Preuve et droits fondamentaux

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Preuve et droits fondamentaux
Preuve et droits fondamentaux
1.
La fin ne justifie pas tous les moyens. Naturellement, celui qui
se sait titulaire d’un droit ou qui sait une personne coupable
d’une infraction voudrait user de tous les moyens pour convaincre
le juge de ses allégations et faire sortir la vérité1. Néanmoins,
afin de protéger les droits d’autrui et derrière, la paix sociale, il
existe un droit de la preuve, dont un des plus substantiels objets
est de limiter les modes de preuve admissibles.
2.
L’équilibre entre la recherche de vérité et la paix sociale. Chaque
législation
s’efforce
de
trouver
un
juste
équilibre
entre
la
possibilité offerte à chacun de prouver les faits qu’il allègue et le
respect dû aux droits d’autrui. En droit français, si, du point de
vue des modes de preuve admissibles, le modèle de la preuve libre
domine
très
largement
(en
matière
pénale2,
en
administrative , mais aussi en matières commerciale
3
4
matière
et civile5 si
1
La CourEDH considère que les faits allégués ne peuvent être considérés comme établis que s’ils le
sont, en général « au-delà de tout doute raisonnable » (CourEDH 18 octobre 2001, Indelicato c/
Italie, Req. n° 31143/96 : preuve de mauvais traitements devant être établie « au-delà de tout
doute raisonnable » ; CourEDH 18 mai 2004, Somogyi c/ Italie, Req. n°67972/01). Adde CourEDH,
17 janvier 2012, Othman c/ Royaume-Uni, Req. n° 8139/09 : la CourEDH a estimé qu’un accusé
n'avait pas à établir « au-delà de tout doute raisonnable » qu’une preuve qui lui était opposée avait
été obtenue en violation de l'article 3 et que la démonstration d’« un risque réel » qu’elle ait été
ainsi obtenue suffisait à l’écarter.
2
Art. 427 CPP.
3
H. de Gaudemar, « La preuve devant le juge administratif », Dr. Adm. 2009, Etude 12. V.
notamment CE, 5 octobre 2005, Cie Groupama Sud et Pougenc, n°252317, pub. Rec. Lebon : la
subrogation légale n’est pas subordonnée à la production d’une quittance subrogative. Encore que la
jurisprudence administrative s’inspire des principes régissant la procédure civile. Dans sa décision
Société Etablissement Lebreton (CE, 20 juin 2003, n° 232832, pub. Rec. Lebon, Procédures
2003, comm. 230, note J.-L. Pieure), le Conseil d’Etat énonce que « si en vertu des règles
gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif applicables sauf loi
contraire, il incombe en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses
1
on laisse de côté la preuve des actes juridiques), il existe des
règles de fond et de procédure, légales ou jurisprudentielles, qui
encadrent strictement l’administration de la preuve.
3.
Les droits fondamentaux. Reste à se demander si le juste
équilibre recherché par le législateur est susceptible d’intéresser
les droits fondamentaux. Dans un arrêt de principe rendu le 12
juillet 1988, Schenk6, la CourEDH a posé comme principe que « si
la Convention garantit en son article 6 (art. 6) le droit à un
procès
équitable,
elle
ne
réglemente
pas
pour
autant
l’admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui dès lors
relève au premier chef du droit interne » (§46). On aurait
cependant tort de croire que cette décision révèle un désintérêt
de la CEDH et plus généralement des droits fondamentaux pour
les questions probatoires. Au vrai, l’interaction entre droits
fondamentaux et droit de la preuve est double.
4.
Un droit de la preuve pris en tenaille. En premier lieu, et
traditionnellement, les règles de preuve retenues par le législateur
peuvent heurter des droits fondamentaux et ce, de deux façons.
Des règles de preuve qui ne seraient pas suffisamment strictes
pourraient heurter les droits fondamentaux substantiels d’autrui :
le droit au respect de la vie privée, le droit au respect de
l’intégrité corporelle, notamment. Inversement, des règles de
preuve qui seraient trop strictes et qui ne permettraient pas au
requérant de rapporter la preuve de son allégation le priverait du
droit à un procès équitable, droit fondamental processuel.
On s’aperçoit ainsi que le droit de la preuve est tenaillé entre le
droit à un procès équitable, qui commande d’admettre le plus
prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être
réclamés qu'à celle-ci » (on aura reconnu l’inspiration de l’article 9 et 11 al. 2 CPC).
4
Art. L. 110-3 C. com.
5
Art. 1348 C. civ.
6
CourEDH, 12 juillet 1988, Schenk c/ Suisse, Req. no10862/84.
2
largement
possible
l’admission
des
preuves
et
les
droits
fondamentaux substantiels qui conduisent à la limiter le plus
souvent.
5.
L’émergence d’un droit à la preuve. En second lieu, et plus
récemment,
on
voit
poindre
en
jurisprudence
l’idée
qu’il
existerait, au-delà d’un droit de la preuve entenaillé par les
droits fondamentaux, un droit à la preuve érigé lui-même en
droit fondamental. Il faut y voir là le signe de l’importance
grandissante de la quête de la vérité des faits – par opposition à
la vérité judiciaire – dont on peut se demander s’il est possible
d’en tirer des conséquences.
6.
Plan. C’est ce double phénomène que l’on envisagera, celui du
droit de la preuve (§1) et celui du droit à la preuve (§2).
§1
7.
Le droit de la preuve
Plan. On l’a dit, les droits fondamentaux sont pris en tenaille
(A). On le vérifiera avec certains modes de preuve susceptibles de
faire difficulté (B).
A.
8.
Le droit de la preuve en tenaille
Plan. Une tenaille à des mâchoires : ici, il s’agit des droits
fondamentaux
processuels
(1)
et
des
droits
substantiels (2)
1.
Les droits fondamentaux processuels
3
fondamentaux
9.
Encourager l’admission des preuves. Les droits fondamentaux
processuels forment le droit à un procès équitable consacré à
l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme7,
et qui concerne tant la matière pénale que la matière civile8. Le
droit à un procès équitable se décline lui-même en deux principes
fondamentaux :
l’égalité
des
armes
et
le
respect
du
contradictoire, qui ont en commun d’encourager l’admission des
preuves.
7
Art. 6 CEDH : « 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement,
publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi,
qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé
de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement,
mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou
une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans
une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des
parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque
dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la
justice.
2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait
été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée,
de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens
de rémunérer un
défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les
intérêts de la justice l’exigent ;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des
témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue
employée à l’audience. »
8
Même si les exigences posées par la CourEDH sont plus importantes en matière pénale. V.
CourEDH, 27 octobre 1993, Dombo Beheer B.V. c/ Pays-Bas, Req. n°14448/88 : « Les impératifs
inhérents à la notion de "procès équitable" ne sont pas nécessairement les mêmes dans les litiges
relatifs à des droits et obligations de caractère civil que dans les affaires concernant des accusations
en matière pénale. A preuve l’absence, pour les premiers, de clauses détaillées semblables aux
paragraphes 2 et 3 de l’article 6 (art. 6-2, art. 6-3). Partant, et bien que ces dispositions aient
une certaine pertinence en dehors des limites étroites du droit pénal (voir, mutatis mutandis, l’arrêt
Albert et Le Compte c. Belgique du 10 février 1983, série A no 58, p. 20, par. 39), les États
contractants jouissent d’une latitude plus grande dans le domaine du contentieux civil que pour les
poursuites pénales » (§32). La CourEDH poursuit « Néanmoins, certains principes liés à la notion de
"procès équitable" dans les affaires de caractère civil se dégagent de la jurisprudence de la Cour. Ainsi,
l’exigence de "l’égalité des armes", au sens d’un "juste équilibre" entre les parties, vaut en principe
aussi bien au civil qu’au pénal (arrêt Feldbrugge c. Pays-Bas du 26 mai 1986, série A no 99, p. 17,
par. 44) » (§33).
4
10.
Principe de l’égalité des armes. Le principe de l’égalité des armes
implique qu’une partie ne soit pas désavantagée par rapport à
l’autre, en particulier sur le terrain de la preuve. Depuis la
jurisprudence Dombo Beheer de la CourEDH, chaque partie doit se
voir offrir « une possibilité raisonnable de présenter sa cause - y
compris ses preuves - dans des conditions qui ne la placent pas
dans une situation de net désavantage par rapport à son
adversaire »9. Le principe de l’égalité des armes se traduit en
premier lieu par le droit à une égale communication des pièces.
Ainsi, les pièces communiquées à l’une des parties doivent l’être à
l’autre10. Pour autant, la CourEDH n’a pas condamné la France,
dont le droit interdit à la partie civile non assistée d’un avocat
d’avoir accès au dossier de l’instruction en raison du secret de
l’instruction,
lequel
justifie
de
n’informer
que
les
avocats,
également tenus au secret . En second lieu, le principe de
11
l’égalité
des
armes
se
traduit
par
un
droit égal dans la
production des preuves. Ainsi la Cour de cassation considère-t-elle
comme une atteinte à l’égalité des armes « le fait d'interdire à
une partie de faire la preuve d'un élément de fait essentiel pour
le succès de ses prétentions »12. Quant au Conseil d’Etat, il a
considéré dans une décision rendue le 13 février 2006 que
« l’équité du procès » commande que l’une des parties n’ait pas
été favorisée dans l’administration de la preuve13.
9
10
CourEDH, 27 octobre 1993, Dombo Beheer B.V. c/ Pays-Bas, préc. §33.
CourEDH, 27 octobre 2004, Edward et Lewis c/ Royaume-Uni, Req. n°39647/98 40461/98 :
rapport de police transmis au procureur et non à l’autre partie. De même, le juge national doit
communiquer les éléments de preuve établissant que les personnes poursuivies avaient été invitées à
commettre des infractions par des policiers infiltrés (CourEDH, 27 avril 2000, Kuopila c/ Finlande,
Req. n°27752/95).
11
CourEDH, 14 juin 2005, Menet c/ France, Req. n° 39553/02, JCP 2005, I, 159, chr. Sudre.
12
Com. 15 mai 2007, B. 130 : « constitue une atteinte au principe de l'égalité des armes résultant
du droit au procès équitable garanti par l'article 6 de la Convention européenne des droits de
l'homme le fait d'interdire à une partie de faire la preuve d'un élément de fait essentiel pour le
succès de ses prétentions » (au sujet de la production d’une pièce relative à la santé).
13
CE 13 février 2006, n°279180.
5
On peut ici envisager la question des conventions sur la preuve
qui rendent très difficile voire impossible la preuve par l’une des
parties. La Cour de cassation s’est prononcée au sujet d’un
contrat assurant le vol de véhicule qui précisait quels indices
devaient être établis par l’assuré pour caractériser le caractère
frauduleux de la soustraction du véhicule (traces d'effraction,
forcement de la direction ou de l'antivol et modification des
branchements électriques).
La question s’est posée de savoir si
en l’absence de ces indices, l'assuré pouvait prouver par d'autres
voies la réalité du vol dont il se prétendait victime. Les juges du
fond avaient répondu par la négative. Au double visa des articles
1315 du Code civil et 6§1 CEDH, la Cour de cassation casse au
motif que « la preuve du sinistre, qui est libre, ne pouvait être
limitée par le contrat »14. Le visa de l’article 6§1 laisse à penser
que le procès n’est plus équitable pour celui qui ne peut
rapporter les preuves nécessaires au succès de ses prétentions15.
En
définitive,
le
principe
de
l’égalité
des
armes
est
fondamentalement un principe de non-discrimination.
11.
Principe du respect du contradictoire. Le principe du respect du
contradictoire16 exige non plus une égalité des parties face au
juge, mais la faculté de chacune d’entre elles de discuter les
preuves fournies au juge. Il en découle le droit pour chaque partie
14
Civ. 2e, 10 mars 2004, B. 101, RDC 2004, p. 938, obs. Stoffel-Munck et p. 1080, obs. Debet.
15
Et comp., en droit de l’Union européenne, la position de la Cour de Luxembourg qui estime, en se
fondant sur l’ effectivité du droit d'accès à un tribunal, que les règles d'administration de la preuve
ne doivent pas rendre excessivement difficile voire impossible, la revendication en justice d'un droit
tiré du droit de l’Union (CJCE, 9 novembre 1983, aff. 199/82, San Giorgio, Rec., p. 3595 ; CJCE
25 févr. 1988, aff. 331, 376 et 378/85, Les fils de Jules Bianco, Rec., p. 1099).
16
A la différence du principe de l’égalité des armes, le principe du contradictoire ne concerne pas que
les rapports entre les parties. V. notamment CourEDH, 27 mars 1998, Nideröst-Huber c/ Suisse,
Req. n°18990/91 : la Cour estime le principe du contradictoire méconnu par une règle autorisant les
juridictions cantonales à défendre
leurs jugements en transmettant au Tribunal
fédéral des
observations auxquelles les parties n'ont pas accès. V. également CourEDH, 11 octobre 2005, Spang
c/ Suisse, Req. n°45228/99.
6
« de
se voir communiquer et de discuter toute pièce ou
observation présentée au juge »17.
Le principe du contradictoire, reconnu sur le fondement de
l’article 6 CEDH comme un aspect du droit au procès équitable,
l’est également en droit interne, à l’article 16 du Code de
procédure civile18.
Le respect du contradictoire s’impose à tous les stades de la
procédure, en ce compris au cours de la phase technique de
l’expertise, ainsi que l’a décidé la CourEDH, dans une décision
Mantovanelli c/ France19. Une expertise contradictoire avait été
ordonnée par un tribunal administratif français afin que soient
déterminées les causes du décès d’une patiente. L’expertise ayant
été réalisée sans que ne soit respectée l’obligation qu’avait
l'expert d'avertir les parties des jours et heures auxquels il était
procédé à l'expertise par lettre recommandée au moins quatre
jours
à
l'avance20.
Les
parents
de
la
patiente
décédée
demandèrent donc aux juridictions administratives de prononcer le
retrait de cette expertise du dossier et d'en ordonner une
nouvelle.
La
requête
fut
rejetée,
le
Tribunal
estimant,
conformément à la jurisprudence du Conseil d’Etat , que les
21
parties avaient eu la possibilité de discuter le rapport de l’expert
devant le tribunal ayant ordonné la mesure. La France est
condamnée par la CourEDH à une faible majorité22. La Cour
17
18
CourEDH, 27 mars 1998, J.J. c/ Pays-Bas, Req. n°21351/93, §43.
« Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la
contradiction » (al. 1) et « il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les
documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre
contradictoirement » (al. 2).
19
CourEDH, 18 mars 1997, Mantovanelli c/ France, Req. n°21497/93, RTD civ. 1997, p. 1007, obs.
Marguénaud. Depuis, pour la soumission au principe du contradictoire de l’avis d’un médecin qualifié,
V. CourEDH, 11 janvier 2007, Augusto c/ France, Req. n°71665/01.
20
Conformément à l'article R. 123 (devenu aujourd'hui l'art. R. 164) du Code des tribunaux
administratifs et des cours administratives d'appel.
21
CE, 1er juillet 1991, Autunes c/ Commune de Decazeville.
7
commence certes par préciser que le respect du contradictoire
vise l'instance devant un « tribunal » et qu’il n'existe pas de
principe selon lequel, lorsqu'un expert a été désigné, les parties
doivent avoir dans tous les cas la faculté d'assister aux entretiens
qu'il conduit ou de recevoir communication des pièces qu'il a prises
en compte. Néanmoins, parce que les conclusions de l'expert ont
une influence sur l'appréciation des faits par le tribunal, la Cour
estime que la possibilité de les contester devant la juridiction
n'est plus suffisante et que les parties doivent pouvoir former
des observations avant le dépôt du rapport lorsque la question
posée à l'expert ressortit à un domaine technique qui échappe à
la connaissance des juges.
Aujourd’hui, la Cour de cassation suit la ligne fixée par la Cour de
Starsbourg23.
En
définitive,
le
principe
de
l’égalité
des
armes
apparaît
fondamentalement comme un principe de discussion.
2.
Les droits fondamentaux substantiels
22
La Cour de cassation exige que le rapport de l’expert ait été soumis à une décision contradictoire
avant qu’il ne soit déposé : Civ 1ère, 12 mars 1980, B. 86.
23
V. notamment Civ. 3e 26 janvier 2010, pourvoi n° 08-19091 : « Vu l'article 16 du code de
procédure civile ; Attendu que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui
même le principe de la contradiction ; Attendu que pour condamner la Sopréma à payer diverses
sommes aux consorts X...- Y... sur le fondement d'un rapport d'expertise, l'arrêt retient que la
circonstance qu'une partie n'ait pas été attraite au cours des opérations d'expertise et n'ait pas eu la
possibilité de participer aux constats de l'expert est bien une cause d'inopposabilité de la mesure
d'instruction, que cependant tel n'est pas le cas de l'espèce, la cour relevant la présence de la société
Sopréma au cours des opérations d'expertise, ainsi qu'en témoignent les mentions portées au rapport
; Qu'en statuant ainsi, alors que la Sopréma n'avait été ni appelée ni représentée aux opérations
d'expertise en tant que partie, la cour d'appel a violé le texte susvisé ». Adde Civ. 3e 27 mai 2010,
B. 104 : « Mais attendu qu'ayant relevé que les opérations d'expertise s'étaient déroulées au
contradictoire du maître d'œuvre à l'exclusion de toute autre partie et que les entreprises
intervenantes et la SMABTP n'avaient été mises en cause par l'architecte que plus de deux années
après le dépôt du rapport, et retenu que la communication de ce rapport en cours d'instance ne
suffisait pas à assurer le respect du contradictoire, la cour d'appel devant laquelle l'inopposabilité de
l'expertise était soulevée et aucun autre élément de preuve n'était invoqué, a exactement retenu
qu'aucune condamnation ne pouvait intervenir à l'encontre des appelés en garantie sur la base de ce
seul rapport d'expertise ».
8
12.
Limiter l’admission des preuves. A la différence des droits
fondamentaux processuels, les droits fondamentaux substantiels
ont normalement pour effet de limiter l’admission des preuves.
Ainsi le droit au respect de la vie privée, le droit au respect de
l’intégrité corporelle devraient conduire la loi ou le juge à refuser
l’admission de telle ou telle preuve. Pour autant, une telle
analyse mérite d’être affinée.
Techniquement, on peut distinguer deux situations.
13.
La première situation recouvre les hypothèses où la preuve
proposée par le requérant, tout en portant atteinte à un droit
fondamental substantiel de l’adversaire, lui permet de faire valoir
un autre droit fondamental substantiel. Dans une telle situation,
les juridictions procèdent à une traditionnelle mise en balance des
intérêts en présence.
On en trouve une bonne illustration avec l’exercice d’une action
en établissement de la filiation lorsqu’une expertise biologique est
sollicitée, car elle ouvre un conflit entre, d’une part, le droit au
respect de la vie privée et familiale du requérant et, d’autre
part, le droit au respect de la vie privée du défendeur, son droit
à l’intégrité corporelle voire le respect dû aux morts lorsque
l’expertise est sollicitée sur un défunt. Aujourd’hui, la Cour
européenne des droits de l’homme oblige les Etats à accueillir les
actions visant à établir une filiation au moyen d’une expertise
ADN24, au moins envers les parents25 ; elle condamne les Etats
24
Dans l’affaire Jäggi c/ Suisse, la CourEDH s’est intéressée au cas d’un individu ayant cherché à
obtenir une analyse ADN de la dépouille d’un défunt dont il prétendait être l’enfant. Le Tribunal
fédéral suisse avait rejeté son recours au motif notamment qu’à l’âge de 60 ans, le requérant avait
pu construire sa personnalité même en l’absence de certitude quant à l’identité de son père
biologique. La Cour mit en balance le droit du requérant à connaître son ascendance et le droit des
tiers à l’intangibilité du corps du défunt, le droit au respect des morts ainsi que l’intérêt public à la
protection de la sécurité juridique. Elle conclut à une violation de l’article 8, soulignant le caractère
peu intrusif de la mesure sollicitée pat le requérant (CourEDH, 13 juillet 2006, Jäggi c/
Suisse, Req. no58757/00, Defrénois 2008, p. 573, obs. Massip; RTD civ. 2006, p. 727, obs.
Marguénaud, bid. 2007, p. 99, obs. Hauser). La CourEDH estima, entre autres éléments (sans le
renouvellement par le requérant de la concession de la tombe de A.H., la paix du mort et
l’intangibilité de sa dépouille auraient déjà été atteints en 1997. En tout état de cause, son
corps sera exhumé en 2016, à l’expiration de la concession actuelle. Le droit de reposer en paix ne
bénéficie donc que d’une protection temporaire. Par ailleurs, la Cour rappelle que le défunt dont
9
qui ne reconnaissent pas la possibilité d’enjoindre à un individu de
pratiquer à un test ADN26 ou ne tirent pas de conséquences du
l’ADN doit être prélevé ne peut être atteint dans sa vie privée par une telle demande puisqu’elle
intervient après sa mort. Enfin, la Cour constate que la protection de la sécurité juridique ne saurait
à elle seule suffire comme argument pour priver le requérant du droit de connaître son ascendance),
que l’intérêt que peut avoir un individu à connaître son ascendance ne cesse nullement avec l’âge, et
que pour s’opposer au prélèvement ADN, qui est une mesure relativement peu intrusive, la famille du
défunt n’avait invoqué aucun motif d’ordre religieux ou philosophique, de sorte qu’il y avait violation
de l’article 8.
25
Dans l’affaire Menéndez Garcia c/ Espagne, la CourEDH a eu à connaître de l’action intentée par
une requérante en vue de voir établir que son père, décédé, soit reconnu comme le fils naturel de
V.T.A., également décédé, et en vue d'être reconnue en tant que petite-fille de V.T.A. La Cour
estime que la déclaration d'absence de capacité pour agir de la requérante opposé par les juridictions
espagnoles et, de ce fait, le rejet de sa demande de « grand-paternité » ont eu une incidence sur sa
vie privée (l’article 8 étant ainsi applicable). Néanmoins, la Cour relève que l'intérêt dans la
connaissance de l'identité varie en fonction du degré de proximité des ascendants : s'il convient de lui
accorder la plus haute importance s'agissant des ascendants directs, à savoir les parents, son poids en
relation avec d'autres intérêts diminue en fonction de l'éloignement dans le degré de parenté ; il
appartient à chaque Etat de ménager son ordre juridique interne en utilisant la marge d'appréciation
dont il dispose pour pondérer les intérêts en conflit dans chaque cas d'espèce. Ainsi, en l'espèce, ni le
refus d'accorder capacité pour agir à la requérante aux fins de solliciter la déclaration de filiation de
son père vis-à-vis de V.T.A., ni l'absence d'une action directe permettant de reconnaître cette
relation ne peuvent être considérés comme disproportionnés ou arbitraires à la lumière des intérêts
en jeu et de l'impact réduit de cette relation pour la vie privée de la requérante (CourEDH, 5 mai
2009, Menéndez Garcia c/ Espagne, Req. n° 21046/07).
26
Dans l’affaire Mikulic c/ Croatie, la CourEDH a eu à connaître du cas d’une requérante s’étant
heurtée, dans le cadre d'une action en recherche de paternité engagée conjointement avec sa mère, à
l'impossibilité en droit croate de contraindre le père pressenti à se conformer à une ordonnance de
justice lui intimant de se soumettre à des tests ADN. La Cour mit en balance l'« intérêt vital »,
protégé par la Convention, des individus « à obtenir les informations nécessaires à la découverte de la
vérité concernant un aspect important de leur identité personnelle » et l'intérêt des tiers à refuser
d'être contraints de se soumettre à des examens médicaux de quelque nature que ce soit, pour
conclure encore à une violation de l’article 8 pour avoir laissé la requérante dans un état
d'incertitude prolongée quant à son identité personnelle (CourEDH, 7 février 2002, Mikulic c/
Croatie, Req. no53176/99, JCP 2002, I, 157, no 13, obs. Sudre, Europe 2002, no 207, obs.
Deffains). La CourEDH estima que lorsque le droit interne ne permet pas d'établir la paternité par
des tests ADN, l'État partie a l'obligation de mettre en place "des moyens alternatifs permettant à
une autorité indépendante de trancher la question de la paternité à bref délai" (§64). En l'espèce, la
procédure applicable n'a pas ménagé un "juste équilibre" entre les intérêts en présence : la Cour
sanctionne "l'inefficacité des tribunaux (qui) a laissé la requérante dans un état d'incertitude
prolongée quant à son identité personnelle" et conclut à la violation de l'article 8 (§66).
Récemment, dans une affaire Pascaud c/ France, la CourEDH a eu à connaître d’une affaire dans
laquelle un enfant avait cherche à obtenir l'annulation de la reconnaissance de l'ex-mari de sa mère et
l'établissement judiciaire de sa filiation à l'égard d’un tiers. L’expertise génétique ordonnée ayant
établit la paternité de ce dernier à 99,9 %, la reconnaissance de l’ex-mari fut annulée, le tribunal ne
fit pas droit à l'action en recherche de paternité, au motif que le délai d'action de deux ans alors en
vigueur était écoulé. Cette décision fut confirmée en appel. Après avoir tenu compte de l'évolution
des facultés mentales de M. A et s'être livrée à une analyse graphologique de sa signature, la cour
estima, par ailleurs, qu'il n'avait pas réellement consenti à l'expertise. Le pourvoi formé par l’enfant
fut déclaré non admis par la Cour de cassation. Devant la CEDH, le requérant invoquait la violation
10
refus de se plier à une telle injonction27. En France, depuis un
arrêt célèbre du 28 mars 2000, la Cour de cassation rappelle
constamment que « l'expertise biologique est de droit en matière
de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y
procéder »28.
En
effectivement
pratique,
des
la
motifs
Cour
légitimes
de
cassation
conduisant
à
retient
écarter
l’expertise biologique : l’inutilité de l’expertise29, le refus des
héritiers
du
défunt30
ou
encore
le
fait
que
l’action
soit
déstabilisatrice en raison de l’âge du défendeur (62 ans) et
qu’elle soit justifiée par un intérêt exclusivement financier31.
S’agissant en particulier des expertises post-mortem, l’article 1611 al. 2 du Code civil prévoit que « sauf accord exprès de la
personne manifesté de son vivant, aucune identification par
empreintes génétiques ne peut être réalisée après sa mort ».
Cette disposition a été déclarée conforme au droit au respect de
la vie privée (art. 2 DDHC) et au droit de mener une vie
familiale normale (al. 10 du Préambule de la Constitution de
1946) par le Conseil Constitutionnel qui s’est prononcé dans le
de son droit au respect de la vie privée et familiale. Il obtient gain de cause, la Cour estimant que
dans le juste équilibre à maintenir entre le droit de celui dont la paternité est recherchée à refuser
une expertise et le droit du requérant à faire établir sa filiation, le droit du premier a été sacrifié
au droit du second (CourEDH, Pascaud c/ France, Req. n°19535/08, AJ fam. 2011, p. 429, obs.
Chénedé, RTD civ. 2011, p. 526, obs. Hauser, RJPF 2011-10/41, note Garé).
27
Dans une affaire AMM c/ Roumanie, la CourEDH rappelle que les tribunaux doivent respecter un
juste équilibre entre le droit du requérant mineur de voir ses intérêts protégés dans la procédure afin
de dissiper son incertitude quant à son identité personnelle et le droit de son père présumé de ne
pas participer à la procédure, ni de subir des tests de paternité. En l’espèce, elle retient une
violation de l’article 8 due en partie au fait que les tribunaux roumains n'ont tiré aucune
conséquence du refus du défendeur de se soumettre aux tests ADN (CourEDH, AMM c/ Roumanie,14
février 2012, Req. no2151/10, AJ fam. 2012, p. 228, obs. Viganotti).
28
Civ. 1ère 28 mars 2000, B. 103, D. 2000. 731, note Garé ; D. 2001, p. 976, obs. Granet, RTD
civ. 2000, p. 304, obs. Hauser.
29
Civ. 1ère 12 juin 2001, B. 169, RTD civ. 2001. 574, n° 13, obs. J. Hauser : expertise préalable
qui avait donné des résultats suffisamment probants.
30
Civ. 1ère 25 octobre 2005, B. 385, AJ fam. 2006, p. 78, obs. F. C., RTD civ. 2006, p. 98,
obs. Hauser ; Civ. 1ère 25 avril 2007, B. 163, AJ fam. 2007, p. 273, obs. Chénedé, RTD civ.
2007, p. 555, obs. Hauser.
31
Civ. 1ère 30 septembre 2009, B. 197.
11
cadre d’une QPC le 30 septembre 201132. Il n’est cependant pas
certain qu’elle soit conforme à la jurisprudence à la CourEDH : il
y a dans cette règle une rigidité peu en phase avec la souplesse
qui gouverne la technique des droits fondamentaux.
14.
La seconde situation recouvre les hypothèses où la preuve
proposée par le requérant porte atteinte à un droit fondamental
substantiel de l’adversaire sans pour autant lui permettre de
faire valoir un droit fondamental substantiel. Ici, il n’y a donc
plus de balance des intérêts à opérer, mais il convient de vérifier
que l’atteinte au droit fondamental respecte les conditions de
prévision, proportionnalité et nécessité traditionnellement requis,
notamment par les fameuses clauses d’ordre public prévues par la
CEDH.
Certains modes de preuves ont été validés par la Cour de
cassation : les constats d’adultère, même établis au domicile de
l’époux33 ou encore les radars routiers qui sont utilisés « aux
seules fins de relever l'immatriculation des véhicules en infraction
et
de
permettre,
le
contrevenants » .
cas
échéant,
l'identification des
34
En contrepoint,
sont évidemment contraires à la CEDH les
traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 3 CEDH
en vue d’obtenir des preuves, tels l’emploi d’émétique aux fins de
faire régurgiter de force des stupéfiants35. Par ailleurs, on le sait,
c’est à travers le prisme de l’article 8 CEDH qu’ont été
appréciées
et
téléphoniques
36
depuis,
et
encadrées,
plus
les
généralement
pratiques
tout
écoutes
dispositif
de
« sonorisation »37 ou de « géolocalisation »38.
32
Cons. Const. 30 septembre 2011, déc. n°2011-173 QPC.
33
Civ. 1ère 6 février 1979, B. 47 ; Civ. 2e 5 juin 1985, B. 111.
34
Crim. 7 mai 1996, B. 189 ; Crim. 8 avril 1998, pourvoi n°97-83937, inédit.
35
CourEDH, 11 juillet 2006, Jalloh c/Allemagne, Req. n°54810/00, JCP 2007, I, 106, chr. Sudre.
12
D’autres modes de preuve, tels la filature par un détective privé
donnent lieu à une jurisprudence subtile. Si de telles filatures
constituent une ingérence dans la vie privée des individus, la Cour
de cassation a estimé, dans le cadre d’une procédure de divorce
destinées à établir une violation des obligations du mariage par un
des époux, qu’un tel procédé probatoire était admissible en
36
CourEDH 6 septembre 1978, Klass c/ Allemagne, Req. n°5029/71, §41. La CourEDH a affirmé sur
le fondement de l’article 8 que le secret de la correspondance est sans doute l'un des éléments
essentiels qui distingue la société démocratique d'un régime totalitaire et qu’elle vaut à la fois pour
l'écrit et pour l'oral, notamment en ce qui concerne la mise en œuvre des écoutes téléphoniques.
Précisément, la Cour exige que la pratique des écoutes téléphoniques soit encadrée par une législation
o
précise et claire (CourEDH 24 avril 1990, Kruslin c/ France, Req. n 11801/85, § 33, D. 1990, p.
353, note Pradel, ibid, p. 187, chron. Koering-Joulin; RSC 1990, p. 615, obs. Pettiti, RTD civ.
1991, p. 292, obs. Hauser.
Et, depuis, en droit français, V. Loi n° 91-646 du 10 juillet 1991 relative au secret des
correspondances émises par la voie des communications électroniques et les articles 100 et suivants du
Code de procédure pénale). La CourEDH considère depuis que le dispositif législatif mis en place pose
des règles claires et détaillées, précisant avec suffisamment de clarté l’étendue et les modalités
d’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités dans le domaine considéré (CourEDH, 24 août
1998, Lambert c. France, Req. n°88/1197/872/1084). En revanche, elle a condamné la France pour
une violation de l’article 8 de la Convention dans un cas où le requérant se plaignait du versement à
son dossier pénal de la transcription d’écoutes téléphoniques réalisées dans une autre procédure pénale
à laquelle il était étranger et dont il n’avait pu contester la régularité – la chambre criminelle avait
approuvé l’irrecevabilité de sa demande en annulation de ces écoutes (CourEDH, 20 mars 2005,
Matheron c/ France, Req. n° 57752/00 ; adde Crim. 19 décembre 2007, B. 317 et Crim. 16 février
2011, B. 29).
37
o
Tel l’utilisation de micros : CourEDH 31 mai 2005, Vetter c/ France, Req. n 59842/00, § 20,
D. 2005, p. 2575, note Hennion-Jacquet, RSC 2006, p. 662, obs. Massias.
38
La CourEDH, dans sa décision Uzun c/ Allemagne, a estimé qu’il y avait ingérence dans la vie
privée des individus même si « il y a lieu de distinguer, de par sa nature même, la surveillance par
GPS d’autres méthodes de surveillance par des moyens visuels ou acoustiques qui, en règle générale,
sont davantage susceptibles de porter atteinte au droit d’une personne au respect de sa vie privée
car elles révèlent plus d’informations sur la conduite, les opinions ou les sentiments de la personne
qui en fait l’objet ». Pour autant, après avoir vérifié que cette ingérence était bien « prévue par la
loi », elle a relevé que la surveillance était réalisée dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la
sûreté publique, de la prévention des infractions pénales (terrorisme) et de la protection des droits
des victimes, qu’elle avait seulement été ordonnée après l’échec d’autres mesures moins intrusives, et
mise en œuvre pour une courte durée, ne « touchant » le requérant que lorsqu’il se déplaçait dans la
voiture de son complice. Elle en a par conséquent déduit que la surveillance était proportionnée aux
buts légitimes poursuivis et donc « nécessaire dans une société démocratique » au sens de l’article
8 § 2 (CourEDH, 2 septembre 2010, Uzun c/ Allemagne, Req. n°35623/05, D. 2011, p. 724, note
Matsopoulou).
En droit français, la Cour de cassation n’a pas retenu de violation estimant qu’un tel procédé avait
une base légale (art. 81 CPP) et que la surveillance avait été effectuée sous le contrôle d'un juge
constituant une garantie suffisante contre l'arbitraire, qu'elle était en l’espèce proportionnée au but
poursuivi, s'agissant d'un important trafic de stupéfiants en bande organisée portant gravement
atteinte à l'ordre public et à la santé publique et nécessaire (Crim. 22 novembre 2011, B. 234).
13
l’absence de violence ou de fraude39. Néanmoins, dans un arrêt du
3 juin 200440 la deuxième chambre civile, sur le fondement de
l’article 9 du Code civil et du principe suivant lequel « est illicite
toute immixtion arbitraire dans la vie privée d'autrui », a écarté
le rapport établi par un détective venant étayer une demande de
suppression de prestation compensatoire en insistant sur la durée
de
l’investigation
privée.
Voici
donc
une
illustration
de
la
souplesse inhérente aux droits fondamentaux : « le mode de
preuve lui-même, à savoir le recours à un détective, n’a pas été
sanctionné en tant que tel. Dans un contrôle de proportionnalité
proche de celui auquel procède la Cour européenne des droits de
l’homme, la deuxième chambre a mis en cause la durée et la
lourdeur des investigations »41.
La question s’est posée de la conformité au droit au respect de
la vie privée de la prise de photographies anthropométriques et
du
relevé
d'empreintes
digitales
à
l'occasion
d'une
enquête
judiciaire. De règle générale, la Cour de cassation avait considéré
qu’ils « ne constituent pas des atteintes au droit au respect de
la vie privée, dès lors que ces photographies et relevés sont
conservés par les services de police judiciaire et ne servent qu'à
leurs enquêtes dans les conditions prévues par la loi »42. Dans le
détail,
le
Conseil
Constitutionnel
et
la
CourEDH
ont
eu
39
Civ. 1ère 18 mai 2005, B. 213 : le rapport du détective ne constituait pas en l’espèce la seule
preuve produite par l’époux victime qui faisait également état de courriels.
40
Civ. 2e 3 juin 2004, B. 273 : la personne « avait été épiée, surveillée et suivie pendant plusieurs
mois, ce dont il résulte que cette immixtion dans sa vie privée était disproportionnée par rapport au
but poursuivi, le tribunal a violé [l’article 9 du code civil] ».
41
Rapport annuel de la Cour de cassation, La preuve, 2012, p. 353. V. également Civ. 1ère 28
février 2006, pourvoi n°05-14288 : « ayant retenu que les faits d’adultère de M. X… étaient
démontrés tant par les rapports de détective privé que par l’attestation de Mme Z…, l’existence
d’un compte commun ouvert au nom de M. X… et de Mme A… et la domiciliation de cette dernière
chez celui-ci, la cour qui n’était pas tenue de s’expliquer sur les éléments de preuve qu’elle décidait
d’écarter, ni de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a, en prononçant le divorce
aux torts partagés, nécessairement estimé que ces faits d’adultère n’étaient pas excusés par
l’adultère de Mme Y… ».
42
Civ. 2e 18 décembre 2003, B. 404, D. 2004, p. 1635, obs. Lepage.
14
respectivement à s’intéresser au fichier des empreintes génétiques
(le FNAEG)43 et au fichier des empreintes digitales44.
S’agissant du fichier des empreintes génétiques, l’idée
générale est qu’il centralise non seulement les empreintes de
personnes condamnées pour certaines infractions, mais aussi celles
de personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou
concordants rendant vraisemblable qu'elles aient commis l'une de
ces infractions. Par ailleurs, il est prévu la possibilité de faire
procéder à un simple
rapprochement de l'empreinte de toute
personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons
plausibles de soupçonner qu'elle a commis un crime ou un délit,
avec les données incluses au fichier, sans toutefois que cette
empreinte puisse y être conservée. Dans une décision QPC rendue
le 26 septembre 201045, le Conseil constitutionnel a globalement
validé le dispositif, sous quelques réserves d’interprétation46.
S’agissant
du
fichier
des
empreintes
digitales,
l’idée
générale est encore qu’il centralise pour une durée maximale de
43
Art. 706-54 s. et R. 53-9 s. CPPP.
44
Décret n°87-249 du 8 avril 1987 relatif au fichier automatisé des empreintes digitales géré par le
ministère de l'intérieur. Ces deux fichiers ont donné lieu à deux décisions importantes.
45
Cons. const., déc. n° 2010-25 QPC du 16 septembre 2010.
46
Il a formulé deux réserves d’interprétation :
- En
premier lieu, s’agissant de la durée de la conservation des empreintes (« Considérant (…) que
l'enregistrement au fichier des empreintes génétiques de personnes condamnées pour des infractions
particulières ainsi que des personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants
rendant vraisemblable qu'elles aient commis l'une de ces infractions est nécessaire à l'identification et
à la recherche des auteurs de ces crimes ou délits ; que le dernier alinéa de l'article 706-54 renvoie
au décret le soin de préciser notamment la durée de conservation des informations enregistrées ; que,
dès lors, il appartient au pouvoir réglementaire de proportionner la durée de conservation de ces
données personnelles, compte tenu de l'objet du fichier, à la nature ou à la gravité des infractions
concernées tout en adaptant ces modalités aux spécificités de la délinquance des mineurs ; que, sous
cette réserve, le renvoi au décret n'est pas contraire à l'article 9 de la Déclaration de 1789 », §18).
La durée est aujourd’hui fixée à vingt-cinq ou quarante ans (art. R. 53-14 CPP).
- En
second lieu, s’agissant des infractions justifiant un rapprochement d’empreintes
(« Considérant
qu'aux termes du troisième alinéa de l'article 706-54, les officiers de police judiciaire peuvent
également, d'office ou à la demande du procureur de la République ou du juge d'instruction, faire
procéder à un rapprochement de l'empreinte de toute personne à l'encontre de laquelle il existe une
ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis un crime ou un délit, avec les données
incluses au fichier, sans toutefois que cette empreinte puisse y être conservée ; que l'expression «
crime ou délit » ici employée par le législateur doit être interprétée comme renvoyant aux infractions
énumérées par l'article 706-55 ; que, sous cette réserve, le troisième alinéa de l'article 706-54 du
code de procédure pénale n'est pas contraire à l'article 9 de la Déclaration de 1789 »).
15
vingt-cinq ans (art. 5 D. 1987) non seulement les empreintes de
personnes condamnées ou à l'encontre desquelles il existe des
indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient
commis un crime ou un délit – à la différence du FNAEG, tous
les crimes et délits sont concernés. Dans un arrêt du 18 avril
2013 et dans le prolongement de sa jurisprudence Marper47, la
CourEDH a condamné le dispositif français48. En substance, elle a
considéré que la France avait méconnu le droit au respect de la
vie privée du requérant dont elle avait conservé les empreintes
digitales malgré le classement sans suite de l’affaire. La Cour
stigmatise en particulier le fait, d’une part, que le dispositif
français ne distingue pas suivant que la personne a été condamnée
ou non49 et, d’autre part, que les chances pour l’intéressé de
demander l’effacement des données avant le terme de la période
d’archivage de vingt-cinq ans sont très faibles. La portée de
cette décision est importante et pourrait avoir des conséquences
sur l’autre fichier, le FNAEG. Affaire à suivre…
B.
15.
Difficultés concernant certains modes de preuves particuliers
Plan. Dans une démarche empirique, on peut s’interroger sur la
conformité au droit au procès équitable de certaines règles ou
pratiques en droit de la preuve qui concernent les présomptions
(1) ou les témoignages (2).
Hors-série, et à titre liminaire, on observera que la preuve obtenue à la suite
d’une infiltration policière n’appelle pas d’observations particulières. Celle-ci est
parfaitement admissible, encore qu’elle ne doive pas dégénérer en provocation
47
CourEDH, 4 décembre 2008, S. et Marper c. Royaume-Uni, Req. n°30562/04 et 30566/04.
48
CourEDH, 18 avril 2013, M. K. c/ France, Req. n°19522/09.
49
V.
déjà,
CourEDH,
4
décembre
2008,
S. et
Marper
c.
Royaume-Uni,
préc.
§122 :
« Particulièrement préoccupant en l'occurrence est le risque de stigmatisation, qui découle du fait que
les personnes dans la situation des requérants, qui n'ont été reconnus coupables d'aucune infraction et
sont en droit de bénéficier de la présomption d'innocence, sont traitées de la même manière que des
condamnés ».
16
policière50, laquelle n’a d’ailleurs plus rien d’un mécanisme probatoire : il ne
s’agit plus de prouver un fait mais d’entraîner sa réalisation.
1.
16.
Les présomptions
Données du problème. En principe, l’article 9 du Code de
procédure civile et l’article 1315 du Code civil énoncent en
substance que l’auteur d’une prétention envers autrui doit
rapporter la preuve des éléments qu’elle requiert. C’est là une
règle de bon sens, de droit naturel pourrait-on dire, car il est
dans la nature des choses que « l’on est jamais censé rien
devoir »51. Les présomptions qui, tantôt opèrent renversement
de la charge de la preuve, tantôt en allègent la charge, modifient
cet état naturel des choses et pourraient apparaître suspectes au
vu des exigences du procès équitable, spécialement de l’égalité des
armes.
17.
Plan. Il faut distinguer les présomptions classiques (a) de la
présomption d’innocence dont on verra qu’elle est une fausse
présomption (b).
50
CourEDH, 9 juin 1998, Teixeira de Castro c/ Portugal, Req. n°25829/94, RSC 1999, p. 401,
obs. Koering-Joulin : il n’était pas établi que l'intervention des deux policiers se situait dans le cadre
d'une opération de répression du trafic de drogue ordonnée et contrôlée par un magistrat ; des
circonstances de l'espèce, il faut déduire que les deux policiers ne se sont pas limités à examiner de
manière purement passive l'activité délictueuse de l'intéressé mais ont exercé une influence décisive de
nature à l'inciter à commettre l'infraction. L'activité des deux policiers a donc outrepassé celle d'un
agent infiltré, en sorte que leur intervention et son utilisation dans la procédure pénale litigieuse ont
privé ab initio et définitivement le requérant d'un procès équitable. Adde CourEDH 22 juillet 2003,
Edwards et Lewis c/ Royaume-Uni, Req. n°39647/98 ; CourEDH, Ramanauskas c/ Lituanie, 5 février
2008, Req. n°74420/01.
Et, en droit français, Crim. 7 février 2007, B. 37, D. 2007, p. 2012, note Demarchi : « porte
atteinte au principe de loyauté des preuves et au droit à un procès équitable, la provocation à la
commission d'une infraction par un agent public, fût-elle réalisée à l'étranger par un agent public
étranger, ou par son intermédiaire ; que la déloyauté d'un tel procédé rend irrecevables en justice les
éléments de preuve ainsi obtenus » (V. déjà Crim. 9 août 2006, B. 202). V., en matière de
cybercriminalité,
Crim.
pédopornographiques.
51
11
mai
2006,
B.
132 :
provocation
à
la
transmission
d’images
Ph. Théry, « Les finalités de la preuve en droit privé », Droits, 1996, p. 41 s., spéc. p. 42.
17
a.
18.
Les présomptions classiques
Présomptions non suspectes. Lorsque le législateur recourt à des
présomptions,
c’est
le
plus
souvent
pour
des
raisons
de
probabilité : ainsi est-il probable que le terme soit stipulé en
faveur du débiteur (art. 1187 C. civ.) et qu’une personne soit de
bonne foi (l’on trouve la présomption, certainement la plus
optimiste
du
droit,
à
l’article
2274
du
Code
civil).
Ces
présomptions n’ont a priori rien de suspect au regard du droit au
procès équitable et en particulier au regard du principe de
l’égalité des armes.
19.
Présomption
suspectes.
Sont
en
revanche
suspectes,
non
seulement les présomptions irréfragables, mais aussi celles qui
portent atteinte à un droit fondamental.
20.
Présomptions irréfragables. Une présomption irréfragable interdit
que puisse être établi un fait contraire au fait présumé. En
bâillonnant la bouche de celle des parties à laquelle la présomption
est défavorable, de telles présomptions compromettent l’accès au
juge ou encore l’égalité des armes garantis par l’article 6 CEDH.
Ce faisant, contrairement à ce qu’exige la CourEDH, chaque
partie ne se voit plus reconnaître « une possibilité raisonnable de
présenter sa cause - y compris ses preuves - dans des conditions
qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par
rapport à son adversaire »52.
En droit français, le Conseil constitutionnel53 et la Cour de
cassation54 exigent qu’en matière pénale les présomptions ne
soient pas irréfragables.
52
53
CourEDH, 27 octobre 1993, Dombo Beheer B.V. c/ Pays-Bas, préc., §33.
Cons. Const., 16 juin 1999, déc. n°99-411 DC, loi portant diverses mesures relatives à la sécurité
routière : sur la présomption de culpabilité du titulaire de la carte grise d'un véhicule. V. déjà en matière
fiscale : Cons. Const., 29 décembre 1998, déc. n°98-405 DC, Loi de finances pour 1999, Considérant n°33.
18
Au-delà, c’est aussi le droit civil qui est intéressé. On peut à cet
égard mentionner l’affaire Papachelas c/ Grèce ayant donné lieu à
une décision de la CourEDH le 25 mars 1996. En l’espèce, des
propriétaires avaient été expropriés en raison de la construction
d’une route. La loi avait établi une présomption irréfragable selon
laquelle
les
propriétaires
riverains
tireraient
profit
de
la
construction d'une route nationale et ne pouvaient donc être
indemnisés que pour une partie des biens expropriés. La CourEDH
considère que les requérants « ont dû ainsi supporter une charge
spéciale et excessive que seule aurait pu rendre légitime la
possibilité de prouver le préjudice qu’ils prétendent avoir subi et
de toucher, le cas échéant, l’indemnité dont il s’agit »55.
21.
Présomptions portant atteinte à un droit fondamental. Il est des
présomptions qui sont susceptibles de porter atteinte à un droit
fondamental. En voici deux illustrations.
En premier lieu, le Conseil constitutionnel, dans une décision du
30 mars 2012, a examiné la constitutionnalité de l’article 26-4
du Code civil relatif à la contestation par le Ministère public de
la déclaration de nationalité souscrite par un étranger. Un
étranger marié avec un français depuis un certain temps peut,
par une déclaration, acquérir la nationalité française. Dans un
délai de deux ans, la déclaration peut être contestée par le
ministère public si les conditions légales ne sont pas satisfaites, le
délai ne courant, en cas de mensonge ou de fraude, qu’à compter
de leur découverte. Mais la disposition litigieuse institue par
ailleurs une présomption de fraude en cas de cessation de la
communauté de vie entre les époux dans les douze mois suivant
l'enregistrement de la déclaration, la communauté de vie étant
présumée avoir cessé au jour de la déclaration.
Le Conseil a relevé que cette présomption avait pour effet
d'imposer
au
déclarant
séparé
dans
les
douze
mois
de
la
54
Crim. 6 novembre 1991, B. 397.
55
Et poursuit : « Il n’y a pas lieu, à ce stade, de rechercher si les requérants ont réellement subi
un préjudice ; c’est dans leur situation juridique même que l’équilibre à préserver a été détruit ».
C’est une violation de l'article 1 du Protocole 1 CEDH qui est retenue.
19
déclaration d'être en mesure de prouver, sa vie durant, qu'à la
date de la déclaration aux fins d'acquisition de la nationalité, la
communauté de vie entre les époux était réelle. Il a considéré
que l'avantage ainsi conféré sans limite de temps au ministère
public, partie demanderesse, dans l'administration de la preuve,
porterait une atteinte excessive aux droits de la défense. Aussi,
tout en validant la disposition, le Conseil a exprimé une réserve
d’interprétation : la présomption ne saurait s'appliquer que dans
les instances engagées dans les deux années de la date de
l'enregistrement de la déclaration ; dans les instances engagées
postérieurement, il appartient au ministère public de rapporter la
preuve du mensonge ou de la fraude invoqué.
En second lieu, on peut prendre l’exemple de la présomption de
fraude
qui
sous-tend
la
règle
fiscale56
suivant
laquelle
les
contribuables soumis au régime réel d'imposition qui n'adhèrent
pas à un centre ou à une association de gestion agréé subissent
une majoration de 25 % des bénéfices professionnels imposables à
l'impôt sur le revenu. Certes, le Conseil Constitutionnel, dans une
décision du 23 juillet 2010, a déclaré la disposition conforme au
principe d'égalité devant les charges publiques, considérant que la
disposition assurait aux « adhérents une assistance technique en
matière de tenue de comptabilité » et favorisait « une meilleure
connaissance des revenus non salariaux, afin de mettre en œuvre
l'objectif constitutionnel de lutte contre l'évasion fiscale »57 de
sorte que la différence de traitement entre adhérents et nonadhérents à un organisme de gestion était justifiée. Il restait à
se demander si une telle disposition ne portait pas, au vu
notamment de la jurisprudence des droits de l’homme, une
atteinte illégitime à la présomption d’innocence et à la liberté
d’association. Mais la réponse semble être négative.
S’agissant de l’atteinte à la présomption d’innocence, le Conseil
d’Etat
a
refusé
de
transmettre
une
QPC
au
Conseil
Constitutionnel dans une décision du 17 septembre 201058, au
56
Art. 158, 7, 1° du CGI.
57
Cons. Const., 23 juillet 2010, déc. n°2010-16 QPC.
20
motif
que
incrimination,
les
dispositions
ni
une
fiscales
peine,
ni
une
« n'instituent
sanction ».
ni
une
Une
telle
motivation pourrait ne pas convaincre la CourEDH… Et s’agissant
de l’atteinte à la liberté d’association, telle reconnue par l’article
11 de la CEDH, la Cour administrative d’appel de Lyon a
considéré, par une décision du 30 novembre 2010, que l’atteinte
à la liberté d’association « ne saurait, eu égard à l'objet de ces
associations, aux contraintes qu'elles imposent à leurs membres,
aux
montants
des
frais
d'adhésion
et
cotisations
qu'elles
perçoivent, ainsi qu'à l'objectif de lutte contre la fraude fiscale et
d'amélioration
organismes,
de
être
la
connaissance
regardée
des
comme
revenus
visé
revêtant
un
par
ces
caractère
disproportionné par rapport aux buts d'intérêt général poursuivis
par le législateur »59.
b.
22.
Sources.
En
La présomption d’innocence
raison
de
son
universalisme,
la
présomption
d’innocence est reconnue par de nombreuses sources. En droit
interne, elle l’est notamment par l’article 9 de la DDHC qui
indique que « tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce
qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de
l'arrêter,
toute
rigueur
qui
ne
serait
pas
nécessaire
pour
s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la
loi »60. Depuis la loi du 15 juin 2000, l’article 9-1 du Code civil
58
CE, 17 septembre 2010, n°341293.
59
CAA Lyon, 30 novembre 2010, n°10LY00208.
60
Si la lettre de cette disposition limite le jeu de la présomption aux seules détentions de personnes
avant leur jugement, le Conseil constitutionnel a donné à la présomption d’innocence une portée
générale (Dans un premier temps, le Conseil constitutionnel s’est référé à la présomption d'innocence
sans se fonder expressément sur l'article 9 de la DDHC (Cons. Const. 20 janvier 1981, n°80-127 DC,
Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, Considérant n°33). Puis le Conseil a
rattaché la présomption d’innocence à l’article 9 (Cons. Const. 8 juillet 1989, n°89-258 DC, Loi
portant amnistie, Considérants n°s10 s. ; Cons. Const. 2 février 1995, n°95-360 DC, Loi relative à
l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, Considérant n°5), le
Conseil d’Etat y voit une liberté fondamentale (CE 14 mars 2005, n°278435 : « la présomption
d'innocence, qui concourt à la liberté de la défense et à la protection des droits de la personne,
constitue une liberté fondamentale ; qu'elle implique qu'en matière répressive la culpabilité d'une
21
prévoit que « Chacun a droit au respect de la présomption
d'innocence ».
La
présomption
d’innocence
est
également
consacrée par la Convention européenne des droits de l’homme, à
l’article 6§261 et par la Charte des droits fondamentaux de
l’Union, en son l’article 48§162.
23.
Domaine. Le domaine d’application de la présomption d’innocence,
tel que reconnu par la CEDH, est cantonné à la matière pénale,
encore qu’il en dépasse le champ entendu stricto sensu. Ainsi, la
CourEDH décide-t-elle que la « matière pénale » au sens de la
Convention couvre les sanctions fiscales63 et administratives64. Et
tant la jurisprudence du Conseil d’Etat65 que celle de la Cour de
cassation66 sont en ce sens. Par ailleurs, la présomption reconnue
par l’article 48§1 de la Charte des droits fondamentaux joue dans
les domaines de compétence de l’Union, lesquels ne couvrent pas
le droit pénal mais intéressent le contentieux de la concurrence67.
personne faisant l'objet de poursuites ne puisse être présentée publiquement comme acquise avant
que ne soit intervenue une condamnation devenue irrévocable ; que le respect de cette exigence
s'impose, non seulement devant les instances chargées de l'instruction puis du jugement de l'affaire,
mais également vis-à-vis d'autres autorités publiques »).
61
« Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait
été légalement établie ».
62
« Tout accusé est présumé innocent jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établi ».
63
CourEDH 22 septembre 1994, Hentrich c/ France, Req n°13616/88.
64
CourEDH 25 août 1987, Lutz c/ Allemagne, Req n°9912/82.
65
CE avis 4 décembre 2009, n°329173, pub. Rec. Lebon.
66
Com. 1er décembre 1998, B. 283, JCP 1999, II, 1005, note Garraud : viole l'article 6,
paragraphes 1 et 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales la cour d'appel qui, pour rejeter le recours en annulation formé par une personne
poursuivie par la Commission des opérations de bourse (COB) pour avoir publié des informations ni
exactes, ni précises, ni sincères, retient qu'il n'y a pas eu atteinte à la présomption d'innocence alors
qu'elle avait constaté que le président de la COB, s'exprimant publiquement en cette qualité, avait
mis en cause l'information publiée par cette personne, dans des déclarations reproduites dans une
revue entre la décision de la COB ouvrant la procédure aux fins de sanctions et la notification des
griefs à l'intéressé, peu important que leur auteur, ayant cessé ses fonctions, n'ait pas participé à la
délibération décidant de la poursuite de la procédure au vu des observations en réponse aux griefs, ni
à la décision sur le fond, dès lors que le respect de la présomption d'innocence interdit que le
président de la COB en exercice ne déclare une personne coupable d'une infraction avant que sa
culpabilité ne soit établie.
22
24.
Mécanisme.
Universelle,
la
présomption
d’innocence
est-elle
seulement une présomption ? On peut en douter dans la mesure
où elle ne constitue pas une dérogation aux mécanismes de droit
commun de la preuve dans la mesure où la culpabilité d’un
individu doit être démontrée68. En réalité, ce qui est susceptible
d’être
le
cas
l’innocence.
échéant
Cette
présumé,
analyse
se
c’est
trouve
la
culpabilité,
confirmée
par
non
la
jurisprudence du Conseil constitutionnel qui prévoit que des
présomptions
de
culpabilité
peuvent
exceptionnellement
être
admises « notamment en matière contraventionnelle , dès lors
69
qu'elles ne revêtent pas de caractère irréfragable, qu'est assuré le
respect des droits de la défense, et que les faits induisent
raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité »70. Et d’après
la CourEDH, l’article 6§2 commande aux États d’enserrer de
telles présomptions « dans des limites raisonnables prenant en
compte la gravité de l’enjeu et préservant les droits de la
défense »71. La jurisprudence de la Cour de cassation est en ce
sens72.
67
Rationae personae, la présomption doit être respectée par les juridictions, mais aussi par toute
personne : les représentants de l’Etat (CourEDH 10 février 1995, Allenet de Ribemont c/ France,
Req n°15175/89, GACEDH, n°33 ; CourEDH 28 octobre 2004, Y. B. et al. c/ Turquie, Req n°
48173/99 48319/99) mais aussi, en raison notamment de l’effet horizontal de la CEDH, les
personnes privées comme les journalistes (CourEDH 29 août 1997, Worm c/ Autriche, Req.
n°22714/93, RTDH 1998, p. 609, obs. Berthe).
68
CourEDH 6 décembre 1988, Barberà, Messgué et Jabardo c/ Espagne, Req. n°10590/83 : la
charge de l’accusation pèse sur l’accusation et profite à l’accusé.
69
Mais pas seulement. V. notamment l'article L. 21-1 du code de la route : « Par dérogation aux
dispositions de l'article précédent, le titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule est
responsable pécuniairement des infractions à la réglementation sur le stationnement des véhicules pour
lesquelles seule une peine d'amende est encourue, à moins qu'il n'établisse l'existence d'un événement
de force majeure ou qu'il ne fournisse des renseignements permettant d'identifier l'auteur véritable de
l'infraction. Dans le cas où le véhicule était loué à un tiers, cette responsabilité pèse, avec les mêmes
réserves, sur le locataire. Lorsque le certificat d'immatriculation du véhicule est établi au nom d'une
personne morale, la responsabilité pécuniaire prévue à l'alinéa premier incombe, sous les mêmes
réserves, au représentant légal de cette personne morale ».
70
Cons. Const., 16 juin 1999, déc. n°99-411 DC du 16 juin 1999, loi portant diverses mesures
relatives à la sécurité routière : sur la présomption de culpabilité du titulaire de la carte grise d'un
véhicule. V. déjà en matière fiscale : Cons. Const., 29 décembre 1998, déc. n°98-405 DC, Loi de
finances pour 1999, Considérant n°33.
23
3.
25.
Deux
difficultés.
Les témoignages
La
preuve
testimoniale
est
elle
aussi
universellement reconnue. L’article 199 du Code de procédure
civile indique que lorsqu’elle est admissible, « le juge peut recevoir
des tiers les déclarations de nature à l'éclairer sur les faits
litigieux dont ils ont personnellement connaissance » et que « ces
déclarations sont faites par attestations ou recueillies par voie
d'enquête selon qu'elles sont écrites ou orale ». Au regard des
droits fondamentaux, la preuve testimoniale pose deux difficultés.
71
CourEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c/ France, Req. n°10519/83, §28, Rev. sc. crim. 1989, p.
17 : présomption en matière douanière ; CourEDH, 25 septembre 1992, Pham Hoang c/ France, Req.
n°13191/87, D. 1993, p. 386, obs. Renucci : présomption en matière douanière ; CourEDH, 30
mars 2004, Radio France c/ France, Req. no53984/00, D. 2004, p. 2756, obs. de Lamy, D.
1060, obs. Bîrsan; RSC 2005, p. 630, obs. Massias, RTD civ. 2004 p. 801, obs. Marguénaud :
présomption de responsabilité du directeur de publication pour les propos diffamatoires tenus à
l’antenne, à l’occasion duquel la Cour rappelle « que la Convention ne prohibe pas les présomptions de
fait ou de droit en matière pénale » dès lors qu’elles restent dans « limites raisonnables ». Adde
CourEDH, Klouvi c/ France, Req. n°30754/03 : une requérante avait déposé plainte contre son
ancien supérieur pour viol et harcèlement sexuel, et une information fut ouverte en 1995 du chef
d’agression sexuelle par personne abusant de l’autorité conférée par ses fonctions. Un non-lieu fut
prononcé par le juge
personne visée par la
d’instruction, en 1998, en raison de charges insuffisantes. Parallèlement, la
plainte engagea à l’encontre de l’intéressée une
action en dénonciation
calomnieuse et une condamnation fut retenue. Dans le cadre de l’action en dénonciation calomnieuse,
le tribunal fit une application stricte de l’article 226-10 du code pénal en estimant que de la
décision de non-lieu résultait « nécessairement » la fausseté des faits dénoncés. En outre, dans la
mesure où la
requérante s’était plainte de viols répétés et de harcèlement sexuel, elle ne pouvait
ignorer la fausseté de ces faits, d’où il résultait que l’élément intentionnel était caractérisé. La cour
d’appel confirma
ce jugement, considérant que l’application de la
limites raisonnables,
confrontée à une
code pénal et
présomption restait dans des
conformes au principe du procès équitable. La requérante se trouvait ainsi
double présomption – une présomption légale ayant pour base l’article précité du
une présomption de fait dégagée par la jurisprudence interne concernant l’élément
intentionnel – qui réduisait de manière significative ses droits garantis par l’article 6. Ainsi, la
requérante n’a pas pu bénéficier d’un procès équitable et de la présomption d’innocence car
elle ne
pouvait aucunement se disculper de l’accusation de dénonciation calomnieuse portée contre elle. En
juillet 2010, une loi modifiant le texte de l’article en cause du code pénal fut adoptée et il faut
désormais que la personne dénoncée ait été déclarée, par une décision ayant autorité de chose jugée,
non coupable du fait en question.
72
V. notamment Crim. 6 novembre 1991, B. 397 : « l'article 6. 2 de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui n'a pas pour objet de limiter les
modes de preuve prévus par la loi interne mais d'exiger que la culpabilité soit légalement établie, ne
met pas obstacle aux présomptions de droit ou de fait instituées en matière pénale dès lors que
lesdites présomptions, comme en l'espèce celle de l'article L. 21-1 précité, permettent d'apporter la
preuve contraire et laissent entiers les droits de la défense ».
24
26.
Droit
de
ne
pas
témoigner
contre
soi-même.
La
première
difficulté concerne le « droit de ne pas témoigner contre soi-
même », encore que l’expression soit impropre car seul un tiers
est témoin, non une partie. C’est pourquoi l’on peut préférer
évoquer un aspect du «
droit de se taire »73. Si la CourEDH
considère qu’une législation peut obliger un individu à témoigner
contre autrui74, elle ne peut le contraindre à témoigner contre
lui-même : « le droit de se taire et de ne point contribuer à sa
propre incrimination »75 est un droit protégé « au cœur de la
notion de procès équitable »76. La protection de ce droit, non
prévu par les textes, est rattachée aux droits de la défense (art.
6§3) et donc circonscrite à la « matière pénale »77.
73
F. Sudre, Droits européen et international des droits de l’homme, PUF, 10e éd., 2012, n°279.
L’article 63-1 du Code de procédure pénale prévoit d’ailleurs que la personne gardée à vue est
informée de son droit de se taire.
74
CourEDH 3 avril 2012, Van der Heijden c/ Pays-Bas, Req. n°42857/05. Et en droit français,
l’article 434-11 du Code pénal punit l’absence de témoignage pour un innocent (« le fait, pour
quiconque connaissant la preuve de l'innocence d'une personne détenue provisoirement ou jugée pour
crime ou délit, de s'abstenir volontairement d'en apporter aussitôt le témoignage aux autorités
judiciaires ou administratives est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45000 euros
d'amende »).
75
CourEDH, 25 février 1993, Funke c/ France, Requête no10588/83, §44, JCP 1994, I, 3742, F.
Sudre : Un individu avait été condamné pénalement par les juridictions françaises pour avoir refusé de
produire les documents demandés par les douanes ; la CourEDH constate une violation de l’article 6§1
CEDH.
76
CourEDH, 8 avril 2004, Weh c/ Autriche, Req. no38544/97, § 39.
77
On sait que la matière pénale est entendue largement (CourEDH, 3 mai 2001, J.B. c/ Suisse,
Req. 31827/96, JCP 2001, I, 342, obs. Sudre : matière fiscale), même si elle ne l’est pas à la
matière civile (CourEDH, 8 avril 2004, Weh c/ Autriche, Req. n°38544/97 et CourEDH 24 mars
2005, Rieg c/ Autriche, Req. n°5455/06). Par ailleurs, la Cour de Luxembourg a également
consacré le droit de se taire au profit des personnes auxquelles sont reprochées une infraction au
droit de la concurrence, en le rattachant au principe général des droits de la défense, aujourd’hui
consacré à l’article 48§2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (CJCE, 18
octobre 1989, Orkem, Rec. 3283, pt. 30. En revanche, « s'agissant d'une procédure qui concerne
exclusivement des rapports privés entre particuliers et qui ne peut aboutir directement ou
indirectement au prononcé d'une sanction par une autorité publique, le droit communautaire n'impose
pas que soit reconnue à une partie la faculté de ne pas fournir de réponses par lesquelles elle serait
amenée à admettre l'existence d'une violation des règles de la concurrence. En effet, cette garantie
est essentiellement destinée à protéger le particulier contre des mesures d'instruction ordonnées par
l'autorité publique pour l'amener à admettre l'existence de comportements l'exposant à des sanctions
25
Le droit de se taire appelle trois observations.
En premier lieu, la personne concernée ne doit parler que
librement et non sous la contrainte. Ainsi, l’obtention de
déclarations obtenues en violation de l’article 3 qui prohibe la
torture et les traitements inhumains ou dégradants constitue une
violation de l’article 6, à la condition, à première vue un peu
curieuse78, que l’élément de preuve ait « eu un impact sur le
verdict de culpabilité ou la peine »79. Au-delà de cette hypothèse
extrême, l’argumentation de l’accusation ne doit pas s’appuyer
sur « des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les
pressions, au mépris de la volonté de l’accusé »80. Un certain
contentieux a vu le jour lorsque l’Etat use de stratagèmes en vue
d’obtenir des révélations de la part d’un homme de confiance de
la personne incriminée81. On observera que si la menace terroriste
ne permet pas aux Etats de déroger aux droits absolus reconnus
dans la Convention, comme ceux reconnus à l’article 3, elle le
pénales ou administratives » (CJCE, 10 novembre 1993, Otto BV c/ Postbank NV, Rec. I-5683, pt.
16, D. 1994, p. 197, note Clergerie)).
78
Mais qui se comprend dans la mesure où il ne s’agit que de sanctionner une atteinte au procès
équitable.
79
80
V. notamment CourEDH, 1er juin 2010, Gäfgen c/ Allemagne, 22978/05, §§173 et 178.
CourEDH, 17 décembre 1996, Saunders c/ Royaume-Uni, Req. no19187/91. Peu importe que les
informations obtenues sous la contrainte l’aient été dans le cadre ou non d’une procédure pénale :
CEDH 21 déc. 2001, Heaney et McGuinness c/ Irlande, Req. no 34720/97 § 41 à 43. Sur les
critères de a contrainte, V. CourEDH, 29 juin 2007, O’Halloran et Francis c/ Royaume-Uni, Req.
nos15809/02 et 25624/02, §55, JCP 2008, I, 110, obs. Sudre : « afin de déterminer s’il y a eu
une atteinte à la substance même du droit des requérants de garder le silence et de ne pas
contribuer à leur propre incrimination, la Cour s’attachera à examiner la nature et le degré de la
coercition employée pour l’obtention des éléments de preuve, l’existence de garanties appropriées
dans la procédure et l’utilisation faite des éléments ainsi obtenus ».
81
Dans une affaire Allan c/ Royaume-Uni rendu le 5 février 2003 (Req. no 48539/99), la CourEDH
avait constaté une violation du droit de se taire du requérant, qui, alors qu’il se trouvait en
détention provisoire, avait exprimé le souhait de garder le silence lorsque les enquêteurs l'avaient
interrogé. En effet, la police s’était servi d’un codétenu du requérant pour tirer profit de la
vulnérabilité et de l'état de moindre résistance de celui-ci après ses longs interrogatoires de sorte que
la Cour avait estimé que les autorités avaient usé de contrainte et de pressions au mépris de la
volonté de l'accusé. Mais dans une affaire Bykov c/ Russie rendue le 10 mars 1999 (Req.
n°4378/02), la CourEDH n’a pas considéré qu’il y avait violation du droit de se taire d’un requérant
qui avait commandité un assassinat et s’était fait piégé par l’homme de main qui, ayant prévenu la
police, avait été muni d’un micro caché pour obtenir les preuves de l’intention criminelle du
commanditaire. La Cour relève en effet qu’aucune pression n'avait été exercée sur le requérant pour
recevoir et parler au commanditaire. Par ailleurs, la Cour s’est montrée sensible au fait qu’au procès,
le tribunal n'a pas considéré l'enregistrement comme un aveu constituant la base essentielle d'un
constat de culpabilité.
26
permet à l’égard des droits dits relatifs, conformément à la
procédure organisée par l’article 1582.
En deuxième lieu, si le silence conservé par la personne poursuivie
ne peut à lui seul établir sa culpabilité, il peut bien entendu
venir corroborer des éléments qui lui sont défavorables83.
En troisième lieu, le droit de ne pas témoigner contre soi-même
n’emporte pas semble-t-il celui de refuser de communiquer des
pièces84.
Certes
en
principe,
ce
sont
les
parties85
qui
spontanément versent les pièces dont elles font état si elles ne
82
« Article 15 – Dérogation en cas d’état d’urgence. 1 En cas de guerre ou en cas d’autre danger
public menaçant la vie de la nation, toute Haute Partie contractante peut prendre des mesures
dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la stricte mesure où la situation
l’exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations
découlant du droit international. 2 La disposition précédente n’autorise aucune dérogation à l’article
2, sauf pour le cas de décès résultant d’actes licites de guerre, et aux articles 3, 4 (paragraphe 1)
et 7. 3 Toute Haute Partie contractante qui exerce ce droit de dérogation tient le Secrétaire
Général du Conseil de l’Europe pleinement informé des mesures prises et des motifs qui les ont
inspirées. Elle doit également informer le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe de la date à
laquelle ces mesures ont cessé d’être en vigueur et les dispositions de la Convention reçoivent de
nouveau pleine application ».
83
CourEDH, 8 février 1996, Murray c/ Royaume-Uni, Req. n°18731/91, §41 : « Une deuxième
composante, tout aussi essentielle, du droit de garder le silence serait que l’exercice de ce droit par
l’accusé ne doit pas être utilisé comme preuve à charge lors du procès ». D’après la Cour, « D’une
part, il est manifestement incompatible avec les interdictions dont il s’agit de fonder une
condamnation exclusivement ou essentiellement sur le silence du prévenu ou sur son refus de répondre
à des questions ou de déposer.
D’autre part, il est tout aussi évident pour la Cour que ces
interdictions ne peuvent et ne sauraient empêcher de prendre en compte le silence de l’intéressé,
dans des situations qui appellent assurément une explication de sa part, pour apprécier la force de
persuasion des éléments à charge. Où que se situe la ligne de démarcation entre ces deux extrêmes, il
découle de cette interprétation du "droit de garder le silence" qu’il faut répondre par la négative à la
question de savoir si ce droit est absolu. On ne saurait donc dire que la décision d’un prévenu de se
taire d’un bout à l’autre de la procédure pénale devrait nécessairement être dépourvue d’incidences
une fois que le juge du fond tentera d’apprécier les éléments à charge.
En particulier, comme le
Gouvernement le relève, si elles consacrent le droit de garder le silence et l’interdiction de contribuer
à sa propre incrimination, les normes internationales établies sont muettes sur ce point. Pour
rechercher si le fait de tirer de son silence des conclusions défavorables à l’accusé enfreint l’article 6
(art. 6), il faut tenir compte de l’ensemble des circonstances, eu égard en particulier aux cas où l’on
peut procéder à des déductions, au poids que les juridictions nationales leur ont accordé en appréciant
les éléments de preuve et le degré de coercition inhérent à la situation » (§47).
84
Que l’on peut définir comme « le mode d’administration en justice de la preuve par écrit, dite
aussi preuve littérale », l’écrit étant entendu de la manière la plus large, comme comprenant
« toutes les autres formes de documents » (L. Cadiet, J. Normand, S. Amrani-Mekki, Théorie
générale du procès, PUF, n°260).
85
Art. 132 CPC, pour la matière civile.
27
veulent pas les voir écarter du débat. Mais en matière civile,
l’article 11 alinéa 2 du Code de procédure civile prévoit que « si
une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la
requête de l'autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à
peine d'astreinte » et qu’« il peut, à la requête de l'une des
parties, demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la
production de tous documents détenus par des tiers s'il n'existe
pas d'empêchement légitime »86. Et en matière administrative, le
juge peut ordonner la production de pièces, même d’office87.
Quant à la matière pénale, le juge dispose du pouvoir de
coercition qui l’autorise à obtenir par la force les preuves qu’il
estime utiles : par voie de perquisition, de confiscation, ou par
mandat de comparution.
27.
Droit d’interroger des témoins. La deuxième difficulté concerne le
droit d’interroger des témoins qui comprend lui-même deux
volets :
le
droit
de
contester
un
témoignage
produit
par
l’adversaire et celui de produire des témoignages en sens contraire
à ceux-là. Ces droits sont reconnus par l’article 6§3, d de la
CEDH.
D’après
cette
disposition,
« tout
accusé
a
droit
notamment à (…) interroger ou faire interroger les témoins à la
charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à
décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge »88.
86
C’est une faculté : Le juge dispose, en matière de production forcée, d'une simple faculté dont
l'exercice est laissé à son pouvoir discrétionnaire (Civ. 1re, 4 décembre 1973, B. 336). Adde art. 138
CPC : « Si, dans le cours d'une instance, une partie entend faire état d'un acte authentique ou sous
seing privé auquel elle n'a pas été partie ou d'une pièce détenue par un tiers, elle peut demander au
juge saisi de l'affaire d'ordonner la délivrance d'une expédition ou la production de l'acte ou de la
pièce »
87
V. spéc. CE 1er mai 1936, Couespel du Mesnil, Rec. Leb. p. 485 et CE 28 mai 1954, Barel,
GAJA, 2005, n°72.
88
On y voit là un aspect du principe du contradictoire et des droits de la défense, depuis l’arrêt
Kostosvski c/ Pays-Bas rendu par la CourEDH le 20 novembre 1989 (CourEDH, 20 novembre 1989,
Kostovski c/ Pays-Bas, Req. no11454/85, GACEDH, n°36 : « les éléments de preuve doivent en
principe être produits devant l’accusé en audience publique, en vue d’un débat contradictoire » et les
droits de la défense « commandent d’accorder à l’accusé une occasion adéquate et suffisante de
contester un témoignage à charge et d’en interroger l’auteur, au moment de la déposition ou plus
tard » (§41)).
28
Ils sont rattachés aux droits de la défense et relèvent également
de la matière pénale.
Les problèmes concernent spécialement la compatibilité à la CEDH
de l’admissibilité de témoignages lorsque les témoins sont absents
lors de l’instance, en raison de leur peur ou de leur décès. On
parle encore de preuve par ouï-dire. L’état du droit ressort
aujourd’hui de l’arrêt Al-Khawaja et Tahery c/ Royaume-Uni
rendu le 15 décembre 2011 par la CourEDH89. La Cour indique90
qu’en principe tous les éléments à charge contre l’accusé doivent
en principe être produits devant lui en audience publique, en vue
d’un débat contradictoire et que les exceptions doivent préserver
les droits de la défense91. Or ceux-ci exigent, en règle générale,
que l’accusé puisse interroger les témoins92. La Cour en déduit
deux règles : que « premièrement, l’absence d’un témoin doit
être justifiée par un motif sérieux » et que « deuxièmement,
lorsqu’une condamnation se fonde uniquement ou dans une
mesure déterminante sur des dépositions faites par une personne
que l’accusé n’a pu interroger ou faire interroger ni au stade de
l’instruction
ni
pendant
les
débats, les
droits
de
la
89
CourEDH, 15 décembre 2011, Al-Khawaja et Tahery c/ Royaume-Uni, Req. n°26766/05 et
22228/06.
90
A titre liminaire, elle rappelle «
que la recevabilité des preuves relève des règles du droit interne
et des juridictions nationales et que sa seule tâche consiste à déterminer si la procédure a été
équitable » (§118).
91
« l’article 6 § 3 d) consacre le principe selon lequel, avant qu’un accusé puisse être déclaré
coupable, tous les éléments à charge doivent en principe être produits devant lui en audience
publique, en vue d’un débat contradictoire. Ce principe ne va pas sans exceptions, mais on ne peut
les accepter que sous réserve des droits de la défense » (§118).
92
« en règle générale, ceux-ci commandent de donner à l’accusé une possibilité adéquate et suffisante
de contester les témoignages à charge et d’en interroger les auteurs, soit au moment de leur
déposition, soit à un stade ultérieur » (§118). La CourEDH relève que « le principe sous-jacent est
que, dans un procès pénal, l’accusé doit avoir une possibilité réelle de contester les allégations dont il
fait l’objet. Ce principe commande non seulement que l’accusé connaisse l’identité de ses accusateurs,
afin de pouvoir contester leur probité et leur crédibilité, mais aussi qu’il puisse mettre à l’épreuve la
sincérité et la fiabilité de leur témoignage, en les faisant interroger oralement en sa présence, soit au
moment de la déposition soit à un stade ultérieur de la procédure » (§127). Et V. déjà CourEDH,
26 mars 1996, Doorson c/ Pays-Bas, Req. n°20524/92 ; CourEDH, 13 avril 2006, Vaturi c/
France, Req. n°14647/89.
29
défense peuvent se trouver restreints d’une manière incompatible
avec les garanties de l’article 6 » (§119).
Ces deux règles sont-elles absolues ?
S’agissant de la première, la CourEDH considère que si le décès
du témoin est évidemment un motif sérieux d’absence, il n’en va
pas toujours ainsi de la peur de témoigner : s’il en va ainsi de la
peur de menaces, la peur due au simple fait de témoigner, en
raison notamment de la notoriété des accusés, doit être justifiée
par des éléments objectifs93.
S’agissant de la seconde règle, La Cour relève que « lorsqu’une
condamnation
repose
exclusivement
ou
dans
une
mesure
déterminante sur les dépositions de témoins absents, la Cour doit
soumettre la procédure à l’examen le plus rigoureux » (§147)94.
L’injonction reste floue…
§2
28.
Le droit à la preuve
Germes. Il est évident que tout justiciable a le droit de
présenter sa cause et ses preuves à un juge : c’est une exigence
93
La Cour distingue deux types de peur : « la peur imputable à des menaces ou à d’autres
manœuvres de l’accusé ou de personnes agissant pour son compte, et la peur plus générale des
conséquences que pourrait avoir le fait de témoigner au procès » (§122). Dans ce dernier cas, la Cour
estime que « le juge doit mener les investigations appropriées pour déterminer, premièrement, si
cette peur est fondée sur des motifs objectifs et, deuxièmement, si ces motifs objectifs reposent sur
des éléments concrets » (§124).
94
Dans l’affaire Al-Kawhaja, la CourEDH note l’existence d’« éléments compensateurs suffisants » en
relevant la fiabilité de la déposition, la possibilité pour l’accusé de contre-interroger d’autres témoins
et les recommandations faites par le juge aux jurés (§156-157), de sorte que « l’équité du procès
dans son ensemble » a été préservée (§158). En revanche, dans l’affaire Tahery, la Cour juge que le
fait que le juge anglais ait conclu que le témoignage pouvait être admis « dès lors que le requérant
pouvait la contester ou la réfuter en témoignant lui-même ou en faisant citer à comparaître d’autres
témoins qui étaient présents, dont son oncle, et la mise en garde adressée par le juge aux jurés et
selon laquelle il fallait traiter avec prudence la déposition du témoin absent » (§161) en constituaient
pas des éléments compensateurs suffisants (§162) et donc que « les jurés n’ont pas pu apprécier
correctement et équitablement la fiabilité de ce témoignage » et « l’équité de la procédure dans
son ensemble » s’en est trouvé affecté (§ 165).
30
qui découle du droit d’accès au juge. La CourEDH l’a encore
récemment rappelé, en sanctionnant la France à la suite du
prononcé de décisions d’irrecevabilité opposées à des conducteurs
qui souhaitaient contester la réalisation d’une infraction constatée
par un radar95.
Mais, au-delà, le justiciable peut-il aujourd’hui invoquer un droit
à présenter ses preuves, de sorte que toute entrave serait
considérée comme une atteinte devant respecter les canons de
prévisibilité, nécessité et proportionnalité ?
Dans un article paru en 198196, M. Goubeaux relevait l’existence
d’un « droit à la preuve »97, c’est-à-dire « un droit qui astreint
le juge à examiner les éléments de conviction proposés par le
plaideur »98. Ce droit subjectif se manifesterait d’une double
façon, comme le « droit d’obtenir des preuves » et le « droit de
produire des preuves »99.
29.
Plan. Dans ce sillage, et depuis peu, la jurisprudence reconnaît
aujourd’hui
un
droit
à
la
preuve
autonome
(A),
dont
il
conviendra de mesurer la portée (B).
A.
la reconnaissance d’un « droit à la preuve » autonome
95
V. CourEDH 8 mars 2012, Cadène c/ France, Requête no12039/08, Célice c/ France, Requête
n 14166/09, Josseaume c/ France, Requête no39243/10. Et V. déjà, CourEDH 21 mai 2012, Peltier
o
c/ France, Requête n° 32872/96.
96
G. Goubeaux, « Le droit à la preuve », in La preuve en droit, Etudes publiées par Ch. Perelman
et P. Foriers, Bruylant, 1981, p. 277 s.
97
Ibid, p. 278
98
Ibid, p. 280
99
Ibid, p. 281
31
30.
CourEDH. Dans une décision L.L. c/ France rendu le 10 octobre
2006, la CourEDH a pour la première fois fait référence à un
« droit à la preuve ». Dans le cadre d’une procédure de divorce,
le juge français s’était fondé sur une correspondance entre un
médecin spécialiste et le médecin traitant du requérant qui
contenait un compte rendu opératoire relatif à une intervention
chirurgicale sur lui pratiquée. Le juge d’appel en avait reproduit
des passages dans sa décision et le divorce fut prononcé aux torts
exclusifs du requérant. La CourEDH estima que l’admission et
l’utilisation par le juge de la pièce médicale constituait une
« ingérence (…) destinée à ‘‘la protection des droits et libertés
d’autrui’’, en l’occurrence le droit à la preuve du conjoint aux
fins de faire triompher ses prétentions » (§40)100, pour retenir
une violation de l’article 8CEDH.
31.
Cour de cassation. C’est dans un arrêt rendu par sa Première
Chambre civile le 5 avril 2012101 que la Cour de cassation a pour
la première fois fait référence de manière significative au « droit
à la preuve »102. En l’espèce, un héritier demandant le rapport
d’une donation avait produit une lettre missive trouvée dans les
papiers du défunt, écrite par le conjoint du prétendu donataire
tenu
au
rapport.
Faute
d’accord
de
son
rédacteur
et
de
l’ensemble des héritiers, la production de cette lettre avait été
écartée par les juges du fond comme méconnaissant l’intimité de
la vie privée et le secret des correspondances. La solution
pouvait, à l’évidence, se recommander tant de l’article 9 du Code
civil que de l’article 8§1 de la CEDH. Pourtant, cette décision est
cassée, faute pour les juges du fond d’avoir recherché « si la
production litigieuse n'était pas indispensable à l'exercice [du]
droit à la preuve [du requérant], et proportionnée aux intérêts
antinomiques en présence ». Ce faisant, la Cour de cassation
dresse, face au droit au respect de la vie privée et au secret des
100
CourEDH, 10 octobre 2006, LL c/ France, Req. n°7508/2, §40.
101
Civ. 1ère 5 avril 2012, B. 85.
102
V. toutefois déjà Crim. 17 juin 1998, pourvoi n°97-81729, inédit.
32
correspondances un autre droit subjectif, nouveau, le « droit à la
preuve ». L’article 8§2 CEDH prévoyant que l’atteinte aux droits
évoqués doit être nécessitée par d’impérieux motifs d’intérêt
général ou par « la protection des droits et libertés d’autrui », il
est probablement apparu utile d’ériger un droit à la preuve en
droit fondamental pour justifier des atteintes aux autres droits
protégés par la CEDH.
32.
Fondement : article 6 CourEDH. Tant pour la Cour de cassation
que pour la CourEDH, le droit à la preuve est fondé sur l’article
6 de la CEDH, c’est-à-dire sur le droit au procès équitable. Le
droit à la preuve, bien que reconnu de manière autonome, reste
donc un composant du droit au procès équitable.
B.
33.
La portée de la reconnaissance d’un « droit à la preuve »
Triple aspect. La portée du « droit à la preuve » peut être
appréciée à l’aune, d’abord, de la loyauté des preuves, ensuite, de
la collaboration entre les parties et avec le juge, enfin, des
secrets protégés par le droit.
34.
Loyauté. En dernière analyse, la question de la loyauté de la
preuve est celle de savoir s’il est possible d’administrer en justice
une preuve constituée de manière illicite. La CourEDH, dans
l’affaire Schenk c/ Suisse, a considéré qu’elle « ne saurait (…)
exclure par principe et in abstracto l’admissibilité d’une preuve
recueillie de manière illégale, du genre de celle dont il s’agit » et
« il lui incombe seulement de rechercher si le procès (…) a
présenté dans l’ensemble un caractère équitable ».
En réalité, la réponse n’est pas uniforme et dépend de la
procédure en cause.
33
Dans le contentieux soumis à la procédure civile, la Cour de
cassation écarte les preuves obtenues de manière illicite. Le droit
social en fournit de multiples applications, tant en ce qui
concerne
les
dispositifs
de
collecte
d’informations103
que
l’utilisation des fichiers du salarié104. Mais l’on trouve également
des illustrations dans d’autres contentieux que le contentieux
social105.
Au contraire, dans le contentieux soumis à la procédure pénale,
où le besoin d’établir la vérité est plus criant, la Cour de
cassation considère qu’« aucune disposition légale ne permet aux
juges répressifs d'écarter les moyens de preuve produits par les
parties au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite
ou déloyale ; qu'il leur appartient seulement, en application de
103
La Cour décide que « si l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de ses salariés
pendant le temps du travail, tout enregistrement, quels qu'en soient les motifs, d'images ou de
paroles à leur insu, constitue un mode de preuve illicite ». Soc. 20 novembre 1991, B. 519 : caméra
dissimulée dans une caisse enregistreuse. Adde Soc. 10 janvier 2012, B. 2. Et l’article L. 1222-4 du
Code du travail qui énonce qu’« aucune information concernant personnellement un salarié ne peut
être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance », et qui
participe ainsi de l’exigence de loyauté. V. Soc. 26 novembre 2002, B. 352, D. 2003, p. 394,
obs. Fabre, p. 1305, chr. Ravanas, p. 1536, note Lepage, p. 1858, note Bruguière, JCP 2003, I,
156, obs. Cesaro, RTD civ. 2003, p. 58, obs. Hauser : « Vu les articles 8 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil, 9 du
nouveau Code de procédure civile et L. 120-2 du code du travail ; Attendu qu'il résulte de ces
textes qu'une filature organisée par l'employeur pour contrôler et surveiller l'activité d'un salarié
constitue un moyen de preuve illicite dès lors qu'elle implique nécessairement une atteinte à la vie
privée de ce dernier, insusceptible d'être justifiée, eu égard à son caractère disproportionné, par les
intérêts légitimes de l'employeur ». Adde Soc. 22 mai 1995, B. 164, RTD civ. 1995, p. 862, obs.
Hauser, RTD civ. 1996, p. 197, obs. Gautier : filature par un détective.
104
De règle générale, et quel que soit le support, l’employeur ne pourra les utiliser à des fins
probatoires que ceux n’ayant pas un caractère professionnel : dossiers et fichiers sur un ordinateur
sont présumés avoir un caractère professionnel (Soc. 18 octobre 2006, B. 308, deux arrêts),
connexions internet (Soc. 9 juillet 2008, B. 150), documents figurant sur une clef USB appartenant
au salarié mais connecté à l’ordinateur mis à sa disposition par l’employeur (Soc. 12 février 2013,
pourvoi n°11-28649, à paraître au Bulletin).
105
La Cour de cassation considère, au visa de l’article 6 de la CEDH, que l'enregistrement d'une
conversation téléphonique privée effectué et conservé à l'insu de l'auteur des propos invoqués est un
procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue (Civ. 2e, 7 octobre 2004, B.
47, D. 2005, p. 122, note Bonfils, ibid, p. 2652, obs. Marino, JCP 2005, II, 10025, note Leger,
Gaz. Pal. 2005, 340, note de Belval, CCE 2005, no 11, note Stoffel-Munck; RDC 2005, p. 472,
obs. Debet, RTD civ. 2005, p. 135, obs. Mestre et Fages). Et V. déjà Com. 25 février 2003
(pourvoi n°01-02913, CCC 2003, no104, obs. Leveneur, CCE 2004, no43, obs. Stoffel-Munck), où
le concessionnaire ne put prouver l'abus dans la rupture du contrat de concession au moyen d'un
entretien téléphonique enregistré à l'insu de son concédant, en raison de son obtention déloyale.
34
l'article 427 du Code de procédure pénale, d'en apprécier la valeur
probante »106.
Récemment, la question s’est posée de savoir si le contentieux du
droit de la concurrence empruntait à la procédure pénale ou à la
procédure civile. L’Assemblée Plénière y a répondu dans une
décision du 7 janvier 2011 : « sauf disposition expresse contraire
du code de commerce, les règles du code de procédure civile
s'appliquent au contentieux des pratiques anticoncurrentielles
relevant de l'Autorité de la concurrence »107.
35.
Collaboration. Alors que le respect des droits fondamentaux
imposait traditionnellement seulement une égalité des armes dans
le respect du contradictoire, on peut se demander si le droit à la
preuve ne permettrait pas à son créancier d’exiger du juge ou de
la partie adverse – le cas échéant, par la médiation du juge –
qu’il collabore à sa tâche probatoire, de sorte à alléger son
fardeau. De fait, la reconnaissance d’un droit à la preuve fondé
sur la CEDH conduit les Etats à s’abstenir d’y porter une
atteinte non justifiée – ce sont leurs obligations négatives – mais
également à mettre en œuvre les mesures destinées à le rendre
effectif
–
ce
sont
leurs
obligations
positives
–.
Avant
la
reconnaissance d’un droit à la preuve, la CourEDH avait déjà
enjoint en matière pénale aux Etats de mener une enquête
effective sur le recours à la force meurtrière par ses agents afin
d’identifier les responsables sur le fondement de l’article 2 de la
CEDH
pris
dans
sa
dimension
procédurale108.
Depuis
la
reconnaissance d’un droit à la preuve, une telle obligation se
trouverait-elle en matière pénale également fondée sur l’article 6
CEDH ?
Allant
plus
loin,
pourrait-on
considérer,
en
toutes
matières, que la production de preuves ordonnée par le juge à
106
Crim. 15 juin 1993, B. 210, D. 1994. 613, note Mascala, Dr. pénal février 1994, p. 3, obs.
Lesclous et Marsat.
107
AP. 7 janvier 2011, B. 1, D. 2011, p. 562, obs. Chevrier, note F. Fourment, ibid, p. 618,
Vigneau, RTD. civ. 2011, p. 127, obs. Fages.
108
CourEDH, 27 septembre 1995, Mac Cann c/ Royaume-Uni, Req. n°8984/91.
35
une partie (art. 11 al. 2 CPC109) ne soit plus une simple
faculté110 mais devienne une véritable obligation ? Et serait-il
envisageable que la mesure d’instruction in futurum de l’article
145 du Code de procédure civile111
obligation pour le juge,
l’ordonner
112
?
devienne également
une
dès lors qu’il existe un motif légitime de
Autrement
dit,
le
pouvoir
confié
au
juge
deviendra-t-il en quelque sorte un pouvoir confié aux parties,
dont le seul rempart serait le motif légitime – un secret protégé
par exemple – de ne pas y faire droit ?
36.
Secrets protégés. Si le droit à la preuve devient en tant que tel
un droit fondamental, toute atteinte qui lui est portée doit être
légitime et proportionnée. Notamment, les lois qui protègent un
secret
et
qui
constituent
par
nature
un
obstacle
à
l’établissement de la vérité devront passer ce double test. Il faut
à cet égard distinguer le secret des correspondances des secrets
professionnels encore qu’il y ait des secrets doublements protégés
lorsqu’ils sont professionnels et résultent de correspondance.
109
« Si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l'autre partie, lui
enjoindre de le produire, au besoin à peine d'astreinte. Il peut, à la requête de l'une des parties,
demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la production de tous documents détenus par
des tiers s'il n'existe pas d'empêchement légitime ».
110
Civ. 1ère 26 mai 2011, B. 118, D. 2011, p. 2891, obs. Bretzner : « il résulte de la combinaison
des articles 10 du code civil, 11 et 145 du code de procédure civile qu'il peut être ordonné à des tiers
(…) de produire tous documents qu'ils détiennent, s'il existe un motif légitime de conserver ou
d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige et si
aucun empêchement légitime ne s'oppose à cette production par le tiers détenteur ».
111
« S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont
pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être
ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».
112
Il est déjà de lege lata admis que
l’article 146 du code de procédure civile (« Une mesure
d'instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l'allègue ne dispose pas d'éléments
suffisants pour le prouver. En aucun cas une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de
suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve ») est sans application lorsque le
juge est saisi sur le fondement de l’article 145 du même code (Civ. 2e, 10 juillet 2008, B. II,
n° 179, Civ. 2e 10 mars 2011, B. II, n° 65).
36
Le secret des correspondances interdit seulement à un tiers à la
correspondance de s’en prévaloir au soutien de son allégation113, le
destinataire
pouvant
bien
évidemment
l’invoquer
contre
son
auteur . Il reste que dans certaines matières, spécialement en
114
droit
de
la
famille
et
du
interprétant les articles 259
115
divorce,
et 259-1
la
116
Cour
de
cassation
du Code civil, estime
qu’un époux peut rapporter la preuve de ses allégations contre
l’autre au moyen de lettres missives117, de courriels118 ou de
SMS119 pourvu qu’ils n’aient été obtenus par fraude ou violence.
Le secret professionnel quant à lui lie certains professionnels120
qui recueillent les confidences de clients – le secret bancaire121, le
secret de l’avocat122 ou de l’expert-comptable123 –, de patients –
113
V. not. Req. 3 mai 1875, S. 1875, 1, p. 197 : « celui qui est mis par erreur en possession d’une
lettre missive et confidentielle destinée à un tiers, ne peut, contre le gré de l’expéditeur et du
destinataire, être admis à faire usage en justice de cette lettre dans son intérêt privé ».
114
Utilisation, par son destinataire, d’un SMS, dès lors que l’auteur ne peut ignorer qu'ils sont
enregistrés par l'appareil récepteur (Soc. 23 mai 2007, B. 85, D. 2007, p. 2284, note CastetsRenard, JCP 2007, II, 10140, note Weiller, JCP E 2007, 2072, note Golhen, Defrénois 2007, p.
1614, note Quétant; RDT 2007, p. 530, obs. de Quenaudon, RTD civ. 2007. 776, obs. Fages).
115
« Les faits invoqués en tant que causes de divorce ou comme défenses à une demande peuvent
être établis par tout mode de preuve, y compris l'aveu. Toutefois, les descendants ne peuvent jamais
être entendus sur les griefs invoqués par les époux ».
116
« Un époux ne peut verser aux débats un élément de preuve qu'il aurait obtenu par violence ou
fraude ».
117
Civ. 13 juillet 1897, S. 1898, 1, p. 220 ; Civ. 2e 29 janvier 1997, B. 28 ; Civ. 2e 2 décembre
1998, B. 287 (photocopie d’une lettre missive).
118
Civ. 1ère 18 mai 2005, B. 213 ; Civ. 1ère 26 octobre 2011, pourvoi n°10-27872 : « Attendu
qu'ayant retenu que les courriels versés aux débats par M. X... se trouvaient sur l'ordinateur
personnel de celui-ci et qu'aucune protection n'était mise en place pour minimiser leur accès, la cour
d'appel, qui a repris ces éléments contenus dans les conclusions mêmes de Mme Y..., en a
souverainement déduit qu'ils n'avaient pas été obtenus par fraude ».
119
120
Civ. 1ère 17 juin 2009, B. 132.
Il n’existe pas de lege lata de secret des affaires protégés : « le secret des affaires ne constitue
pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du nouveau Code de
procédure civile, dès lors que le juge constate que les mesures qu'il ordonne procèdent d'un motif
légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées » (Civ. 2e 7
janvier 1999, B. II, n°4).
121
Art. L. 511-33 s. CMF.
37
le secret médical124 –, de fidèles – le secret ecclésiastique125 – ou
encore d’informateurs – le secret des sources des journalistes126 –
qui placent en eux leur confiance.
122
D’après l’article 66-5 al. 1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de
certaines professions judiciaires et juridiques, telle que modifiée par la loi n° 97-308 du 7 avril
1997 : « En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les
consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances
échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces
dernières de celles portant la mention " officielle ", les notes d'entretien et, plus généralement,
toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel ». Se trouvent protégées les
correspondances échangées entre avocats (Civ. 1ère 27 septembre 2005, pourvoi n°03-18943)
entre un avocat et son client (Com. 14 septembre 2010, pourvoi n°09-16347).
et
En revanche ne sont pas protégées les correspondances échangées entre l’avocat et l’expert-comptable
de son client (Com. 15 juin 2010, pourvoi n°09-66688) et celles adressées directement par une
partie à l’avocat de son adversaire (Civ. 1ère 31 janvier 2008, pourvoi n°06-14303).
123
D’après
l’article 21 al.
1
de
l’ordonnance
n° 45-2138
du
19 septembre
1945
portant
institution de l'ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d'expertcomptable, « Sous réserve de toute disposition législative contraire, les experts comptables, les
salariés mentionnés à l'article 83 ter et à l'article 83 quater les experts comptables stagiaires sont
tenus au secret professionnel dans les conditions et sous les peines fixées par l'article 226-13 du code
pénal ».
124
Art. L. 4127-4 CSP.
125
Civ. 2e 29 mars 1989, B. 88 : « ces pièces se rapportaient à des faits qui concernaient la vie
privée de M. A et qui n'étaient parvenus à la connaissance de l'autorité religieuse qu'en raison de la
confiance qui lui avait été accordée ».V. Déjà, mais moins affirmatif, Civ. 2e 23 avril 1966, B. 476.
126
Art. 2 al. 1er Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse : « Le secret des sources
des journalistes est protégé dans l'exercice de leur mission d'information du public ». Et pour une
application,
V.
Crim.
6
décembre
2011,
Bull.
crim.
n°248 :
Justifie sa décision au regard de ce texte, et au regard de l'article 10 de la Convention européenne
des droits de l'homme, la chambre de l'instruction qui, lors de l'enquête préliminaire, dans une
information suivie du chef de violation du secret professionnel, prononce l'annulation des réquisitions
adressées à des opérateurs de téléphonie, pour obtenir l'identification des numéros de téléphone des
correspondants des journalistes, auteurs d'un article rendant compte d'une procédure judiciaire en
cours, ainsi que celle des pièces dont elles étaient le support nécessaire, par des motifs qui
établissent que cette atteinte portée au secret des sources des journalistes n'était pas justifiée par
un impératif prépondérant d'intérêt public et que la mesure n'était pas nécessaire et proportionnée
au but légitime poursuivi.
Il est vrai que la CourEDH avait reconnu le principe de confidentialité des sources journalistiques dans
la décision Goodwin c/ Royaume-Uni rendue le 27 mars 1996 (Req. n°17488/90) :
« La protection
des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse, comme cela
ressort des lois et codes déontologiques en vigueur dans nombre d’Etats contractants et comme
l’affirment en outre plusieurs instruments internationaux sur les libertés journalistiques (voir
notamment la Résolution sur les libertés journalistiques et les droits de l’homme, adoptée à la 4e
Conférence ministérielle européenne sur la politique des communications de masse (Prague, 7-8
décembre 1994), et la Résolution du Parlement européen sur la non-divulgation des sources
journalistiques du 18 janvier 1994, parue au Journal officiel des Communautés européennes no C
44/34). L’absence d’une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d’aider la
presse à informer le public sur des questions d’intérêt général.
38
En conséquence, la presse pourrait
Le secret professionnel est pénalement protégé (art. 226-13 C.
pén.127). Comme l’avait relevé la Cour de cassation à la fin du 19e
Siècle, « en imposant à certaines personnes, sous une sanction
pénale, l'obligation du secret comme un devoir de leur état, le
législateur a entendu assurer la confiance qui s'impose dans
l'exercice de certaines professions »128. De règle générale, un
secret protégé constitue un « motif légitime »129 de refuser la
production d’une preuve au sens de l’article 10130 du Code civil et
des articles 11131 et 145132 du Code de procédure civile133. Et ce
n’est qu’exceptionnellement qu’un secret peut être levé.
être moins à même de jouer son rôle indispensable de "chien de garde" et son aptitude à fournir des
informations précises et fiables pourrait s’en trouver amoindrie.
Eu égard à l’importance que revêt
la protection des sources journalistiques pour la liberté de la presse dans une société démocratique et
à l’effet négatif sur l’exercice de cette liberté que risque de produire une ordonnance de divulgation,
pareille mesure ne saurait se concilier avec l’article 10 (art. 10) de la Convention que si elle se
justifie par un impératif prépondérant d’intérêt public » (§39).
En contrepoint, aux Etats-Unis, la Cour Suprême a refusé de tirer du Premier amendement un droit
au secret des sources (CS 29 juin 1972, Branzburg v. Hayes, In re Paul Pappas, United States v.
Caldwell, 408 U.S. 665 : « nous refusons (…) de créer (…) un privilège que les autres citoyens
n’ont pas », §6). Néanmoins, ainsi qu’on l’a relevé, « ce que la Cour refusa d’accorder aux
journalistes au titre de la Constitution, ceux-ci l’ont souvent obtenu au titre de la loi » puisque « la
Constitution n’oblige pas de reconnaître au journalistes un privilège de confidentialité des sources,
mais elle n’interdit pas aux Etats, s’ils le veulent, de le faire » (E. Zoller, Les grands arrêts de la
Cour suprême des Etats-Unis, Dalloz, 2010, n°28, §25).
127
« La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit
par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un
an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende ».
128
Crim. 15 déc. 1885, DP 1886, 1, p. 347.
129
En matière bancaire notamment, V. Com., 11 avril 1995, B. 121, Com. 13 juin 1995, B. 172,
Com. 16 janvier 2001, B. 12, Com. 25 février 2003, B. 26, Com. 8 juillet 2003, B. 119, Com.
25 janvier 2005, B. 13, Com. 23 janvier 2007, B. 7, Com. 30 mai 2007, B. 144. Il reste
qu’un arrêt inédit rendu par la Première chambre civile le 15 mai 2008 (pourvoi n° 06-20807 :
« le refus d'ordonner la production de pièces qu'une partie détient au nom d'un tiers, et qui sont
couvertes par le secret professionnel, ne porte pas atteinte aux exigences d'un procès équitable, dès
lors que la partie qui sollicite ces pièces peut obtenir une mesure d'instruction ou s'adresser
directement au tiers bénéficiaire du secret ») laisse entendre que le secret bancaire ne peut faire
obstacle à une mesure d’instruction.
130
« Chacun est tenu d'apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité.
Celui qui, sans motif légitime, se soustrait à cette obligation lorsqu'il en a été légalement requis,
peut être contraint d'y satisfaire, au besoin à peine d'astreinte ou d'amende civile, sans préjudice de
dommages et intérêts ».
39
Il peut l’être, en premier lieu, en raison de l’intérêt général.
L’article 226-14 du Code pénal autorise la levée de certains
secrets, comme celui portant sur des atteintes ou mutilations
sexuelles
de
personnes
vulnérables,
au
profit
des
autorités
judiciaires, médicales ou administratives. De même, le secret
bancaire ne peut être opposé à l'Autorité de contrôle prudentiel,
à la Banque de France ou au juge pénal134 et le secret du notaire
peut être levé dans certaines circonstances par le juge civil135.
Quant au secret des sources reconnu aux journalistes, il peut y
être porté atteinte « si un impératif prépondérant d'intérêt
public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement
nécessaires
et
proportionnées
au
but
légitime
poursuivi »136
131
« Les parties sont tenues d'apporter leur concours aux mesures d'instruction sauf au juge à tirer
toute conséquence d'une abstention ou d'un refus. Si une partie détient un élément de preuve, le
juge peut, à la requête de l'autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d'astreinte. Il
peut, à la requête de l'une des parties, demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la
production de tous documents détenus par des tiers s'il n'existe pas d'empêchement légitime ».
132
« S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont
pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être
ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».
133
Pour le secret bancaire, V. notamment Com. 8 juillet 2003, B. 119 : Un client avait demandé à
sa banque de lui communiquer plusieurs chèques qu'elle avait tirés sur celle-ci et, n'ayant obtenu que
la copie du recto de ces chèques, avait saisi le juge pour que soit ordonnée leur production dans leur
intégralité. La Cour d’appel fait droit à sa demande au motif qu’ayant délié la banque du secret
bancaire
dont
elle-même
était
bénéficiaire,
la
banque
n'était
pas
fondée
à
s'opposer
à
la
communication sollicitée. Cassation : « en statuant ainsi, alors qu'en divulguant les informations
figurant au verso des chèques litigieux, la banque portait atteinte au secret dont bénéficiaient le ou
les tiers bénéficiaires des titres et que le secret professionnel auquel est tenu un établissement de
crédit constitue un empêchement légitime opposable au juge civil, la cour d'appel a violé les textes
susvisés ».
134
« Outre les cas où la loi le prévoit, le secret professionnel ne peut être opposé ni à l'Autorité de
contrôle prudentiel ni à la Banque de France ni à l'autorité judiciaire agissant dans le cadre d'une
procédure pénale » (art. L. 511-33 CMF ; adde art. L. 561-1 s. CMF relatifs à l’obligation de
déclaration dans le cadre de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du
terrorisme).
135
Civ. 1ère 20 juillet 1994, B. 263 : « le secret professionnel qui s'impose au notaire ne saurait,
sauf circonstances particulières, dispenser cet officier public de révéler à l'autorité judiciaire qui l'en
requiert l'adresse d'un client lorsque ce renseignement est indispensable à l'exécution d'une décision de
justice ; qu'ayant constaté que M. Y... dissimulait son adresse de façon illégitime dans le seul dessein
de se soustraire à l'exécution de la condamnation prononcée contre lui, la cour d'appel a décidé, à bon
droit, d'enjoindre à M. X... de donner le renseignement requis ».
136
Art. 2 al. 3 Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
40
sachant qu’au cours d'une procédure pénale, il est tenu compte,
pour apprécier la nécessité de l'atteinte, de la gravité du crime
ou du délit, de l'importance de l'information recherchée pour la
répression ou la prévention de cette infraction et du fait que les
mesures
d'investigation
envisagées
manifestation de la vérité
137
sont
indispensables
à
la
; en tout état de cause « cette
atteinte ne peut en aucun cas consister en une obligation pour le
journaliste
de
correspondances
révéler
échangées
ses
sources »138. Le
avec
un
avocat
ecclésiastique paraissent eux presque absolus
secret
ou
au
des
secret
, encore que le
139
droit des perquisitions constitue une menace140. D’ailleurs, on
relèvera que pour la CourEDH a relevé dans une décision André c/
France que les perquisitions et saisies chez un avocat « portent
incontestablement atteinte au secret professionnel, qui est à la
base de la relation de confiance qui existe entre l’avocat et son
client » et constituent une ingérence dans l’article 8 CEDH qui
doit être spécialement encadrée141.
137
Art. 2 al. 5 Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
138
Art. 2 al. 3 Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
139
Pour le secret des correspondances échangées avec l’avocat, V. Civ. 1ère 13 novembre 2003, B.
225. Adde art. 66-5 L. n°71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions
judiciaires et juridiques : « En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui
de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les
correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception
pour ces dernières de celles portant la mention "officielle", les notes d'entretien et, plus
généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel ».
Ces dispositions ne font pas obstacle, à compter de la conclusion d'un contrat de fiducie, à
l'application à l'avocat qui a la qualité de fiduciaire, de la réglementation spécifique à cette activité,
sauf pour les correspondances, dépourvues de la mention " officielle ", adressées à cet avocat par un
confrère non avisé qu'il agit en cette qualité.
Le présent article ne fait pas obstacle à l'obligation pour un avocat de communiquer les contrats
mentionnés à l’article L. 222-7 du code du sport et le contrat par lequel il est mandaté pour
représenter l'une des parties intéressées à la conclusion de l'un de ces contrats aux fédérations
sportives délégataires et, le cas échéant, aux ligues professionnelles qu'elles ont constituées, dans les
conditions prévues à l’article L. 222-8 du même code ».
140
En matière de correspondances échangées avec l’avocat,
En matière ecclésiastique : Crim. 17 décembre 2002, B. 231 ; RTD civ. 2003, p. 575, obs.
Libchaber : validation d'une perquisition effectuée dans le bureau d'un évêque et d'un vice-official.
141
o
CourEDH 24 juill. 2008, André et a. c/ France, Req. n 18603/03 § 44, RD publ. 2009, p. 911,
obs. Surrel, JCP 2008, 10182, note Louit : La CourEDH relève que si le droit interne peut prévoir
la possibilité de perquisitions ou de visites domiciliaires dans le cabinet d’un avocat, celles-ci doivent
41
En second lieu, le secret peut également être levé dans l’intérêt
particulier d’une des parties. D’une part, le créancier du droit au
secret
professionnel,
tel
le
client
d’un
médecin
le
peut
désormais142 alors que la jurisprudence décidait autrefois que «
l'obligation au secret professionnel s'impose aux médecins comme
un devoir de leur état, qu'elle est générale et absolue, et qu'il
n'appartient à personne de les en affranchir »143. Et la solution
impérativement être assorties de garanties particulières. Certes la visite domiciliaire a été exécutée
en présence du bâtonnier de l’Ordre des avocats dont relevaient les requérants. Mais, l’autorisation
de la visite domiciliaire était rédigée en termes larges, de sorte que les policiers se voyaient
reconnaître des pouvoirs étendus. Outre l’absence du juge qui avait autorisé la visite domiciliaire, la
présence du bâtonnier et les contestations expresses de celui-ci n’ont pas été de nature à empêcher
la consultation effective de tous les documents du cabinet ainsi que leur saisie. Ont été saisis des
documents personnels de l’avocat, soumis au secret professionnel. A aucun moment les avocats n’ont
été accusés ou soupçonnés d’avoir commis une infraction ou participé à une fraude commise par leur
cliente : dans le cadre d’un contrôle fiscal d’une société cliente des requérants, l’administration visait
ces derniers pour la seule raison qu’elle avait des difficultés, d’une part, à effectuer ledit contrôle
fiscal et, d’autre part, à trouver des documents comptables, juridiques et sociaux de nature à
confirmer les soupçons de fraude qui pesaient sur la société cliente. Dans ce contexte, la visite
domiciliaire et les saisies effectuées au domicile des requérants étaient disproportionnées par rapport
au but visé.
142
Secret médical : Civ. 1ère 22 mai 2002, B. 144 : « attendu qu'aux termes de l'article 901 du
Code civil, pour faire une donation, il faut être sain d'esprit ; que, par l'effet de cette disposition
qui vaut autorisation au sens de l'article 226-14 du Code pénal, le professionnel est déchargé de son
obligation au secret relativement aux faits dont il a eu connaissance dans l'exercice de sa profession ;
que la finalité du secret professionnel étant la protection du non-professionnel qui les a confiés, leur
révélation peut être faite non seulement à ce dernier mais également aux personnes ayant un intérêt
légitime à faire valoir cette protection » ; Civ. 1ère 29 octobre 2002, B. 244 : « ayant constaté
que l'assureur avait subordonné sa garantie à la production d'un certificat médical indiquant "si
possible" la nature de la maladie ayant entraîné le décès et que l'assuré avait, en acceptant la
divulgation de certains éléments le concernant, renoncé lui-même et par avance au secret médical, la
cour d'appel en a exactement déduit que ses ayants droit faisaient échec à l'exécution du contrat en
refusant de communiquer les éléments nécessaires à l'exercice des droits qu'ils revendiquaient et,
notamment, pour établir leur allégation d'un décès en dehors d'une maladie par l'avis du seul
professionnel qualifié, qu'est le médecin ; (…) la cour d'appel a ainsi, sans inverser la charge de la
preuve légalement justifié sa décision » ; Civ. 2e, 19 février 2009, B. 62 : « Vu les articles 9 du
code civil et R. 4127-4 du code de la santé publique ; Attendu, selon le premier de ces textes, que
chacun a droit au respect de sa vie privée ; qu'il résulte du second que le secret médical, institué
dans l'intérêt des patients, s'impose à tout médecin ; (…) des informations couvertes par le secret
médical ne peuvent être communiquées à un tiers sans que soit constaté l'accord de la victime ou son
absence d'opposition à la levée de ce secret (…) »
143
Crim. 22 décembre 1966, Bordier (D. 1967. 122, rapport R. Combaldieu ; JCP 1967. II. 15126,
note
R.
Savatier
; RSC 1967.
453,
obs.
G.
Levasseur).
Et
V.
déjà
Crim.
19
décembre
1885, D. 1886, 1, p. 347 et Crim. 8 mai 1947, D. 1948, p. 109, note P. Gulphe. Adde Crim. 5
juin 1985, B. 218, D. 1988, p. 106, note Fenaux ; Crim. 8 avril 1998, B. 138, D. 1999, p. 381,
obs. J. Penneau.
42
semble être aujourd’hui144 la même pour le client de l’avocat.
D’autre part, le débiteur lui-même pourrait lui-même lever le
secret lorsque sa responsabilité est engagée145. Dans cette veine,
la Cour de cassation décide notamment que
le secret bancaire,
posé dans l’intérêt du client, ne peut être invoqué par la banque
lorsque sa responsabilité est recherchée146.
*
*
*
La reconnaissance et la fondamentalisation d’un droit à la preuve
incitera probablement les plaideurs à tenter de faire lever encore
plus facilement les secrets. Leur bien-fondé, c’est-à-dire leur
légitimité, ne suffira pas à les préserver, il importera d’en
souligner la mesure, c’est-à-dire leur proportionnalité. Comme
d’habitude, avec les droits fondamentaux, c’est l’empirisme qui
dominera. Reste qu’il est un peu tôt pour faire des pronostics147.
Il appartiendra au temps de révéler si le passage du « droit de la
144
Depuis Civ. 1ère 4 avril 2006, B. 189 : une lettre adressée à un avocat par un client « qui
n'était pas tenu au secret professionnel, en la rendant lui-même publique, lui avait ôté son caractère
confidentiel » ;
Civ.
1ère
30
avril
2009,
pourvoi
n°08-13596 :
« la
confidentialité
des
correspondances échangées entre l'avocat et son client ne s'impose qu'au premier et non au second
qui, n'étant pas tenu au secret professionnel, peut les rendre publiques ».
Mais auparavant : Civ. 1ère 6 avril 2004, pourvoi n°00-19245 : « l'obligation au secret professionnel,
établie par l'article 66-V dans sa rédaction antérieure à la loi du 11 février 2004 et sanctionnée par
l'article 226-13 du Code pénal, pour assurer la confiance nécessaire à l'exercice de certaines
professions ou de certaines fonctions, s'impose à l'avocat, hormis les cas où la loi en dispose
autrement comme un devoir de son état et que sous cette réserve, elle est générale et absolue, de
sorte que l'avocat ne peut en être délié par son client .
145
Dans l’affaire du roi des gitans, le médecin avait pu lever le secret professionnel pour éviter d'être
poursuivi comme complice d'une escroquerie (Crim. 20 déc. 1967, B. 338, D. 1967, p. 122, concl.
Combaldieu, JCP 1967, II, 15126, note R. Savatier). La même possibilité a été reconnue à l'avocat
(Crim. 29 mai 1989, B. 218) et au banquier (Soc. 2 novembre 2005, pourvoi n° 03-47.446)
146
Com. 19 juin 1990, B. 179, Com. 11 octobre 2011, B. 153. Pas plus, le secret professionnel qui
lie commissaires aux comptes et experts-comptables ne peut faire obstacle aux mesures d’instruction
destinées à vérifier les conditions d’exercice de leur mission (Com. 14 novembre 1995, B. 263, Com.
14 novembre 1995, B. 262)
147
Que penser par exemple de la loi n°2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation
économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer qui a modifié l’article
L. 462-3 du Code de commerce en indiquant que si « l'Autorité de la concurrence peut transmettre
tout élément qu'elle détient concernant les pratiques anticoncurrentielles concernées », c’est à
l'exclusion « des pièces élaborées ou recueillies au titre [de la procédure de clémence], à toute
juridiction qui la consulte ou lui demande de produire des pièces qui ne sont pas déjà à la disposition
d'une partie à l'instance (…) » ?
43
preuve » au « droit à la preuve » n’est qu’une affaire de mots
ou bien, un véritable changement de paradigme.
44