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monsport
BÉJART BALLET
LAUSANNE
La grâce en plus…
C’EST UNE CHANCE. UN GRAND MOMENT DE BONHEUR. A QUELQUES ENCABLURES DU LAC LÉMAN, ALLER
À LA RENCONTRE DE CEUX QUI ONT « LA DANSE CHEVILLÉE AU CORPS ». ILS SONT VENUS DES QUATRE COINS
DU MONDE POUR EXERCER ICI LEUR DON, LEUR SPORT, LEUR SACERDOCE. ET ENTRETENIR LA MÉMOIRE
D’UN VISIONNAIRE : MAURICE BÉJART. TOUS SONT HABITÉS PAR LA GRÂCE, CE DÉLIÉ DU MOUVEMENT, CETTE
INTELLIGENCE DU GESTE QUI LES PORTENT BIEN AU-DELÀ DES MONTAGNES. CES HOMMES ET CES FEMMES NOUS
INTRIGUENT AUTANT QU’ILS NOUS FASCINENT. C’EST DANS LE SAINT DES SAINTS - CHEMIN DU PRESBYTÈRE
(TOUT UN SYMBOLE !) - QUE NOUS A REÇUS GIL ROMAN, LE DIRECTEUR ARTISTIQUE DU BÉJART BALLET LAUSANNE.
par Denis ASSELBERGHS
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Voilà le genre de vérité que nul ne
niera : dans les années ’60, Béjart a
métamorphosé la danse. Il l’a rendue plus physique, plus dynamique, plus sensuelle. A Bruxelles,
avec le Ballet du XX e Siècle, il a
époustouflé la terre entière en
créant le Boléro, Roméo et Juliette,
le Sacre du Printemps, l’Oiseau de
Feu… Assurément un immense
chorégraphe qui quittera la capitale de l’Europe en 1987 pour s’installer en Suisse et poursuivre avec
les siens l’œuvre entamée trois
décennie auparavant. La suite,
c’est encore du succès et des centaines de représentations sur tous
les continents. En novembre 2007,
la maladie emportera le Maître.
Mais sa compagnie lui survivra.
Depuis, elle perpétue son œuvre
sous la conduite de Gil Roman,
danseur français que Maurice
Béjart avait mis à l’affiche pendant
autre métier ? Sans doute, mais
qu’il exerce en totale communion
avec ceux et celles qu’il a choisi pour
« faire la route » : ce parcours
d’excellence qui fut le sien pendant
si longtemps et dont il parle si bien.
Gil Roman, ce n’est pas un
secret : vous êtes né en 1960,
vous aurez donc bientôt
52 ans*. Or, ce matin, vous
faisiez la classe parmi vos
danseurs. Les mêmes exercices
qu’eux, au même rythme,
comme si le temps n’avait
aucune prise sur vos
articulations.
- Pourtant je vous promets que je
ne suis pas éternel (rire), mais j’ai
besoin de cette mise en action
quotidienne. Sinon je me sens mal,
sans doute parce qu’après tant
d’années, c’est devenu une sorte
de conditionnement.
conscience de ce qu’il faut faire. Avant,
on s’échauffait à peine. Maintenant,
c’est un must. On a compris qu’il faut
boire beaucoup, que l’organisme en a
besoin pour récupérer… toute chose
qu’on ignorait encore joyeusement à
l’époque de mes débuts.
C’est très impressionnant de vous
observer pendant les répétitions.
Cette précision chirurgicale, cette
exigence envers vous-même. Mais
franchement, à s’entraîner chaque
jour et répéter mille fois le même
enchaînement, on ne finit pas par
éprouver une certaine lassitude ?
- Non, c’est notre langage et notre
besoin. J’ai sincèrement le sentiment qu’on est plus intelligent
après une barre qu’avant. Même si
ça requiert beaucoup de discipline,
on n’en souffre jamais. Du moins
mentalement, car physiquement,
c’est une autre histoire.
Gil Roman et quelques-uns de ses danseurs
dans les installations du Béjart Ballet Lausanne.
plus de 30 ans parmi d’autres
étoiles dont Jorge Donn et Paolo
Bortoluzzi. D’une longévité impressionnante, Roman fut couronné en
2005 et 2006 par les Danza et
Nijinsky Awards, avant de se voir
décerner en 2011 « Il Premio
Internazionale Giuseppe Di Stefano »
pour l’ensemble de sa carrière.
Depuis la disparition de son mentor, ce Montpelliérain est passé de
l’autre côté de la rampe pour diriger le Béjart Ballet Lausanne. Un
Mais il y a l’usure, la fatigue
musculaire, la perte d’explosivité. Dans l’univers du sport,
les champions sont éphémères.
Pas dans la danse ?
- Si, bien sûr, mais tout a beaucoup évolué pour justement nous permettre de
nous ménager. Ou, du moins, de ne pas
nous brûler trop vite. Les sols se sont
améliorés, les tenues aussi. Entre les
pointes du siècle passé (sic) et celles que
nous chaussons aujourd’hui, c’est le jour
et la nuit. Puis il y a une plus grande
Maurice Béjart a projeté la danse dans
une nouvelle dimension. Après tant
d’années, la plupart de ses chorégraphies
gardent une formidable modernité.
C’est notre langage
et notre besoin.
Même si ça requiert
beaucoup de
discipline, on n’en
souffre jamais.
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Dans le sport de haut niveau,
on s’économise pour durer.
Performer n’est pas une
constante, on programme
l’exploit. Mais dans la danse,
il y a l’œil des spectateurs qui,
chaque soir, attendent de
vous le maximum. N’est-ce
pas là toute la difficulté ?
- On ne peut effectivement pas
danser au rabais, ce serait une
injure au public, je vous l’accorde !
Mais il n’empêche qu’il faut se préserver. Ne pas se cramer, puis se
demander le lendemain comment
faire pour se remettre d’aplomb et
On ne peut pas danser
au rabais, ce serait une
injure au public. Mais
il faut se préserver. Ne
pas se cramer, puis se
demander le lendemain
comment faire pour
se remettre d’aplomb.
Ça ne fonctionne pas
comme ça.
être à nouveau 5 sur 5 à la prochaine représentation. Ça ne fonctionne pas comme ça.
Quelle est la recette ?
- En faire beaucoup sans en faire
trop. Ce n’est pas qu’une jolie formule. Il faut s’entretenir, apprendre à écouter son corps et parvenir
à s’entendre avec ses douleurs
pour mieux les canaliser.
En adaptant sa technique ?
- On peut. Mais la technique est
ce qu’elle est. Il faut la respecter
pour soi et pour les autres. Car le
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ballet est une entreprise collective
où, entre les danseurs, tout doit
être parfaitement en place. Donc,
je dirais plutôt qu’il faut totalement maîtrisée la technique et y
mettre beaucoup de rigueur. C’est
la meilleure méthode - et peutêtre la plus honnête - pour garder
un niveau constant.
Pour se libérer aussi ?
- Exactement. Un artiste, quel qu’il
soit, ne peut pas être prisonnier de
sa technique s’il veut transmettre
ce qu’il a en lui. Pour ça, le technique doit être sans faille et n’être
que le support de l’expression.
Comment vous débrouillez-vous
avec vos existences très
organisées pendant les tournées ?
A Lausanne, vous avez vos
repères, tout est étudié pour vous
permettre de vous concentrer sur
la danse. Mais quand vous
débarquez à Tokyo ou Bogota,
le timing idéal d’une journée
n’est sans doute jamais
respecté, même si la classe,
l’échauffement et les répétitions
sont des incontournables ?
- C’est précisément parce que ce
timing doit être respecté que la
logistique ne s’improvise pas. Ou
qu’elle soit, la compagnie s’y
retrouve très vite. Tout se fait naturellement. C’est presque devenu
un point de détail.
La technique est
ce qu’elle est. Il faut
la respecter pour
soi et pour les autres.
Car le ballet est une
entreprise collective
où, entre les danseurs,
tout doit être
parfaitement en place.
Chaque année, la Belgique
croise votre chemin via le
« Béjart Festival ». Vous avez
gardé des attaches à Bruxelles ?
- J’ai dansé à La Monnaie de 1979
à 1987. Chaque fois que je reviens
à Bruxelles, c’est tout un passé qui
remonte. Le Ballet du XXe Siècle a
frappé les esprits. Ceux qui ont
connu cette période en gardent
des souvenirs incroyables.
Il y avait dans la troupe des
personnalités d’une telle force.
Ça devait parfois poser des
problèmes…
- Il n’est effectivement pas simple
de mener des hommes et des
femmes qui ont un ressenti très
puissant et très passionnel, puisque
définitivement la danse est bien
plus qu’un métier. Mais Béjart s’est
toujours servi de cette vie de
troupe. Il puisait chez les uns des
traits de caractère qui servaient aux
autres. Et souvent ça prenait, sauf
quand l’égo était trop envahissant.
La guerre des égos, c’est le ver
dans la pomme, le plus grand
danger pour le directeur artistique que vous êtes ?
Pas vraiment. Quand la chorégraphie est belle et quand les danseurs
sont bons, vient un moment où
toutes ces sottises s’arrêtent. Il y a
quelque chose au-dessus de nous
qui nous élève. Le reste n’est plus
que bavardage.
(*) Interview effectué
en octobre 2012.

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