Traduire en Méditerranée LA TRADUCTION D`OUVRAGES DE

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Traduire en Méditerranée LA TRADUCTION D`OUVRAGES DE
Traduire en Méditerranée
LA TRADUCTION D’OUVRAGES DE LITTERATURE ET DE SCIENCES
HUMAINES ET SOCIALES EN ALGERIE
Dans le cadre de l’état des lieux de la traduction en Méditerranée, co-produit par la
Fondation Anna Lindh et Transeuropéennes en 2010
Collecte des données, analyse et rédaction
Lazhari Labter
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© Transeuropéennes, Paris & Fondation Anna Lindh, Alexandrie - 2011
PREAMBULE
La présente étude est réalisée par Transeuropéennes en partenariat avec la Fondation
Anna Lindh (Traduire en Méditerranée). Elle est une composante du premier état des lieux
de la traduction en Méditerranée que conduisent à partir de 2010 Transeuropéennes et la
Fondation Anna Lindh (programme euro-méditerranéen pour la traduction), en partenariat
avec plus d’une quinzaine d’organisations de toute l’Union pour la Méditerranée.
Partageant une même vision ample de la traduction, du rôle central qu’elle doit jouer
dans les relations euro-méditerranéennes, dans l’enrichissement des langues, dans le
développement des sociétés, dans la production et la circulation des savoirs et des
imaginaires, les partenaires réunis dans ce projet prendront appui sur cet état des lieux pour
proposer et construire des actions de long terme.
Elle concerne le flux des traductions en littérature et sciences humaines et sociales en
Algérie de 1983 à 2011, soit sur une période de 28 ans. Elle reste à affiner et parfaire dans la
mesure où les statistiques ne sont pas toujours disponibles ni regroupées par un organisme
central. Notre corpus est basé sur des catalogues et des listes d’ouvrages traduits par des
centres et les plus gros éditeurs algériens. Elle révèle la faiblesse du flux de traduction dans
la mesure où on ne recense que 346 ouvrages traduits en 28 ans.
1. EDITION EN ALGERIE : BREF RAPPEL HISTORIQUE
a. L’édition
De 1962, année de l’indépendance de l’Algérie, à 1966, année des premières
nationalisations des entreprises étrangères, le marché du livre était sous le monopole
exclusif de Hachette Algérie à l’exception de quelques maisons d’éditions privées comme El
Baath à Constantine (est du pays), la Maison du livre et la maison d’édition Nahda à Alger. En
1966, à la faveur d’un certain nombre de décisions de nationalisations de sociétés françaises,
Hachette Algérie est nationalisée et tous ses biens transférés à la nouvelle Société nationale
d’édition et de diffusion (Sned, créée par l'ordonnance no 66-28 du 27 janvier 1966), la
même année. Celle-ci gardera un monopole quasi exclusif sur le secteur de l’édition jusqu’en
1983 où, à la faveur de la nouvelle politique économique initiée par le président Chadli
Bendjedi, dite politique de « l’infitah » (ouverture, libéralisation), la Sned, à l’instar d’autres
entreprises et sociétés nationales est restructurée en quatre entités dont l’Entreprise
nationale du livre (Enal), avatar de la Sned, qui continue le monopole de l’édition et de la
distribution.
Aux côtés de l’Enal, d’autres maisons d’éditions étatiques spécifiques occupent le marché
du livre : l’Office des publications universitaires (OPU) publie et importe des ouvrages
spécialisés dans tous les domaines universitaires, l’Entreprise nationale des arts graphiques
(Enag), imprimerie à l’origine et l’Entreprise nationale algérienne de presse (EnapP),
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dépendant du parti du FLN qui édite des ouvrages en petit nombre et l’Agence nationale
d’édition et de publicité (Anep) qui publie quelques titres.
A la veille de la crise économique majeure qui frappe l’Algérie de plein fouet et annonce
les événements d’Octobre 1988 qui font passer l’Algérie du système de parti unique vers un
système pluraliste, quelques éditeurs privés s’installent sur le marché « monopolisé », à
l’exemple de Abderrahmane Bouchène des Editions Bouchène (installé en France depuis
1999) créées en 1985 et de Ahmed Bounab qui lancent les Editions Laphomic, disparues
aujourd’hui.
L’Algérie compte aujourd’hui 140 éditeurs recensés sur la base de leur participation au
ème
15 Salon international du livre d’Alger de 2010.
La majorité des maisons d’éditions se trouve à Alger (100) alors qu’Oran, la deuxième
ville du pays, capitale de l’Ouest, n’en compte que 5 et Constantine, capitale de l’Est, 3
seulement. On en trouve 5 à Blida, 3 à Béjaia, 2 à Annaba, 2 à Tizi Ouzou, 2 à Ghardaia et 1
à Sétif, Mila Batna et Barika. Très peu de maisons sont spécialisées. Elles publient toutes
sortes d’ouvrages et beaucoup du préscolaire et des manuels en arabe et en français. 3
maisons d’éditions se distinguent par leur ligne éditoriale : Les Editions Casbah (premier
éditeur du pays) pour l’Histoire, les Editions Barzakh pour la littérature et les Editions
Ikhtilef (La Différence) pour les sciences humaines et sociales. 12 sont spécialisées dans la
littérature de jeunesse dont 7 dirigées par des femmes (Science et Savoir, Le petit lecteur
d’Oran, Les Trois Pommes, La 7eme couleur, Clas'gaie, Lalla Moulati, la Bibliothèque verte,
Rive sud, Pico, Editions Baghdadi, Dalimen, Sedia, Lazhari Labter).
b. Nombre de maisons d’édition et leur répartition par ville et région
Parmi ces éditeurs, on compte très peu de professionnels disposant d’une ligne éditoriale
et de collections. Les maisons d’éditions les plus en vue sont : Casbah Editions, Chihab,
Editions Anep (notamment entre 2001 et 2005), l’Enag, Barzakh Editions, Dalimen Editions,
Apic Editions, Editions Alpha Sedia Editions (racheté par Alpha), Gal Editions, Lazhari Labter
Editions, Editions du Tell, Editions El Ikhtilef (La Différence).
Le nombre d’ouvrages publiés en général reste toutefois très faible pour un pays qui
compte plus de 36 millions d’habitants. Il aurait été, selon le SNEL, de 800 ouvrages en 2002
et de 1 000 titres en 2003, en comptant il est vrai les rééditions et les ouvrages parus dans le
cadre de l’année de l’Algérie en France. Pour le SPL, en dehors de l’année de l’Algérie, les
titres publiés ne dépasseraient pas les 400 tant en 2002 qu’en 2003. La répartition de ces
titres par langue n’est pas connue.
La moyenne des tirages est de 1000 exemplaires par titre. Elle peut atteindre les 10 000
pour les ouvrages préscolaires sur lesquels il y a une forte demande.
Les tirages restent faibles, de l’ordre de 1 000 à 3 000 exemplaires pour les ouvrages de
fiction et de 3 000 à 5 000 exemplaires dans le secteur du parascolaire. Les meilleures ventes
ne dépassent pas pour leur part les 10 000 exemplaires.
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En Algérie, trois organismes sont actifs en matière de traduction : l’ Institut supérieur
arabe de traduction (ISAT), les Editions Anep (surtout entre 2000 et 2005 en collaborzation
avec les éditions Al Farabi de Beyrouth qui prenait en charge la traduction), les Editions
Casbah, le Laboratoire de traduction et de terminologie de l’Université II d’Alger, l’ ENAL
(ex-SNED - disparu), les Editions El Ikhtilef et les Editions Barzakk.
c. Librairies
Le réseau de librairies en Algérie est très faible par rapport à l’étendue du territoire et au
nombre d’habitants du pays. On estime le nombre de librairies à 300, basées essentiellement
dans la partie nord du pays. Il existe des villes universitaires de près de 300 000 habitants
comme Biskra (sud du pays) où il n’existe aucune librairie ou encore de près de 150 000
comme Laghouat (sud du pays) où on ne trouve qu’une seule librairie, héritée du réseau de
la Sned. C’est dire l’effort qui reste à faire pour mettre le livre à disposition des lecteurs.
Pour pallier à cette situation, le ministère de la Culture a initié un projet de réhabilitation et
de construction de bibliothèques municipales qui devrait atteindre d’ici la fin de l’année 2012
le nombre de 2000 bibliothèques.
En dépit du taux d’analphabétisme estimé à 21,39 % de la population, soit 6,4 millions de
personnes, la scolarisation est très importante qui atteint presque les 100% (taux jugé
«exemplaire » par L’Unicef), l’acquisition d’ouvrages par des particuliers reste très faible.
Beaucoup l’explique par le prix du livre qui reste élevé (moyenne de 8 euros) par rapport au
revenu moyen des familles (le Smig est à 150 euros). Mais à cela, il faut ajouter, l’absence de
réseaux de distribution efficients et le manque de librairies.
d. Le Centre du Livre National en Algérie
Le Centre national du livre, sous l’égide du Ministère de la Culture, a été crée par décret
exécutif n°09-202 le 27 mai 2009. En mai 2010, un arrêté ministériel a été promulgué afin de
fixer son organisation interne. Ses objectifs sont entre autres : la promotion et le
développement du livre ; l’encouragement de tous les modes d’expression littéraire et la
diffusion des œuvres littéraires ; la contribution et le soutien au développement à l’industrie
du livre et à sa distribution ; le soutien à la lecture publique. Parmi les commissions
installées, on note une commission de la création et de la traduction.
e. Salons de livres
En plus de quelques salons du livre régionaux, il existe un Salon international du livre depuis
2001, un Festival international de la littérature et du livre de jeunesse depuis 2008 et un
Festival international de la bande dessinée lancé la même année. Ces salons et festivals
connaissent un engouement de plus en plus important.
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f. Chiffres et statistiques : le casse-tête
L’un des problèmes qui se pose aujourd’hui avec acuité dans le secteur de l’édition
algérienne est le manque de statistiques fiables concernant la chaine du livre et en particulier
son maillon l’édition. On ne trouve de données ni de chiffres précis ni au niveau de l’Office
national des statistiques (ONS) ni au niveau de la Bibliothèque nationale d’Algérie (BNA) ni
au niveau de l’Office national des droits d’auteur et des droits voisins (ONDA) et ni au
niveau du ministère de la Culture (MC).
C’est pour cette raison qu’à l’initiative du Syndicat professionnel du livre (SPL), sous le
patronage du ministère de la Culture, en partenariat avec l’Unesco, l’Association des libraires
algériens (ASLIA), et l’Office national des droits d’auteurs et droits voisins (ONDA) ont été
organisées les 1ères Assises nationales du livre à la Bibliothèque nationale d’Algérie (BNA)
du 11 au 18 décembre 2002.
5 ateliers ainsi réparties ont travaillé ont travaillé pendant 4 jours sous la supervision de M.
Alvaro Garzon de l’Unesco :
Atelier 1
Atelier 2
Atelier 3
Atelier 4
Atelier 5
Importation, distribution, librairie
Bibliothèques
L’apprenti lecteur
Edition, impression
Création, traduction
Les travaux de ces Assises ont été couronnés par l’adoption d’un avant-projet de loi sur le
livre et la lecture publique et de 42 recommandations soumis au ministère de la Culture
pour étude et mise en œuvre éventuellement. Parmi les recommandations les plus
importantes :
- La mise en œuvre d’une politique nationale du livre
- L’adoption d’une loi sur le livre
- La création d’un observatoire nationale du livre
- La création de bibliothèques communales
2. TRADUCTION : ETAT DES LIEUX
a- L’enseignement de la traduction
On ne peut pas parler de la traduction en Algérie sans évoquer, ne serait-ce que
brièvement, l’enseignement de la traduction et ses carences.
Il est très difficile d’être exigent aujourd’hui avec les jeunes diplômés en interprétariat, alors
qu’ils n’ont pas bénéficié lors de leurs quatre années de licence d’une formation de qualité.
Pour limiter le constat à l’Institut d’Interprétariat de l’Université d’Alger, tout le monde
s’accorde à dire que le niveau des étudiants ne cesse de régresser d’année en année.
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Jusqu’en 2009 (les inscriptions ont été suspendues en 2010), les bacheliers pouvaient
s’inscrire en interprétariat sans passer aucun concours dans l’une des trois combinaisons
assurées :
Arabe – français – anglais
Arabe – français – espagnol
Arabe – français – allemand.
Il existe un véritable manque en matière d’encadrement ; les étudiants ne sont pas
formés comme il se doit, ni en méthodologie de la traduction, ni en littérature ni en culture
des trois langues qu’ils sont sensés connaître et maitriser. Traduire est avant tout une
opération qui s’effectue au niveau culturel, les connaissances culturelles du traducteur aussi
bien en langue source qu’en langue cible sont plus que nécessaires pour prétendre traduire.
Les diplômés en traduction ont beaucoup de peine à acquérir ces connaissances dans le
cadre d’un programme qui ne prévoit qu’une séance d’1h30 de civilisation (arabomusulmane, française, anglaise, germanique ou hispanique) par semaine en deuxième année
de licence. Sur quatre ans, c’est dérisoire.
A cela s’ajoute l’absence de spécialités (traduction littéraire, juridique, médicale, etc.), et
le manque de documentation et de fonds de recherches.
Les étudiants obtiennent leur licence sans présenter aucun mémoire de fin de cursus, c qui
est aberrant. Même le stage pratique est facultatif.
C’est peut-être en raison de ce manque d’encadrement de qualité que les inscriptions pour
cette filière ont été suspendues en 2010. Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la
Recherche scientifique envisage de transformer cette spécialisation en deux années de
master auquel auront accès les détenteurs d'une licence en langues arabe ou étrangères, à
condition de maîtriser parfaitement plusieurs langues.
Même ci cette décision a pour but d’améliorer le niveau de la formation, on se demande
comment on peut transformer un cursus de quatre ans en une post-graduation de deux ans,
même sur concours « pour ne choisir que les meilleurs ».
b. Statut des traducteurs
Les traducteurs en Algérie ne disposent pas d’un statut particulier. Ils sont issus en
général des départements de littérature ou d’interprétariat de l’Université d’Alger. Ils
s’adonnent à la traduction sur commande de maisons d’éditions ou d’institutions, en dehors
de leur métier qui est souvent professeur d’université. Leur rémunération varie entre 800 et
1200 DA la page en fonction de la difficulté des ouvrages à traduire (littérature, histoire,
sciences humaines et sociales).
c. Grandes tendances des traductions :
Les essais portant sur l’histoire et la littérature (103) occupent le haut du pavé, suivi de
l’histoire (61) du roman (60), de la littérature enfantine (22), du patrimoine (13) de la
linguistique (10), de la poésie (8) et de la philosophie (7).
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Cet attrait pour les essais, l’histoire et le roman est confirmé par les ventes de ces
genres dans les librairies et les salons de livres. La faiblesse de la traduction des ouvrages de
sciences humaines et sociales s’expliquerait par le coût exorbitant de la traduction que seuls
les plus riches des éditeurs peuvent s’offrir ou ceux qui bénéficient d’un soutien en Algérie
ou de l’étranger.
La traduction se fait dans la majorité des cas du français vers l’arabe. La traduction
d’ouvrages d’autres langues comme l’anglais, l’allemand, le russe et le tamazight reste
insignifiante.
d. Organismes et éditeurs traducteurs
Dans le domaine de la traduction, deux organismes et 6 éditeurs sont particulièrement
actifs :
1) L’institut supérieur arabe de traduction (Isat), dépendant du Secrétariat général
de la Ligue arabe, qui a ouvert ses portes à Alger en 2004 sous la direction de
Inam Bioud, universitaire, traductrice, poète et artiste peintre. A côté des
activités de recherche et de formation qui est sa principale activité, l’Isat a
développé un ambitieux programme de traduction des langues étrangères,
notamment le français et l’anglais vers l’arabe ainsi que tu tamazight vers
l’arabe.
2) Editions Anep
3) Editions Casbah
4) Le laboratoire de traduction et de terminologie de l’Université II d’Alger, dirigé
par le professeur Abdelkader Bouzida, a été créée en 2000. 35 professeurs (7
professeurs de l’enseignement supérieur, 9 professeurs conférenciers, 19
professeurs collaborateurs) y collaborent de manière active. Il forme des
traducteurs, organise des rencontres autour des questions de traduction et de
terminologie et participe à des colloques sur la question à l’étranger. A ce jour,
le laboratoire a traduit 31 ouvrages entre 2001 et 2011 pour le compte
d’éditeurs algérien ou pour son propre compte dont 17 ouvrages en sciences
humaines et sociales et 14 romans du français vers l’arabe et deux ouvrages
seulement de l’allemand et du russe vers l’arabe.
5) Editions El Ikhtilef
6) Editions Barzak
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