Le pseudo-hermaphrodisme féminin. A propos d`une

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Le pseudo-hermaphrodisme féminin. A propos d`une
Médecine d’Afrique Noire
Juin 2015
1ère Revue Médicale Internationale Panafricaine
Le pseudo-hermaphrodisme féminin
A propos d’une observation et revue de la littérature
1. Sce gynécologie
obstétrique, institut
d’hygiène sociale de
Dakar, Sénégal
2. Sce urologieandrologie, hôpital
général de Grand Yoff,
Sénégal
MM NIaNG¹, L. NIaNG², W. KaLaI¹, SM GuEYE², CT CISSE¹
Résumé
Le pseudo-hermaphrodisme féminin (PHF) est l’expression d’une anomalie de la différenciation sexuelle
durant la vie fœtale, aboutissant à une virilisation du sinus uro-génital et des organes génitaux externes
chez un fœtus de sexe féminin par une hyper androgénie relative maternelle ou fœtale d’origine endogène ou exogène. La cause la plus fréquente est l’hyperplasie congénitale des surrénales. La prise en
charge doit être précoce pour être efficace. Elle associe un traitement médical, un traitement chirurgical
et une psychothérapie de soutien. Les auteurs se proposent, à travers un cas clinique diagnostiqué à
l’Institut d’Hygiène Sociale de Dakar, de faire une revue de la littérature mettant l’accent sur les aspects
étiopathogéniques et thérapeutiques.
Mots-clés :
Pseudohermaphrodisme
féminin, hyperplasie congénitale
des surrénales,
clitoridoplastie,
labioplastie,
vaginoplastie,
psychothérapie
Abstract
Female pseudohermaphroditism. About an observation and review of the literature
Female pseudo hermaphroditism (FPH) is the expression of an abnormal sexual differentiation during
fetal life, resulting in virilization of the urogenital sinus and the external genitalia in a female fetus by
hyper androgenism on maternal or fetal of endogenous or exogenous origin. The most common cause
is congenital adrenal hyperplasia. Care must be early to be effective. It combines medical treatment,
surgical treatment and supportive psychotherapy. The authors propose, through a clinical case
diagnosed at the Institute of Social Hygiene Dakar, make a review of the literature focusing on the
Keywords:
Female pseudohermaphroditism,
congenital adrenal
hyperplasia,
clitoroplasty,
labioplastie,
vaginoplasty,
psychotherapy
etiopathogenic and therapeutic aspects.
Introduction
Le Pseudo-Hermaphrodisme Féminin (PHF) est
vent la cause [1]. Le caryotype est féminin
l’expression d’une anomalie de la différencia-
(46XX) donc le choix du sexe ne se pose pas
tion sexuelle durant la vie fœtale, aboutissant
chez ces patientes et par conséquent la géni-
à une virilisation du sinus uro-génital et des or-
toplastie est réalisée quelle que soit l’intensité
ganes génitaux externes chez un fœtus de
de la masculinisation initiale.
sexe féminin par une hyperandrogénie relative
maternelle ou fœtale d’origine endogène ou
Les auteurs se proposent, à travers un cas cli-
exogène.
nique diagnostiqué à l’Institut d’Hygiène Sociale
Il est considéré comme la plus fréquente des
de Dakar, de faire une revue de la littérature
ambiguïtés sexuelles et l’hyperplasie surréna-
mettant l’accent sur les aspects étiopathogé-
lienne congénitale virilisante en est le plus sou-
niques et thérapeutiques.
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Photo n°1 : Vue de face
Observation
Mme N, âgée de 20 ans, nulligeste, mariée, est
adressée par un confrère pour une ambigüité
sexuelle. La pathologie a été découverte à la
naissance et à l’âge pubertaire, les signes de
la virilisation se sont accentués (clitoris hypertrophié, péniforme), occasionnant chez elle
d’importants désordres psychologiques. Nous
l’avons reçu deux mois après son mariage pour
une prise en charge. Elle est sans antécédents
pathologiques particuliers avec des menstruations régulières depuis l’âge de 15 ans. Elle a
un poids à 62 kg pour une taille de 1m 79 soit
un indice de masse corporelle (IMC) à 19,37.
Le morphotype est androïde avec une pilosité
Photo n°2 : Vue de profil
pubienne losangique associée à une hypertrichose et un rapport ceinture scapulaire/ceinture pelvienne positif.
Les seins sont bien développés et symétriques
et la voix est féminine (photos n°1 et 2).
a l’examen gynécologique on objective une hypoplasie des petites lèvres, une hypertrophie
péniforme du clitoris qui mesure 4 cm et une
confluence pathologique urétro-vaginale.
Les examens complémentaires montrent une
élévation du taux plasmatique de la 17 hydroxy-progestérone alors que les 17 cétostéroïdes et 17 hydroxy-corticostéroïdes urinaires
sont normaux. Le caryotype est de type féminin, 46 XX. L’échographie pelvienne a objectivé
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la présence d’un utérus normal, de deux
ovaires d’échostructure et de taille normale et
d’un hématocolpos de faible abondance.
tion des orifices vaginal et urétral associée à
une labioplastie (photos n°3 et 4).
Les suites opératoires étaient simples et la pa-
La cœlioscopie exploratrice a mis en évidence
des annexes macroscopiquement saines et a
permis de réaliser une biopsie gonadique dont
l’examen anatomo-pathologique confirmait la
nature ovarienne.
Il s’agit d’un PHF type III de Prader (vagin
abouché à l’urètre, lui-même abouché à la
base d’un organe péno-clitoridien). La patiente
a bénéficié d’une clitoridoplastie avec séparaPhoto n°3 : Clitoris péniforme (avant la chirurgie)
tiente déclare avoir repris une vie sexuelle plus
ou moins normale gênée au début par une
dyspareunie superficielle ayant disparu par la
suite.
Discussion
Le PHF est une affection relativement rare
dont la prévalence varie en fonction de la définition de 0,1 à 2% [2]. Il réalise un état intersexué dans lequel des sujets de sexe génétique féminin (46 XX), ayant des ovaires normaux, présentent une masculinisation des
organes génitaux externes le plus souvent secondaire à une virilisation anténatale [3, 4].
L’hyperplasie congénitale des surrénales en est
Clitoris péniforme
la cause la plus fréquente [5] mais l’excès androgénique peut également avoir comme origine la présence d’une tumeur virilisante chez
Hypoplasie
des petites
lèvres
la mère ou un traitement androgénique administré pendant les premiers mois de grossesse.
Hyperplasie congénitale des surrénales
L'hyperplasie congénitale des glandes surré-
Photo n°4 : Vulve normale (après la chirurgie à J20)
nales est une affection de nature héréditaire
caractérisée par une augmentation de volume
des surrénales et une production excessive
d'androgènes. Trois déficits enzymatiques surrénaliens sont responsables d’hyper-androgénie chez la femme. Il s’agit des déficits en
Grandes lèvres
Petites lèvres
21-hydroxylase, 11-hydroxylase et 3 ß-hydroxystéroïde désydrogénase [6,7].
Le déficit en 21-hydroxylase est à l’origine de
95% des hyperplasies congénitales des glandes
Orifice vaginal
surrénales et 90% des cas de PHF. L’absence
de cette enzyme entraîne dès la période fœtale
une accumulation de la progestérone et de la
17-OH progestérone et une diminution de la
synthèse de l’aldostérone et du cortisol. Il en
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résulte un excès de synthèse des androgènes
Il s’agit du déficit en 11-hydroxylase qui, dans
et une virilisation d’importance variable des or-
sa forme classique, associe un syndrome de vi-
ganes génitaux externes du fœtus féminin [5].
rilisation et une hypertension artérielle. En
Nous avons noté chez notre patiente une élé-
effet, l’accumulation des précurseurs en amont
vation du taux plasmatique de la 17 hydroxy-
du bloc enzymatique, notamment l’aldostérone
progestérone.
et la 17-OH progestérone, est responsable
Sur le plan clinique, il existe deux formes es-
d’une part de l’hypertension artérielle et d’au-
sentielles : la forme à révélation précoce ca-
tre part de l’hyper-androgénie [6]. Le déficit
ractérisée par un syndrome de perte de sel par
en 3 ß-hydroxystéroïde désydrogénase quant
absence complète de l’enzyme et pouvant oc-
à lui est rare dans sa forme classique, excep-
casionner le décès de l’enfant et la forme à ré-
tionnel voire inexistant dans une authentique
vélation tardive dans laquelle l’activité enzy-
forme tardive.
matique est réduite à 30% de la normale. En
fonction de l’importance de l’hyperandrogénie,
Hyperandrogénie maternelle
PRaDER a décrit 5 stades cliniques [3] :
• Stade I : hypertrophie clitoridienne ;
Les tumeurs virilisantes de la femme, de sur-
• Stade II : hypertrophie clitoridienne et fusion
venue assez rare en cours de grossesse sont
des grandes lèvres ;
• Stade III : clitoris péniforme et sinus uro-gé-
responsables d’une anomalie de la différenciation sexuelle [5]. Il s’agit de tumeurs souvent
malignes dont le signe d’appel est l’apparition
nital ;
• Stade IV : le sinus s’ouvre par un orifice
brutale d’un hirsutisme généralisé et intense.
punctiforme à la base d’un clitoris péniforme ;
De même, certaines classes médicamenteuses
• Stade V : la différenciation masculine est
comme les stéroïdes anabolisants, les proges-
complète avec des replis labio-scrotaux plis-
tatifs de synthèse, les anticonvulsivants, les
sés, l’orifice urétral est à l’extrémité d’un
analogues de l’aCTH et la métopirone, admi-
péno-clitoris.
nistrées à la mère pendant les premiers mois
de grossesse sont susceptibles de masculiniser
L’échographie pelvienne confirme la présence
les organes génitaux externes d’un fœtus fé-
d’organes génitaux internes de type féminin
minin.
dont la morphologie et l’échostructure sont
Enfin, l’hirsutisme idiopathique est incriminé
normales. L’hystérosalpingographie précise la
dans la survenue du PHF. Il est caractérisé par
conformation des voies génitales et la cœlio-
une hyper androgénie clinique sans troubles
scopie permet d’explorer la cavité pelvienne et
menstruels et ovulatoires, ni hyper androgénie
de faire une biopsie des gonades afin d’en pré-
biologique. Il ne s’agit pas d’une hyperproduc-
ciser la nature.
tion d’androgènes actifs mais d’une hypersen-
L’étude du caryotype de la patiente complète
sibilité cutanée aux androgènes sécrétés à
les investigations cytogénétiques. Chez notre
taux normaux.
patiente, l’échographie pelvienne était normale, l’examen histologique était en faveur
Prise en charge
d’un tissu ovarien et le sexe génétique était féminin (46 XX).
L’objectif de cette prise en charge est de faire
Hormis le déficit en 21-hydroxylase, d’autres
concorder au mieux le sexe génétique et le
déficits enzymatiques ont été décrits dans la
sexe anatomique. Elle associe un traitement
littérature comme étant une cause du PHF.
médical, un traitement chirurgical et une psy-
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chothérapie de soutien.
La prise en charge médicale dépend essentiellement de l’âge mais également de l’étiologie.
Elle vise à restaurer un fonctionnement normal
des glandes surrénales et à prévenir les manifestations tardives de la maladie à type de puberté précoce, d’arrêt de la croissance et
d’épisodes graves de déshydratation.
Chez l’enfant, l’hydrocortisone est prescrite à
des doses modérées : 10 mg par jour avant
2 ans, 20 mg par jour entre 2 et 6 ans et
30 mg par jour au-delà de 6ans.
Chez l’adulte et dans les formes à révélation
tardive comme ce fut le cas de notre patiente,
l’action thérapeutique est essentiellement frénatrice de la sécrétion d’aCTH par l’administration d’une dose modérée d’hydrocortisone
(30 mg par jour) ou de déxaméthasone (0,5 à
1 mg par jour) [5].
La réparation de l’anomalie des organes génitaux externes relève d’une intervention chirurgicale. Elle doit être précoce et décidée au sein
d’une équipe multidisciplinaire regroupant endocrinologues, gynécologues, chirurgiens, biologistes moléculaires et biochimistes hormonaux. Le geste chirurgical peut comporter :
• une clitoridoplastie par réduction de l’hypertrophie clitoridienne en préservant la sensibilité et les possibilités théoriques d’érection. C’est l’intervention de Spence et allen
qui consiste en une exérèse partielle de la
portion accolée des corps caverneux avec
conservation et réimplantation du gland,
• une labioplastie permettant de reconstituer les grandes lèvres par translation des
bourrelets génitaux. Les petites lèvres souvent absentes dans le PHF peuvent être
créées à partir de l’excès du fourreau cutané
clitoridien (nymphoplastie),
• une vaginoplastie visant à créer un néovagin dont l’orifice est séparé du méat urétral.
La psychothérapie de soutien est une composante essentielle du traitement et intéresse
aussi bien la patiente que son entourage [8].
Conclusion
Le pseudo-hermaphrodisme féminin est une
pathologie endocrinienne dont la traduction clinique est une anomalie des organes génitaux
externes responsable de perturbations psychologiques importantes.
Son diagnostic précoce et sa prise en charge
adéquate au sein d’une équipe pluridisciplinaire permettent d’obtenir une puberté et une
croissance normales, de même qu’une restauration parfaite aussi bien sur le plan anatomique que fonctionnel des organes génitaux
externes.
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