique de l’Europe continentale après le conflit) : la question
qui se pose en juin 1944 n’est plus celle de la victoire sur l’Allemagne. On sait, dans
les états-majors des armées alliées, que la décision militaire sur le continent européen
a été emportée par les Soviétiques en 1943. Le débarquement allié de juin 1944 n’eut
ainsi aucune importance sur l’issue militaire du conflit en Europe (politiquement et
économiquement c'est évidemment une autre question).
La défaite militaire du Troisième Reich face à l'Union soviétique ne trouve son
explication ni dans une carence en matériel (la Wehrmacht de 1945 à l’Est est bien
mieux dotée en matériels de guerre, à la fois en quantité et en qualité, que ne le fut
celle de 1941 (la production mensuelle de fusils en 1944 égale la production annuelle
de fusils en 1941) ni dans les grands bombardements aériens menés par les Angloaméricains sur l’Allemagne : ceux-ci ne prennent un caractère véritablement intensif
qu’à partir de l’année 1944 et la production de guerre allemande ne commence à
fléchir, de ce fait, qu’à partir de décembre 1944, c’est-à-dire quand tout est déjà joué.
En outre, « la perte des mines et des usines de Silésie [conquises par les Russes en
janvier 1945] représentait, pour la production de guerre allemande, un coup sans
doute plus important que celui infligé par deux années de bombardement aérien de
la Ruhr par les Alliés ». A. Beevor.
4- Conclusion
La Seconde Guerre Mondiale en Europe a été, pour l’essentiel, une guerre germanorusse (à 80% si l'on veut). C'est le constat d'un rapport de proportion et non celui
d'une valeur donnée à tel ou tel camp.
L’intervention des Etats-Unis, bien trop tardive pour vraiment peser militairement, a
essentiellement une motivation politique et économique. Elle a pour objectif
d'empêcher Staline d'occuper toute l’Europe de l’Ouest (si tant est qu'il en ait eu
l'intention) : en mai 1945 l’Armée rouge occupe l’Autriche et campe aux portes de
l’Italie et de la Suisse.
La contribution militaire étasunienne est négligeable (moins de 3% des pertes alliées
en Europe). Elle n'est pas décisive militairement car elle n'a pas pesé dans un résultat
final déjà acquis, même si cette contribution a accéléré de quelques mois une victoire
de toute façon déjà remportée par l'Union soviétique.
La reconstruction, à partir des années 50 (guerre froide aidant) d'une réalité devenue
fantasmée (« les Etats-Unis vainqueurs du Second conflit mondial ») n'enlève rien à
ce fait. Pour les Français, s'il faut rendre un hommage, c'est donc d'abord aux soldats
soviétiques qu'il faut le rendre puisque c'est leur sacrifice qui a permis le
débarquement allié de juin 1944 qui les a « libérés ».
Comme en 1917, en misant très peu, les Etats-Unis ont beaucoup récolté: une gloire
usurpée (puissance des représentations), une Europe de l'ouest peu ou prou sous
tutelle (la leur), la préservation de leurs débouchés économiques en Europe, l'éviction
et le remplacement des positions commerciales mondiales occupées par l'Europe en
1940, et l'imposition du dollar. Enfin, en livrant essentiellement une « guerre de
matériels », les Etats-Unis ont réussi à s'extirper de leur grande crise des années 30.
ANDO Ni
Biblio sommaire
« Ivan’s War. The Red Army 1939-45 ». Cath. Merridale. Faber & Faber. 2006.
« Bilan de la Seconde Guerre Mondiale ». Marc Nouschi - Le Seuil, 1996.
« Carnets de guerre ». Vassili Grossman – Calmann-Levy. 2007.
« Crimes de la Wehrmacht. Dimensions de la guerre d'extermination.
1941-1944 » - Institut de recherches sociales de Hambourg. 2004 (traduit de
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1995.
« L’Armée d’Hitler ». Omer Bartov – Hachette Littératures. 1999.
« La Russie en guerre ». A.Werth - Ed.A.M/ 1967.
« La Seconde Guerre Mondiale ». H.Michel. PUF. 1978. t1.
« La Seconde Guerre Mondiale ». P.Miquel – Ed. Fayard. 1994.
Les pertes civiles par République de l'Union soviétique sont données dans un
article "The Great Patriotic War" paru sur "Voice of Russia" en 2001 (en
anglais).(chiffres corroborés par l'ouvrage de Iu. Poliakov).
Sur les pertes civiles: « La population de la Russie au XX ième siècle » - Iu.
Poliakov. Tome 2, 1940-1959. Moscou, Rosspen 2001, chap.7, p. 128-165.