institutions juridictionnelles

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institutions juridictionnelles
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 1
ANNEE UNIVERSITAIRE 2009-2010
INSTITUTIONS
JURIDICTIONNELLES
EXTRAITS DU COURS de Mr PASCAL LABBEE
INSTITUT DU DROIT ET DE L’ETHIQUE
UNIVERSITE DE LILLE II
AVERTISSEMENT : CE COURS POLYCOPIE EST A L’USAGE DES ETUDIANTS DE
L’UNIVERSITE DE LILLE II - IL A ETE ETABLI POUR LEUR FACILITER LE TRAVAIL
DE REVISION ET N’A D’AUTRE FINALITE .
UN CERTAIN NOMBRE DE DEVELOPPEMENTS N’ONT PAS ETE INTEGRÉS POUR
LIMITER LE POLYCOPIE AUX DOMAINES A REVOIR POUR L’EXAMEN
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 2
INTRODUCTION GÉNÉRALE
A quoi sert la règle de Droit ?
On dit habituellement que le droit est “un ensemble de règles destinées à assurer
le bon ordre social”. Cette définition classique constituerait la philosophie des
manuels de première année de DEUG. L’expression reflète en fait deux choses. La
règle de droit est l’instrument qui a pour finalité d’assurer le bon ordre social (1) et
qui offre également le moyen de rétablir l’ordre social quand celui ci est troublé (2)
A) LA RÈGLE DE DROIT : INSTRUMENT DE L’ORDRE SOCIAL
On peut avoir de la notion de règle de droit une vision purement instrumentale ou
si l’on veut purement normative au sens où les positivistes l’entendent. La règle de
droit serait la ligne de conduite tracée par l’autorité investie du pouvoir de créer la
norme. C’est cette ligne qu’il convient de suivre lorsque l’on crée une situation
nouvelle ou un rapport nouveau. Si en créant une situation juridique ou un rapport de
droit, j’applique la règle de droit préexistante, je me place alors dans un cadre
régulier (conforme à la règle) normal (conforme à la norme) et sans aucun doute
juste et bon, puisque la norme peut s’inspirer de la règle morale.
La règle de droit aurait donc pour but d’assurer le bon ordre social en fixant la
“droite ligne”. Pourquoi et comment peut-elle atteindre ce but ? Pour répondre à cette
question, il nous faut distinguer trois situations distinctes, correspondant en fait à
trois types de règles.
- La règle de droit peut d’abord concerner les devoirs de la collectivité dans ses
rapports avec l’individu. C’est ici l’étude de la règle de droit public qui devra être
menée : pourquoi la règle de droit public reflète-t-elle le “bon ordre social” ? (1)
- la règle de droit peut ensuite concerner les rapports que les individus
entretiennent entre eux : c’est en général la règle de droit privé qui dicte les droits et
les devoirs que les particuliers doivent avoir avec leurs semblables. Il nous faudra
donc étudier le fondement de la règle de droit privé et se demander pourquoi cette
règle garantit l’équilibre des rapports sociaux (2)
- Enfin, la règle de droit décrit les devoirs que l’individu doit avoir envers la
société : le droit pénal punit celui qui vit en infraction à la règle. Pour quelles raisons
la règle de droit pénal assure-t-elle le bon ordre social ? (3)
1) LA RÈGLE DE DROIT DANS LES RAPPORTS ENTRE LA PUISSANCE
PUBLIQUE ET L’INDIVIDU.
L’équilibre de la vie sociale suppose que la personne investie par la collectivité de
prérogatives de puissance publique est présumée agir nécessairement dans le cadre
de l’intérêt général, l'exécutif appliquant la norme de droit élaborée pour rendre
compte de cet intérêt général.
Trois postulats peuvent être posés :
- l’intérêt général prime l’intérêt privé
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 3
- La règle de Droit public doit respecter nécessairement la norme supérieure qui
traduit un intérêt général plus large
- L’auteur d’une règle de “ droit public” est présumé agir dans le but et dans le
respect de l’intérêt général révélé par la norme supérieure.
a) L’ordre social impose que l’intérêt général prime - hors exceptions - sur
l’intérêt privé. Dès lors que l’on pose un tel principe, la personne publique investie
d’une mission d’intérêt général devra pouvoir passer outre l’intérêt privé contraire. Et
la décision prise s’appliquera nonobstant celui qui alléguerait le bénéfice d’un intérêt
de moindre portée. On admettra alors comme composante de l’ordre social la
primauté de la norme inspirée par l’intérêt général. Seulement cette règle n’a de sens
dans la vie démocratique que dans la mesure où l’acte pris est inspiré par l’intérêt
général...
b) L’ordonnancement des règles de droit public se fait de façon pyramidale... On
parle depuis Kelsen de “hiérarchie de normes juridiques”. En fonction de cette
hiérarchie, l’arrêté doit respecter le décret, qui doit lui même respecter la loi, loi qui
doit être conforme à la Constitution. Mais en fait, en parallèle à cette pyramide de
normes, existe une autre pyramide formée des degrés de l’intérêt en cause. De
l’intérêt national, traduit par la Constitution à l’intérêt général, en passant par l’intérêt
local ou encore celui d’une collectivité, nous constatons l’existence d’une hiérarchie
de degrés dans la notion d’intérêt en cause.Et l’on conçoit que l’intérêt de degré
supérieur étant un intérêt plus général ou plus large que celui d’un degré moindre, le
texte qui en rend compte prime sur la norme de degré inférieur. La hiérarchie des
normes ne se justifie que par l’idée que le texte adopté se doit de respecter l’intérêt
plus général, et donc la norme de degré supérieur qui en rend compte
c) Et l’on peut dès lors poser une première présomption : le “bon ordre social” est
atteint parce que l’acte pris par les représentants de la collectivité est présumé
conforme à l’intérêt général et aux normes supérieures. Nous qualifions cette
première présomption fondamentale de “présomption d’impeccabilité”. Tout acte
administratif est présumé conforme à l’intérêt général, et conforme à la norme dans
laquelle il s’inscrit. Et l’intérêt général, c’est celui qui résulte de la norme supérieure.
Mais évidemment, il ne s’agit que d’une présomption simple.
2) LA RÈGLE DE DROIT DANS LES RAPPORTS ENTRE INDIVIDUS
Mais la règle de droit assure également le “bon ordre” dans les rapports
qu’entretiennent les particuliers entre eux. Pour expliquer le fondement de la règle de
droit privé, l’idée consiste à dire que la norme de droit est faite pour engendrer
l’harmonie dans les rapports entre les hommes. Dans la mesure où la norme de droit
est acceptée et reconnue comme juste, c’est-à-dire comme facteur d’équilibre dans
les rapports sociaux, on admettra que les rapports s’inscrivant dans le cadre de la
norme sont nécessairement équilibrés et justes.
Si on analyse les différentes règles de droit pouvant organiser les rapports entre
individus l’on constate qu’elles sont finalement de trois types :
a) L’ordre public va justifier un certain nombre de règles obligatoires à respecter
dans la création des relations entre individus. Le droit privé connait des règles
contraignantes et impératives. L’ordre public ne permet pas aux particuliers de faire
n’importe quoi dans n’importe quel domaine : l’article 6 du code civil nous rappelle
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qu’on “ne peut déroger par convention à tout ce qui intéresse l’ordre public et les
bonne mœurs”
L’ordre public et ses multiples variantes (ordre public économique, ordre public
social...) les bonnes mœurs - si contestées aujourd’hui dans leur définition - vont
fixer un premier cadre normatif dans les rapports entre individus. La loi s’impose
alors et la situation de fait doit y être conforme. Il est alors logique que ce qui aurait
été décidé par les parties en infraction aux dispositions impératives soit, au nom de
l'intérêt général, déclaré nul ou de nul effet.
b) Mais la règle de droit privé va également poser un certain nombre de postulats
fondamentaux directement inspirés, selon nous, du droit Naturel, et qui forment
autant de présomptions. On présumera ainsi :
- la bonne foi. L’homme serait naturellement de “bonne foi”. On ne voit pas à
vrai dire comment une société pourrait fonctionner sur une idée inverse. L’homme
n’est pas présumé méchant...C’est pourquoi le code civil présume de manière
générale la bonne foi, en rappelant qu’elle sous-tend l’exécution des conventions ,
qu’elle peut justifier l’acquisition des produits d’une chose ou encore qu’elle permet
au possesseur mobilier de se dire propriétaire.
- l’autonomie de la volonté. On présume que l’individu sait ce qu’il fait, et que
son consentement est libre et éclairé.
- la capacité juridique. On présume que l’individu est capable. La capacité et la
règle et l’incapacité l’exception1 .
- l’individu est présumé se comporter en “bon père de famille” quand il crée une
situation juridique. Cette référence donnée par le code civil est récurrente. C’est celle
d’un individu “bon” et doté sans doute du sens de la responsabilité et de la sagesse
puisqu’il est “père de famille”.
- L’équité baigne enfin le droit des contrats comme la notion de justice
commutative et d’équilibre dans les prestations.
- On admettra enfin comme principe moral traduit en règle civile que celui qui
s’enrichit sans cause doit rembourser, ou que l’auteur d’un dommage doit le réparer.
c) Enfin et dans le même esprit, les règles de droit rendent compte de ce qui est
“présumé” être ce qui a été voulu par les individus lorsque ceux ci n’ont pas exprimé
une volonté contraire : et nous rencontrons alors des dispositions dites
“supplétives de volonté”. Les parties n’ont rien indiqué de la règle applicable à la
situation juridique qu’elles créent... Alors la règle de droit va présumer qu’elles ont
voulu inscrire leurs rapports juridiques selon telle règle. Lorsque la loi est supplétive
c’est qu’elle présume en fait de ce qui a été voulu par les parties. Les parties n’ont
pas fait de contrat de mariage : on va présumer qu’elles ont voulu se marier sous le
régime légal.
De l’analyse de la règle de droit privé qui précède nous pourrions dégager le
principe d’une présomption générale d’harmonie entre la situation de fait et l’état de
droit. On présumera de façon générale que les individus entre eux entendent
organiser leurs rapports sur la base d’une norme juste et équitable... que l’individu
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agit de bonne foi, qu’il a un consentement libre, qu’il se comporte comme un bon
père de famille, que celui qui a reçu une somme qui ne lui était pas due va la rendre,
que l’enfant obéit et respecte ses parents... Dans les rapports entre particuliers,
l’harmonie est présumée, ce qui veut dire que l’on présume que les particuliers ont
créé une situation en conformité à la règle de droit. .Nous parlerons en droit privée de
présomption de conformité à la règle, ou encore de présomption d’harmonie.
L’harmonie est préexistante et les règles ci avant posées fixent sur le terrain du droit
de la preuve l’affirmation de cette harmonie. A celui qui soutient que la situation de
fait créée par les parties n’est pas conforme à la règle de droit, d’agir et de prouver
cette non conformité en combattant la présomption.
3) LA RÈGLE DE DROIT DANS LES RAPPORTS OPPOSANT L’INDIVIDU
A LA COLLECTIVITÉ
Il existe un troisième fondement à la règle de droit et à l’ordre social. Lorsque la
norme oblige le particulier à adopter tel comportement sous peine de sanction, la
norme décrit les devoirs de l’individu envers la Société. On va présumer que
l’homme qui vit en société a un comportement en adéquation avec la norme sociale.
On présume donc que chaque individu est innocent de toute atteinte au pacte social...
La règle de droit fixe ici la norme de comportement de l’individu au sein de la
collectivité. C’est le droit pénal qui, en fixant les peines applicables aux
comportements contraires au pacte social, définit les agissements coupables et ceux
qui ne méritent pas sanction. Le code pénal qui n’interdit pas un acte (ce n’est pas le
Code Pénal qui dit “tu ne tueras pas”) mais qui prévoit la peine applicable à son
auteur, affirme par là même le principe de l’innocence de l’individu tant qu’il n’y a
pas eu condamnation. Tant que l’individu n’est pas condamné, il est présumé
innocent.
On partira ici encore d’une présomption fondamentale : celle de l’innocence de
l’individu. La présomption d’innocence dit que l’individu non condamné est
exempt de toute faute ou de tout manquement au pacte social.
Nous retenons donc l’existence de trois présomptions qui peuvent servir de
fondement, d’explication à l'équilibre des rapports harmonieux de la vie sociale :
-La présomption “d’impeccabilité” de l’acte pris par la personne investie de
prérogatives de puissance publique.
-La présomption de conformité de la situation de fait à la norme de droit dans les
rapports de droit privé.
-La présomption d’innocence attachée au comportement de l’individu dans la vie
sociale.
Mais nous avons dit que ces trois présomptions sont simples : si l’une de ces
présomptions est remise en cause, à l’occasion de tel acte ou de tel fait, apparaît alors
la contestation et partant le litige. On peut parfaitement concevoir que ce litige
prenne fin naturellement, par la reconnaissance du bien ou du mal fondé de la
contestation par l’une ou l’autre des parties en litige. L’administration peut retirer un
acte litigieux, une transaction peut intervenir entre particuliers, le contrevenant peut
accepter de payer une amende forfaitaire. On peut concevoir également que l’une des
parties renonce au droit d’agir.
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Mais l’on peut concevoir également que le litige se perpétue... L'équilibre naturel
découlant de l’effet de telle ou telle présomption est alors brisé. Il importe, pour que
l’harmonie soit rétablie, que soit apprécié le caractère bien ou mal fondé de la
contestation de la présomption en cause. Pour que l'appréciation du bien fondé de
cette contestation ne puisse être à son tour remise en question, il conviendra qu’elle
soit donnée de façon éclairée et en sagesse, par une autorité investie du pouvoir de“
juger”. Cette autorité “rendra” la justice, comme on rend quelque chose qui est due...
et l’harmonie des rapports sociaux sera ainsi rétablie et tout rentrera “dans l’ordre”.2
Pour que cette harmonie soit rétablie, pour que la contestation soit tranchée, pour
que la conformité de la situation de fait à la norme de droit réapparaisse, il faudra
concevoir que le litige soit élevé devant l’autorité à même de l’apprécier, qu’un
certain processus soit suivi, de façon qu’il soit acquis que la décision rendue l’a été
en sagesse, et que la solution dégagée puisse s’imposer, éventuellement par force, à
ceux qui étaient en litige.
La règle de droit qui poursuit comme finalité d’assurer le bon ordre social, offre
également le moyen de rétablir cet ordre lorsqu’il est troublé.
B) LA RÈGLE DE DROIT MOYEN DE RÈGLEMENT DES CONFLITS
A quoi servirait la règle de droit si son manquement ne pouvait être sanctionné? Si
telle ou telle personne ne respecte pas la règle de droit apparaît alors une certaine
forme de trouble à l’ordre social et des lors doit apparaître nécessairement la
possibilité de faire sanctionner le manquement pour retrouver l’état de droit, et
rétablir l’ordre ;
Nous pourrions concevoir que la règle de droit engendre elle même sa propre
sanction, c’est à dire qu’elle précise le moyen de faire sanctionner le non respect.
Nous pourrions peut-être trouver quelques illustrations en droit civil avec l’exception
non adimpleti contractus (“Tu n’exécutes pas ton obligation. Des lors je peux être
moi même libéré de l’obligation contrepartie si le juge a constaté ton inexécution”)
ou encore avec le droit de rétention. En droit pénal nous pourrions citer le cas de
l’immobilisation immédiate du véhicule du contrevenant.
A l’opposé, nous pouvons rencontrer des conflits dont le règlement échappe aux
normes de droit. C’est par exemple le droit de grève. La grève est un conflit collectif
du travail, dont la solution échappe en large part aux critères de droit et aux
tribunaux...! A l’opposé encore, nous pouvons également imaginer des modes de
règlement amiable des litiges par le recours à un tiers arbitre, un médiateur ou un
conciliateur.
Mais dans l’immense majorité des cas l'effectivité de la règle de droit sera assurée
par le recours aux Tribunaux chargés de dire le “droit” et donc d’assurer à la fois le
respect de la règle et son application. C’est donc le recours à justice qui permettra de
rendre effective la règle de droit.
Si l’on me conteste un droit - si je suis en conflit avec quelqu’un - ma démarche
sera de rechercher quelle autorité est à même de se saisir de mon litige, de l’analyser
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et de dire qui, de moi ou de l’autre, a le droit ou qui a raison sur l’analyse de la règle
de droit, et partant de trancher mon litige.
Il faut également que l’analyse du litige soit faite dans des conditions telles que la
décision elle même apparaisse œuvre de justice, et soit ressentie comme telle.
Il faut enfin que la décision rendue puisse être mise à exécution de façon que
cesse la situation de litige et que la situation de fait soit remise en conformité avec la
norme de droit.
Ce processus de règlement du litige juridique impose évidemment que soient
mises en place à la fois des institutions reconnues, habiles et habilitées à dire le Droit.
Et pour que la décision soit ressentie comme œuvre de justice devront nécessairement
être mises en place des procédures garantissant le plus large débat de façon que la
décision soit elle même éclairée et œuvre de “ Bonne Justice”. Le rôle du Magistrat
n’est pas seulement de trancher le litige, mais il est surtout de rendre une décision
juste et éclairée. Cela suppose un processus, une forme de dialectique judiciaire où
chacun des justiciables sera, avec des droits garantis, partie au procès.
L’étude de l’ensemble de ces mécanismes forme le domaine du DROIT
JUDICIAIRE. Celui ci recouvre les matières suivantes :
- la procédure pénale
- Le Contentieux Administratif.
- La procédure civile
a) Lorsqu’est remise en cause la présomption d’innocence, et qu’il est donc
allégué qu’un individu a manqué au pacte social en ayant commis une infraction, le
procès se déroulera selon un processus particulier s’inspirant de trois grandes idées :
- D’abord, l’action sera engagée par les représentants de la collectivité contre celui
qui a manqué au pacte social.
- Ensuite, il faudra que tout soit mis en œuvre pour que soit révélée la vérité la
plus objective et la plus complète possible sur les faits à l’origine des poursuites.
C’est pourquoi l’on instruira “à charge et à décharge”.
- Enfin un certain nombre de garanties seront données à la personne poursuivie
présumée innocente (respect des droits de la défense, le doute bénéficiant à la
personne mise en examen). La décision éventuelle de condamnation doit avoir de son
côté à la fois pour but la sanction de la faute mais encore une fonction sociale de
réadaptation ou de traitement. Tout cela forme l’objet de la procédure pénale.
b) La procédure administrative (dans le cadre du contentieux dit de la légalité)
dans laquelle est remise en cause la “présomption d’impeccabilité de l’acte
administratif” s’inspire de règles différentes :
Initialement, l’acte est présumé conforme à l’intérêt général. On comprend donc
qu’il s’exécute alors même qu’il y aurait contestation. On comprend donc également
que la contestation doive être élevée dans un délai bref.
De la même façon il faudra, pour celui qui conteste la légalité de l’acte, apporter
la démonstration que l’acte n’est pas conforme à l'intérêt général - c’est à dire qu’il
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n’est pas conforme à la norme de droit - ou à une norme de droit supérieure. Le
contentieux de la “légalité” engendrera donc essentiellement un débat de droit
c) Enfin le contentieux privé, traduisant la remise en cause de la présomption de
conformité de la situation à la norme, aura vocation à régler tout un ensemble de
litiges opposant des personnes entre elles. Et l’immense variété des sources du Droit
Privé engendrera des mécanismes varies - des contentieux varies - un éclectisme au
niveau des juridictions. Les intérêts en cause étant plus personnels nous aurons
l’image d’un procès qui devient “l’affaire des parties”.
Mais nous retrouverons dans chaque type de procès un certain nombre de
constantes :
Au départ nous avons un litige qui se transforme en procès par le biais d’une
ACTION EN JUSTICE ENGENDRANT UN PROCESSUS, de façon à créer les
conditions les plus favorables à une décision éclairée du Magistrat -Engagement du
procès - Principe du contradictoire. Puis viendra le rôle du juge, la mission de juger,
la décision de justice et sa mise à exécution
Cette réflexion sur le droit du procès, “litige juridique, se déroulant devant une
juridiction”, a été proposée par le Professeur Henri MOTULSKY. C’est à lui qu’est
due l’idée d’inclure sous le nom de DROIT PROCESSUEL une synthèse des grands
types de procédures suivies en France. Le droit processuel n’est pas, au sens strict,
une branche du droit objectif si l’on entend cette notion comme un ensemble de
normes. Le droit processuel formerait plutôt une réflexion tirée de la comparaison
des divers types de procédures, visant à l’établissement d’une synthèse entre eux.
Existe-t-il, dans la démarche de règlement des litiges, des données constantes,
quelle que puisse être la cause ou la nature du litige, quelle que puisse être la
présomption remise en cause ? Existe-t-il des techniques de règlement des litiges, des
procédés pour rendre la “meilleure justice possible”, différents ou semblables, selon
les types de contentieux ? Et pourquoi alors ces différences ?
Le terme même de “processuel”, néologisme qui n’appartient à aucune des
réflexions classiques en procédure civile, pénale ou administrative, renvoie beaucoup
plus à un concept qu’à une définition précise. C’est un mélange des termes de
“procédure”, de “processus” permettant d’arriver au règlement du litige, et aussi de
“procès”... Cette recherche de la notion de droit processuel peut être menée à partir
de la réflexion sur un certain nombre de questions.
Par quel processus élève-t-on le conflit pour le transformer en procès ? Quelles
sont les règles qui vont organiser le déroulement du procès ? Comment s’effectue la
recherche de la solution au litige ?
La perspective est de donner la meilleure réponse au litige, celle qui est la plus
juste, la plus équitable. Selon les cas, la justice sera facteur de paix sociale, rempart
de l’ordre public, garde de la légalité, instrument de vérité.
Comment s’effectue le passage de la solution du litige à la remise en conformité
du fait au droit ? Comment passe-t-on DU LITIGE AU PROCÈS (TITRE I) ?
Comment atteindre le concept de “décision juste” quel que soit le type de décision
(de répression, d’annulation, constitutive ou déclarative de droits..) ? Comment
s’analyse, en d’autres termes, la MISSION DE JUGER (TITRE II) ?
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 9
Toute cette réflexion sera finalement la traduction d'une constante recherche de la
notion de " procès équitable" transcendant les différents contentieux Quant y a-t-il
juge impartial ? Quant y a t-il cause entendue "dans un délai raisonnable ? Quant y a
t-il égalité des armes entre les plaideurs ? En un mot quand y a-t-il " bonne justice"
TITRE 1 : DU LITIGE AU PROCÈS
INTRODUCTION : QUELS SONT LES ÉLÉMENTS COMPOSANT LE PROCÈS ?
Peut-on concevoir que tout litige, toute contestation, puisse se transformer en
procès? Le procès suppose la réunion de deux composantes : il faut en premier lieu un
LITIGE pour lequel est revendiquée l’application d’une norme de droit, désignée ou
non (§1). Il faut ensuite que la contestation soit soumise à un MAGISTRAT (§2).
§1) Un litige pouvant servir de support au procès
On ne peut partir de l’idée que toute activité d’un magistrat constituerait une
activité de jugement d’une contestation. Nous verrons qu’une partie de l’activité du
juge s’inscrit dans un cadre d’administration du service public de la justice, ou encore
dans un cadre d’activités purement gracieuses.
Quelles sont les composantes du litige pouvant servir de base au procès ? S’il y a
procès, c’est qu’est émise une PRÉTENTION (A). Le procès n’a de sens, qu’autant
que l’action est guidée par un INTÉRÊT (B). S’il y a litige, c’est que l’intérêt de
celui qui agit s’oppose à un INTÉRÊT CONCURRENT (C), et s’il y a procès, c’est
que le conflit se place sur le terrain de la RÈGLE DE DROIT (D).
A) Une prétention
Dans chaque type de procès il y a une prétention émise, correspondant à la remise
en cause de l’une des trois présomptions rappelées ci dessus. Par exemple, il est
prétendu que telle personne n’est pas innocente, que tel acte administratif n’est pas
licite, que la situation de fait entre personnes privées n’est pas conforme avec l’état
de droit, que tel préjudice n’est par correctement réparé.
a) Dans le cadre des contentieux pouvant exister entre personnes de droit privé,
seuls les litiges supposant l'allégation d’un droit atteint, ou d’une obligation non
respectée, et la contestation ou la dénégation de ce droit ou de cette obligation par
l’autre, pourront se transformer en procès.
Il faut dans ce domaine qu’une prétention soit émise, sur le terrain du droit,
prétention contestée par la personne vis à vis de qui cette prétention est formulée.
Je veux, si je suis demandeur au bénéfice de ce que j’estime être la règle de droit,
faire sanctionner contre mon adversaire qui s’y oppose la dite règle de droit ; je dois
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 10
alors saisir le juge gardien de la règle de droit. Le juge “dira le droit”. Il dira si la
règle de droit est conforme à ma prétention, et il condamnera, pour que soit rétablie
la conformité du fait au droit, ou que soit recréée une situation de fait en conformité
avec l’application de la norme de droit, ou que soit enfin sanctionné le non respect de
la norme. L’idée est identique lorsque l’individu agit contre la personne publique
dans le seul but d’obtenir indemnisation d’un préjudice subi par le fait du mauvais
fonctionnement du service public.
b) Lorsque la collectivité agit contre l’individu, alléguant que celui-ci a manqué
au pacte social et qu’il ne saurait donc plus prétendre au bénéfice de la présomption
d’innocence, la démarche est en fait double :
Il y a lieu, d’abord, d’examiner si au regard d’une vérité la plus objective possible,
qui devra être analysée à partir de toutes les données de fait de quelque partie
qu’elles viennent, la présomption d’innocence joue ou ne joue plus pour la personne
poursuivie. Il y a lieu ensuite, pour le cas où la présomption ne jouerait plus
(l'individu étant alors déclaré coupable de la faute à lui imputée), d’apprécier la
sanction la mieux adaptée, tant en fonction des impératifs sociaux que de la
personnalité de l’individu, et des éléments de la cause.
Il n’y a de procès dans ce domaine qu’autant qu’il y a poursuite de l’infraction
alléguée, dénégation par le poursuivant du bénéfice de la présomption d’innocence
ou aveu de non innocence, et demande de condamnation à une peine.
c) Lorsqu’au contraire l’individu entend agir à l’encontre de la collectivité, ou
d’une décision de tel représentant de cette collectivité, le litige n’existe qu’autant que
l’individu conteste l’acte pris.
Dans l’absolu, on ne peut concevoir de litige direct contre le service public, mais
simplement contre l’acte pris par l’autorité. Le litige ne se concevra, et ne pourra se
transformer en procès, qu’autant qu’il est allégué par l’individu que la décision prise
ne le remplit pas de ses droits, ou qu’elle n’est pas conforme à la norme supérieure.
B) Un intérêt à agir
On pourrait concevoir, lorsqu’il est estimé que la règle de droit n’est pas
respectée, que tout individu ait possibilité d’agir en justice, de façon que soit rétablie
la conformité du fait au droit. Et l’on pourrait penser que chacun a intérêt à
l'effectivité de la règle de droit et donc intérêt à agir, c’est à dire à dénoncer auprès du
juge, gardien du droit, toute situation injuste. Si la règle en cause concerne la
collectivité, qu’elle fait partie du “pacte social” et que l'intérêt en cause est “général”,
on admettra que chacun ait pouvoir de dénoncer la situation injuste auprès de
l’autorité qui représente l'intérêt général. Si je constate une infraction, j’ai le devoir
de la dénoncer.
Mais parfois la norme juridique ne protège que des intérêts privés ou spécifiques.
Et force sera alors d’admettre que la personne non titulaire du droit n’a pas
“d’intérêt” à faire respecter une règle qui ne la concerne pas. Seule la personne
“intéressée” pourra agir.
Nous verrons plus tard les domaines qui concernent l'intérêt général, l’intérêt
collectif ou l'intérêt individuel ; mais d’ores et déjà, il faut noter que la notion de
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 11
contestation, ou de litige sous tendant une prétention, suppose, pour qu’il y ait
possibilité de le transformer en procès, un intérêt à agir pour celui qui entend saisir la
juridiction, et une opposition d’intérêts.
On connait l’adage “pas d’intérêt pas d’action”. La règle, dans les contentieux
entre particuliers, permet de limiter la transformation de litiges en procès aux seuls
cas où est allégué un intérêt patrimonial ou extrapatrimonial à soumettre telle
contestation à un magistrat.
Dans les autres types de contentieux, l’on peut concevoir la même limite. On ne
peut transformer un litige en procès pénal qu’autant qu’existe un intérêt au procès
envisagé. Si le législateur prend un texte d’amnistie, c’est l’affirmation qu’il n’y a
plus d’intérêt à poursuivre. Si la personne inquiétée décède, il n’y a plus d’intérêt à
poursuivre.
Celui qui est en litige peut, selon qu’il estime que cela est ou n’est pas son intérêt,
ou ne correspond pas à l’intérêt dont il est le gardien, décider de transformer ce litige
en procès ; mais on ne peut concevoir de procès qu’autant qu’ ‘existe un intérêt à agir
en justice.
C) Un conflit d’intérêts
Le conflit d’intérêts est également une constante du procès au sens classique du
terme. Si l’adversaire au procès n’oppose aucun intérêt contraire à celui allégué, mais
au contraire acquiesce à la demande présentée, il n’y a pas de véritable litige et donc
pas de véritable procès. Il n’y a donc pas, comme nous le verrons, de véritable “acte
de juridiction”.
D) Une référence à la règle de droit.
Pour qu’il y ait procès, il faut donc une prétention émise, un conflit d’intérêts, et
la volonté de faire trancher la difficulté par le recours à une analyse de la règle de
droit. Le litige ne se transformera en procès qu’autant que la règle de droit en est le
support
On pourrait imaginer que des parties en litige -essentiellement dans les litiges de
droit privé - renoncent à le faire trancher par référence ou par application de la règle
de droit. L’on pourrait ainsi penser à certaines formes d’arbitrage au recours au
médiateur, ou au juge statuant en amiable compositeur, c’est à dire sans que la règle
de droit ne soit la seule référence.
Mais si l’on réserve ces hypothèses très limitées, force est de considérer que la
règle de droit est référence toujours nécessaire
Quelque soit le type de procès, trois composantes formeront la matière de
l’instance : les données de fait ; les données de droit, les procédés de preuve.
Le débat porte sur ce qui est litigieux...Et l’on peut parfaitement concevoir que
telle ou telle composante, admise par chacune des parties ne soit pas débattue.
Le débat peut ne porter que sur les données de fait (le prévenu conteste sa
participation à l’infraction, le conjoint en divorce conteste les griefs allégués par
l’autre. Un salarié est licencié. L’employeur dit qu’il a commis une faute grave. Le
salarié demande des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni
sérieuse. La loi ne donne pas de définition de la cause réelle et sérieuse. Le juge aura
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 12
à apprécier les faits, et à dire si selon lui, ils rentrent dans le concept de faute pouvant
servir de cause à un licenciement. )
Prenons un autre exemple : l’administration commet une faute qui n’est pas
déniée ; l’administré demande réparation ; l’administration n’est pas d’accord sur le
montant. Autre exemple enfin : un contrevenant reconnaît avoir commis la
contravention et demande “l’indulgence” du tribunal). Dans ces situations, le juge
apprécie les faits (nous reparlerons du “pouvoir souverain du juge du fond”) et
regarde s’ils sont suffisamment établis pour être qualifiés et pour que les
conséquences que la loi attache à la qualification puissent être prises. Le débat ne
porte pas sur la règle de droit, mais celle ci sera, comme en tout procès, le fondement
de la décision.
A l’opposé, le litige peut ne porter que sur la seule règle de droit. L’acte
administratif pris est-il conforme à la règle de droit supérieure ? Telle personne mise
en examen prétend que les faits sont amnistiés. Telle autre soutient une analyse
contraire à celle de la jurisprudence dominante reprise par son adversaire... Le rôle du
juge sera alors de “dire le droit” (notion prise alors au sens étroit). Dans ce type de
litige, les faits importent peu ou ne sont pas en litige. La règle de droit fonde à la fois
la cause du litige et son analyse, et le fondement de la solution au procès.
Entre ces deux types de litige apparaît celui où le rôle du juge consiste à apprécier
les faits, à leur donner la bonne qualification, puis à tirer de la qualification retenue
les conséquences que la loi y attache : l’homicide est-il un assassinat, un meurtre ou
le résultat de coups et blessures ayant entraîné la mort ? La responsabilité encourue
est-elle d’origine contractuelle ou délictuelle ?
Nous reverrons ces notions. Si, dans chaque contentieux est demandée une
analyse de la règle de droit, il faut avoir conscience que la mission de juger peut être
à contenu variable.
Il faut aussi avoir en vue que la référence à la règle de droit peut varier selon la
nature du litige proprement dit, selon la nature de la contestation. Nous verrons que
de débat sur de droit peut se placer à différents niveaux...Débat sur la qualification
(Sur quel fondement juridique se place la prétention ?)...Ou débat sur l’analyse de la
règle de droit elle même, et le sens qu’il faut lui donner.
De la même façon encore le débat peut se limiter à dire que l’adversaire n’apporte
pas la preuve ou la preuve suffisante de ce qu’il allègue.
Le débat peut bien sur à l’opposé porter sur plusieurs de ces aspects,
concomitamment
Mais en toute hypothèse et même si la contestation ne porte pas sur la règle de
droit (le délinquant reconnaît par exemple l’infraction, mais fait plaider les
circonstances atténuantes), la règle de droit doit toujours être, pour qu’il y ait procès,
la référence, le support du raisonnement amenant la solution finale ; en matière
pénale la règle “nullum crimen nulla poena sine lege” nous en donne un exemple
flagrant (nous réserverons la notion d’équité à laquelle le code civil renvoie comme
règle ultime, et les développements sur l’intime conviction en matière pénale qui
concernent plus le droit de la preuve que la technique de règlement des conflits).
Il serait envisageable de rechercher une classification des litiges selon la nature de
la contestation émise, selon les intérêts en cause, selon l’opposabilité de la décision à
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 13
intervenir, selon la nature de la contestation, et le degré de contestation, selon la
question posée au juge. Nous retrouverons cette idée lorsque sera examinée la
question de la cause dans le procès.
§2) Un magistrat dans sa mission de juger
Pour que le litige se transforme et soit élevé au rang de procès, encore faut-il qu’il
soit soumis à un organe chargé de DIRE LE DROIT, c’est-à-dire de trancher le litige
par application et par analyse de la règle de droit.
C’est le critère organique du procès. Le procès n’existe qu’autant qu’il y a saisine
d’une JURIDICTION. Au sens étymologique les mots “JURIS DICTIO ” traduisent
le “fait de dire le droit”. Est-ce à dire qu’il y a procès, dès lors qu’une juridiction (au
sens organique du terme) est saisie ? Les choses ne sont pas si simples. On ne peut
pas dire que toute question posée au juge matérialise ou traduit l’existence d’un
procès. La personne qui demande un jugement d’adoption ne fait de procès à
personne. Pourtant le tribunal est saisi...
Pour comprendre la notion de procès, il faut comprendre ce qu’est la MISSION
DE JUGER (A) et voir quel type de décision rend effectivement compte de cette
mission de jugement. Il faut, en d’autres termes constater que ne peuvent être
qualifiés d’ACTES JURIDICTIONNELS (actes de juris dictio) que certaines
décisions de justice (B). Enfin il n’y a procès qu’autant qu’il est présenté à une
AUTORITÉ INVESTIE du pouvoir de juger (C).
A) La mission de juger
L’activité juridictionnelle, qui est de juger un litige par application de la règle de
droit, impose le respect d’un certain nombre de règles. Nous verrons qu’il est des
domaines où le magistrat intervient, et où les règles de procédure sont moins
contraignantes ; nous constaterons alors que l’acte rendu a moins de force ou de
portée. Dans chacun des cas, nous constatons une activité du juge, mais la question
posée est différente, et la nature de l’acte rendu sera, aussi, différente.
Le juge, quel qu’il soit, est-il toujours tenu des mêmes règles fondamentales ? Les
missions qui s’imposent à lui sont elles uniques, ou variées ? Les processus à
respecter sont-ils différents, les décisions rendues ont-elles une force différente ? Au
regard des missions dévolues au juge par les codes de procédure civile et pénale et
par les textes guidant le contentieux administratif, on constate que le magistrat a
d’autres tâches que celle de mettre fin à un litige ouvert et déclaré. Et l’on peut dire
que tout ce qui est judiciaire n’est pas “juridictionnel”.
Le magistrat qui “met en examen” une personne sur qui pèsent des charges, ne
“juge pas” la personne. Il ne met pas fin au litige, ne remet en cause, ni ne confirme,
l’innocence de celle-ci. Le magistrat qui désigne un huissier pour dresser constat ne
juge ni ne préjuge de rien. Le magistrat qui alloue une provision ne met pas fin au
litige.
C’est finalement que l’activité du juge a un double aspect. Certains de ses actes
seront des actes “d’imperium”, de pouvoir, d’autorité. Le juge “ordonnera” et ne
“jugera” pas. D’autres au contraire, seront des actes de “jugement”, de jurais diction.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 14
Cette distinction n’est d’ailleurs pas sans nuances. Il est des cas où le juge peut être
amené à “juger au provisoire”, “avant dire droit ”. Nous ne sommes pas alors devant
un acte juridictionnel “plein” mais nous ne sommes pourtant plus devant l’acte
d’autorité. L’idée serait de réfléchir sur ce qui doit être appelé ACTE
JURIDICTIONNEL, opposé à ce qui ne l’est pas. Nous verrons que l’intérêt de la
question n’est pas purement théorique.
B) La notion d’acte juridictionnel.
Cette notion est importante puisqu’elle va nous permettre de distinguer ce qui, dans
les différentes décisions de Justice peut avoir autorité et force de chose jugée
Elle est importante également dans la mesure où elle va nous permettre de
distinguer dans l’ensemble des structures et organes décisionnels (commissions,
Tribunaux, structures de médiation, ou autres..) quelles sont celles et ceux qui ont
nature de JURIDICTION -et devant qui doivent alors s’appliquer impérativement les
PRINCIPES FONDAMENTAUX du PROCÈS - à peine éventuelle de nullité.
Le lien doit être fait entre les notions “d’acte juridictionnel” et de “ juridiction”
Si la personne est devant une “ juridiction” les principes fondamentaux du procès
doivent s’appliquer.
Si l’on ne se trouve pas devant une “ juridiction” les principes ne sont plus aussi
péremptoires...Et les décisions prises pourront d’ailleurs - éventuellement - être
déférées au Juge - Ces décisions ne seront pas nulles au seul motif que les droits du
justiciable n’oint pas été respectées, puisque l’on n’est pas devant une “ juridiction”
Seules les “ Juridictions” peuvent rendre des actes juridictionnels .Les garanties
données par l’application des principes fondamentaux du procès doivent être
respectés, à peine souvent de nullité .Seuls ces actes juridictionnels auront vocation
par eux mêmes à avoir “autorité de chose jugée” (la force des sentences arbitrales se
trouvent dans l’accord préalable des parties).
Si une structure est appelée à “ dire le droit”, doit s’appliquer à la procédure suivie
devant elle les principes fondamentaux (Par exemple, si telle structure disciplinaire
est appelée à prendre une sanction doivent s’appliquer alors les règles fondamentales
des droits de la défense, du temps donné à la personne inquiétée pour la préparer , du
droit à l’assistance, à la connaissance des motifs de poursuite ...)
Diverses analyses ont été proposées (1), qui vont nous permettre de bien cerner
l’activité juridictionnelle des tribunaux (2) l’activité “ décisionnelle”(3) et de
comprendre les effets de l’acte juridictionnel (4).
1) Les analyses proposées
a) La première approche consiste à privilégier le critère organique. Dès lors que
l’on est devant une décision d’un organe spécialisé, hiérarchisé et autonome par
rapport au pouvoir administratif, et dès lors que cet organe est appelé, selon un
certain processus à donner une solution à une difficulté débattue, il y aurait
juridiction, et la décision rendue serait acte juridictionnel.
Ce critère privilégie la notion d’organe appelé à trancher selon un certain
processus. Et nous pouvons encore préciser la notion : l’acte juridictionnel serait
celui qui supposerait, avant d’être rendu, la mise en œuvre du processus permettant
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 15
l’obtention d’une décision de l’organe désigné par le code, habilité à rendre un
jugement, par une procédure “complète”. Seraient qualifiées d’actes juridictionnels,
toutes les décisions rendues par une juridiction collégiale, un tribunal ou une cour,
après débat contradictoire ou respect des droits de la défense, en audience publique,
et susceptibles de voies de recours lorsque la loi les organise. Les autres actes ne
seraient pas actes juridictionnels.
Cette réflexion présente certains mérites. Mais elle a l’inconvénient de faire entrer
dans la définition, des jugements qui ne sont pas des actes de juris dictio. Par
exemple, les jugements avant-dire droit (alors qu’est attendue par les parties une
décision au fond, le tribunal ordonne une mesure d’instruction) ou les jugements
d’expédients (les parties n’ont mené qu’un débat partiel parce que sur une part elles
étaient d’accord. La décision, en ce qu’elle consacre leur accord, n’est qu’une
apparence d’acte juridictionnel).
b) D’autres ont proposé le critère dégagé des EFFETS de la décision.
Serait acte juridictionnel, la décision de justice qui a vocation à avoir autorité, puis
force de chose jugée, c’est-à-dire à s’imposer définitivement aux parties en cause,
une fois le procès terminé. Ceci revient en fait, à définir l’acte par l’effet, et
confondre le moyen de distinction avec l’intérêt de la distinction. Il est bien acquis
que seul l’acte juridictionnel “plein” a vocation à dessaisir le juge, à avoir autorité
puis force de chose jugée. Ceci étant le raisonnement n’est pas totalement dépourvu
d’intérêt. Dire qu’une décision est nécessairement acte juridictionnel des lors qu’elle
a vocation à être mise à exécution au besoin par la force c’est poser la question de la
nature d’un certain nombre d’actes (décision de la Commission de suspension du
Permis de conduire par exemple)
c) Certains ont tenté de définir l’acte juridictionnel à partir d’une démarche
finalement plus institutionnelle, ou plus philosophique, en proposant de rechercher le
but poursuivi par la décision à rendre. S’agit-il de dire le droit ? Si le juge est appelé
à dire le droit, c’est qu’il entend, par un raisonnement juridique, mettre fin à la
contestation.
Ce jugement rendu est appelé à devenir la règle de droit entre les parties. La
décision fera la loi entre les parties, et fixera la vérité entre elles. “Res judicata pro
veritate habetur”...seul ce qui a été jugé fera la vérité entre les parties.
La finalité de l’acte juridictionnel est, qu’à partir de vérifications préalables, il
sera apprécié si la règle de droit a été atteinte ou violée, si la situation de fait est ou
n’est pas en adéquation avec son impératif. L’acte juridictionnel aura pour effet de
rétablir l’ordre naturel des choses au regard de la règle de droit. Le but de l’acte
juridictionnel ne serait pas en soi de créer une nouvelle règle de droit, générale et
absolue, mais simplement de mettre en conformité la situation de fait à l’origine du
litige, avec la norme de droit. Dès lors que le but poursuivi serait de cette nature, il y
aurait acte juridictionnel.
d) Un dernier critère part de la nature même de l’acte, de sa structure, et de
l’organisation du procès. Il y acte juridictionnel s’il y a litige, c’est-à-dire qu’il y a
contestation, saisine de la juridiction par les parties et opposition de deux
argumentaires.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 16
Ces argumentaires doivent être développés, éventuellement matérialisés par des
écrits (acte introductif puis mémoires, conclusions). Le juge appréciera alors la
question débattue par rapport aux règles de droit. Et la décision qu’il rendra sera la
traduction de cette démarche.
Ce qui signifie que n’est acte juridictionnel que la décision de justice rendant
compte d’un litige, de l’argumentation des parties, de la question posée, de la
MOTIVATION en droit de la solution dégagée par le juge, à partir des règles de droit
qu’il applique. L’acte juridictionnel se termine par la décision prise (le “dispositif”),
qui est appelée à être la solution finale. Il n’y aurait d’acte juridictionnel qu’autant
que sur le plan formel de la décision, nous retrouverions cette présentation.
Quel critère devons-nous dégager ?
Il est certain que l’acte juridictionnel ne peut émaner que d’un organe qualifié,
habilité, et reconnu. Il faut que cet organe ait vocation “à dire le droit”. Il faut qu’un
processus préalable soit suivi rendant compte d’un véritable “débat”. Il faut qu’il y ait
un véritable litige pour lequel est demandée une réponse fondée sur une analyse
juridique des textes applicables.
A partir de ces composantes, nous pouvons apprécier où se situe exactement
l’activité juridictionnelle ou non juridictionnelle des tribunaux.
2) Approche PRAGMATIQUE de l’activité des Juges (activité juridictionnelle (au
sens de “juris dictio”) des tribunaux- activités non “ juridictionnelles “)
a) Le contentieux privé
Dans le contentieux privé, qui concerne, pour l’essentiel, les litiges entre
personnes de droit privé, l’activité judiciaire connait toutes les gradations possibles
entre l’activité “d’imperium” et l’activité de “juris dictio”.
α) Nous rencontrons d’abord les décisions rendues au titre de la “bonne
administration de la justice”. Le juge, le tribunal, ou la cour, ordonnent dans un but
de “bonne administration” telle ou telle mesure (à titre d’exemple : attribution d’une
affaire à telle chambre du tribunal, autorisation d’assigner à jour fixe, renvoi pour
connexité devant une autre juridiction, radiation d’une affaire du rôle, renvoi de
l’affaire à une date ultérieure...). Ces décisions ne sont pas “actes juridictionnels”.
Elles ne mettent pas fin au litige. Elles ne sont pas, pour l’essentiel susceptibles de
recours (nous en rencontrerons un certain nombre, dans les développements qui vont
suivre).
β) Nous pouvons également citer les décisions “AVANT DIRE DROIT”
prononçant une mesure d’instruction. Ces décisions ne dessaisissent pas le juge ;
elles sont, sauf exceptions, non susceptibles de recours.
γ) Nous avons ensuite les décisions assimilables à des actes d’administration de la
justice.
Ainsi trouvons-nous les “jugements d’accord”. L’expression traduit une réalité
pratique. Les parties sont apparemment en litige. Mais en fait, elles sont d’accord
pour solliciter du juge une décision donnée. Le juge qui donne acte de l’accord ne
rend pas une décision “juridictionnelle”.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 17
On peut également penser à certains jugements rendus sur requête conjointe et
tendant à l’homologation d’une situation (jugement de divorce sur requête conjointe
par exemple). Nous trouvons également les jugements d’adjudication. Le juge qui
déclare le dernier enchérisseur adjudicataire d’un immeuble, ne rend pas un acte
juridictionnel.
Dans toutes ces hypothèses, les règles classiques sur les voies de recours ou le
dessaisissement du juge ne jouent pas.
δ) Nous pourrions également évoquer les “jugements d’expédients”, dans lesquels
les parties sont d’accord pour l’essentiel. Il n’y a pas alors de véritable débat (le
débiteur assigné en payement par le créancier et qui ne conteste pas sa dette mais qui
demande des délais de payement, n’est pas véritablement en litige. Et le tribunal n’a
pas véritablement à trancher sur le fond). Dans le contentieux du divorce, quand les
parties demandent application de l’article 248-1 du code civil, elles demandent au
juge de constater qu’il existe des causes justifiant le prononcé du divorce, et de ne
pas les énoncer dans le jugement. Sommes-nous alors devant un acte juridictionnel ?
Peut-on concevoir un appel du jugement sur ce point ?
ε) Nous avons encore dans le contentieux privé, les décisions gracieuses rendues
par le juge, ou parfois par le tribunal. Ces décisions, par nature, sont rendues en
dehors de toute contestation actuelle (prenons l’exemple de la désignation d’un
huissier) ou en absence de contestation soumise au juge (il y a un litige potentiel ou
latent, mais non encore né ou déféré à la juridiction). Pour l’aspect formel, le tribunal
ou le juge sera saisi par requête ; le tribunal statuera par jugement sur requête ; le
juge, par ordonnance sur requête. A la différence des actes de bonne administration
de la justice, l’initiative est ici uniquement prise par le requérant. Dans ce domaine
également, nous trouvons l’activité du juge pour les actes “environnant” le procès
(saisies, hypothèques provisoires, exequatur d’un jugement étranger...)
φ) Existent également les procédures où l’on présume dès le départ, l’absence de
contestation de la partie adverse.
Ce sont les procédures d’injonction de faire ou d’injonction de payer. Le requérant
demande au juge, sans que son adversaire n’en soit averti, d’enjoindre au débiteur de
l’obligation d’avoir à la respecter. L’ordonnance rendue sera notifiée à l’autre partie
qui découvrira donc le litige et l’issue proposée. On peut imaginer une alternative sur
la portée de la décision rendue et notifiée à la partie obligée : ou il y a, contre la
présomption, contestation, et l’affaire alors reviendra devant le juge pour être
tranchée. Ou il n’y a pas contestation, et dans ce cas la décision aura vocation à être
pleinement exécutoire, comme un jugement “d’accord”.
Dans toutes ces procédures, on constate une absence ou un allégement du débat
contradictoire. Il n’y a pas de véritable litige, ou en tout cas il n’y a pas de véritable
procès avec exigence d’une solution finale. Les décisions prises n’auront pas la
nature d’actes juridictionnels au sens plein du terme.
Enfin, nous ajouterons que les jugements peuvent, comme nous le verrons plus
tard, être rendus sous différentes formes. Nous trouvons d’abord les jugements
contradictoires qui, comme leur nom l’indique, sont rendus après débat
contradictoire. Nous trouvons aussi les jugements “réputés contradictoires” dans
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 18
lesquels on présumera que si l’adversaire n’a pas voulu intervenir, c’est qu’il n’avait
pas de moyen sérieux à faire valoir ou que de toutes les façons, le débat
contradictoire peut être repris en cause d’appel. Nous rencontrons enfin les jugements
par défaut où il n’y a pas eu et pour lesquels il ne peut y avoir de débat
contradictoire, puisqu’ils ne sont pas susceptibles d’appel. Ces derniers jugements
rendus dans les conditions rappelées ne peuvent être qualifiés d’actes juridictionnels
“pleins” ; dès lors leur régime sera spécifique, en particulier au niveau des voies de
recours.
A l’inverse, lorsque l’activité contentieuse des tribunaux civils, obéissant à des
règles de procédure données, mettra en œuvre un véritable débat, nous aurons alors
des actes juridictionnels.
b) En contentieux répressif nous rencontrons les mêmes distinctions.
En matière contraventionnelle, la procédure de l’ordonnance pénale rappelle celle
de l’injonction de payer du contentieux civil. Le contrevenant se voit offrir par le
tribunal la possibilité de mettre fin au litige en payant la somme que le magistrat
propose, ou en exécutant la mesure qu’il ordonne. Si le contrevenant paye ou
s’exécute, le litige prend fin. Si la contestation persiste le litige sera tranché par le
tribunal.
La notion de “jugement d’accord” ou de “jugement d’expédient” n’est toutefois
pas transposable. En effet, l’on rappellera que le débat devant la juridiction pénale
s’organise autour de trois questions essentielles : la culpabilité, la qualification de la
faute, la peine la plus adéquate ou adaptée. Même si la culpabilité est acquise ou
n’est pas contestée (par exemple dans les hypothèses d’aveu, ou de “flagrant délit”
non contesté), même si la qualification de la faute n’est pas en litige, le débat de
toutes façons restera sur la nature de la peine et son importance (on conçoit mal que
le prévenu acquiesce à la demande de condamnation).
c) En contentieux administratif.
Ici, la frontière entre les actes d’imperium et les actes de jurisdictio est moins
nette, puisqu’en fait l’activité non pleinement juridictionnelle du tribunal est limitée.
Toutefois existent les décisions avant dire droit, les procédures de référés,
essentiellement dans le cadre du contentieux de l’indemnisation, et fort peu dans le
contentieux de la légalité.
3) l’activité DÉCISIONNELLE des Magistrats
Nous mettrons à part un certain nombre de décisions qui ne tranchent pas le fond,
mais qui, sur une question donnée qui n’affecte pas le fond du litige, tranchent au
“provisoire”
Il s’agit sur le plan civil des ordonnances de référé , ou des ordonnances du Juge
de la mise en état ( dont nous traiterons plus tard) ou encore par exemple des
décisions du Juge aux affaires familiales lors de la tentative de conciliation en
matière de divorce ; ou encore en contentieux administratif des ordonnances de référé
.
Prenons l’exemple des référés : Il y a contestation mais celle ci n’apparaît pas à
l’évidence véritable ou sérieuse. Ou bien alors il y a trouble manifestement illicite
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 19
qu’il convient de faire cesser, ou nécessité de prendre, de façon urgente, une mesure
donnée dans le cadre d’un litige.
Dans un tel contexte le plaideur pourra engager la procédure dite de référé. C’est
le magistrat qui appréciera si, oui ou non, la contestation de l’adversaire est sérieuse.
Cette procédure est rapide, le débat contradictoire est finalement limité (y a-t-il, oui
ou non, contestation sérieuse ?) la décision sera rendue dans des formes simples (Le
magistrat dira pourquoi la contestation est, ou n’est pas, sérieuse). La décision sera de
plein droit immédiatement exécutoire (il n’y a pas lieu de perdre du temps dans les
délais de recours puisqu’il n’y a pas de véritable contestation). Mais elle n’aura pas
l’autorité de chose jugée, puisque le juge n’a pas été appelé à dire le droit en
tranchant un véritable litige. La décision est susceptible d’appel, mais pourra
également être revue par le magistrat appelé à trancher au fond (cette procédure est
par exemple engagée par le créancier qui souhaite avoir rapidement un titre
exécutoire contre un débiteur récalcitrant).
Sur le plan pénal nous pouvons évoquer également des décisions rendues par le
Juge des libertés et de la détention, ou de certaines décisions du Juge d’instruction.
Dans ces contextes une demande est formulée, se traduisant par un acte notifié à
la personne contre qui est émise une prétention. Cette dernière a le temps d’organiser
sa défense...Le débat, qui ne porte pas sur le fond, existe (Y a t-il urgence, Y a t-il
évidence, y a-t-il un motif décisif pour mettre en détention “ provisoire”, faut il
prendre la mesure sollicitée “ en l’attente du débat au fond “ ?
La décision rendue par le Juge est prise; elle sera “exécutoire” au provisoire, en
l’attente (“ par provision”) Elle pourra être mise à exécution forcée. Elle sera
susceptible d’appel (dans les limites du débat “ au provisoire) - et donc soumise au
principe du “ double degré de juridiction”...
Sommes-nous devant des actes “ juridictionnels “... Pas vraiment puisque le droit
n’est pas dit, le litige juridique n’est pas tranché...
Cependant une question est tranchée (elle n’est pas de savoir qui a le droit mais de
savoir s’il y a juste motif de rendre la décision sollicitée)
Et dans la mesure où la décision est tranchée par le Juge après débat, force est
d’admettre que sa portée est réelle... Et l’on parlera “d’autorité de la chose décidée”
d'acte décisionnel”, ayant autorité sur la question tranchée.
La décision pourra être revue par le “ Juge du fond”, éventuellement contredite
mais elle aura reçu “ au provisoire” exécution... Ce qui a été décidé l’a été sur un
motif qu’il faudra considérer comme acquis, sauf au juge du fond de réviser... .
4) Quels sont les EFFETS de l’acte juridictionnel ?
Rechercher la définition de l’acte juridictionnel permet de définir celles des
décisions de justice qui ont pour résultat, à la fois de dessaisir le juge mandaté pour
trancher le litige, et de remettre la situation de fait en conformité avec l’état de droit,
en d’autres termes d’avoir autorité de chose jugée et donc de s’assimiler à une norme.
L’acte juridictionnel a autorité de chose jugée ; il tranche le litige. Nous
écarterons donc l’ordonnance de référé des actes juridictionnels. D’ailleurs, cette
décision obéit à un régime spécifique (contestation par la voie d’appel dans un délai
de quinze jours à compter de la notification, alors que le délai d’appel en droit
commun est d’un mois). Le magistrat n’est pas dessaisi puisqu’il aura vocation à
connaître, soit lui même, soit dans le cadre d’une formation collégiale, du litige au
fond s’il est maintenu ou engagé.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 20
Cette autorité de la chose jugée présume une conformité de la décision à l’état de
droit. Cette présomption est simple. Car il sera possible de la remettre en cause par
l’exercice d’une voie de recours. En d’autres termes, on peut admettre que le
magistrat se soit trompé en rendant sa décision, ou éventuellement que les frontières
du litige ayant été mal définies, le litige n’ait pas été tranché correctement. Les voies
de recours permettront de rectifier ce qui aurait été mal jugé. Ce qui est jugé, après
l’exercice ou après que soient épuisés les délais de recours, aura force de chose jugée.
La présomption de vérité tend alors à devenir irréfragable.
C) Une autorité habilitée à trancher le litige
Pour qu’il y ait procès, il faut un litige soumis à un juge. Mais quel juge ? Qui est
juge ? En premier lieu le principe est en France, de distinguer selon la nature de la
présomption remise en cause, et d’attribuer chacun de ces contentieux à différents
types de juridictions. L’objet des juridictions civiles est d’apprécier les rapports entre
les individus, et la conformité des comportements avec la règle de droit privé. Les
juridictions administratives (tribunaux administratifs, cours administratives d’appel,
conseil d’état) ont pour mission de juger la responsabilité ou les actes de
l’Administration ou des personnes de droit public, le plus généralement sur requête
de l’administré. Les juridictions pénales quant à elles, ont pour mission d’apprécier si
la présomption d’innocence de l’individu doit lui être maintenue, et d’appliquer à la
personne reconnue coupable la plus juste sanction. La diversité de ces juridictions
s’explique par le souci de spécialisation des contentieux. Les frontières ne sont
d’ailleurs pas hermétiques : le juge administratif qui apprécie, dans le cadre d’un
procès en “plein contentieux”, le montant de l’indemnité due à l’administré victime,
est proche du juge civil, juge de l’intérêt privé. Le contentieux disciplinaire (par
exemple en matière prud’homale) est proche du contentieux pénal...
a) Les juridictions civiles.
On se contentera de les énumérer, renvoyant le lecteur au Cour de Procédure
Civile
Leur mission est de trancher, pour l’essentiel des litiges entre personnes privées.
Le rôle des plaideurs en litige sera donc déterminant dans l’engagement et le
déroulement du processus tendant au règlement du litige. Le procès, devant ces
juridictions, sera l’affaire des parties.
Nous trouvons d’abord le tribunal de grande instance, juridiction de droit
commun, qui a plénitude de juridiction. Ceci veut dire que le tribunal de grande
instance est appelé à connaître l’ensemble du contentieux privé, sauf le contentieux
confié par un texte à l’une des cinq juridictions d’exception. On y jugera ainsi les
affaires personnelles et mobilières dont l’intérêt dépasse X Euros, le contentieux de
la propriété immobilière (actions pétitoires), le contentieux touchant l’état et la
capacité des personnes (mariage, divorce, filiation, nationalité...)
Parmi les juridictions d’exception, nous trouvons :
Le tribunal d’instance, qui est juge des affaires personnelles et mobilières
inférieures à 10.000 euros, et qui statue sans limitation de valeur, sur le contentieux
relatif au crédit mobilier à la consommation, du bail d’habitation, des funérailles, et
du bornage... (démembrement du Tribunal d’Instance le JUGE DE PROXIMITE
prendra les affaires portant sur une somme inferieure à 4.000 euros)
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 21
Le conseil des prud'hommes juge, sans limitation de valeur, des conflits
individuels du travail (exemple : le licenciement)
Le tribunal de commerce juge, sans limitation de valeur, des litiges nés entre
commerçants, à l’occasion d’un acte de commerce.
Le tribunal des affaires de sécurité sociale tranche le “contentieux général” de
sécurité sociale, c’est-à-dire les difficultés d’ordre juridique (assujettissement, droit
aux prestations, cotisations...).
Le tribunal paritaire des baux ruraux connaît, sans limitations de valeur, des
litiges opposant le propriétaire d’un immeuble rural et son fermier ou son métayer.
Toutes ces juridictions statuent en dernier ressort lorsque l’intérêt du litige est
inférieur à un chiffre fixé par décret. Ce chiffre est de X euros pour les juridictions
d’instance, de commerce, des baux ruraux et de sécurité sociale. Il est d'un chiffre
différend pour le conseil des prud’hommes. Lorsqu’une décision est rendue en
dernier ressort, elle ne pourra faire l’objet d’un appel. Le pourvoi en cassation sera le
seul recours envisageable. Lorsque l’intérêt du litige est supérieur au chiffre donné, le
jugement sera rendu en premier ressort, et pourra être contesté par la voie de l’appel.
Nous pourrions en outre évoquer - avec la problématique de savoir s’il y a
“juridiction” ou non :
- la Commission d’indemnisation des victimes d’infraction (le législateur l’a
expressément désignée comme “ juridiction”)
- Les Commissions d’Aide Sociale (classées dans les “ juridictions
administratives.. mais statuant sur des demandes concernant les particuliers)
- Les Tribunaux Régionaux de l’incapacité et la Cour Nationale de l’Incapacité et
de la tarification du risque (Contentieux technique de la sécurité Sociale)
- Les Commission Paritaires (siégeant auprès de chaque ASSEDIC) - la Cour de
Cassation admet actuellement le recours judiciaire contre ses décisions...Il ne
s’agirait des lors pas d’une “ juridiction “
- les Commissions de recours amiables (siégeant auprès de chaque organisme de
sécurité Sociale) ( décisions déférées devant le TASS: des lors elles ne sont pas
”juridictions “
b) Les juridictions répressives.
Le rôle de ces juridictions sera, sur la remise en cause de la présomption
d’innocence, d’apprécier s’il y a ou non, faute, de qualifier celle-ci et de prononcer la
peine la mieux adaptée aux impératifs de répression et sociaux.
Le manquement au pacte social sera poursuivi par le représentant de la nation. Il
se trouve en France que ce rôle de représentation de la collectivité est assuré par un
corps de magistrats (le Parquet, formé des procureurs de la République par exemple).
Nous aurons donc des magistrats, organes de poursuites, dont le rôle sera de requérir
telle sanction contre celui qui a manqué au pacte social. Lorsque l’affaire est délicate
ou grave, nous verrons que s’il est besoin d’investigations pour la révélation de la
vérité, il sera concevable que des magistrats (instructeurs) soient chargés de ce rôle.
Et pour ce qui concerne la mission de juger on retrouve en matière répressive, la
distinction entre juridictions de droit commun, et juridictions d’exception. Les
juridictions de droit commun sont :
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 22
La cour d’assises, qui juge les crimes, c’est-à-dire les infractions les plus graves
qui peuvent être sanctionnées au maximum par la réclusion à perpétuité (exemple:
l’assassinat, le vol aggravé)
Le tribunal correctionnel, qui juge les délits, c’est-à-dire les infractions pouvant
entraîner une peine d’emprisonnement supérieure à deux mois, ou une amende de
plus de X euros
Le tribunal de police (+ juge de proximité) juge quant à lui les contraventions,
c’est-à-dire les infractions les moins graves, pouvant entraîner un emprisonnement
inférieur à deux mois, ou une amende de moins de X euros.
Les juridictions d’exception concernent aujourd’hui les infractions commises par
les mineurs. Nous trouvons :
Le juge des enfants, compétent pour juger les délits commis par les mineurs, et les
crimes commis par les mineurs de 16 ans. Il peut seul prononcer de véritables peines,
mais peut ordonner également des mesures de rééducation.
Le tribunal pour enfants peut prononcer quant à lui de véritables sanctions, même
s’il a la même compétence pénale que le juge des enfants.
La cour d’assises des mineurs est compétente pour juger les crimes commis par
les mineurs, âgés de 16 à 18 ans. Les débats de la cour d’assises des mineurs ne font
pas l’objet de publicité.
L’appel peut être diligenté, devant la chambre des appels correctionnels de la cour
d’appel, à l’encontre des décisions rendues par le tribunal de police, le tribunal
correctionnel, le juge des enfants, ou le tribunal pour enfants. L’appel n’est pas
possible à l’encontre des décisions rendues en dernier ressort : il s’agit des arrêts
rendus par la cour d’assises ; il s’agit aussi des petits litiges, supposant une infraction
mineure, pour lesquels la condamnation encourue est inférieure à cinq jours
d’emprisonnement, ou X euros d’amende.
Toujours sur la problématique des structures ayant nature ou non de juridiction
nous pourrions évoquer ici les commissions disciplinaires, ou la commission
(administrative) de retrait du permis de conduire...
c) Les juridictions administratives.
L’idée de départ est ici de dire que l’autorité publique est présumée agir dans le
sens de l’intérêt général. Et que dès lors, il n’est pas concevable que l’acte puisse être
soumis à tout moment et sous n’importe quel prétexte à l’aléa d’une procédure
engagée contre lui. Nous aurons donc, pour l’administré qui conteste la présomption
d’impeccabilité de l’acte, nécessité d’agir dans des délais donnés et dans des formes
données. Le juge n’aura pas mission d’apprécier l’acte lui même, mais les critiques
formulées contre cet acte.
Le tribunal administratif est la juridiction de droit commun ; il statue sur les
recours en annulation formés à l’encontre des actes administratifs, ou sur les recours
en indemnisation (le “plein contentieux”) formés à l’encontre de l’administration. Ses
décisions peuvent - sauf exception - être contrôlées par la voie de l’appel, devant les
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 23
cours administratives d’appel. Les décisions des cours d’appel peuvent faire l’objet
d’un pourvoi en cassation devant le conseil d’état.
Il existe aussi des structures parfois qualifiées de “juridictions” administratives
d’exception, comme la cour des comptes (dont la mission est de contrôler les
comptes rendus annuellement par les comptables publics) la cour de discipline
budgétaire et financière (qui sanctionne les ordonnateurs par opposition aux
comptables), et d’autres juridictions, comme la commission centrale d’aide sociale, le
conseil supérieur de la magistrature... Toutes ces juridictions sont soumises au
contrôle du conseil d’état, par la voie de la cassation.
Le litige se transforme en procès lorsque la saisine du magistrat, habilité à rendre
un acte juridictionnel est opérée.
Comment peut s’effectuer la saisine du magistrat ? Qui peut l’opérer ? Selon quels
procédés ? Nous verrons dans un premier chapitre la notion d’ACTION en justice.
L’action va créer un rapport entre les différents intervenants au procès. C’est ce
rapport que nous étudierons dans un second chapitre consacré au LIEN
d’INSTANCE.
CHAPITRE 1 : L’ACTION EN JUSTICE
Le procès, c’est la demande présentée au magistrat aux fins que soit rendue une
décision tranchant un litige, décision ayant vocation à être mise à exécution,
spontanément ou avec l’appui de la force publique. Cette possibilité de saisir le juge,
c’est le droit d’agir en justice. Pouvons-nous parler de DROIT ? En d’autres termes,
l’action en justice peut-elle être considérée comme un droit ? Sommes-nous, quand
nous parlons du droit d’agir, devant un droit subjectif, compris comme un droit
appartenant à l’individu ou au groupe d’individus ? Sommes-nous, au contraire,
devant la mise en œuvre d’une liberté absolue ? Puis-je m’adresser au tribunal,
comme à n’importe quel service public ? La différence est capitale. Si nous sommes
devant une liberté, pouvant être mise en œuvre éventuellement par le particulier, cela
signifierait que, dès qu’un droit est atteint, chacun aurait capacité à mettre en œuvre
les instances judiciaires pour que la violation du droit soit sanctionnée. En corollaire,
et une fois le procès engagé, il appartiendrait à la seule autorité judiciaire d’y donner
suite ou non.
En revanche, si le droit d’agir en justice est un droit subjectif, et qu’il a un
titulaire, seul ce titulaire pourra l’exercer, et mener à terme s’il l’estime opportun, le
procès engagé.
En d’autres termes encore, faut-il concevoir la Justice et le droit comme des
données à ce point fondamentales, que tout manquement aurait vocation à être déféré
au juge, peu important alors qui le défère ? Nous serions sur l’idée que tout
manquement à la règle de droit cause un trouble à l’harmonie générale. Et que
chacun aurait intérêt à faire cesser ce trouble.
A l’opposé ne peut-on imaginer qu’il faille limiter le champ des personnes à
même d’engager une procédure, à celui des personnes directement concernées par le
manquement allégué ?
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 24
Quelques exemples nous permettront de mieux comprendre le problème. Il est du
devoir de chacun de dénoncer (c’est-à-dire de saisir l’autorité à même d’engager les
poursuites) tout crime ou délit. Qu’en est-il si le délit est celui de diffamation ?
N’importe qui pourra-t-il, par application du principe qui précède, dénoncer une
diffamation ? Ne faut-il pas réserver l’action à la personne diffamée ? Prenons un
autre exemple : un enfant vit dans de mauvaises conditions physiques et morales. A
qui appartient le droit, ou sur qui pèse le devoir, d’agir devant le magistrat des
enfants ?
Plus l’intérêt est général, et plus on admettra l’action des représentants de la
collectivité, et le droit de saisine de ces représentants par toute personne, et moins il y
aura de restrictions quant à la recevabilité de l’action. Plus l’intérêt est individualisé
et plus il y aura de restrictions quant à la recevabilité de l’action. Plus le droit en
cause est un droit individuel et subjectif, plus le droit d’agir est subjectif et plus il
sera limité quant à ses titulaires, puisque l’intérêt en cause est lui même subjectif.
Comment résoudre la problématique ? L’étude de la nature du droit d’action
(section I), de son exercice (section II) et de son titulaire (section III) permettra
d’apporter des éléments de réponse à la difficulté posée.
SECTION 1 : LA NATURE DU DROIT D’ACTION
Comment répondre à la question de la nature du droit d’agir en justice ?
Puis-je saisir un tribunal comme un service public ? Mon droit est-il à l’opposé
limité ? Ou on considère l’instance comme la propriété des parties, et “nul ne
plaidant par procureur”, l’action n’appartient qu’à son propriétaire. Ou on considère à
l’opposé que l’action est la mise en œuvre d’un droit général, où le juge est requis,
comme un service public, l’autorité mandatée ayant alors toute liberté pour mener ou
non l’action à son terme.
1) La première réponse possible consisterait à dire que l’action se confond avec le
support juridique de l’allégation. S’il est allégué une atteinte à un droit subjectif
(comme l’atteinte à un droit réel, un droit de créance, un droit intellectuel ou un droit
de la personnalité) le droit d’agir serait une composante du droit substantiel : et
puisque le droit subjectif n’a qu’un titulaire (le “sujet de droits”) le droit d’agir
n’appartiendrait qu’à lui. En revanche, si c’est la règle de droit objectif qui est
enfreinte dans sa généralité, l’action pourrait appartenir à tous, ou aux représentants
de la collectivité, agissant dans l’intérêt général.
Raisonnons sur un exemple, en supposant la violation d’une disposition d’une
convention collective dans le monde du travail : le salaire conventionnel n’a pas été
payé. Si l’on se place au niveau du salarié lésé, celui ci pourra invoquer une atteinte à
son droit subjectif de créance. On admettra également que le syndicat signataire de la
convention puisse agir, non pas en payement des salaires impayés, mais pour obtenir
que la règle contractuelle soit appliquée. Doit-on admettre que le représentant de la
nation puisse poursuivre pénalement l’employeur qui ne payerait pas le salaire
minimum conventionnel ? Oui, car le non payement du salaire minimum est une
infraction (art R.153-2 C.Trav).
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 25
α) L’ idée de dire que l’action appartient à celui dont le droit est atteint est
classique. “L’action c’est le droit en mouvement”, “c’est le droit mis en action”,
“c’est le droit dans une conception dynamique”. “L’action, c’est le droit substantiel
mis en mouvement”. C’est le droit à l’état de guerre. Cette analyse est tout-à-fait
juste lorsque le droit en cause n’est que subjectif, qu’il appartient à l’individu et à
personne d’autre. J’exerce mon droit si bon me semble, et si mon droit est dénié je
peux, si bon me semble, exercer le droit d’agir qui n’en serait qu’une composante. Je
peux seul “mettre en mouvement” le droit dont je suis seul titulaire.
Le droit subjectif suppose que je retire de son exercice un avantage substantiel,
patrimonial ou extrapatrimonial (sinon, je n’ai pas d’intérêt à en être titulaire) ; en
exemple, le droit de propriété me donne sur la chose les avantages liés à l’usus, au
fructus, et à l’abusus, composantes de ce droit. Pour que ce droit soit effectif, il faut
que son titulaire possède le pouvoir de protéger, ou de faire protéger l’avantage retiré
de la règle de droit. Ce pouvoir, c’est le droit d’agir en justice. Pour être propriétaire,
il ne suffit pas de dire “ceci est à moi”, encore faut-il pouvoir s’opposer à celui qui
prétend être titulaire d’un droit subjectif identique sur la chose. A défaut de la loi du
plus fort dans un état de non-droit, force reste à la loi et à la force publique ; le droit
d’agir en justice permettra de dire à qui de ceux qui se prétendent titulaires du même
droit subjectif, la règle de droit donne l’avantage.
L’action serait la traduction dynamique de la volonté de protéger l’avantage
résultant de la règle de droit.
β) En revanche, cette analyse ne parait plus adaptée lorsque l’on considère
l’atteinte à la règle de droit objectif, qui est une règle voulue par la collectivité,
établie en vue de fixer un certain équilibre social. Pour que cette règle soit effective
et respectée, il faut que le manquement à cette règle soit sanctionné. Il faut donc que
la règle soit reconnue comme juste, et à défaut que soit redoutée la sanction en cas de
non-respect. On admettra que le droit d’agir contre celui qui contrevient à la règle
objective appartienne à la collectivité, et qu’il n’appartienne qu’à elle de réclamer la
sanction, de la prononcer, et de l’exécuter.
Il y a quelques tempéraments à ce principe. Le plus habituel est donné par
l’exemple de la diffamation, qui est une infraction pénale où seule la victime
diffamée peut engager l’action qui pourra aboutir à une sanction pénale).
γ) Enfin, il parait excessif d’assimiler de droit d’agir au droit substantiel : en effet,
il existence des droits auxquels dépourvus de droit d’action. C’est le cas par exemple
des obligations naturelles. De même, on peut fort bien concevoir d’agir en justice
sans droit puisque la seule condition, ainsi que nous le verrons, est d’alléguer
l’existence d’un droit. Le droit substantiel peut, encore, être affecté d’un certain
nombre de modalités (conditions, terme...). Ces modalités affectent elles le droit
d’agir, ou ne sont-elles qu’éléments du droit substantiel ? La question ne paraît pas
résolue. Il se peut enfin que des droits existent, mais que soit perdu le droit d’agir
(citons le cas de la prescription, qui n’emporte pas la perte du droit substantiel, mais
simplement la perte du droit d’agir).
Cette première analyse n’est donc pas satisfaisante.
2) Nous trouvons à l’opposé une autre conception.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 26
Le droit allégué, ou dont la reconnaissance est demandée, serait totalement
différent de l’action. Le droit d’engager l’action, et le droit que l’on allègue,
n’auraient pas la même nature. C’est la distinction que l’on rencontrera plus tard
entre action recevable et action bien fondée.
L’action serait le droit de saisir le juge et serait un droit quasi général. Il ne devrait
pas y avoir de réserve à l’accès à la justice. Ce droit s’apparenterait à une liberté
publique qui ne peut être restreinte, sauf dans des cas limités. Le droit d’agir serait
libre (c’est une “liberté”), son exercice serait facultatif (tant pour l’individu que pour
le représentant de la collectivité qui peut apprécier l’opportunité d’une poursuite). Il
ne pourrait connaître de réserves qu’au travers de la sanction de l’abus du droit d’agir
en justice, ou de l’atteinte par son exercice à un droit concurrent (celui qui dénonce à
tort peut être poursuivi pour dénonciation calomnieuse).
Cette liberté d’action ne pourrait se trouver limitée, comme pour toute liberté, que
par des règles supérieures ou par des intérêts supérieurs à l’intérêt général (immunités
en matière pénale par exemple). La liberté d’agir en justice, c’est le droit de mettre,
sans crainte, la justice en mouvement.
Si l’on a cette conception du droit d’agir, peu importe finalement le débat sur la
nature du droit, support de l’action. Toute personne qui peut exercer les libertés
publiques a le droit d’agir.
3) Une conception intermédiaire consiste à dire que l’action serait le droit d’exiger
du juge qu’il rende une décision sur une prétention émise. Dès lors que le juge est
saisi, il doit rendre une décision. Le plaideur serait en quelque sorte créancier du juge
du droit d’obtenir réponse sur une question donnée. Le juge aurait le pouvoir (limité)
d’écarter un certain nombre de questions à lui posées (c’est la notion d’irrecevabilité
de la demande que nous verrons plus tard). Mais en dehors de cela, il doit une
réponse éclairée et argumentée juridiquement. Il doit un “acte juridictionnel”, s’il
doit répondre à un débat contradictoire.
4) Voyons comment ces trois conceptions peuvent se traduire au niveau de nos
trois types de contentieux.
a) Dans le contentieux privé :
Les rédacteurs du code de procédure civile ont opté pour la conception
intermédiaire, qui assimile le droit d’agir à un droit de créance sur le juge, justifiant
par la même l’interdiction du déni de justice. L’article 30 dispose en effet que “
l’action est le droit pour l’auteur d’une prétention d’être entendu sur le fond de celle
ci, afin que le juge la dise bien ou mal fondée”
A quelle condition puis-je me déclarer créancier d’un droit d’obtenir du juge une
réponse à une question posée ? Sous quelles conditions pourrait s’exercer cette liberté
de saisine du juge ? Nous verrons que l’engagement de la procédure ne suppose, au
stade initial, que le seul respect d’un formalisme sommaire. Je ne peux lancer une
action qu’en respectant un certain nombre de formes. Nous verrons que l’action ne se
conçoit qu’autant que celui qui engage l’action formule une prétention. Il faut au
moins que quelque chose soit demandé.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 27
L’action une fois lancée, le juge saisi appréciera si la demande est “recevable”. Le
plaideur ne devient “créancier d’un droit de réponse” qu’autant que sa demande peut
être reçue ; qu’elle ne se heurte, ni à une “fin de non recevoir”, ni à une “exception”
(nous verrons que la fin de non recevoir est la dénégation du droit d’agir, l’exception
la critique des modalités d’exercice du droit d’action, le “bien fondé ou le mal fondé”
l’appréciation du droit substantiel).
Le droit d’agir a un titulaire, celui qui agit. Il engendre un droit à la réplique pour
celui contre qui il est exercé : c’est le droit de se défendre et le droit d’agir
“reconventionnellement”. Cette possibilité pour le défendeur d’opposer, sur la
demande principale une demande reconventionnelle, qui manifeste son droit “d’agir
en riposte” n’existera qu’autant que cette demande est également recevable ; le
défendeur deviendra à son tour créancier du juge d’une obligation de réponse. Le
juge est le sujet passif du droit d’action. Ce droit d’agir n’appartient qu’à la personne
qui engage le procès et qui allègue un droit à son avantage. Je ne peux faire de procès
pour le compte d’autrui, sauf exceptions légales.
“ Seules les parties introduisent l’instance hors les cas où la loi en dispose
autrement “ (article 1 code de procédure civile). Peut-on alors concevoir un rôle
dynamique pour le juge dans le cadre de la procédure ?
Si les parties “sont maîtres de leur procès” comme le rappelle l’article 2 du
N.C.P.C, le juge est aussi le gardien de la “bonne justice”. Il est également le gardien
d’une “justice diligente”, ainsi que le gardien des droits respectifs des parties au
procès. De la même façon le bon ordre social exige que les institutions judiciaires
rendent des décisions éclairées. On admettra que le pouvoir du juge, dans le cadre de
l’instance, tempère l’idée d’un droit de créance sur le juge, sujet passif, qui ne serait
tenu, en tout et pour tout, que de donner réponse. Sa mission est aussi sociale.
b) Dans le contentieux répressif
Lorsque la présomption remise en cause est la présomption d’innocence, et que
c’est la collectivité qui poursuit celui qui a enfreint le pacte social, l’idée de droit
subjectif apparaît totalement inadaptée. A moins que de personnaliser l’intérêt
général, le parquet (c’est-à-dire les représentants du ministère public, représentants
de la collectivité, organes de poursuites des infractions) n’agit pas dans un intérêt
subjectif ou pour la défense d’un intérêt subjectif. Le procureur de la république qui
poursuit et requiert contre le voleur n’a pas pour but premier la réparation du
préjudice du volé, mais la réparation du trouble causé à l’ordre public. Le droit
d’action - c’est-à-dire le droit de poursuivre l’auteur de l’infraction ou celui qui est
présumé auteur - appartient au parquet. Ce dernier est libre d’agir, ou de ne pas agir
(classement sans suite, règle de l’opportunité des poursuites). En d’autres termes,
même si une infraction est commise, ou même si une plainte est déposée, rien
n’oblige le parquet à agir.
Il faut réserver la question du droit d’agir de la victime de l’infraction. Cette
victime peut se joindre à la procédure diligentée par le parquet. Elle peut “intervenir”
dans le cadre du procès pénal et greffer sa demande en réparation du préjudice par
elle subi, sur l’action publique. La victime se “constitue partie civile”. Dans cette
hypothèse elle n’agit que de façon incidente ; l’action principale est à la diligence du
parquet.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 28
La victime peut également agir, exercer une voie d’action soit en saisissant le
tribunal de police (si l’infraction commise peut recevoir la qualification de
contravention) soit le tribunal correctionnel (si le préjudice découle d’un fait
qualifiable de délit). La victime agit alors et le parquet sera nécessairement partie
prenante au procès engagé. Si l’affaire est délicate, la victime peut également agir par
le biais de la plainte avec constitution de partie civile, déposée entre les mains du
doyen des juges d’instruction. Ici encore de toutes les façons, les éventuelles
réquisitions de condamnation à une peine ne pourront être prises que par le parquet,
la victime qui agit ne pouvant que demander réparation de son préjudice.
Le principe est donc de la liberté de poursuite en justice par le représentant du
ministère public. Le droit de la victime d’agir en demandant que son affaire soit
instruite ou jugée, laisse le ministère public maître des réquisitions. La nature du
droit d’agir, dans ce contexte, s’apparente à un pouvoir quasi-discrétionnaire, puisque
le magistrat qui poursuit est irresponsable, de même que l’Etat.
c) A qui en revanche peut appartenir le droit de remettre en cause la présomption
d’impeccabilité de l’acte pris par la puissance publique, ou de demander la
condamnation de cette dernière ? Le droit d’agir, pour la remise en cause de la
validité d’un acte administratif, dépend d’abord de la nature de l’acte. Si la norme
que l’on entend contester est la loi (comme contraire à la constitution ou aux normes
supérieures) le droit d’agir n’appartient qu’aux personnes désignées par la
constitution.
Lorsqu’en revanche, il est soutenu que l’acte est contraire à une norme inférieure
à la loi, le droit d’agir pour dénoncer appartient-il à chacun ? La réponse n’est pas
d’évidence. Peuvent agir les personnes qui sont, ou seraient susceptibles d’être
concernées par l’acte pris. Il n’est pas nécessaire, pour dénoncer l’acte, que l’intérêt
soit né. Nous sommes ici devant une notion du droit d’agir en justice, proche de
l’idée de liberté publique.
Lorsqu’il s’agit en revanche, d’agir contre l’administration en réparation d’un
dommage subi (c’est l’action en “plein contentieux”) nous sommes alors beaucoup
plus proches de l’idée rencontrée en droit privé. Celui qui agit devra alléguer une
atteinte à un droit subjectif.
d) Le droit d’agir en justice est-il un droit absolu ? Connait-il au contraire des
limites ? La réponse n’est pas uniforme, et traduit l’ambiguïté de la nature du droit,
selon le contentieux envisagé.
En matière pénale, la prétendue victime qui aura fait délivrer à tort une citation
directe, pourra être condamnée à une amende civile (article 392, 1 C.P.P) si le
tribunal a prononcé relaxe. Celui qui aura été victime d’une dénonciation non fondée
pourra porter plainte contre l’auteur de cette dénonciation “calomnieuse”. Le parquet
en revanche est irresponsable dans ses actes de poursuite. En matière civile et
administrative, celui qui abusivement, aura saisi la juridiction, pourra se voir
condamner au payement d’une amende civile, sans préjudice des dommages et
intérêts qui pourraient être alloués à la partie ayant subi “l’abus” de procédure. En
outre, les dépens taxables seront (sauf exceptions rarissimes) mis à la charge de la
partie perdante comme le seront éventuellement les dépens appelé irrépétibles
(honoraires d’avocat par exemple).
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 29
SECTION II : L’EXERCICE DU DROIT D’ACTION.
Il y a litige. Comment allons-nous passer matériellement, du conflit au procès ?
Comment celui qui se prétend titulaire du droit d’agir va-t-il formaliser l’exercice de
ce droit ? Faut-il, pour pouvoir mettre en œuvre le droit d’action, des conditions
particulières (§1) ? Comment s’opérera la saisine du juge (§2) ? Que peut-on
demander par l’exercice du droit d’agir, et opposer à celui-ci (§3) ?
-§ 1) La matérialisation formelle du droit d’agir.
Le premier épisode du procès consiste à informer celui contre qui s’exerce le droit
d’agir. C’est la première manifestation du principe du contradictoire ou des droits de
la défense. Il faut que celui à qui est fait le procès en soit informé, et qu’il puisse au
moins savoir qui lui fait le procès et ce qui est demandé au juge (A). Il faut par
ailleurs que tout soit mis en œuvre pour éviter qu’un procès ne se déroule sans que
l’une des parties n’ait été au moins valablement convoquée, informée de l’existence
du litige. Et des impératifs seront posés pour éviter le risque de procédures “par
défaut”(B).
A) Formalisme de l’acte introductif.
Comment sur le plan purement formel se traduit la nécessité d’information ? Nous
nous apercevons que les règles sont finalement identiques, quelque soit le type de
contentieux. L’acte initial doit être, en lui même, suffisant pour permettre à celui qui
le reçoit de connaître, dès le départ de l’instance, les raisons du procès et l’objet du
procès. L’acte doit fixer, dès le départ, la matière litigieuse, et informer le défendeur
sur le contenu du litige. Trois modes de saisine peuvent être envisagés: La saisine par
les parties elles mêmes, (a) la saisine par l’intermédiaire du greffe (b) ou par
l’intermédiaire de l’huissier (c).
a) La démarche commune des parties.
C’est d’abord la comparution personnelle des parties. Les parties sont en litige ;
elles décident conjointement de saisir le magistrat. L’on admettra dans un tel cas de
figure, qu’elles sont toutes deux informées de ce qui les oppose et de ce que chacun
entend obtenir du magistrat. Cette formule est concevable essentiellement dans les
“petits litiges”. Elle est une des modalités possibles de saisine du tribunal d’instance.
(Il est même concevable que les parties se présentent spontanément à l’audience du
magistrat. Il sera dressé procès verbal par le greffier de leur état civil, de leurs
prétentions et argumentaires, et le juge pourra juger).
C’est également la formule de la REQUÊTE CONJOINTE c’est-à-dire de la
demande écrite des parties en litige, remise au greffe et contenant leurs identités,
points de désaccord, moyens et prétentions. Cette formule est l’une des formules
possibles pour saisir le tribunal d’instance (art. 845 N.C.P.C), le tribunal de
commerce (art. 854 N.C.P.C), le tribunal paritaire des baux ruraux (art 882 du
N.C.P.C) et le tribunal de grande instance (art 750 du N.C.P.C).
Nous rencontrons dans le contentieux répressif des formules tout à fait
comparables.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 30
C’est la COMPARUTION VOLONTAIRE de la personne. S’il est impossible
qu’une personne non poursuivie se présente devant le juge pour être jugée (seul le
ministère public peut agir, et celui qui “se constitue prisonnier” ou vient
spontanément avouer sa faute ne le fera pas devant le tribunal, mais auprès d’un
organe de poursuite) l’on peut admettre une procédure très allégée de convocation.
Devant le tribunal correctionnel, le ministère public peut délivrer sans grand
formalisme un “avertissement à comparaître” indiquant le délit poursuivi et le texte
de loi qui réprime. Et le prévenu qui accepte de comparaître sur ce seul avertissement
à lui donné, remis ou adressé, pourra être jugé. (Article 389 C.P.P). La même
procédure peut être suivie devant le tribunal de police (article 532 C.P.P) le code
admettant également devant cette juridiction “la comparution volontaire des parties”.
De la même façon encore, en cas d’arrestation, la personne déférée au procureur
de la république se voit préciser par lui ce qui lui est reproché. Après avoir reçu les
explications de la personne déférée, le procureur de la république peut inviter la
personne à comparaître devant le tribunal correctionnel dans tel délai, tel jour, telle
heure en tel lieu. Il est dressé procès verbal de cette invitation, dont le double est
remis à la personne invitée à comparaître (articles 393 et 394 du code).
Le procureur peut également s’il y a flagrant délit, ou si le maximum de la peine
encourue est au moins égal à deux ans sans être supérieur à cinq ans, traduire la
personne qui lui est présentée directement devant le tribunal. Nous verrons plus tard
les garanties données au justiciable dans un tel contexte. Retenons ici que les parties
(ministère public et personne prévenue) étant en présence, il n’est besoin que d’un
formalisme minimal pour la saisine du tribunal correctionnel.
Ces formules de saisine n’existent ni pour la cour d’assises, ni pour les
juridictions administratives où l’engagement de la procédure suppose un formalisme
plus lourd.
b) Viennent ensuite les formules également habituelles qui font appel aux soins du
GREFFIER de la juridiction.
Cette formule d’engagement de procédure, est justifiée par le souci de rendre la
justice accessible à tous, sans qu’il ne soit besoin d’avoir recours à l’acte d’huissier.
Le formalisme est relativement allégé. Le procédé est généralement assez répandu.
C’est un mode de saisine du tribunal d’instance (la convocation par “déclaration au
greffe” articles 847-1 et 847-2 N.C.P.C) qui n’est possible qu’autant que le montant
de la demande est faible. La déclaration peut être faite verbalement ou remise ou
adressée au greffe. Elle contiendra l’état civil des parties, l’objet de la demande, et un
exposé sommaire des motifs du procès. Le greffe convoquera à l’audience par lettre
simple et par lettre recommandée. Le défendeur aura, avec la convocation, la copie
de la déclaration faite par le demandeur.
Dans cette formule, la convocation est faite aux fins de comparaître devant le
tribunal en formation de jugement.
Il est également possible de solliciter du greffier du tribunal d’instance qu’il
convoque les parties en vue d’une seule tentative de conciliation. Les parties seront
alors convoquées par lettre simple. Et si aucune conciliation n’intervient à l’audience,
le demandeur sera invité à poursuivre sa procédure devant la formation de jugement.
Cette formule de convocation par le greffe, après que le demandeur ait déclaré ses
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 31
prétentions oralement ou par un écrit adressé ou remis au greffe, est celle qui permet
la saisine du conseil des prud’hommes (la demande ici ne contient que l’identité des
parties ainsi que les différents chefs de demande ; il n’est pas nécessaire de préciser
les motifs de la demande). C’est également la formule habituellement utilisée dans le
contentieux général de la sécurité sociale (R. 142-19) où la déclaration contient, outre
la référence à l’état civil et à l’acte contesté, “l’objet de la demande”. La formule est
voisine pour le tribunal paritaire des baux ruraux (lettre recommandée ou acte
d’huissier délivré au greffe, lequel convoque alors pour l’audience).
Devant le tribunal de grande instance cette formule est exceptionnelle : on la
trouve par exemple en matière de divorce pour les audiences du juge aux affaires
familiales.
Cette formule - où le rôle du greffier est fondamental dans le cadre de
l’engagement de l’instance - est de principe en matière de contentieux administratif.
Il faut avoir en vue que le litige entre l’administré et l’administration, ou entre le
citoyen et la puissance publique, est en quelque sorte déjà matérialisé. En matière
d’indemnisation, le requérant a du avant toute instance, solliciter une décision
préalable. L’administration connaît la demande ; elle y a répondu, soit explicitement
soit implicitement. En contentieux de la légalité, l’administration connaît l’acte
administratif qu’elle a pris. Pour engager la demande le requérant présentera au
greffe du tribunal administratif la requête initiale qui précisera son état civil et les
références de l’administration défenderesse auteur de l’acte critiqué. La requête, ou le
mémoire ampliatif, contiendra l’exposé des faits et les moyens développés à l’appui
de la demande. La requête sera signée et déposée au greffe du tribunal administratif
qui enregistrera et aura en charge de le notifier à l’administration, et à toute partie en
cause.
Il n’y a pas, sauf contentieux spéciaux, d’autre processus pour l’engagement d’un
contentieux administratif.
En matière pénale, le rôle du greffier comme organe autonome dans l’engagement
de l’instance n’apparaît pas. Les avertissements par exemple, sont délivrés par le
ministère public.
c) Le troisième procédé permettant l’exercice du droit d’action fait appel au
concours de L’HUISSIER.
C’est en contentieux privé la formule habituelle (l’acte de l’huissier est appelé
“assignation”, plus rarement “citation”). La citation est en matière pénale, l’un des
procédés classiques. La formule n’existe pas pratiquement pas en matière
administrative.
Que l’on parle d’assignation ou de citation dans l’un et l’autre cas, l’acte sera
délivré par le ministère d’un huissier. L’acte précisera à la requête de qui est mandaté
l’huissier (en d’autres termes l’identité de la partie poursuivante), la juridiction
devant qui le procès est engagé, l’objet de la demande avec l’exposé des motifs (en
matière pénale, l’indication des faits à l’origine de la citation et les textes qui fondent
la répression éventuelle) , ce que doit faire le défendeur s’il entend se défendre, ce
qu’il risque, s’il ne le fait pas, la date le lieu et l’heure de l’audience (sauf devant le
tribunal de grande instance où, le ministère d’avocat étant obligatoire, n’est donné
que le délai pour faire choix d’un conseil). En matière civile, l’indication des pièces
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 32
sur lesquelles se fonde la demande doit être portée (même si en pratique l’on peut
s’étonner que la mention figure rarement). L’acte est daté ; l’identité de l’huissier est
portée, de la même façon qu’il est rendu compte des modalités de délivrance de
l’acte. Les formes sont imposées et la nullité de l’acte peut être soulevée (nous
verrons la question avec l’examen des exceptions opposées à l’exercice du droit
d’agir).
Cette formule d’engagement de la procédure est la formule de base devant le
tribunal de grande instance, devant le tribunal d’instance (“l’assignation à toutes
fins”) devant le tribunal de commerce. Elle est exceptionnelle devant les autres
juridictions civiles (mais nous la rencontrons comme mode possible d’engagement de
l’instance dans le cadre des procédures d’urgence). Elle est, ainsi qu’on l’a vu, l’une
des procédures possibles devant le tribunal correctionnel ou le tribunal de police en
matière répressive.
Retenons les impératifs de forme, et la nécessaire motivation (fut-elle sommaire)
qui permet au moins à la personne défenderesse de connaître qui fait le procès et
pourquoi, devant quelle juridiction, quand, où, ce qui est demandé, et ce qui doit être
fait si l’on entend se défendre. C’est là, la première manifestation des principes du
contradictoire, et du respect des droits de la défense, principes que nous
rencontrerons plus tard.
B) Formalisme de la convocation et protection du défendeur.
L’acte créateur du rapport d’instance DOIT être délivré à la personne du
défendeur. Il n’est pas de bonne justice qu’un défendeur ne soit pas officiellement
informé du procès qui se déroulera contre lui. Le jugement “par défaut” n’est pas un
bon jugement, et d’ailleurs l’on sait que les voies de recours contre une telle décision
seront spécifiques, fondées sur l’idée d’annulation du jugement, de reprise de
l’instance, avec cette fois véritable débat contradictoire.
D’un autre coté, il n’est pas concevable de ne pas juger une affaire, au seul motif
que l’acte initial n’aurait pas touché la personne du défendeur.
Tout doit être fait pour que le défendeur soit touché. A défaut des mesures
particulières seront mises en place ; à défaut enfin le jugement risque d’être d’une
nature particulière.
La question ne se pose guère en matière administrative. L’administration ne
disparaît pas. On peut faire la même remarque en pratique, à l’encontre les
organismes de sécurité sociale.
Pour le reste, en contentieux privé et répressif les codes de procédure imposent à
l’huissier de faire toutes démarches pour trouver la personne. L’article 555 du code
de procédure pénale dispose que : “L‘huissier doit faire toutes diligences pour
parvenir à la délivrance de son exploit à la personne même du destinataire... ”.
L’article 556 rappelle que “ si la personne est absente, la copie est remise à un
parent allié serviteur ou à une personne résidant à son domicile “. Les articles 654 et
655 du code de procédure civile indiquent de leur côté que “la signification doit être
faite à personne... ”...“ si la signification à personne s’avère impossible, l’acte peut
être délivré à domicile soit à défaut de domicile connu à résidence.. la copie peut
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 33
être remise à toute personne présente, à défaut au gardien de l’immeuble en dernier
lieu à tout voisin “.
On se reportera aux dispositions du code pour constater qu’en final, en matière
civile, à défaut de toute possibilité de remise, l’huissier dressera un procès verbal de
recherches infructueux et adressera copie du procès verbal et de l’assignation par
lettre recommandée avec accusé de réception au dernier domicile connu de la
personne. En matière pénale, de la même façon, après investigations, (art 558 et 560
du C.P.P) si la personne citée est sans domicile ni résidence connue l’acte sera
délivré “à parquet” c’est-à-dire au ministère public, de façon qu’éventuellement les
services de police puissent en être informés.
On comprendra que, s’il résulte des modalités de délivrance de l’acte, que la
personne n’a pas été touchée par la convocation, la valeur du jugement rendu soit
sujette à caution. Quand la convocation est faite par comparution personnelle des
parties, ou comparution volontaire en matière pénale, la question bien sûr ne se pose
pas ; la décision rendue sera par essence contradictoire.
Quand la convocation se fait par l’intermédiaire du greffe, le greffier transmet son
acte par voie postale, le plus généralement par lettre recommandée avec accusé de
réception confirmée le jour même par lettre simple. Quelles garanties sont alors
données de la remise de l’acte ? Rappelons que ces formules sont de préférence
possibles dans les contentieux d’importance faible (ou précédés d’un préalable de
conciliation comme en matière prud’homale ou en matière de baux ruraux). La
garantie est en fait donnée par le droit du magistrat saisi, d’ordonner la reconvocation de la personne, quelle qu’ait été la formule initiale de convocation, par
lettre ou par assignation. Le juge peut d’office inviter à nouveau le défendeur “ à
comparaître si la citation n’a pas été délivrée à personne “ (ce qui se traduira par
une re-convocation). ”la citation est... réitérée selon les formes de la première
citation. Le juge peut cependant ordonner qu’elle sera faite par acte d’huissier de
Justice lorsque la première citation avait été faite par le secrétaire (greffier) de la
juridiction” (art 471 N.C.P.C).
En matière pénale, il n’y a pas de convocation par le greffe ainsi que nous l’avons
vu. Si la personne est sans domicile connu l’acte est remis à parquet. Le procureur de
la république peut “prescrire à l’huissier d’effectuer de nouvelles recherches...” (art
563 C.P.P). Sinon le jugement sera rendu par défaut (sauf comparution de la
personne à l’audience).
On signalera quand même une particularité en matière de procédure pénale. Alors
qu’en matière de contentieux civil ou administratif, l’action suppose, pour être
engagée, qu’existe un adversaire connu, en matière répressive, on peut concevoir que
l’action soit engagée contre X... si l’auteur de l’infraction n’est pas connu. Il va de
soi, bien sûr, que le tribunal ne sera saisi d’une demande de condamnation qu’autant
que l’auteur est découvert.
-§ II) Classification des types de demande et des moyens de défense.
Que peut-on demander par l’exercice du droit d’agir ? (A)
Que peut-on opposer sur l’exercice de ce droit ? (B)
A) Les demandes.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 34
Dans le cadre du contentieux privé, la notion de demande est à distinguer de
l’action (la demande peut être mal présentée et disparaître, mais le droit d’agir
subsister ; je peux me désister de ma demande, sans me désister de mon action). De
la même façon, la “demande” se distingue de la prétention (la demande peut être
recevable, la prétention rejetée). La demande est “l’expression procédurale de
l’action du point de vue des parties ”. L’action est un droit ; la demande est un acte
procédural créant le rapport d’instance ; c’est “ la concrétisation du droit d’agir ”.
Comment classer les demandes, et quel est l’effet procédural de la demande ?
Nous répondrons à cette question en examinant chaque type de contentieux, privé,
répressif et administratif.
a) Dans le contentieux privé.
On peut classer d’abord les demandes selon le moment où elles sont présentées.
La demande contenue dans l’acte introductif sera appelée “demande initiale” ou
“demande introductive d’instance”. Certains distinguent la demande principale des
demandes annexes (condamnation aux dépens, demande d’exécution provisoire...)
Mais l’on peut concevoir qu’au cours de la procédure contradictoire, le demandeur
soit amené à présenter une demande nouvelle. Ceci sera possible si cette demande se
rattache à la demande initiale par un lien suffisant. Cette demande sera une demande
“incidente” ou “additionnelle”. Si un tiers vient greffer son action sur l’action qui
oppose le demandeur au défendeur, la demande de ce tiers sera appelée “demande en
intervention”. Si le défendeur oppose, outre une défense au fond, une demande en
condamnation du demandeur, la demande ainsi présentée sera “reconventionnelle”.
L’on peut concevoir également de classer les demandes selon la nature de la
prétention émise.
Un procès peut tendre à la condamnation d’une autre partie. Mais il peut tendre
également à la modification d’un état ou d’une situation juridique (divorce, adoption,
contestation de paternité). Il peut tendre à faire reconnaître un droit (action en
revendication de propriété par exemple) ou à faire disparaître un rapport de droit
(annulation). Nous verrons l’intérêt de cette classification lorsque nous nous
interrogerons sur l’opposabilité du jugement en matière civile.
On peut également classer les procès selon la matière en litige. La demande
concerne-t-elle des droits patrimoniaux ou extrapatrimoniaux ? Sommes-nous devant
des droits purement subjectifs (prenons l’exemple des droits réels) ou devant des
droits à portée plus générale (“droits publics”) comme ceux visés par le contentieux
de la nationalité, du redressement judiciaire, ou le contentieux électoral ?
On peut encore penser classer les demandes selon l’objet du droit subjectif allégué
(On distingue ainsi les actions pétitoires et les actions possessoires, les actions
mobilières et immobilières, l’action à fins de subsides et l’action en demande
d’aliments).
Pourquoi s’interroger sur la nature de la demande ? De ce qui est ce support du
droit d’agir, découlent des intérêts sur le plan du droit d’action lui même. L’action a
t-elle été engagée dans les délais ? La capacité de celui qui agit s’appréciera au
moment où la demande a été présentée. De la même façon peut dépendre de la
demande la détermination de la compétence de la juridiction saisie.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 35
Quelle est l’incidence de la demande sur le droit d’agir ? La demande concrétise,
matérialise, formalise le droit d’agir. Elle crée le rapport d’instance, elle en fixe
l’étendue (n’est en litige ou en cause que ce qui est demandé) ; c’est elle qui, enrôlée,
saisit le juge. La demande interrompt la prescription. En matière civile, elle opère
mise en demeure ; elle peut dans certains cas, fixer le point de départ des intérêts
moratoires (exemple : en matière prud’homale sur les créances de nature salariales).
b) En matière répressive.
L’idée de classification des demandes apparaît relativement incongrue dans le
contentieux pénal. Le but de l’action publique consiste à obtenir réparation du trouble
causé à l’ordre social.
On conçoit alors la demande de condamnation à l’exécution d’une peine. Mais on
conçoit également que le ministère public, à l’issue des poursuites, requiert la relaxe
ou l’acquittement ; il serait contraire à l’ordre social qu’une personne sur laquelle ne
pèsent pas de charges suffisantes soit injustement “accusée”.
La demande de la partie civile a pour but d’obtenir réparation du préjudice
découlant du fait fautif constitutif de l’infraction poursuivie.
Les effets de la demande au niveau de l’action publique sont pour l’essentiel liés à
la prescription ; encore que celle ci soit interrompue par les actes de poursuites.
La demande de la partie civile aura quelque incidence également sur le plan
procédural. Elle manifeste d’abord l’option choisie par la victime (c’est la règle
“electa una via ” que nous verrons plus tard) entre la voie d’action pouvant être
engagée devant la juridiction civile et celle pouvant être engagée devant la juridiction
pénale. Elle déclenche l’action publique, et interrompt la prescription de celle-ci.
c) En contentieux administratif la classification des demandes est habituelle.
La demande peut tendre à l’annulation d’un acte administratif, voire à son
interprétation. Ou elle peut tendre à l’indemnisation du préjudice subi par le
requérant (recours en plein contentieux). Indépendamment de ces deux domaines
classiques existe un certain nombre de contentieux spécifiques.
B) Les ripostes à la demande.
Elles se regroupent autour de différents objets. Certaines consistent à critiquer les
modalités d’exercice de l’action sans critiquer le droit d’agir lui même; ce sont les
exceptions (a). D’autres consistent à dénier le droit d’agir : ce sont les fins de nonrecevoir (b). Ensuite est abordée la défense au fond, qui est la critique directe de la
prétention émise (c). Enfin il se peut que se greffent, une ou des demandes
reconventionnelles (d).
a) Les exceptions.
Il est logique de commencer l’étude des ripostes par celle des exceptions. En effet,
sur le plan procédural, elles doivent en principe, être soulevées, avant tout autre
moyen, dès que l’acte prétendu nul a été pris : tandis qu’une fin de non recevoir peut
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 36
être soulevée en tout état de cause. Elles ne sont pas la dénégation du droit d’agir,
mais la critique des modalités d’exercice (le demandeur a saisi une juridiction
incompétente ; l’acte introductif est nul...).
Dans le contentieux privé, nous trouvons quatre types d’exceptions. Deux
d’entre elles renverront la cause devant une autre juridiction, un autre type
d’exception suspendra la procédure en l’attente de la survenance d’un fait extérieur,
enfin un certain nombre d’exceptions tendront à l’annulation d’un acte de
procédure... Ces exceptions sont justifiées pour certaines par l’idée de la bonne
administration de la justice et pour d’autres par le droit de la personne qui l’invoque à
n’être pas victime d’une atteinte à l’équilibre des parties dans le procès.
Nous trouvons d’abord l’exception de nullité pour vice de forme. L’une des
parties au procès soutient qu’un acte fait par son adversaire ne respecte pas le
formalisme imposé par les textes. Cette contestation ne sera reçue qu’autant que la
nullité a été expressément prévue par le texte qui a prévu la forme de l’acte, et
qu’autant que l’irrégularité fait grief (même si la formalité non respectée était d’ordre
public ou substantielle). Cette nullité - qui n’affecte que la forme de l’acte - sera
couverte si des moyens autres sont opposés par celui qui pouvait la soulever. Cette
exception n’est fondée que sur l’intérêt particulier du plaideur. Elle ne pourra, dès
lors, n’être soulevée que par lui.
Nous trouvons ensuite les exceptions de nullité pour irrégularité de fond. Le code
de procédure en donne la liste à l’article 117 : “... Le défaut de capacité d’ester en
justice. Défaut de pouvoir d’une partie ou d’une personne figurant au procès comme
représentant soit une personne morale soit une personne atteinte d’une incapacité
d’exercice, défaut de capacité ou de pouvoir d’une personne assurant la
représentation d’une partie en justice”
L’acte est entaché d’un vice qui n’est pas simplement formel. Il a été délivré à, ou
à la requête de, quelqu’un qui n’avait pas pouvoir ou capacité de ce faire. On peut
imaginer le cas du dément qui fait délivrer assignation, de gérant d’immeuble qui agit
au lieu du syndic habilité, du PDG d’une entreprise en liquidation judiciaire qui
agirait seul...On peut encore imaginer le cas de l’acte délivré par un huissier
territorialement incompétent, ou contenant indication d’un avocat constitué radié du
Barreau. Cette nullité est plus grave que celle précédemment rencontrée. Elle pourra
être soulevée en tout état de cause. Il n’est pas besoin de justifier du grief causé par
l’irrégularité pour qu’elle puisse être reçue. Elle peut être relevée d’office par le juge
si elle est d’ordre public.
Ces nullités de forme ou de fond, si elles sont reçues par le magistrat, amèneront
la disparition de l’acte entaché de nullité. S’il s’agit de l’acte introductif, l’instance
disparaîtra, mais ne disparaît pas le droit d’agir.
D’autres exceptions ne feront pas disparaître le rapport d’instance mais auront
pour résultat de décharger le magistrat saisi du dossier au profit d’une autre
juridiction. Ce sont les exceptions d’incompétence, de litispendance, et de connexité.
Il se peut que la juridiction saisie soit incompétente ratione loci ou ratione
materiae. Dans ce cas, l’incompétence peut être soulevée par la partie défenderesse,
qui doit non pas prouver le grief, mais motiver son déclinatoire et désigner la
juridiction qu’elle estime être compétente. Le juge ne peut soulever d’office son
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 37
incompétence ratione materiae quand la règle de compétence d’attribution est
d’ordre public, ou lorsque le défendeur ne comparaît pas. L’incompétence ratione
loci ne peut être soulevée d’office par le juge qu’en matière gracieuse, en matière
également d’état des personnes si la loi attribue compétence exclusive à une autre
juridiction, ou si le défendeur ne comparaît pas.
Nous verrons qu’il est des voies de recours spécifiques en matière de décision sur
la compétence. Si le juge s’estime compétent, l’affaire sera gardée par lui à défaut de
contredit (contestation de la décision déclarant compétence). Si le juge estime que le
procès relève d’une juridiction répressive, arbitrale, administrative ou étrangère, il
renvoie les parties à se pourvoir. Si le juge estime que le procès relève d’une autre
juridiction de l’ordre judiciaire, non répressive, le dossier est transmis à celle ci.
L’instance n’est donc pas annulée.
Le même raisonnement peut-être suivi avec les exceptions de litispendance et de
connexité. La litispendance suppose que le même procès (identité de cause, d’objet,
et de parties) soit pendant devant deux juridictions différentes : voici par exemple un
couple sans enfant séparé de fait, formé d’un mari qui habite Marseille et d’une
épouse qui habite Lille ; chacun décide de divorcer. Le mari saisira le tribunal de
Lille, et l’épouse le tribunal de Marseille. Le même litige est pendant devant deux
juridictions différentes. La juridiction saisie en second lieu se dessaisira au profit de
la première, et le fera éventuellement d’office. L’exception de connexité est voisine.
Deux affaires, portées devant deux juridictions distinctes, sont unies en elles par un
lien (le “nexum”). Ce lien est tel qu’il sera de bonne administration de la justice de
les faire juger ensemble. L’une des juridictions pourra se dessaisir au profit d’une
autre, si cela est demandé.
Enfin, le dernier type d’exception concerne les exceptions dilatoires. Elles ont
pour effet de suspendre l’instance, jusqu’à l’accomplissement d’un acte ou d’un délai
(par exemple pour faire inventaire, appeler en garantie un tiers dans un délai donné,
attendre la solution d’un litige pendant devant la juridiction pénale (le “pénal tient le
civil en l’état ”) ou une réponse à une question préjudicielle, ou encore l’exécution
d’une mesure d’instruction à la suite d’un jugement avant dire droit).
En matière pénale nous rencontrons également des causes de nullité. Le régime
est plus strict.
C’est le cas, par exemple, en matière d’incompétence. Toute incompétence est
d’ordre public (réserve possible de la compétence de la cour d’assises qui a plénitude
de juridiction (article 231 C.P.P) et du tribunal correctionnel qui peut juger des
contraventions connexes (article 382 in fine et 203 du C.P.P).
Il peut s’agir de la compétence ratione personae ; le mineur ne peut comparaître
que devant les juridictions spécialisées pour mineurs (en ce compris la cour d’assises
pour mineurs). Ratione materiae, les délits relèvent du tribunal correctionnel, les
contraventions: du tribunal de police, et les crimes de la cour d’assises. Sous les
réserves qui précédent, l’incompétence est d’ordre public (le tribunal de police ne
peut juger d’un délit, et encore moins d’un crime). Ratione loci, et sous réserve
d’exceptions, la compétence est celle du lieu de l’infraction, de la résidence du
prévenu, ou du lieu de l’arrestation (les exceptions peuvent parfois tenir au lieu de
détention- ou au lieu du domicile de la victime en matière d’abandon de famille).
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 38
En matière de nullités l’article 802 du C.P.P pose le principe qu’en cas de
“violation des formes prescrites par la Loi, à peine de nullité ou d’inobservation des
formalités substantielles, toute juridiction compris la cour de cassation, qui est saisie
d’une demande d’annulation ou qui relève d’office une telle irrégularité ne peut
prononcer la nullité que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux
intérêts de la partie qu’elle concerne “ Cette formule se trouve également dans
l’article 171 (nullités de l’information). “ Il y a nullité lorsque la méconnaissance
d’une formalité substantielle prévue par une disposition du présent code ou toute
autre disposition de procédure pénale a porté atteinte aux intérêts de la partie
qu’elle concerne ”.
On notera que la règle “pas de nullité sans texte” ne se retrouve pas affirmée
puisque l’on peut concevoir des nullités pour manquement aux formalités
substantielles. On trouvera ici la sanction des atteintes aux droits de la défense. On
notera également que l’annulation peut être limitée à tout ou partie des actes viciés,
ou s’étendre à tout ou partie de la procédure ultérieurement suivie (voir par exemple
article 174 C.P.P).
En matière administrative, l’incompétence de la juridiction saisie n’a finalement
qu’une importance très relative, puisque le juge saisi transmettra au juge compétent
la requête présentée (sauf bien évidemment si l’incompétence est au profit d’une
juridiction d’un autre ordre).
De façon plus habituelle, en matière administrative l’irrecevabilité de la demande
peut tenir au dépassement du délai de saisine du juge administratif. On sait, dans le
contentieux de la légalité, que la décision administrative doit être contestée dans le
délai de deux mois. Si le délai est dépassé, la requête présentée sera irrecevable.
Rappelons également qu’une demande en matière administrative ne peut porter
sur des dispositions que le juge administratif n’a pas compétence pour apprécier (les
lois, les actes étrangers). La requête non motivée ou non signée peut-être déclarée
irrecevable.
b) les fins de non recevoir.
Elles consistent à denier le droit d’agir à celui qui l’exerce.
Dans le contentieux privé “constitue une fin de non recevoir tout moyen qui tend
à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour
défaut du droit d’agir tel que le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription,
le délai préfix, la chose jugée”.
Nous réservons deux fins de non recevoir spécifiques, qui tiennent à la personne
qui entend agir : il s’agit du défaut d’intérêt et du défaut de qualité à agir. Nous en
reparlerons avec les conditions d’exercice de l’action. Ce qui est en cause lorsqu’est
soulevée une fin de non recevoir, c’est l’une des conditions d’existence du droit
d’action. On voit, à l’énoncé du texte, que la loi donne une liste non exhaustive des
fins de non recevoir en droit privé.
Il en existe d’autres. Certaines sont générales (il s’agit par exemple de la
transaction, ou du désistement d’une action identique antérieurement engagée).
D’autres sont spécifiques à certaines actions (par exemple : la réconciliation des
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 39
époux en matière de divorce, ou l’inconduite notoire de la mère en matière de
recherche de paternité naturelle dans la législation antérieure à 1993).
On peut encore penser à certaines fins de non recevoir liées aux immunités
diplomatiques, à la règle “electa una via” : si, en qualité de victime, j’ai le choix
entre me constituer partie civile ou engager une action devant la juridiction civile, je
ne peux si j’ai choisi cette dernière voie, revenir sur mon choix et porter plainte avec
constitution de partie civile.
On pourrait également évoquer la règle “nemo auditur propriam turpitudinen
suam allegans”. Certains pensent que cette règle doit être considérée comme sans
effet, au regard de l’autre principe “in pari causa turpitudinis cessat repetitio”. C’est
confondre le droit d’agir et le droit substantiel qui en est le fondement. Il faut
distinguer l’action immorale en elle même, de l’action qui tend à l’exécution d’une
convention dont la cause est immorale. Un homme marié demande au tribunal de
condamner une prostituée à reprendre avec lui des relations coupables et immorales
sous peine d’astreinte, au motif qu’il aurait “payé d’avance”. Le tribunal, sur
l’allégation immorale support d’une action qui présente dès lors le même caractère,
refusera d’entendre le demandeur, en application de l’adage Nemo auditur. En
revanche Monsieur X assigne Madame Y en payement. Il allègue une dette de cette
dernière et demande condamnation. L’action ne révèle aucune immoralité. Si la
défenderesse oppose une cause immorale à l’obligation, sous la réserve que les
conditions d’application soient remplies, s’appliquera l’adage“in pari causa”.
L’on rappellera que le juge peut soulever d’office telle fin de non recevoir qui
serait d’ordre public. On indiquera enfin que les fins de non recevoir peuvent être
soulevées en tout état de cause, en d’autres termes à tout moment du déroulement du
procès. Si une fin de non recevoir est soulevée tardivement dans un but dilatoire, elle
est valablement soulevée ; mais le juge peut condamner à des dommages et intérêts
celui qui l’a fait sciemment, pour gagner du temps.
En matière pénale existent également des “fins de non recevoir” à l’action
engagée par le ministère public. Nous retrouvons l’autorité de la chose jugée (nous
verrons qu’en droit pénal la notion est différente de celle que nous dégagerons en
matière civile). Nous retrouvons également la prescription (le droit d’agir se perd s’il
n’est pas exercé) et parfois le délai préfix (telle action doit être engagée dans tel laps
de temps). Nous rencontrons également des fins de non recevoir spécifiques au droit
pénal comme l’amnistie, le décès de la personne inquiétée. Le retrait de plainte (sauf
hypothèses très limitées) n’est pas une fin de non recevoir à l’action publique. Mais
on rappellera que le parquet peut parfois être sensible à un retrait de plainte quand il
s’agit d’apprécier l’opportunité des poursuites.
Pour l’action civile devant les juridictions pénales on notera simplement que si
l’action pénale est irrecevable, l’action civile le devient également. La victime garde
la possibilité de s’adresser aux juridictions civiles ; on rappellera par exemple qu’il
n’y a plus de solidarité des prescriptions. Ce n’est pas parce que l’action pénale est
prescrite qu’il ne peut pas y avoir action civile. En revanche, ce qui est jugé par la
juridiction pénale s’impose aux juridictions civiles qui ne peuvent le denier. C’est
“l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil” sur laquelle nous reviendrons.
En matière administrative existent aussi des fins de non recevoir, dénégations
du droit d’agir. Pour qu’il y ait contentieux, il faut qu’il y ait une décision préalable,
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ou un acte administratif à critiquer. Sinon il ne peut y avoir litige (en contentieux de
la réparation, je ne peux m’adresser directement au tribunal. Il me faut demander
d’abord réparation et attendre la réponse expresse ou implicite, pour la critiquer. En
contentieux de la légalité je ne peux par exemple critiquer une circulaire interne). Je
ne peux également contester un acte que l’administration aurait retiré. Ma critique
deviendrait sans objet.
Dans la même mesure, il faudra que la demande présentée manifeste la critique de
l’acte. Si je n’allègue aucune critique contre l’acte que je défère au tribunal, ma
requête sera en elle même irrecevable.
Nous retrouvons en outre les fins de non recevoir plus classiques (absence de
qualité, absence d’intérêt à agir, autorité de la chose jugée, transaction (quand elle est
possible), prescription du droit d’agir, acquiescement à la demande.
c) les défenses au fond.
Dans le contentieux privé, elles consistent à dénier le droit substantiel allégué
par le demandeur. Comment cela peut-il se faire ? On peut soutenir que le fait allégué
comme support de la prétention n’existe pas, ou encore que le fait n’est pas, en
réalité, tel qu’allégué, que la qualification donnée au fait n’est pas la bonne
qualification (l’opération n’est pas une vente mais un échange), que la règle de droit
avancée n’est pas celle applicable ou n’a pas la portée ou le sens que lui donne le
demandeur.
On peut également appréhender la demande sous l’angle du droit de la preuve.
Nous verrons que celui qui agit doit démontrer que la présomption initiale (soit celle
que l’on a vue en introduction, soit celle que le législateur a prévue dans tel ou tel
domaine spécifique) n’est pas remplie. Il doit apporter la preuve contraire. A défaut
de preuve contraire, il n’y a pas lieu de remettre en cause la présomption de base.
En matière répressive, les défenses au fond pourront porter sur l‘existence de
l’infraction reprochée, au regard des règles de droit. Pourra être discuté l’élément
légal. N’y a-t-il pas de loi pénale plus douce ? La qualification des faits proposée par
le réquisitoire est elle exacte (un changement de qualification de l’infraction peut
entraîner l’incompétence de la juridiction) ? Pourra être également discuté l’élément
moral. Peut-on soutenir le défaut d’imputabilité ? N’y a-t-il pas démence, contrainte ?
Peuvent encore être repris les éléments matériels de l’infraction. Les faits ne
traduisent-ils pas un état de nécessité, la victime n’a-t-elle pas consenti ? N’y a t-il
pas eu provocation ? Enfin, pourront être développés les moyens tendant à faire
atténuer la gravité de la faute reprochée, et partant la sanction. Existe-t-il des
circonstances atténuantes ?
Les règles sur le droit de la “preuve” sont, nous le verrons différentes de celles
rencontrées en droit privé. En matière pénale, le magistrat juge “en son intime
conviction”. Il n’y a pas de procédé de preuve “parfait”, liant le juge. Si le magistrat
est convaincu de la culpabilité, il la retiendra. S’il doute, il relaxera ou acquittera.
Plutôt que de dire en droit pénal que “la preuve de la culpabilité n’est pas rapportée”
il serait plus judicieux de dire qu’il n’y a pas d’élément pertinent pour emporter la
conviction du juge.
En matière administrative, les défenses au fond consisteront pour
l’administration à contester le bien fondé de l’analyse présentée par le requérant et à
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dire, selon les griefs allégués, que l’acte administratif en en la forme et au fond, n’est
pas entaché d’illégalité, que son auteur était compétent pour prendre l’acte, que ce
dernier est correctement motivé, qu’il est conforme aux normes
supérieures...l’administration se contentant de répondre aux moyens développés par
le requérant.
d) les demandes reconventionnelles.
Cette notion n’apparaît finalement qu’en contentieux privé. Comme nous l’avons
vu le défendeur greffe sur la demande principale, une demande contre celui qui a agi
contre lui. Cette demande reconventionnelle est recevable pourvu qu’elle soit liée à la
demande principale par un lien suffisant (sinon il y a lieu à autre instance). Pour le
reste le régime de la demande reconventionnelle suit le régime de la demande
principale pour les autres causes d’irrecevabilité ou d’exception. Elle est en effet une
demande autonome, simplement greffée sur une demande principale.
Il va de soi qu’il n’y a pas de demande reconventionnelle en matière pénale. Tout
au plus pourrait on (mais de toutes les façons l’instance serait distincte) envisager la
plainte en dénonciation calomnieuse, ou la demande d’indemnisation pour détention
injustifiée. Mais il ne s’agit pas de demande reconventionnelle au sens classique.
On peut faire la même remarque en contentieux administratif. Ou l’administration
a raison ou elle a tort. Il est ici encore difficile d’imaginer une demande
reconventionnelle contre l’administré.
SECTION III : LES CONDITIONS D’EXISTENCE DE L’ACTION - LIÉES A
LA PERSONNE QUI AGIT EN JUSTICE
Nous avons vu que pour agir en justice, il y a lieu de formaliser une demande.
Cette demande a un certain contenu, et risque de provoquer en riposte un certain
nombre de moyens de défense ou de dénégation. Remarquons que, pour être reçue
par le juge, l’action ne suppose qu’une simple allégation. Pour être recevable,
l’action doit avoir été exercée, dans des conditions régulières de forme, de temps ou
de lieu. Il y a, en outre, deux conditions particulières pour de recevabilité, qui
tiennent à la personne de celui qui agit. Il faut qu’il ait intérêt, et qualité à agir.
La notion d’intérêt à agir est une règle classique en droit privé. Elle constitue la
réserve essentielle à la liberté d’action. Ne peut agir que celui qui y a intérêt. En
contentieux répressif, le droit d’agir du ministère public découle du mandat donné à
celui ci de poursuivre les infractions. La question de l’intérêt à agir ne se pose donc
pas. En revanche, elle se pose lorsque des groupements, dans le cadre de l’action
publique, agissent sur le plan des intérêts civils, et dans le cas également où ces
groupements déclenchent, ou tentent de déclencher, l’action publique.
En matière administrative, dans le contentieux de la légalité, on peut se demander
qui a “intérêt” à contester l’acte, et qui a “qualité à agir” ? La question se pose
réellement lorsque le droit en cause n’est pas strictement individuel. Quand la même
situation concerne un groupe de personnes, quand le même manquement est perpétré
contre un groupe, qui va agir ? Peut-on concevoir que celui qui agit, agit pour tous ?
A qui revient la “qualité” pour agir ?
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 42
Nous allons apprécier pour les opposer, ces deux notions dans chacun de nos
types de contentieux, en étudiant d’abord le contentieux privé (§1) puis le
contentieux administratif (§2) et répressif (§3).
§1) Intérêt et qualité à agir dans le contentieux privé.
Le droit privé est fortement marqué par l’idée que les personnes, physiques ou
morales, sont titulaires de droits et qu’il n’est pas de droit sans personne titulaire. Le
droit civil décrit par ailleurs des procédés de représentation (songeons au mandat, au
mandat apparent, à la délégation, la subrogation, songeons aussi à la notion d’ayantcause...). Dès lors, la question de l’intérêt à agir, et surtout celle de la qualité à agir,
pourront être relativement faciles à appréhender.
A) L’intérêt à agir.
Dans le contentieux privé, l’adage “pas d’intérêt, pas d’action ” est classique.
C’était au départ une règle prétorienne. Le code de procédure civile l’a consacrée
dans l’article 122 parmi les fins de non recevoir.
Quel fondement peut-on donner à cette règle ?
Dans le contentieux privé, celui qui émet une prétention va contraindre le juge à
se prononcer sur le fond, et son adversaire à se défendre éventuellement. Il est
logique que, si celui qui agit n’y a aucun intérêt, son action soit écartée. Il a pu
engager l’action, faire délivrer son acte et alléguer une prétention. Mais le juge ne
recevra pas sa demande s’il n’apparaît pas que le demandeur ait un intérêt à agir. On
notera que la fin de non recevoir peut être, dans cet esprit, opposée par le défendeur,
mais également par le juge qui “peut relever d’office la fin de non recevoir du défaut
d’intérêt”.
Quand y aura-t-il “défaut d’intérêt” ? La question se résout en constatant que
l’intérêt doit présenter un certain nombre de caractéristiques.
L’intérêt, en contentieux privé, doit tout d’abord être “légitime” (article 30 : “...
L’action est ouverte à ceux qui y ont un intérêt légitime... ”). La formule est ambiguë.
Que veut dire “légitime” ? Le mot peut avoir deux sens. Dans une conception large
l’adjectif “légitime” équivaut à “sérieux”, “certain”, d’une “certaine valeur”. Dans un
sens plus étroit, le mot “légitime” signifie “protégé par la loi”. C’est dans ce dernier
sens qu’a été, pendant un temps, apprécié le mot “légitime”, auquel on adjoignait
l’expression de “juridiquement protégé”. La réflexion consistait à dire que le
législateur avait, par l’adoption des règles de droit, défini les situations dignes
d’intérêt. Au contraire, en laissant dans l’ombre d’autres situations, le législateur
avait également marqué que ces situations ne méritaient pas d’être reconnues. En
exemple, l’épouse “légitime” qui perd son mari dans un accident perd celui que la loi
a défini comme étant son débiteur des devoirs de secours, fidélité, et assistance. La
concubine, qui perd son concubin, perd quelqu’un qui n’était lié à elle par aucun lien
de droit. En demandant réparation pour la perte de son concubin, la concubine ne
justifie pas d’un intérêt que la loi a voulu protéger.
Cette conception a été abandonnée. Le droit d’agir n’est pas conditionné par la
démonstration d’une atteinte à un droit substantiel. La notion de “juridiquement
protégé” tient au fond du droit et non au droit d’agir.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 43
Il faut prendre le sens “légitime” au sens premier, au risque de conditionner le
droit d’agir à des impératifs que la loi ne pose pas. Le mot “légitime” s’entend de
façon relativement subjective. Celui qui agit ne doit pas être motivé par le seul esprit
de chicane. L’irrecevabilité de l’action, révélée ab initio comme “illégitime” serait
une sorte de parade à l’action manifestement dénuée de toute perspective d’avantage
pour son auteur. Ceci étant, il n’est pas impossible de doubler cette analyse de celle
portant sur l’irrecevabilité de l’action fondée sur un intérêt “illégitime” au sens de
contraire à la loi. Rappelons que la liste des fins de non recevoir n’est pas limitée.
L’action qui en elle même, révélerait un but immoral ou illicite pourrait être déclarée
irrecevable : c’est l’analyse déjà présentée de la règle “nemo auditur”.
L’intérêt doit être également “né et actuel”. Le procès ne s’entend que s’il y a
litige, c’est-à-dire un trouble dans la situation juridique. Il n’y a pas d’action
préventive, en droit positif français (tout au plus permettra-t-on sur requête ou en
référé l’adoption de mesures conservatoires, ou l’adoption de mesures d’instruction
“avant tout procès s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir la preuve de
faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige “(futur) (article 145 N.C.P.C). Le
principe est un principe général qui peut souffrir néanmoins des exceptions légales
(on connaît le “désaveu préventif”, action menée pour prévenir le risque d’une action
en réclamation d’état) ; on admet la séparation de biens judiciaire d’époux toujours
mariés (mais elle suppose un manquement grave de l’un d’eux) ; l’action en
renouvellement de rente peut être engagée des 28 ans (sans attendre les 30 ans).
Nous pourrions également indiquer que le créancier d’une obligation à terme n’a
pas d’intérêt né et actuel à agir avant terme, sauf dans les cas où serait apparue une
cause de déchéance du terme.
On pourrait, pour illustrer cette nécessité d’un intérêt né et actuel, évoquer
quelques actions anciennes comme l’action “de jactance” sanctionnant celui qui se
vante d’avoir un droit (l’action avait pour but d’obliger la personne à l’établir ou à
garder silence perpétuel.) ou l’action interrogatoire (un acte est nul de nullité relative.
Seul peut agir celui que la loi entend protéger. Cette personne n’agit pas et ne
confirme pas l’acte nul ; l’action avait pour but de l’obliger à prendre position).
D’autres actions ont eu un temps écho pour sanctionner la menace contre un droit
potentiellement contesté.
On connait ainsi, parmi les actions possessoires, l’action en “dénonciation de
nouvel œuvre” qui sanctionne la menace d’un trouble possessoire que peut
occasionner ou qu’occasionne le nouvel ouvrage.
B) La qualité à agir.
A la notion d’intérêt à agir, s’ajoute celle de qualité à agir. Toute la difficulté
présentée par cette notion, en contentieux privé tient au fait qu’elle ne recouvre pas
toujours la même réalité selon la nature du litige.
α) Dans le contentieux portant sur un droit subjectif et individuel, la notion de
qualité à agir se confond avec celle d’allégation d’un droit qui revient au profit de
celui qui agit. Si j’allègue que le droit en cause est l’un de mes droits, je démontre à
la fois que j’ai intérêt à agir et qualité à agir. Si j’allègue un intérêt personnel et
direct, j’établis ma qualité à agir. Ces critères de l’intérêt à agir “personnel et direct”
sont en fait la révélation de la qualité à agir. Je suis le bénéficiaire potentiel du droit
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 44
revendiqué, ma qualité à agir est révélée, de même que mon intérêt. A titre
d’exemple, si j’allègue être créancier d’une personne, et que j’agis contre elle en
recouvrement de ma créance, de mon allégation découle la démonstration d’un intérêt
à agir (récupérer ma créance) et de ma qualité à agir (j’allègue être titulaire du droit
subjectif en question).
β) Mais il est des types d’actions où la notion de “qualité à agir” prend un autre
sens. C’est le cas des actions dites “attitrées”, c’est-à-dire des actions qui ne peuvent
être exercées que par la personne expressément désignée par le législateur, comme
titulaire du droit d’agir. La qualité à agir s’apparente alors à une sorte de “mandat
légal” ou de pouvoir légal d’agir en justice. L’action n’appartiendra qu’à tel ou tel ou
à telle ou telle personne ayant telle ou qualité préalable.
Si l’on veut partir de données simples, les actions d’état, et plus généralement tout
ce qui concerne le droit de la famille s’organisent autour de procédures qui ne
peuvent être engagées que par tel ou tel. Le désaveu de paternité ne peut être engagé
que par le père, car il est seul désigné par la loi pour pouvoir l’engager. Le divorce ne
peut être demandé que par l’un des époux, la nullité relative de mariage, que par la
personne que la loi a entendu protéger.
Il est des cas où le législateur donne qualité à agir à tel ensemble de personnes
pourvu qu’elles aient une qualité préexistante (exemple : les créanciers).
Il est également des domaines où le législateur “habilite” spécialement telle
personne pour agir au nom, ou pour le compte de tel ou tel. Ainsi l’administrateur
légal, le représentant des créanciers en matière de redressement judiciaire, les
créanciers dans l’action oblique ou paulienne, le syndicat.
Nous avons raisonné jusqu’à présent dans le cadre de l’intérêt personnel et direct
et de l’action engagée par son titulaire ou par la personne habilitée ou désignée. Mais
qu’en est-il lorsque l’intérêt en cause ne concerne pas une personne physique ou
morale, mais un ensemble de personnes ? Il est des cas où la règle de droit crée un
impératif dont la violation ne vise pas nécessairement une personne spécifique. Doitil y avoir autant d’actions que de personnes intéressées, ou peut-on admettre que
certaines d’entre elles aient “qualité” à représenter l’intérêt de tous ?
Cette question n’est pas celle du droit du groupement personne morale, qui agit
par son mandataire (si le mandataire n’a pas capacité pour faire l’acte, l’acte est nul).
Il va de soi que la personne morale a le droit d’agir, par ses représentants, pour la
défense de ses intérêts spécifiques. Nous étudierons cette question lorsque nous nous
demanderons qui peut représenter en justice. Elle n’est pas non plus celle du
groupement qui agit pour la défense de l’un de ses membres après avoir reçu mandat
de défense de l’intérêt individuel (comme le syndicat mandaté pour représenter un
salarié en justice). Il s’agit de la question du droit du groupement d’agir dans un
cadre plus large que l’intérêt du groupement lui même, ou des intérêts individuels
cumulés des membres. (Exemple : un office privé d’HLM décide, sans qu’il n’y ait
eu de réunion ou de consultation, de faire payer à l’ensemble de ses locataires un
complément de loyer. Il adresse les appels de loyers, demande payement, et prélève
sur les cautions déposées le montant de cette majoration. Doit-il y avoir autant
d’actions que de locataires mécontents ? Les syndicats de locataires peuvent-ils agir
alors que tous les locataires ne sont pas syndiqués ? Peut-on concevoir que quelqu’un
agisse “au nom de tous ” ?)
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 45
On tempérera la problématique par l’idée que le ministère public, ainsi que nous
le verrons, peut agir, même en dehors de toute infraction, devant les juridictions
civiles quand l’intérêt général (sous couvert de l’ordre public) est en cause. Mais il
faut que ce soit l’intérêt général (et non pas l’intérêt d’un groupe).
Le droit d’agir dans l’intérêt d’une collectivité n’est en fait reconnu, en droit
privé, que dans des domaines limités, pour des organismes peu nombreux. Nous
rencontrons d’abord les SYNDICATS PROFESSIONNELS qui peuvent agir “ pour
la profession toute entière” et non pas seulement pour les adhérents du syndicat.
Nous serions devant une sorte de mandat tacite donné par la “profession” au syndicat
professionnel d’agir pour la défense de la profession, lorsque les intérêts de “la
profession” sont en cause. La loi a consacré ce “mandat” en un mandat “légal” de
représentation. Le syndicat peut donc (pour reprendre le terme de la loi) se
“constituer partie civile” devant les juridictions privées.
Nous trouvons ensuite les ORDRES PROFESSIONNELS qui défendent
également les “intérêts moraux” de la profession. (Mais ici les choses sont moins
nettes car les professionnels sont tenus d’adhérer à l’ordre professionnel. Dès lors
l’intérêt de la profession n’est pas différent de la masse des intérêts individuels).
Enfin certaines ASSOCIATIONS se voient reconnaître le droit de mener des
ACTIONS CIVILES devant les juridictions civiles. La question est de savoir si elles
ont qualité pour représenter d’autres personnes que les seuls adhérents, et surtout de
savoir ce qu’elles peuvent demander comme type de réparation ou de condamnation.
Prenons l’exemple des associations de consommateurs. La loi du 5 Janvier 1988 en
son article 8-1 indique “ lorsque plusieurs consommateurs personnes physiques
identifiées ont subi des préjudices individuels qui ont été causés par le même
professionnel et qui ont une origine commune toute association agrée et reconnue
représentative sur le plan national.. peut, si elle a été mandatée par au moins deux
des consommateurs concernés agir en réparation devant toute juridiction, au nom de
ces consommateurs...le mandat...doit être donné par écrit par chaque
consommateur”.
La loi en l’espèce ne fait que reconnaître la capacité de l’association à être
mandataire de consommateurs (nous ne sommes pas dans le domaine de la qualité à
agir, mais de la capacité à représenter). L’article premier du texte indique, quant à lui,
que les “associations régulièrement déclarées, ayant pour objet statutaire explicite
la défense des consommateurs peuvent, si elles ont été agrées à cette fin exercer les
droits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct
ou indirect à l’intérêt collectif des consommateurs”
L’article 3 - 4°) du code de la famille indique que l’Union Nationale et les Unions
départementales des associations familiales sont habilitées à exercer “devant toutes
les juridictions, sans avoir à justifier d’un agrément ou d’une autorisation
préalable... l’action civile relative aux faits de nature à nuire aux intérêts s moraux
et matériels des familles “.
Nous pourrions encore compléter nos développements avec l’action des ligues
anti alcooliques, définie par l’article 6 du Code des débits de boissons...La liste,
même si elle n’est pas exhaustive, est finalement fort peu importante. Et encore fautil constater que les actions menées n’auront pas pour effet ou résultat direct de
modifier la situation individuelle de chaque personne concernée. L’association
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 46
n’apparaît pas comme mandataire légale, mais plutôt comme habilitée, comme ayant
“qualité” à représenter l’intérêt collectif.
Il faut enfin, sur la question de la qualité à agir dans le contentieux privé réserver
la notion de “mandat ad litem” et l’analyse de la règle “nul ne plaide par procureur
”.
Peut-on, lorsque l’on engage une action, engager des personnes non parties au
procès ? Le jugement pris par le créancier contre le débiteur, préjudicie-t-il à la
caution du débiteur ? La question n’est pas du mandat de représenter (nous verrons
que pour représenter quelqu’un en justice il faut, sauf si l’on est avocat, justifier d’un
mandat spécial).
La problématique est double. Elle est d’abord de dire que nul ne peut faire un
procès au nom et pour le compte d’un autre. Celui qui fait un procès doit apparaître
comme partie. Il doit être connu et apparaître comme lié par le lien d’instance. Même
si plaideur est représenté, son identité doit être connue. On ne peut concevoir de
procès par prête nom. L’on comprendra la portée de cette règle avec sa nuance
classique. Le syndicat peut, pour certains salariés (travailleur à domicile, travailleur
étranger...) agir pour, au nom et pour le compte de la personne, pourvu que celle-ci
ne s’y soit pas opposée. Le jugement rendu bénéficiera (ou préjudiciera) à cette
personne alors même qu’elle n’a pas donné expressément mandat d’agir pour elle. Le
principe général est que “nul ne plaide par procureur”, que celui qui agit doit
apparaître comme exerçant son droit d’action (quitte à ce qu’il soit représenté dans le
cadre de celle-ci).
Le second problème que nous rencontrerons avec la notion de tiers au procès est
celle des personnes liées par la décision rendue alors qu’elles n’ont pas été parties au
procès. Retenons d’ores et déjà l’idée que l’on peut, en passant contrat, expressément
ou implicitement admettre que ce qui sera fait par le cocontractant sera fait dans
l’intérêt commun, en ce compris dans le cadre d’une éventuelle procédure. Si je me
porte caution d’un débiteur, celui ci assigné par le créancier fera au mieux de l’intérêt
commun. Sauf fraude de sa part, je serai tenu par la décision rendue contre lui. Nous
reverrons cette notion avec les développements relatifs au tiers au procès.
§2 : Intérêt et qualité à agir dans le contentieux administratif
En “plein contentieux” la notion d’intérêt à agir évoque celle qui, en contentieux
privé, concerne les actions en indemnisation. Celui qui allègue avoir subi un
préjudice du fait l’administration, alléguera un préjudice direct et personnel, et des
lors son intérêt à agir sera retenu.
Plus délicate est la question de l’intérêt à agir dans le cadre du contentieux de la
légalité. Faut-il, pour demander l’annulation d’un acte administratif, justifier d’un
intérêt spécifique pour agir ? Le droit d’agir s’apparente-t-il, au contraire, au droit de
chaque citoyen de critiquer l’administration ? La notion d’intérêt à agir découle de la
notion “d’acte faisant grief”. En d’autres termes, si la question de l’intérêt à agir est
posée, il faudra qu’il soit justifié par le requérant de ce que la décision risque d’avoir
des conséquences juridiques vis-à-vis de lui. Nous retrouvons ici des notions déjà
rencontrées. La circulaire non réglementaire, l’acte préparatoire, la demande de
renseignements, ne sont pas des décisions risquant de faire grief ; si l’acte est retiré,
caduc ou annulé, le grief n’existe pas. L’intérêt à agir peut être purement moral. Et
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dans la mesure où l’acte peut concerner une activité immorale (fermeture de bar,
interdiction de circulation de prostituées...) l’action contre ces actes sera reçue sans
que ne se pose la question de la moralité du droit d’agir.
La notion d’intérêt à agir en matière de contentieux de la légalité d’un acte
administratif, rejoint la notion de “qualité à agir”. Pour avoir qualité à agir il faut
appartenir à une catégorie définie et limitée de personnes touchées par l’acte critiqué
ou potentiellement touchées par l’acte. Il faut appartenir au cercle des “intéressés”.
Cette notion est relativement floue, et présente finalement peu d’intérêt dans le cadre
du contentieux de la légalité. Car si l’action aboutit, et l’acte déclaré nul, celui ci
disparaît de l’ordonnancement juridique. Que l’action soit intentée par Pierre ou par
Paul, ou par Pierre et Paul finalement importe peu. S’ils ont les mêmes moyens à
soulever, le résultat positif est acquis pour tous.
Les règles sur les personnes morales et les groupements ne posent pas de
problème spécifique en contentieux administratif par rapport à ce que nous avons vu
en matière de contentieux privé.
§ 3) Intérêt et qualité à agir dans le contentieux répressif
Il faut, dans ce domaine, rappeler que l’action est diligentée par le ministère
public, éventuellement par la victime, et dans des cas très limités par
l’administration, et uniquement par eux. Le fait de porter plainte, ou de dénoncer, ou
d’informer tel organe à même de poursuivre, n’est pas en soi l’exercice d’une action.
Chacun doit dénoncer les crimes ou délits dont il peut avoir connaissance, mais la
dénonciation n’emporte pas nécessairement action. Le ministère public, organe de
poursuite qui reçoit les plaintes et les informations sur les infractions commises,
appréciera l’opportunité de celle ci au regard de l’intérêt général. Au stade de la
poursuite, l’appréciation de l’intérêt général appartient à l’organe chargé de la mettre
en œuvre, et à lui seul. Le juge, appelé à apprécier l’infraction, n’a pas à juger de la
recevabilité de celle ci, selon qu’elle porterait ou non atteinte à l’intérêt général. Il a à
juger de l’infraction et doit apprécier la sanction éventuelle, et c’est tout.
Pour ce qui concerne la qualité et l’intérêt à agir en matière répressive, la
difficulté ne vient pas de l’action du parquet. Les représentants du parquet ont pour
mission de poursuivre les infractions c’est-à-dire d’exercer le droit d’action. L’intérêt
en cause, qu’ils représentent dans ce droit d’action, est l’intérêt général. La question
de la “qualité à agir” ne se pose même pas.
En revanche les difficultés apparaissent avec le pouvoir des administrations
d’engager un certain nombre d’actions, et également avec la problématique des
intérêts civils collectifs distincts des intérêts individuels, et distincts de l’intérêt
général.
Il faut distinguer le droit d’agir, du droit de demander réparation. Ainsi qu’on l’a
vu, si la victime agit, elle va provoquer une prise de position au niveau du ministère
public. L’action de la victime peut provoquer, déclencher, ou doubler l’action
publique. Au départ de l’action, il suffira d’alléguer l’existence d’une infraction et
d’un éventuel préjudice ou d’un préjudice possible, voir même d’un préjudice non
directement personnel. En revanche la demande de condamnation au payement de la
réparation nécessitera la justification d’un intérêt direct, personnel, né et lésé. En
d’autres termes, la victime doit-elle alléguer, pour agir, l’atteinte à un droit
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 48
substantiel ? Non, car l’idée est admise que la recevabilité n’est pas liée à la preuve
d’un préjudice. On doit même admettre que la partie civile est recevable à agir,
lorsque le préjudice qu’elle allègue n’est pas distinct de l’intérêt général. Je suis
victime d’une tentative d’escroquerie : je n’ai subi aucun préjudice. Ai-je néanmoins
un droit d’agir contre l’auteur ? Il faut admettre que oui. Puis-je être reçu dans mon
action civile, si je n’allègue que la violation d’une règle protégeant l’ordre public ?
Dans la mesure où mon action civile provoque nécessairement l’intervention du
ministère public, elle sera sans doute reçue. En revanche, si je demande réparation, il
me faudra justifier d’un intérêt personnel.
En ce qui concerne la notion de qualité à agir, la question ne se pose pas pour le
ministère public, gardien de l’intérêt général.
Les victimes auront qualité à agir, et demander réparation, pourvu qu’elles
alléguer un préjudice personnel et direct découlant de l’infraction. Nous retrouvons
également la liste des personnes habilitées à agir sur le terrain pénal pour le compte
de la victime. C’est le cas des héritiers de celle ci. Nous verrons plus avant la
question de l’intervention de l’assureur au procès pénal, et l’intervention des caisses
de sécurité sociale. Nous retrouvons également, en matière de constitution de partie
civile, l’action des groupements habilités par la loi à défendre un intérêt collectif.
Nous retrouvons les syndicats, qui peuvent demander réparation du comportement
constitutif de l’infraction, les ordres professionnels, et les associations expressément
désignées par le législateur. La difficulté en l’espèce sera, pour ces groupements, à
l’opposé de ce que l’on a vu en matière civile, de faire la preuve d’un préjudice
collectif, découlant de l’infraction, différent de l’atteinte à l’intérêt général.
CHAPITRE 2 : LE LIEN D’INSTANCE
Nous avons vu dans le premier chapitre, la notion même de droit d’agir et les
titulaires de celui-ci. Nous avons vu également que le droit d’agir se concrétise sur le
plan formel par un certain nombre d’actes, qui supposent un recours à certains
professionnels (greffier, huissier, avocat...). La demande présentée, l’affaire inscrite
au rôle va engendrer un nouveau rapport -le rapport d’instance- liant trois parties : le
juge, celui qui agit, et celui contre qui l’action est menée. Ce rapport est source de
droit et d’obligations tant pour les parties que pour le juge. Son étude constitue le
second aspect de notre réflexion dans le cadre de cette première partie consacrée à la
phase initiale du procès.
INTRODUCTION : LA NOTION D’INSTANCE
La notion d’instance s’inscrit dans la notion même de procès. On peut en avoir
une conception large ou formelle. L’instance serait “ce qui va de l’acte introductif
d’instance, à la décision mettant fin au litige”. On pourrait au contraire, avoir une
vision plus étroite du concept : l’instance serait le lien existant entre les plaideurs et
le magistrat. L’instance commence alors avec la saisine du juge et s’achève avec les
plaidoiries (à ce moment les parties sortent du rapport d’instance) ou éventuellement
avec la décision rendue (tant qu’elle ne l’est pas, les parties resteraient créancières de
leur droit d’obtenir jugement).
L’exercice du droit d’agir va créer un rapport nouveau entre les parties,
“doublant” le rapport de droit préexistant éventuellement entre elles. Ce nouveau
rapport procédural va engendrer de nouvelles appellations. Dans le contentieux civil,
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 49
les “plaideurs” seront appelés “demandeur et défendeur”. Dans le contentieux
administratif, l’administré deviendra “requérant” et la personne publique
“l’administration défenderesse”. En contentieux répressif, la personne poursuivie,
mise en examen, deviendra prévenue (dans les liens de la prévention) éventuellement
accusée (renvoyée par la chambre d’accusation) pour devenir éventuellement
contrevenant, délinquant, ou criminel.
Ce nouveau rapport sera générateur de droits et d’obligations diverses : droit à la
communication des pièces, droit de répondre, droit de la défense, droit à la
contradiction, droit d’être entendu...Ces droits appartiennent à chacune des parties du
fait même et tant que dure le rapport d’instance. On préférera, à l’analyse exhaustive
de ces droits et devoirs, l’approche chronologique suivant le déroulement du procès.
A qui appartient l’initiative procédurale ? Qui fixe la matière et les limites du
procès ? Comment se déroule l’instance ?
SECTION 1: LA CRÉATION DU LIEN D’INSTANCE
La première question est de savoir à qui appartient l’initiative procédurale (§1) ?
N’est-elle, dans une conception stricte, réservée qu’aux parties ? Permettra-t-on, au
contraire, au juge, de se saisir d’office d’une question relevant de sa compétence ?
En d’autres termes qui peut prendre l’initiative de créer le lien d’instance ? Peut-on,
de la même manière, concevoir qu’un tiers intervienne dans le cadre d’une instance
ouverte qui ne le concerne pas en premier chef (§2) ?
Les réponses que l’on voudra bien donner à ces questions dépendent toujours de
l’idée que l’on se fait du procès : si l’on considère que tout litige est un élément
perturbateur de l’harmonie sociale, il faudra, de la manière la plus large possible,
permettre au juge de mettre fin au litige révélé, ou dont il a connaissance, par
application de la règle de droit. Si l’on considère au contraire que le juge n’est qu’un
arbitre chargé de dire quelle est, entre deux thèses, celle qui est conforme à la règle, il
faudra apporter une réponse beaucoup plus stricte.
§1) A qui appartient l’initiative procédurale ?
On pourrait penser qu’en contentieux privé (A) l’initiative procédurale n’est que
l’affaire des parties, et qu’une réponse pourrait être contraire dans le contentieux
répressif (B) et public (C). Qu’en est-il ?
A) En contentieux privé
a) L’initiative des parties.
Il est traditionnel de dire que le procès civil est à l’initiative des parties. “Pas de
juge sans demandeur”. Le juge n’a pas à faire de procès hors ceux qui lui sont
soumis. On rappellera simplement l’article 1 du code de procédure civile “Seules les
parties introduisent l’instance hors les cas où la loi en dispose autrement ”.
La création du lien d’instance découlerait de l’acte introductif, qui met en rapport
le demandeur à son adversaire. Les raisons et l’objet du procès sont décrits dans
l’acte délivré à la requête de la partie demanderesse, et dont nous avons parlé plus
haut. Le juge entrera dans le rapport d’instance, sera informé de la demande, par la
formalité de l’enrôlement, c’est-à-dire de l’inscription de l’affaire au rôle du tribunal.
En pratique, les textes imposent un délai entre la date de l’acte, la date de
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 50
l’enrôlement, et la date de l’audience. En matière civile, sauf dans le cadre des
procédures d’urgence, le délai habituel entre la convocation et la date d’audience est
de quinze jours minimum. Quand l’assignation est délivrée pour une date d’audience
donnée (ce qui se passe habituellement, sauf devant le tribunal de grande instance)
l’enrôlement doit être fait huit jours au moins avant la date d’audience. De manière
très pratique, l’enrôlement amène le secrétaire greffier à “ouvrir un dossier”, qui aura
vocation à recevoir la copie de l’acte introductif, les pièces de procédure et les
“notes”. En matière de sécurité sociale, le dossier a même vocation à recevoir les
pièces des parties, et pourra être consulté par chacune d’elles.
Tout ceci veut dire que ne viendra en phase de jugement que le litige effectif.
L’assignation délivrée ab irato ne sera pas enrôlée, et ne sera donc pas portée à la
connaissance du juge, tout comme l’affaire qui a donné lieu à conciliation, et qui se
termine avec celle ci.
L’article premier du code rappelle donc que “seules les parties introduisent
l’instance”. Observons toutefois qu’il réserve les “cas où la loi en dispose
autrement”. C’est qu’il est donc admissible en contentieux civil, que l’instance soit
engagée par un autre que le demandeur. On peut donc admettre que la loi puisse
autoriser le juge à agir dans le cadre d’un rapport de droit privé, ou d’un litige de
droit privé qui ne lui a pas été déféré. Il existerait donc des cas dans lesquels le
législateur donnerait au juge “investiture” pour rétablir contre la volonté des parties
qui n’ont pas entendu le saisir, une situation de fait en harmonie avec “ le bon droit ”.
Ces cas concernent la saisine d’office du juge (b) et le rôle du ministère public dans
le procès civil (c).
b) la Saisine d’office.
Nous pouvons citer plusieurs exemples de situations permettant la saisine d’office,
dans lesquelles le rapport d’instance sera crée à l’initiative du juge.
α) C’est d’abord, en matière de tutelles des mineurs, celui donné par l’article 391
du code civil : “ Dans les cas de l’administration légale sous contrôle judiciaire le
juge des tutelles peut à tout moment soit D’OFFICE, soit à la demande... décider
d’ouvrir une tutelle”.
De la même façon, l’article 395 rappelle que : “ le juge des tutelles exerce une
surveillance générale sur les administrations légales et les tutelles de son ressort. Il
peut condamner à une amende civile ceux qui n’auraient pas déféré...”
β) Des dispositions voisines existent pour les tutelles des majeurs : “ Le juge
pourra soit désigner un mandataire spécial à l’effet de faire un acte déterminé...soit
décider d’office d’ouvrir une tutelle ou une curatelle“ (article 495-1). On trouve
encore que : “l ‘ouverture d’une tutelle est prononcée par le juge des tutelles, à la
requête de...Elle peut être aussi ouverte d’office par le juge” (même disposition article 509 pour la curatelle).
γ) En matière d’assistance éducative (article 375) le juge peut “ si la santé la
sécurité ou la moralité d’un mineur” sont en danger “ordonner des mesures
éducatives à la requête de...et se saisir d’office à titre exceptionnel”.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 51
δ) En matière de redressement judiciaire (Loi 85-98 Art 4 al 2) “le tribunal reçoit
des informations et convoque le débiteur commerçant et nomme un enquêteur sur la
situation du dit commerçant”
c) La deuxième réserve tient à la possibilité d’action du Ministère public dans le
procès civil.
Il faut ici avoir en vue que la situation de fait qu’entend dénoncer le parquet n’est
pas, en elle même, constitutive d’une infraction pénale (sinon le parquet pourrait
poursuivre). Et de surcroît, il faut comprendre que les parties n’entendent pas, ne
veulent pas, ou ne souhaitent pas agir. Malgré cela le ministère public pourra engager
une instance.
Certes, ce n’est pas lui qui juge. Mais il agit peut être contre la volonté des parties
elles mêmes. Le représentant du ministère public n’est pas partie à la situation
juridique qu’il entend dénoncer. Pourtant il va agir pour la voir modifier ou
disparaître. Dans quel cadre peut exister une telle action ? Deux fondements sont
possibles :
α) Il est des actions que le ministère public exerce parce qu’elles sont “attitrées”.
La loi désigne le ministère public comme ayant qualité à agir pour telle ou telle
partie, dans la défense de tel ou tel intérêt. La chose n’est pas en soi choquante.
L’article 422 du code de procédure civile indique “Le Ministère Public agit d’office
dans les cas spécifiés par la loi”. Si l’on dresse un rapide inventaire des cas
d’interventions d’office sur autorisation de la loi, on constate que le ministère public
agit en premier lieu dans le but de protection de catégories de personnes (absents,
disparus, mineurs ou majeurs sous tutelle autorité parentale..). Il est alors le
représentant qualifié dans l’engagement de la procédure. Le ministère public pourra
également agir en matière de redressement judiciaire et de liquidation de biens, de
nationalité ou de déchéances.
β) La difficulté n’est pas à ce niveau. Elle apparaît avec la rédaction de l’article
433 du code de procédure civile :
“ En dehors des cas où la loi le spécifie, le ministère public peut agir pour la
défense de l’ordre public, à l’occasion de faits qui portent atteinte à celui-ci”.
Nous trouvons ici la manifestation du rôle du juge dans le cadre du “combat pour
le droit” dans un type de contentieux uniquement privé. Le ministère public
déclenche l’action civile et demande au magistrat de modifier une situation juridique
acquise et voulue par les parties, contre la volonté de celles-ci. L’exemple classique
est la demande d’annulation de “mariage blanc”. La demande présentée pourra au
demeurant se heurter au refus des parties à l’origine de la situation juridique taxée de
contraire à l’ordre public. Le conflit entre l’intérêt général allégué, et l’intérêt
individuel des parties assignées doit être réglé. Un élément de réponse est donné par
le célèbre arrêt Bodin du 17.12.1913. L’action du ministère public est admise si
l’ordre public est principalement et directement intéressé, et s’il n’y a pas d’intérêt
privé concurrent (l’action du ministère public ne doit pas léser un intérêt rival). Si
cette notion “d’intérêt rival” devait subsister, il faudrait admettre que l’atteinte au
principe dispositif est finalement relativement tempérée.
B) Le contentieux répressif.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 52
Dans le procès pénal, pour ce qui concerne l’introduction de l’instance, la
procédure est essentiellement accusatoire. Nous nous apercevons en effet que le juge
(celui qui est appelé à juger) n’a pas, par définition, l’initiative de l’engagement des
poursuites (tout au plus, pourrait-on s’interroger sur le délit d’audience, où le juge est
en soi victime, plaignant et magistrat, ainsi que sur l’amende forfaitaire).
Nous pouvons rapprocher cette idée de la définition du rôle du juge en matière
pénale. Le juge a à apprécier le “fait” qui sert de support aux poursuites. Il est saisi “
in rem”. Peut-il se saisir de faits nouveaux révélés à l’audience ? (le voleur poursuivi
pour vol qui déclare avoir commis l’infraction pour acheter de la drogue, peut il être
immédiatement poursuivi pour consommation de produits stupéfiants ?) La réponse
est négative. Il faudrait qu’il y ait un nouvel acte de poursuite. Le juge ne peut se
saisir d’office.
Pour l’action publique, il faut avoir en vue qu’elle peut être mise en mouvement
par trois catégories de personnes : le ministère public (a), la victime (b), certains
fonctionnaires (c).
a) Le ministère public, sur le plan procédural, saisira le tribunal dans les formes
que l’on a déjà rencontrées (citation directe, saisine directe, avertissement,
comparution volontaire, ou par réquisitoire introductif s’il y a eu renvoi de l’affaire à
l’instruction).
b) La victime pourra saisir le tribunal par la voie de la citation directe (qui aboutit
au déclenchement par voie d’action, de l’action publique) ou, s’il est besoin d’une
instruction, par la voie d’une plainte avec constitution de partie civile entre les mains
du doyen des juges d’instruction. (Nous verrons que lorsqu’elle est partie
intervenante, greffant son action sur celle du ministère public, la victime n’aura qu’à
se constituer partie civile sans avoir véritablement à diligenter). Ceci étant même si le
lien d’instance est crée par l’initiative de la partie civile, le ministère public sera de
toutes les façons partie dans la procédure.
C Certains fonctionnaires ont le pouvoir de provoquer les poursuites et déclencher
l’action publique, comme le rappelle l’article 1 du code de procédure pénale :
“l’action publique...est mise en mouvement et exercée par les magistrats ou par les
fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi”). L’administration ne met pas
seulement l’action publique en mouvement ; elle exerce le plus souvent l’action
publique, avec les mêmes prérogatives et les mêmes droits que le ministère public.
On peut donner quelques exemples : l’administration des douanes exerce seule
l’action publique devant le tribunal de police, elle la met en mouvement devant le
tribunal correctionnel ; les contributions indirectes exercent l’action si l’infraction ne
comporte qu’une peine pécuniaire ; il en est de même pour l’administration des ponts
et chaussées devant le tribunal de police, et pour l’administration des eaux et forêts
en matière de délits de pêche et forestiers. Le fonctionnaire agit comme agirait le
ministère public (on pourra lire les articles 34.39.45 al 2 du code de procédure
pénale).
C) Le contentieux administratif
Pour ce qui est du contentieux administratif, les choses sont beaucoup plus
simples. Sur le plan formel, n’existe que le recours de l’administration et la requête
de l’administré. Sur le plan procédural, la requête est déposée au greffe ainsi qu’on
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 53
l’a vu. La juridiction administrative peut-elle se saisir d’office ? La réponse est par
principe, négative. Certaines institutions, à caractère plus ou moins juridictionnel,
comme la cour des comptes, peuvent toutefois le faire.
-§II) Les Tiers au procès.
La problématique est la suivante : dans quelles conditions peut-on concevoir
qu’une personne, qui ne serait pas directement partie à l’instance, intervienne dans le
procès engagé, ou soit appelée à intervenir dans le dit procès ? Peut-on concevoir que
ce tiers soit lié par l’instance engagée ? Cette question se pose bien sûr, dans nos trois
types de contentieux.
Il faut avoir en vue que le tiers peut être utile à la révélation d’une certaine vérité ;
il faut aussi avoir en vue que le tiers pourrait être directement intéressé par la
décision à intervenir dans le cadre d’un procès qui ne le lie pas.
La nature de l’intervention du tiers peut présenter divers aspects. Le tiers peut,
dans le cadre d’un litige, prendre part à celui ci et à son tour demander
condamnation. Il deviendrait alors partie. Il se peut également que son rôle soit plus
passif, et qu’il ne vienne dans l’instance que soutenir telle ou telle des parties en
cause. Le tiers peut être encore appelé en garantie ; il peut aussi être témoin. Nous
étudierons plus tard la situation du tiers au jugement. Quel est le rôle des tiers dans le
procès engagé par d’autres ?
A) Le procès civil.
Dans le procès civil, il est possible de concevoir la participation des tiers à un
triple niveau : le tiers intervient spontanément (a), de manière forcée (b) ou comme
témoin (c)
a) L’intervention spontanée.
Ici, le tiers intervient spontanément dans une procédure pour formaliser une
demande, soit contre le défendeur initial, soit (pourquoi pas ?) contre le demandeur
en demande reconventionnelle par intervention ; cette intervention ne sera
concevable et recevable qu’autant que la demande présentée est connexe au litige
principal. Cette intervention sera dite principale, puisqu’elle est destinée à faire valoir
une prétention au bénéfice du tiers qui la forme. Le tiers est donc au départ de la
procédure en dehors du lien d’instance ; s’il intervient à titre principal, il devient
partie au procès. Il faudra qu’il ait qualité et intérêt à agir.
L’intervention peut être volontaire et accessoire. Elle n’est faite que pour appuyer
la position de l’une des parties. La recevabilité de cette intervention volontaire
accessoire sera plus facilement admise. Il suffit simplement de justifier d’un intérêt à
intervenir. Et cette notion doit être prise dans un sens très large. L’intérêt moral,
voire l’intérêt éventuel ou même la simple crainte d’un préjugé défavorable, peuvent
suffire.
On rappellera que la notion d’intérêt collectif ou général peut permettre
l’intervention accessoire d’un groupement ; de la même façon, nous verrons que le
ministère public peut être partie intervenante au procès civil. Son intervention est
possible. On comprendra qu’il suffit, pour qu’elle soit recevable, que l’intérêt général
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 54
soit, même de façon très incidente, concerné. Dans une telle hypothèse, l’intervention
permettra au ministère public de faire valoir le point de vue de la collectivité dans le
cadre de l’instance ouverte. La loi organise ce type d’intervention du ministère
public, dans un procès où par essence l’intérêt général n’est pas à l’origine de
l’instance. Le ministère public doit d’ailleurs avoir communication d’un certain
nombre de dossiers (filiation, redressement judiciaire, tutelles majeurs et mineurs,
suspension provisoire des poursuites...) le texte dit qu’il DOIT donner son avis.
En toute hypothèse, le ministère public peut intervenir hors les cas où la loi
l’invite à ce faire, s’il l’estime opportun. On peut indiquer également que dans le
cadre du déroulement de l’instance civile, le magistrat peut inviter les parties à
appeler un tiers en la cause. C’est l’intervention du tiers “souhaitée” par le magistrat
(article 332 du code de procédure civile). De la même façon, il se peut que le tribunal
souhaite connaître l’avis du ministère public. Il est des causes dites “communicables”
où le tribunal provoquera l’intervention du parquet. Le ministère public partie
intervenante prendra la parole en dernier pour faire connaître son avis. Nous trouvons
en contentieux administratif une idée voisine avec les observations du commissaire
du gouvernement. Avant que la cause ne soit jugée, celui ci prend la parole en dernier
pour faire connaître au tribunal son point de vue éclairé et objectif sur la cause
présentée.
b) L’intervention forcée.
Nous trouvons encore l’intervention forcée. Une personne extérieure au procès
peut être appelée dans la cause s’il apparaît, qu’en raison de l’évolution du dossier,
une partie entende obtenir contre elle une décision de condamnation. Voici par
exemple un particulier qui fait construire un immeuble. Une fissure se produit dans
une cloison. Il fait un procès au constructeur. Une expertise est décidée. L’expert
estime qu’il y a erreur de conception imputable à l’architecte. Ce dernier pourra être
appelé en la cause aux fins de condamnation. Un domaine voisin est celui de l’appel
en garantie. L’une des parties au procès qui craint d’être condamnée fait appeler dans
la cause telle personne qui s’est portée garante pour elle, ou qui doit garantie
(l’exemple classique est celui de l’assureur).
Le but est d’obtenir que la décision soit commune. Il faut éviter que le tiers puisse
se retrancher derrière l’effet relatif de la chose jugée (la chose jugée n’a d’effet
qu’entre les parties) et qu’il soit nécessaire de réintroduire une nouvelle instance. On
pourra noter que la même réflexion amène à permettre la mise en cause de tiers,
même aux fins de condamnation, devant la cour d’appel, et ce pour la première fois
(article 555 “..Ces mêmes personnes peuvent être appelées devant la cour même aux
fins de condamnation quant l’évolution du litige implique leur mise en cause “)
c) Le tiers témoin
De la même façon enfin, il est possible que la présence du tiers soit rendue
indispensable dans le cadre de l’évolution du dossier et de l’instruction du fond de
l’affaire. Ce tiers peut être témoin de faits, ou détenteur de documents ou
d’informations dont la production est nécessaire à la manifestation de la vérité. Il
serait possible de concevoir que les parties au procès aient la responsabilité de cette
forme d’intervention des tiers au procès civil. Telle n’est pas la solution retenue.
L’article 10 du code civil, résultant de la loi de 1972 indique que : “chacun est tenu
d’apporter son concours à la Justice en vue de la manifestation de la vérité. Celui
qui sans motif légitime se soustrait à cette obligation lorsqu’il y a été légalement
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 55
requis peut être contraint d’y satisfaire au besoin à peine d’astreinte ou d’amende
civile, sans préjudice de dommages et intérêts”;
Nous avons dans le code de procédure civile une illustration de ce principe. Les
articles 138 à 141 du nouveau code de procédure civile montrent que le juge peut
ordonner au cours d’une instance, sur la demande de l’une des parties, la délivrance
d’un acte détenu par un tiers au procès. En matière de témoignage le code confirme le
pouvoir partagé entre les parties et le magistrat en ce domaine “ Les attestations sont
produites par les parties OU à la demande du juge. Le juge communique aux parties
celles qui lui sont directement adressées.” De la même façon, le juge procède à
l’enquête et peut ordonner une audition des témoins.
B) Le contentieux répressif
En matière pénale nous trouvons finalement des règles relativement voisines.
a) La partie civile (qui nous l’avons vu peut agir) peut, si le dossier est diligenté
par le ministère public, limiter son rôle à celui de partie intervenante à titre principal.
Elle pourra se “constituer partie civile” au plus tard avant le réquisitoire oral du
parquet ; elle n’a pas agi ni déclenché l’action publique ; elle demande, en
intervention, la condamnation de l’auteur de l’infraction. On aurait pu même
concevoir qu’ayant, par exemple, engagé son instance en réparation devant les
juridictions civiles, elle intervienne au procès pénal pour ne rien demander, mais pour
soutenir l’action du ministère public. Sur le plan des principes nous ne sommes pas
devant une intervention accessoire car le droit à l’intervention accessoire n’existe pas
en matière répressive ; mais en pratique la victime demandera au tribunal à être
entendue ; il ne sera rien demandé par la victime contre l’auteur de l’infraction, mais
elle aura fait valoir ses arguments. La même idée peut d’ailleurs être dégagée pour
les administrations ou pour les groupements.
b) L’appel en garantie existe également en ce domaine.
α) La mise en cause de l’assureur de dommages, dans le cadre du procès pénal est
organisée par le code de procédure aux articles 388-1 et suivants : “ La personne
dont la responsabilité civile est susceptible d’être engagée à l’occasion...d’une
infraction qui a entraîné un dommage...pouvant être garanti par un assureur doit
préciser le nom et l’adresse de celui-ci...Lorsque des poursuites pénales sont
exercées les assureurs appelés à garantir le dommage sont admis à intervenir et
peuvent être mis en cause devant la Juridiction répressive, même pour la première
fois en cause d’appel...Dix jours au moins avant l’audience la mise en cause de
l’assureur est faite par toute partie qui y a intérêt au moyen d’un acte d’huissier ou
d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception qui mentionne la nature
des poursuites engagées, l’identité du prévenu de la partie civile et le cas échéant de
la personne civilement responsable, le numéro des polices d’assurances, le montant
de la demande en réparation ou à défaut la nature et l’étendue du dommage ainsi
que le tribunal saisi, le lieu la date et l’heure de l’audience”.
β) On rappellera également la mise en cause parfois obligatoire des organismes de
sécurité sociale, par exemple en matière d’accidents du travail.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 56
γ) La question de l’intervention du tiers au procès pénal pose encore le problème
de savoir si d’autres que la victime elle même peuvent intervenir ? Songeons ainsi
aux créanciers de la victime. Peuvent-ils justifier d’un préjudice personnel et direct ?
Ce préjudice découle t-il directement de l’infraction constatée ?
Nous trouvons également la mise en cause du tiers civilement responsable. Le
tiers civilement responsable peut être tenu d’intervenir (nous serons alors sur une
intervention forcée) pour avoir à répondre sur le plan des dommages des
conséquences de l’infraction commise. (On admettra qu’il puisse aussi intervenir
spontanément). Son intervention étant purement matérielle, il ne peut exercer les
droits qui appartiendraient à la personne poursuivie ou à la victime. Son rôle sera de
contester éventuellement sa qualité de tiers responsable, ou l’étendue du dommage à
réparer.
c) Le tiers témoin.
En matière pénale nous rencontrons également la notion de tiers témoin. La
difficulté vient parfois de la question de savoir quand, et sous quelle conditions, on
quitte la qualité de témoin pour celle de “personne mise en examen”.
Il faut avoir- en particulier si l’affaire est complexe - en vue que la phase de
recherche de vérité peut amener à amener le Magistrat instructeur ou les organes de
poursuites à considérer le “ témoin N°1”...comme suspect du crime ou du délit
poursuivi...
Les textes actuels ont crée le statut de “ témoin assisté “qui permettent à la
personne soupçonnée d’avoir un certain nombre de droits ( assistance d’un Avocat)
sans pour autant remplir les conditions de la mise en examen
C) Le contentieux administratif
En matière administrative, il est également parfaitement concevable qu’il y ait des
interventions, mais ainsi que nous l’avons déjà indiqué la notion sera moins nette.
L’on peut concevoir une intervention pour se joindre à une instance déjà ouverte, soit
pour se prémunir contre la décision à rendre. Nous trouvons deux types
d’interventions :
a) L’intervention volontaire.
Elle est toujours possible mais ses effets seront limités. Dans le domaine du “plein
contentieux”, les intervenants peuvent être les tiers qui se prévalent d’un droit auquel
la décision à rendre peut préjudicier. La notion de “lien suffisant” sera très étroite.
Pour le contentieux de l’excès de pouvoir, de domaine est plus large. Il faut pour
pouvoir intervenir “avoir intérêt à l’intervention”, c’est-à-dire finalement se sentir
concerné par l’acte en cause. L’intervention peut se faire à tout moment de la
procédure. Mais l’intervenant ne soutient pas de droit propre voire de moyen propre.
L’intervenant intervient dans un procès qu’il ne mène pas.
b) L’intervention forcée
Elle est également possible. Elle se situera bien sûr dans le domaine du
contentieux de la responsabilité (plein contentieux). Nous retrouvons nos trois
notions (tiers appelé en garantie à qui la condamnation sera répercutée - tiers mis en
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 57
cause qui pourra subir une condamnation autonome - tiers appelé en déclaration de
jugement commun à qui le jugement sera donc opposable).
SECTION 2 : LA MATIÈRE DE L’INSTANCE.
Nous avons vu comment s’engage le procès devant les différentes juridictions. Ce
procès engagé va mettre en présence les parties et le juge. C’est le lien d’instance. La
question posée est de savoir qui fait quoi ? A qui appartient le soin, le procès étant
engagé, de mettre en place le dossier, de construire l’argumentation de fait et de droit
et d’achever le litige ? Nous avons vu qui engage le procès. Qui l’instruit ?
A priori, deux conceptions sont possibles. La première, communément appelée le
“principe dispositif” et proche de la notion de “procédure accusatoire”, est celle
habituellement retenue en matière civile et administrative. La maîtrise du procès
appartient aux parties. En complément, le juge serait neutre dans le déroulement du
procès. Sa mission ne serait que de trancher le litige en l’état où il lui est présenté,
c’est-à-dire après que les parties aient fait ce qu’elles devaient faire pour à la fois
respecter leurs obligations de plaideurs (principe de la contradiction), et pour fournir
le meilleurs argumentaire de fait et de droit.
La seconde notion est celle du système “inquisitorial” où le juge a l’initiative du
procès et le pouvoir de tout mettre en œuvre pour rendre, sur le litige engagé, la
solution la plus éclairée, la plus en conformité avec la réalité de fait, la plus “juste”
possible. Il faut rechercher qui dans le procès doit alléguer, et démontrer l’existence
des faits ? A qui par ailleurs appartient-il d’argumenter en droit ? Qui apporte le
raisonnement ? Et qui doit faire la preuve du fait allégué, qui a le pouvoir de faire ou
d’ordonner des investigations ? Nous chercherons donc à déterminer le rôle respectif
des parties et du juge dans l’instance (§1) avant d’étudier les obligations des parties
entre elles, et du juge vis à vis de celles ci, découlant du rapport de l’instance (§2).
- §1) Détermination du rôle respectif des parties et du juge, dans la
détermination des limites de l’instance.
A) Les parties, le juge, les faits et le droit.
Le juge est-il lié par le cadre de faits qui lui est présenté ? Le droit est-il l’apanage
du juge ? Que penser du magistrat saisi “in rem ” ? La maxime du préteur pérégrin
“da mihi factum dabo tibi jus” est elle de droit positif ? Nous allons voir que nos trois
types de contentieux relèvent de démarches différentes.
La matière litigieuse, qui forme le contenu du procès, est composée d’éléments de
fait et d’éléments de droit, sans qu’il ne soit d’ailleurs très simple de fixer la frontière
entre ces deux données. Il est simple de dire que l’événement préexistant au litige
fixe le fait, et que la règle qui permet de trancher, c’est le droit. Mais passer de l’un à
l’autre suppose une démarche intellectuelle consistant à situer le débat de fait dans le
cadre de droit adapté. Cette démarche consiste à qualifier le fait, à intégrer le fait
dans un concept normatif de droit, concept générant des effets induits et un mode de
règlement du litige. Dire que tel acte est un fait occasionnant un préjudice, c’est
placer cet acte dans le domaine de l’article 1382 et de la responsabilité délictuelle ;
c’est déduire que son auteur est obligé à réparation du dommage. Devant ces
composantes du litige, qui a le fait ? Qui a le pouvoir de qualifier le fait, qui est
maître de la règle de droit ? Et comment définir alors la cause et l’objet du litige ?
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 58
a) Le contentieux privé
En contentieux privé, nous pourrions partir de l’idée assez simpliste, qui veut
qu’aux “parties le fait, et au juge le droit” C’est la formule classique “da mihi
factum dabo tibi jus”. Apporte-moi le fait, je te donnerai le droit. Cette formule estelle exacte ?
Les parties auraient, dans une telle conception, la charge d’alléguer les faits pour
lesquels et sur lesquels le magistrat n’aurait aucun pouvoir, sauf celui de les
apprécier. Mais les parties n’auraient aucune démarche à faire sur le terrain du droit,
le juge appliquant aux faits la règle lui apparaissant la plus adéquate. Dans un tel
schéma de pensée, la cause du procès serait le fait allégué. L’objet du procès serait la
prétention émise.
Prenons un exemple : je suis victime d’un accident de circulation, et je demande
réparation. La cause du procès, c’est le fait (l’accident) et l’objet du procès, c’est ce
que je demande (la réparation). Dans une telle conception, le magistrat aurait
d’abord, sur le terrain du droit, à qualifier (sommes nous devant un procès fondé sur
la responsabilité délictuelle, quasi délictuelle, contractuelle ou autre ?). Puis il a
ensuite à réfléchir sur le meilleur texte de droit applicable au regard des faits
présentés (Est ce la loi du 5 Juillet 1985 ? La réglementation des accidents de trajet,
l’article 1382 ou l’article 1383 ou l’article 1384 ?), et ensuite éventuellement à
analyser le texte lui même.
Dans la mesure où sa démarche consisterait à apprécier toutes les dispositions
légales possibles et de choisir la meilleure, il est dès lors clair qu’il ne pourrait y
avoir un nouveau procès sur le même fait. En revanche, s’il apparaît que le débat a
été limité à tel domaine du droit (par exemple, dans l’hypothèse ci dessus, j’ai
demandé réparation en me fondant sur l’article 1382, et le magistrat m’a débouté au
motif que l’article 1382 est inapplicable en l’espèce) pourra-t-on concevoir une
nouvelle instance sur un nouveau fondement juridique ?
Cette approche est-elle consacrée en droit positif ? La question est d’importance,
car apprécier le rôle respectif des parties et du juge dans le procès civil, c’est
également définir de façon précise les notions de cause et d’objet dans le même
procès. C’est aussi permettre la définition des limites du litige (le juge est-il tenu des
qualifications juridiques données ou non ? En d’autres termes faut-il entendre la
cause du procès par détermination des principes de droit éventuellement évoqués par
les parties) ? C’est enfin déterminer les frontières de l’autorité de la chose jugée,
voire la notion de litispendance (quand y a t-il “un même procès” ?)
α) L’idée ancienne et habituellement retenue était de dire que le magistrat civil se
doit d’être neutre, et que le droit est contenu dans la matière litigieuse. Je fais un
procès, et la cause de mon procès, c’est le fait que j’allègue, la qualification que je
donne, et la règle de droit dont je demande application. Que le juge me dise alors si la
conception que j’ai de la règle de droit, adaptée au faits décrits, est bonne ou pas.
β) A l’opposé nous trouvons l’affirmation que le droit serait l’apanage du juge
(cette vision est celle de Motulsky). Le fondement de la réflexion est simple. On
présume que le magistrat connaît le droit et qu’il est là pour l’appliquer. Dès lors, les
parties ne sont pas tenues d’argumenter sur ce qui est le domaine du magistrat. La
conséquence est que, même s’il advenait que le plaideur donne au fait une
qualification, le juge pourrait alors le reprendre et requalifier ; et si le plaideur n’a
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 59
rien dit, le juge qualifie. Quant à l’analyse de droit, elle appartiendrait au magistrat
seul.
En fait le vrai problème se pose au stade de la qualification. Limiter l’action du
juge à la seule mission de dire quelle est la bonne analyse de la règle de droit
proposée par les parties pourrait se concevoir au stade de la cour de cassation. Mais
pas au niveau du magistrat chargé de trancher le litige. Ne serait-ce que parce qu’il
doit apprécier les éléments de fait fournis par les parties pour comprendre où est le
litige, sa mission est plus vaste. La question est en fait de savoir à qui appartient le
rôle de qualifier les faits. Pour Motulsky, la qualification est une démarche juridique
qui englobe la recherche de la règle de droit applicable au litige. Dès lors, pour lui, la
frontière est simple : les faits aux parties, la qualification et le choix de la règle de
droit au juge. Nous verrons que cette démarche est suivie en procédure pénale.
γ) Pouvons nous retenir une telle analyse en procédure civile ? Le code nous
amène à nuancer.
-Sur le domaine du FAIT : A priori, tout ce qui concerne le fait relève des parties.
Le juge ne peut s’y immiscer, “le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne
seraient pas dans le débat” (article 7 du NCPC).
Ceci étant, si le cadre des faits est donné par les parties, il est possible pour le
magistrat de les apprécier et de n’en retenir que certains dans le cadre de sa décision
ou de sa motivation. Le juge peut même retenir des faits (article 7 alinéa 2) existant
dans le débat mais que les parties n’auraient pas spécialement utilisés à l’appui de
leur argumentation.
Même si l’on peut voir une réserve dans l’article 8, qui rappelle que le juge peut
inviter les parties à fournir toutes explications de FAIT nécessaires à la solution du
litige, il demeure en principe qu’il incombe aux parties d’alléguer les faits (art 6).
Par ailleurs le Juge peut, même d’office, ordonner toutes mesures d’instruction;
comme nous le verrons ces mesures sont effectuées de façon contradictoire, et des
lors tout fait révélé au cours de ces mesures d’instruction va intégrer le débat
contradictoire - et donc étendre à de nouveaux éléments le débat de faits lui même...
Force est donc d’admettre que le Juge a sur les frontières du débat de faits un
pouvoir relatif ou indirect
- La règle de droit est, quant à elle, l’apanage du juge ; le principe de base est posé
par l’article 12 du code. Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit
qui lui sont applicables. Dans ce but, dit toujours l’article 12, le juge doit donner ou
restituer aux faits leur exacte qualification sans s’arrêter à la dénomination que les
parties auraient proposée.
L’on conviendra dès lors que le domaine du Droit est accessible aux parties (la
réforme du Code de Procédure Civile oblige d’ailleurs la partie demanderesse à
donner dès l’assignation les moyens de droit qu’elle allègue au soutien de sa
demande - en d’autres termes de préciser le fondement juridique de l’action).
L’on admettra également que les parties peuvent proposer toute qualification, et
toute analyse juridique du texte qui fonderait l’argumentaire
Mais les mots “donner”, “sans s’arrêter”, “dénomination”, et “exacte
qualification” montrent que les parties n’ont que le pouvoir de proposer une
qualification, sans avoir de rôle imposé ni précis au niveau de la règle de droit. On
notera que le caractère imprécis se double de la possibilité donnée au juge de
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 60
demander aux parties des explications DE DROIT qu’il estime nécessaires à la
solution du litige. Nous serions sur l’idée que le domaine du droit est accessible aux
parties qui souhaiteraient argumenter. Poursuivons l’analyse du texte. Si le juge peut
“requalifier”, c’est non seulement que les parties peuvent qualifier, mais encore que
le juge n’est pas tenu par leur qualification. Cette idée se trouve confortée à l’article
12, par le fait que par exception, les parties peuvent, si elles en manifestent le
souhait, lier le juge quant aux qualifications et points de droit auxquels elles
entendent limiter le débat, comme elles peuvent, également par exception, demander
au juge qu’il statue en amiable compositeur, comme un arbitre, sans référence directe
et unique à la règle de droit.
Pour finir l’analyse, il faut se poser la question de savoir si le juge, qui a pouvoir
de requalifier, a le devoir d’interroger les parties sur la qualification nouvelle qu’il
entend donner aux faits. Et d’aller encore plus avant et de se demander si, lorsque les
parties n’ont donné aucune qualification aux faits, le juge peut retenir la qualification
qu’il estime opportune, celle retenue excluant alors nécessairement toutes les autres.
C’est de cette réflexion que naît le débat sur la cause et sur l’objet dans le procès
civil.
La première notion concernant l’objet du litige est d’approche relativement
simple. La demande en justice tend vers une certaine fin. C’est la prétention émise,
c’est “ce que je demande”. C’est ce qui est dans l’assignation, porté comme “objet du
procès”. C’est ce qui forme la demande principale, incidente ou reconventionnelle.
C’est l’objet patrimonial ou extrapatrimonial de la demande.
Dans le cadre de l’objet, le principe de l’IMMUTABILITE s’applique de façon
péremptoire pour le juge, et façon souple pour les parties. Le juge doit se prononcer
sur tout ce qui lui et demandé, et uniquement sur ce qui lui est demandé. Il ne peut y
avoir ni d’ultra ni d’infra petita.. En revanche, les parties peuvent tempérer le
principe de l’immutabilité. Au départ, la demande est précisée dans l’acte introductif,
mais les parties peuvent en cours de procédure, modifier les frontières du litige si ces
modifications sont opérées dans un contexte contradictoire. Il peut y avoir des
demandes incidentes, additionnelles, et reconventionnelles. Et les demandes peuvent
être, sans réserve, actualisées. Même en cause d’appel, l’actualisation est possible et
dans certains contentieux, comme le contentieux prud’homal, les demandes nouvelles
sont recevables.
Quant à la “cause du litige”, quelle définition pouvons-nous dégager ? L’accord se
fait pour dire que la cause est le fondement de la prétention. C’est l’argument ou le
moyen. Répondre ainsi, c’est donner une définition vague et qui ne rend pas compte
de la problématique posée. S’agit-il du moyen de droit ou du moyen de fait ?
Les réponses en doctrine sont variées. Pour certains, la cause constituerait une
notion juridique. Ce serait la règle formelle de droit rendant compte de l’objet de la
demande. (Si les parties ont indiqué l’article 1382 comme fondement, la cause est cet
article. Celui qui perd, parce que cet article serait inapplicable à la situation de fait,
pourrait recommencer son instance sur le fondement d’un autre texte). A l’opposé,
certains affirment que la cause du procès serait l’ensemble des circonstances de fait
présentées au juge en vue d’établir le droit subjectif, autrement dit, les éléments de
fait générateurs du droit discuté. En pratique je ne peux recommencer un procès en
invoquant les mêmes faits.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 61
Entre les deux conceptions, certains encore proposent la formule selon laquelle la
cause serait le fait juridiquement qualifié. (Je demande contre mon emprunteur une
somme d’argent. Je qualifie cette demande de remboursement de prêt. Je perds mon
procès. Je peux recommencer en qualifiant la demande en remboursement de somme
déposée). Cette dernière approche a le mérite de tenter de régler la difficulté
constituée par l’absence de frontière caractérisée entre les pouvoirs respectifs du juge
et des parties dans les domaines du fait et du droit. Elle ne la règle néanmoins pas
totalement.
En fait, il faut sans doute raisonner de façon pragmatique. Où fixer la cause du
litige ? Est-ce la cause voulue par les parties (le fait allégué et la règle de droit si elles
l’évoquent) ? Est-ce au contraire la cause objective, les éléments de fait, l’analyse
juridique du magistrat, les supports terminaux du jugement, quitte à assimiler cause
du procès et cause du jugement ?
En pratique la solution est essentielle. Elle fixe les limites de l’autorité de la chose
jugée. Elle fixe également la difficulté de savoir si devant une décision, il faut relever
appel ou réintroduire une instance.
Il faut, à notre sens, définir la cause par ce qui a intégré le débat contradictoire.
Les parties n’ont-elles voulu qu’un débat de fait, en laissant au magistrat le soin
de faire application du droit ? (Pensons à ce qui se passe la plupart du temps devant
les juridictions d’instance ou prud’homales). La cause du procès, c’est alors le fait
allégué. On notera d’ailleurs qu’en matière prud’homale, toutes les demandes
dérivant du même contrat de travail doivent et ne peuvent faire l’objet que d’une
seule instance.
Les parties ont-elles voulu, à l’opposé, lier le juge sur une question de droit ? La
cause du procès est limitée à cette question. Le même fait pourra être cause d’une
autre instance.
Les parties ont-elles allégué une qualification aux faits ? S’il n’y a débat que sur
cette qualification, la cause est limitée à cela et une nouvelle instance sera possible
sur une nouvelle qualification portant sur le même fait.
Si le juge, dans le cadre du débat, entend retenir une qualification nouvelle, autre
que celle débattue devant lui, il doit introduire dans le débat contradictoire la notion
qu’il souhaite appliquer. Le juge... “ ne peut fonder sa décision sur les moyens de
droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter
leurs observations ” (Art. 16).
Dans la mesure où elle sera débattue, ou offerte au débat, cette qualification
intègre le débat contradictoire. Elle rentre dans “ ce qui a été jugé ”. La cause du
procès civil serait définie par ce qui a été contradictoirement débattu entre les parties
elles mêmes et avec le juge. Et si les parties ont entendu donner au juge toute latitude
pour qu’il tranche le litige conformément aux règles de droit applicables, l’ensemble
du droit a intégré le débat contradictoire. Il ne sera plus possible sur le même fait de
réintroduire une instance.
b) Le contentieux pénal
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 62
Dans le contentieux pénal, la notion même d’ordre public amène à penser qu’il ne
peut y avoir de principe dispositif. La matière du litige, c’est l’affaire du juge. Sur
quoi le juge répressif doit-il statuer ? Partons d’une hypothèse de fait. Voici une
personne qui comparaît devant le tribunal correctionnel pour vol de voiture. A
l’audience, on apprend que cette voiture lui avait été louée, et qu’il ne l’avait pas
rendue. Interrogée par le tribunal, cette personne déclare avoir utilisé ce véhicule
pour se rendre en Hollande chercher de la drogue. Le juge peut-il requalifier les faits
qualifiés de vol, en abus de confiance ? Peut-il poursuivre sur le chef de trafic de
stupéfiants ?
La première question sur la matière de l’instance en procédure pénale, est celle de
la qualification. Nullum crimen, nulla poena sine lege. On ne peut pas concevoir une
poursuite sans qu’il n’y ait de qualification donnée aux faits poursuivis. Et de même,
il n’est pas possible de condamner quelqu’un sans que les faits reprochés n’aient reçu
qualification.
La question est celle de la qualification, et de la qualification pénale finale. La
qualification est essentielle, puisque c’est elle qui va fixer la règle de droit applicable,
la juridiction compétente et la pénalité encourue. Dans l’absolu, la qualification est
double. Elle indique d’abord la nature de l’infraction (crime délit contravention). Elle
donne l’adéquation entre les faits à l’origine de la poursuite et la définition de telle
infraction.
Qui doit qualifier ? Le juge ou les parties ? L’idée est de dire que dès la mise en
examen de la personne, les faits reçoivent une qualification. Le terme d’inculpation,
antérieurement utilisé, rendait compte du reproche fait d’une faute (culpa) retenue en
l’état. Mais cette qualification donnée par le ministère public, ou la partie civile,
voire suggérée par l’auteur de l’infraction poursuivie, s’impose-t-elle au juge ?
Évidemment non. On ne conçoit pas qu’une personne qui comparaîtrait devant une
juridiction pénale soit relaxée, acquittée, ou renvoyée à une autre instance au seul
motif que la qualification proposée ne serait pas la bonne. La qualification finale
appartient ici au juge, et toutes les qualifications antérieurement retenues ou
proposées dans le cadre de la phase préliminaire ne sont que des suggestions. Cette
règle s’applique à tous les niveaux. Quand une affaire est délicate et qu’il est
nécessaire qu’il y ait une phase d’instruction, le juge d’instruction va instruire sur un
fait donné, et non pas sur une qualification suggérée. Il instruit sur les faits à l’origine
de la poursuite, sur lesquels on lui a demandé “d’informer” ; mais il peut
“requalifier”. La saisine “in rem ”, c’est-à-dire d’un fait, et non d’un fait qualifié,
permet d’ailleurs une certaine liberté dans “l’inculpation” (j’inculpe qui je veux). Si
d’autres faits apparaissent, il faut qu’il y ait un nouvel acte de poursuite, par un
réquisitoire supplétif. Il faut, en d’autres termes, une nouvelle “action” du ministère
public. De la même façon, la chambre d’accusation est saisie in rem.. Il n’y a pas de
limite à son pouvoir de requalification. De la même façon encore, la règle joue au
niveau des juridictions de jugement également saisies “in rem”. Elles sont appelées à
juger les faits visés dans la citation ou dans l’ordonnance de renvoi. Ce sont là les
limites de la saisine. Elles sont libres de la qualification ou de la requalification. Le
tribunal ne peut pas faire état, comme en matière civile, de faits dont il ne serait pas
saisi, ni même d’ailleurs de faits nouveaux constitutifs d’une autre infraction qui
seraient révélés à l’audience. Mais il est parfaitement libre de la qualification ou de la
requalification, avec le fait que la requalification de l’infraction peut amener une
disqualification (on passe d’un crime au délit, ou du délit à la contravention). Nous
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 63
sommes ici sur l’idée du magistrat omniscient qui appréciera nécessairement, quand
il est saisi d’un fait, la meilleure qualification possible à donner au fait.
Dès lors, les difficultés rencontrées en matière de procédure civile n’existent plus
ici. La cause du procès, c’est le fait poursuivi. C’est pourquoi, il n’est pas concevable
de recommencer, contre une même personne une poursuite sur un fait déjà jugé ; et
ce, même en proposant une qualification différente. Le fait d’ailleurs que toutes les
qualifications possibles du fait donné aient été examinées amènera pour partie, la
réflexion sur l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil.
c) Le contentieux administratif
Dans le contentieux administratif, les choses sont également simples, et se situent
- surtout dans le contentieux de la légalité - à l’opposé de ce que nous venons de voir
en contentieux pénal. Le principe de la neutralité du juge administratif est absolu.
Pour la détermination de la matière de l’instance, tout doit être fixé par les parties et
d’ailleurs essentiellement par le requérant. Le postulat posé, dans le contentieux de la
légalité, est que l’acte est valable ; il est nécessaire pour le requérant d’indiquer sur
quel motif il entend démontrer le contraire. Le débat de fait n’existe dès lors
pratiquement pas dans le contentieux de la légalité ; tout au plus, existera-t-il s’il est
allégué une erreur manifeste d’appréciation de l’administration, comme moyen
d’annulation de l’acte. Le juge administratif doit statuer dans les limites des
conclusions dont il est saisi par les parties. Il ne peut sortir de l’argumentation
développée suggérée, ou proposée. Le juge ne peut modifier ni la cause ni l’objet, et
d’ailleurs les parties elles mêmes ne peuvent en cours d’instance modifier ou la cause
ou l’objet du procès.
La notion d’objet est classique dans le contentieux administratif, c’est ce qui est
demandé (en droit et en fait). Le droit est l’objet de la demande en annulation. La
prétention, en matière de plein contentieux, sera de faire revoir la décision préalable
prise par l’administration sur la demande d’indemnisation. D’ailleurs, en plein
contentieux, la prétention est définie dès la demande de décision préalable (je
demande réparation). L’objet du procès est de faire réexaminer la prétention sur
laquelle il a été répondu de façon non satisfaisante. La cause du procès administratif,
c’est le fondement juridique ; ce qui est indiqué dans la demande initiale présentée au
tribunal. Dans le contentieux de la légalité la cause, c’est l’argumentaire de droit
nécessaire. Cet argumentaire est celui présenté par les parties. Le magistrat
appréciera dans le cadre de son pouvoir, si les moyens développés permettent
l’annulation de l’acte administratif. Les moyens peuvent être de légalité interne ou
externe à l’acte (détournement de pouvoir, violation de la loi, illégalité sur les motifs
de droit, illégalité tenant aux motifs de fait à la base de l’acte, (inexactitude
matérielle) vice de procédure, incompétence, vice de forme). La cause du procès,
c’est l’allégation de l’illégalité par l’appréciation du moyen de légalité interne ou
externe développé.
B) Les parties, le juge, et la preuve.
Les faits sont allégués. La règle de droit sera examinée par le magistrat. Mais à
qui appartient-il de faire la preuve des faits ? Suffit-il d’alléguer des faits pour que le
magistrat tranche ? Suffit il que ces faits ne soient pas contestés par l’autre partie
pour qu’ils soient considérés comme acquis dans le débat (l’aveu est il un mode de
preuve suffisant). Le juge peut-il, ou doit-il, se contenter pour rendre jugement, des
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 64
éléments non contestés, ou des seuls éléments établis par les éléments de preuve
apportés aux débats ?
La démarche est spécifique à chacun des contentieux.
a) En contentieux privé.
α) A qui incombe la charge de la preuve ? Il faut partir de l’idée que la preuve
incombe à celui qui allègue que la situation de fait n’est pas conforme à la règle de
droit. Nous avons vu, dès l’introduction, qu’en droit privé l’on présume que le fait est
en harmonie avec la règle juste. Si j’allègue le caractère injuste d’une situation de fait
auprès du juge, gardien du droit (si, en d’autres termes, je remets en cause la
présomption de conformité de la situation de fait avec la norme juridique) il me faut à
tout le moins apporter au juge la démonstration de la réalité de la situation de fait.
L’idée selon laquelle il convient de démontrer que la présomption d’harmonie
entre le fait et le droit n’existe plus, supporte des exceptions : les présomptions
légales, qui peuvent être simples ou irréfragables, sont analysées comme autant de
dispenses de preuve. La présomption d’interposition de personne est ainsi une
présomption irréfragable ; le législateur présume que l’état de fait est, par nature,
immoral. Et l’on ne peut le contredire. Il arrive aussi que le législateur fixe des
présomptions de fait, c’est-à-dire déduit d’un fait connu un fait inconnu. Ainsi, le
législateur pose t-il une règle permettant de déduire, de la seule date de
l’accouchement, la date présumée de la conception. Ces présomptions évitent un
débat de fait, et éludent la difficulté d’apporter la justification d’un fait. Mais ces
présomptions sont d’origine légale, et ne sont finalement que des illustrations, ou des
exceptions, à l’idée de la présomption de bon ordre des choses, de bonne foi. Elles
sont la conséquence d’une certaine idée de “normalité”...une grossesse dure
normalement au moins 180 jours et au maximum 300 jours. Il est donc inutile d’en
apporter la preuve.
Celui qui allègue contre la présomption doit donc, à tout le moins, prouver le
contenu de la situation de fait qu’il invoque. Ceci devrait avoir pour conséquence que
le juge doit être totalement neutre, au regard de la réunion des éléments de preuve. Le
rôle du juge ne serait pas de rechercher la vérité objective, mais d’affirmer, à partir
de la vérité alléguée, non la vérité objective, mais la vérité contingente. Le débat est,
encore une fois, habituel. Le juge a t-il pour mission de dire la vérité objective, ou de
se contenter de trancher sur une vérité contingente ?
β) A qui appartient-il d’apporter les éléments de preuve ?
Le juge a t-il le pouvoir de provoquer l’arrivée d’éléments de preuve dans le débat
? La réponse doit être nuancée. Elle dépend de la nature même du procédé de preuve,
et de ce qu’il y a à prouver. Si je dois prouver un acte juridique (acte unilatéral,
convention), la loi me fait obligation, sauf exceptions, de prouver selon un mode de
preuve déterminé. C’est le système de la preuve légale : les procédés de preuve, nous
le verrons, lient le juge. Si je dois prouver un fait juridique, ou si l’acte juridique que
je dois prouver est compris dans les exceptions au système de la preuve légale, la
preuve est alors libre, et le juge statue selon qu’il s’estime ou non convaincu par la
preuve rapportée.
1) Qui doit apporter la preuve de l’acte juridique ? Et comment y procéder ?
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 65
Celui qui doit apporter la preuve de l’acte juridique est celui qui allègue le
bénéfice du procédé de preuve, sans que le juge n’ait pouvoir à ce niveau. En effet,
les procédés de preuve dits “parfaits” supposent un acte de volontaire des parties
(c’est le cas de l’aveu judiciaire, ou du serment décisoire) ou un acte préalable ad
probationem. C’est ce que l’on appelle la preuve préconstituée. Il appartient aux
parties de se préconstituer une preuve, en rédigeant un acte authentique, ou un acte
sous seing privé. Et dans la mesure où la preuve est préconstituée, il appartient aux
parties de la produire. Le magistrat n’a, à ce niveau, aucun pouvoir particulier
d’investigation. Les autres procédés de preuve parfaits échappent totalement au
pouvoir du juge : l’aveu judiciaire ne dépend que de celui qui le forme, le serment
décisoire est déféré par l’une des parties à l’autre partie.
Dans la réunion des éléments de preuve d’un acte juridique, le juge est neutre :
mais cette règle de la neutralité s’altère, en matière civile, lorsque l’on se trouve dans
les cas où, par exception, il peut être prouvé par tout moyen un acte juridique, ou
encore lorsqu’il s’agit de prouver un fait juridique.
2) Qui doit apporter la preuve des faits juridiques ? Comment y procéder ?
Dans ce domaine, tous les procédés de preuve sont possibles. Du coup, les
pouvoirs d’analyse du juge sont plus larges. Le droit va lui donner les moyens de
parfaire son interprétation. Au niveau des procédés de preuve proprement dits, le juge
pourra ainsi déférer le serment supplétoire, à l’une des parties, pour compléter une
preuve fournie, et confirmer sa conviction. Le juge pourra aussi fonder sa conviction
sur les présomptions qu’il pourra de lui même tirer d’un fait connu, pour établir un
fait inconnu : les présomptions ne pourront être tirées que d’un faisceau de faits
“graves, précis et concordants” et seront laissées “à la prudence du juge”. Quant aux
témoignages, on peut se demander si le juge à le pouvoir de provoquer l’audition de
témoins ? L’article 218 du N.C.P.C rappelle que “le juge qui procède à l’enquête
peut, d’office, ou à la demande des parties, convoquer ou entendre toute personne
dont l’audition lui paraît utile à la manifestation de la vérité ”. Le juge peut aussi “à
l’audience, en son cabinet, ou en tout lieu à l’occasion de l’exécution d’une mesure
d’instruction” (art 231) entendre les personnes dont l’audition lui paraît utile. C’est
“l’enquête sur-le- champ”.
Enfin, rappelons que le juge a toujours le pouvoir d’ordonner une mesure
d’instruction, non pas pour suppléer la carence d’une partie qui n’aurait pas de
preuve, mais si la partie qui la demande ne dispose pas d’éléments suffisants pour
l’établir (art 146).
γ) Les preuves apportées lient-elles le juge ?
La réponse dépend toujours de la distinction des actes et des faits juridiques.
L’acte juridique se prouve par des moyens de preuve parfaits qui lient le juge : le
juge est tenu par le contenu de l’aveu judiciaire, ou de la déclaration faite sous le
serment décisoire (quand bien même il serait convaincu du contraire). Le juge est lié
par l’acte authentique, qui fait foi de son contenu jusqu’à inscription de faux, et par
l’acte sous seing privé, qui fait foi de son contenu jusqu’à preuve du contraire. En
revanche, pour les autres procédés de preuve, le magistrat n’est pas lié : les éléments
apportés sont laissés à sa libre appréciation.
b) En contentieux pénal
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 66
A qui appartient-il de remettre en cause la présomption d’innocence ? On dit par
essence que le procès pénal est de type “inquisitorial”... Mais appartient-il au juge du
siège de rechercher la preuve ? La finalité du procès pénal est que le magistrat,
appelé à statuer, devra le faire en connaissance la plus complète possible des
circonstances de l’infraction, et des éléments de la cause. En conséquence, et nous le
verrons, la phase d’instruction - qu’elle soit autonome ou incluse dans le processus
du jugement - servira à révéler la vérité la plus objective possible. On admettra que
tous les procédés qui permettent de révéler cette vérité objective sont admissibles.
α) Qui doit rechercher les éléments de la vérité objective ?
Cette mission appartient d’abord à la police judiciaire, qui est “chargée...de
constater les infractions à la loi pénale, d’en rassembler les preuves, et d’en
rechercher les auteurs tant qu’une information n’est pas ouverte” (article 14 C.P.P).
De même, dans le cadre de l’enquête préliminaire, la police judiciaire peut procéder à
des “ perquisitions, visites, saisies, auditions (art 76 C.P.P)” soit d’office, soit sur
instruction du procureur de la république. La mission appartient ensuite au parquet,
qui peut procéder, ou faire procéder à tous actes nécessaires à la recherche et à la
poursuite des infractions. La mission appartient encore à certaines administrations
(comme l’inspection du travail, ou les douanes) lorsqu’elles sont concernées par
l’infraction commise. La mission appartient enfin au juge d’instruction. Lorsque le
procureur requiert l’ouverture d’une information, le juge d’instruction désigné pourra
“ procéder, conformément à la loi, à tous les actes d’information qu’il juge utiles à la
manifestation de la vérité” (art 81 C.P.P) Il dispose des pouvoirs les plus étendus,
dans la recherche de la preuve, et de la vérité objective. Car le juge d’instruction
instruit à charge et à décharge.
β)L’administration et l’appréciation de la preuve.
En matière pénale, tous les moyens de preuve sont bons, comme le rappelle
l’article 427 du C.P.P : “Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions
peuvent être établies par tout mode de preuve, et le juge décide en son intime
conviction”. L’expression “intime conviction” rappelle que le juge n’est lié par aucun
procédé de preuve : la seule réserve est que le juge ne peut asseoir sa conviction sur
des preuves qui lui auraient été rapportées après les débats, et qui n’auraient pas été
discutées contradictoirement.
c) Le contentieux administratif
Comment remettre en cause la présomption d’impeccabilité de l’acte pris par la
puissance publique ? Et comment démontrer à l’appui d’une demande
d’indemnisation, la responsabilité de l’administration ? La particularité de la situation
tient au fait que c’est l’administration qui détient, le plus souvent, l’essentiel des
preuves qui vont servir de fondement à la demande. C’est la raison pour laquelle on
donnera au juge un rôle essentiel dans l’administration de la preuve. Le juge
administratif aura une mission inquisitoriale ; il pourra adresser des injonctions à
l’administration. “ Il appartient au juge administratif de requérir des administrations
compétentes, la production de tous documents qu’il juge de nature à permettre la
vérification des allégations des parties en cause...”. Ce pouvoir est discrétionnaire, et
il appartient à l’administration de répondre, car si elle ne donne pas suite, elle sera
présumée accepter les allégations du requérant.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 67
Le juge administratif est libre dans la façon de réunir les preuves (expertise,
enquête, visite des lieux) ainsi que dans l’appréciation des procédés de preuve. Il
statue selon son intime conviction.
§ II) Les obligations nées du lien d’instance
Nous avons déterminé selon quelles règles pouvait s’engager une procédure
donnée. Nous avons également recherché quels pouvaient être les principes
directeurs de la marche de l’instance. Nous nous sommes également interrogés sur la
question de la preuve - et du rôle respectif des parties et du juge dans la fixation du
contenu de la chose litigieuse - tant en fait qu’en droit. Il faut s’interroger sur la mise
en œuvre pratique de ces données. Quand faut-il apporter la preuve ? Comment le
débat peut il naître ? Doit-il naître devant le juge ? Faut-il, au contraire, que le débat
ait été mené préalablement, de sorte que ne reste au magistrat que le soin de trancher
une véritable opposition d’analyses ?
Le lien d’instance va créer entre les parties un certain nombre de droits et de
devoirs réciproques. Ces droits s’exerceront sous le contrôle du magistrat qui en est
le gardien, Ils sont pour l’essentiel repris dans le cadre du principe du contradictoire,
qui nous le verrons, contient, outre un aspect formel, un aspect temporel : chacune
des parties a le droit d’avoir du temps. Le “principe du contradictoire”, en matière
civile, rejoint celui du “respect des droits de la défense” en matière pénale. D’un côté
comme de l’autre, il appartiendra au magistrat appelé à juger d’en être le gardien.
Chaque partie au procès est créancière d’un certain nombre d’obligations pesant sur
l’autre partie. Et le magistrat à son tour intervenant dans le lien d’instance sera
débiteur de cette obligation de respect des principes fondamentaux. Il aura pour sa
part de surcroît, l’obligation de juger, et ce, dans un “délai raisonnable”
Les droits et les devoirs des parties au procès se regroupent dans deux données
classiques et fondamentales du procès: le principe du CONTRADICTOIRE en
matière civile (et accessoirement administrative), le principe des DROITS DE LA
DÉFENSE en matière pénale. Ces deux notions sont souvent rapprochées. En fait,
nous verrons qu’elles correspondent, à une même nécessité, dans le cadre de deux
approches différentes de la notion même de procès.
Dans la première conception du procès, où le magistrat n’a pour mission que de
dire le droit sur une opposition d’intérêts, on doit considérer que la présentation du
conflit au magistrat ne peut intervenir qu’une fois mené le débat préalable, de fait et
de droit, entre les parties. Il n’est pas concevable que se déroule devant le juge un
débat déséquilibré, ou un débat dans lequel l’une des parties serait prise au dépourvu,
sur un argument nouveau, ou un moyen de preuve non communiqué. De la même
façon, l’idée du débat loyal, suppose que préalablement à la phase finale, les parties
se soient échangé leurs arguments, les réponses éventuelles, les moyens de preuve.
Dans la seconde conception que l’on peut avoir du procès, où la recherche de la
vérité objective s’opère sans que les parties au litige (partie poursuivante ou partie
prévenue) n’aient nécessairement un rôle dynamique à jouer, ce débat préalable
n’apparaît pas comme un impératif. En revanche, il faut, dans ce type de procès,
envisager les paramètres permettant à l’une des parties de faire valoir tout moyen
utile - et en tout moment utile - de façon que puisse s’opérer, de façon optimale, sans
a priori ni arbitraire, cette recherche complète de vérité.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 68
Beaucoup plus que la nécessité d’un débat éclairé, apparaît dans ce cadre l’idée du
droit de se défendre contre des allégations données à partir d'éléments réunis et
présentées à défaut d’opposition, comme éléments de la vérité objective. Pour
comprendre cette différence de conception, voyons comment s’organise le débat
contradictoire dans le procès d’opposition d’intérêts privés (et par référence dans le
contentieux administratif) (A) et comment s’organisent les droits de la défense dans
le procès pénal (B). Nous verrons ensuite que le lien d’instance crée une obligation
particulière à la charge du Juge de rendre décision dans un délai raisonnable (C).
A) Le respect du contradictoire dans le contentieux non répressif.
Dans le contentieux privé, la notion de “contradictoire” doit être précisée. De
façon habituelle, on parle de jugements contradictoires, “réputés contradictoires”, ou
de décisions non contradictoires (ordonnances sur requête par exemple). Le terme
“contradictoire” apparaît comme un qualificatif... au demeurant fort imprécis. Si l’on
voulait s’interroger sur ce que peut vouloir dire le terme de “jugement
contradictoire”, force serait de définir en indiquant “jugement rendu après qu’ait été
tenu un débat contradictoire” un débat au cours duquel chacun a eu parfaite et
complète connaissance des moyens de l’autre, et le temps nécessaire pour opposer
toute éventuelle contradiction. Dans le jugement “réputé contradictoire” (par défaut
de comparaître) l’idée sera de présumer que l’une des parties dûment au courant du
procès n’a pas entendu élever le débat.
Des règles particulières de recours existeront d’ailleurs dans les hypothèses de
décisions rendues sans débat contradictoirement tenu...
Le sens du principe CONTRADICTOIRE doit s’entendre comme une règle
imposant à la fois qu’une partie ne puisse être jugée sans avoir été entendue ou
appelée, ni sans avoir eu le temps et les moyens d'être informée des causes du litige
et de pouvoir y opposer tout moyen contraire.
Un certain nombre de règles (a) vont organiser ce débat contradictoire, et pour
sanctionner ces règles le magistrat sera investi de pouvoirs spécifiques (b).
a) Le principe du contradictoire s’entend donc d’abord comme un ensemble
d’obligations imposées aux parties d’un procès civil, et au juge, à la fois gardien et
débiteur celles ci.
α) Dans le contentieux privé, les obligations pèsent sur les parties, qui doivent se
faire connaître en temps utile les moyens de fait, les moyens de preuve, et les moyens
de droit qu’elles entendent présenter ou développer. Cette règle se manifeste, comme
on l’a vu, dès l’acte introductif d’instance. L’assignation doit être motivée, et de
toutes les façons la demande contient un certain nombre de précisions qui doivent
permettre au défendeur de connaître le fondement de l’instance engagée. De la même
façon sur l’aspect temporel, le défendeur à l’instance a, par le délai imposé par la loi
séparant la délivrance de l’acte de la première audience, le temps de “préparer sa
défense”. On notera d’ailleurs que dans l’instance de référé, ou l’urgence impose un
raccourcissement des délais, le juge doit s’assurer que la partie défenderesse a eu “le
temps de préparer sa défense”.
β) L’obligation de communiquer.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 69
Le devoir du contradictoire contient surtout l’obligation pesant sur chacune des
parties de faire connaître “à temps” les arguments et les pièces. Chacune des parties
doit avoir “le temps” d’apprécier les pièces et les arguments adverses et d’y répondre.
L’article 15 du code de procédure, fixe l’obligation de communication des pièces “en
temps utile” et le code interdit les “notes en délibéré” (messages transmis au juge par
une partie alors que l’affaire a été plaidée, le “débat contradictoire” étant dès lors
clos).
γ) L’obligation de loyauté.
L’obligation de communication se double dans le procès civil de l’obligation de
“débat loyal”. Les parties doivent s’abstenir de procédés déloyaux. Certes, cette
obligation ne va pas jusqu’à obliger une partie de reconnaître la position de la partie
adverse, ou de reconnaître ce que cette dernière serait en peine de prouver. Il n’y a
pas, finalement, à charge des parties d’obligation de “vérité”. Dire la vérité incombe
au témoin. L’obligation des parties n’est que de respecter une certaine loyauté ;
manque au devoir de loyauté celui qui sciemment, maquillerait des pièces ou
affirmerait comme étant juste une pièce qu’il saurait fausse.
Le magistrat, débiteur de l’obligation de juger, est créancier des parties du devoir
qui pèse sur elles “d’apporter leur concours aux actes d’instruction”. Lorsque le
magistrat est saisi du procès civil, ainsi qu’on l’a vu, il se doit non seulement de
donner une réponse à la question posée, mais surtout une réponse éclairée à même
d’être reconnue comme juste. Nous verrons, dans cet esprit, que les actes
d’instruction peuvent être ordonnés par le juge. Si celui-ci entend obtenir une
information plus complète que celle qui ne transparaîtrait que des pièces
communiquées aux débats par les parties. Ces dernières doivent “apporter leur
concours”. Si l’une des parties refuse, le juge en “tirera toutes conséquences”. Les
parties doivent donc participer à la manifestation d’une certaine vérité ; mais
finalement rien de plus.
b) La sanction
Ce principe du contradictoire, pour être effectif, doit être sanctionné. Le juge est
le gardien du principe du contradictoire : “le juge en toutes circonstances fait
observer et observe lui même le principe de la contradiction”. Lorsque le juge fait
observer le principe du contradictoire, il a deux possibilités d’action : d’une part agir
sur le temps. Si l’une des parties n’a pas eu le temps de répondre ou de faire tel acte
de procédure, le magistrat reportera la date de l’audience en prononçant une
“remise”. Il a une seconde arme, c’est celle qui touche aux pièces et arguments. Le
juge ne doit pas retenir dans sa décision les pièces qui n’auraient pas été valablement
communiquées aux débats.
Le juge peut encore autoriser celui qui n’aurait pas eu le temps de répondre sur tel
élément à le faire, par une note en délibéré (qui devient permise lorsqu’elle est
autorisée par le juge). Également, le juge peut ordonner la réouverture des débats. Le
juge a encore la faculté, d’office ou sur la demande de l’une des parties, d’enjoindre à
l’autre de communiquer une pièce ou un élément qu’elle ne verse pas spontanément
aux débats.
Enfin, les parties sont créancières sur le juge du même devoir de respect du
contradictoire. Le juge doit observer le principe du contradictoire. Cela justifiera, par
exemple, qu’il ordonne la re-convocation d’une partie non présente et citée autrement
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 70
qu’à personne. Le juge se doit également de vérifier que les délais de comparution
ont été respectés. Le juge doit veiller à ce que chaque partie ait le droit de s’exprimer
(audi alteram partem). Le débat est contradictoire sur tout. Et l’on pourrait ajouter
que, s’il a la faculté d’interroger les parties sur tel élément de fait, le juge ne peut
fonder sa décision sur des éléments qu’il connaîtrait personnellement, s’ils n’ont pas
intégré le débat contradictoire. Si le juge soulève d’office un moyen de pur droit,
chacune des parties doit être en mesure de s’expliquer sur tout moyen élevé ou
opposé, quel que soit celui qui soulève le moyen.
Le principe du contradictoire suppose encore que le magistrat ne puisse faire
exécuter ou ordonner des investigations sans que celles ci ne soient exécutées
également de façon contradictoire. Cette conception des obligations des parties et des
devoirs du juge-arbitre, rend compte d’une relative neutralité du juge civil, qui veille,
à ce stade préliminaire du procès, à la bonne tenue du débat, mais n’y intervient
guère.
En contentieux administratif existent des règles similaires. La particularité tient
sans doute au “contradictoire préalable” lié à la nécessaire motivation préalable de
l’acte administratif (loi du 11 Juillet 1979) qui porte que “les personnes physiques ou
morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions
administratives individuelles défavorables qui les concernent...la motivation doit être
écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le
fondement de la décision”.
Le litige qui viendrait à naître sur une décision de cette nature est, du fait de cette
motivation préalable dès le départ circonscrit.
B) Le respect des droits de la défense dans le contentieux répressif.
Le débat est ici axé sur la problématique suivante : faut-il concevoir que le
magistrat qui instruit soit “neutre” au regard de la culpabilité envisagée ou potentielle
de la personne mise en examen ? En d’autres termes, la recherche de la vérité doitelle être la recherche de la vérité totale, objective, par un juge a priori neutre, et sans
idée préconçue ? Dans ce cas, on admettra que les investigations doivent être faites
de façon secrète, sans information préalable de la partie inculpée, de façon que se
révèle la vérité la plus objective, hors de toute pression. Dans un tel contexte, le rôle
de l’inculpé et de son conseil sera de se défendre contre les moyens soulevés, ceux ci
une fois révélés.
Faut-il au contraire concevoir un autre rôle de la défense, axé sur la recherche de
telle vérité en faveur de la personne prévenue ? En d’autres termes, faut-il admettre la
défense comme partenaire dans la recherche de la vérité, comme investie de la
mission de rechercher et faire établir la part de vérité favorable à l’inculpé ? Si cela
devait être, on admettrait qu’à l’opposé, le ministère public devrait être investi de
pouvoirs parallèles d’investigations pour qu’apparaissent les éléments “à charge”.
Dans cette seconde optique, le rôle du magistrat appelé à trancher apparaîtrait
voisin du rôle du magistrat tel que nous l’avons défini pour le procès civil. Devant lui
se déroulerait un débat contradictoire entre les parties. Il veillerait au bon
déroulement de ce débat, et trancherait sur les éléments fournis par chacune des
parties. La vérité, n’ayant pas été objectivement recherchée, se révélerait par
l’échange des arguments opposés les uns aux autres.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 71
En droit positif français, l’idée est que, quelle que soit la complexité du procès, le
premier stade après l’engagement des poursuites, est une phase d’instruction. Quand
l’instruction s’avère délicate - nous reviendrons sur cette notion - elle est confiée à un
magistrat instructeur : le juge d’instruction. En aucune manière le juge d’instruction
ne pourra être partie liée avec le parquet de la république, avec la défense, ou avec le
magistrat appelé à juger.
Si l’on admet que la recherche de la vérité appartient au magistrat chargé
d’instruire, et que cette recherche est celle de la vérité objective “à charge et à
décharge”, la plus complète possible, on admettra que le magistrat puisse recueillir
tous les procédés de preuve, aveux témoignages indices, sans que ne soit mis
nécessairement en place des “droits de la défense” au sens rencontré du “débat
contradictoire”. En d’autres termes, le magistrat n’a pas à faire participer de façon
contradictoire les parties sur un acte de recherche de vérité objective. De la même
façon que les parties (prévenu, ministère public) ne doivent pas avoir dans cette
conception, de possibilité d’empêcher tel ou tel acte d’instruction.
Si l’on donne à telle partie le droit d’intervenir à tout stade de l’instruction sur tel
ou tel acte d’information, on fait régresser la mission du magistrat instructeur en
matière pénale, vers une définition voisine de celle du “juge de la mise en état” que
nous rencontrerons plus tard, juge chargé de veiller à ce que les parties évoluent dans
la mise en place du débat contradictoire, et de veiller à ce que le dossier du tribunal
se mette “en état d’être jugé”. C’est admettre qu’à tout stade et à tout moment, existe
devant le magistrat d’instruction, un débat contradictoire entre le parquet et la
défense.
Ce principe existe déjà, nous l’avons vu, avec le “débat contradictoire” relatif à la
mise sous mandat de dépôt de l’individu présenté au parquet, mis en examen, et
présenté au juge d’instruction. En l’état actuel du droit positif français, en quoi
consistent les droits de la défense en matière pénale ?
Ils consistent d’abord dans le droit d’être mis en examen. La personne sur qui
pèse des charges, et qui n’est que témoin, (ou témoin assisté) peut demander sa “mise
en examen”, ou pour reprendre le terme ancien, son “inculpation”.
Ils consistent ensuite dans le droit, pour toute personne mise en examen, d’être
assistée d’un avocat. Ils consistent encore dans le droit d’avoir accès au dossier, dans
le droit d’être entendu, dans le droit d’avoir “le temps nécessaire pour préparer sa
défense”, mais aussi dans un certain formalisme garantissant les processus
d’obtention des procédés de preuve (seules pourront être utilisées les preuves
obtenues régulièrement et régulièrement versées aux débats). C’est enfin, le droit de
poser des questions.
Les parties peuvent-elles EXIGER du juge qu’il fasse tel acte ou qu’il s’abstienne
de le faire ?
La question a été posée en procédure pénale. Il faut comprendre, pour en
apprécier la portée, qu’elle conditionne la conception que l’on peut avoir du juge
dans le cadre de la phase d’instruction : ou le juge instruit et les parties sont en recul,
ou les parties diligentent l’instruction, et le magistrat devient neutre.
Les parties peuvent-elles interférer dans la procédure, accomplir tel acte de
recherche, diligenter en quelque sorte tout ou partie de cette recherche de vérité ?
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 72
L’article 82-1 du code de procédure pénale nous dit que “ les parties peuvent, au
cours de l’information saisir le juge d’une demande écrite et motivée tendant à ce
qu’il soit procédé à leur audition ou interrogatoire, à l’audition d’un témoin, à une
confrontation, au transport sur les lieux”. Ceci étant, le juge n’est pas tenu d’accéder
à la demande s’il estime qu’elle ne va pas dans le sens de la recherche de la vérité
objective. Le juge doit, s’il n’entend pas y faire droit, rendre une ordonnance motivée
dans le délai d’un mois. De la même façon, le ministère public partie poursuivante
peut, à toute époque, et dès le réquisitoire initial, requérir du magistrat instructeur “
tous actes lui paraissant utiles à la manifestation de la vérité” (si le magistrat refuse, il
doit rendre une ordonnance motivée dans un délai de 5 jours).
On admettra donc qu’il n’existe pas de pouvoir de contraindre le magistrat
instructeur à faire tel ou tel acte. Tout au plus y-a-t-il un droit de suggestion.
L’indépendance du magistrat instructeur est garante de toute pression de quelque
partie qu’elle puisse venir, et donc de l’objectivité dans la démarche de recherche de
vérité sur les faits.
C) Les obligations spécifiques du magistrat.
On a pu constater que le juge, tenu par le lien d’instance est débiteur, sur le
fondement des droits de la défense ou du principe contradictoire d’un certain nombre
d’obligations. Nous verrons plus avant qu’il doit donner le temps nécessaire à chaque
plaideur, écouter chacune des parties, etc.
Mais l’obligation essentielle découlant pour lui du lien d’instance est de rendre
une décision. L’article 506 de l’ancien code de procédure civile nous dit qu’il y a
“déni de Justice lorsque les juges refusent de répondre les requêtes ou négligent de
juger les affaires en état et en tour d’être jugées”. Cette notion de déni de justice est
l’une des rares hypothèses de “prise à partie” c’est-à dire de droit ce critique de
l’action du magistrat dans sa mission de juger.
On ajoutera que la Convention Européenne des droits de l’Homme dispose que “
toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue...dans un délai raisonnable
par un tribunal” (article 6 §1).Ce principe est un principe général.
SECTION III : LES PARTIES LE JUGE ET LE DÉROULEMENT DE
L’INSTANCE.
-§1) Le temps dans la procédure.
La question posée est simple : à qui, du juge ou des parties, appartient l’initiative
des opérations de procédure, c’est-à-dire la mise en mouvement et la poursuite des
actes de procédure ? Nous avons vu les questions posées par l’engagement du procès,
et par le droit de saisir ou de ne pas saisir le tribunal. Nous posons maintenant un
double problème. Passé le stade de l’introduction du procès, qui diligente la
procédure ? L’arme du temps appartient-elle au juge ou aux parties ? La
problématique ne se situe pas au niveau de la preuve, ou de la mise en état du dossier
au fond. Elle est de savoir à qui incombe la direction des opérations, qui fixe le
calendrier de la procédure, pour arriver à la phase de jugement
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 73
A) En contentieux privé.
Dans le contentieux privé, nous retrouvons sur le plan de la réflexion les deux
idées déjà rencontrées. Ou le juge est neutre, et sa mission est de trancher un litige
donné lorsque celui ci lui est soumis. Dans une telle conception, le magistrat n’aurait
pas à se préoccuper du temps que met une affaire avant de lui être soumise en phase
de plaidoiries. Ou, second point de vue, le juge est investi de la “mission de juger”,
principe supérieur aux seuls intérêts privés. Il est le gardien d’une certaine paix
sociale hostile à l’idée du conflit qui perdure. Dans une telle conception, sa mission
doit s’entendre de régler les litiges dont il a connaissance dans les meilleurs délais.
En fait, le problème n’est pas si simple, parce qu’il n’est pas lié à la seule question
du rôle du juge. Le procès civil, traduction d’antagonismes privés, rend compte très
souvent de souhaits divergents au niveau des parties quant au déroulement de
l’instance. L’un veut aller vite (en logique, c’est le demandeur, le créancier, la
victime, le conjoint qui souhaite divorcer..). Et l’autre ne le souhaite pas, ou entend
“gagner du temps”. Le juge devient alors celui qui arbitre le temps. Il ne peut
satisfaire celui qui souhaite ralentir, au risque de se rendre coupable de “déni de
justice raisonnablement rapide”. Et il ne peut satisfaire celui qui veut aller très vite au
risque de se voir taxé de justice expéditive. Il faut que le procès se déroule dans des
conditions de temps “raisonnables”. C’est l’une des composantes de l’idée de “bonne
justice”. La ligne de conduite du juge sera dictée par le principe du contradictoire. Le
défendeur assigné peut solliciter un délai complémentaire pour répondre ou pour
étudier les pièces. En réponse, le demandeur à son tour peut demander un délai pour
répliquer, ou riposter, ou pour rechercher tel élément de réplique. Ce temps demandé
sera à l’appréciation du magistrat.
En fait il faut éviter que l’une des parties puisse abuser de l’arme du temps (a) ou
que le procès ne s’enlise (b). Ceci étant, le magistrat gardien du temps peut-il
contraindre les parties, s’il estime que chacun a eu les délais nécessaires, à achever le
procès ? (c)
a) L’impossible justice expéditive.
Le principe du contradictoire impose, dans sa composante temporelle, une
première période entre l’acte introductif et l’audience. Dès l’acte initial, est acquise
l’idée que l’adversaire doit avoir le temps de mettre en place sa défense. De façon
habituelle, les textes en droit privé retiennent un délai de quinze jours minimum entre
l’acte initial et la date d’audience (à l’intérieur de ce délai est inclus le délai
“d’enrôlement” (habituellement de 8 jours au moins). Devant le tribunal de grande
instance, où les affaires sont, par nature, peut être plus délicates, le délai minimum
qu’a le défendeur est de quinze jours pour prendre avocat (le délai d’enrôlement est
de 4 mois).
Dès le départ donc, le législateur impose un laps de temps minimal. Nous verrons
également que dans les procédures dites “d’urgence” où l’aspect temps est
nécessairement altéré, le code impose au magistrat de vérifier que la partie
défenderesse a eu un temps suffisant pour préparer sa défense.
On peut d’ailleurs également justifier ce laps de temps entre l’assignation et
l’audience par le souci du législateur de donner à la partie demanderesse le loisir de
se repentir ou de se rétracter et de renoncer à sa procédure (par exemple en ne
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 74
mettant pas au rôle). Nous avons vu qu’aucune limite n’existe (sinon les aspects
formels) au droit d’engager une procédure. Le fait de devoir attendre avant de
comparaître peut permettre également de faire réfléchir celui qui a engagé l’action. Il
n’y a pas d’audience immédiate, sauf le cas où les parties en sont d’accord (et si le
juge l’accepte. Citons le cas de la comparution volontaire devant le tribunal
d’instance).
Le code organise donc l’impossible justice expéditive. Le temps est un élément du
principe contradictoire et le juge, gardien de ce principe donnera, et garantira à
chacun des plaideurs, le temps nécessité par le dialogue procédural.
b) La sanction de l’inertie des parties.
La seconde idée en droit privé, est de dire que le juge, par les textes ou par son
pouvoir, peut éviter l’enlisement d’un dossier contre la volonté de l’une des parties.
En d’autres termes, le juge a le pouvoir de sanctionner l’inertie d’une des parties.
α) Ceci nous amène à étudier d’abord la notion de caducité. Une partie engage un
procès et ne se présente plus, ou ne diligente plus son instance, ou n’enrôle pas son
assignation. Le rapport d’instance existe ou a existé. Mais il a vocation à disparaître
(article 406 N.C.P.C) si le demandeur ne diligente pas ou ne comparaît plus (art 468
N.C.P.C). L’instance, ou l’acte, disparaît mais non pas le droit d’agir (sauf s’il se
prescrit).
β) La seconde notion est celle de jugement rendu sur les seuls éléments fournis
par l’une des parties lorsque l’autre ne diligente pas (article 469 N.C.P.C). Le juge
peut fort bien, s’il estime que chacun a eu le temps nécessaire pour préparer ses
arguments et pièces, décider que l’affaire est en l’état d’être plaidée, alors même que
l’une des parties voudrait, contre la volonté de l’autre, faire de nouveau reporter la
date d’audience. Tant pis pour celui qui n’aurait pas mis à profit le temps donné ! On
rappellera que ne peuvent être versés aux débats que les éléments et arguments
communiqués préalablement.
γ) La troisième notion est voisine et directement liée au principe du contradictoire
avec sa composante “temps”. Le magistrat, gardien du principe du contradictoire, est
gardien du temps nécessaire à telle ou telle partie pour se mettre en état ou pour
accomplir tel ou tel acte. C’est le juge qui fixe le calendrier, le “planning” au fur et à
mesure du déroulement de la procédure.
Le magistrat gardien du temps a la faculté, on l’a vu, de prendre une affaire à
plaider “en l’état” alors que l’une des parties ne le souhaite pas, pourvu que le temps
lui ai été laissé sans qu’elle n’en ait profité. A l’opposé le magistrat a la capacité
d’ordonner le retrait du dossier d’une pièce, ou d’écritures, qui auraient été
communiquées tardivement. La consécration de ce principe est d’ailleurs donnée
pour le tribunal de grande instance, avec l’article 780 du N.C.P.C qui donne au
magistrat le pouvoir de “clôturer” la phase d’instruction d’un procès, si l’une des
parties s’abstient de toute diligence “dans les délais impartis”. On retrouve
expressément le mécanisme du calendrier fixé par le juge sur le fondement du débat
loyal et contradictoire, dans l’article 764. Le juge veille au déroulement loyal de la
procédure, spécialement à la ponctualité de l’échange des conclusions et de la
communication des pièces : “ Le juge de la mise en état fixe au fur et à mesure les
délais nécessaires à l’instruction de l’affaire eu égard à la nature, à l’urgence à la
complexité de celle-ci et après avoir provoqué l’avis des Avocats...”
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 75
c) La troisième idée est, qu’en final, le juge ne peut contraindre LES parties à
plaider contre leur volonté.
Si aucune des parties ne diligente, le juge peut prendre une décision de radiation
(l’exemple est donné à l’article 781 NCPC). L’affaire sera retirée du rôle. Elle pourra
être éventuellement réinscrite, s’il est justifié de l’accomplissement des diligences.
De la même façon, une instance peut se “périmer”. De la même façon encore, les
parties peuvent solliciter une mesure de radiation du rôle pour le cas où, sans vouloir
renoncer à leur action voire à leur instance, elles souhaitent se donner un laps de
temps en dehors du calendrier fixé. A supposer qu’une affaire soit fixée à plaider, et
que les deux parties demandent le renvoi de l’affaire d’un commun accord, le
magistrat peut refuser une telle demande et prendre l’affaire à plaider en l’état. Mais
les parties peuvent, d’un commun accord, demander la radiation du rôle et dans cette
mesure le magistrat ne peut contraindre les parties à plaider si aucune d’elles ne le
souhaite.
B) Le contentieux répressif.
Dans la procédure pénale, il n’appartient pas bien sûr à l’auteur de l’infraction de
diligenter la procédure. Ceci étant, la logique veut également qu’une personne ne
reste pas éternellement sous le coup d’une “inculpation”.
Dans la procédure pénale, l’aspect temporel est essentiellement conditionné par
l’idée de la recherche préalable à l’audience de la vérité objective. Dans le
contentieux privé, la vérité sur les faits est contingente, liée aux déclarations des
parties. Pourvu que celles ci aient eu le temps de mettre les dossiers en l’état,
l’essentiel du contenu du débat de fait est fixé. Dans le contentieux pénal, le
magistrat appelé à juger doit former son intime conviction sur les éléments de la
cause. Sur un ensemble de données reçues objectivement, deux logiques pourront
s’affronter, de l’accusation et de la défense. Mais les éléments de fait à proprement
parler doivent avoir été recueillis ou reçus objectivement, que l’instruction soit faite à
la barre du tribunal (tribunal de police, tribunal correctionnel en procédures sans
phase d’investigations par le magistrat instructeur) ou par le juge d’instruction
désigné sur une affaire correctionnelle délicate, ou obligatoirement désigné en
matière criminelle.
Il faut que le temps soit donné de rechercher cette vérité objective. Ou elle est
évidente : c’est le cas du flagrant délit, ou de la contravention (l’élément matériel de
l’infraction suffit le plus souvent, pour que celle ci soit constituée. Et très souvent,
celui ci est constaté par procès verbal). Dans ce cas là, il n’est pas opportun de perdre
du temps ; l’affaire pourra être jugée sans délai. Ou elle est délicate, et dans ce cas un
magistrat instructeur sera désigné, auquel il faudra laisser tout le temps nécessaire
pour réunir tous les éléments caractérisant la vérité la plus objective possible, à
charge et à décharge pour la personne inquiétée.
Ceci étant, on l’a vu, il serait de mauvaise justice de laisser une personne dans
l’expectative, sous le coup d’une inculpation, sans que le dossier n’évolue. Et l’on
arrivera alors à tempérer le principe selon lequel le magistrat instructeur est
parfaitement et totalement libre d’apprécier le temps nécessaire à son instruction. Les
limites, ou les tempéraments, sont finalement de très faible portée (article 175-1 du
C.P.P)“toute personne mise en examen, ou la partie civile peut, à l’expiration d’un
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 76
délai D’UN AN, à compter de la date de la mise en examen ou de la constitution de
partie civile demander au juge d’Instruction de prononcer le renvoi, devant la
juridiction de jugement ou de rendre une ordonnance de non lieu “. La seule lecture
de ce texte laisserait penser que le prévenu, ou la partie civile, pourraient imposer une
clôture de l’instruction. Mais la suite met à néant cette idée. Dans le délai d’un mois,
le juge fait droit, ou “déclare qu’il y a lieu de poursuivre l’information”. S’il n’est
pas statué dans le délai, la partie qui a demandé peut saisir la chambre d’accusation.
L’impératif qui veut que le juge doit avoir le temps d’instruire complètement est
respecté.
Pour la conduite du procès, l’initiative procédurale appartient totalement à la
partie poursuivante (on a déjà rencontré les notions de citation directe, avertissement,
réquisitoire, plainte avec constitution de partie civile).
Mais en phase d’instruction, le magistrat diligente, et il est maître des moyens
permettant d’aboutir à la révélation de tel ou tel fait.
Dans la procédure pénale, peut-on concevoir que les parties soient à même de
“gagner du temps” ? Si le magistrat ne le souhaite pas, la réponse est négative. La
remise d’une affaire à une date ultérieure ne se rencontre que dans des circonstances
très particulières. Logiquement en effet, on présume, lorsque l’affaire vient à
l’audience, que tout a été fait pour que le tribunal puisse apprécier au mieux la
situation objective de faits.
Finalement, en matière pénale, la seule limite sur le plan temporel se situe au
niveau de la prescription de l’action publique. Indépendamment des délais spéciaux,
les délais de prescription sont d’un an en matière contraventionnelle, de trois ans en
matière délictuelle et de dix ans en matière criminelle. Ce qui importe, c’est de voir
comment les actes de procédure peuvent interrompre le délai, et donc permettre un
allongement du temps d’instruction ou de traitement d’une affaire. Tant que l’action
pénale n’est pas prescrite ou éteinte (ceci par amnistie, décès, ou loi pénale plus
douce), elle peut se poursuivre. Constituent des actes interruptifs de prescription les
actes de poursuites et d’instruction. Ils manifestent la volonté de poursuivre ou de
continuer les poursuites. Les actes de poursuites sont ceux qui mettent en mouvement
l’action publique (une plainte simple n’a pas cet effet). Les actes de constatation
d’une infraction interrompent les actes d’instruction qui ont pour but la recherche de
la vérité et la réunion des preuves, les interrogatoires, les perquisitions, les transports
sur les lieux, les mandats délivrés (de dépôt, d’arrêt, ou d’amener), la désignation
d’un expert...On peut même concevoir que les actes faits dans le cadre de l’enquête
préliminaire soient assimilés à des actes d’instruction. Pourvu que l’acte émane d’une
autorité compétente, et qu’il soit valable, il y aura interruption du délai. Si le délai est
interrompu, un nouveau délai recommencera à courir.
En matière pénale, le temps apparaît donc comme une donnée subsidiaire. On
notera simplement quelques réserves liées à la détention provisoire. Il n’est pas
concevable de maintenir en détention une personne - présumée au demeurant
innocente - en détention provisoire. Sous certaines conditions, cette détention ne
pourra dépasser six mois.
L’on ajoutera encore que l’article préliminaire du Code de Procédure Pénale transposition en droit interne de l’article 6 § 3 - indique “ qu’il doit être
définitivement statué sur l’accusation dont la personne fait l’objet, dans un délai
raisonnable “
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 77
C) Le contentieux administratif
En matière administrative, comment le temps joue-t-il dans le cadre de la
procédure ?
En premier lieu (mais nous en reparlerons avec la notion d’évidence), si dès
l’engagement de la demande, la solution du litige apparaît certaine, le président du
tribunal administratif peut la renvoyer directement devant le bureau de jugement.
Cette formule est rarement pratiquée.
La juridiction administrative, dans le contentieux de la légalité, est saisie de la
seule question de la conformité de l’acte critiqué avec les normes supérieures. On
comprendra que dans le déroulement de la procédure, le juge n’ait qu’un rôle
relativement passif. Une fois saisi, le juge fixera des délais pour les échanges entre
les parties ; ces délais seront accordés en fonction du principe contradictoire, pour
permettre à chacune des parties d’avoir le temps nécessaire pour répliquer. Lorsque
l’affaire sera en l’état, elle sera renvoyée devant le tribunal qui statuera sur la base
des requêtes et mémoires déposés, après audition éventuelle des observations orales
données à l’audience par les parties.
§II) L incidence des facteurs “évidence” “complexité”, “urgence” dans la
matière du litige -sur le déroulement du procès
Comment se déroule le procès, entre son engagement, et la phase ultime de
l’audience de plaidoiries ? Nous avons vu comment l’instance peut être engagée.
Nous avons vu comment le juge est saisi, et en quoi consiste la formalité de
l’enrôlement. Mais comment les choses se passent-elles entre la phase initiale et la
phase finale ?
Nous avons dans le procès civil, un élément de la réponse avec l’examen des
obligations des parties. Il faut que chacune des parties communique ses pièces et
conclusions, dans les temps impartis. Il faut pour le procès pénal, que les éléments à
charge et à décharge sur la réalité des faits soient réunis ; il faut en contentieux
administratif que les mémoires soient échangés.
Mais le schéma de procédure est-il toujours le même dans chaque type de procès ?
La réponse est bien évidemment négative. Tout dépend, en fait, de la complexité ou
de la simplicité d’une affaire. Tout peut dépendre également de la nécessité reconnue
d’une réponse urgente à une situation donnée. S’il est des cas où “il n’y a pas lieu de
perdre du temps” (dans une procédure longue, car la réponse est d’évidence) il est
également des cas où “il n’y a pas de temps à perdre” ; il faut rapidement une
décision.
Nous pouvons partir d’un schéma de base : le procès se compose de la phase
initiale d’engagement de la procédure (citation, assignation, convocation, dépôt de
requête). Un temps minimal s’écoule au cours duquel les parties s’échangent leurs
argumentaires et leurs pièces (procédures d’opposition d’intérêts) ou prennent
connaissance des éléments justifiant les poursuites (procédure disciplinaire ou
pénale) puis vient l’audience. S’il apparaît au juge que l’une des parties n’a pas eu le
temps de faire tel acte, ou que toutes les investigations n’ont pas été faites, le
magistrat pourra renvoyer l’affaire à une autre date.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 78
Ce schéma est celui de droit commun. Nous le rencontrons de façon classique par
exemple devant le tribunal d’instance, devant le tribunal de commerce, devant le
conseil des prud’hommes (avec la nuance du préalable de conciliation). Mais encore
également devant le tribunal de police ou le tribunal correctionnel saisi à la suite
d’une citation directe.
Mais deux situations particulières peuvent se présenter. Il se peut que l’affaire
apparaisse évidente (par exemple en cas de flagrant délit, ou d’un recouvrement
d’une créance non sérieusement contestée). A l’opposé, il se peut qu’une affaire
apparaisse complexe. Voila par exemple un crime commis. Qui en est l’auteur, dans
quel contexte les faits se sont ils produits ? Quelle est la personnalité de l’auteur
prétendu ? Toutes ces questions ne peuvent trouver réponse rapidement. Prenons un
autre exemple. Une personne fait construire un immeuble. Celui ci s’écroule. Il se
peut que le procès nécessite des investigations longues avant que ne soient
déterminées les éventuelles responsabilités des différentes personnes intervenues
dans la réalisation de l’édifice.
Dans un tel contexte, il ne serait pas logique de faire venir l’affaire d’audience en
audience, avec reports systématiques. Ce ne serait ni pratique, ni justifié. Comment le
juge pourrait-il apprécier d’ailleurs le bien fondé de la demande de report ?
A partir du schéma fondamental que nous avons posé, nous allons voir que les
codes ont mis en place des processus adaptés au règlement des conflits évidents, ou
nécessitant une réponse rapide ou encore complexes.
A) L’évidence et l’urgence sources de procédures simplifiées
L’urgence et l’évidence peuvent en premier lieu justifier des mesures prises
“provisoirement” ou “conservatoirement” (détention provisoire, ordonnance de
référé) (a) Mais ces décisions, puisque provisoires ne peuvent “préjuger”. Peut-on
imaginer que l’urgence ou l’évidence soient sources de procédures “au fond”
distinctes du schéma du procès classiques (b)
a) Les mesures provisoires et conservatoires.
Dans le contentieux privé,
1) L’URGENCE ET L’EVIDENCE
Voyons rapidement - car l’étude en elle même relève des Voies d’Exécution- la
question des mesures conservatoires
- Les Mesures conservatoires
“Toute personne dont la créance parait fondée en son principe peut solliciter du
juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son
débiteur, sans commandement préalable si elle justifie de circonstances susceptibles
d’en menacer le recouvrement “
Nous sommes dans le domaine des saisies conservatoires ( pouvant porter sur les
biens meubles ,corporels ou incorpores appartenant au débiteur ) et des sûretés
judiciaires ( hypothèque judiciaire ,nantissement de fonds de commerce ...).tout ceci
est organisé par l’article 67 de la Loi du 9 Juillet 1991.L’autorisation est donnée par
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 79
le Juge de l’Exécution ;Éventuellement par le Président du Tribunal de Commerce si
la créance est commerciale .Un assignation au fond devra être délivrée dans le délai
d’un mois ( On ne peut en effet concevoir de laisser une sûreté ou une saisie
conservatoire produire effet sans que le litige ne soit tranché rapidement ..)
On notera que la mesure conservatoire est ordonnée si la créance apparaît fondée
(notion d’évidence) mais menace dans son recouvrement (notion d’urgence)
On pourra rapprocher d’autres mesures pouvant également être prises dans des
situations d’urgence dans d’autres domaines ( ainsi par exemple : article 257 du Code
Civil : le Juge (aux affaires familiales) peut prendre des la requête initiale des
mesures d’urgence .Il peut à ce titre autoriser l’époux demandeur à résider
séparément, s’il y a lieu avec les enfants mineurs .Il peut aussi pour la garantie des
droits d’un époux ordonner toutes mesures conservatoires ...”
Nous constatons que l’urgence autorise l’adoption d’ordonnances sur requête, en
dehors de tout débat contradictoire. Mais les mesures prises sont “conservatoires” et
elles ne préjugent en rien .D’autre part si elles sont de plein droit exécutoires, ces
ordonnances peuvent être facilement remises en question (nous verrons cela lorsque
nous parlerons des voies de recours)
- Le RÉFÉRÉ POUR CAUSE D’URGENCE
La logique est ici différente .Le but est d’obtenir très rapidement, la partie adverse
appelée, une décision immédiatement exécutoire et dont la portée est plus certaine
puisque cette décision, sauf événement nouveau ne pourra être revue qu’en appel ou
qu’avec la décision au fond.
La technique des Référés a connu et connait un très grand développement .Nous
verrons que ce développement est lié à l’idée même d’URGENCE .Nous avons vu
sur le plan organique que chaque Juridiction connait d’une formation de RÉFÉRÉS.
Le Magistrat des référés calque sa compétence sur celle de la Juridiction dont il
est issu (La compétence ratione loci et ratione materiae du Conseil des Prud'hommes
fixe la compétence de la formation des Référés du Conseil )
Il faut comprendre qu’à coté de la compétence à proprement parler se pose la
question de savoir s’il y a oui ou non lieu à référé ( En notre espace ; Y a t-il
urgence ?) En d’autres termes nous pouvons fort bien concevoir qu’un Magistrat des
Référés se déclare comptent - mais déclare n’y avoir lieu à référé faute d’urgence .
Il faut également comprendre que la nature du débat contradictoire est particulière
.
Il n’est théoriquement pas débattu du fond . La seule question posée est celle de
l’urgence .Et l’urgence constatée justifie-t-elle l’adoption de la mesure demandée ?
Quand nous sommes dans ce domaine du Référé Urgence le débat , la mesure
prise ou refusée ,la technique de procédure ne se conçoivent qu’avec cette idée d’une
mesure prise rapidement pour faire face à une situation d’urgence .
Sur le plan procédural on notera que la procédure est en elle même simplifiée. Le
plus généralement l’acte introductif prendra la forme d’une assignation (En matière
Prud’homale cette technique “double” la technique de la déclaration au Greffe)
Il n’y a pas de délai d’enrôlement, le Juge doit se contenter de constater que la
partie adverse a eu le “temps nécessaire pour organiser sa défense” .Devant le
Président du Tribunal de Grande Instance statuant en référés le ministère d’Avocat
n’est pas obligatoire.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 80
La question qu’il importe d’appréhender, est cette notion d’URGENCE,
puisqu’elle est la mesure de l’accès à la formation de référés.
* L’URGENCE - PÉRIL
On peut concevoir d’abord l’urgence au sens “ Dommage imminent” ou “ trouble
manifestement illicite”
Dans un tel contexte, et quelque soit le type de contentieux on admet le pourvoir
du Juge de prescrire en référé les mesures “ conservatoires “ ou de “ remise en état”
qui s’imposent
Ce qu’il importe de constater c’est que ces mesures peuvent être ordonnées dans
ce contexte “ même en présence d’une contestation sérieuse” (de la part de
l’adversaire)
Nous sommes ici devant des contextes de grave péril .Et même s’il y a
contestation, le risque de péril doit être paré .à titre d’exemple les articles 809 (TGI)
849 (TI) 873 (T.COM) 894 (Bx Rx) R.516-31 (CPH) ...)
On retiendra que la mesure est de type limité (conservatoire ou remise en état)
mais qu’elle est prise même s’il y a contestation. On prendra comme exemple le
rétablissement de l’eau courante pour le locataire qui ne paye pas ses loyers et dont le
propriétaire a fermé le compteur...Le propriétaire a sans doute une contestation
sérieuse à faire valoir contre le locataire .Mais le fait de priver celui-ci d’eau peut
caractériser le dommage imminent...
* L’URGENCE - DANGER
Le Juge des Référés peut prendre “ toutes les mesures” que justifie l’existence
d’un différend s’il y a urgence.
Voici deux parties en litige .Et le différend prend de l’ampleur ! Le juge - même
en présence d’une contestation sérieuse de l’un ou de l’autre - peut ordonner toute
mesure que justifie l’existence du différend (exemple : mésentente entre
associés...Qui a raison ? Mystère...mais le différend peut amener une aggravation .On
admettra alors par exemple la désignation d’un administrateur provisoire...)
Ici encore la mesure est limitée.
* L’URGENCE EXTRÊME.
Il se peut - quelque soit l’hypothèse d’ailleurs d’urgence - qu’il faille obtenir
extrêmement rapidement au regard des circonstances - telle ou telle mesure .Et
l’urgence est telle que ne peut être attendue l’audience habituelle de référé.
L’on admettra alors ce que la pratique appelle le “ référé d’heure à heure”
(Article 485 alinéa 2) “ Si le cas requiert célérité le Juge des Référés peut
permettre d’assigner à heure indiquée, même les jours fériés ou chômes, soit à
l’audience soit à son domicile portes ouvertes “
Le demandeur sollicitera donc du Magistrat, par requête, cette autorisation
d’assigner d’heure à heure .Si le Magistrat constate l’extrême urgence, il ordonnera
que l’adversaire sera cité pour telle heure et en tel lieu. Le requérant dénoncera
l’ordonnance et assignera “d’heure à heure” .Le Magistrat appréciera de toutes les
façons que le délai de comparution a été suffisant pour que le défendeur ait eu le
temps de préparer sa défense.
* l’URGENCE DANS LE DOMAINE DE LA PREUVE ;
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 81
On rappellera simplement qu’il se peut que les parties n’étant pas (encore) en
litige ,l’une d’elle estime nécessaire de “sauvegarder la preuve “ d’une situation
...preuve qui risque de disparaître .S’il existe un motif légitime de conserver ou
d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un
litige ,les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la
demande de tout intéressé sur requête ou en référé ( article 145 NCPC)
- Le RÉFÉRÉ POUR CAUSE D’URGENCE CLASSIQUE OU D’EVIDENCE
Nous prendrons ici comme exemple l’article 808 du Code(les règles soit voisines
quelque soit le type de juridiction) “ Dans tous les cas d’urgence le (Magistrat) peut
ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation
sérieuse.”
L’urgence “ classique” autorise l’adoption de toute mesure, pourvu qu’il n’y ait
pas de “ contestation sérieuse de la partie adverse”
Que faut-il entendre par “URGENCE” ? Le Code n’en dit rien .C’est sans doute
plus large que les notions que nous avons rencontrée de “ péril, de danger ou de
dommage imminent...”
En fait on peut entendre le mot URGENCE de deux façons
..Il n’y a pas de temps à perdre (il y a nécessité d’aller vite)... C’est l’urgence
“péril”
... Mais on peut également entendre “ ce n’est pas la peine de perdre du temps”
(dans une procédure au fond qui serait longue) .C’est l’urgence proche de la notion
d’évidence
(Cette notion a été reçue dans le passé pour justifier l’action des grands parents en
obtention d’un droit de visite sur leurs petits enfants...La procédure devant le
Tribunal au fond aurait été longue .Et s’il n’y a pas de contestation sérieuse pourquoi
ne pas admettre la procédure de “référé urgence “ sur une telle demande - l’exemple
est historique puisque la compétence actuellement est dévolue actuellement au JAF)
Nous sommes en matière de référé “Urgence” classique devant le pouvoir
quasiment souverain du Magistrat saisi d’apprécier s’il y a oui ou non urgence .Et
puisque le critère n’est pas de fin l’on comprendra l’immense développement de cette
forme de justice - rapide et simplifiée .
En matière de RÉFÉRÉ la décision rendue est de plein droit et immédiatement
exécutoire .il serait ridicule que l’on puisse obtenir une mesure rapidement si ce
n’était pour pouvoir la mettre à exécution sans délai.
L’ordonnance est de plein droit exécutoire - ce qui signifie que le sursis à
exécution n’est en principe pas possible .Mais cette décision n’a pas l’autorité de la
chose jugée. Ce qui signifie que rien n’empêche le Tribunal statuant en fond de
prendre une décision contraire .ce qui signifie que rien n’empêche une éventuelle
nouvelle procédure de référé s’il y a une modification dans la situation de fait.
On rappellera également que l’appel est possible contre une ordonnance de référé
(délai de 15 jours à compter de la notification) .En appel le débat ne change pas de
nature .Le fond n’a pas à être abordé ; le débat porte sur l’urgence ou l’évidence et la
mesure prise en cette considération...
Dans le contentieux répressif,
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 82
: Les mesures provisoires, en l’attente d’une décision statuant sur la culpabilité,
sont essentiellement du domaine du magistrat instructeur., et du Juge des Libertés et
de la détention.
Nous verrons que s’il existe des procédures rapides pour qu’il soit statué sur les
situations d’évidence, il n’existe pas de procédure de “référé” pour prendre telle
mesure provisoire par exemple la mise en détention.
Toutefois nous trouvons - pour la mise en détention, la mise en place du Juge des
libertés et de la détention - et la notion de “ référé liberté”
Ces mesures ne peuvent être prises par “pré jugé”. D’ailleurs l’on constatera que
la motivation d’une mise en détention provisoire peut être tout à fait indépendante du
fond du litige : il peut s’agir du souci de protéger la personne mise en examen, ou de
l’un des motifs donnés par l’article 144 du code de procédure pénale (conservation
des preuves, empêcher les pressions sur les témoins ou victime, éviter la concertation
frauduleuse, pour mettre fin à l’infraction ou éviter son renouvellement préserver
l’ordre public troublé ou garder la personne mise en examen à disposition de la
justice).
Ici encore le schéma de procédure est simple, mais s’il aboutit à une décision,
cette dernière n’est pas acte juridictionnel ; elle ne préjuge ni du fond, ni de l’issue du
procès.
En matière administrative
Le domaine du plein contentieux -c’est à dire du contentieux de l’indemnisation
de l’administré- se rapproche du contentieux privé. Et l’on admettra de façon assez
naturelle que des décisions provisoires soient prises par des processus plus rapides
que dans le schéma classique de procédure. En matière de contentieux de la légalité,
la demande rapide ne se conçoit que du fait de l’administré (l’acte administratif est de
plein droit exécutoire).
Ceci étant, le référé administratif existe. Mais il ne peut aboutir à suspendre la
décision administrative (nous verrons plus avant la procédure spécifique de la
demande de sursis à exécution d’un acte administratif - qui suppose que soient
réunies des conditions très précises). Pourront donc être ordonnées - mais sans qu’il
ne puisse être d’aucune façon “pré jugé” du fond des mesures d’instruction, des
mesures provisoires ou conservatoires.
b) Les décisions au fond obtenues rapidement
L’urgence ou l’évidence permettent-elles d’obtenir plus rapidement qu’à la
normale une décision au fond ?
En matière civile, l’urgence permettra ces procédures rapides de règlement du
litige. En matière pénale, c’est essentiellement l’évidence qui justifiera un processus
rapide de jugement au fond (le flagrant délit). L’idée ne se retrouve guère en matière
administrative.
α) L’urgence et les procédures à jour fixe devant les juridictions civiles.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 83
Cette formule se rencontre devant les juridictions où l’acte introductif ne contient
pas indication de la date d’audience. Et donc essentiellement devant le tribunal de
grande instance (articles 788 et suivants du code) et devant la cour d’appel (articles
917 et suivants). S’il est justifié de l’urgence ou de droits en péril et que cela est
reconnu, le demandeur ou l’appelant sera autorisé à assigner l’adversaire à jour fixe
devant la juridiction. A la date d’audience donnée, l’affaire pourra être plaidée “sur le
champ” en l’état où elle se trouve. Le magistrat peut également ordonner le renvoi ou
le renvoi à la mise en état, mais l’on comprendra que ces modalités soient finalement
prises ici encore dans des données temporelles courtes, puisqu’il a été initialement
admis que la situation requérait urgence.
β) Dans le contentieux répressif.
Partons du principe que le schéma fondamental est celui de la citation (article 550
C.P.P). Entre la citation et la date de l’audience s’écoule un délai minimal de 10 jours
(article 552). A l’audience (la formule est applicable au tribunal correctionnel,
comme au tribunal de police) le magistrat mène l’instruction (article 398 et suivants)
puis vient “la discussion par les parties”, le réquisitoire du ministère public et la
plaidoirie de la défense.
Existe-t-il des procédures simplifiées en raison de l’évidence? L’évidence en
matière pénale tient aux circonstances de la commission de l’infraction. C’est le
“crime ou le délit flagrant” (article 55 code de procédure pénale). Mais nous
pourrions imaginer d’autres hypothèses (l’auteur d’une infraction se présente devant
le procureur, spontanément). En matière délictuelle, si le procureur de la république
estime qu’une information n’est pas nécessaire, que les charges réunies sont
suffisantes et que l’affaire est en état d’être jugée il peut, s’il estime que les éléments
de l’espèce justifient une comparution immédiate, traduire l’inculpé “sur le champ”
directement devant le tribunal (article 395 CPP) qui pourra statuer le jour même.
On remarquera ici également que le tribunal se doit de vérifier que la personne qui
lui est présentée a pu organiser sa défense. A défaut l’affaire sera renvoyée (après
qu’il ait été statué éventuellement sur la mise en détention ou sous contrôle
judiciaire). Le tribunal peut évidemment estimer qu’il n’y a pas évidence et qu’il y a
lieu à investigations et renvoyer le dossier au procureur (art 397-2).
On constate la similitude de processus entre les techniques -civiles et pénalesd’assignation à jour fixe ou de comparution immédiate.
B) Complexité, mise en état, et instruction
Le dossier doit être (a) mis en état d’être plaidé et (b) mis en état d’être jugé.
Il est tout à fait possible qu’une fois le procès engagé, apparaissent des difficultés,
que l’affaire se révèle complexe, et qu’il y ait lieu à investigations avant qu’elle ne
soit jugée. Nous pouvons partir d’un postulat, qui fixe les principes et permet de
comprendre comment va s’organiser la phase éventuelle d’instruction préalable du
dossier.
- L’affaire doit être mise en état d’être plaidée. Il faut que les parties puissent
exposer au juge un argumentaire complet, après qu’aient été respectés les droits de la
défense ou les règles du contradictoire.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 84
- Mais il faut également que le dossier puisse être mis en état d’être jugé. Le juge
doit donner une décision éclairée. Il faut admettre qu’il lui soit possible d’ordonner
telles investigations de façon qu’il puisse être à même de motiver sa décision de
façon éclairée.
Cette double idée se retrouve dans nos différents contentieux :
a) La première question est de savoir à qui incombe le soin de dire si une affaire
est complexe ou non ?
En matière civile, le rôle appartient au magistrat. On admettra quand même que,
les informations étant données par les parties, celles-ci aient un pouvoir de
suggestion. Nous pouvons prendre quelques exemples. Au tribunal de commerce
(article 861 NCPC) si l’affaire n’est pas en état d’être jugée la formation de
jugement la renvoie à une autre audience ou confie à l’un de ses membres le soin de
l’instruire en qualité de juge rapporteur.
Au tribunal de grande instance, seront renvoyées au juge de la mise en état (article
762) “toutes les affaires que le président du Tribunal ne renvoie pas à l’audience
(celles qui ne sont pas prêtes à être jugées) au vu des conclusions et des pièces
communiquées”.
Au conseil des prud’hommes “le bureau de conciliation ou de jugement peut, afin
de mettre l’affaire en état d’être jugée, par décision insusceptible de recours,
désigner des conseillers rapporteurs en vue de réunir les éléments d’information
nécessaires pour statuer”
En matière pénale, qui décidera de renvoyer l’affaire à l’instruction, plutôt que de
la faire venir devant le tribunal directement ? Parfois, la nature de l’affaire oblige à la
phase d’instruction comme en matière criminelle. Mais en règle générale, la décision
appartient à la partie poursuivante. Le ministère public le fera par un “réquisitoire
aux fins d’informer”. Ce réquisitoire saisira l’organe d’instruction. Ce peut être
également la partie civile par le fait de la plainte avec constitution de partie civile
déposée entre les mains du doyen des juges d’instruction. On admettra que, s’il
apparaît au tribunal appelé à juger que le dossier n’est pas en état, la juridiction aura
pouvoir d’ordonner des actes d’instruction complémentaires.
En matière administrative ce sera le président du tribunal qui décidera qu’il n’y a
lieu à instruction si la solution apparaît certaine. Sinon, par principe, la mise en état
du dossier se fait dans un cadre essentiellement accusatoire (le rôle du magistrat
chargé de mettre en état est loin d’être aussi important que dans les autres
contentieux).
b) Quelle sera la fonction du “juge chargé d’instruire” ?
Nous trouvons ici l’opposition entre nos types de contentieux. Dans le procès civil
et administratif, l’instance est l’affaire des parties. L’accent sera essentiellement mis
sur la nécessité de mettre l’affaire en état d’être plaidée (1). Dans le procès pénal, le
juge appelé à juger doit, pour apprécier la culpabilité et éventuellement la peine,
disposer de tout ce qui permet d’approcher ou d’appréhender la vérité objective. Le
rôle de l’instruction sera alors de mettre le dossier en état d’être jugé de façon
éclairée (2).
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 85
1) Dans le contentieux civil, quels sont les pouvoirs du juge de la mise en état
lorsqu’il est désigné ? Les textes utilisent le mot “instruire” (article 768 N.C.P.C
“l’affaire est instruite sous le contrôle...”
En fait, le magistrat va d’abord veiller au déroulement loyal de la procédure, à la
ponctualité des échanges dans le cadre du principe contradictoire ; il va fixer des
délais, inviter les parties à répondre aux moyens et explications. Il sera le “chef
d’orchestre” veillant au bon ordonnancement du processus qui conduit le dossier à
être en état d’être plaidé. Il peut également (article 146) ordonner une mesure
d’instruction sur un fait donné si l’une des parties ne dispose pas “d’éléments
suffisants pour le prouver” (on notera qu’elle doit quand même avoir des éléments, et
que le juge a faculté de refuser).
Mais le juge de la mise en état (qui, nous le verrons, fera logiquement partie de la
formation de jugement) a également conscience que le dossier, par nature complexe,
devra donner lieu à une décision motivée. Sans interférer sur la charge de la preuve
qui incombe aux parties, le magistrat pourra provoquer “même d’office” toutes
mesures d’instruction. Il contrôlera l’exécution de celles-ci ; il peut entendre les
parties même d’office et peut inviter les parties à mettre en cause des tiers.
En d’autres termes il mettra le dossier du Tribunal en état “ d’être jugé” de façon
éclairée.
2)En contentieux administratif, dans le contentieux de la légalité le magistrat
chargé de la mise en état aura pour l’essentiel un rôle de contrôle des échanges des
pièces et mémoires ; mais rien n’interdit qu’il fasse procéder, comme il a plus
souvent l’occasion de le faire en “plein contentieux”, à des mesures d’instruction
nécessaires.
3) En matière pénale, le rôle du magistrat chargé d’instruire est, de rechercher les
éléments de vérité objective “à charge et à décharge”, il n’est pas d’arbitrer un débat
entre accusation et défense, mais de rechercher en toute indépendance, et sans qu’il
ne puisse y avoir pression de quelque nature, les éléments de vérité, de façon à mettre
le magistrat appelé à juger en connaissance complète de tout ce qui constitue, sur les
faits et les personnalités, le fondement de la décision à rendre.
Dès lors, la procédure sera secrète et inquisitoire. Le magistrat instructeur sous les
réserves que l’on a déjà rencontrées, procédera à toutes les investigations qui lui
paraîtront opportunes, avec les pouvoirs les plus larges, et les moyens les plus
efficaces pour obtenir la révélation de la vérité (perquisitions, saisies, interrogatoires,
auditions, expertises, commissions rogatoires, mise en détention, mandats de dépôt,
d’arrêt ou d’amener).
c) le règlement des questions posées en cours d’instruction
Du fait de la complexité du procès, la notion de temps doit être de nouveau posée.
Puisque l’affaire n’est pas en état d’être plaidée, il ne faut pas que la procédure
s’enlise et que soient empêchées les mesures que l’urgence ou l’évidence imposent.
Le juge de la mise en état comme le juge d’instruction se verront reconnaître des
pouvoirs juridictionnels (mais leurs décisions ne sont pas actes juridictionnels au sens
initial).
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 86
Il se peut d’abord que - par le fait des investigations - des points de règlement du
litige deviennent “non sérieusement contestables”. On reconnaîtra au magistrat
instructeur la possibilité de le dire (le juge de la mise en état en matière civile peut
allouer une provision, constater l’extinction de l’instance ou la transaction. Le juge
d’instruction en matière pénale peut prendre une ordonnance de non lieu). On
admettra encore que l’urgence puisse être constatée en cours d’instruction et que
soient prises par le magistrat instructeur, les mesures qu’elle impose (mesures
provisoires et conservatoires).
Le régime des ordonnances est particulier. En matière civile le principe est de
l’impossibilité de relever appel sauf exceptions. En matière pénale, l’appel est
possible sauf dispositions particulières (articles 185 et 186 du C.P.P).
d) L’achèvement de la phase d’instruction
En matière pénale, le magistrat instructeur clôturera l’instruction par une
ordonnance de renvoi devant le tribunal ou de transmission au parquet général en
matière de crime pour saisine de la chambre d’accusation.
En matière civile, le juge de la mise en état clôturera, soit parce qu’il estime que
le dossier est “en état” (articles 760-761 N.C.P.C), soit parce qu’il aura constaté que
l’une des parties ne diligente pas (780). Il peut également rayer l’affaire du rôle si
personne ne diligente (781 du N.C.P.C).
En matière administrative le président du tribunal peut rendre une ordonnance de
clôture ; sinon l’instruction du dossier est close après les observations orales des
parties à l’audience ou, si elles n’entendent pas en faire, après l’appel de leur affaire.
Devant le conseil d’état, la clôture intervient avant que le commissaire du
gouvernement ne présente son argumentaire. En fait, devant les juridictions
administratives, il n’y a pas de véritable clôture. Le processus d’instruction amène
naturellement l’affaire à l’audience.
TITRE 2 : LA MISSION DE JUGER
Il ne peut y avoir de déni de justice. Une affaire en état d’être jugée doit trouver
son issue dans une décision ayant vocation à mettre fin au litige.
CHAPITRE PREMIER : LE DEVOIR DE JUGER
Les parties sont créancières non seulement du droit d’être entendues, mais
créancières également d’une décision de justice. A qui cette mission de juger
incombe-t-elle (Section 1) ? Et quel est l’office du juge (Section 2) ?
SECTION 1 : QUI EST INVESTI DE LA MISSION DE JUGER ?
Nous avons vu comment se met en place le processus qui va amener le dossier en
phase de jugement, et nous avons constaté qu’un certain nombre de magistrats et
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 87
d’auxiliaires de justice sont intervenus. A qui va être dévolue la mission de juger le
litige ?
§I) Les frontières de l’instruction et de la phase de jugement
Comment passe-t-on de la phase d’instruction à la phase de jugement ? Existe-t-il
un stade intermédiaire entre ces deux phases, ou vient-on directement en audience
une fois les échanges et actes d’instruction accomplis ? Dans le schéma de base que
l’on a dégagé (acte introductif - temps d’instruction - audience de plaidoiries) une
telle notion n’apparaît pas.
En fait, la question se pose lorsque l’affaire apparaît délicate. Prenons par
exemple un procès civil où est intervenu un juge de la mise en état. Le rôle de celui
ci, qui par principe connaît tout de l’affaire, pour avoir tout surveillé, tout lu et tout
contrôlé, doit-il brutalement s’arrêter ? Et l’affaire doit-elle venir en audience de
jugement, devant des magistrats qui n’ont aucune connaissance de l’affaire et qui
entendront deux plaidoiries techniques sur des éléments complexes ?
L’idée qui a été avancée est celle du magistrat rapporteur, c’est-à-dire d’un
magistrat qui ferait “rapport” au tribunal, de façon objective sur les faits de la cause
et la procédure suivie, de façon que le tribunal soit informé avant d’entendre plaider.
Et cette idée est consacrée dans les trois contentieux. Mais nous allons le voir de
façon totalement différente.
En matière administrative, le conseiller rapporteur peut être celui qui a été investi
de la mise en état du dossier. Il fera un rapport complet sur la demande des parties,
les règles juridiques applicables, les moyens des parties, les circonstances de
l’affaire, les moyens d’ordre public à soulever d’office. Ce rapport accompagne un
projet de jugement (ou d’arrêt).
En matière civile, le président de la juridiction peut, si l’affaire le requiert, charger
le juge de la mise en état d’établir un rapport écrit sur l’objet de la demande, les
moyens des parties, les éléments de fait et de droit et les “éléments propres à éclairer
le débat”. En logique donc, le juge de la mise en état dressera un tableau objectif du
dossier tel qu’il est à juger. La logique du code de procédure civile va encore plus
loin, puisqu’on admet que le juge rapporteur peut également entendre les plaidoiries
(si les parties en sont d’accord) et faire rapport sur le tout au tribunal. La tendance
sera sans doute de voir ce magistrat faire rapport après les plaidoiries, et proposer un
projet de jugement comme en matière administrative. Si le code de procédure civile
n’a pas encore consacré une telle possibilité, la tendance générale semble aller dans
ce sens (on verra en particulier les textes sur le juge aux affaires familiales).
En matière pénale en revanche les règles sont totalement différentes. Le dossier
est transmis après l’instruction au tribunal et en aucune façon, le juge d’instruction ne
peut intervenir dans la phase de jugement.
En fait, s’il est possible qu’il y ait juge rapporteur, ce rapport sera en fait un
résumé fait par l’un des magistrats composant la formation de jugement du tribunal.
En aucune manière le juge d’instruction qui a connu de l’affaire ne peut donner un
point de vue, et influencer sur ce qui va amener l’intime conviction du magistrat.
§II) Le choix du juge
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 88
Peut-on concevoir que les parties, dans un procès, aient la possibilité de choisir la
juridiction chargée de traiter l’affaire soumise ? Peut-on concevoir, alors qu’un litige
est né, que les parties s’accordent pour aller plutôt devant tel magistrat que devant tel
autre ? La question est double : peut-on choisir le tribunal (A), peut-on choisir le
magistrat (B) ? Les réponses varient selon le type de contentieux et la notion d’ordre
public.
A) le choix de la juridiction
a) Dans le contentieux privé, le code de procédure civile fixe les règles de
compétence des juridictions, ratione materiae et ratione loci.. Les parties peuventelles y déroger ? Si le procès est l’affaire des parties, l’on pourra admettre que
l’accord commun de celles-ci puisse avoir sa portée au niveau du choix du tribunal.
Les dispositions sur la compétence, contenues dans le code, seraient en quelque sorte
supplétives de volonté commune des parties. Si en revanche, l’on prétend que le code
a réparti les compétences des juridictions dans un souci de bonne administration de la
justice et de bon fonctionnement du service public, il ne serait pas concevable qu’il y
soit dérogé. Qu’en est-il ? Distinguons les cas de figure :
- ou il n’y a aucune volonté commune pour déroger aux règles, et dans ce cas, si le
demandeur a saisi telle juridiction incompétente, le défendeur soulèvera l’exception
par déclinatoire de compétence ratione materiae ou ratione loci... Et le juge
appréciera.
- ou il y a volonté “tacite” de prorogation. Le procès engagé, la partie défenderesse
renonce implicitement à soulever l’exception d’incompétence de la juridiction. Il ne
soulève aucune exception. Si le juge n’est pas dans l’un des cas de déclinatoires
d’office, il ne peut faire autrement que de prendre l’affaire.
- ou encore il y a eu volonté initiale de déroger aux règles (clause attributive de
compétence par exemple) mais cette volonté ne se maintient pas. L’une des parties
conteste la compétence arrêtée. Le peut-elle ? Peut elle soutenir que la clause signée
par elle, attributive de compétence à telle juridiction est sans effet. Peut-elle donc
revenir sur l’accord donné en soulevant l’exception d’incompétence ? C’est possible,
sauf dans des cas limites (en particulier si la clause déroge aux règles de compétence,
uniquement sur le plan territorial, qu’elle a été passée entre commerçants et indiquée
de façon très apparente avant que ne soit né le litige).
- ou enfin, les parties maintiennent leur accord dérogatoire aux règles du code. Le
juge peut-il d’office soulever son incompétence ? Existe-t-il un ordre public de
procédure permettant au juge de s’opposer à la volonté des parties qui l’a désigné ?
Les cas sont limités. Le juge peut (on notera que le code ne dit pas “doit” sauf pour
les injonctions de payer et de faire) soulever d’office en cas de violation d’une règle
de compétence d’attribution (ratione materiae) lorsque cette règle est d’ordre public.
Ou lorsque le défendeur ne comparaît pas (dans une telle hypothèse on ne peut
justifier d’un accord maintenu sur la prorogation de compétence). Il est des cas
également où le magistrat peut soulever d’office son incompétence “ratione loci ”.
Ces cas sont rares, et concernent pour l’essentiel le défendeur qui fait défaut, la
matière gracieuse, et le domaine de l’état des personnes.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 89
b) En contentieux répressif, la question la plus importante est celle de la
compétence ratione materiae. Elle se règle au demeurant assez facilement. Les
critères de compétence sont directement liés à la qualification de l’infraction retenue
par la juridiction. Ou l’infraction est qualifiée crime, et la compétence est de la cour
d’assises, ou elle est constitutive d’un délit et la compétence est du tribunal
correctionnel, ou elle est contravention, et le tribunal de police est compétent.
Puisque la qualification appartient au magistrat appelé à juger l’infraction, c’est à
ce dernier qu’il appartient de dire si l’infraction rentre dans sa compétence. En
d’autres termes, il n’appartient pas aux parties de convenir de la compétence de telle
ou telle juridiction, puisque l’on ne peut se mettre a priori d’accord sur une
qualification pénale des faits.
La sociologie judiciaire montre qu’il est des cas où pour des motifs divers, et de
propos délibéré, le tribunal ne retient pas la qualification exacte, mais sur suggestion
du parquet, et sans que la défense ne s’y oppose, garde une qualification de degré
inférieur (c’est le phénomène appelé improprement de “disqualification”. Citons par
exemple le viol disqualifié en attentat à la pudeur).
Ratione loci, les règles sont variées puisque la juridiction compétente est celle du
lieu de l’infraction, ou celle de la résidence du prévenu, ou celle du lieu de
l’arrestation, et parfois celle du lieu de détention, sous réserve également des règles
relatives au jugement des complices et coauteurs. On indiquera également quelques
nuances à l’idée de la compétence exclusive liée à la qualification. Elles tiennent à la
notion de plénitude de juridiction - savoir l’idée que la juridiction a même de juger de
la qualification supérieure, peut juger des infractions si elles sont requalifiées sur un
degré inférieur. C’est la plénitude de juridiction de la cour d’assises. C’est également
la compétence du tribunal correctionnel, qui peut juger les contraventions qui
s’intègrent au délit lui même, voire qui sont connexes.
On ajoutera enfin quelques tempéraments“ratione personae ”. Les mineurs seront
jugés par le juge des enfants, le tribunal pour enfants ou la cour d’assises des
mineurs. Nous trouvons également les “immunités”.
c) la juridiction administrative.
Ratione loci, le tribunal administratif compétent est en principe celui du lieu du
siège de l’autorité qui a pris l’acte attaqué, ou signé le contrat litigieux. Cette règle a
été voulue pour faciliter l’instruction de l’affaire. On y trouve des exceptions (art R
50 à R 61 C.Trib.Adm.). En principe, depuis 1972, un système préventif permet au
juge administratif, saisi à tort d’une requête, de l’adresse à son homologue
compétent.
Rappelons enfin qu’en matière administrative, certains litiges doivent être portés
directement devant le conseil d’état, qui statue alors en premier et dernier ressort
(exemple : recours pour excès de pouvoir formé contre les actes réglementaires des
ministres, et contre leurs actes administratifs pris après avis obligatoire du conseil
d’état ; litiges relatifs à la situation individuelle des fonctionnaires nommés par le
président de la république; recours en annulation contre les décisions administratives
des organismes collégiaux à compétence nationale)
B) Le choix du magistrat
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 90
La seconde question est de savoir si le justiciable a le choix de la personne du
magistrat. Une partie peut-elle choisir au sein de la juridiction, tel magistrat pour
traiter le litige ? On pourrait évoquer la technique de l’arbitrage dans laquelle les
parties peuvent réaliser un accord sur la personne chargée de trancher leur différend.
Est-ce possible en matière de justice ? Ou faut-il admettre que la notion de service
public de la justice impose que l’on ne puisse pas choisir ?
Rien dans le code ne permettrait de justifier l’idée que les parties, d’accord entre
elles, auraient la faculté de faire venir le litige devant tel juge plutôt que tel autre, au
sein d’une même juridiction. Mais si l’une des parties doute de l’impartialité du
magistrat, peut-elle, et si oui sous quelles conditions, le “récuser” ? Suffit-il de le
demander ? Nous entrons dans le domaine de la récusation et de la suspicion
légitime. Nous allons voir que, quelque soit le type de contentieux, les deux
mécanismes existent mais qu’il y a toutes sortes de variantes sur les modalités de leur
mise en œuvre.
a) Le contentieux administratif
Commençons par la juridiction administrative. La récusation y est admise. Elle
permet à un justiciable de demander la mise à l'écart du tribunal d’un membre de
celui-ci dont l’impartialité ne serait pas garantie notamment pour avoir un intérêt
personnel dans la cause, pour être parent d’une partie, ou avoir une amitié ou une
inimitié notoire avec l’une ou l’autre des parties. La question de la récusation est à
l’appréciation du tribunal lui même ; la récusation devra être demandée avant le
moment où l’affaire est appelée à l’audience, à moins que les causes de la récusation
ne puissent être connues que postérieurement.
De la même façon, le renvoi pour suspicion légitime (c’est-à-dire la récusation de
l’ensemble du tribunal) est possible. A ce niveau, il s’agit de l’impartialité du tribunal
en son entier qui est en question. Il faut que le plaideur, ou plus généralement
l’administré, suspecte le tribunal de partialité. Le renvoi pour suspicion légitime est
demandé contre le tribunal et c’est donc à la juridiction supérieure qu’il incombe de
dire ou non s’il y a lieu à renvoi devant une autre juridiction de même nature.
b) En contentieux répressif.
En matière pénale, l’inculpé peut-il récuser le magistrat ? La réponse est
péremptoirement négative, en ce qui concerne le magistrat représentant le ministère
public. Ce dernier est partie au procès, partie nécessaire et principale, et l’on ne
récuse pas un adversaire. En revanche, le magistrat du siège (comme d’ailleurs le
juge d’instruction) peut être récusé. L’article 668 du code de procédure pénale donne
une liste exhaustive des cas de récusation. On retrouve au travers de la longue liste,
les idées déjà rencontrées en matière administrative. Le juge ne peut être récusé que
sur requête motivée. On retrouve dans la liste des motifs la partialité révélée par des
“manifestations assez graves”, la connaissance que peut avoir le magistrat de la cause
par des circonstances extérieures, ou le rapport de parenté ou d’alliance.
La demande de récusation n’est pas présentée au tribunal mais au premier
président de la cour d’appel, par requête motivée circonstanciée et accompagnée de
toutes “justifications utiles” (on signalera que si la requête n’aboutit pas le requérant
est automatiquement condamné à une amende civile). On remarquera, à la différence
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 91
de la juridiction civile, que le magistrat ne peut se récuser lui même sauf autorisation
du premier président.
En matière pénale, la récusation des jurés devant la cour d’assises peut se faire
quant-à-elle, sans motif (article 297 du code). L’accusé peut récuser cinq jurés, le
ministère public, quatre et ce droit de récusation s’exerce sous cette seule limite
numérique. Sur le plan formel, l’accusé ou l’avocat général se contenteront de dire
“récusé” à l’énoncé du nom du juré tiré au sort.
La suspicion légitime existe également (article 662) ; elle a vocation à dessaisir
une juridiction d’instruction ou de jugement, l’affaire étant alors renvoyée devant une
autre juridiction de même nature. Elle n’est possible que sur arrêt de la chambre
criminelle de la cour de cassation. Peuvent présenter requête les parties, le procureur
général près la cour de cassation, le ministère public établi auprès de la juridiction
saisie et suspectée.
c) Le contentieux privé.
En matière civile, la procédure est, ici encore, organisée. La récusation permet à
l’une des parties, sans s’opposer à ce que la juridiction saisie reste chargée du
dossier, de demander qu’un ou plusieurs juges soient écartés et remplacés par
d’autres. Nous retrouvons toujours les motifs possibles d’une telle requête au niveau
du risque de partialité ou de la connaissance par le juge des circonstances de la cause
autrement que par le procès lui même. La requête sera motivée. La particularité, en
matière civile, tient à la possibilité qu’a le juge de s’abstenir, c’est-à-dire de se
déclarer dans une hypothèse où il devrait y avoir récusation, ou parce qu’il estime en
conscience devoir s’abstenir. (Cette procédure d’abstention peut d’ailleurs concerner
l’ensemble de la formation du tribunal). La procédure de récusation est voisine de
celle rencontrée en matière administrative. Le requérant doit présenter la demande
sitôt la connaissance de la cause de récusation et au plus tard avant la clôture des
débats. La déclaration est déposée ou faite au greffe, avec motivation et
éventuellement pièces justificatives. La copie est communiquée au juge, qui a huit
jours pour s’opposer ou acquiescer (dans ce cas, c’est une sorte d’abstention). S’il
n’y a pas de réponse, ou une réponse négative, le dossier sera transmis à la cour
d’appel pour qu’il soit statué sur la requête.
Le même mécanisme existe pour la suspicion légitime. La requête est présentée au
greffe qui transmet à la juridiction, qui peut acquiescer sur la demande et renvoyer à
une autre formation ou à un autre tribunal. Dans ce cas, le président de la cour
d’appel désignera la juridiction de renvoi, en cas de refus le dossier est transmis au
président de la cour d’appel qui rendra sa décision sous délai d’un mois. S’il rejette,
le tribunal suspecté de partialité restera en charge du dossier. S’il accepte, il désigne
la juridiction compétente.
Il est parfois des circonstances liées à la sécurité publique qui permettront de faire
changer de juridiction, mais cette donnée échappe au pouvoir des parties ou du juge.
Donc, indépendamment des règles sur la récusation et la suspicion légitime, et
éventuellement des règles sur la compétence, rien n’autorise le choix du magistrat ou
de la juridiction. Hors le cas des jurés d’assises, les procédures de récusation et de
suspicion légitime supposent la mise en œuvre d’une procédure exceptionnelle,
motivée par des circonstances exceptionnelles. Tout cela répond donc à une parfaite
logique.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 92
§ 3) L’activité judiciaire est-elle réservée aux professionnels du droit ?
Cette question concerne aussi bien la fonction de juger (A) que celle de défendre
ou de représenter (B)
A) La fonction de juger
Quelle est l’origine sociale et professionnelle du magistrat ? Le constat que nous
dresserons à ce niveau sera celui de l’éclectisme. Comment se justifie cet
éclectisme ? Nous serons amenés à constater qu’il n’existe pas de critère péremptoire
dans le choix du bon juge. Nous verrons qu’il n’est pas toujours nécessaire d’être un
professionnel du droit pour être juge (le juge parle au nom du peuple français, pas au
nom de la communauté des juristes) ; nous verrons aussi que le mode d’investiture
varie selon les types de juridictions, comme varient les statuts des magistrats.
a)En matière administrative, les juges (qu’on nomme conseillers) ont un statut
particulier : ils sont recrutés, pour l’essentiel, par le concours de l’Ecole Nationale
d’Administration (E.N.A) ou le tour extérieur. Leur statut est celui de la fonction
publique. Ils n’ont en principe aucune garantie d’inamovibilité, même si celle ci
existe en fait. Ces magistrats sont des fonctionnaires.
b) En matière pénale, il est remarquable que la notion de juridiction populaire se
trouve au plus haut niveau : la cour d’assises est appelée à connaître des infractions
les plus graves. Le jury populaire n’est-il pas indépendant ? Ne représente-t-il pas
l’opinion publique ? Si la cour d’assises comprend un jury populaire de neuf jurés, la
cour proprement dite, formée de trois conseillers, souligne que la juridiction présente
aussi un caractère professionnel. Il n’existe pas de condition particulière pour être
juré d’assises : tout citoyen français, âgé de trente ans, sachant lire et écrire le
français, n’étant pas incapable ni frappé d’une incompatibilité (ex: préfet, souspréfet, magistrat, commissaire de police...) peut être appelé à devenir juré, à
condition d’avoir été tiré au sort sur une liste établie au niveau départemental, à partir
de laquelle on déterminera la liste de session, comportant 27 titulaires et 6 suppléants
qui seront désignés par tirage au sort au moins quinze jours à l’avance.
Nous trouvons encore, en matière pénale, une juridiction “échevinale” avec le
tribunal pour enfants : cette juridiction est présidée par le juge des enfants, qui est un
magistrat professionnel, et qui est entouré de deux assesseurs, nommés pour quatre
ans par le Garde des Sceaux, sur proposition du premier président de la cour d’appel.
Les assesseurs sont choisis, pour “l’intérêt qu’ils portent aux questions relatives à
l’enfance”.
Pour le reste, en matière pénale, les juridictions sont composées de magistrats
professionnels, issus de l’école nationale de magistrature (ou du recrutement
parallèle). Les magistrats du siège voient leur indépendance garantie par la
constitution, et sont inamovibles.
c)En matière civile
α) Deux juridictions sont composées uniquement de magistrats, nonprofessionnels du droit. Le tribunal de commerce est ainsi composé uniquement de
commerçants, élus pour quatre ans, par les membres des chambres de commerce, et
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 93
les délégués consulaires, eux mêmes élus par les commerçants. Leurs fonctions sont
en principe bénévoles. Le conseil des prud’hommes est composé de son côté, de
conseillers employeurs et salariés, en nombre égal. Ces conseillers sont élus par le
monde du travail. Sont éligibles les personnes ayant au moins 21 ans, ou ayant été
inscrites au moins trois ans sur les listes électorales.
β) Deux juridictions fonctionnent sous la forme d’échevinage :
Le tribunal paritaire des baux ruraux est ainsi présidé par le juge d’instance
(magistrat professionnel) entouré de quatre assesseurs élus pour cinq ans : deux
représentants des bailleurs, et deux représentants des preneurs. Le tribunal des
affaires de sécurité sociale est présidé par un magistrat du tribunal de grande
instance, encadré paritairement de quatre assesseurs représentant à égalité le collège
des salariés, et le collège des employeurs et travailleurs indépendants. Ces assesseurs
ne sont pas élus, mais désignés par le premier président de la cour d’appel, à partir
d’une liste dressée sur présentation des organisations professionnelles les plus
représentatives.
γ) Deux juridictions de premier degré sont composées de magistrats
professionnels : le tribunal de grande instance, et le tribunal d’instance. On observera
que ces juridictions ont vocation - peut être en raison de leur composition - à suppléer
les juridictions formées de magistrats non-professionnels. Le tribunal de grande
instance pourra statuer matière commerciale, en l’absence de tribunal de commerce.
Le juge d’instance sera juge départiteur en matière prud'homale, lorsque le conseil se
trouve dans l’impossibilité de juger, en raison d’un partage de voix. A la cour
d’appel, et à la cour de cassation, les magistrats sont aussi des professionnels du
droit.
B) Qui assiste ou représente en justice ?
Nous venons de voir que l’éclectisme est, en matière judiciaire, la règle. On peut
être juge sans pour autant être un professionnel du droit. Un constat similaire peut
être dressé pour la fonction de défense ou de représentation en justice. Il n’est pas
toujours nécessaire d’être un professionnel du droit pour assurer la fonction de
défense.
a) devant les juridictions civiles
L’avocat, depuis 1972, peut assister et représenter son client devant toutes les
juridictions civiles de premier degré. Devant la cour d’appel, l’avocat peut assister
son client, la fonction de représentation étant confiée (sauf exception) à l’avoué.
Devant la cour de cassation, il faut avoir recours à un avocat près la cour de
cassation.
Si l’avocat dispos d’un monopole de plaidoirie devant le tribunal de grande
instance (monopole dont on peut contester le fondement) et devant la cour d’appel, il
reste que dans les autres cas, le recours à ses services n’est pas obligatoire. Et l’on
retrouve le même constat d’éclectisme qu’en matière juridictionnelle. Ainsi, devant le
tribunal de commerce, “les parties se défendent elles mêmes. Elles ont la faculté de
se faire assister ou représenter par toute personne de leur choix. Le représentant,
s’il n’est avocat, doit justifier d’un pouvoir spécial ” (art. 853 N.C.P.C). L’éventail
est un peu mois ouvert devant le tribunal d’instance, puisque si “les parties se
défendent elles mêmes, et ont la faculté de se faire assister ou représenter” (art 827
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 94
N.C.P.C) la fonction de représentation ne peut être confiée, en dehors de l’avocat,
qu’au conjoint, concubin, au parent ou allié en ligne directe, ou parent ou allié en
ligne collatérale jusqu’au troisième degré, à la personne attachée au service
personnel, ou à l’entreprise (art 828 N.C.P.C) l’état ou le département pouvant, de
leur côté, être représentés par un agent, ou un fonctionnaire. Devant la juridiction des
baux ruraux, les parties sont tenues de comparaître en personne, mais peuvent se faire
représenter “en cas de motif légitime ”, par un huissier, un membre de la famille (sans
autre précision) un membre d’une organisation professionnelle agricole (art 884
N.C.P.C). Devant le conseil des prud'hommes, les parties peuvent se faire représenter
par “les salariés et employeurs appartenant à la même branche d’activité, les
délégués permanents ou non permanents des organisations syndicales, le conjoint ”
et bien sûr par l’avocat (art 879).
b) Devant les juridictions répressives
Devant les juridictions répressives, l’éclectisme dans l’exercice de la défense est
moins net. La mission de défense est confiée à l’avocat même s’il n’est pas toujours
nécessaire d’avoir recours à ses services. Est-ce la gravité de l’enjeu du procès qui
justifie le fait qu’en matière pénale, un avocat peut souvent être commis d’office pour
assister celui qui, à la dernière minute, souhaite être défendu ? Devant le tribunal
correctionnel, le prévenu ne peut être défendu que par un avocat, éventuellement
commis d’office par le président (art 417 C.P.P) Cet article concerne aussi le tribunal
de police, devant lequel toutefois la représentation “par un fondé de procuration
spéciale” est possible lorsque la contravention n’est passible que d’une amende (art
544 C.P.P). Devant la cour d’assises, l’accusé est invité à choisir un avocat, pour
l’assister dans sa défense. Si un tel choix n’est pas effectué, le président lui en
désigne un d’office (art 274 C.P.P) mais à titre exceptionnel, le président peut
autoriser l’accusé à prendre pour conseil “un parent ou un ami” (art 275).
c) Les juridictions administratives
Devant la juridiction administrative, le recours à l’avocat est obligatoire en
matière de plein contentieux. En revanche, il est possible de se dispenser du ministère
d’un avocat pour le contentieux de l’excès de pouvoir, les litiges individuels
concernant les fonctionnaires, les litiges en matière de pensions.
SECTION 2 : L’OFFICE DU JUGE
Nous avons défini l’acte juridictionnel comme étant celui qui met définitivement
fin au litige. Mais, dans le cadre du procès, l’office du juge n’est-il que de trancher ?
Il est possible que le juge ait comme rôle de mettre fin au procès en mettant fin au
litige ou en constatant que celui ci a disparu. (§1)
§I) Le juge ne tranche qu’autant que le litige est réel, et toujours présent
Quelle est la mission du juge ? Est-elle limitée à la seule analyse des conflits nés
d’intérêts divergents ?
A) la mission de concilier
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 95
N’est-il pas concevable qu’avant de trancher le litige, le juge n’essaie de le régler
de façon amiable ? Ne faut-il pas donner au juge le soin de concilier les parties si
faire ce peut ?
Cette mission se rencontre surtout en matière civile, là où les intérêts sont
personnels, subjectifs. Et il est certain que c’est d’abord dans le domaine des litiges à
caractère patrimonial que se rencontrera cette mission possible du juge. On rappellera
que le préalable de conciliation est obligatoire dans le contentieux prud’homal (à
l’exception du cas où l’employeur a déposé le bilan), également obligatoire devant la
juridiction des baux ruraux, et devant la commission de recours amiable, en
contentieux de la sécurité sociale. Il est facultatif devant le tribunal d’instance et pour
le surplus “ les parties peuvent se concilier d’elles mêmes ou à l’initiative du juge,
tout au long de l’instance ” (voir articles 127 à 131 du C.P.C). On notera également,
en matière extrapatrimoniale, la “tentative de conciliation” du divorce pour faute, ou
sur demande-acceptée. Cette “initiative du juge” pour concilier les parties ne rend-telle pas compte d’une mission complémentaire du magistrat ?
Le Juge peut également avec l’accord des parties renvoyer la cause “ à la
médiation” d’un tiers
Trouvons-nous la même idée dans les contentieux répressif et administratif ? A
priori la réponse devrait être négative (sauf peut-être en matière de constitution de
partie civile ou en plein contentieux) car l’intérêt en cause est l’intérêt collectif. Mais
on nuancera peut-être le propos.
En matière pénale, toute infraction n’est pas comme nous l’avons vue,
nécessairement poursuivie .Le Parquet apprécie “ l’opportunité des poursuites “et
peut également faire donner un rappel à la Loi par le délégué du Procureur.
On connait encore la technique de l’amende forfaitaire dans le domaine
contraventionnel. Ou dans le même cadre la formule de l’ordonnance pénale ( le
Juge, après voir pris connaissance du dossier contraventionnel propose au
contrevenant une sanction - qui peut être acceptée ou refusée ( dans cette éventualité
le contrevenant sera convoqué en audience) .De la même façon la comparution sur
reconnaissance préalable de culpabilité ( le “ plaidé coupable” ) simplifie le
processus juridictionnel .Et d’une certaine façon, lorsqu’en matière de peine le
magistrat interroge le condamné sur son acceptation au principe du travail d’intérêt
général, nous sommes finalement proches de l’idée d’un contrat pénal. Ceci étant,
même si la tendance s’accentue dans un souci de rapidité et de simplification, tout
cela reste relativement ponctuel.
En matière administrative de la même façon (mais en dehors du juge lui même)
les mécanismes du recours gracieux voire du recours hiérarchique pourraient rendre
compte d’une idée de recherche d’une solution non contentieuse. Ceci étant, il
n’appartient pas au juge administratif, en contentieux de la légalité, de provoquer une
éventuelle issue amiable.
B) la mission de constater l’extinction de l’instance
Quand le litige prend fin par le fait de la disparition d’un élément du litige le
magistrat aura pour mission de constater l’extinction de l’instance. Nous avons déjà
constaté que le magistrat avait mission d’apprécier la recevabilité de l’action
engagée. Si, à l’heure de juger, l’action initialement recevable a perdu sa cause ou
son objet, le magistrat pourra constater l’achèvement de l’instance (en matière civile :
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 96
désistement, transaction ; en matière pénale, décès de la personne poursuivie,
abrogation de la loi pénale fondement des poursuites ; en matière administrative par
exemple, retrait de l’acte litigieux par l’administration).
Mais le juge a, lorsque le litige est réel et toujours actuel, mission de trancher et
devoir de rendre un acte y mettant fin. Quel est son rôle lorsque l’affaire est en état
d’être plaidée et jugée ?
§II) Le juge à l’audience
Nous avons vu que le processus amenant le litige au stade de la phase de jugement
n’était pas simple, et qu’il pouvait connaître, en fonction de la complexité de
l’affaire, toutes sortes de variantes. Nous avons vu également que l’évolution
générale pouvait amener à développer la formule du “magistrat chargé du rapport”.
Cette formule, pratiquée de façon habituelle en matière de contentieux administratif,
est, dans les affaires civiles complexes, de pratique courante (le juge de la mise en
état devient juge rapporteur) et en matière pénale devant la juridiction
correctionnelle, de pratique habituelle (le rapport se faisant alors sur le contenu du
dossier).
Nous avons vu que quelques juridictions ne peuvent en logique connaître de cette
formule. C'est le cas, en particulier de la cour d’assises où l’instruction du dossier se
refaisant à la barre, tout est nécessairement développé à l’audience.
Le stade ultime d’activité des parties est l’audience de plaidoiries. Cette audience
pose la question de l’oralité ou du caractère écrit des procédures (A).Et de la même
façon, celle de la publicité ou du caractère secret des débats (B). Quel est le contenu
de l’audience de plaidoiries ? Prend-t-elle la forme d’un débat, ou d’une suite de
plaidoiries, ou d’un dialogue entre le magistrat et les plaideurs ? La plaidoirie est-elle
un résumé sommaire, un exposé exhaustif, un dialogue, un ensemble d’observations ?
A) Procédure écrite et exposé sommaire, ou procédure orale et plaidoiries
exhaustives ?
Il faut admettre qu’il existe, dans la quasi totalité des cas, au moins une possibilité
d’expression orale au stade ultime de chaque procédure. Le mot “audience” vient du
latin “audio ” : “j’écoute”, “j’entends”. Seulement, cette expression orale varie dans
son contenu et dans son importance, selon la nature de la juridiction, et selon la
nature du contentieux.
a) Devant les juridictions civiles, force est de constater qu’aucun texte n’exclut
expressément ou l’écrit ou l’oralité. Tout n’est finalement qu’une question de dosage.
Au niveau de l’engagement du procès, les textes généraux de procédure imposent
un minimum d’écrit (assignation ou convocation). Au niveau du déroulement de la
procédure, la nécessité imposée par les textes et le principe contradictoire de faire
“connaître en temps utile” les moyens de fait, de droit, et de preuve au support des
allégations, amène en fait à l’idée que sera communiqué un mémoire ou des
“conclusions” par les parties entre elles. Mais rien ne l’impose vraiment comme un
principe général de procédure civile. Au départ, nous pourrions partir du postulat que
l’écrit est obligatoire sauf exceptions.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 97
L’idée que l’écrit est obligatoire (indépendamment de l’acte initial) se trouverait
déjà dans l’article 4 du nouveau code de procédure civile qui indique que les
prétentions sont fixées par l’acte introductif d’instance et par les conclusions en
réponse. Sauf à concevoir- ce qui est parfois soutenu - qu’il peut y avoir des
“conclusions orales” l’écrit apparaît comme nécessaire pour matérialiser une
demande. On ajoutera, pour conforter l’analyse, que l’article 753 du même code
indique, dans le cadre de la procédure devant le tribunal de grande instance, que les
“conclusions sont notifiées” et que l’affaire (article 760) est renvoyée pour être jugée
“ au vu des conclusions échangées ”. On ajoutera que le tribunal de grande instance
n’est tenu de répondre qu’aux conclusions écrites. Et qu’il n’est pas tenu de statuer
sur les arguments de plaidoiries, ni sur le dossier de plaidoiries, ni sur les notes
déposées. Mais cette réflexion sur la nécessité de l’écrit, connaît de larges réserves et
exceptions. Les cas sont ceux où le code, décrivant l’organisation de la juridiction, y
affirme que “la procédure est orale” (par exemple : conseil des prud’hommes, (art
R.516.6) tribunal d’instance (art 843) tribunal de commerce (Art 871) tribunal
paritaire des baux ruraux, par référence...). Devant ces juridictions, rien n’imposerait
l’écrit (passé bien sûr le stade de l’acte introductif puisque “les prétentions sont
fixées par l’acte introductif d’instance..”). Généralement, il sera prévu que les
prétentions des parties seront notées au dossier ou consignées sur procès verbal. Les
règles prévoient même que, lorsqu’il y a des conclusions prises par écrit, le greffier
d’audience pourra limiter le procès verbal à un renvoi aux observations écrites.
Il va de soi que si elles ne sont pas obligatoires, les conclusions écrites sont un
moyen efficace pour matérialiser l’argumentation de leur auteur. C’est le moyen
également d’éviter toute difficulté sur la critique éventuelle d’une atteinte au principe
du contradictoire. (Mon adversaire, qui n’a pas pris de conclusions écrites, développe
à la barre une argumentation inattendue. Le principe du contradictoire dont le juge est
le gardien devrait me permettre d’exiger de lui qu’il me laisse le temps nécessaire
pour réfléchir et répondre).
Au niveau de l’audience, que faut-il dire et que doit-il être entendu ?
On pourrait penser qu’il y ait complémentarité ou contrepartie entre l’écrit et
l’oral. Je dis par oral ce que je n’ai pas dit par écrit. Si la formule peut apparaître
logique, elle n’est pas toujours vérifiée. Les dispositions générales du code de
procédure civile parlent de “débats”, que “dirige le président” (art.440) Que faut-il
entendre par la notion de “débats” ? A la lecture du code, nous voyons que l’audience
de l’affaire commence par le rapport (s’il existe ou s’il est prévu) du magistrat
rapporteur. Puis le demandeur et ensuite le défendeur exposent leurs “prétentions”.
Les plaidoiries sont-elles alors les exposés des prétentions des parties, dans l’ordre
donné par le code ? On note que le magistrat a le pouvoir d’interrompre et de faire
“cesser les plaidoiries” lorsque la juridiction s’estime éclairée. Le code prévoit
également que les “plaidoiries” peuvent être entendues par le juge rapporteur (qui
fera alors rapport au tribunal sur la totalité du dossier et des plaidoiries).
Ceci étant, l’on peut parfaitement concevoir une évolution du débat, vers une
“discussion d’allure tripartite”. Le code prévoit que “le président et les juges peuvent
inviter les parties à fournir toutes explications de droit ou de fait qu’ils estiment
nécessaires ou à préciser ce qui paraît obscur”.
En cumulant le droit d’interrompre au droit de questionner, il est parfaitement
concevable d’avoir des audiences sur le schéma suivant : rapport du magistrat
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 98
rapporteur, brèves observations orales des parties à la demande du magistrat, et
questions posées par celui ci à telle ou telle des parties. Il ne faut pas se cacher que
dans ce domaine, tout est possible finalement et dépendra tant de la nature de
l’affaire, que de la personnalité du magistrat, du travail qu’il aura éventuellement
fourni sur le dossier en cause pour le mettre en état, et parfois même des pratiques de
la juridiction (on citera à titre d’exemple les habitudes du tribunal de commerce de
Paris où les dossiers, dits de plaidoiries, sont préalablement à l’audience,
communiqués au magistrat).
b) En matière pénale
En matière pénale les règles ne peuvent être que différentes.
La coupure qui existe entre la phase préalable et l’audience de jugement est très
marquée. L’audience débutera nécessairement par une (nouvelle) instruction orale du
dossier par le président ou son délégataire. Nous retrouverons l’idée d’une instruction
objective, à charge et à décharge avec faculté des parties de faire poser les questions
qui permettront de mieux faire apparaître cette vérité objective. Les témoins ou
experts pourront être également entendus dans cette phase d’audience. Après celle-ci
la parole est d’abord donnée à la partie civile si elle entend demander réparation du
préjudice par elle subi. Viendront ensuite les réquisitions du Ministère Public. Puis la
plaidoirie de la défense.
L’exposé oral en matière pénale est fondamental. On rappellera que la Juridiction
pénale statue en son intime conviction, que le doute bénéficie à la personne
poursuivie, et que la conviction peut se former à partir d’éléments parfois bien ténus!
La chose est ainsi révélée par le fait que le représentant du ministère public peut
prendre des réquisitions orales différentes des réquisitions écrites (la plume est serve
mais la parole est libre) et par le fait également que l’ordre est immuable. Si le
Ministère public entend reprendre la parole après les plaidoiries, la défense doit avoir
de toute manière la parole en dernier.
L’écrit n’est pas absent du procès pénal. Le Ministère public peut prendre un
réquisitoire écrit, les parties peuvent déposer des conclusions; et la juridiction est
tenue d’y répondre. On comprendra que ces conclusions sont essentielles lorsqu’est
en cause une question de droit.
c) devant la juridiction administrative
A l’opposé devant la Juridiction administrative l’oralité apparaît tout à fait
subsidiaire. La procédure est par essence écrite. Les débats seront donc très limités.
Les parties fourniront à l’audience de brèves observations si elles l’estiment utile,
sans pouvoir apporter de nouveaux moyens. Ensuite le commissaire du
gouvernement fera son rapport. Aucun écrit ne sera remis à l’audience puisque la
procédure impose le dépôt des pièces et mémoires dans la phase d’instruction
B) Publicité ou caractère secret des débats
La justice doit être rendue de manière non clandestine, si l’on veut éviter les
soupçons ou de fausses interprétations. C’est pourquoi elle se doit d’être publique.
Mais cette publicité sera limitée et comportera des exceptions, aux fins de ne pas
favoriser les scandales. Qu’en est-il dans chacun des contentieux ? Si dans le
contentieux privé (a) et répressif (b), le principe est toujours celui de la publicité des
débats, sauf exceptions, en matière administrative (c) le principe est inverse.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 99
a) En contentieux privé, les débats sont par définition publics, ce qui ne veut pas
dire que le public ait la possibilité de troubler les débats. Les personnes qui assistent
à l’audience doivent observer une attitude digne, et garder le respect du à la justice
(art 439 NCPC). Il leur est interdit de parler, de donner des signes d’approbation, ou
de désapprobation, ou de causer du désordre de quelque nature que ce soit. A défaut,
le président dispose du pouvoir d’expulser le perturbateur. C’est le président de la
juridiction qui dirige les débats, invite les parties à s’exprimer, et faire cesser les
plaidoiries lorsque la juridiction s’estime éclairée (art 440).
Néanmoins, il est des cas où il peut paraître nécessaire de ne pas donner aux
débats de caractère public, notamment s’il doit en résulter une atteinte à l’intimité de
la vie privée, ou s’il survient des désordres de nature à troubler la sérénité de la
justice. L’affaire peut alors être renvoyée en chambre du conseil. Dans les matières
concernant l’état et la capacité des personnes, (comme le divorce) les débats ont
toujours lieu en chambre du conseil.
b) En matière pénale, les débats ont également lieu de manière publique (alors que
l’instruction est par définition secrète). Toutefois, l’audience peut se tenir à huis clos,
si la loi l’ordonne (exemple : un mineur est poursuivi) ou si la loi le permet. Ainsi par
exemple, le président peut ordonner le huis clos, aux assises, interdire l’accès de la
salle aux mineurs, si la publicité paraît dangereuse pour l’ordre public ou les mœurs.
Il est logique que la publicité des débats soit le principe. La justice est rendue au
nom du peuple français. Dans le procès pénal la collectivité est, par l’intermédiaire
du ministère public, partie au procès. La décision aura effet vis à vis de tous. Il est
donc logique que les débats soient par principe tenus publiquement. On admettra
également que le trouble causé par l’infraction sera atténué par le jugement public de
celle ci. Il n’y a plus de publicité à l’exécution de la décision de Justice pénale, il est
logique que le procès soit fait en face du public.
c) En matière administrative, en principe, la publicité des débats n’est admise que
lorsqu’un texte l’impose expressément. Mais en pratique, on admet le principe
inverse de l’audience publique devant les tribunaux administratifs et même devant le
conseil d’état.
La question est finalement de peu d’intérêt. En effet la procédure étant écrite, les
débats sont comme déjà indiqués souvent sommaires. Dès lors l’on comprendra que
la pratique admette cette publicité des audiences à l’exception de contentieux
spécifiques tel celui portant sur l’imposition d’une personne physique.
C) Le délibéré
Le jugement peut être rendu sur le siège, c’est-à-dire immédiatement : cette
solution est fréquente en matière pénale pour les affaires contraventionnelles. Elle
l’est moins en matière civile et administrative, où l’on met souvent l’affaire en
délibéré, aux fins de permettre au juge de vérifier les pièces, réfléchir aux arguments
présentés par les parties et, si la juridiction est collégiale, assurer l’échange des points
de vue. Le délibéré est toujours secret, ce qui signifie que ni rien, ni personne, ne doit
venir perturber le juge, dont la décision est en cours d’élaboration. Comment va se
traduire le caractère secret de ce délibéré ? Quelles précautions seront prises pour le
protéger ?
a) En matière pénale
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 100
La délibération est secrète, et se tient hors la présence de toute personne étrangère,
y compris le ministère public et le greffier. Une exception est prévue pour les
auditeurs de justice, qui sont autorisés à y assister, après avoir prêté serment de
respecter le secret du délibéré auquel ils ont assisté. Car cette obligation pèse sur tous
ceux qui y participent.
En matière pénale, le magistrat (quel qu’il soit) statue selon son intime conviction,
selon les éléments qui ont pu être réunis lors de l’enquête préliminaire, lors de
l’instruction, lors des débats, ou même qui sont tirés des déclarations des prévenus.
Mais le juge ne peut se fonder sur les éléments connus de lui seul, ou sur des
éléments qui seraient remis en cours de délibéré, et qui auraient échappé à la
discussion contradictoire.
α) En matière correctionnelle, chaque magistrat donne son avis, en commençant
par le moins ancien des assesseurs, et en finissant par le président. Devant la chambre
des appels correctionnels, le rapporteur opine le premier.
β) C’est en matière criminelle qu’on observe les règles formelles les plus strictes,
permettant de s’assurer du respect du secret absolu, et de la liberté totale du jury dans
sa délibération. Le code de procédure pénale décrit avec une précision, digne du
meilleur réalisateur cinématographique, les obligations (et parfois même les gestes!)
des différents partenaires. Ainsi, lorsque “ le président déclare les débats terminés, il
ordonne que le dossier de la procédure soit déposé entre les mains du greffier de la
cour d’assises ; toutefois il conserve en vue de la délibération l’arrêt de la chambre
d’accusation” (art 347 C.P.P) Mais, “avant que la cour d’assises se retire, le
président donne lecture de l’instruction, affichée en gros caractères dans le lieu le
plus apparent de la salle des délibérations : “ la loi ne demande pas compte aux
juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de
règles desquelles il doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la
suffisance d’une preuve : elle leur prescrit de s’interroger eux mêmes, dans le
silence et le recueillement, et de chercher, dans la sincérité de leur conscience quelle
impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé, et les
moyens de leur défense. La loi ne leur fait que cette seule question...” Avez-vous une
intime conviction ?”
En principe, en cours de délibéré, la cour et le jury ne peuvent plus avoir à leur
disposition le dossier de procédure, mais seulement l’arrêt de renvoi de la chambre
d’accusation. Le dossier reste entre les mains du greffier. Rien ne doit porter atteinte
à l’oralité des débats. Toutefois, si au cours du délibéré, la cour d’assises estime
nécessaire l’examen d’une pièce de procédure, comme un rapport d’expertise “ le
président ordonne le transport dans la salle es délibérations, du dossier qui, à cette
fin, sa ouvert en présence du ministère public, et des avocats de l’accusé et de la
partie civile” (art 347 CPP).
En principe, une fois entrés dans la salle des délibérés, la cour et les jurés ne
peuvent en sortir qu’après avoir pris leur décision (art 355). La cour et le jury
délibèrent, puis votent “ par bulletins écrits, et par scrutins distincts et successifs, sur
le fait principal d’abord, et s’il y a lieu, sur chacune des circonstances aggravantes,
sur les questions subsidiaires, sur chacun des faits constituant une cause légale
d’exemption, ou de diminution de la peine”. Le souci du secret est tel, que le code
décrit même le bulletin de vote qui doit “être marqué du timbre de la cour d’assises,
et porter les mots” sur mon honneur et ma conscience, ma déclaration est...”...et la
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 101
table qui doit “être disposée de manière que personne ne puisse voir le vote inscrit
sur le bulletin” (art 357 C.P.P). Le vote s’exprime en écrivant secrètement les mots
“oui” ou “non”. Les bulletins blancs sont favorables à l’accusé. C’est le président qui
dépouille les bulletins, qui “immédiatement après dépouillement” seront brûlés (art
358)
La décision sur la peine se forme à la majorité absolue des votants. Toutefois, le
maximum de la peine privative de liberté encourue ne peut être prononcé qu’à la
majorité de huit voix au moins. Si le maximum de la peine encourue n’a pas obtenu
la majorité de huit voix, il ne peut être prononcé une peine supérieure à trente ans de
réclusion criminelle, lorsque la peine encourue est la réclusion criminelle à
perpétuité, et une peine supérieure à vingt ans de réclusion criminelle lorsque la peine
encourue est de trente ans de réclusion criminelle. Si, après deux tours de scrutin,
aucune peine n’a réuni la majorité des suffrages, il est procédé à un troisième tour au
cours duquel la peine la plus forte proposée au tour précédant est écartée. Si, à ce
troisième tour, aucune peine n’a encore obtenu la majorité absolue des votes, il est
procédé à un quatrième tour, et ainsi de suite...jusqu’à ce qu’une peine soit prononcée
à la majorité des votants.
b) En matière civile.
La règle du secret existe pareillement : si le jugement ne peut être prononcé sur le
champ, “le prononcé en est renvoyé, pour plus ample délibéré, à une date que le
président indique” (article 450 du NCPC). Les délibérations des juges “sont secrètes”
(art 448). Participent au délibéré les juges “ devant lesquels l’affaire a été débattue” à
l’exception de toute autre personne. Une exception est prévue, comme en matière
pénale, au profit des auditeurs de justice.
Rien ne doit venir perturber le délibéré, ni remettre en cause le caractère
contradictoire des débats qui ont été clôturés : après clôture des débats, les parties ne
peuvent déposer aucune note à l’appui de leurs observations. Ce principe, très clair,
est rappelé à l’article 445 du N.C.P.C. Une décision qui ferait mention d’une pièce
versée aux débats après l’ordonnance de clôture serait inévitablement censurée. Le
président, ou les juges, peuvent toutefois, en cours de délibéré, inviter les parties à
fournir des explications de droit ou de fait, pour préciser ce qui paraît obscur : la note
en délibéré sera alors possible, comme sera possible la réouverture des débats, s’il
apparaît au président que les parties n’ont pas été à même de s’expliquer
contradictoirement, sur les éclaircissements de droit ou de fait qui leur avaient été
demandés.
c) En matière administrative, les règles sont finalement identiques : après la fin de
la séance, la juridiction rentre en délibéré hors la présence des parties. Le secret du
délibéré est une règle générale de procédure, même si aucun texte ne le précise
expressément. Le commissaire du gouvernement peut assister au délibéré, mais il ne
vote pas. Le rapporteur prépare le projet de décision conforme au délibéré. La
décision est lue ultérieurement en séance publique, sauf pour les arrêts concernant les
affaires fiscales.
CHAPITRE 2 : LA DÉCISION DE JUSTICE
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 102
La décision de justice vient d’être rendue : quel que soit le type de contentieux,
cette décision aura vocation à devenir obligatoire pour les personnes parties au
procès. Car c’est elle qui rend compte de la solution du litige (section 1) proposée par
le juge. Mais toute décision de justice ne peut devenir obligatoire qu’à la condition
d’être acceptée par les parties qui en auront eu connaissance. Les parties doivent
pouvoir exercer un contrôle de la décision. L’erreur judiciaire (section 2) toujours
possible, doit pouvoir être réparée. Ce n’est que dans la mesure où la décision ne peut
plus faire l’objet de contrôle, que l’on pourra présumer que les parties l’ont acceptée.
On pourra alors passer à l’exécution forcée (section 3) si l’exécution spontanée
n’apparaît pas possible.
SECTION 1 : LA SOLUTION DU LITIGE
L’activité classique du magistrat, qui tranche le litige qui lui est soumis par
application des règles posées par les codes, après débat contradictoire et respect des
droits de la défense, amène une décision (jugement ou arrêt) qui aura vocation à
devenir par le jeu de l’autorité de la chose jugée, la vérité des parties.
Ceci étant, n’existe-t-il qu’un type de jugement ? (la question n’est plus des
décisions rendues dans le domaine non contentieux ou d’administration de la justice).
Existe-t-il des “ catégories de jugements ” ?
§1) Les catégories de jugements
Les jugements rendus obéissent-ils tous à la même logique et au même régime ?
N’y a t-il pas lieu à distinction ? Et s’il y a des catégories de jugement, comment
expliquer les différences et apprécier leur portée ?
A) En matière civile.
Nous avons déjà opéré la distinction entre la juridiction gracieuse, la juridiction
des référés, et la juridiction pleinement contentieuse. Nous ne reviendrons pas sur
cette distinction, qui comprend, pour l’essentiel, les jugements et les ordonnances. De
même, nous écarterons de notre réflexion les jugements rendus sur requête en matière
gracieuse.
a) jugements d’expédient et jugements au fond
La première distinction que nous pouvons opérer est celle déjà rencontrée entre
les jugements d’expédients et les jugements au fond. Nous avons vu que cette
distinction repose sur l’idée qu’il est des contentieux où le litige existe, mais où
l’issue apparaît certaine ou en partie acquise, parce que non contestée. Nous pouvons
de nouveau évoquer les jugements d’accord ou de donner acte. Toutes les gradations
dans l’accord des parties peuvent exister. La formule peut, pourquoi pas, être utilisée
dans l’absolu pour permettre l’obtention d’un titre exécutoire sans même qu’il n’y ait
entre les parties de contestation. Imaginons qu’une vente immobilière soit passée.
Quelques temps après, l’acheteur et le vendeur décident d’annuler l’opération. Elles
pourraient conclure une convention opposée avec une nouvelle mutation
immobilière. Il n’est pas inconcevable qu’elles pensent à engager une procédure pour
demander la nullité de la vente initiale sur l’allégation convenue entre elles de tel ou
tel vice. Nous serons sur un jugement d’accord. Le jugement de “donner acte” nous
rapproche plus de l’idée de transaction entérinée. Tel litige est engagé et l’adversaire
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 103
s’incline, demandant à la juridiction de lui donner acte qu’il donne ou fait ou
paye...Le jugement d’expédient à proprement parler nous rapproche plus de la notion
de litige avec absence de contestation sérieuse. L’essentiel n’est pas contesté, le litige
n’existe que sur des données annexes. Le jugement sera “d’expédient”. L’exemple
classique est celui de la créance non contestée par le débiteur qui se contente de
demander des délais de payement.
Tous ces jugements ont l’apparence d’actes juridictionnels. Ceci étant, plus le
jugement aura une nature “contractuelle” et plus on échappera aux conséquences de
l’acte juridictionnel : il va de soi que l’on ne peut pas relever appel d’un jugement
d’accord. Le jugement d’homologation d’une convention dans le divorce par
consentement mutuel échappe à l’appel. La difficulté apparaît lorsque l’accord des
parties ne transparaît pas du jugement lui même. Quand l’une des parties “s’en
rapporte à la sagesse du tribunal”, est-ce dire qu’elle acquiesce à l’analyse de l’autre,
et partant qu’elle ne justifierait pas d’un intérêt à relever appel du jugement ? Sans
doute non. De la même façon, si le jugement indique que telle partie n’oppose aucun
moyen à telle argumentation de l’autre, est-ce à dire qu’elle a acquiescé à la demande
? Sans doute non. Si nous prenons le divorce pour faute, il est possible pour les époux
de solliciter du juge qui prononce le divorce, qu’il ne porte pas dans le jugement les
motifs de la rupture du lien conjugal, se limitant à l’affirmation que les causes
existent (article 248-1). Peut-on concevoir un appel, alors que l’accord des parties
rend compte de cette volonté de non motivation sur le point donné ?
Dans l’absolu, si la décision a l’apparence d’un acte juridictionnel, rien n’interdit
qu’il soit traité et considéré comme tel au niveau des voies de recours, sauf à
l’adversaire de l’appelant (“l’intimé”) à soutenir, en prouvant l’accord ou l’aveu
judiciaire, le défaut d’intérêt en cause d’appel.
b) jugements déclaratifs et jugements constitutifs
La seconde distinction qu’il est possible de faire au niveau des jugements se situe
au niveau de la portée de la décision. Il est des jugements dits “constitutifs” et des
jugements dits “déclaratifs”.
L’acte juridictionnel classique est “déclaratif”. Le juge déclare qui a raison. Il
“déclare” qui a le droit. Il conforte le gagnant dans son analyse, et déboute le perdant.
Mais la décision “déclarative” ne crée pas de droits. A côté de ces décisions existent
les jugements dits “constitutifs”, qui ont vocation à créer une situation juridique
nouvelle, à changer un état (divorce adoption, désaveu, liquidation judiciaire, nullité
de mariage...).On comprend que ces jugements auront une portée différente.
L’opposabilité d’un jugement constitutif sera plus large (je ne suis pas concerné par
un jugement déclaratif lorsque je n’ai pas été partie au procès ni représenté au procès.
En revanche, je ne peux (nous verrons les conditions) dénier que telle personne a le
statut de divorcé si tel est le cas. On comprendra que pour de tels jugements, afin que
l’opposabilité soit effective, existent des mesures de publicité ou de “publication”
(sur les registres d’état civil, au greffe du tribunal de commerce, au registre des
hypothèques..).
Cette distinction a amené certains auteurs à déclarer que le juge, lorsqu’il rend une
décision “constitutive” a un rôle mixte. A la fois “administratif” et judiciaire. Il
tranche, mais accomplit également une mission “administrative”. On se marie en
passant devant l’officier d’état civil. On divorce en passant devant le juge. Quand le
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 104
juge anéantit ce qui a été crée par l’autorité “administrative” il a une tâche de même
nature. Quand le juge déclare adjudicataire celui qui a porté la dernière enchère en
matière de saisie immobilière, sa décision a finalement la même portée qu’un acte de
notaire.
Cette réflexion est intéressante. En tout cas elle rend compte de la différence de
régime de nos deux types de décisions, que nous retrouverons plus tard (publicité,
motivation, opposabilité).
c) jugements avant dire droit, jugements mixtes et jugements au fond.
Le code nous donne les éléments de la distinction. Le jugement avant dire droit est
celui qui se borne dans son dispositif à ordonner une mesure d’instruction, ou une
mesure provisoire. Il ne dessaisit par le juge, puisque celui ci n’a pas accompli sa
tâche de “dire le droit”. Cette décision n’a pas l’autorité de la chose jugée.
On opposera, pour la réflexion, ce type de jugement avec le jugement au fond, qui
tranche le litige par son dispositif. Ce jugement a vocation à avoir l’autorité de la
chose jugée. Le jugement au fond dessaisit le juge qui a terminé sa mission. L’affaire
est pour lui achevée.
Le jugement “mixte” est celui qui tranche pour partie au fond et ordonne pour le
surplus, une mesure avant dire droit. Un exemple classique peut être donné. Voici
une personne victime d’un accident de la route. Elle demande indemnisation.
L’adversaire conteste sa responsabilité, et indique que de toutes les façons le
préjudice subi par la victime est moindre que ce qu’elle déclare. Le tribunal statue sur
la responsabilité et désigne un expert pour apprécier le préjudice. Ce jugement est
mixte. Le fond est tranché sur la responsabilité. Un avant dire droit est ordonné sur le
préjudice.
La nature du jugement mixte suit un régime particulier. Ces jugements “qui
tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure
d’enquête ou d’instruction peuvent être frappés d’appel comme les jugements qui
tranchent pour le tout. Les autres jugements ne peuvent être frappes d’appel
indépendamment du jugement sur le fond que dans les cas spécifies par la Loi “
(articles 544 et 545).
Le code nous invite donc, pour voir si un jugement est au fond, mixte, ou avant
dire droit, à apprécier son dispositif.
Ceci étant, que penser du jugement qui, dans son dispositif, décide d’une mesure
avant dire droit, et qui dans ses motifs donne sur le fond de l’affaire le point de vue
du magistrat ? Faut-il laisser cette décision sans critique ? Faut-il, pour celui que la
disposition gêne, relever appel ? Appliquer strictement la règle conduit à dire que le
jugement est au regard du dispositif de pur avant dire droit et qu’il n’est pas possible
de le contester. Mais faut-il appliquer strictement la règle ? La jurisprudence a été
hésitante et incertaine. Il a d’abord été suggéré une distinction entre motifs “décisifs”
et motifs “décisoires”. Seraient motifs décisoires tels passages du jugement rendant
compte d’une décision du juge, par erreur ou par négligence placés dans les motifs
alors qu’ils devraient être placés dans le dispositif. Le juge répond à la question par
son argumentaire et donne la réponse dans les motifs, sans la reprendre dans le
dispositif. Ici serait appliquée la règle que seul le dispositif détermine ce qui est
effectivement décidé.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 105
Plus subtile est l’analyse que certains ont cru pouvoir dégager des “motifs
décisifs”. Dans certains jugements, le corps du dispositif ne peut se concevoir
qu’autant qu’il est sous tendu par tel ou tel motif qui en serait “ le support
nécessaire”. Prenons l’exemple d’un commerçant exploitant un fonds de commerce.
Le propriétaire lui demande de quitter les lieux. Le locataire prétend obtenir une
indemnité d’éviction. Le propriétaire déclare que le bail est bail précaire. Le tribunal
saisi prend jugement et avant dire droit nomme expert, en indiquant dans les motifs
qu’il faut déterminer la valeur du fonds et du coût de la réinstallation. C’est en soi
admettre l’idée - sinon la décision ne peut pas se comprendre - que le locataire a
potentiellement droit à quelque chose. Il faudrait alors penser que la portée du
dispositif est plus large qu’un simple avant dire droit. Encore que la jurisprudence ne
soit pas semble-t-il définitivement fixée, la tendance semble être en faveur d’une
analyse stricte de la règle liée au seul contenu du dispositif.
d) les jugements en premier ressort et les jugements ou décisions en dernier
ressort.
Les jugements en premier ressort sont les jugements susceptibles d’appel. En
dernier ressort, la décision n’est pas susceptible d’une voie de recours ordinaire Elle
ne peut être éventuellement contestée que par voie extraordinaire. La différence est
importante, tant au niveau de l’exercice des voies de recours, qu’au niveau du
caractère exécutoire de la décision rendue.
B) LA MOTIVATION DU JUGEMENT
Parce que la décision de justice a vocation a devenir normative, c’est-à-dire
obligatoire pour telle personne, ou pour tel ensemble de personnes, elle doit être
motivée : ce qui, en d’autres termes, signifie qu’elle ne peut être arbitraire.
L’obligation de motiver paraît indispensable, car elle force le juge à prendre
conscience de la valeur de son opinion, procure au plaideur une justification de la
décision, et permet au scientifique de faire l’analyse de la jurisprudence. En quoi
consiste l’obligation de motiver (a) ? Quel est son contenu (b) ?
a) l’obligation de motiver
En matière civile, l’obligation de motiver concerne toutes les juridictions civiles,
et tous les jugements. Nous visons par là toutes les décisions présentant le caractère
d’actes juridictionnels. Sont donc exclues les décisions purement administratives (ex:
décision ordonnant une remise, ou une radiation administrative) les jugements avant
dire droit, les décisions “d’accord” (la décision du JAF prononçant le divorce par
consentement mutuel n’est pas motivée, elle a un caractère gracieux). Sont exclues
également les ordonnances de référé, les ordonnances sur requête...plus généralement
les décisions ne revêtant pas le caractère d’acte juridictionnel.
Que devons nous trouver comme motivation de l’acte juridictionnel ? Celui ci doit
rendre compte de l’objet du procès (les prétentions) de même, succinctement des
moyens des parties (le résumé du débat contradictoire).Il doit contenir la réponse à la
question posée par le litige soumis c’est à dire le raisonnement juridique suivi par le
Juge au soutien de la décision qui sera contenue dans le dispositif du jugement.
On conçoit mal comment il pourrait ne pas y avoir la traduction de cette démarche
intellectuelle du Juge; d’une part parce que les parties se sont adressées à lui comme
à une autorité à même de dire le droit sur une situation donnée (ce qui est demandé
au juge c’est une démarche de juriste) et d’autre part parce qu’il faut permettre de
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 106
contrôler s’il n’y a pas erreur du juge dans la démarche qui est la sienne de règlement
du litige. Le “jugement doit être motivé” nous dit l’article 455.
β) En matière pénale
Il est clair que l’on ne peut demander au magistrat pénal de dire pourquoi il est
intimement convaincu. La conviction est “intime”. Mais il est logique que la décision
contienne mention de tout ce qui fait réponse au débat de droit. Si le juge pénal a un
large pouvoir d’appréciation des éléments de fait - voire de l’existence de
circonstances atténuantes, son œuvre de justice est encadrée par les principes repris
sous l’adage nullum crimen nulla poena sine lege. Il faut donc qu’il puisse être
contrôlé qu’il n’y a pas d’erreur de droit à la lecture de la décision
“Tout jugement doit contenir des motifs et un dispositif. Les motifs constituent la
base de la décision...” énonce l’article 485 du CPP. Il faut alors admettre que le
jugement doit contenir à tout le moins ce qui dans les éléments de fait est retenu
comme éléments constitutifs de l’infraction poursuivie, la justification que ces faits
soit établis, et la qualification donnée aux faits. Si des conclusions ont été prises la
décision contiendra réponse.
Devant la Cour d’Assises les règles sont distinctes, en raison même des modalités
par lesquelles est prise la décision. Après le délibéré, la cour d’assises rentre dans la
salle d’audience. Il est donné lecture des réponses données par le jury aux questions à
lui posées et l’arrêt est prononcé qui porte condamnation absolution ou acquittement.
La motivation de l’arrêt de la cour d’assises est donc nécessairement moins
approfondie.
γ) En matière administrative
Ici encore, en l’absence de tout texte, c’est la jurisprudence administrative qui a
crée la nécessité de motivation des décisions de Justice.
La démarche du juge administratif dans sa motivation, sera finalement voisine de
celle du magistrat de la cour de cassation. La juridiction, liée par les conclusions des
parties ne pourra s’en abstraire. Le magistrat est tenu de répondre aux moyens
soulevés par les parties. Comme devant la cour de cassation le moyen peut être divisé
en branches. Le moyen tend à une finalité, il est le support de l’objet du procès. Il se
distingue donc de l’argument (pour lequel il n’y a pas obligation de réponse)
Comme en toute matière la réponse du juge soit être suffisamment cohérente et
explicite. Il ne suffit pas de mettre une motivation, encore faut il qu’elle soit
intelligible et logique. Il ne sert à rien de motiver si le motif est inintelligible. On
admettra que s’assimile à une décision non motivée celle qui contient des motifs
inintelligibles ou contraires les uns par rapport aux autres.
C) LA PUBLICITÉ DE LA DÉCISION
La décision de justice, ayant vocation à devenir normative, ne peut pour cette
raison être clandestine : une norme ne saurait être secrète. La décision de justice doit
donc être publique. Et le but de cette publicité est d’avertir le public, pour lui
permettre, le cas échéant, de contester ou de remettre en cause la décision rendue.
Mais comment avertir le public ? La formalité de publicité ne sera-t-elle pas distincte
selon la nature des décisions rendues ? N’y a-t-il pas des cas dans lesquels la
publicité n’a pour seule mission d’avertir le public, et d’autres dans lesquels elle
aurait une mission d’obliger (ne serait-ce que passivement) le public ? Et cette double
nature ne dépend-elle pas, elle même, de la nature de la décision rendue, et de son
autorité, absolue ou relative ?
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 107
a) En matière civile
Nous avons vu que la règle, en matière civile, est celle de la publicité des débats
(article 22 du C.P.C) même si, dans certains cas, la loi exige que l’audience se tienne
en chambre de conseil, pour éviter tout scandale, ou préserver la tranquillité des
personnes (contentieux du divorce, de la filiation...). Mais il reste que de toutes
façons, le jugement doit être lu, publiquement, à l’audience, et cela même dans le cas
où les débats auraient eu lieu à huis clos. Cette lecture publique marque le moment
du dessaisissement du juge, et confère le caractère de publicité au jugement. Mais
est-ce bien suffisant ? Cette seule lecture publique de la décision va-t-elle suffire à
créer une présomption de connaissance de la part du public, de la décision rendue ?
Nul n’est-il censé ignorer la décision de justice lue publiquement ? L’intérêt de la
question, qui touche le problème de la tierce opposition, nous paraît dépendre la
distinction des jugements déclaratifs, et constitutifs de droit.
Lorsqu’un jugement est déclaratif, il se borne à reconnaître, à déclarer les droits
mis en avant dans les prétentions des parties. Un tel jugement n’a vocation qu’à avoir
autorité entre les parties : l’opposabilité de la décision au public ne pourra dépendre
que de la seule lecture de la décision rendue. Un tel jugement n’est, au fond, qu’un
fait juridique pour les tiers au procès.
Mais lorsqu’un jugement est constitutif de droit, qu’il crée un droit que les tiers
seront obligés de respecter passivement, la publicité devra dépendre d’un événement
officiel, permettant de présumer qu’à coup sûr, le public a eu connaissance de la
décision (cette prise de connaissance lui permettant éventuellement d’engager la
tierce opposition).
α) Ainsi en matière de divorce, l’article 1082 du NCPC dispose que la “mention
du divorce est portée en marge” des actes de l’état civil. Tant qu’un divorce n’est pas
transcrit au registre de l’état civil, le public est présumé l’ignorer. Cette disposition
est d’autant plus importante qu’il peut arriver qu’un jugement de divorce emporte, au
niveau des biens, un effet rétroactif à une certaine date ; par la publicité du dispositif
du jugement sur le registre, le public sera présumé connaître cette date. L’article 262
du code civil rappelle que “le jugement de divorce est opposable aux tiers, en ce qui
concerne les biens des époux, à partir du jour où les formalités de mention en marge
ont été accomplies” Un raisonnement identique nous parait pouvoir être tenu pour les
autres jugements constitutifs en matière d’état, comme les jugements d’adoption.
β) Il en va encore ainsi en matière de vente immobilière : un jugement
d’adjudication déclare l’acquéreur d’un immeuble propriétaire de celui ci. Entre les
parties, le transfert de propriété date du jugement d’adjudication. A l’égard des tiers,
le transfert ne s’opère qu’à partir de la publication du jugement (art.30-1 decr. 4
janvier 1955). La publication du jugement d’adjudication purge les hypothèques et
les privilèges.
b) En matière pénale
S’il est de règle en matière pénale que l’instruction des dossiers répressifs, tant
devant le juge d’instruction que devant la chambre d’accusation, est secrète (art 11
C.P.P) pour protéger le suspect et éviter les scandales, les débats sont, sauf cas
exceptionnels, publics (art 306, 400, 512,535 C.P.P).
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 108
Même s’il existe certaines limites à la publicité (tenant à l’interdiction de révéler
l’identité de condamnés mineurs, sans leur consentement, ou de certaines victimes
d’infractions sexuelles), le principe demeure de la lecture publique de la décision de
justice. La question posée est encore la même que précédemment : la lecture publique
de la décision suffit-elle à établir une présomption de connaissance de la part du
public ?
L’intérêt de la question ne se situe pas ici au niveau des voies de recours : la
décision pénale rendue entre le prévenu et la société s’impose aux tiers absents aux
débats ; elle a une autorité absolue, en raison de la présence de la société au procès.
Et si la société souhaite contester la décision, elle devra le faire dans les délais
prescrits, qui courent à compter de la lecture de la décision. L’intérêt de la question
se situe dans ce que nous serions tentés d’appeler “l’effet constitutif” de la décision
pénale. Le sens de l’expression n’est évidemment pas le même qu’en matière civile.
Nous voulons indiquer par là qu’une décision pénale va modifier le status civitatis de
l’individu, en lui infligeant une peine. Cette modification du status ne sera connue du
public qu’à la condition qu’un procédé officiel soit mis en place, permettant cette
prise de connaissance. Le tatouage permettait autrefois au public de reconnaître les
condamnés aux lourdes peines. C’est aujourd’hui l’institution du casier judiciaire qui
permet au public d’obtenir, sous certaines conditions, les renseignements sur le passé
judiciaire de l’individu.
L’institution du casier judiciaire est décrite par l’article 768 du C.P.P ; il reçoit
“les condamnations contradictoires ou par contumace, ainsi que les condamnations
par défaut, non frappées d’opposition, prononcées pour crime, délit, ou contravention
de cinquième classe...les condamnations...pour les contraventions des quatre
premières classes dès lors qu’est prise, à titre principal ou complémentaire, une
mesure d’interdiction, de déchéance, ou d’incapacité...les décisions disciplinaires
prononcées par une autorité judiciaire ou administrative lorsqu’elles entraînent ou
édictent des incapacités, tous les jugements prononçant déchéance d’autorité
parentale...les arrêtés d’expulsion pris contre les étrangers...les condamnations
prononcées par les juridictions étrangères qui, en application d’une convention ou
d’un accord, ont fait l’objet d’un avis aux autorités françaises, ou ont été exécutées en
France...”
La publicité du casier judiciaire est en fait plus ou moins ouverte : le relevé
intégral des fiches du casier judiciaire est porté sur le bulletin n°1, qui ne peut-être
délivré qu’aux autorités judiciaires. Le bulletin n°2 contient le relevé des fiches du
casier judiciaire d’une même personne, à l’exclusion de celles qui concernent
certaines décisions, dont la liste figure à l’article 775 du CPP. Le bulletin n° 2 est
celui qui peut être délivré aux préfets, aux administrations, aux autorités militaires,
aux présidents des tribunaux de commerce pour être joints aux procédures de faillite
(art.776). Le bulletin n°3 est encore plus expurgé (art 777). Il “peut être réclamé par
la personne qu’il concerne. Il ne doit en aucun cas être délivré à un tiers”
c) En matière administrative
La règle de la publicité des débats n’est admise dans l’ordre administratif que
lorsqu’un texte l’impose expressément, mais pratiquement, ceci est le cas devant les
tribunaux administratifs et le conseil d’état. Certaines affaires sont traitées en
chambre du conseil (exemple: opposition à une ordonnance taxant les dépens).
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 109
Faut-il se poser la question de la publicité de la décision de justice en matière
administrative ? Lorsqu’un acte est annulé, il est considéré comme n’ayant jamais
existé. Et le jugement d’annulation a un effet absolu vis à vis des actes administratifs,
vis à vis des tiers, vis à vis de l’administration qui est tenue d’exécuter, sous peine de
voie de fait, et vis-à-vis du juge. L’acte annulé disparaît donc, du fait du jugement
d’annulation, et l’on ne peut concevoir son maintien sous peine de sanction pour
l’administration.
On observera qu’une règle de publicité, parfaitement logique, ressort d’une
instruction du 28.12.1973 : les décisions du conseil d’état, portant annulation totale
ou partielle d’un acte à caractère réglementaire qui avait été publié au journal officiel,
sont être insérées dans le dit journal. Bien sûr, ça n’est pas la publication qui rend à la
décision de justice son caractère obligatoire. Une décision d’annulation est
obligatoire même si elle n’est pas publiée. Néanmoins, l’instruction démontre le
souci d’avertir le public de telles décisions, et en cela elle est intéressante.
SECTION 2 : ERREUR JUDICIAIRE ET VÉRITÉ JUDICIAIRE
“ Res judicata pro veritate habetur ”..On présume que la chose jugée est
conforme à la vérité. Peut-on assimiler, autrement qu’au bénéfice d’une présomption,
la chose jugée à la vérité ? Le partage se fait d’abord selon que l’on est en matière
civile, pénale ou administrative. Nous avons assez dit qu’en matière civile, le procès
est l’affaire des parties. Partant, la chose jugée sera celle des parties. Nous avons vu
que le cadre de faits, et les éléments de fait eux mêmes, dépendent directement des
parties. Dès lors, la réponse donnée n’apporte de vérité que sur la question posée au
juge par les parties, sur le débat de fait (mais également de droit) qu’elles ont
proposé. La vérité est alors contingente. Elle n’aura vocation qu’à être la “vérité des
parties”.
En matière pénale, la recherche préalable de la vérité suppose une recherche
impartiale des éléments de vérité objective, à charge et à décharge. Et tous les
moyens doivent être mis en œuvre pour la découvrir, par les méthodes les plus
complètes d’investigation. Si l’instruction a été faite de façon complète, il n’est pas
concevable qu’une autre vérité puisse être révélée sauf au bénéfice de circonstances
tout à fait exceptionnelles. La vérité révélée ne peut être que la plus proche possible
de la vérité réelle. Nous rappellerons pour mémoire que la présomption de vérité ne
s’attache qu’à la chose jugée. C’est une caractéristique de l’acte juridictionnel. Nous
verrons que la présomption est simple tant qu’il est possible de la remettre en cause
par l’exercice d’une voie de recours. Et qu’elle tend à devenir irréfragable lorsque les
voies de recours n’ont pas été suivies ou qu’elles sont épuisées.
Est-il concevable qu’une fois rendue la décision, il soit prétendu que cette dernière
n’est pas conforme à ce qui devrait être, et qu’il y a erreur ?
Les codes nous répondent par l’affirmative, en organisant les voies de recours.
Mais toute décision n’est pas susceptible de recours. Alors ? Et de toutes les façons la
remise en cause de la décision suppose qu’une des parties la conteste pour cause
d’erreur.
§1) L’erreur prétendue.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 110
Si l’on s’interroge sur l’erreur possible en matière judiciaire on peut en imaginer
diverses formes :
-l’erreur de fait d’abord. Il a été jugé sur des faits inexacts ou des faits mal
appréciés. Ou encore le juge n’a pas donné à tel élément de preuve, ou à tel élément
de fait, la portée qu’il aurait du avoir.
- A l’opposé, nous trouvons l’erreur sur la règle de droit. Le juge a fait une
mauvaise analyse de la règle de droit, ou a manqué à son rôle de juriste ou à sa
mission de juge.
- Enfin, nous avons l’erreur d’appréciation. Les faits sont établis et le juge les a
appréciés. La règle de droit appliquée est bonne. Mais la solution finale n’est pas
“juste”.
Le risque d’erreur judiciaire est-il toujours identique quelle que soit la
juridiction ? Y aurait-il des processus qui permettraient d’exclure le risque d’erreur ?
Si ces processus existent, ils excluent nécessairement la possibilité de voie de
recours. Existe-t-il un droit à l’erreur judiciaire ? (A) Comment faire disparaître
l’erreur ? (B)
A) L’ERREUR DE FAIT
Ce risque d’erreur peut exister en matière civile. Il devrait être moindre en matière
pénale, ainsi que nous allons le voir.
a) En contentieux privé
Reprenons l’analyse sur le rôle respectif du juge et des parties dans la délimitation
du cadre de fait. Nous avons indiqué qu’en matière civile la vérité est contingente.
Elle dépend des éléments de fait allégués par les parties et révélés par les procédés de
preuve également apportés par les parties.
1) L’erreur du plaideur
L’on peut dès lors concevoir que telle partie n’ait pas cru dans le cadre du débat
faire état de tel fait ou de tel procédé de preuve, ou n’ait pas spécialement attiré
l’attention du magistrat sur tel aspect de fait. L’erreur viendra alors de l’une des
parties, ou de la carence de l’une des parties dans la preuve du fait. Faut-il admettre
ce droit à l’erreur et autoriser une voie de recours pour un nouvel examen des faits
dans un cadre plus complet ? Ou admettre qu’il soit possible sur les éléments
nouveaux d’engager éventuellement une nouvelle instance ? On trouve réponse à
cette question dans l’article 563 du code de procédure civile qui permet aux parties
“pour justifier en appel des prétentions qu’elles avaient soumises au premier juge”
d’invoquer “des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de
nouvelles preuves”.
L’on comprendra que l’on se trouve ici à la frontière infiniment incertaine entre le
droit à rectifier l’erreur et le droit d’agir sur des éléments nouveaux dans le cadre
d’une nouvelle instance. A notre sens l’article 563 qui autorise les parties à préciser
voire à compléter l’argumentaire et le débat de fait, crée une faculté pour le plaideur
plus qu’il ne fixe la question de la cause du procès. S’il m’apparaît à la lecture de la
décision rendue, que le débat contradictoire n’a pas été complet, qu’il m’a échappé
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 111
de soutenir tel moyen, que telle pièce n’a pu être prise en considération pour telle ou
telle raison, je relèverai appel et repréciserai les limites du débat contradictoire.
Mais il faut admettre également que le plaideur qui allègue un fait et qui perd son
procès faute de preuve peut sans doute réintroduire une instance s’il justifie de
nouvelles pièces ou de nouvelles preuves, la cause du litige n’étant plus alors la
même.
2) L’erreur du juge
1) On peut d’abord concevoir l’erreur du juge, en raison d’une absence de débat
contradictoire tenu devant lui. C’est, en particulier le domaine des décisions rendues
en dehors de tout débat (décisions gracieuses ou, jugement par défaut). Le juge a
statué sur les seuls éléments apportés par l’une des parties. Dans ce cas, on admettra
que celui à qui la décision préjudicie puisse très facilement critiquer la décision
rendue, en faisant procéder au réexamen de l’affaire. Le débat n’ayant pas été mené,
on pourra concevoir sous certaines conditions de revenir devant le juge pour qu’il
réexamine l’affaire, cette fois sur un débat contradictoire.
On peut également imaginer que le magistrat lui même se soit trompé sur le
domaine du fait (Il a statué en faisant abstraction d’une donnée de fait importante) ou
qu’il ait mal apprécié la portée de tel élément de preuve (on rappellera que le juge
n’est pas lié par les procédés de preuve imparfaits).Chacune des parties aura alors la
faculté de critiquer la décision ainsi rendue
b) En contentieux pénal
On conçoit mal ici l’erreur de l’une des parties. En effet, la recherche de la réalité
des faits étant à charge du juge en phase d’instruction, chacune des parties (ministère
public ou défense) a pu, si bon semble apporter au dossier ou aux débats toute
précision utile.
On a dit qu’en matière pénale la phase d’instruction est faite afin que soit révélée
de la façon la plus complète possible la réalité des faits constitutifs de l’infraction.
Rappelons que le juge d’instruction qui instruit à charge et à décharge recherche avec
tous le temps et tous les moyens qui lui sont nécessaires la réalité objective. Dès lors,
le débat de fait est en principe complet. Le risque d’erreur de fait est nettement
moindre. Ainsi expliquera-t-on qu’à l’encontre d’un arrêt de cour d’assises, autrefois
il n’y avait pas d’appel possible. Il n’apparaissait pas possible que puisse exister une
autre réalité que celle minutieusement recherchée après une double instruction (par le
juge d’instruction et à l’audience).
En revanche peut-on concevoir l’erreur d’appréciation (le juge sur un fait donné
l’a mal apprécié ou a appliqué une sanction mal adaptée) ?
Ce risque existe sans aucun doute en matière contraventionnelle ou
correctionnelle. Mais il antérieurement à la réforme il n’apparaissait pas possible
qu’existe un risque d’erreur en matière criminelle où le dossier rend compte
nécessairement d’investigations sur la personnalité de l’accusé, et où il faut admettre
que l’importance du débat oral et le nombre des juges et jurés limitait le risque
d’erreur.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 112
Dans le contentieux administratif, l’erreur de fait, ou plus exactement l’erreur
dans l’analyse d’un élément de fait, peut se concevoir dans le domaine du plein
contentieux. Elle ne se conçoit pas ou très difficilement, dans le domaine du
contentieux de la légalité (mais le juge alors statue sur le grief de l’erreur manifeste
d’appréciation de l’administration).
B) L’ERREUR DE DROIT
On rappelle que le “juge est le gardien du droit”. Dès lors, il faut admettre que
quelle que soit la juridiction saisie, il puisse y avoir erreur de droit. Rien ne permet de
dire que le premier juge soit moins au fait de la règle de droit que la cour d’appel
appelée à revoir la décision initialement prise. Toute décision peut être entachée
d’une erreur de droit ou d’analyse juridique (le fait a été mal qualifié, le texte mal
interprété..).
On admettra dès lors, que toute décision rendue en dernier ressort soit susceptible
d’être déférée à la censure de la cour de cassation “ juge gardien du droit”.
C) L’EXERCICE DES VOIES DE RECOURS
a) Les recours n’emportant pas dessaisissement du Juge.
Nous sommes devant la contestation de décisions pour lesquelles le débat contradictoire a
été ou inexistant (jugements par défaut, ordonnances sur requête, injonctions, contraintes) ou
partiel (telle personne n’a pas été mise en la cause où elle pouvait avoir intérêt).
Dans un tel contexte on admettra d’abord que le point de départ du délai de recours soit la
connaissance par la personne de la décision de justice, que le débat revienne devant le
magistrat dont la décision est critiquée, et quelles formes de la saisine du magistrat rappellent
les formes initiales de l’engagement de la procédure.
Voyons ces différents recours :
α) L’opposition qui est la voie de critique de la décision rendue par défaut s’exerce en
matière civile dans le délai d’un mois à compter de la signification du jugement. On admettra
ici de façon particulièrement libérale le relevé de forclusion sur justification de l’absence de
prise de connaissance de la décision. On rappellera qu’il ne peut y avoir en matière civile de
jugement par défaut si la décision est susceptible d’être déférée à la cour d’appel .Dans un tel
contexte le jugement est “réputé contradictoire” dans la mesure où la voie possible de l’appel
permet de faire ouvrir un débat contradictoire en cas de contestation de la décision
En matière pénale, l’opposition se fera sous délai de 10 jours à compter de la signification
du jugement (et non du prononcé). Si la signification du jugement n’est pas faite à la
personne du condamné, l’opposition restera recevable jusqu’à l’expiration des délais de
prescription de la peine (la formalité d’opposition devant être faite dans les 10 jours à
compter de celui où l’intéressé en a eu connaissance). En matière criminelle l’opposition
n’existe pas; l’accusé absent (le contumace) est jugé, sans pouvoir prétendre aux
circonstances atténuantes. S’il est arrêté ou s’il se présente volontairement après sa
condamnation, celle-ci est mise à néant (”purge de la contumace”) et l’accusé est rejugé.
En matière administrative, on a peine à imaginer qu’il puisse y avoir des jugements par
défaut (l’administration est le plus généralement défendeur). Ceci étant et de toutes les
façons la voie d’opposition au sens classique n’existe pas. Les dispositions légales ont
supprimé la voie d’opposition contre les jugements. La voie de recours sera l’appel .L’on en
déduit que les jugements rendus sont tous contradictoires ou réputés contradictoires. La voie
de recours n’est pas en elle même suspensive d’exécution.
Nous pourrions rapprocher cette notion d’opposition de celle d’opposition à ordonnance
d’injonction de payer, ou d’opposition à contrainte en matière de sécurité sociale. Ici encore
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 113
le créancier a obtenu, sans débat contradictoire, ou fait valoir un acte présumant l’existence
d’une créance. Si le débiteur prétendu conteste il formera opposition et le débat au fond
pourra être dés lors engagé.
b) La tierce opposition
Nous retrouvons ici la notion de tiers (partie ni présente ni représentée dans le cadre de la
première instance) Cette notion fait que ce type de recours n’est pas admis en matière pénale
(le ministère public représente la collectivité. On admettra simplement pour les seuls intérêts
civils le droit à la tierce opposition pour certains organismes sociaux.
En procédure civile, comme en matière administrative l’exercice de cette voie de recours
permettra de faire réexaminer l’affaire par la juridiction qui a rendu la décision critiquée.
Le délai pour agir est de trente ans, sauf si le tiers a reçu notification de la décision
(auquel cas il a deux mois pour s’opposer).
c) la rétractation
Nous sommes devant l’hypothèse d’une ordonnance gracieuse, rendue sur requête. Si elle
fait grief à telle personne, celle-ci pourra solliciter du magistrat qu’il modifie ou rétracte son
ordonnance. Puisque la personne s’oppose, il y a lieu de supposer qu’elle est en litige avec le
requérant initial. La demande de rétractation sera présentée comme en matière de référé. Ce
type de recours n’existe en pratique qu’en matière civile.
d) le recours en révision
Nous sommes ici sur le cas très particulier d’un débat faussé. Ce qui a été jugé l’a été sur
des bases erronées. Il est normal de concevoir que cette décision soit anéantie de sorte que
soit rétablie une exacte vérité.
Cette voie de recours existe dans nos trois contentieux .L’idée est d’ailleurs dans chacun
d’eux un peu la même. En matière civile (et les règles sont voisines en matière
administrative), le recours est ouvert dans un certain nombre de cas : fraude l’une des parties,
pièces décisives retenues abusivement par la partie adverse, et recouvrées, déclaration
judiciaire de faux entachant une attestation un témoignage ou un serment donné dans le
l’instance initiale. Le recours doit être fait dans les deux mois de la connaissance de la cause
de révision.
En matière pénale les cas d’ouvertures sont également limités (découverte d’indices
suffisants présumant l’existence de la prétendue victime de l’homicide, condamnation d’un
autre accusé pour le même fait, condamnation d’un témoin pour faux témoignage, et, le cas
le plus classique, survenance d’un fait nouveau ou découverte de pièces de nature à établir
l’innocence du condamné. Le recours en révision en matière pénale suppose donc
l’allégation que la recherche de la vérité objective a été finalement mal menée. Et qu’il y a
eu une particulièrement grave erreur judiciaire .Le recours en révision sera instruit et jugé
dans des formes tout à fait particulières .S’il n’y a pas cause péremptoire mais simplement
fait nouveau, la mise en œuvre ne peut intervenir que par le ministre de la justice .Et la
demande sera instruite et appréciée par la chambre criminelle de la cour de cassation. La
demande peut être rejetée ; elle peut être reçue et dans ce cas il y aura ou annulation de la
première décision sans renvoi, ou annulation et renvoi devant une juridiction de même nature
et de même degré que celle qui a rendu la décision annulée. Les mécanismes sont (excepté
que l’on est en matière d’appréciation des faits autant que du droit) voisins de ceux
rencontrés en matière de cassation.
b) Les recours fondés sur l’erreur alléguée
Dans ce contexte (appel et cassation) le débat qui s’est déroule devant la juridiction
inférieure est repris, éventuellement dans son intégralité, mais parfois uniquement sur telle
partie où il est estimé qu’il y a erreur.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 114
Il y a eu erreur ou en tout cas elle est alléguée .Et hors l’idée rencontrée des parties qui
apportent en cause d’appel de nouveaux moyens (nous avons vu que nous étions alors à la
frontière de la nouvelle instance possible), l’erreur alléguée est celle commise par le
magistrat. Le recours tend à rectifier l’erreur. Mais le procès n’est pas changé. Des lors ne
peuvent exercer le recours que les parties présentes en première instance ; Et puisqu’il est
allégué une erreur le recours sera jugé par un magistrat diffèrent.
α) L’appel
L’erreur étant toujours possible, l’appel est toujours possible, sauf texte contraire (on
retiendra les jugements rendus tant en matière pénale que civile en premier et dernier ressort)
L’effet de l’appel est dévolutif c’est à dire que la cour d’appel traite de l’affaire dans la
limite de l’erreur alléguée, pour qu'il soit de nouveau statué tant en droit qu’en fait.
L’appel, recours par l’une des parties au procès qui a donc connaissance de la décision,
doit être par le fait même inscrit dans des délais brefs ( en règle générale: en matière pénale
10 jour compter du prononcé ; en matière civile un mois à compter de la signification du
jugement ; en matière administrative ,deux mois à compter de la notification du jugement).
b) Le pourvoi en cassation.
L’erreur ici alléguée est celle du magistrat, sur l’analyse de la règle de droit, ou sur le fait
qu’il n’aurait pas respecté les obligations que la loi lui donne dans son activité de jugement,
par exemple au niveau de la motivation.
Il n’est possible de faire de pourvoi que si l’on a été partie à la décision critiquée, laquelle
doit être en dernier ressort.
Les délais pour agir sont brefs en matière pénale (5 jours à compter du prononcé) plus
longs en matière civile et administrative (deux mois à compter de la notification de la
décision).
§2) L’erreur révélée
La réformation sera la portée de la décision d’appel qui “ réforme” le jugement
rendu, en donnant une nouvelle solution au litige, après une nouvelle analyse des
éléments fournis, en fait en droit et de preuve.
La rétractation fera disparaître l’ordonnance ou la décision “rétractée.
La cassation fera disparaître la décision cassée (en tout ou partie) .Il appartiendra
à la partie qui le souhaite de saisir la juridiction du fond désignée devant laquelle sera
reprise le débat au stade de procédure où il se trouvait antérieurement à la décision
cassée.
On se posera quand même la question du “revirement de jurisprudence”
Nous avons vu que la cour de cassation “gardienne de la règle de droit” a pour
mission de casser les décisions non conformes à la règle. La logique est donc que la
cour de cassation ne peut se tromper sur l’analyse de la règle. D’ailleurs il n’y a pas
de recours contre les décisions de la cour de cassation. Pour changer la règle telle
qu’analysée, il faudrait logiquement que change le texte de loi lui même.
Ce serait méconnaître les “revirements de jurisprudence” qui ne sont en réalité
que la révélation d’une erreur d’appréciation d’un texte donné sur une période
donnée.
§III) La portée de la décision prononcée
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 115
La décision de justice a vocation à mettre fin au litige. C’est l’autorité de la chose
jugée. Il ne peut pas y avoir un deuxième procès identique au premier, car il y a
autorité de la chose jugée. En droit processuel, il y a deux approches de cette notion.
La première approche est celle qui dit que l’autorité de la chose jugée ferait
disparaître le droit de réintroduire une nouvelle instance. (Qu’est ce qui a été jugé ?
Quand peut-il y avoir, et peut il y avoir une nouvelle instance ? En d’autres termes,
quand y aura t-il fin de non recevoir sur une nouvelle instance au motif d’autorité de
chose jugée ? (A). La seconde notion est celle de la portée de ce qui a été apprécié
dans le cadre d’autres litiges, ou vis à vis d’autres contentieux. Quelle est, par
exemple, la portée de ce qui a été jugé par le magistrat pénal sur un litige soumis au
juge civil ? Ce qui a été jugé par un juge peut-il s’imposer à un autre juge ? (B)
A) L’autorité de la chose jugée et l’identité d’instance
Puis-je engager de nouveau un procès, si j’ai définitivement perdu dans le cadre
de la première instance ? Si oui, sous quelles conditions ? Sinon, pourquoi ?
a) En contentieux civil
α ) Quelle est la signification et la nature de ce principe ?
L’autorité de la chose jugée répond d’abord à un impératif de sécurité devant la
justice. De même que la loi nouvelle n’a pas d’effet sur les contrats en cours, de
même ce qui est définitivement jugé ne peut être remis en cause par la loi nouvelle.
Le principe a deux conséquences. Je peux d’abord opposer la fin de non recevoir de
l’autorité de la chose jugée à celui qui me referait un même procès sur le même
fondement et sur la même demande. Inversement, si j’ai définitivement perdu, et que
j’ai épuisé les voies de recours, je ne peux que m’incliner. Le principe s’impose car
s’il ne s’imposait pas, aucune sécurité dans les relations juridiques ne pourrait exister.
Il faut admettre aussi que la chose jugée correspond à la vérité. C’est la
présomption “ res judicata pro veritate habetur” La présomption de vérité s’attache
à ce qui est dit par le juge (en contentieux civil, on a vu que la vérité est contingente.
Dès lors, ce qui est jugé n’a pas d’effet obligatoire vis-à-vis des tiers). C’est
pourquoi, institutionnellement, il n’est pas concevable que la vérité établie soit
remise en question. En continuant ce raisonnement, il pourrait être dit qu’il résulte du
jugement rendu et exécuté une nouvelle situation de droit, voire de nouvelles
situations juridiques, ou même de nouveau rapports juridiques. Ces droits, devoirs,
ou obligations ne dépendent pas directement de la situation antérieure, mais du
jugement lui même. Ce n’est plus le contrat initial et litigieux qui fixe la créance,
mais le jugement qui condamne le débiteur à payer. Alors, non seulement le
jugement est conforme à la vérité, mais exécuté, il est le fondement de la situation
juridique. Et ce fondement est inattaquable puisqu’il est judiciaire. On pourrait
traduire ce principe d’autorité de chose jugée, en se reportant sur la nature du droit
d’agir. Le droit d’agir disparaît une fois exercé, une fois la décision obtenue. Il
disparaît, et ne peut réapparaître pour faire sanctionner une situation juridique qui
serait inchangée.
β) Quelles sont les conditions d’existence de cette présomption de vérité ? A
quelles conditions s’applique la fin de non recevoir tirée de l’autorité de chose jugée ?
1) Il faut d’abord que la décision rendue soit un acte juridictionnel. L’autorité de
chose jugée ne s’attache qu’à l’acte juridictionnel dans sa définition totale. On exclut
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 116
donc les décisions gracieuses, les ordonnances de référé, les jugements avant dire
droit. On admettra en seule réserve, que lorsqu’une décision qui ne statue pas au fond
statue sur une fin de non recevoir ou une exception de procédure, il y aura autorité de
chose jugée sur le point tranché (le défendeur soulève la nullité de l’acte introductif
d’instance. Le juge retient que l’acte est nul. Le demandeur ne conteste pas. Il est
acquis que l’acte est nul. Le demandeur ne pourra plus par la suite reprendre le débat
ou dire par exemple, que l’acte avait interrompu la prescription du droit d’agir). Dans
le jugement proprement dit, nous avons déjà indiqué que l’autorité de chose jugée ne
s’applique qu’au dispositif de la décision. Nous rappellerons pour mémoire, la
problématique des motifs décisifs ou décisoires contenus dans les jugements qui, au
regard de leur dispositif, ne sont qu’avant dire droit.
2) Pour que joue l’autorité de la chose jugée, il faut que nous soyons devant un
acte juridictionnel tranchant définitivement le litige. C’est à dire devant une décision
insusceptible de recours. L’analyse classique décrit cette règle, en disant que dans ce
domaine la présomption de vérité attachée à la chose jugée est simple tant qu’existe
un recours possible. La chose jugée est a priori conforme à la vérité, sous réserve ou
sous condition qu’aucune voie de recours n’est engagée, ou si elle est engagée tant
que la juridiction qui a à statuer sur le recours ne l’a pas fait.
La présomption serait irréfragable après l’expiration des délais, ou l’exercice des
voies de recours. Et il ne serait pas possible de la remettre en cause. Plus simplement,
ou autrement dit, si aucune des parties n'élève de contestation contre la décision
rendue on présumera qu’elles acquiescent à la décision et qu’elles ont voulu la
considérer comme définitive. Il ne serait pas possible de revenir sur cet
“acquiescement” au cas où les délais seraient dépassés.
Cette réflexion rejoint le principe selon lequel les parties peuvent, une fois rendue
la décision, expressément renoncer à exercer une voie de recours. La décision est
alors immédiatement définitive. De la même façon, s’il apparaît qu’un tiers a eu
connaissance de la décision rendue, et qu’il ne la conteste pas, l’autorité de chose
jugée aura vocation à s’étendre à lui et bien sûr à lui être opposable.
Cette présomption de vérité qui se conforte au fur et à mesure que s’épuisent les
délais et recours se double d’ailleurs d’une présomption de validité et de régularité de
la décision rendue. Ces notions de présomptions simples et irréfragables, de vérité et
de régularité entraînent des différences de vocables. Lorsque le jugement est rendu, il
a l’autorité de la chose jugée (l’autorité peut être remise en cause). Lorsque le
jugement n’est plus susceptible de recours suspensif d’exécution, il a force de chose
jugée.
Quand la décision ne peut plus faire l’objet d’aucune forme de recours, elle
devient irrévocable Dès lors que la décision est rendue et qu’elle a force de chose
jugée, elle ne peut être révoquée. Il n’y a d’autres voies de critique de la décision que
les voies de recours. Les irrégularités sont couvertes...Seules les voies de recours
existent (“voies de nullité n’ont lieu contre jugements”).
3) Pour que joue la présomption il faut qu’existe entre la première instance, et
celle qui est engagée (et sur laquelle sera opposée la fin de non recevoir de l’autorité
de chose jugée) une triple identité : identité de parties au procès ; identité d’objet du
procès ; identité de cause. Que faut-il entendre par chacune de ces notions ?
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 117
Il faut d’abord une “Identité de parties”.
Qui est “partie” à un procès dans le contentieux civil ? La réponse n’est pas
simple à donner. Outre les personnes expressément désignées comme demandeur et
défendeur (portées dans l’acte introductif) figurent celles qu’elles représentent
nécessairement, implicitement ou explicitement.
La première catégorie de personnes est formée des ayants- cause à titre universel.
Sont-ils représentés par leur auteur dans l’instance ? La question n’est pas d’une
instance engagée, et non finie, en raison du décès d’une partie. Dans cette situation,
les héritiers auront à dire s’ils reprennent et poursuivent l’instance. Ici nous sommes
avec une décision définitive. Les héritiers, qui ont accepté la succession, sont-ils
tenus par celle là ? La réponse est positive. Et si la chose est jugée, ils ne peuvent
refaire une instance ou voir diligenter contre eux une même instance.
La question des ayants cause à titre particulier doit sans doute être traitée selon le
même schéma. Il faut concevoir qu’une personne est titulaire d’un droit. Ce droit est,
dans son contenu, remis en question. La difficulté est tranchée par le juge. Le droit
est cédé. Ce droit est cédé tel qu’il existe au jour de la cession. Le cessionnaire est
tenu de respecter la décision précédemment rendue en ce qu’elle s’intègre à la
définition du droit cédé. En exemple : une personne est propriétaire d’un immeuble.
L’occupant fait juger qu’il est titulaire d’un bail. La décision qui le reconnaît est
définitive. L’immeuble est vendu. La qualité de locataire de l’occupant ne peut être
remise en cause judiciairement.
La difficulté encore apparaît avec la notion de mandat de représentation donné, et
l’idée de mandat de représentation implicitement donné. Un exemple peut être donné
pour illustrer la question. Une personne est créancière d’un débiteur. Une caution
garantit le payement de la dette par le débiteur. Le débiteur connait l’engagement de
la caution qui est intervenue à l’acte de prêt. Existe-t-il dans cet engagement un
mandat implicite de représentation commune, entre la caution et le débiteur. En
d’autres termes si le créancier agit contre le seul débiteur et obtient sa condamnation,
si le jugement rendu devient définitif, faut-il pour le créancier toujours impayé faire
une nouvelle instance contre la caution. Ou celle ci se trouve-t-elle liée par la
décision initialement rendue ? La jurisprudence a admis l’idée du mandat implicite de
représentation dans un tel contexte. Puisque les parties sont liées par la même
obligation, elles se trouvent mutuellement représentant l’une de l’autre et tenue par
ce qui a été jugé et dit judiciairement de l’obligation initiale, dans le cadre du procès
fait contre telle d’elles deux.
En d’autres termes, en jugeant le litige le juge a apprécié l’obligation, et le
coobligé se trouve tenu de l’analyse judiciaire.
Dans la notion de tiers il faut également voir la distinction entre opposabilité (le
jugement est opposable lorsque son contenu doit être considéré comme une donnée
de fait intangible - élément de fait établi et indéniable) de la notion d’autorité de
chose jugée qui interdit (au risque de se voir opposer une fin de non recevoir) qu’il y
ait une nouvelle instance. Le tiers n’étant pas “ partie au procès ” n’est pas lié par
l’autorité de la chose jugée. Mais si la décision lui est opposable, dans le litige qu’il
engage la décision pourra être prise comme une donnée de fait incontournable. Un
exemple peut être donné. Un bailleur passe contrat avec une femme qui se déclare
mariée. Cette femme ne paye pas ses loyers. Le bailleur obtient sa condamnation.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 118
Elle ne s’exécute pas. Le bailleur veut agir contre le prétendu mari. Ce dernier
oppose un jugement de divorce publié. La question peut être de l’opposabilité du
jugement de divorce publié vis à vis du bailleur. Question différente de celle de
l’effet de la chose jugée contre la femme sur le mari prétendu.
Deux autres identités entre les deux instances sont nécessaires pour que joue la fin
de non recevoir liée à l’autorité de chose jugée : l’identité d’objet et l’identité de
cause.
Nous avons déjà rencontré la notion d’objet dans le litige. C’est ce qui est
demandé ; le dispositif de l’assignation et des conclusions contenant demande
reconventionnelle. On rappellera également la notion de cause dans le procès civil. Et
la suggestion de dire que la cause dans le procès c’est ce qui forme le contenu du
débat contradictoire (au titre des éléments de fait de droit et de preuve).
Nous pouvons poursuivre la réflexion avec la problématique de l’autorité de la
chose jugée. Une nouvelle instance est engagée sur le même objet entre les mêmes
parties Comment peut-on opposer la fin de non recevoir liée à l’autorité de chose
jugée sur la seconde instance, pour identité de cause ? La démarche du magistrat
consistera à apprécier ce qui a été jugé dans le cadre de la première instance, quel a
été le domaine du débat qu’est-ce qui a été tranché dans le dispositif. Y a t-il identité
dans le débat contradictoire proposé dans le cadre de la nouvelle instance ? Si la
réponse est positive la fin de non recevoir sera acceptée.
γ) Quels sont les effets de l’autorité de la chose jugée ?
En contentieux privé, on l’a vu l’autorité de la chose jugée constitue une fin de
non recevoir ; c’est à dire qu’elle peut être invoquée par le défendeur à la nouvelle
instance. Peut-il renoncer au bénéfice de l’autorité de la chose jugée. La réponse est
a priori positive. Je peux renoncer au bénéfice d’un jugement comme je peux
renoncer à un droit. Et je peux ne pas soulever la fin de non recevoir. Ceci étant, il est
des domaines où le jugement crée un nouvel état. Ce nouvel état crée, officialisé le
plus souvent par une publication, aura vocation à être opposable comme nous l’avons
vu à tous et donc au juge. Deux époux déjà divorcés qui se représenteraient devant le
magistrat sur une nouvelle demande de divorce se verraient sans doute opposer par le
magistrat une irrecevabilité de leur demande, au bénéfice de la fin de non recevoir
d’autorité de la chose jugée qui aurait dans ce domaine un caractère d’ordre public.
Le second effet est que le juge est dessaisi du dossier. Le juge ne peut revoir ce
qu’il a dit, ni revenir sur sa décision. On a vu qu’à l’opposé en matière gracieuse, en
matière de référé, en matière d’avant dire droit, il pourra être amené, soit seul, soit en
collégialité à revoir à compléter, à modifier ou à confirmer sa décision.
Le troisième effet (mais il est de détail) est que le pourvoi en cassation peut être
ouvert pour contrariété de décisions (deux décisions définitives sur le même procès et
différentes).
Le quatrième point concerne les tiers ; nous avons vu que la question de l’autorité
de la chose jugée est à distinguer de l’opposabilité aux tiers. Les tiers (au sens penitus
extranei) ne sont pas partie au procès. Ils ne peuvent opposer, ni se voir opposer,
l’autorité de la chose jugée.
C’est le principe négatif de l’effet relatif de la chose jugée. Ce qui a été jugé ne
saurait préjudicier aux tiers (res judicata inter alios neque nocere neque prodere). Je
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 119
ne peux voir exécuter contre moi un jugement dans lequel je n’ai pas été partie. En
revanche, je peux me le voir opposer. Si ce jugement me préjudicie, il m’est possible
de faire tierce opposition. Enfin, vis à vis du législateur, on notera que les lois,
mêmes interprétatives, ne peuvent avoir d’effet sur une situation définitivement
jugée.
b) L’autorité de la chose jugée en matière pénale.
La règle, en droit pénal, est simple “ non bis in idem”. Il ne peut pas y avoir deux
fois le même procès. “L’action publique... s’éteint par...la chose jugée” (article 6 al
I). Nous avons vu que le juge est saisi IN REM, d’un fait donné. Il a à juger ce fait
qui est imputé à telle personne.
L’identité de parties se limite à l’identité de personne poursuivie. L’objet du
procès pénal étant de réprimer la personne déclarée coupable de l’infraction, il est
commun à toutes les procédures pénales. La cause du procès pénal étant le fait, un
même fait ne peut être reproché deux fois à la même personne.
Le juge ayant apprécié, pour le fait qui lui est soumis, toutes les qualifications
possibles, le changement de qualification dans la nouvelle poursuite du même fait
serait inopérant.
L’autorité de la chose jugée en matière pénale est absolue, la décision a effet
“erga ommes ”, vis à vis de tous. La formule est en soi logique ; parce que la vérité
recherchée pour que le magistrat décide, est une vérité objective, non contingente ; et
parce qu’également au procès est partie le ministère public qui représente la
collectivité. En quelque sorte, chacun est partie au procès par son intermédiaire.
Le principe de l’autorité de la chose jugée en matière pénale est absolu. Le
magistrat saisi d’un nouvel acte de poursuite peut soulever d’office la fin de non
recevoir liée à cette autorité (le casier judiciaire de l’inculpé sera un bon moyen de
voir la réalité de cette double poursuite éventuelle).
En matière pénale, comme en matière civile, l’autorité de chose jugée se
transforme en force de chose jugée une fois les délais de recours dépassés ou les
recours définitivement jugés.
c) En matière administrative
La solution est comme à l’habitude à distinguer selon la nature du contentieux.
Nous sommes proches de la notion d’autorité de chose jugée en matière civile
lorsque nous nous trouvons dans le domaine du plein contentieux.En revanche en
matière de légalité de l’acte administratif la portée de la décision rendue est à
distinguer selon que l’acte est annulé ou le recours rejeté. Si l’acte administratif est
annulé il disparaît de l’ordonnancement juridique. En conséquence plus personne ne
peut
SECTION III : L’EXECUTION DE LA DÉCISION DE JUSTICE
Le but du procès est de permettre l’obtention d’une réponse sur une question
posée au juge. La solution donnée, l’effectivité de la décision, s’apprécieront par
deux aspects : l’opposabilité de la décision, et la mise à exécution forcée. Ce qui est
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 120
jugé peut être opposable, mais doit recevoir exécution. N’y a t-il d’exécution qu’avec
la force de chose jugée ? Y a-t-il intangibilité de la chose jugée ?
§1) L’anticipation de l’exécution de la décision de justice.
Est-il concevable d’imaginer l’exécution par anticipation de ce qui est demandé,
sans qu’il n’y ait de décision rendue (A) ? En second lieu, peut-on imaginer qu’une
décision puisse être exécutée, alors qu’elle n’a pas acquis la force de chose jugée, et
qu’il y a, ou pourrait y avoir, voie de recours (B) ? Et si oui pourquoi ?
A) L’exécution en l’attente d’une décision
Prenons quelques exemples. Voici une personne suspectée de vol. Non (encore)
condamnée, elle est présumée innocente. Est-il concevable qu’elle soit mise en garde
à vue, ou détenue provisoirement, en l’attente qu’il soit statué ? Puis-je prendre sur le
patrimoine de mon créancier une garantie, alors même que je n’ai aucun titre
exécutoire ? Dans quel cas pourra-t-on concevoir qu’intervienne un tel acte, contraire
aux présomptions de base, et avant toute décision statuant sur le bien fondé ou le mal
fondé de la demande ? On peut penser à l’évidence ; on peut penser à l’urgence, on
peut également penser à l’ordre public et à l’intérêt général.
a) En contentieux administratif
Commençons par la réflexion en matière administrative. On indiquera, dans le
contentieux de la légalité de l’acte administratif, que la contestation ne suspend pas le
caractère exécutoire de cet acte. L’acte reçoit application, alors même que la
juridiction administrative serait saisie. C’est l’idée générale qui veut que l’acte est
présumé pris dans l’intérêt général, et qu’il est présumé impeccable. Dès lors, la
présomption elle même joue et l’acte s’applique, alors même qu’il serait contesté.
Cette analyse classique souffre une exception qui nous intéresse directement, car
c’est elle qui remet en cause la présomption de base et permet la suspension de
l’exécution de l’acte en l’attente du jugement. C’est la requête aux fins de suris à
exécution. Un acte est pris. Je le conteste. Il a vocation à s’appliquer au bénéfice de
la présomption d’impeccabilité. Je demande qu’il soit sursis à cette exécution.
Quelles sont les conditions pour l’obtenir ? Il faut d’abord que le préjudice que
pourrait occasionner l’exécution de l’acte, soit “difficilement réparable” pour le
requérant. Il faut encore que les moyens qui tendent à obtenir l’annulation de l’acte
soient “puissants”. Il faut que l’acte ne soit pas déjà exécuté et de toutes façons, le
magistrat appréciera s’il y a lieu de l’ordonner au regard des circonstances de la
cause. Finalement, on conçoit le sursis s’il y a urgence (le préjudice difficilement
réparable par l’exécution non encore faite mais imminente) et contestation
particulièrement sérieuse de la présomption en cause. La réserve de l’ordre public et
de l’intérêt général justifient également que la mesure ne soit pas ordonnée, alors que
les conditions sont réunies.
b) En contentieux répressif
Nous retrouvons également, en matière pénale, des possibilités d’exécution
anticipée de la décision attendue de condamnation, et donc des restrictions à la liberté
d’aller et venir et des détentions, sans même qu’il n’y ait condamnation.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 121
Sans même qu’il n’y ait la moindre autorisation, ni pouvoir, tout individu a qualité
pour appréhender l’auteur d’une infraction et le conduire devant l’officier de police
judiciaire (article 73 C.P.P). L’arrestation n’est pas illégale, au contraire. On admet
qu’elle n’existe qu’autant que le crime ou le délit est flagrant. C’est, en quelque
sorte, la notion “d’évidence” qui justifie l’appréhension de la personne. Le crime ou
le délit se commet. L’auteur est appréhendé en situation de flagrance, et dès lors la
mesure s’explique.
C’est également la notion de “garde à vue” qui est une rétention de la personne
pendant une durée maximale de 24 heures renouvelable. Sous quelles conditions
peut-on “retenir” une personne, présumée innocente, dans un local de rétention ? Il
suffit que ce soit “pour les nécessités de l’enquête”. La décision est prise par
l’officier de police judiciaire qui peut garder à “sa” disposition une ou plusieurs
personnes. Il est parfaitement concevable qu’une personne soit gardée à vue, et ne
soit pas mise en examen, et ne se voit jamais reprocher quoi que ce soit. Même si la
mesure apparaît très limitée dans le temps, et même si quelques garanties sont
données au gardé à vue (depuis peu le droit d’appeler un avocat au bout de 20 heures
de retenue) elle correspond quand même à une mesure rigoureuse que l’on peut
justifier par l’intérêt général (les “nécessités de l’enquête”).
La détention provisoire (article 144 et suivants) ne peut être décidée qu’après
“débat contradictoire” (mais il peut y avoir “incarcération provisoire” de 5 jours au
plus avant ce débat) qui se déroule devant le Juge des libertés et de la détention (le
ministère public entendu en ses réquisitions sur la mise sous mandat de dépôt, et
l’individu et son avocat entendus en leurs observations sur la mesure demandée). Des
garanties plus larges sont donc données à cette personne présumée innocente, pour
qui est demandée une mise en détention. Ceci étant, le magistrat (qui n’a pas de
quelque façon que ce soit à apprécier la culpabilité) peut motiver cette mise en
détention sur les motifs suivants : garder les preuves, empêcher la pression sur les
témoins et les victimes, empêcher le concert frauduleux, préserver l’ordre public,
protéger l’inculpé, mettre fin à l’infraction, empêcher le renouvellement de
l’infraction, garder le prévenu à disposition. Nous trouvons reprises les notions de
nécessité de la recherche des éléments de fait objectifs, et également l’idée qu’il faut
faire cesser le trouble illicite (préserver l’ordre public).
On pourrait rapprocher ces notions d’autres mesures de “police administrative”
(reconduite à la frontière, ou retrait immédiat du permis de conduire). Ces mesures se
situent entre les notions de mesures administratives prises dans l’intérêt général et les
mesures répressives.
c) En matière civile
Toute exécution par anticipation, passera par l’intermédiaire du juge. On peut
concevoir deux types de mesure d’exécution par anticipation :
α) Les mesures conservatoires. Elles ne sont pas, à proprement parler des mesures
d’exécution, mais visent à donner une garantie à celui qui poursuit (hypothèque,
nantissement, mise sous séquestre ou sous scellées..). Comme elles ne sont pas
gravement préjudiciables, elles pourront être ordonnées sur requête (et l’on rappelle
que l’ordonnance sur requête peut être rétractée ou revue par procédure de référé).
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 122
β) Les véritables mesures d’exécution, avant décision au fond pourront être prises
dans le cadre des procédures de référés. L’ordonnance de référé est de plein droit
exécutoire. Alors même que le fond n’a pas été tranché (la décision, on l’a vu, n’a
pas l’autorité de chose jugée), l’ordonnance peut être mise à exécution, et ce de plein
droit.
Les conditions de cette exécution provisoire, sont donc celles qui justifient la
demande reçue par voie de référé : urgence ou trouble manifestement illicite, qu’il
faut faire cesser ou absence de contestation sérieuse au fond. Il n’y a pas de temps à
perdre, ou il n’est pas nécessaire de perdre du temps.
B) L’exécution en l’attente de l’exercice éventuel ou de l’issue d’une voie de
recours.
Nous avons vu que - parce qu’elle est susceptible d’être entachée d’une erreur - la
décision de justice est sauf exceptions (arrêts et jugements en dernier ressort)
suspendue dans ses effets en l’attente de l’écoulement des délais de recours et
éventuellement de l’instruction de ceux ci. Peut-on concevoir, alors qu’elle n’est pas
définitive, qu’une décision soit mise à exécution, a fortiori s’il y aurait allégation
d’erreur ? La réponse est affirmative et touche le domaine de l’exécution provisoire.
a) Dans le contentieux pénal, le condamné qui relève appel (nous sommes donc
en matière contraventionnelle, en premier ressort, et en matière délictuelle) peut-il
être, nonobstant l’appel, mis en détention ? Par ailleurs, un détenu relaxé par une
décision dont le ministère public a relevé appel peut-il, (ou doit-il) être libéré
immédiatement ?
α) La réponse nous est donnée par le code de procédure pénale. Malgré l’appel
(du parquet) le prévenu détenu doit être immédiatement libéré en cas de jugement
portant relaxe, absolution ou condamnation, soit à une amende, soit à
l’emprisonnement avec sursis ou si le temps de détention provisoire est supérieur au
temps de condamnation prononcé.
β) A l’opposé, la comparution du prévenu devant le tribunal correctionnel met fin
théoriquement à la détention provisoire. Si le tribunal entend maintenir la personne
en détention, il doit, par décision spéciale et motivée, l’ordonner expressément (c’est
l’hypothèse du prévenu qui comparaît à l’audience ; les débats s’ouvrent ; le
magistrat ordonne une mesure d’instruction complémentaire. S’il doit y avoir
maintien en détention, il faut une décision spéciale).
Dans l’hypothèse d’un prévenu comparaissant libre (ou sortant de détention
provisoire) peut-on concevoir une mise en détention immédiate, nonobstant appel ?
L’article 465 nous indique que...si la peine prononcée est au moins d’une année
d’emprisonnement sans sursis le tribunal peut par décision spéciale et motivée,
lorsque les éléments de la cause justifient une mesure particulière de sûreté,
décerner mandat de dépôt ou d’arrêt contre le prévenu.
On comprendra que de la même façon qu’il est possible que soit ordonnée une
détention provisoire, il est possible dans des circonstances particulières, où l’ordre
public est finalement en cause (infraction entraînant peine d’emprisonnement
longue), et pourvu qu’il y ait délibération spéciale la décision puisse être
immédiatement exécutée. On admettra également, à l’opposé, qu’une personne ne
puisse être maintenue en détention alors que le tribunal l’a relaxée, nonobstant l’avis
du ministère public, partie poursuivante et appelante.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 123
b) En matière civile, nous trouvons deux sources possibles au bénéfice de
l’exécution provisoire.
Nous avons en premier lieu des décisions exécutoires de plein droit. La loi déclare
que telle décision de justice, est de plein droit exécutoire nonobstant appel ou
opposition. Nous avons déjà rencontré l’exemple des ordonnances de référé, de plein
droit exécutoires en raison de la nature de l’affaire. L’exécution provisoire se justifie
par la reconnaissance, par le magistrat, d’une situation d’urgence, ou non
véritablement contentieuse. De la même façon, par exemple, la loi attache le bénéfice
de l’exécution provisoire aux décisions du conseil des prud’hommes (R.516.35). Sont
de droit exécutoires à titre provisoire les jugements...qui ordonnent à l’employeur de
remettre tel document qu’il est tenu de délivrer (certificat de travail attestation
ASSEDIC, bulletin de paye) ou qui ordonnent le payement de sommes de nature de
créance salariale (ou certaines indemnités) dans la limite de neuf mois de salaire.
Nous avons encore l’exécution provisoire des décisions fixant pension alimentaire ou
prononçant une mesure de redressement judiciaire ou de liquidation de biens.
L’intérêt général est présent (il faut, par exemple, que le commerçant en déconfiture
ne puisse continuer son exploitation) de même l’évidence (un employeur doit
remettre un certificat de travail) ou l’urgence (pension alimentaire par exemple) pour
justifier qu’il n’y a pas lieu d’attendre l’expiration des délais de recours ou la solution
définitive.
De la même façon, la juridiction saisie, appelée à rendre un jugement en premier
ressort peut, même d’office, (article 515) “ Hors les cas où elle est de droit
l’exécution provisoire peut être ordonnée à la demande des parties ou d’office
chaque fois que le juge l’estime nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire,
à condition qu’elle ne soit pas interdite par la loi ”.
Cette exécution provisoire ordonnée par le juge ne pourra être suspendue que par
le premier président de la cour d’appel saisi en référé, et dans des conditions limitées.
Ce magistrat n’a pas le pouvoir de suspendre l’exécution provisoire de plein droit
puisque là, c’est la loi qui l’accorde.
Nous avons vu que - parce qu’elle est susceptible d’être entachée d’une erreur - la
décision de justice est, sauf exceptions (arrêts et jugements en dernier ressort)
passible de la voie de l’appel. Et que l’appel est suspensif, c’est-à-dire suspensif
d’exécution.
§ II) Le caractère suspensif des voies de recours
Puisqu’est admise l’idée de l’erreur possible, il apparaît logique de suspendre
l’exécution de la décision en l’attente qu’il soit dit si oui ou non l’erreur existe. Mais
d’un autre côté, il ne faudrait pas que l’exercice d’une voie de recours soit le moyen
pour telle des parties de “gagner du temps”. Pour éviter un tel risque, nous savons
qu’existe la notion d’exécution provisoire, que nous avons déjà rencontrée.
On comprendra qu’en matière civile, si l’exécution provisoire n’a pas été
ordonnée par le premier juge, elle puisse être sollicitée pendant le temps d’instruction
de l’appel. On pourra mettre en parallèle les pouvoirs juridictionnels du juge de la
mise en état, et le pouvoir juridictionnel du conseiller chargé de la mise en état, en
cause d’appel.
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 124
Le caractère suspensif des voies de recours connaît d’autres tempéraments. On
notera ainsi qu’en matière civile (mais non pas en matière pénale) le pourvoi en
cassation n’est pas suspensif d’exécution (hormis quelques exceptions très limitées,
comme par exemple en matière de divorce). De la même façon, la tierce opposition
en matière civile ne suspend pas l’exécution contre la partie perdante.
En matière administrative, l’acte administratif est exécutoire, nonobstant le
recours du requérant (sous réserve des demandes de sursis à exécution). Il est normal
que le recours du requérant n’ait pas plus d’effet suspensif, au cas où le tribunal a
refusé d’annuler l’acte.
On conviendra également que les délais de recours étant brefs (appel 10 jours à
compter du prononcé en matière pénale, un mois en principe en matière civile à
compter de la signification, deux mois à compter de la notification en matière
administrative) le caractère suspensif d’exécution des voies de recours devrait ne pas
avoir une très grande portée. L’on devrait également théoriquement se dire, en
particulier dans l’hypothèse d’appel, que le débat s’étant au moins pour très large part
déjà tenu, les délais d’instruction de la cause devraient être brefs. Les contingences
matérielles d’encombrement des juridictions montrent - hélas - une réalité différente.
§ III) La mise à exécution forcée
A) Le principe
La décision rendue, les délais de recours passés ou les voies de recours épuisées,
la décision a vocation à avoir force de chose jugée. Elle correspond à ce qui est juste.
Il est donc logique qu’elle soit mise à exécution. Ceci étant, nous rencontrerons une
nouvelle fois l’opposition entre la décision rendue dans l’intérêt privé d’une partie,
qui ne sera mise à exécution qu’autant que celle ci est souhaitée par le bénéficiaire de
la décision, et celle rendue dans l’intérêt de la collectivité, où, sous réserve des règles
sur les aménagements de la peine, il importe que la sanction soit exécutée.
Dès lors, dans le contentieux civil, dans le contentieux de l’indemnisation de la
victime d’une infraction pénale, ou dans le cadre de la réparation du préjudice
découlant de la faute de l’administration, l’exécution sera faite à la diligence de la
partie bénéficiaire de la décision. L’intérêt étant privé, l’exécution se fera contre le
patrimoine de la personne, et non contre la personne. Nous rencontrerons dans ce
contexte les formules de saisies portant sur tel ou tel élément du patrimoine du
débiteur ; ou encore les formules affectant l’ensemble du patrimoine de la personne
débitrice (redressement judiciaire, liquidation de biens, procédure de
surendettement). On signalera la particularité de l’exécution d’une décision contre
l’administration condamnée. En effet, il n’est pas possible de saisir le patrimoine
public. Et l’on ne conçoit pas que l’Etat soit en liquidation de biens, encore moins
que la force publique agisse contre elle même ! On retiendra que la loi du 16 Juillet
1980 a limité les difficultés liées à cette insaisissabilité en déclarant l’administration
condamnée tenue de payer sous quatre mois les condamnation prononcées contre elle
et (entre autres mesures) rendant personnellement responsables les agents publics en
cas de refus de payement devant la cour de discipline budgétaire.
L’exécution en matière pénale se fera sur les diligences du parquet de la
République. Les sanctions pécuniaires (amendes) peuvent être récupérées, même par
mesure de contrainte, sur la personne du débiteur. C’est la contrainte par corps qui
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 125
garantit le payement des amendes, la peine d’emprisonnement s’exécutant dans les
maisons d’arrêt et prisons centrales.
B) L’aménagement de la décision exécutoire
Il peut apparaître curieux de penser qu’une décision de justice définitive, estimée
conforme à la vérité et exécutoire, puisse néanmoins être aménagée. Pourtant, le
temps qui passe peut être source, non pas de révision, mais d’aménagement de ce qui
a été jugé. La chose est surtout vraie en matière pénale (a). Elle se rencontre aussi en
matière civile (b). Elle n’existe pas en matière administrative : en effet, dans le
contentieux de la légalité, la décision confirme ou infirme l’acte. Dans le contentieux
de la réparation, elle alloue ou refuse. Et l’administration condamnée paye. La
décision n’a pas vocation à être aménagée. En revanche en matière pénale, la peine
prononcée n’a pas pour seule finalité que la sanction de la faute. Elle est aussi facteur
de réinsertion, de repentir ou de rédemption. Ne faut-il pas pouvoir réaménager la
peine, si les circonstances en justifient ? De même, il peut paraître illusoire en
matière civile de vouloir faire exécuter sans aménagement, sur le patrimoine de
quelqu’un qui se trouve appauvri, une condamnation civile lourde. Ces
aménagements existent-ils ? Comment les justifier ?
a) En matière pénale
Nous pouvons concevoir un rôle social à la décision de justice et donc adapter
celle ci au fur et à mesure qu’elle s’exécute. A l’opposé, la question est posée
maintenant de savoir s’il ne peut pas y avoir de décisions pénales non ré
aménageables. Le code organise le système des “périodes de sûreté” (article 720.2)
pendant lesquelles aucune mesure d’aménagement ne peut intervenir.
En matière pénale, le code donne une palette de mesures pouvant être prises pour
réaménager la peine prononcée contre la personne condamnée. Nous nous limiterons
à énoncer : la libération conditionnelle (à la moitié de la peine - article 729), les
remises de peine pour bonne conduite pendant la détention (soit trois mois sur un an),
ou pour effort sérieux de réadaptation sociale. On peut également moduler la peine
par l’allégement de son régime (la “semi-liberté”, l’exécution fractionnée, voire
l’exécution suspendue (pour motif médical), les permissions de sortie. Ces mesures
dépendent essentiellement de la compétence du juge de l’application des peines et de
la commission de l’application des peines. D’une certaine façon, les mesures
d’AMNISTIE de la peine (prise par le législateur) ou de grâce (prises par le président
de la République) sont des mesures d’aménagement de la peine, ou de disparition de
la peine prononcée et définitivement fixée.
b) en matière civile, il est également concevable de rencontrer des hypothèses
d’aménagement de la décision initialement prononcée. On citera par exemple (article
1244-1 du code civil) le “délai de grâce”. Compte tenu de la situation du débiteur et
en considération des besoins du créancier, le juge peut dans la limite de deux années,
reporter ou échelonner le payement des sommes dues. La décision rendue par le juge
suspend les mesures d’exécution engagées (ce qui traduit l’existence d’un droit à
l’exécution du créancier, suspendu par la décision du juge). Et l’on peut aussi citer
les pouvoirs du JUGE DE L’EXECUTION qui connaît des difficultés relatives aux
titres exécutoires, et des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution
forcée. On peut encore évoquer la procédure de redressement judiciaire civil pour les
personnes en état de surendettement, dans laquelle le magistrat peut prononcer la
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 126
suspension provisoire des mesures d’exécution contre le patrimoine du débiteur. De
la même façon, le magistrat peut suspendre une mesure d’expulsion d’un local
d’habitation si celle ci aurait pour la personne expulsée des conséquences d’une
exceptionnelle dureté (article 62 loi du 9.7.1991).
Tant en matière pénale qu’en matière civile, il est donc concevable, dans des cas
particuliers, d’envisager au regard de circonstances nouvelles ou d’une évolution
dans la situation de la personne concernée, un aménagement de la décision de justice
pourtant définitive. Cet aménagement viendra le plus souvent du magistrat ou d’une
autorité supérieure (législateur ou Président de la république pour l’amnistie ou la
grâce). Il n’existe que dans des circonstances très ponctuelles et limitées, et le
tempérament à la notion de force de chose jugée n’est que de relative importance.
PLAN
Introduction
TITRE I) DU LITIGE AU PROCÈS : L’ACTION EN JUSTICE
INTRODUCTION : LES COMPOSANTES DU PROCÈS
§1) Un litige pouvant servir de support au procès
A) Une prétention
a) en contentieux privé
b) en contentieux répressif
c) en contentieux public
B) Un intérêt à agir
C) Un conflit d’intérêts
D) Une référence à la règle de droit
§2) Un juge dans sa mission de juger
A) La mission de juger
B) La notion d’acte juridictionnel
1) Les analyses proposées
2) L’activité juridictionnelle des tribunaux
3) Les effets de l’acte juridictionnel
C) Une autorité habilitée à trancher le litige.
CHAPITRE I) L’ACTION EN JUSTICE
Introduction. Droit d’agir, liberté publique ou droit subjectif ?
SECTION I) LA NATURE DU DROIT D’ACTION
§1) Les différentes conceptions
A) Droit d’agir et droit substantiel
B) Droit d’agir et liberté publique
C) Droit d’agir et droit d’être entendu du juge
§2) Les solutions pratiques
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 127
SECTION II) L’EXERCICE DU DROIT D’ACTION
§1) La matérialisation formelle du droit d’agir
A) Formalisme de l’acte introductif
a) La demande commune des parties
b) La convocation par le greffe
c) Le recours à l’huissier
B) Formalisme de la convocation, et protection du défendeur.
§2) La saisine du juge
§3) Classification des types de demandes et des moyens de défense
A) Les demandes
a) En contentieux privé
b) En matière répressive
c) En matière administrative
B) Les ripostes
a) Les exceptions
b) Les fins de non-recevoir
c) Les défenses au fond
d)
Les
demandes
reconventionnelles
SECTION III) LES CONDITIONS D’EXISTENCE DE L’ACTION, LIÉES A
LA PERSONNE QUI AGIT EN JUSTICE
A) L’intérêt à agir
B) La qualité à agir
a) En contentieux privé
b) En contentieux administratif
c) En contentieux répressif.
CHAPITRE II LE LIEN D’INSTANCE
Introduction
SECTION I) PRINCIPES RELATIFS A L’ENGAGEMENT DU PROCÈS
§1) A qui appartient l’initiative procédurale ?
A) Dans le contentieux privé
a) La saisine d’office
α) La tutelle des mineurs
β) La tutelle des majeurs
γ) Le redressement judiciaire
δ) L’assistance éducative
b) L’intervention du ministère public dans le procès civil
α) L’action attitrée
β) La défense de l’ordre public
B) Dans le contentieux répressif
a) Le ministère public
b) La victime
c) Certains fonctionnaires
C) Dans le contentieux administratif
§II) Les tiers au procès
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 128
A) Le contentieux civil
a) L’intervention spontanée
b) L’intervention forcée
c) Le tiers témoin
B) Le contentieux répressif
C) Le contentieux administratif
SECTION II LA MATIÈRE DE L’INSTANCE
§1) La détermination du rôle respectif des parties et du juge, dans la
détermination des limites de l’instance
A) Les parties, le juge, le fait, le droit
a) Le contentieux privé
α) L’idée ancienne
β) La conception de Motulski
χ) La théorie du fait juridiquement qualifié
b) le contentieux pénal
c) Le contentieux administratif
B) Les parties, le juge et la preuve
a) En contentieux privé
α) Α qui incombe la charge de la preuve ?
β) A qui appartient il d’apporter la preuve ?
γ) Les preuves apportées lient-elles le juge ?
b) En contentieux pénal
α) Qui doit faire la preuve ?
β) L’appréciation de la preuve
c) Le contentieux administratif
§2 Les obligations nées du lien d’instance
A) Le respect du contradictoire dans le contentieux privé
a) Un ensemble de contraintes
α) Obligation de respecter la préparation de la défense
β) Obligation de communiquer
γ) Obligation de loyauté
b) La sanction
B) Le respect des droits de la défense dans le contentieux répressif
C) L’obligation de juger
SECTION III) LES PARTIES LE JUGE, ET LE DÉROULEMENT DE
L’INSTANCE
§1) Le temps dans la procédure
A) En contentieux privé
a) L’impossible justice expéditive
b) La sanction de l’inertie des parties
α) la caducité
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 129
β) L’absence de diligences
γ) Le calendrier de procédure
c) Le juge ne peut contraindre une partie à plaider contre sa volonté
B) Le contentieux répressif
C) Le contentieux administratif
§II) L’évidence et les procédures simplifiées
TITRE II LA MISSION DE JUGER
CHAPITRE I) LE DEVOIR DE JUGER
SECTION I) QUI JUGE ?
§1) Les frontières de l’instruction et de la phase de jugement
A) En procédure civile
B) En procédure pénale
C) En contentieux administratif
§2) Le choix du juge
A) Le choix de la juridiction
a) En contentieux privé
b) En contentieux répressif
c) En contentieux administratif
B) Le choix du magistrat
a) En contentieux privé
b) En contentieux administratif
c) En contentieux répressif
§3) Le juge à l’audience
SECTION II) L’OFFICE DU JUGE
§1) Le juge doit trancher autant que le litige est réel et toujours présent
A) la mission de concilier
B) la mission de constater l’extinction de l’instance
§2) Le juge peut être l’homme de l’urgence
§3) Le juge à l’audience
A) Procédure écrite et exposé sommaire, ou procédure orale
et plaidoiries exhaustives ?
B) Publicité ou caractère secret des débats ?
CHAPITRE II) LA DÉCISION DE JUSTICE
SECTION I) LA SOLUTION DU LITIGE
§1) Les catégories de jugements
A) En matière civile
a) jugements d’expédient et jugements de fond
b) jugements déclaratifs et jugements constitutifs
c) jugements avant dire droit et au fond
DROIT PROCESSUEL - COURS DE Mr PASCAL LABBEE PAGE N° 130
SECTION II) ERREUR JUDICIAIRE ET VÉRITÉ
SECTION III) L’EXECUTION DE LA DÉCISION DE JUSTICE
§I) L’anticipation de l’exécution de la décision de justice
A) L’exécution en l’attente d’une décision
a) En contentieux administratif
b) En contentieux répressif
c) En contentieux privé
α) Les mesures conservatoires
β) Les mesures prises en référé
B) L’exécution en l’attente de l’exercice éventuel, ou de l’issue d’une voie de
recours
a) En contentieux pénal
b) En contentieux civil
§II) Le caractère suspensif des voies de recours
§III) La mise à l’exécution forcée
A) Le principe
B) L’aménagement de la décision exécutoire
a) en matière pénale
b) en matière civile