« LES QUATRE CENTS COUPS » DE FRANÇOIS TRUFFAUT (1959)

Transcription

« LES QUATRE CENTS COUPS » DE FRANÇOIS TRUFFAUT (1959)
AU COLLÈGE
Collège au cinéma
Auteur
Chloé Guerber Cahuzac
Date
2009
Descriptif
« LES QUATRE CENTS COUPS »
DE FRANÇOIS TRUFFAUT (1959)
Ce document propose une synthèse de la formation organisée dans le cadre de "Collège au cinéma". Différents thèmes y
sont développés : la Nouvelle Vague, la représentation de l'adolescence, l'analyse de séquence, l'autobiographie...
I- Rappel concernant la naissance de la Nouvelle Vague
a) La Nouvelle Vague et le cinéma français de l’époque
L’expression « Nouvelle Vague » vient d’une enquête lancée par « l’Express » en collaboration avec l’IFOP sur la nouvelle
jeunesse en 1957. L’enquête publiée entre octobre et décembre 1957 a pour titre : « La nouvelle vague arrive ».
L’expression sera ensuite reprise par les journalistes pour qualifier l’émergence d’un nouveau mouvement
cinématographique initié principalement par François Truffaut, Jacques Rivette, Eric Rohmer, Jean-Luc Godard et Claude
Chabrol.
Suite au grand succès des Quatre cents coups (François Truffaut reçoit la palme de la meilleure mise en scène à Cannes
en 1959), ces jeunes réalisateurs font l’objet de toutes les attentions : ils sont tantôt encensés tantôt critiqués. En effet, ils
prônent une rupture radicale avec le cinéma français en place. Ils rejettent le cinéma appelé « cinéma de qualité » proposé
par leurs aînés. Ils l’accusent de ne pas être en phase avec son époque, de ne pas donner à voir la jeunesse telle qu’elle
est, de reposer sur une esthétique surannée travaillée essentiellement en studio.
Parce qu’elle est très hiérarchisée et corporatiste, l’industrie cinématographique ne permet pas à cette jeune génération de
tenter sa chance, d’expérimenter de nouvelles formes (il faut avoir été assistant de nombreuses années avant de réaliser
son premier film) : pour ces nouveaux cinéastes, il s’agit donc de s’imposer. Ils avaient déjà commencé à le faire
auparavant, mais en tant que critiques de cinéma.
b) Des cinéastes d’abord cinéphiles et critiques de cinéma
Dans la France d’après-guerre, la cinéphilie se développe : créations de ciné-clubs, de revues de cinéma, etc. Avant de
passer à la réalisation, les cinéastes de la Nouvelle Vague s’affirment comme des cinéphiles passionnés
Ils écrivent dans plusieurs revues dont les « Cahiers du Cinéma » crée en 1951 par André Bazin et Jacques Doniol-Croze.
Depuis plusieurs années, André Bazin protège et soutient François Truffaut, adolescent aux prises avec une vie familiale
difficile.
En 1954, les deux rédacteurs acceptent de publier un manifeste très polémique de François Truffaut, intitulé « une certaine
tendance du cinéma français ». Le jeune homme âgé alors de 22 ans attaque avec virulence des cinéastes comme Jean
Delannoy, Claude Autant-Lara et surtout les dialoguistes Charles Spaak, Jean Aurenche et Pierre Bost. La remise en cause
du cinéma de qualité commence.
Par la suite, ceux que l’on appellera « les jeunes turcs » vont lancer la politique des auteurs. Ils défendent l’idée que le réel
auteur du film est le metteur en scène (et non le dialoguiste ou le scénariste) et s’intéressent particulièrement au travail de
mise en scène développé par des cinéastes comme Roberto Rossellini, Jean Renoir, Alfred Hitchcock ou Howard Hawks.
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« Ce qui est intéressant dans la carrière d’un bon cinéaste c’est qu’elle reflète sa pensée de ses débuts à sa maturité.
Chacun de ces films marque une étape de sa pensée, il est sans importance que tel film ait du succès ou non. » 1
François Truffaut.
c) Le passage à la réalisation
La réalisation est pour eux le prolongement naturel de leur activité critique. Ils en viennent donc à réaliser leurs premiers
courts-métrages comme Les Mistons (François Truffaut - 1958) ou Tous les garçons s’appellent Patrick (Jean-Luc
Godard, 1957).
Ils passent ensuite au long-métrage avec des films comme Le Beau Serge et Les Cousins (Claude Chabrol - 1959), les
Quatre cents coups (François Truffaut, 1959) ou A bout de souffle (Jean-Luc Godard -1960). Jacques Rivette et Eric
Rohmer réalisent aussi leurs premiers longs-métrages - Paris nous appartient et Le Signe du Lion - mais la sortie de
leurs films sera plus confidentielle. Solidaires dans leur démarche initiale, ces cinéastes ont des styles très différents. Ils
ouvrent la voie à d’autres jeunes réalisateurs et révèlent aussi une nouvelle génération de comédiens : Jean-Claude Brialy,
Bernadette Lafont, Jean-Paul Belmondo, Anna Karina, etc.
« Si l’on ramène la Nouvelle Vague à ce qu’elle était à l’origine : faire un premier film de contenu assez personnel à moins
de 35 ans, eh bien ! Elle a été d’une richesse formidable… »2 François Truffaut.
« La Nouvelle Vague n’avait pas un programme esthétique, elle était simplement une tentative de retrouver une certaine
indépendance perdue aux alentours de 1924, lorsque les films sont devenus trop chers, un peu avant le parlant. » 3
François Truffaut.
Le point commun de ces cinéastes est de faire des films pour un budget correspondant à un tiers d’un budget classique.
Maîtriser la contrainte budgétaire leur permet d’expérimenter plus librement. Il s’agit de tourner vite, en décor extérieur,
avec peu de matériel et des outils légers. Ils ont recours à des caméras légères que l’on peut mettre sur l’épaule comme le
caméflex. Ils utilisent aussi des pellicules ultra-sensibles pour limiter l’éclairage d’appoint. Reste le problème du son : les
caméras légères sont encore trop bruyantes pour pouvoir tourner en son direct. Ces premiers films sont donc souvent
postsynchronisés.
II- La genèse des 400 coups - Autobiographie - Film manifeste sur l’adolescence
Les Quatre cents coups est un film en partie autobiographique sur le plan thématique. Cela dit, François Truffaut est
revenu plusieurs fois sur cette dimension en insistant sur l’authenticité des faits présentés, mais aussi sur la manière dont
il les a mis à distance, dont il les a retravaillés cinématographiquement. Pour prendre du recul par rapport à son histoire et
parce qu’il craignait aussi de ne pas savoir écrire des dialogues justes, il a ainsi fait appel à Marcel Moussy. Celui-ci
animait une émission à la télévision intitulée « Si c’était vous ». Cette émission portait sur des conflits entre parents et
enfants. François Truffaut lui demande donc d’écrire les dialogues des adultes, le texte des enfants naissant plutôt d’un
travail d’improvisation.
Les Quatre cents coups est aussi un film en réaction à un autre film : Chiens perdus sans collier de Jean Delannoy,
(1955). Les dialogues sont de Jean Aurenche et Pierre Bost. Ce film met en scène un juge pour enfants joué par Jean
Gabin. Pour François Truffaut, ce film est un contre-modèle. Il ne donne pas à sentir la gravité des enfants. Il s’agit donc de
le « refaire », mais en plaçant vraiment la figure de l’adolescent au centre du récit.
1 Le Cinéma selon François Truffaut, textes réunis par Anne Gillain, Cinémas Flammarion, 1988, p.73.
2 op.cit, p.62.
3 op.cit, p 63.
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Le cinéaste s’inspire de Roberto Rossellini (Allemagne Année zéro, 1947) et, dans un registre très différent, de Jean Vigo
(Zéro de Conduite, 1933).
Le film est aussi très fortement marqué par la rencontre du cinéaste avec Jean-Pierre Léaud. Ils retravailleront ensemble à
plusieurs reprises.
III- Analyse d’extraits
A travers l’analyse de plusieurs extraits, revenons sur l’opposition centrale dans le film entre temps d’enfermement / temps
de liberté.
Extraits choisis4 :
• Chap 5 : Espaces étouffants - Antoine seul dans l’appartement - Arrivée de sa mère.
On note que les espaces sont très étroits. Le choix du scope accentue cette étroitesse. Il suffit de faire des panoramiques
assez courts pour passer d’une extrémité à l’autre de la pièce. Si le scénario décrit une multitude d’actions (allumer le
poêle, s’essuyer les mains sur le rideau, prendre de l’argent, le compter, etc.), elles nous sont en fait montrées en un seul
plan séquence (avec des panoramiques). Pas de gros plans sur un détail ou une expression, on suit le personnage en plan
large dans ses actions quotidiennes. François Truffaut accompagne ses personnages avec la caméra, parfois il reste en
plan fixe sur eux, mais sans nécessairement se rapprocher d’eux.
Il ne découpe pas les conversations en champ / contrechamp classique. Lorsque le fils et la mère se parlent, on reste sur
l’enfant et on entend la mère qui est dans une autre pièce ou bien l’inverse.
• Chap 19 : Travail sonore en postsynchronisation - La famille rentre du cinéma.
C’est un moment de joie pour les Doinel. Que l’on soit loin de la voiture ou près d’elle, les rires semblent aussi forts. Le
traitement sonore n’est pas réaliste, il s’agit avant tout de donner à voir une image du bonheur. Le plan montrant la mère et
le père avec l’enfant au milieu sur le siège arrière se présente ici comme une carte postale de la famille heureuse.
• Chap 21 : Espaces ouverts - Découverte de l’appartement de René - Promenade dans Paris avec René
Antoine découvre d’abord avec stupéfaction le cheval dans la chambre de René. Le gros plan en contre-plongée sur la tête
du cheval apporte une touche poétique, presque fantastique. On entre ici dans un univers « à la Cocteau ». De là, on passe
à une vue en plongée de la pièce qui est très haute de plafond. Voici un appartement suffisamment grand pour que l’on
puisse le décorer avec un cheval, y avoir des lits supplémentaires, y circuler sans croiser ses parents, s’y cacher sans
peine. Le plan séquence montrant les enfants puis la mère de René prendre de l’argent dans une boîte (avec des
mouvements d’accompagnement qui montrent leur circulation dans cet espace) donne à voir combien la pièce est grande.
• Chap 28 : Le rapport à l’improvisation - L’entretien avec la psychologue.
Cette séquence a été tournée en son direct. Pour conserver les hésitations et les expressions naturelles de Jean-Pierre
Léaud, François Truffaut lui a donné quelques consignes, mais aucun texte précis. Au fur et à mesure de l’entretien,
l’enfant semble prendre de plus en plus de place dans la cadre : il bouge ses mains pendant qu’il parle. Ce temps de
parole semble le libérer.
• Chap 29 : Le champ/contrechamp - La visite de la mère
Cette séquence contraste directement avec la précédente. Le cadre sur l’enfant est plus serré, un peu en plongée. Voici
Antoine Doinel qui ne dit plus rien. Sa mère ne lui pose aucune question, elle le juge et le condamne avec une forme de
jubilation.
• Chap 30 : Vers un espace ouvert - L’évasion
L’évasion commence de manière classique : on voit l’enfant qui s’enfuit puis le surveillant qui le poursuit. Une fois le
surveillant semé, on assiste à un long travelling latéral. Jean-Pierre Léaud court le long d’une route. En arrière-plan, le
paysage change : champs, maisons, bois, etc. Il n’y a aucune musique. Seulement le bruit de cette longue course.
4 Les chapitres correspondent à ceux proposés dans l’édition Eden Cinéma.
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IV- Piste de travail autour d’une séquence
Travail sur l’espace et le cadre dans la première séquence où l’on voit Antoine chez lui et où l’on découvre sa mère (chap
5).
En partant d’un plan au sol de l’appartement des Doinel et d’un extrait du scénario, il pourrait être intéressant de mettre les
élèves dans une démarche de création.
Avant même la projection, on pourrait ainsi les amener à se demander comment ils filmeraient les différentes actions
menées par Antoine dans la salle à manger, ou encore comment ils filmeraient l’arrivée de la mère et le dialogue avec
celle-ci.
Feraient-ils des gros plans sur l’enfant en train d’essuyer ses mains sur les rideaux ou de faire sa punition? Montreraientils la feuille sur laquelle il écrit ? Pour le dialogue, choisiraient-ils le champ contrechamp ? Montreraient-ils la mère dans la
cuisine cherchant la farine ou Antoine allant prendre les mules dans la chambre ? Sur quels éléments insisteraient-ils et
pourquoi ? A chacun d’expliquer son découpage.
Toutes les réponses sont possibles. Ils découvriront les choix de François Truffaut le jour de la projection. On peut déjà leur
faire remarquer que le tournage s’est fait en décor naturel et justement dans un lieu très étroit.
Outils :
Le plan peut être dessiné approximativement en regardant le DVD. Le scénario a été publié dans un ouvrage qui s’appelle «
Les Aventures d’Antoine Doinel » (re-édité par « la petite bibliothèque des Cahiers du Cinéma » en 2001). Cet ouvrage est
aujourd’hui épuisé et uniquement disponible en bibliothèque. Reste qu’une liste des actions d’Antoine dans cette séquence
ou bien des dialogues avec la mère suffit pour réaliser cet exercice. Il s’agit surtout d’amener les élèves à se poser des
questions de mise en scène et de point de vue. Ces questions de cinéma les aideront à s’intéresser à l’esthétique du film le
jour de la projection.
V- Pistes de travail autour d’un plan : Comment filmer un personnage qui se déplace ?5
Travail autour de la séquence d’évasion.
Avant même la projection, on peut demander aux élèves quelles scènes d’évasion ils ont déjà vues au cinéma. Quels
rebondissements peuvent ponctuer une scène d’évasion ?
Après la projection, on pourra revenir sur la fin du film et la manière dont la course de Jean-Pierre Léaud est filmée (choix
du travelling, choix du cadre, durée de la course). Quelles contraintes découlent d’un tel choix de tournage ? Bloquer la rue,
poser des rails pour le travelling...
Le réalisateur a aussi cherché une route derrière laquelle le paysage change au fur et à mesure de la course : il y a donc
eu une phase de repérage importante.
On reviendra sur les autres manières de filmer quelqu’un qui court : en multipliant les axes, les échelles de plans, les lieux
où le personnage court. D’autres contraintes naissent de ces choix.
- Exemple d’une course où le personnage traverse plusieurs paysages (montagne, forêt, etc). Les plans sont plus brefs et
les axes varient à chaque fois. Les différents espaces sont reliés par le montage.
Extrait de Où est la maison de mon ami ? (1987) d’Abbas Kiarostami.
- Exemple d’un plan séquence très compliqué à mettre en œuvre : Delphine se rend chez son prétendant. Plusieurs
figurants la croisent, dansent avec elle, des voitures passent aussi, etc.
Extrait des Demoiselles de Rochefort de Jacques Demy (1967)
5 Ce travail à partir du travelling final des 400 coups apparaissait dans un atelier du service pédagogique de la Cinémathèque Française
intitulé « Le plan ».
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Bibliographie :
Le Cinéma selon François Truffaut, textes réunis par Anne Gillain, Cinémas Flammarion, 1988.
Les 400 coups, Etude critique par Anne Gillain, Synopsis, Nathan, 1991.
Antoine de Baecque et Serge Toubiana, François Truffaut, folio Gallimard, 2001.
François Truffaut, Les aventures d’Antoine Doinel, Ramsay, 1987. Réédité par la petite bibliothèque des Cahiers du Cinéma.
Apparemment épuisé.
Michel Marie La nouvelle vague, collection 128, Armand Collin, 2005.
Emmanuel Siety, Le plan, Cahiers du Cinéma, les petits Cahiers, CNDP, 2001.
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