Grands principes de Droit processuel - Institut Louis Favoreu
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Grands principes de Droit processuel - Institut Louis Favoreu
Aix-Marseille Université Faculté de Droit et de sciences politiques Master I Grands principes de Droit processuel Séances I à III Année universitaire 2015-2016 Cours de M. Schmitter G. : Maître de conférence Chargés de travaux dirigés : Collomb Jean-Baptiste Tizot Florent Séance I L’accès au juge I. La consécration du principe de l’accès au juge · CEDH, 21 fév.1975, Golder c/Royaume-Uni · CC, 21 janv. 1994, Décision n°93-335 DC I. Le contenu du principe de l’accès au juge · CEDH, 9 oct. 1979, Airey c/ Irlande · CEDH, 19 mars 1997, Hornsby c/ Grèce I. Les limites du principe de l’accès au juge · CEDH, 21 nov. 2001, Fogarty c/ Royaume-Uni · CEDH, 26 fév. 2002, Del Sol c/ France 2 EXERCICES : Vous traiterez au choix l'un des deux exercices suivants : Commentez l’arrêt : CEDH, 9 oct. 1979, Airey c/ Irlande. Soit Après avoir dégagé la portée de chaque arrêt présenté, vous effectuerez une note de synthèse d'une à deux pages, en respectant le plan de la séance; CEDH, 21 fév.1975, Golder c/Royaume-Uni (extrait) […] A. Sur le "droit d’accès" 26. La Cour rappelle que le requérant a prié le ministre de l’intérieur, le 20 mars 1970, de l’autoriser à consulter un avocat en vue d’intenter contre le gardien Laird une action en dommages-intérêts du chef de diffamation (libel) et que sa demande a été rejetée le 6 avril (paragraphes 16 et 18 ci-dessus). Si la réponse négative du ministre a eu pour conséquence immédiate d’interdire à Golder de prendre contact avec un avocat, il n’en résulte point que seule puisse se poser en l’espèce une question relative à la correspondance, à l’exclusion de tout problème d’accès aux tribunaux. Assurément, nul ne sait si le requérant aurait persisté dans son dessein d’assigner Laird en justice au cas où on lui aurait permis de consulter un avocat. En outre, les renseignements fournis à la Cour par le gouvernement donnent à penser qu’une juridiction anglaise ne débouterait pas un condamné détenu pour le seul motif qu’il aurait réussi à la saisir - par exemple en recourant aux services d’un mandataire - sans s’être muni de l’autorisation ministérielle exigée 3 par les articles 33 par. 2 et 34 par. 8 du règlement pénitentiaire de 1964, éventualité qui du reste ne s’est pas produite en l’occurrence. Il n’en demeure pas moins que Golder avait manifesté de la façon la plus claire sa volonté "d’intenter une action civile pour diffamation"; c’est dans ce but qu’il désirait se mettre en rapport avec un avocat, mesure préparatoire normale en elle-même et vraisemblablement indispensable pour lui en raison de son état de détention. En lui interdisant d’établir pareil contact, le ministre de l’intérieur a contrecarré l’introduction de l’instance envisagée. Sans dénier formellement à Golder le droit de saisir un tribunal, il l’a empêché en fait d’engager une action dès 1970. Or un obstacle de fait peut enfreindre la Convention à l’égal d’un obstacle juridique. Certes, ainsi que l’a souligné le gouvernement, le requérant aurait pu s’adresser à sa guise aux tribunaux une fois libéré, mais en mars et avril 1970 cette échéance était encore assez lointaine et une entrave à l’exercice efficace d’un droit peut porter atteinte à ce droit même si elle revêt un caractère temporaire. La Cour doit examiner, par conséquent, si l’entrave ainsi constatée a méconnu un droit garanti par la Convention et plus précisément par l’article 6 (art. 6), que le requérant a invoqué à cet égard. 27. Un point n’a pas prêté à discussion et la Cour le tient pour acquis: le "droit" dont Golder souhaitait se prévaloir contre Laird, à tort ou à raison, devant une juridiction anglaise, avait un "caractère civil" au sens de l’article 6 par. 1 (art. 61). 28. D’autre part, l’article 6 par. 1 (art. 6-1) ne proclame pas en termes exprès un droit d’accès aux tribunaux. Il énonce des droits distincts mais dérivant de la même idée fondamentale et qui, réunis, constituent un droit unique dont il ne donne pas la définition précise, au sens étroit de ces mots. Il incombe à la Cour de rechercher, par voie d’interprétation, si l’accès aux tribunaux constitue un 4 élément ou aspect de ce droit. 29. Les thèses présentées à la Cour ont porté d’abord sur la méthode à suivre pour l’interprétation de la Convention et en particulier de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). La Cour est disposée à considérer, avec le gouvernement et la Commission, qu’il y a lieu pour elle de s’inspirer des articles 31 à 33 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités. Cette convention n’est pas encore en vigueur et elle précise, en son article 4, qu’elle ne rétroagira pas, mais ses articles 31 à 33 énoncent pour l’essentiel des règles de droit international communément admises et auxquelles la Cour a déjà recouru. A ce titre, ils entrent en ligne de compte pour l’interprétation de la Convention européenne sous réserve, le cas échéant, de "toute règle pertinente de l’organisation" au sein de laquelle elle a été adoptée, le Conseil de l’Europe (article 5 de la Convention de Vienne). 30. Tel que le prévoit la "règle générale" de l’article 31 de la Convention de Vienne, le processus d’interprétation d’un traité forme un tout, une seule opération complexe; ladite règle, étroitement intégrée, place sur le même pied les divers éléments qu’énumèrent les quatre paragraphes de l’article. 31. Les termes de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention européenne, lus dans leur contexte, donnent à penser que ce droit figure parmi les garanties reconnues. 32. Les indications les plus nettes se dégagent du texte français de la première phrase. Dans le domaine des contestations civiles, chacun a droit à ce que l’instance entamée par ou contre lui se déroule d’une certaine manière "équitablement", "publiquement", "dans un délai raisonnable", etc. -, mais aussi, et d’abord, "à ce que sa cause soit entendue" non par n’importe quelle autorité, mais "par un tribunal", au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (arrêt Ringeisen du 16 juillet 1971, série A no 13, p. 39, par. 95). Le gouvernement a souligné avec 5 raison que "cause" peut signifier "procès qui se plaide" (Littré, Dictionnaire de la langue française, tome I, p. 509, 5o). Telle n’est cependant pas l’unique acception ordinaire de ce vocable: il sert également à désigner, par extension, "l’ensemble des intérêts à soutenir, à faire prévaloir" (Paul Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, tome I, p. 666, II-2o). De même, la "contestation" préexiste en général au procès et se conçoit sans lui. Quant à l’expression "tribunal indépendant et impartial établi par la loi", elle évoque l’idée d’organisation plutôt que de fonctionnement, d’institution plutôt que de procédure. De son côté, le texte anglais parle d’un "independent and impartial tribunal established by law". En outre, le membre de phrase "in the determination of his civil rights and obligations", que le gouvernement a cité à l’appui de sa thèse, ne vise pas nécessairement le seul cas d’une instance judiciaire déjà pendante: ainsi que l’a noté la Commission, il peut passer pour synonyme de "wherever his civil rights and obligations are being determined" (paragraphe 52 du rapport). Il impliquerait alors, lui aussi, le droit à ce qu’une contestation relative à des droits et obligations de caractère civil trouve sa solution (determination) devant un "tribunal". Le gouvernement a soutenu que les adverbes "équitablement" et "publiquement", l’expression "dans un délai raisonnable", la seconde phrase du paragraphe 1 (art. 6-1) ("jugement", "procès") et le paragraphe 3 de l’article 6 (art. 6-3) présupposent à l’évidence une procédure en cours devant un tribunal. Si le droit à l’équité, la publicité et la célérité de la procédure judiciaire ne peut, à coup sûr, s’appliquer qu’à une procédure engagée, il ne s’ensuit pourtant pas forcément qu’il exclue un droit à l’ouverture même de celle-ci; les délégués de la Commission ont eu raison de le souligner au paragraphe 21 de leur mémoire. En matière pénale, le "délai raisonnable" peut d’ailleurs avoir pour point de départ une date antérieure à la saisine de la juridiction de jugement, du 6 "tribunal" compétent pour décider "du bien-fondé de (l’)accusation" (arrêt Wemhoff du 27 juin 1968, série A no 7, pp. 26-27, par. 19; arrêt Neumeister du 27 juin 1968, série A no 8, p. 41, par. 18; arrêt Ringeisen du 16 juillet 1971, série A no 13, p. 45, par. 110); on conçoit aussi qu’en matière civile il puisse commencer à courir, dans certaines hypothèses, avant même le dépôt de l’acte introduisant l’instance devant le "tribunal" que le demandeur invite à trancher la "contestation". 33. Le gouvernement a insisté en outre sur la nécessité de rapprocher l’article 6 par. 1 (art. 6-1) des articles 5 par. 4 et 13 (art. 5-4, art. 13). Il a fait valoir que ces derniers consacrent expressément un droit d’accès aux tribunaux; l’absence d’une clause comparable dans l’article 6 par. 1 (art. 6-1) ne lui en paraît que plus éloquente. Il a soutenu aussi que l’on rendrait superflus les articles 5 par. 4 et 13 (art. 5-4, art. 13) si l’on interprétait l’article 6 par. 1 (art. 6-1) comme garantissant un tel droit d’accès. Les délégués de la Commission ont répondu en substance que les articles 5 par. 4 et 13 (art. 5-4, art. 13), contrairement à l’article 6 par. 1 (art. 6-1), sont "accessoires" par rapport à d’autres textes. Ils ne proclameraient pas un droit spécifique mais assortiraient de garanties procédurales, "axées sur un recours", le premier le "droit à la liberté", au sens de l’article 5 par. 1 (art. 5-1), le second l’ensemble des "droits et libertés reconnus dans la (...) Convention". L’article 6 par. 1 (art. 6-1), lui, tendrait à sauvegarder "en lui-même" le "droit à une bonne administration de la justice", dont le "droit à ce que la justice soit administrée" constituerait "un élément inhérent et essentiel". Ainsi s’expliquerait le contraste entre sa formulation et celle des articles 5 par. 4 et 13 (art. 5-4, art. 13). Ce raisonnement ne manque pas de poids bien que l’expression "droit à une bonne administration de la justice", employée à l’occasion pour sa concision et sa commodité (p. ex. dans l’arrêt Delcourt du 17 janvier 1970, série A no 11, p. 15, par. 25), ne figure pas dans le texte de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) et puisse 7 aussi se comprendre comme concernant le seul fonctionnement, non l’organisation, de la justice. La Cour constate surtout que l’interprétation combattue par le gouvernement n’amène pas à confondre l’article 6 par. 1 (art. 6-1) avec les articles 5 par. 4 et 13 (art. 5-4, art. 13), ni à priver d’objet ces deux dernières dispositions. Le "recours effectif" dont parle l’article 13 (art. 13) s’adresse à une "instance nationale" ("national authority") qui peut ne pas être un "tribunal" au sens des articles 6 par. 1 et 5 par. 4 (art. 6-1, art. 5-4); en outre, il a trait à la violation d’un droit garanti par la Convention, tandis que les articles 6 par. 1 et 5 par. 4 (art. 6-1, art. 5-4) visent des contestations relatives, pour le premier, à l’existence ou l’étendue de droits de caractère civil et, pour le second, à la légalité d’une arrestation ou détention. Qui plus est, les trois clauses n’ont pas le même domaine. La notion de "droits et obligations de caractère civil" (article 6 par. 1) (art. 6-1) ne coïncide pas avec celle de "droits et libertés reconnus dans la (...) Convention" (article 13) (art. 13), même s’il peut y avoir entre elles des chevauchements. Quant au "droit à la liberté" (article 5) (art. 5), son "caractère civil" prête pour le moins à discussion (arrêt Neumeister du 27 juin 1968, série A no 8, p. 43, par. 23; arrêt Matznetter du 10 novembre 1969, série A no 10, p. 35, par. 13; arrêt De Wilde, Ooms et Versyp du 18 juin 1971, série A no 12, p. 44, par. 86). Au demeurant, les exigences de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) apparaissent à certains égards plus strictes que celles de l’article 6 par. 1 (art. 61), notamment en matière de "délai". 34. Ainsi que le précise l’article 31 par. 2 de la Convention de Vienne, le préambule d’un traité forme partie intégrante du contexte. En outre, il offre d’ordinaire une grande utilité pour la détermination de l’"objet" et du "but" de l’instrument à interpréter. En l’espèce, le passage le plus significatif du préambule de la Convention européenne est celui où les gouvernements signataires s’affirment "résolus, en 8 tant que gouvernements d’États européens animés d’un même esprit et possédant un patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit, à prendre les premières mesures propres à assurer la garantie collective de certains des droits énoncés dans la Déclaration Universelle" du 10 décembre 1948. Pour le gouvernement, cet alinéa illustre le "processus sélectif" suivi par les rédacteurs: la Convention ne chercherait pas à protéger les Droits de l’Homme en général, mais uniquement "certains des droits énoncés dans la Déclaration Universelle". Les articles 1 et 19 (art. 1, art. 19) iraient dans le même sens. Quant à elle, la Commission attribue beaucoup d’importance aux mots "prééminence du droit"; d’après elle, ils éclairent l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le caractère "sélectif" de la Convention ne saurait prêter à contestation. On peut aussi admettre, avec le gouvernement, que le préambule n’inclut par la prééminence du droit dans l’objet et le but de la Convention, mais la désigne comme l’un des éléments du patrimoine spirituel commun aux Etats membres du Conseil de l’Europe. La Cour estime pourtant, avec la Commission, que l’on aurait tort de voir dans cette mention un simple "rappel plus ou moins rhétorique", dépourvu d’intérêt pour l’interprète de la Convention. Si les gouvernements signataires ont décidé de "prendre les premières mesures propres à assurer la garantie collective de certains des droits énoncés dans la Déclaration Universelle", c’est en raison notamment de leur attachement sincère à la prééminence du droit. Il paraît à la fois naturel et conforme au principe de la bonne foi (article 31 par. 1 de la Convention de Vienne) d’avoir égard à ce motif, hautement proclamé, en interprétant les termes de l’article 6 par. 1 (art. 61) dans leur contexte et à la lumière de l’objet et du but de la Convention. Il en est d’autant plus ainsi que le Statut du Conseil de l’Europe, organisation dont est membre chacun des États parties à la Convention (article 66 de celle-ci) 9 (art. 66), se réfère à deux reprises à la prééminence du droit: une première fois dans le préambule, où les gouvernements signataires proclament leur inébranlable attachement à ce principe, et une seconde fois dans l’article 3, aux termes duquel "tout Membre du Conseil (...) reconnaît le principe de la prééminence du droit (...)". Or en matière civile la prééminence du droit ne se conçoit guère sans la possibilité d’accéder aux tribunaux. 35. En son paragraphe 3 c), l’article 31 de la Convention de Vienne invite à tenir compte, en même temps que du contexte, "de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties". Parmi ces règles figurent des principes généraux de droit, notamment des "principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées" (article 38 par. 1 c) du Statut de la Cour internationale de Justice); la Commission juridique de l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe a d’ailleurs prévu, en août 1950, "que la Commission et la Cour (devraient) nécessairement appliquer de tels principes" dans l’accomplissement de leurs tâches; en conséquence, elle a "jugé inutile" de le spécifier par une clause de la Convention (Assemblée consultative, document de séance de la session de 1950, tome III, no 93, p. 982, par. 5). Le principe selon lequel une contestation civile doit pouvoir être portée devant un juge compte au nombre des principes fondamentaux de droit universellement reconnus; il en va de même du principe de droit international qui prohibe le déni de justice. L’article 6 par. 1 (art. 6-1) doit se lire à leur lumière. Si ce texte passait pour concerner exclusivement le déroulement d’une instance déjà engagée devant un tribunal, un État contractant pourrait, sans l’enfreindre, supprimer ses juridictions ou soustraire à leur compétence le règlement de certaines catégories de différends de caractère civil pour le confier à des organes dépendant du gouvernement. Pareilles hypothèses, inséparables d’un risque 10 d’arbitraire, conduiraient à de graves conséquences contraires auxdits principes et que la Cour ne saurait perdre de vue (arrêt Lawless du 1er juillet 1961, série A no 3, p. 52, et arrêt Delcourt du 17 janvier 1970, série A no 11, p. 14, dernier alinéa). Aux yeux de la Cour, on ne comprendrait pas que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) décrive en détail les garanties de procédure accordées aux parties à une action civile en cours et qu’il ne protège pas d’abord ce qui seul permet d’en bénéficier en réalité: l’accès au juge. Équité, publicité et célérité du procès n’offrent point d’intérêt en l’absence de procès. 36. De l’ensemble des considérations qui précèdent, il ressort que le droit d’accès constitue un élément inhérent au droit qu’énonce l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Il ne s’agit pas là d’une interprétation extensive de nature à imposer aux États contractants de nouvelles obligations: elle se fonde sur les termes mêmes de la première phrase de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), lue dans son contexte et à la lumière de l’objet et du but de ce traité normatif qu’est la Convention (arrêt Wemhoff du 27 juin 1968, série A no 7, p. 23, par. 8), ainsi que de principes généraux de droit. La Cour arrive ainsi, sans devoir recourir à des "moyens complémentaires d’interprétation" au sens de l’article 32 de la Convention de Vienne, à la conclusion que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) garantit à chacun le droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. Il consacre de la sorte le "droit à un tribunal", dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir le tribunal en matière civile, ne constitue qu’un aspect. A cela s’ajoutent les garanties prescrites par l’article 6 par. 1 (art. 6-1) quant à l’organisation et à la composition du tribunal et quant au déroulement de l’instance. Le tout forme en bref le droit à un procès équitable; la Cour n’a pas à rechercher en l’espèce si et dans quelle mesure l’article 6 par. 1 (art. 6-1) exige en outre une décision sur le fond même de la contestation 11 ("décidera", "determination"). B. Sur les "limitations implicites" 37. L’entrave constatée au paragraphe 26 ci-dessus ayant porté sur un droit garanti par l’article 6 par. 1 (art. 6-1), il reste à déterminer si elle ne se justifiait pas néanmoins par quelque limitation légitime à la jouissance ou à l’exercice de ce droit. 38. La Cour estime, en accord avec la Commission et avec la thèse subsidiaire du gouvernement, que le droit d’accès aux tribunaux n’est pas absolu. S’agissant d’un droit que la Convention reconnaît (cf. les articles 13, 14, 17 et 25) (art. 13, art. 14, art. 17, art. 25) sans le définir au sens étroit du mot, il y a place, en dehors des limites qui circonscrivent le contenu même de tout droit, pour des limitations implicitement admises. La première phrase de l’article 2 du Protocole additionnel du 20 mars 1952 (P12), qui se borne à disposer que "nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction", soulève un problème comparable. Dans son arrêt du 23 juillet 1968 sur le fond de l’affaire relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique, la Cour a jugé ce qui suit: "Le droit à l’instruction (...) appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, réglementation qui peut varier dans le temps et dans l’espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et des individus. Il va de soi qu’une telle réglementation ne doit jamais entraîner d’atteinte à la substance de ce droit, ni se heurter à d’autres droits consacrés par la Convention." (série A no 6, p. 32, par. 5) Ces considérations valent à plus forte raison pour un droit qui, à la différence du droit à l’instruction, n’est pas mentionné en termes exprès. 39. Gouvernement et Commission ont cité des exemples de règles, et notamment 12 de limitations, que l’on rencontre dans le droit interne des États en matière d’accès aux tribunaux, telles celles qui concernent les mineurs et les aliénés. Bien que moins fréquente et d’un type très différent, la restriction dont se plaint le requérant constitue un autre exemple de pareille limitation. La Cour n’a pas à échafauder une théorie générale des limitations admissibles dans le cas de condamnés détenus, ni même à statuer in abstracto sur la compatibilité des articles 33 par. 2, 34 par. 8 et 37 par. 2 des Prison Rules de 1964 avec la Convention. Saisie d’une affaire qui tire son origine d’une requête individuelle, elle ne se trouve appelée à se prononcer que sur le point de savoir si l’application de ces articles en l’espèce a enfreint ou non la Convention au détriment du requérant (arrêt de Becker du 27 mars 1962, série A no 4, p. 26). 40. À cet égard, la Cour se borne à souligner ce qui suit. En priant le ministre de l’intérieur de le laisser consulter un avocat en vue d’assigner Laird en justice, Golder cherchait à se faire innocenter d’une accusation portée contre lui par ce gardien le 25 octobre 1969 et qui avait entraîné pour lui des conséquences pénibles dont certaines n’avaient pas encore disparu au 20 mars 1970 (paragraphes 12, 15 et 16 ci-dessus). En outre, l’action projetée aurait eu trait à un incident relatif à la vie en prison, survenu pendant la détention du requérant. Enfin, elle se fût dirigée contre un membre du personnel pénitentiaire qui avait lancé ladite accusation dans l’accomplissement de ses fonctions et qui relevait de l’autorité du ministre. Dans ces conditions, Golder pouvait légitimement vouloir prendre contact avec un avocat afin de s’adresser à une juridiction. Le ministre n’avait pas à apprécier lui-même les chances de succès de l’action envisagée; il appartenait à un tribunal indépendant et impartial de décider éventuellement. En répondant qu’il ne croyait pas devoir accorder la permission sollicitée, le ministre a méconnu dans la personne du requérant le droit de saisir un tribunal, tel que le garantit 13 l’article 6 par. 1 (art. 6-1). […] CC, 21 janv. 1994, Décision n°93-335 DC |Vu la Constitution ; Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ; Vu la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 modifiée relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions ; Vu la loi n° 83-636 du 13 juillet 1983 modifiée portant modification du statut des agglomérations nouvelles ; Vu la loi n° 93122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques ; Vu le code de l'urbanisme ; Vu le code de la construction et de l'habitation ; 1. Considérant que les députés auteurs de la saisine contestent la conformité à la Constitution des articles 3, 6, 7, 8, 11, 12, 16, 22 et 23 de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel ; - SUR L'ARTICLE 3 DE LA LOI : 2. Considérant que cet article introduit notamment au code de l'urbanisme un article L. 600-1 qui prive les requérants de la faculté d'invoquer par voie d'exception devant les juridictions administratives l'illégalité pour vice de procédure ou de forme, des schémas directeurs, des plans d'occupation des sols ou des documents d'urbanisme en tenant lieu ainsi que des actes prescrivant l'élaboration ou la révision d'un document d'urbanisme ou créant une zone d'aménagement concerté, après l'expiration d'un délai de six mois à compter de la date de prise d'effet du document en cause ; que les dispositions de l'article L. 600-1 susvisé, précisent cependant que ces restrictions ne sont pas applicables en cas d'absence de mise à disposition du public des schémas directeurs, en cas de méconnaissance substantielle ou de violation des règles de l'enquête publique 14 sur les plans d'occupation des sols, ou enfin en cas d'absence du rapport de présentation ou des documents graphiques ; 3. Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que les restrictions ainsi apportées à la possibilité d'exciper de l'illégalité externe d'un acte administratif portent au principe de légalité une atteinte manifestement excessive qui n'est au surplus justifiée par aucune considération d'intérêt général ; qu'ils font valoir que les obligations de l'État de veiller au respect des intérêts nationaux par les collectivités territoriales, résultant de l'article 72 de la Constitution, sont méconnues ; que seraient de même méconnues les stipulations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du Traité sur l'Union européenne qui garantissent l'accès à la justice ; qu'enfin les saisissants exposent que la garantie des droits prévue à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen n'est pas assurée, dès lors que les dispositions en cause ont pour effet de pérenniser des règlements illégaux ; 4. Considérant que la restriction apportée par les dispositions contestées est limitée à certains actes relevant du seul droit de l'urbanisme ; qu'elle a été justifiée par le législateur eu égard à la multiplicité des contestations de la légalité externe de ces actes ; qu'en effet, le législateur a entendu prendre en compte le risque d'instabilité juridique en résultant, qui est particulièrement marqué en matière d'urbanisme, s'agissant des décisions prises sur la base de ces actes ; qu'il a fait réserve des vices de forme ou de procédure qu'il a considérés comme substantiels ; qu'il a maintenu un délai de six mois au cours duquel toute exception d'illégalité peut être invoquée ; que les dispositions qu'il a prises n'ont ni pour objet ni pour effet de limiter la possibilité ouverte à tout requérant de demander l'abrogation d'actes réglementaires illégaux ou devenus illégaux et de former des recours pour excès de pouvoir contre d'éventuelles décisions de refus explicites ou implicites ; que dès lors il n'est pas porté d'atteinte substantielle au droit des intéressés d'exercer des recours ; qu'ainsi le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen manque en fait ; 5. Considérant 15 que les dispositions ci-dessus analysées ne sauraient être regardées comme de nature à porter atteinte aux prérogatives de l'État énoncées à l'alinéa 3 de l'article 72 de la Constitution en vertu duquel "Dans les départements et les territoires, le délégué du Gouvernement a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois" ; 6. Considérant enfin que l'appréciation de la constitutionnalité des dispositions que le législateur estime devoir prendre ne saurait être tirée de la conformité de la loi avec les stipulations d'un traité ou d'une convention internationale, mais résulte de la confrontation de la loi avec les seules exigences de caractère constitutionnel ; 7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les griefs invoqués à l'encontre de l'article 3 de la loi doivent être écartés ; - SUR L'ARTICLE 6 DE LA LOI : 8. Considérant que les auteurs de la saisine se bornent à contester les dispositions du I B et celles du III B de l'article 6 ; que les dispositions du I B valident les permis de construire délivrés avant la publication du décret d'application du 6ème alinéa de l'article L. 421-2 du code de l'urbanisme, en tant que le projet architectural accompagnant la demande de permis ne satisferait pas aux obligations posées par cet alinéa concernant l'insertion dans l'environnement des constructions envisagées ; que les dispositions du III B valident les actes réglementaires et non réglementaires relatifs aux actions et opérations d'aménagement pris, dans le cadre de procédures d'amélioration et de réhabilitation de l'habitat existant, avant l'entrée en vigueur de la loi, sur le fondement de l'article L. 300-5 du code de l'urbanisme en tant que ces actes auraient été adoptés sans élaboration préalable du programme de référence mentionné audit article ; 9. Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que les dispositions susanalysées comporteraient la validation d'actes administratifs annulés par des décisions de justice passées en force de chose jugée, et méconnaîtraient ainsi les principes constitutionnels de séparation des pouvoirs et de garantie des droits ; 10. Considérant que rien dans le texte de la loi ne permet d'inférer que lesdites dispositions auraient pour objet ou pour effet de valider des actes ayant été 16 annulés par des décisions de justice passées en force de chose jugée ; que par suite le grief doit être écarté ; - SUR L'ARTICLE 7 DE LA LOI : 11. Considérant que l'article 7 de la loi a pour objet de compléter l'article L. 145-5 du code de l'urbanisme relatif à la protection des rives des plans d'eau naturels ou artificiels d'une superficie inférieure à 1 000 M² ; qu'en l'état de la législation, l'article L. 145-5 précité prévoit, lorsqu'un document d'urbanisme est établi, des possibilités d'adaptation pour permettre à titre exceptionnel la délimitation en bordure de ces plans d'eau de hameaux nouveaux intégrés à l'environnement ; que les dispositions contestées ont pour objet de permettre également aux ministres chargés de l'urbanisme et de l'environnement d'autoriser, à titre exceptionnel et après avis de la commission départementale des sites, une opération d'urbanisation intégrée à l'environnement dont la surface de plancher hors oeuvre nette n'excède pas 30 000 M² et qui est implantée sur les rives d'un plan d'eau artificiel existant à la date de publication de la loi ; 12. Considérant que les députés auteurs de la saisine soutiennent que ces dispositions, introduites par voie d'amendement, d'une part, sont sans lien avec les dispositions du projet de loi, et d'autre part, ont pour objet de valider un acte administratif annulé par une décision du Conseil d'État, statuant au contentieux, en violation des principes constitutionnels de séparation des pouvoirs et de garantie des droits ; qu'ils font par ailleurs valoir que ces dispositions sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation et de détournement de pouvoir ; 13. Considérant que les dispositions en cause portent modification du code de l'urbanisme et ont pour objet de faciliter la réalisation d'opérations d'urbanisation ; qu'elles ne sauraient par suite être regardées comme sans lien avec le projet de loi initial dont l'objectif était l'adaptation des règles d'urbanisme en vue de contribuer à la relance de la construction ; 14. Considérant qu'il était loisible au législateur d'adapter les règles d'urbanisme applicables en zone de montagne en conférant à l'autorité administrative la possibilité d'autoriser, à titre exceptionnel, l'implantation d'une opération d'urbanisme sur les rives de plans d'eau artificiels 17 ; que les dispositions contestées ne procèdent pas à la validation d'une autorisation d'urbanisme annulée par une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée ; que par suite les griefs sus-évoqués doivent être écartés ; - SUR L'ARTICLE 8 DE LA LOI : 15. Considérant que l'article 8 tend à compléter l'article L. 146-8 du code de l'urbanisme, pour permettre aux ministres chargés de l'urbanisme et de l'environnement d'autoriser conjointement à titre exceptionnel l'installation de stations d'épuration d'eaux usées avec rejet en mer non liées à une opération d'urbanisation nouvelle en zone littorale par dérogation aux dispositions du chapitre VI du titre IV du Livre Ier du code de l'urbanisme ; 16. Considérant que les députés saisissants invoquent l'inconstitutionnalité de cet article, en présentant des moyens identiques à ceux articulés à l'encontre de l'article 7 ; 17. Considérant que les dispositions en cause portent modification du code de l'urbanisme et ont pour objet de faciliter la réalisation d'ouvrages d'intérêt public ; qu'elles ne sauraient par suite être regardées comme sans lien avec le projet de loi initial dont l'objectif était l'adaptation des règles d'urbanisme en vue de contribuer à la relance de la construction ; 18. Considérant qu'il était loisible au législateur d'introduire des dispositions dérogatoires au code de l'urbanisme pour autoriser, à titre exceptionnel, l'installation de certains ouvrages dans certaines zones du territoire ; que les dispositions contestées ne procèdent pas à la validation d'une autorisation d'urbanisme annulée par une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée ; que par suite les griefs sus-évoqués doivent être écartés ; - SUR L'ARTICLE 10 DE LA LOI : 19. Considérant que les dispositions de l'article 10 de la loi modifient les règles contentieuses concernant la contestation par les personnes physiques ou morales des actes des collectivités territoriales qui sont de nature à les léser ; qu'en vertu de ces dispositions, les demandes tendant à ce que le représentant de l'État exerce le contrôle de légalité selon les modalités prévues par la loi du 2 mars 1982 susvisée ne peuvent avoir pour effet de prolonger le délai de recours contentieux dont dispose la personne lésée ; 20. 18 Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles 39, 44 et 45 de la Constitution que le droit d'amendement, qui est le corollaire de l'initiative législative, peut, sous réserve des limitations posées aux troisième et quatrième alinéas de l'article 45, s'exercer à chaque stade de la procédure législative ; que, toutefois, les adjonctions ou modifications apportées au texte en cours de discussion ne sauraient, sans méconnaître les articles 39, alinéa 1, et 44, alinéa 1, de la Constitution ni être sans lien avec ce dernier, ni dépasser par leur objet et leur portée les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement qui relève d'une procédure spécifique ; 21. Considérant que l'article 10 de la loi, dont la portée n'est pas limitée au contentieux en matière d'urbanisme, modifie l'équilibre général sur lequel repose le contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales que le représentant de l'État est tenu d'assurer en vertu du troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution ; qu'en raison tant de son champ d'application que de son objet, cet article, introduit par voie d'amendement, ne peut être regardé comme ayant un lien avec le texte du projet de loi en discussion ; que dès lors il y a lieu pour le Conseil Constitutionnel de décider que l'article 10 n'a pas été adopté selon une procédure régulière et qu'il n'est, par suite, pas conforme à la Constitution ; - SUR LES ARTICLES 11 ET 12 DE LA LOI : 22. Considérant que l'article 11 a pour objet de proroger d'un an le délai de validité des permis de construire et des arrêtés de lotir arrivant à échéance entre la date de la publication de la loi et le 31 décembre 1994 ; que l'article 12 aménage le régime de contributions prévues par le code général des impôts au titre des autorisations d'urbanisme visées à l'article 11 pour lesquelles aucun commencement d'exécution des travaux autorisés n'a eu lieu, par un versement en deux fractions égales exigibles respectivement trente et quarantehuit mois à compter de la délivrance de l'autorisation ; 23. Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que les dispositions de l'article 11 autorisent des dérogations manifestement injustifiées par un intérêt général et que celles de l'article 12 en sont indissociables ; 24. Considérant que ces dispositions ne 19 mettent en cause aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle ; que le grief doit par suite être écarté ; - SUR L'ARTICLE 16 DE LA LOI : 25. Considérant que le 1er alinéa de l'article 16 tend à abroger l'article 51 de la loi susvisée du 29 janvier 1993 qui impose aux collectivités locales, à leurs groupements et à leurs établissements publics, ainsi qu'à leurs concessionnaires ou sociétés d'économie mixtes locales, l'obligation de procéder à la publicité préalable, à peine de nullité d'ordre public, de toute vente à des personnes privées de terrains constructibles ou de droits de construire ; que le second alinéa de l'article 16 a pour objet de valider les ventes de terrains constructibles et de droits à construire intervenues entre la date de publication de la loi du 29 janvier 1993 et la date d'entrée en vigueur de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel, en tant qu'elles n'auraient pas satisfait aux formalités de publicité prévues à l'article 51 précité ; 26. Considérant que les députés auteurs de la saisine soutiennent que ces dispositions méconnaîtraient un principe de transparence ainsi que le droit des électeurs à l'information sur les activités publiques des élus locaux ; qu'ils font valoir que la validation qu'elles comportent serait en outre inconstitutionnelle pour des motifs de même nature que ceux déjà invoqués par eux à propos des articles 6, 7 et 8 ci-dessus analysés ; 27. Considérant en premier lieu que la transparence des activités publiques ou exercées pour le compte de personnes publiques ne constitue pas en elle-même un principe général à valeur constitutionnelle ; que, si aux termes de l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen "tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique,... d'en suivre l'emploi...", l'abrogation par le législateur de la règle antérieurement prévue par l'article 51 de la loi ne porte pas à cette disposition d'atteinte de nature à la priver des garanties qu'elle comporte ; 28. Considérant en second lieu que la validation prévue par la disposition contestée ne saurait s'appliquer à des actes qui auraient été annulés par des décisions de justice passées en force de chose jugée ; 29. Considérant qu'il résulte de ce qui 20 précède que l'article 16 de la loi n'est pas contraire à la Constitution ; - SUR L'ARTICLE 22 DE LA LOI : 30. Considérant que l'article 22 de la loi dispose d'une part, pour l'application des articles L. 441-3 et L. 442-2 du code de la construction et de l'habitation, que le représentant de l'État compétent, entre le 1er janvier 1987 et le 31 décembre 1993, pour recevoir des organismes d'habitations à loyer modéré les barèmes de supplément de loyer et les délibérations relatives aux loyers est le représentant de l'État dans le département siège de l'organisme ; que ledit article prévoit d'autre part la validation, dans les conditions déterminées par les articles L. 441-3 et L. 442-12 du code de la construction et de l'habitation, des barèmes de supplément de loyer et des délibérations des organismes d'habitations à loyer modéré relatives aux loyers qui ont été transmis au préfet du département siège de l'organisme, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée ; 31. Considérant que les saisissants soutiennent que ces dispositions résultent d'un amendement soumis à l'Assemblée nationale qui serait sans lien avec le texte du projet de loi ; 32. Considérant que l'effort de construction des organismes d'habitations à loyer modéré dépend notamment de la perception des loyers ; qu'en adoptant avec effet rétroactif les dispositions contestées le législateur a entendu éviter que ne se développent des contestations dont l'aboutissement aurait pu entraîner des conséquences préjudiciables à l'effort de construction des organismes d'habitations à loyer modéré ; que dès lors les dispositions contestées ne peuvent être regardées comme sans lien avec le texte du projet de loi ; - SUR L'ARTICLE 23 DE LA LOI : 33. Considérant que l'article 23 a pour objet de modifier l'article 14 de la loi susvisée du 13 juillet 1983 portant modification du statut des agglomérations nouvelles, en précisant que les représentants au sein du comité du syndicat des conseils municipaux des communes constituant l'agglomération nouvelle doivent être élus au sein de ces conseils ; 34. Considérant que les députés soutiennent que cet article, introduit par voie d'amendement à l'Assemblée nationale, est sans lien avec le texte du 21 projet de loi présenté par le Gouvernement ; 35. Considérant que si les syndicats d'agglomération nouvelle ont, parmi d'autres attributions, compétence en matière d'urbanisme, la disposition contestée a trait exclusivement à la désignation des membres de leur organe délibérant ; qu'elle ne saurait être rattachée aux dispositions du projet initial concernant l'urbanisme et la construction, et doit par suite être regardée comme sans lien avec ce projet ; qu'il y a lieu dès lors de décider qu'elle a été adoptée selon une procédure irrégulière et n'est, par suite, pas conforme à la Constitution ; 36. Considérant qu'en l'espèce il n'y a pas lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office d'autres questions de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumises à son examen ; Décide : Article premier : Sont déclarés contraires à la Constitution les articles 10 et 23 de la loi portant diverses dispositions en matière d'urbanisme et de construction. Article 2 : La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française. Journal officiel du 26 janvier 1994, p. 1382 Recueil, p. 40 22 CEDH, 9 oct. 1979, Airey c/ Irlande (extrait) […] II. SUR L’ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1) CONSIDERE ISOLEMENT 20. L’article 6 par. 1 (art. 6-1) se lit ainsi: "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice." Mme Airey se réfère à l’arrêt Golder du 21 février 1975 (série A no 18), dans lequel la Cour a interprété ce texte comme consacrant le droit d’accès à un tribunal en vue d’une décision sur des droits et obligations de caractère civil; parce que les frais prohibitifs d’un procès l’auraient empêchée de saisir la High Court pour demander une séparation judiciaire, il y aurait eu violation de la clause précitée. La Commission unanime souscrit en substance à cette thèse que combat le Gouvernement. 21. La requérante désire obtenir un jugement de séparation de corps. L’issue 23 d’une instance engagée à cette fin étant sans nul doute "déterminante pour des droits et obligations de caractère privé", donc a fortiori "de caractère civil" au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), ce dernier s’applique en l’espèce (arrêt König du 28 juin 1978, série A no 27, pp. 30 et 32, paras. 90 et 95); la question n’a d’ailleurs pas prêté à controverse devant la Cour. 22. "L’article 6 par. 1 (art. 6-1) garantit à chacun le droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil" (arrêt Golder précité, p. 18, par. 36). Il comprend donc le droit, pour Mme Airey, d’avoir accès à la High Court pour réclamer une séparation judiciaire. 23. Il convient d’examiner à ce stade la thèse du Gouvernement d’après laquelle l’intéressée n’a rien à gagner à pareille séparation (paragraphe 19 b) ci-dessus). La Cour rejette cette manière de raisonner. La séparation judiciaire constitue un remède prévu par la législation irlandaise et doit, à ce titre, s’offrir à quiconque remplit les conditions fixées par celle-ci. Le choix de la voie de droit à utiliser dépend de l’individu; partant, même s’il était exact que Mme Airey ait opté pour un recours moins approprié que d’autres à sa situation personnelle, cela demeurerait sans conséquence. 24. Selon le Gouvernement, la requérante a bien accès à la High Court puisqu’il lui est loisible de s’adresser à elle sans l’assistance d’un homme de loi. La Cour ne considère pas cette ressource comme décisive en soi. La Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs (voir, mutatis mutandis, l’arrêt du 23 juillet 1968 en l’affaire "linguistique belge", série A no 6, p. 31, paras. 3 in fine et 4; l’arrêt Golder précité, p. 18, par. 35 in fine; l’arrêt Luedicke, Belkacem et Koç, du 28 novembre 1978, série A no 29, pp. 17-18, par. 42; l’arrêt Marckx du 13 juin 1979, série A no 31, p. 15, par. 31). La remarque vaut en particulier pour le droit d’accès aux tribunaux, eu égard à la place éminente que le droit à un procès 24 équitable occupe dans une société démocratique (cf., mutatis mutandis, l’arrêt Delcourt du 17 janvier 1970, série A no 11, pp. 14-15, par. 25). Il faut donc rechercher si la comparution devant la High Court sans l’assistance d’un conseil serait efficace, en ce sens que Mme Airey pourrait présenter ses arguments de manière adéquate et satisfaisante. Gouvernement et Commission ont exposé à ce sujet des vues contradictoires lors des audiences. La Cour estime certain que la requérante se trouverait désavantagée si son époux était représenté par un homme de loi et elle non. En dehors même de cette hypothèse, elle ne croit pas réaliste de penser que l’intéressée pourrait défendre utilement sa cause dans un tel litige, malgré l’aide que le juge - le Gouvernement le souligne - prête aux parties agissant en personne. En Irlande un jugement de séparation de corps ne s’obtient pas devant un tribunal d’arrondissement, où la procédure est relativement simple, mais devant la High Court. Un spécialiste du droit irlandais de la famille, M. Alan J. Shatter, voit dans cette juridiction la moins accessible de toutes en raison non seulement du niveau fort élevé des honoraires à verser pour s’y faire représenter, mais aussi de la complexité de la procédure à suivre pour introduire une action, en particulier sur requête (petition) comme ici (Family Law in the Republic of Ireland, Dublin 1977, p. 21). En outre pareil procès, indépendamment des problèmes juridiques délicats qu’il comporte, exige la preuve d’un adultère, de pratiques contre nature ou, comme en l’occurrence, de cruauté; pour établir les faits, il peu y avoir lieu de recueillir la déposition d’experts, de rechercher des témoins, de les citer et de les interroger. De surcroît, les différends entre conjoints suscitent souvent une passion peu compatible avec le degré d’objectivité indispensable pour plaider en justice. 25 Pour ces motifs, la Cour estime très improbable qu’une personne dans la situation de Mme Airey (paragraphe 8 ci-dessus) puisse défendre utilement sa propre cause. Les réponses du Gouvernement aux questions de la Cour corroborent cette opinion: elles révèlent que dans chacune des 255 instances en séparation de corps engagées en Irlande de janvier 1972 à décembre 1978, sans exception, un homme de loi représentait le demandeur (paragraphe 11 cidessus). La Cour en déduit que la possibilité de comparaître en personne devant la High Court n’offre pas à la requérante un droit effectif d’accès et, partant, ne constitue pas non plus un recours interne dont l’article 26 (art. 26) exige l’épuisement (paragraphe 19 b) ci-dessus). 25. Le Gouvernement essaie de différencier la présente espèce de l’affaire Golder. Dans cette dernière, souligne-t-il, le requérant avait été empêché de saisir un tribunal par un "obstacle positif" dressé sur son chemin par l’État: le ministre de l’intérieur lui avait interdit de consulter un avocat. Ici, au contraire, il n’existerait de la part de l’État ni "obstacle positif" ni tentative d’entrave: le défaut allégué d’accès à la justice ne découlerait d’aucune initiative des autorités, mais uniquement de la situation personnelle de Mme Airey, dont on ne saurait tenir l’Irlande pour responsable sur le terrain de la Convention. Cette dissemblance entre les circonstances des deux causes est indéniable, mais la Cour n’approuve pas la conclusion qu’en tire le Gouvernement. Tout d’abord, un obstacle de fait peut enfreindre la Convention à l’égal d’un obstacle juridique (arrêt Golder précité, p. 13, par. 26). En outre, l’exécution d’un engagement assumé en vertu de la Convention appelle parfois des mesures positives de l’État; en pareil cas, celui-ci ne saurait se borner à demeurer passif et "il n’y a (...) pas lieu de distinguer entre actes et omissions" (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Marckx précité, p. 15, par. 31, et l’arrêt De Wilde, Ooms et Versyp du 10 mars 1972, série A no 14, p. 10, par. 22). Or l’obligation d’assurer un droit 26 effectif d’accès à la justice se range dans cette catégorie d’engagements. 26. Le Gouvernement appuie son argument principal sur ce qu’il considère comme les conséquences de l’avis de la Commission: dans chaque contestation relative à un "droit de caractère civil", l’État devrait fournir une aide judiciaire gratuite. Or la seule clause de la Convention qui régisse expressément cette dernière question, l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c), concerne les procédures pénales et s’accompagne elle-même de restrictions; au surplus, d’après la jurisprudence constante de la Commission nul droit à une aide judiciaire gratuite ne se trouve en soi garanti par l’article 6 par. 1 (art. 6-1). En ratifiant la Convention, ajoute le Gouvernement, l’Irlande a formulé une réserve à l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) pour réduire ses obligations dans le domaine de l’aide judiciaire en matière pénale; a fortiori, on ne saurait selon lui prétendre qu’elle ait tacitement accepté d’octroyer une aide judiciaire illimitée dans les litiges civils. Enfin, il ne faut pas d’après lui interpréter la Convention de manière à réaliser dans un État contractant des progrès économiques et sociaux; ils ne peuvent être que graduels. La Cour n’ignore pas que le développement des droits économiques et sociaux dépend beaucoup de la situation des États et notamment de leurs finances. D’un autre côté, la Convention doit se lire à la lumière des conditions de vie d’aujourd’hui (arrêt Marckx précité, p. 19, par. 41), et à l’intérieur de son champ d’application elle tend à une protection réelle et concrète de l’individu (paragraphe 24 ci-dessus). Or si elle énonce pour l’essentiel des droits civils et politiques, nombre d’entre eux ont des prolongements d’ordre économique ou social. Avec la Commission, la Cour n’estime donc pas devoir écarter telle ou telle interprétation pour le simple motif qu’à l’adopter on risquerait d’empiéter sur la sphère des droits économiques et sociaux; nulle cloison étanche ne sépare celle-ci du domaine de la Convention. La Cour ne partage pas davantage l’opinion du Gouvernement sur les 27 conséquences de l’avis de la Commission. On aurait tort de généraliser la conclusion selon laquelle la possibilité de comparaître en personne devant la High Court n’offre pas à Mme Airey un droit effectif d’accès; elle ne vaut pas pour tous les cas concernant des "droits et obligations de caractère civil", ni pour tous les intéressés. Dans certaines hypothèses, la faculté de se présenter devant une juridiction, fût-ce sans l’assistance d’un conseil, répond aux exigences de l’article 6 par. 1 (art. 6-1); il se peut qu’elle assure parfois un accès réel même à la High Court. En vérité, les circonstances jouent ici un rôle important. En outre l’article 6 par. 1 (art. 6-1), s’il garantit aux plaideurs un droit effectif d’accès aux tribunaux pour les décisions relatives à leurs "droits et obligations de caractère civil", laisse à l’État le choix des moyens à employer à cette fin. L’instauration d’un système d’aide judiciaire - envisagée à présent par l’Irlande pour les affaires ressortissant au droit de la famille (paragraphe 11 ci-dessus) en constitue un, mais il y en a d’autres, par exemple une simplification de la procédure. Quoi qu’il en soit, il n’appartient pas à la Cour de dicter les mesures à prendre, ni même de les indiquer; la Convention se borne à exiger que l’individu jouisse de son droit effectif d’accès à la justice selon des modalités non contraires à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Syndicat national de la police belge, du 27 octobre 1975, série A no 19, p. 18, par. 39, et l’arrêt Marckx précité, p. 15, par. 31). La conclusion figurant à la fin du paragraphe 24 ci-dessus n’implique donc pas que l’État doive fournir une aide judiciaire gratuite dans toute contestation touchant un "droit de caractère civil". Affirmer l’existence d’une obligation aussi étendue, la Cour l’admet, se concilierait mal avec la circonstance que la Convention ne renferme aucune clause sur l’aide judiciaire pour ces dernières contestations, son article 6 par. 3 28 c) (art. 6-3-c) ne traitant que de la matière pénale. Cependant, malgré l’absence d’un texte analogue pour les procès civils l’article 6 par. 1 (art. 6-1) peut parfois astreindre l’État à pourvoir à l’assistance d’un membre du barreau quand elle se révèle indispensable à un accès effectif au juge soit parce que la loi prescrit la représentation par un avocat, comme la législation nationale de certains États contractants le fait pour diverses catégories de litiges, soit en raison de la complexité de la procédure ou de la cause. Quant à la réserve irlandaise à l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c), on ne saurait l’interpréter de telle sorte qu’elle influerait sur les engagements résultant de l’article 6 par. 1 (art. 6-1); partant, elle n’entre pas ici en ligne de compte. 27. La requérante n’a pas réussi à trouver un solicitor qui voulût bien agir pour elle dans une instance en séparation de corps. Si les hommes de loi consultés par elle n’y ont pas consenti, présume la Commission, c’est qu’elle n’aurait pu supporter les frais nécessaires. Le Gouvernement conteste cette opinion, mais la Cour la trouve plausible et elle ne dispose d’aucun élément de preuve de nature à la contredire. 28. La Cour constate ainsi, à la lumière de l’ensemble des circonstances de la cause, que Mme Airey n’a pas bénéficié d’un droit d’accès effectif à la High Court pour demander un jugement de séparation de corps. Partant, il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). […] 29 CEDH, 19 mars 1997, Hornsby c/ Grèce (extrait) […] II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 PAR. 1 DE LA CONVENTION (art. 6-1) 38. Les requérants allèguent que le refus de l’administration de se conformer aux arrêts du Conseil d’Etat des 9 et 10 mai 1989 méconnaît leur droit à une protection judiciaire effective s’agissant des contestations sur leurs droits de caractère civil. Ils invoquent l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1), ainsi libellé: "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)" 39. Le Gouvernement ne conteste pas que la procédure devant le Conseil d’Etat portait sur des droits de caractère civil des intéressés au sens de l’article 6 (art. 6); il souligne que le Conseil d’Etat a statué sur de tels droits en respectant pleinement les exigences dudit article (art. 6) et a rendu deux arrêts, favorables aux requérants et dont le contenu n’est pas contesté par l’administration. Toutefois, il soutient que le grief des intéressés ne tombe pas sous le coup de l’article 6 (art. 6), lequel ne garantit que le caractère équitable du "procès" au sens littéral du terme, c’est-à-dire la procédure se déroulant devant la seule autorité judiciaire. L’introduction par les requérants des deux demandes du 8 août 1989 et le silence de l’administration (paragraphe 15 ci-dessus) n’auraient pas créé une nouvelle contestation sur leurs droits de caractère civil. Le retard de 30 l’administration à exécuter les arrêts susmentionnés du Conseil d’Etat constituerait une question entièrement différente de celle de l’examen judiciaire portant sur l’existence éventuelle de tels droits. L’exécution des arrêts du Conseil d’Etat relèverait du droit public et, en particulier, des relations entre les autorités judiciaires et administratives, mais ne pourrait en aucun cas passer pour entrer dans le champ d’application de l’article 6 (art. 6); une telle conclusion ne saurait être tirée ni du libellé de cet article (art. 6) ni même de l’intention des auteurs de la Convention. Enfin, le Gouvernement combat l’analogie faite par la Commission dans son rapport entre l’affaire Van de Hurk c. Pays-Bas (arrêt du 19 avril 1994, série A no 288) et l’affaire Hornsby: dans la première, le pouvoir de la Couronne (institué par la loi) de priver, partiellement ou totalement, de ses effets un arrêt était de nature à rendre illusoire la bonne administration de la justice; dans la présente affaire, en revanche, il s’agit d’une omission illégale de l’administration de se conformer à une décision judiciaire définitive, ladite administration pouvant être contrainte de le faire par une multitude de recours offerts par le système juridique grec. 40. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle l’article 6 par. 1 (art. 6-1) garantit à chacun le droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil; il consacre de la sorte le "droit à un tribunal", dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir un tribunal en matière civile, constitue un aspect (arrêt Philis c. Grèce du 27 août 1991, série A no 209, p. 20, par. 59). Toutefois, ce droit serait illusoire si l’ordre juridique interne d’un Etat contractant permettait qu’une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d’une partie. En effet, on ne comprendrait pas que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) décrive en détail les garanties de procédure - équité, publicité et célérité - accordées aux parties et qu’il ne protège pas la mise en oeuvre des décisions judiciaires; si cet article (art. 6-1) 31 devait passer pour concerner exclusivement l’accès au juge et le déroulement de l’instance, cela risquerait de créer des situations incompatibles avec le principe de la prééminence du droit que les Etats contractants se sont engagés à respecter en ratifiant la Convention (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Golder c. RoyaumeUni du 21 février 1975, série A no 18, pp. 16-18, paras. 34-36). L’exécution d’un jugement ou arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit donc être considérée comme faisant partie intégrante du "procès" au sens de l’article 6 (art. 6); la Cour l’a du reste déjà reconnu dans les affaires concernant la durée de la procédure (voir, en dernier lieu, les arrêts Di Pede c. Italie et Zappia c. Italie du 26 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, pp. 1383-1384, paras. 20-24, et pp. 1410-1411, paras. 16-20, respectivement). 41. Ces affirmations revêtent encore plus d’importance dans le contexte du contentieux administratif, à l’occasion d’un différend dont l’issue est déterminante pour les droits civils du justiciable. En introduisant un recours en annulation devant la plus haute juridiction administrative de l’Etat, celui-ci vise à obtenir non seulement la disparition de l’acte litigieux, mais aussi et surtout la levée de ses effets. Or la protection effective du justiciable et le rétablissement de la légalité impliquent l’obligation pour l’administration de se plier à un jugement ou arrêt prononcé par une telle juridiction. La Cour rappelle à cet égard que l’administration constitue un élément de l’Etat de droit et que son intérêt s’identifie donc avec celui d’une bonne administration de la justice. Si l’administration refuse ou omet de s’exécuter, ou encore tarde à le faire, les garanties de l’article 6 (art. 6) dont a bénéficié le justiciable pendant la phase judiciaire de la procédure perdraient toute raison d’être. 42. La Cour note qu’à la suite de l’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes (paragraphe 9 ci-dessus), le Conseil d’Etat annula les deux décisions du directeur de l’enseignement secondaire qui refusaient aux requérants - sur le seul fondement de leur nationalité - le permis sollicité 32 (paragraphes 7-8 et 13 ci-dessus). Compte tenu de ces arrêts, les intéressés pouvaient alors prétendre avoir le droit de voir leurs demandes aboutir; en les réitérant le 8 août 1989 (paragraphe 15 ci-dessus), ils ne faisaient que rappeler à l’administration son obligation de prendre une décision conformément aux règles de droit dont le non-respect avait entraîné l’annulation. Néanmoins, elle demeura silencieuse jusqu’au 20 octobre 1994 (paragraphe 22 ci-dessus). Certes, les requérants auraient pu introduire contre ce refus tacite un nouveau recours sur la base des articles 45 et 46 du décret présidentiel no 18/1989 (paragraphe 27 ci-dessus), mais, dans les circonstances de la cause, la Cour estime que ceux-ci ne pouvaient raisonnablement s’attendre à ce qu’un tel recours donnât le résultat voulu (paragraphe 37 ci-dessus). 43. La Cour comprend le souci des autorités nationales de réglementer, après les arrêts susmentionnés du Conseil d’Etat, la création et le fonctionnement des frontistiria d’une manière à la fois conforme aux obligations internationales du pays et propre à assurer la qualité de l’enseignement dispensé. Il est normal, de surcroît, que les autorités puissent disposer d’un délai raisonnable pour choisir les moyens les plus adéquats pour donner effet auxdits arrêts. 44. Toutefois, depuis le 15 mars 1988, date à laquelle la Cour de justice des Communautés européennes a rendu son arrêt (paragraphe 9 ci-dessus), et, subsidiairement, depuis les 9 et 10 mai 1989, lorsque le Conseil d’Etat s’est prononcé sur le cas des requérants (paragraphe 13 ci-dessus), et jusqu’à l’adoption du décret présidentiel no 211/1994, le 10 août 1994, la législation grecque en vigueur ne prévoyait aucune condition particulière pour les ressortissants communautaires souhaitant ouvrir un frontistirion en Grèce, sauf celle imposée aussi aux nationaux - la possession d’un diplôme universitaire - et remplie par les requérants (paragraphes 6 et 29 ci-dessus). De surcroît, il n’apparaît pas que les intéressés aient renoncé à leur objectif d’ouvrir un frontistirion: en saisissant le 3 juillet 1992 le tribunal administratif 33 de Rhodes, les intéressés sollicitaient une indemnité pour le préjudice qu’ils considéraient avoir subi mais aussi pour celui qu’ils subiraient jusqu’au jour où l’administration leur accorderait le permis sollicité (paragraphe 19 ci-dessus). 45. En s’abstenant pendant plus de cinq ans de prendre les mesures nécessaires pour se conformer à une décision judiciaire définitive et exécutoire, les autorités nationales ont, en l’occurrence, privé les dispositions de l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1) de tout effet utile. Par conséquent, il y a eu violation de cet article (art. 6-1). […] 34 CEDH, 21 nov. 2001, Fogarty c/ Royaume-Uni (extrait) […] I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION . La requérante prétend avoir été privée de l’accès à un tribunal par le jeu de la théorie de l’immunité des Etats ; il y aurait eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention, qui dispose : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) » A. Applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention 1. Thèses des parties . Le Gouvernement affirme que l’article 6 § 1 de la Convention ne s’applique pas car la requérante n’avait aucun grief qui pût donner lieu à une action devant les juridictions internes. Le principe de l’immunité souveraine soustrairait le différend à la compétence des cours et tribunaux nationaux, qui ne pourraient revendiquer leur juridiction sur les affaires intérieures des missions diplomatiques étrangères. En second lieu, se référant à l’arrêt Pellegrin c. France [GC], n° 28541, §§ 6467, CEDH 1999, le Gouvernement soutient qu’aucun droit « de caractère civil » ne se trouvait en cause car les questions relatives à l’emploi des membres des missions diplomatiques sont au cœur même de la puissance souveraine et relèvent donc du droit public. . La requérante fait valoir qu’il existait au plan interne un « droit » à être à l’abri d’une discrimination sexuelle, comme en témoigne sa première action contre 35 l’ambassade, qui fut couronnée de succès. L’immunité souveraine n’éteindrait pas le droit mais empêcherait simplement les cours et tribunaux de connaître des différends s’y rapportant. Qui plus est, le droit serait « de caractère civil ». Les postes auxquels l’intéressée avait posé sa candidature ne relèveraient pas de l’exception Pellegrin. Il s’agirait de postes à caractère strictement administratif ou secrétarial et ils ne lui auraient jamais demandé ou permis d’exercer une parcelle de la puissance souveraine de l’Etat. 2. Appréciation de la Cour . La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, l’article 6 § 1 n’assure par lui-même aux « droits et obligations » de caractère civil aucun contenu matériel déterminé dans l’ordre juridique des Etats contractants, mais ne vaut que pour les contestations (disputes) relatives à des « droits et obligations de caractère civil » que l’on peut dire, au moins de manière défendable, reconnus en droit interne (Z. et autres c. Royaume-Uni [GC], n° 29392/95, CEDH 2001, § 87, et les arrêts qui y sont cités). . Qu’une personne ait, au plan interne, une prétention pouvant donner lieu à une action en justice peut dépendre non seulement du contenu, à proprement parler, du droit de caractère civil en cause tel que le définit le droit national, mais encore de l’existence de barrières procédurales (procedural bars) empêchant ou limitant les possibilités de saisir un tribunal de plaintes potentielles. Dans cette dernière catégorie d’affaires, l’article 6 § 1 de la Convention peut trouver à s’appliquer. Certes, les organes de la Convention ne sauraient créer, par voie d’interprétation de l’article 6 § 1, un droit matériel de caractère civil n’ayant aucune base légale dans l’Etat concerné. Toutefois, par exemple, qu’un Etat puisse sans réserve ou sans contrôle des organes de la Convention soustraire à la compétence des tribunaux toute une série d’actions civiles ou exonérer de toute responsabilité civile de larges groupes ou catégories de personnes ne se concilierait pas avec la prééminence du droit dans une société démocratique ni 36 avec le principe fondamental qui sous-tend l’article 6 § 1 – à savoir que les revendications civiles doivent pouvoir être portées devant un juge (arrêt Fayed c. Royaume-Uni du 21 septembre 1994, série A n° 294B, § 65). . L’article 6 de la loi de 1975 sur la discrimination sexuelle (« la loi de 1975 » ; paragraphe 15 ci-dessus) ouvre un droit d’agir lorsque, par exemple, un employeur refuse d’engager une femme en vertu d’une discrimination sexuelle ou parce qu’elle a déjà intenté une procédure au titre de la loi de 1975. Ainsi, l’action en réparation que la requérante entendait engager se fondait sur une cause d’action bien connue en droit anglais. La Cour n’admet pas le moyen de défense du Gouvernement selon lequel, par le jeu de l’immunité des Etats, la requérante n’avait pas de droit matériel au plan interne. Elle note qu’il n’existe pas d’obstacle in limine à une action dirigée contre un Etat : si l’Etat défendeur choisit de ne pas demander l’immunité, l’action fera l’objet d’un examen puis d’une décision judiciaire, comme ce fut le cas de la première action pour discrimination que la requérante avait engagée (paragraphe 10 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour a la conviction qu’il faut considérer l’octroi de l’immunité non pas comme un tempérament à un droit matériel, mais comme un obstacle procédural qui a empêché la requérante de saisir le tribunal du travail de son grief (voir, mutatis mutandis, Tinnelly and Sons Ltd et McElduff c. Royaume-Uni, nos 20390/92 et 21322/93, § 62, CEDH 1998IV). . Le Gouvernement soutient aussi que, comme la revendication de la requérante avait trait à l’engagement de celle-ci par l’ambassade des Etats-Unis, elle ne portait pas sur un « droit de caractère civil ». . La Cour rappelle que dans l’arrêt Pellegrin c. France précité, pour déterminer l’applicabilité de l’article 6 § 1 aux litiges concernant des agents publics, elle a adopté un critère fonctionnel, fondé sur la nature des fonctions et des responsabilités exercées par l’agent. Sont seuls soustraits au champ 37 d’application de l’article 6 § 1 de la Convention les litiges des agents publics dont l’emploi est caractéristique des activités spécifiques de l’administration publique dans la mesure où celle-ci agit comme détentrice de la puissance publique chargée de la sauvegarde des intérêts généraux de l’Etat. Se pose dès lors la question de savoir si l’affaire de la requérante entre dans cette catégorie. Toutefois, pour les raisons indiquées aux paragraphes suivants, la Cour n’estime pas devoir trancher cette question et poursuivra l’examen de l’affaire en partant de l’hypothèse que l’article 6 est applicable. B. Observation de l’article 6 § 1 de la Convention 1. Thèses des parties . Le Gouvernement fait valoir que, si restriction au droit d’accès au tribunal il y a eu, elle poursuivait un but légitime, à savoir assurer le respect de l’indépendance et de l’égalité des autres Etats souverains conformément au droit international public. La restriction était en outre proportionnée puisque l’article 16 § 1 a) de la loi de 1978 traduisait à bon escient les principes de droit international public dont elle tire son origine. Le Gouvernement se réfère de manière générale à cet égard à un article de Richard Garnett (« State Immunity in Employment Matters » paru dans International and Comparative Law Quarterly (vol. 46, janvier 1997, pp. 81124) où l’auteur relève diverses attitudes de la part des Etats en ce qui concerne l’octroi de l’immunité à d’autres Etats en matière d’emploi. L’auteur conclut que cette diversité de vues donne à penser que les Etats ont du mal à se mettre d’accord sur la ligne de partage. Quant à la question précise de l’application de l’immunité des Etats aux actions des agents des ambassades et consulats, il relève que les Etats se répartissent entre ceux (dont le Royaume-Uni et l’Allemagne) qui fondent leur politique sur le contexte ou lieu de travail et ceux (dont les Etats-Unis et la plupart des pays européens de droit civil) qui 38 préconisent un assouplissement de la règle d’exclusion stricte de la juridiction des cours et tribunaux locaux dans le cas des postes d’une mission diplomatique. . Pour le Gouvernement, le choix du personnel des ambassades est un acte souverain jure imperii. Même le personnel d’une ambassade peut détenir une parcelle de la puissance souveraine et avoir accès à des informations confidentielles. Une décision sur l’équité du licenciement d’une employée d’ambassade ou le choix de l’engager ou non supposerait une enquête sur l’organisation interne de l’ambassade qui constituerait une ingérence dans les fonctions souveraines de l’Etat. Compte tenu de la difficulté qu’il y a à distinguer entre actes jure imperii et actes jure gestionis, il conviendrait de laisser aux Etats une grande marge d’appréciation dans laquelle se situe la législation britannique. L’article 5 de la Convention de Bâle, interprété à la lumière de l’article 32 (paragraphe 18 ci-dessus) montrerait que les auteurs de cette Convention souhaitaient exclure de son champ d’application les questions relevant de l’exercice des fonctions des missions diplomatiques, y compris l’engagement des employés des ambassades. La pratique d’autres Etats contractants ne viendrait pas à l’appui des revendications de la requérante et la pratique du Royaume-Uni en ce qui concerne son propre personnel d’ambassade ne serait pas à considérer ici. . La requérante admet que l’article 16 § 1 a) de la loi de 1978 poursuivait un but légitime. Elle estime par contre qu’il apportait au droit d’accès à un tribunal une limitation disproportionnée, pour quatre raisons. D’abord, selon elle, comme son action avait trait à une discrimination sexuelle, dont l’interdiction est une des valeurs centrales d’une société démocratique, il était disproportionné d’empêcher l’intéressée d’accéder à un tribunal à ce propos. En second lieu, la requérante relève qu’elle ne disposait d’aucune autre voie de recours, puisque les Etats-Unis n’étaient manifestement pas disposés à exercer leur juridiction. Troisièmement, au regard du droit international, le 39 Royaume-Uni n’aurait pas été tenu d’accorder l’immunité dans le cas de cette action. Les articles 5 et 7 de la Convention de Bâle (paragraphe 18 ci-dessus) refléteraient une tendance à restreindre le champ d’application de l’immunité des Etats et l’interprétation que le Gouvernement donne de cet article 5 ne se trouverait pas confirmée par la pratique générale des autres Etats membres du Conseil de l’Europe ou par la doctrine. L’engagement d’un agent d’une mission ne serait pas couvert par l’article 32 de la Convention de 1972. Dans la pratique, le Royaume-Uni ne revendiquerait pas une immunité générale en cas de différends entre des employés étrangers et les ambassades britanniques, et les Etats-Unis ne s’estimeraient pas tenus, au regard du droit international, d’octroyer l’immunité pour tous les litiges concernant des postes d’ambassade. Une immunité souveraine absolue ne serait donc pas requise par des considérations de courtoisie internationale. D’ailleurs, l’opinion de la Commission du droit international serait qu’un Etat ne peut exciper de l’immunité en cas de différend concernant des personnes ayant leur résidence habituelle dans l’Etat du for et se rapportant à des fonctions qui n’ont pas de liens étroits avec les actes souverains de puissance publique lorsque la nature du différend n’implique pas une décision judiciaire ordonnant à un autre Etat d’engager un agent. En quatrième lieu, les Etats-Unis n’auraient pas excipé de l’immunité à propos de la première action de la requérante devant le tribunal du travail. Si cette immunité n’a pas été jugée nécessaire dans le cas de cette première action, on verrait mal comment elle pourrait se révéler vraiment nécessaire pour satisfaire aux exigences de la coopération internationale dans le cas de la seconde. 2. Appréciation de la Cour . Dans l’affaire Golder, la Cour a dit que les garanties procédurales énoncées à l’article 6 concernant l’équité, la publicité et la célérité seraient dépourvues de sens si le préalable à la jouissance de ces garanties, à savoir l’accès à un 40 tribunal, n’était pas protégé. Elle l’a établi comme élément inhérent aux garanties consacrées à l’article 6 en se référant aux principes de la prééminence du droit et de l’absence d’arbitraire qui sous-tendent la majeure partie de la Convention. L’article 6 § 1 garantit à chacun le droit à ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil (arrêt Golder c. Royaume-Uni du 21 février 1975, série A n° 18, pp. 1318, §§ 2836). . Le droit d’accès aux tribunaux n’est toutefois pas absolu : il se prête à des limitations implicitement admises car il commande de par sa nature même une réglementation par l’Etat. Les Etats contractants jouissent en la matière d’une certaine marge d’appréciation. Il appartient pourtant à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention ; elle doit se convaincre que les limitations mises en œuvre ne restreignent pas l’accès offert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, pareilles limitations ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles tendent à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], n° 26083/94, CEDH 1999-I, § 59). . La Cour doit d’abord rechercher si la limitation poursuivait un but légitime. Elle note à cet égard que l’immunité des Etats souverains est un concept de droit international, issu du principe par in parem non habet imperium, en vertu duquel un Etat ne peut être soumis à la juridiction d’un autre Etat. La Cour estime que l’octroi de l’immunité souveraine à un Etat dans une procédure civile poursuit le but légitime de respecter le droit international afin de favoriser la courtoisie et les bonnes relations entre Etats grâce au respect de la souveraineté d’un autre Etat. . La Cour doit déterminer ensuite si la restriction était proportionnée au but poursuivi. Elle rappelle que la Convention doit s’interpréter à la lumière des 41 principes énoncés par la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités, qui énonce en son article 31 § 3 c) qu’il faut tenir compte de « toute règle de droit international applicable aux relations entre les parties ». La Convention, y compris son article 6, ne saurait s’interpréter dans le vide. La Cour ne doit pas perdre de vue le caractère spécifique de traité de garantie collective des droits de l’homme que revêt la Convention et elle doit tenir compte des principes pertinents du droit international (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Loizidou c. Turquie du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996–VI, § 43). La Convention doit autant que faire se peut s’interpréter de manière à se concilier avec les autres règles du droit international dont elle fait partie intégrante, y compris celles relatives à l’octroi de l’immunité aux Etats. . On ne peut dès lors, de façon générale, considérer comme une restriction disproportionnée au droit d’accès à un tribunal tel que le consacre l’article 6 § 1 des mesures prises par une Haute Partie contractante qui reflètent des principes de droit international généralement reconnus en matière d’immunité des Etats. De même que le droit d’accès à un tribunal est inhérent à la garantie d’un procès équitable accordée par cet article, de même certaines restrictions à l’accès doivent être tenues pour lui être inhérentes ; on en trouve un exemple dans les limitations généralement admises par la communauté des nations comme relevant de la doctrine de l’immunité des Etats. . La Cour observe que la documentation dont elle dispose (paragraphes 16-20, 29 et 31 ci-dessus) fait apparaître une tendance en droit international et comparé à limiter l’immunité des Etats dans les litiges portant sur des questions liées à l’emploi. Toutefois, lorsqu’une procédure concerne un emploi dans une mission ou une ambassade étrangère, la pratique internationale se partage sur la question de savoir si l’immunité de l’Etat continue de s’appliquer et, dans l’affirmative, si elle vaut pour les différends relatifs aux contrats de l’ensemble du personnel ou seulement à ceux des membres de la mission qui occupent des postes élevés. 42 L’on ne peut assurément pas dire que le Royaume-Uni soit seul à prétendre que l’immunité s’applique aux actions intentées par les agents des missions diplomatiques ou que, en accordant cette immunité, le Royaume-Uni s’écarte de normes internationales actuellement admises. . Par ailleurs, la procédure que la requérante voulait engager portait non pas sur les droits contractuels d’un agent d’ambassade en poste, mais sur une discrimination prétendue dans les modalités de recrutement. Compte tenu de la nature même des missions et ambassades, l’engagement de leur personnel peut présenter des aspects sensibles et confidentiels touchant notamment à la politique diplomatique et organisationnelle d’un Etat étranger. A la connaissance de la Cour, aucune tendance ne se manifeste en droit international vers un assouplissement du principe de l’immunité des Etats en ce qui concerne les questions de recrutement dans les missions étrangères. La Cour relève à cet égard que – cela ressort clairement des documents mentionnés plus haut (paragraphe 19 ci-dessus) – la Commission du droit international n’entendait pas exclure l'application de l’immunité des Etats lorsque la procédure a pour objet l’engagement d’une personne, y compris l’engagement sur un poste d’une mission diplomatique. . Dans ces conditions, on ne saurait considérer qu’en conférant en l’espèce l’immunité aux Etats-Unis en vertu de la loi de 1978, le Royaume-Uni a outrepassé la marge d’appréciation reconnue aux Etats quand il s’agit de limiter le droit d’accès d’un individu à un tribunal. Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 6 § 1 de la Convention. […] 43 CEDH, 26 fév. 2002, Del Sol c/ France (extrait) […] SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION . La requérante se plaint de ce que le bureau d'aide juridictionnelle de la Cour de cassation, puis le premier président de cette juridiction, ont rejeté sa demande d'aide juridictionnelle au motif qu'aucun moyen de cassation sérieux ne pouvait être relevé. Elle soutient que les décisions susmentionnées ont abouti à préjuger sa cause et à porter atteinte au droit d'accès à un tribunal que l'article 6 § 1 de la Convention garantit en ces termes : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) » . Le Gouvernement affirme à titre liminaire que le fait de ne consentir le bénéfice de l'aide juridictionnelle qu'aux seuls demandeurs dont l'argumentation a au moins une chance – fût-elle faible – de prospérer devant le juge de cassation traduit le souci de concilier une bonne administration de la justice avec le droit d'accès effectif à un tribunal. Il ne s'agit nullement, pour les instances appelées à se prononcer sur la demande d'aide juridictionnelle, d'apprécier de façon détaillée les mérites des arguments invoqués par le demandeur ; il s'agit au contraire d'écarter uniquement les recours qui ne contiennent que des arguments insusceptibles d'aboutir à la remise en cause de la décision entreprise. Ce sont, d'une part, les arguments qui contestent l'appréciation souveraine des juges du fond. Le Gouvernement rappelle à cet égard que le pourvoi en cassation est une voie de recours spécifique, dans la mesure où la Cour de cassation ne juge pas les questions de fait mais seulement de droit. Ce sont, d'autre part, les arguments dont les pièces du dossier permettent d'ores et déjà de démontrer le caractère 44 grossièrement erroné. Il en va de même, a fortiori, des recours qui ne comprennent l'exposé d'aucun motif. . Ainsi, le Gouvernement considère que l'appréciation portée par les membres du bureau d'aide juridictionnelle de la Cour de cassation français diffère largement de celle censurée par la Cour dans l'affaire Aerts c. Belgique (arrêt du 30 juillet 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-V, pp. 1964-1965, § 60), où des organes similaires avaient tranché la question de savoir si le recours du requérant était « actuellement juste », c'est-à-dire s'il était fondé. Ce contrôle allait donc au-delà du contrôle prévu par le système français, qui se limite à écarter les moyens dépourvus de tout caractère sérieux. Sur ce point, le Gouvernement souligne que, postérieurement à l'arrêt de la Cour dans cette affaire, le législateur belge a modifié la loi relative à l'assistance judiciaire et a adopté une formule proche de celle figurant dans la loi française, selon laquelle seules « les demandes manifestement mal fondées sont rejetées ». . Le Gouvernement affirme en outre que la composition du bureau d'aide juridictionnelle établi près la Cour de cassation permet d'écarter tout reproche de partialité qui pourrait être adressé à ce service. Ce dernier comprend des magistrats, des avocats, des fonctionnaires et des justiciables. Cette diversité permet que soient pris en compte de manière effective aussi bien les nécessités du bon fonctionnement de la juridiction que les droits de la défense, et notamment le libre accès au juge. Il ne peut donc être soutenu que les décisions du bureau d'aide juridictionnelle traduisent une volonté d'écarter abusivement les demandeurs des prétoires. Le Gouvernement souligne que le caractère objectif de l'appréciation portée sur le pourvoi est garanti par la voie de recours ouverte par l'article 23 de la loi du 10 juillet 1991 contre les décisions du bureau d'aide juridictionnelle, lesquelles peuvent être déférées au premier président de la Cour de cassation. Par ce biais, le demandeur a la faculté de contester l'appréciation portée par le bureau sur le sérieux des moyens qu'il a présentés, et de rapporter, 45 le cas échéant, la preuve du caractère mal fondé de cette appréciation. Le Gouvernement estime par conséquent que le dispositif de contrôle mis en œuvre par le bureau d'aide juridictionnelle de la Cour de cassation et par le premier président de cette juridiction, en application de la loi relative à l'aide juridictionnelle, n'est pas contraire en soi aux garanties de l'article 6 § 1 de la Convention. . Pour ce qui est de la présente affaire, le Gouvernement souligne que les décisions rendues par le bureau d'aide juridictionnelle de la Cour de cassation et le premier président de cette juridiction reposaient sur l'article 7, alinéa 3, de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991, aux termes duquel l'aide juridictionnelle est refusée au demandeur si « aucun moyen de cassation sérieux ne peut être relevé ». Ce critère serait « objectif » et son application se ferait en dehors de tout examen au fond du pourvoi. Il viserait à éviter que l'aide judiciaire soit allouée dans des cas où le pourvoi est manifestement voué à l'échec ; ainsi, en la présente cause, il ressort des lettres adressées par la requérante au bureau d'aide juridictionnelle que l'intéressée n'a à aucun moment indiqué les motifs de son pourvoi en cassation et n'a, a fortiori, fait valoir aucun moyen de cassation, alors que l'article 33 du décret de 1991 impose au demandeur de faire connaître « l'objet de sa demande et un exposé sommaire de ses motifs ». De toute évidence, l'absence d'indication de tout moyen de cassation ne pouvait conduire les autorités chargées d'examiner la demande qu'à constater l'absence de moyen de cassation sérieux. En tout état de cause, il ressort du courrier adressé par la requérante au greffe de la Cour qu'elle fait grief à la cour d'appel de ne pas avoir retenu à son encontre la clause d'exceptionnelle dureté prévue par l'article 240 du code civil. Or, aux termes d'une jurisprudence constante, la Cour de cassation considère que l'appréciation de l'exceptionnelle dureté des conséquences du divorce relève du pouvoir souverain des juges du fond. Par conséquent, même dans l'hypothèse où la requérante aurait invoqué ce moyen de cassation tiré de la 46 violation de l'article 240 du code civil, force est de constater, selon le Gouvernement, qu'il aurait été inopérant devant la Cour de cassation et qu'il n'aurait pu être considéré comme un moyen de cassation sérieux. Le Gouvernement conclut au défaut manifeste de fondement de la présente requête. . La requérante affirme que le refus qui fut opposé à sa demande d'aide juridictionnelle équivalait à lui dénier l'accès à la haute juridiction. Elle note que, lorsqu'il présente une demande d'aide juridictionnelle, le plaideur, démuni et non juriste, n'est pas à même de mettre en forme son argumentation, laquelle en matière de cassation répond à des directives dont les spécificités justifient l'appel quasi obligatoire à un avocat aux Conseils. Dès lors, l'examen auquel se livre le bureau d'aide juridictionnelle risque d'écarter des moyens qui, réexaminés par un avocat, auraient pu aboutir. . La Cour souligne d'emblée que la Convention n'oblige pas à accorder l'aide judiciaire dans toutes les contestations en matière civile. En effet, il y a une nette distinction entre les termes de l'article 6 § 3 c), qui garantit le droit à l'aide judiciaire gratuite sous certaines conditions dans les procédures pénales, et ceux de l'article 6 § 1, qui ne renvoie pas du tout à l'aide judiciaire. . Certes, le droit d'accès à un tribunal garanti par l'article 6 § 1 est un droit « concret et effectif » et non pas « théorique ou illusoire ». Les Etats contractants qui instituent un système d'appel sont tenus de veiller à ce que les personnes relevant de leur juridiction jouissent des garanties fondamentales de l'article 6 devant les instances de recours (voir, par exemple, Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni, arrêt du 13 juillet 1995, série A no 316-B, pp. 78-79, § 59). Toutefois, il appartient aux Etats contractants de décider de la manière dont doivent être respectées les obligations découlant de la Convention. La Cour doit se convaincre que la méthode choisie par les autorités internes dans un cas précis est conforme à la Convention. 47 . En l'espèce, la requérante, qui n'avait pas les moyens de rémunérer un avocat, se plaint que le refus de lui accorder l'assistance judiciaire lui a totalement barré l'accès à la Cour de cassation. . La Cour note tout d'abord que le motif retenu par le bureau d'aide juridictionnelle et le premier président de la Cour de cassation pour rejeter la demande de la requérante – à savoir l'absence de moyen sérieux de cassation –, est expressément prévu par la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 et s'inspire sans nul doute du légitime souci de n'allouer des deniers publics au titre de l'aide juridictionnelle qu'aux demandeurs dont le pourvoi a une chance raisonnable de succès. Comme le soulignait la Commission européenne des Droits de l'Homme, à l'évidence, un système d'assistance judiciaire ne peut fonctionner sans la mise en place d'un dispositif permettant de sélectionner les affaires susceptibles d'en bénéficier (voir, par exemple, ses décisions du 10 juillet 1980 dans l'affaire X c. Royaume-Uni, no 8158/78, Décisions et rapports 21, p. 95, et du 10 janvier 1991 dans l'affaire Garcia c. France, no 14119/88, non publiée). . Il est vrai que, dans l'affaire Aerts, la Cour a conclu à une violation de l'article 6 § 1 après avoir souligné qu'« en rejetant la demande [d'assistance judiciaire] au motif que la prétention ne paraissait pas actuellement juste, le bureau d'assistance judiciaire a porté atteinte à la substance même du droit [du requérant] à un tribunal » (Aerts précité, pp. 1964-1965, § 60). . Toutefois, la Cour estime qu'il est important de prendre concrètement en compte la qualité du système d'assistance judiciaire dans un Etat. . Or elle considère que le système mis en place par le législateur français offre des garanties substantielles aux individus, de nature à les préserver de l'arbitraire : d'une part, le bureau d'aide juridictionnelle établi près la Cour de cassation est présidé par un magistrat du siège de cette cour et comprend également son greffier en chef, deux membres choisis par la haute juridiction, 48 deux fonctionnaires, deux avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, ainsi qu'un membre désigné au titre des usagers (article 16 de la loi du 10 juillet 1991 susmentionnée) ; d'autre part, les décisions de rejet peuvent faire l'objet d'un recours devant le premier président de la Cour de cassation (article 23 de la loi). Au surplus, la requérante avait pu faire entendre sa cause en première instance, puis en appel. . Au vu de ce qui précède, la Cour estime que le refus du bureau d'aide juridictionnelle de lui accorder l'aide judiciaire pour saisir la Cour de cassation n'a pas atteint dans sa substance même le droit d'accès à un tribunal de la requérante. Partant, il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention. […] 49 Séance II Les droits de la défense I – Les droits de la défense dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel : Lire : - C.C., 2 décembre 1976, 76-70 DC, Développement de la prévention des accidents du travail, considérant numéro 2 - C.C., 18 janvier 1985, 84-182 DC, Administrateurs judiciaires, considérants numéro 7 et 8 - C.C., 23 janvier 1987, 86-224 DC, Conseil de la concurrence, considérant numéro 22. Pour approfondir la décision, se reporter également à FAVOREU (Louis) et PHILIP (Loïc), Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, 38 – 19-23 - C.C., 17 janvier 1989, 88-248 DC, Conseil supérieur de l’audiovisuel ; considérant numéro 29 - C.C., 12-13 août 1993, 93-325 DC, Maîtrise de l’immigration, considérant numéro 84. Pour approfondir la décision, se reporter également à FAVOREU (Louis) et PHILIP (Loïc), Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, op. cit., 42 – 25. - C.C., 28 juillet 1989, 89-260 DC, Sécurité et transparence du marché financier ; considérant numéro 44 - C.C., 23 juillet 1999, 99-416 DC, Couverture Maladie Universelle (C.M.U.) ; considérant numéro 38 - C.C., 2 mars 2004, 2004-492 DC, Evolutions de la criminalité, considérant numéro 31. Pour approfondir la décision, se reporter à FAVOREU (Louis) et PHILIP (Loïc), Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, op. cit., 50 – 14-15. - C.C., 30 mars 2006, 2006-535 DC, Egalité des chances ; considérant numéro 24 Allez plus loin (comparaisons jurisprudentielles en Droit interne) : - C. Cass., Ass., 30 juin 1995, 94-20302 / L’ancrage constitutionnel reconnu par la Cour de Cassation. - C.E., 20 juin 1913, Téry. Pour approfondir la décision, avoir une perspective globale des droits de la défense et des autres composantes du 50 procès équitable, se reporter à BRAIBANT (Guy) etc…, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, Dalloz, 28 – 1-9. - C.E., Sect., 5 mai 1944, Dame Veuve Trompier-Gravier. Pour approfondir, se reporter à Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, op. cit., 56 – 1-10. - C.E., Ass., 19 octobre 1962, Canal, Robin et Godot. Se reporter à Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, op. cit., 83 – 4. L’objectif par ces jurisprudences du Conseil d’Etat est de vous amener à réfléchir sur une notion préexistante à l’éclosion du Conseil Constitutionnel comme de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Il serait judicieux pour vous de combiner ces différents éclairages et ces évolutions. II – L’égalité des armes et le principe du contradictoire : Lire : - C.E.D.H., 17 janvier 1970, Delcourt c./ Belgique (extrait) - C.E.D.H., 27 octobre 1993, Dombo beheer c./ Pays-Bas (extrait) - C.E.D.H., 31 mars 1998, Reinhardt et Slimane Kaid c./ France (extrait) Allez plus loin : COHEN-JONATHAN (G.), « L’égalité des armes selon la Cour Européenne des Droits de l’Homme », LPA, 28 novembre 2002, p. 21. III – La motivation des décisions de justice : Lire : - C.E.D.H., 16 novembre 2010, Taxquet c./ Belgique, Grd. Ch., req. 926/05, note J.-F. RENUCCI, D. 2011, p. 47 (extrait) Allez plus loin : - RENAUD-DUPARC (C.), « Motivation des arrêts d’assises : les exigences européennes en recul », AJ pénal, janvier 2011, p. 35. - PRADEL (J.), « La Cour de Strasbourg n’impose finalement qu’une motivation minimale aux Cours d’assises statuant avec des jurés », D. 2011, p. 48. 51 - GIDJARA (S.), « La motivation des décisions de justice : impératifs anciens et exigences nouvelles », LPA, 26 mai 2004, p. 3. Exercice (au choix) : Faire un commentaire groupé des décisions suivantes : - C.E.D.H., 10 janvier 2013, Agnelet c./ France (extrait) - C.E.D.H., 10 janvier 2013, Legillon c./ France (extrait) OU Réaliser une dissertation sur le sujet suivant : - « Les droits de la défense et le procès équitable » IV – Droit à l’assistance d’un avocat Lire : - C.E.D.H., Brusco c./ France, 14 octobre 2001 (extrait) ; MAURO (C.), « Réflexions sur la garde à vue, à propos de l’arrêt Brusco c./ France », Dr. Pén., étude n°29. - C.C., 30 juillet 2010, 2010-14/22 QPC (extrait) ; D. 2010, p. 1876 ; Procédures, 2010, comm. 382, obs. CHAVENT-LECLERC ; dr. Pén. 2010, comm. 113, obs. MARON et HASS. Allez plus loin : - C.E.D.H., Danayan c./ Turquie, 13 octobre 2009 - C. Cass., Crim., 19 octobre 201, n°10-82.902, 10-82.306 et 10-85.051, voir MATSOPOULOU (H.), « Garde à vue : La Cour de Cassation partagée entre conventionnalité et constitutionnalité », JCP, 2010, p. 2094. - MAURO (C.), « Réflexions sur la garde à vue : A propos de l’arrêt Brusco c./ France de la Cour Européenne des Droits de l’Homme du 14 octobre 2010 », D. 2010, étude n°29. 52 - PRADEL (J.), « Vers une métamorphose de la garde à vue. Après la décision pilote du Conseil Constitutionnel du 30 juillet et les arrêts de la chambre criminelle du 19 octobre 2010 », D. 2010, p. 2783. - PERRIER (J.-B.), « La garde à vue devant le Conseil Constitutionnel : Une décision empreinte de pragmatisme », AJ Pénal, 2010, p. 470. 53 Principe de l’égalité des armes et du contradictoire : C.E.D.H., 17 janvier 1970, Delcourt c./ Belgique : 19. Le Gouvernement ne conteste pas qu’un membre du ministère public de la Cour de cassation, après avoir conclu lors des débats oraux au rejet des pourvois du requérant, a assisté au délibéré du 21 juin 1965 avec voix consultative, mais il soutient qu’il n’en est résulté aucune atteinte au droit garanti par l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. En effet, la cour suprême de Belgique ne connaîtrait pas du fond des affaires (article 95 de la Constitution et article 17 de la loi du 4 août 1832). Malgré sa nature judiciaire, consacrée par une longue évolution, elle accomplirait une mission qui n’aurait jamais cessé d’avoir certains rapports avec l’activité législative. Instituée dans l’intérêt de la loi, elle jugerait les jugements et non les individus, sous réserve de quelques exceptions étrangères à l’espèce. Il ne lui incomberait donc pas de statuer sur des litiges relatifs à des droits et obligations de caractère civil, ni sur le bien-fondé d’accusations en matière pénale, au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) tel que les organes chargés de veiller au respect de la Convention l’ont interprété dans une série de décisions. Quant au parquet de cassation, il se distinguerait radicalement du parquet des juridictions du fond. En règle générale, il n’aurait pas la qualité de partie (article 37 de l’arrêté du 15 mars 1815); dans les cas, très rares, où il l’assume en vertu de la loi et où il meut l’action publique, les délibérations se dérouleraient en son absence (article 39 de l’arrêté du 15 mars 1815). Indifférent à la question de la culpabilité des prévenus, il ne serait ni leur adversaire ni un rouage de l’accusation. Rien ne l’empêcherait, par exemple, d’inviter la Cour à repousser un pourvoi formé par un parquet d’appel, ni de soulever d’office un moyen tendant à la cassation d’un verdict de condamnation; des statistiques prouveraient qu’il en est souvent ainsi. Le ministère public de cassation ne serait par conséquent pas solidaire du parquet des juridictions du fond, à l’égard duquel son chef exercerait d’ailleurs, en pratique, une simple surveillance doctrinale et scientifique exclusive du moindre pouvoir de commandement (article 154 de la loi du 18 juin 1869). En outre, il jouirait d’une entière indépendance dans ses relations avec le ministre de la Justice. Bref, son rôle s’inscrirait dans le cadre des fonctions de la Cour elle-même: d’ordinaire, il consisterait sans plus à fournir a celle-ci une aide technique et objective destinée à assurer l’observation des lois, l’unité de la jurisprudence et une bonne rédaction des arrêts. En somme, le parquet de cassation s’"intégrerait" et s’"identifierait" à la Cour autant que les magistrats du siège. Dans ces conditions, la présence de l’un de ses membres au délibéré n’aurait pas rompu l’égalité des armes au détriment du requérant. Une certaine inégalité aurait bien régné en l’occurrence, mais au profit de Delcourt: contrairement à ce dernier, le parquet des juridictions du fond dont émanaient les décisions 54 attaquées n’aurait pas eu la faculté de développer sa thèse à l’audience du 21 juin 1965 (article 34 de l’arrêté du 15 mars 1815); il ne se serait pas même prévalu de son droit de répondre par écrit au mémoire que le requérant avait déposé le 20 mai 1965. De l’avis du Gouvernement l’affaire Delcourt ne saurait se comparer aux affaires Pataki et Dunshirn; elle se rapprocherait plutôt des affaires Ofner et Hopfinger, dans lesquelles la Commission et le Comité des Ministres n’ont constaté aucune violation de l’article 6 (art. 6). Au demeurant, la législation litigieuse, vieille de plus d’un siècle et demi, n’aurait jamais donné lieu à des critiques dans la doctrine et le barreau belges, pourtant fort attentifs à tout ce qui a trait aux droits de la défense. A deux reprises, le Parlement aurait expressément résolu de la maintenir, la première fois sans changement (élaboration de la loi du 19 avril 1949), la seconde en substance et après avoir examiné le problème sous l’angle de la Convention (article 1109 du Code judiciaire de 1967). Ces circonstances créeraient en quelque sorte une présomption favorable à la compatibilité de ladite législation avec l’article 6 par. 1 (art. 6-1); elles montreraient aussi que la participation du parquet de cassation aux délibérés de la cour suprême ne prête pas à des abus. Quant aux "nouveaux" griefs de Delcourt, ils seraient irrecevables pour ne pas avoir figuré dans la requête initiale. Le Gouvernement les estime du reste injustifiés: d’après lui, c’est précisément parce que le parquet de cassation n’a pas la qualité de partie qu’il formule ses conclusions à la fin de la procédure orale, sans les communiquer par avance aux intéressés. Dans son mémoire du 17 juillet 1969 et à l’audience du 30 septembre 1969, le Gouvernement a demandé à la Cour "(de) dire que, eu égard au rôle attribué par la loi belge au procureur général près la Cour de cassation et au statut particulier qui est le sien dans l’organisation judiciaire belge, sa présence avec voix non délibérative aux délibérations de la Cour, telle qu’elle est expressément prévue par cette législation, n’est pas de nature à enfreindre le principe de l’"égalité des armes", lorsque, comme en l’espèce, le procureur général n’est pas luimême partie à la cause en qualité de demandeur; (de) décider en conséquence que lors de la procédure qui s’est déroulée devant la Cour de cassation de Belgique, le 21 juin 1965, dans l’affaire Delcourt, il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention du fait que le représentant du ministère public, M. l’Avocat géneral Dumon, a été présent au délibéré des juges". (…) II. SUR LE GRIEF PRINCIPAL DU REQUÉRANT 27. Le requérant se plaint au premier chef du fait qu’un membre du ministère public de la Cour de cassation a participé au délibéré de celle-ci le 21 juin 1965 après avoir présenté ses conclusions à l’audience. Cette participation était sans nul doute conforme à la législation belge en vigueur à l’époque: aux termes de 55 l’article 39 de l’arrêté du Prince souverain du 15 mars 1815, "en matière de cassation le ministère public (avait) le droit d’assister à la délibération lorsqu’elle (n’avait) pas lieu à l’instant et dans la même salle d’audience, mais il (n’avait) pas voix délibérative". La Cour se trouve dès lors appelée à se prononcer d’abord sur la compatibilité de l’article 39 de l’arrêté du 15 mars 1815 avec l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. 28. En développant leurs thèses respectives, Commission et Gouvernement se sont placés pour l’essentiel sur le terrain du principe dit de l’"égalité des armes". La Cour examinera cependant le problème à la lumière de l’ensemble du paragraphe 1 de l’article 6 (art. 6-1). En effet, le principe de l’égalité des armes n’épuise pas le contenu de ce paragraphe; il ne constitue qu’un aspect de la notion plus large de procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial (cf. l’arrêt Neumeister du 27 juin 1968, En Droit, paragraphe 22). C.E.D.H., 27 octobre 1993, Dombo Beheer B.V. c./ Pays-Bas : 30. La société requérante reproche aux juridictions internes d’avoir refusé à son ancien directeur général, M. van Reijendam, l’autorisation de témoigner, tandis qu’elles l’ont accordée au gérant de la succursale de la banque, M. van W., la seule autre personne présente lors de la conclusion de l’accord verbal. Elles auraient ainsi méconnu à son détriment le principe de "l’égalité des armes" et donc le droit à un "procès équitable", garanti par l’article 6 par. 1 (art. 6-1) aux termes duquel "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)" Le Gouvernement combat cette thèse, mais la Commission y souscrit. 31. La Cour note d’emblée qu’elle ne se trouve pas appelée à décider de manière générale s’il est licite d’empêcher de témoigner, dans sa propre affaire, une partie à un procès civil. Elle n’a pas non plus à examiner dans l’abstrait le droit néerlandais de la preuve en matière civile. La requérante ne prétend pas que la loi elle-même violait la Convention; du reste, celle qui servit de base aux décisions critiquées a été remplacée depuis lors. Au demeurant, la recevabilité des témoignages relève au premier chef du droit interne (voir, récemment et mutatis mutandis, les arrêts Lüdi c. Suisse du 15 juin 1992, série A no 238, p. 20, par. 43, et SchulerZgraggen c. Suisse du 24 juin 1993, série A no 263, p. 21, par. 66). La Cour ne saurait substituer sa propre appréciation des faits à celle des juridictions nationales. Sa tâche consiste à rechercher si la procédure envisagée dans son ensemble, y compris la façon dont les témoignages furent admis, a revêtu un caractère "équitable" au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (voir, notamment et mutatis mutandis, les deux arrêts précités, ibidem). 56 32. Les impératifs inhérents à la notion de "procès équitable" ne sont pas nécessairement les mêmes dans les litiges relatifs à des droits et obligations de caractère civil que dans les affaires concernant des accusations en matière pénale. A preuve l’absence, pour les premiers, de clauses détaillées semblables aux paragraphes 2 et 3 de l’article 6 (art. 6-2, art. 6-3). Partant, et bien que ces dispositions aient une certaine pertinence en dehors des limites étroites du droit pénal (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Albert et Le Compte c. Belgique du 10 février 1983, série A no 58, p. 20, par. 39), les États contractants jouissent d’une latitude plus grande dans le domaine du contentieux civil que pour les poursuites pénales. 33. Néanmoins, certains principes liés à la notion de "procès équitable" dans les affaires de caractère civil se dégagent de la jurisprudence de la Cour. Ainsi, l’exigence de "l’égalité des armes", au sens d’un "juste équilibre" entre les parties, vaut en principe aussi bien au civil qu’au pénal (arrêt Feldbrugge c. Pays-Bas du 26 mai 1986, série A no 99, p. 17, par. 44); cela surtout entre ici en ligne de compte. Avec la Commission, la Cour considère que dans les litiges opposant des intérêts privés, "l’égalité des armes" implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause - y compris ses preuves dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire. Il revient aux autorités nationales de veiller, dans chaque cas, au respect des conditions d’un "procès équitable". 34. En l’espèce, il incombait à la société requérante d’établir l’existence, entre la banque et elle, d’un accord verbal concernant l’extension de certaines facilités de crédit. Seules deux personnes avaient assisté à la réunion au cours de laquelle il aurait été conclu: M. van Reijendam, représentant Dombo, et M. van W., représentant la banque. Or seul le second de ces protagonistes fut autorisé à témoigner: la cour d’appel refusa à Dombo la possibilité de citer son propre représentant, au motif qu’il s’identifiait à elle. 35. Pendant les négociations pertinentes, MM. van Reijendam et van W. avaient agi sur un pied d’égalité, chacun d’eux étant habilité à traiter au nom de son mandant. Dès lors, on voit mal pourquoi ils ne purent déposer tous deux. La société requérante ayant ainsi été placée dans une situation de net désavantage par rapport à la banque, il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). 57 C.E.D.H., 31 mars 1998, Reinhardt et Slimane Kaid c./ France : II. : Sur le caractère équitable de la procédure en cassation 101. Les requérants soutiennent que leurs causes n’ont pas été entendues équitablement par la Cour de cassation. D’une part, ni eux-mêmes ni leurs conseils n’auraient reçu communication avant l’audience du rapport du conseiller rapporteur alors que ce document aurait été fourni à l’avocat général. La pratique invoquée par le Gouvernement – qui n’existait d’ailleurs pas à l’époque des faits – et selon laquelle le rôle diffusé huit jours avant l’audience à l’ordre des avocats aux Conseils mentionne le sens dudit rapport, ne permettrait aux parties que de savoir si le conseiller rapporteur recommande la cassation totale ou partielle, ou au contraire l’inadmissibilité ou le rejet du pourvoi ; elle ne serait donc pas de nature à remédier à une telle méconnaissance du principe du contradictoire. D’autre part, ils n’auraient pas eu la possibilité de répliquer aux conclusions de l’avocat général. Or celui-ci représenterait la société devant la Cour de cassation de telle sorte que le principe susmentionné exigerait que la partie adverse puisse lui répliquer. A cet égard, ils reconnaissent que les avocats aux Conseils ont désormais la faculté, à l’audience, de répondre auxdites conclusions, mais précisent que la procédure est néanmoins « figée » par les écrits et que les plaidoiries devant la chambre criminelle sont fort rares. 102. Le Gouvernement rétorque que l’avocat général à la Cour de cassation n’est pas chargé des poursuites ; il exprimerait en toute indépendance son point de vue sur l’interprétation et l’application de la loi. Aucune question de « rupture d’égalité » entre celui-ci et le demandeur ne pourrait se poser puisque le magistrat ne serait pas « partie » au procès. En tout état de cause, le rapport du conseiller rapporteur émanerait de l’un des membres de la formation de jugement et relèverait en conséquence du secret du délibéré, si bien que le principe du contradictoire n’exigerait pas qu’il soit communiqué aux parties. Celles-ci auraient d’ailleurs la faculté de prendre connaissance du volet dudit rapport relatif aux faits de la cause et aux moyens de cassation à l’occasion de sa lecture à l’audience. Quant à l’avis proprement dit, il ferait, dans sa substance, l’objet d’une inscription au rôle diffusé à l’ordre des avocats aux Conseils. Une pratique constante voudrait en outre qu’avant l’audience les avocats présents en la cause soient informés du sens des conclusions de l’avocat général – lesquelles ne seraient généralement pas rédigées – et il serait admis que ceuxci déposent ensuite une « note complémentaire » à leur mémoire initial. Les conseils des requérants auraient donc été mis à même d’apprécier l’opportunité de plaider l’affaire devant la chambre criminelle, et les conséquences de leur choix de ne pas le faire ne sauraient être imputées aux 58 autorités judiciaires. Il leur suffisait d’en demander l’autorisation au président de ladite chambre qui, conformément à l’usage, aurait répondu positivement. Ils auraient alors eu la parole en dernier, après le conseiller rapporteur et l’avocat général. Eu égard à la nature des conclusions de ce dernier et à la haute spécialisation des avocats aux Conseils ainsi qu’à la possibilité offerte à ceux-ci de déposer une note en délibéré, cela eût assuré le respect du principe du contradictoire. 103. Selon la Commission, l’opinion du ministère public près la Cour de cassation ne saurait passer pour neutre du point de vue des parties à l’instance : en recommandant l’admission ou le rejet du pourvoi d’un accusé, le magistrat du ministère public en devient l’allié ou l’adversaire objectif. La question du respect des principes de l’égalité des armes et du contradictoire serait donc pertinente en l’espèce. La notification à l’avocat général du dossier du conseiller rapporteur contenant le rapport ainsi que le ou les projets d’arrêt alors que les requérants ne pouvaient être informés que du sens dudit rapport s’analyserait en une rupture de l’égalité des armes entre les seconds et le premier. L’absence de communication à Mme Reinhardt et M. Slimane-Kaïd des conclusions de l’avocat général aurait accentué ce déséquilibre. Le droit à une procédure contradictoire impliquerait en principe « la faculté pour les parties aux procès, pénal ou civil, de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge, même par un magistrat indépendant, en vue d’influencer sa décision et de la discuter » (rapport, paragraphe 31). Les parties devraient en outre avoir une « possibilité véritable » (ibidem) de commenter celles-ci. Or en l’espèce, s’ils avaient été présents à l’audience, les conseils des requérants n’auraient pu répliquer qu’ex abrupto auxdites conclusions. L’article 6 aurait donc été méconnu. 104. La Cour entend rechercher si, considérée dans sa globalité, la procédure devant la chambre criminelle de la Cour de cassation revêtit en l’espèce un caractère « équitable » au sens de l’article 6 § 1. 105. Il n’est pas contesté que bien avant l’audience, l’avocat général reçut communication du rapport du conseiller rapporteur et du projet d’arrêt préparé par celui-ci. Le Gouvernement l’indique lui-même, ledit rapport se compose de deux volets : le premier contient un exposé des faits, de la procédure et des moyens de cassation, et le second, une analyse juridique de l’affaire et un avis sur le mérite du pourvoi. Ces documents ne furent pas transmis aux requérants ou à leurs conseils. De nos jours, une mention au rôle diffusé à l’ordre des avocats aux Conseils une semaine avant l’audience informe les avocats des parties du sens dudit avis (irrecevabilité du pourvoi, rejet, ou cassation totale ou partielle ; paragraphe 73 ci-dessus). Les avocats de Mme Reinhardt et de M. Slimane-Kaïd auraient pu plaider 59 l’affaire s’ils en avaient manifesté la volonté ; à l’audience, ils auraient eu la parole après le conseiller rapporteur, ce qui leur eût permis d’entendre le premier volet du rapport litigieux et de le commenter. Le deuxième volet de celui-ci ainsi que le projet d’arrêt – légitimement couverts par le secret du délibéré – restaient en tout état de cause confidentiels à leur égard ; dans le meilleur des cas, ils ne purent ainsi connaître que le sens de l’avis du conseiller rapporteur quelques jours avant l’audience. En revanche, c’est l’intégralité dudit rapport ainsi que le projet d’arrêt qui furent communiqués à l’avocat général. Or celui-ci n’est pas membre de la formation de jugement. Il a pour mission de veiller à ce que la loi soit correctement appliquée lorsqu’elle est claire, et correctement interprétée lorsqu’elle est ambiguë. Il « conseille » les juges quant à la solution à adopter dans chaque espèce et, avec l’autorité que lui confèrent ses fonctions, peut influencer leur décision dans un sens soit favorable, soit contraire à la thèse des demandeurs (paragraphes 74 et 75 ci-dessus). Etant donné l’importance du rapport du conseiller rapporteur, principalement du second volet de celui-ci, le rôle de l’avocat général et les conséquences de l’issue de la procédure pour Mme Reinhardt et M. Slimane-Kaïd, le déséquilibre ainsi créé, faute d’une communication identique du rapport aux conseils des requérants, ne s’accorde pas avec les exigences du procès équitable. 106. L’absence de communication des conclusions de l’avocat général aux requérants est pareillement sujette à caution. De nos jours, certes, l’avocat général informe avant le jour de l’audience les conseils des parties du sens de ses propres conclusions et, lorsque, à la demande desdits conseils, l’affaire est plaidée, ces derniers ont la possibilité de répliquer aux conclusions en question oralement ou par une note en délibéré (paragraphe 79 ci-dessus). Eu égard au fait que seules des questions de pur droit sont discutées devant la Cour de cassation et que les parties y sont représentées par des avocats hautement spécialisés, une telle pratique est de nature à offrir à celles-ci la possibilité de prendre connaissance des conclusions litigieuses et de les commenter dans des conditions satisfaisantes. Il n’est toutefois pas avéré qu’elle existât à l’époque des faits de la cause. 107. Partant, eu égard aux circonstances susdécrites, il y a eu violation de l’article 6 § 1. 60 Principe de la motivation des décisions de justice C.E.D.H., 16 novembre 2010, Taxquet c./ Belgique : C. L’appréciation de la Cour 1. Principes généraux 83. La Cour note que plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe connaissent l’institution du jury populaire, laquelle procède de la volonté légitime d’associer les citoyens à l’action de justice, notamment à l’égard des infractions les plus graves. Selon les Etats, et en fonction de l’histoire, des traditions et de la culture juridique de chacun d’eux, le jury se présente sous des formes variées qui diffèrent entre elles quant au nombre, à la qualification et au mode de désignation des jurés, ainsi que par l’existence ou non de voies de recours contre les décisions rendues (paragraphes 43-60 ci dessus). Il s’agit là d’une illustration parmi d’autres de la variété des systèmes juridiques existants en Europe, qu’il n’appartient pas à la Cour d’uniformiser. En effet, le choix par un Etat de tel ou tel système pénal échappe en principe au contrôle européen exercé par la Cour, pour autant que le système retenu ne méconnaisse pas les principes de la Convention (Achour c. France [GC], no 67335/01, § 51, CEDH 2006 IV). De plus, dans des affaires issues d’une requête individuelle, la Cour n’a point pour tâche de contrôler dans l’abstrait la législation litigieuse. Elle doit au contraire se limiter autant que possible à examiner les problèmes soulevés par le cas dont elle est saisie (voir, parmi beaucoup d’autres, N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 56, CEDH 2002 X). 84. Il ne saurait donc être question ici de remettre en cause l’institution du jury populaire. En effet, les Etats contractants jouissent d’une grande liberté dans le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de respecter les impératifs de l’article 6. La tâche de la Cour consiste à rechercher si la voie suivie a conduit, dans un litige déterminé, à des résultats compatibles avec la Convention, eu égard également aux circonstances spécifiques de l’affaire, à sa nature et à sa complexité. Bref, elle doit examiner si la procédure a revêtu, dans son ensemble, un caractère équitable (Edwards c. Royaume-Uni, 16 décembre 1992, § 34, série A no 247 B ; Stanford c. Royaume-Uni, 23 février 1994, § 24, série A no 282 A). 85. La Cour rappelle qu’elle a déjà eu à connaître de requêtes concernant la procédure devant les cours d’assises. Ainsi, dans l’affaire R. c. Belgique (no 15957/90, décision de la Commission du 30 mars 1992, Décisions et rapports (DR) 72), la Commission européenne des droits de l’homme avait constaté que si la déclaration de culpabilité par le jury ne comportait aucune motivation, le président de la cour d’assises avait du moins préalablement posé au jury des questions concernant les circonstances de fait de la cause, que l’accusé avait pu contester. La Commission avait vu dans ces questions précises, dont certaines 61 avaient pu être posées à la demande de la défense ou de l’accusation, une trame sous-tendant la décision critiquée et une compensation adéquate du caractère laconique des réponses du jury. La Commission avait rejeté la requête pour défaut manifeste de fondement. Elle avait adopté une approche similaire dans les affaires Zarouali c. Belgique (no 20664/92, décision de la Commission du 29 juin 1994, DR 78-A) et Planka c. Autriche (no 25852/94, décision de la Commission du 15 mai 1996, non publiée). 86. Dans l’affaire Papon (décision précitée), la Cour a relevé que le ministère public et l’accusé s’étaient vu offrir la possibilité de contester les questions posées et de demander au président de poser au jury une ou plusieurs questions subsidiaires. Après avoir constaté que le jury avait répondu aux 768 questions posées par le président de la cour d’assises, elle a estimé que celles-ci formaient une trame apte à servir de fondement à la décision et que leur précision compensait adéquatement l’absence de motivation des réponses du jury. La Cour a rejeté comme manifestement mal fondé le grief tiré de l’absence de motivation de l’arrêt de la cour d’assises. 87. Dans l’affaire Bellerín Lagares c. Espagne ((déc.), no 31548/02, 4 novembre 2003), la Cour a constaté que le jugement critiqué – auquel était joint le procès-verbal des délibérations du jury – contenait l’énoncé des faits déclarés prouvés qui avaient conduit le jury à conclure à la culpabilité du requérant ainsi que l’analyse juridique de ces faits et, s’agissant de la détermination de la peine, une référence aux circonstances modificatives de la responsabilité du requérant applicables au cas d’espèce. Elle a estimé dès lors que le jugement en question était suffisamment motivé aux fins de l’article 6 § 1 de la Convention. 88. Dans l’affaire Goktepe précitée (§ 28), la Cour a conclu à une violation de l’article 6 à raison du refus de la cour d’assises de poser des questions individualisées sur l’existence de circonstances aggravantes, privant ainsi le jury de la possibilité de déterminer individuellement la responsabilité pénale du requérant. De l’avis de la Cour, le fait qu’une juridiction n’ait pas égard à des arguments portant sur un point essentiel et porteur de conséquences aussi sévères devait passer pour incompatible avec le respect du contradictoire qui est au cœur de la notion de procès équitable. Pareille conclusion s’imposait particulièrement dans le cas d’espèce, compte tenu du fait que les jurés ne pouvaient pas motiver leur conviction (ibidem, § 29). 89. Dans l’affaire Saric précitée, la Cour a jugé que l’absence de motivation d’un arrêt, qui résultait de ce que la culpabilité d’un requérant avait été déterminée par un jury populaire, n’était pas, en soi, contraire à la Convention. 90. Il ressort de la jurisprudence précitée que la Convention ne requiert pas que les jurés donnent les raisons de leur décision et que l’article 6 ne s’oppose pas à ce qu’un accusé soit jugé par un jury populaire même dans le cas où son verdict n’est pas motivé. Il n’en demeure pas moins que pour que les exigences d’un procès équitable soient respectées, le public, et au premier chef l’accusé, doit être à même de comprendre le verdict qui a été rendu. C’est là une garantie 62 essentielle contre l’arbitraire. Or, comme la Cour l’a déjà souvent souligné, la prééminence du droit et la lutte contre l’arbitraire sont des principes qui soustendent la Convention (parmi d’autres, voir, mutatis mutandis, Roche c. Royaume-Uni [GC], no 32555/96, § 116, CEDH 2005 X). Dans le domaine de la justice, ces principes servent à asseoir la confiance de l’opinion publique dans une justice objective et transparente, l’un des fondements de toute société démocratique (voir Suominen c. Finlande, no 37801/97, § 37, 1er juillet 2003, et Tatichvili c. Russie, no 1509/02, § 58, CEDH 2007 I). 91. Dans les procédures qui se déroulent devant des magistrats professionnels, la compréhension par un accusé de sa condamnation est assurée au premier chef par la motivation des décisions de justice. Dans ces affaires, les juridictions internes doivent exposer avec une clarté suffisante les motifs sur lesquels elles se fondent (voir Hadjianastassiou c. Grèce, no 12945/87, 16 décembre 1992, § 33, série A no 252). La motivation a également pour finalité de démontrer aux parties qu’elles ont été entendues et, ainsi, de contribuer à une meilleure acceptation de la décision. En outre, elle oblige le juge à fonder son raisonnement sur des arguments objectifs et préserve les droits de la défense. Toutefois, l’étendue du devoir de motivation peut varier selon la nature de la décision et doit s’analyser à la lumière des circonstances de l’espèce (Ruiz Torija, précité, § 29). Si les tribunaux ne sont pas tenus d’apporter une réponse détaillée à chaque argument soulevé (Van de Hurk c. Pays-Bas, 19 avril 1994, § 61, série A no 288), il doit ressortir de la décision que les questions essentielles de la cause ont été traitées (Boldea c. Roumanie, no 19997/02, § 30, 15 février 2007). 92. Devant les cours d’assises avec participation d’un jury populaire, il faut s’accommoder des particularités de la procédure où, le plus souvent, les jurés ne sont pas tenus de – ou ne peuvent pas – motiver leur conviction (paragraphes 85-89 ci-dessus). Dans ce cas également, l’article 6 exige de rechercher si l’accusé a pu bénéficier des garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d’arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation (paragraphe 90 ci-dessus). Ces garanties procédurales peuvent consister par exemple en des instructions ou éclaircissements donnés par le président de la cour d’assises aux jurés quant aux problèmes juridiques posés ou aux éléments de preuve produits (voir paragraphes 43 et suivants ci-dessus), et en des questions précises, non équivoques, soumises au jury par ce magistrat, de nature à former une trame apte à servir de fondement au verdict ou à compenser adéquatement l’absence de motivation des réponses du jury (Papon décision précitée). Enfin, doit être prise en compte, lorsqu’elle existe, la possibilité pour l’accusé d’exercer des voies de recours. 63 C.E.D.H., 10 janvier 2013, Agnelet c./ France : 2. Appréciation de la Cour a. Principes généraux 56. La Cour rappelle que la Convention ne requiert pas que les jurés donnent les raisons de leur décision et que l’article 6 ne s’oppose pas à ce qu’un accusé soit jugé par un jury populaire même dans le cas où son verdict n’est pas motivé. L’absence de motivation d’un arrêt qui résulte de ce que la culpabilité d’un requérant avait été déterminée par un jury populaire n’est pas, en soi, contraire à la Convention (Saric c. Danemark (déc.), no 31913/96, 2 février 1999, et Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 89, CEDH 2010 -...). 57. Il n’en demeure pas moins que pour que les exigences d’un procès équitable soient respectées, le public et, au premier chef, l’accusé doivent être à même de comprendre le verdict qui a été rendu. C’est là une garantie essentielle contre l’arbitraire. Or, comme la Cour l’a déjà souvent souligné, la prééminence du droit et la lutte contre l’arbitraire sont des principes qui sous-tendent la Convention (Taxquet, précité, § 90). Dans le domaine de la justice, ces principes servent à asseoir la confiance de l’opinion publique dans une justice objective et transparente, l’un des fondements de toute société démocratique (Suominen c. Finlande, no 37801/97, § 37, 1er juillet 2003, Tatichvili c. Russie, no 1509/02, § 58, CEDH 2007-III, et Taxquet, précité). 58. La Cour rappelle également que devant les cours d’assises avec participation d’un jury populaire, il faut s’accommoder des particularités de la procédure où, le plus souvent, les jurés ne sont pas tenus de – ou ne peuvent pas – motiver leur conviction (Taxquet, précité, § 92). Dans ce cas, l’article 6 exige de rechercher si l’accusé a pu bénéficier des garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d’arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation. Ces garanties procédurales peuvent consister par exemple en des instructions ou éclaircissements donnés par le président de la cour d’assises aux jurés quant aux problèmes juridiques posés ou aux éléments de preuve produits, et en des questions précises, non équivoques soumises au jury par ce magistrat, de nature à former une trame apte à servir de fondement au verdict ou à compenser adéquatement l’absence de motivation des réponses du jury (ibidem, et Papon c. France (déc.), no 54210/00, ECHR 2001-XII). Enfin, doit être prise en compte, lorsqu’elle existe, la possibilité pour l’accusé d’exercer des voies de recours. 59. Eu égard au fait que le respect des exigences du procès équitable s’apprécie sur la base de la procédure dans son ensemble et dans le contexte spécifique du système juridique concerné, la tâche de la Cour, face à un verdict non motivé, consiste donc à examiner si, à la lumière de toutes les circonstances de la cause, la procédure suivie a offert suffisamment de garanties contre l’arbitraire et a permis à l’accusé de comprendre sa condamnation (Taxquet, précité, § 93). Ce faisant, elle doit garder à l’esprit que c’est face aux peines les 64 plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques (Salduz c. Turquie, [GC] no 36391/02, § 54, CEDH 2008 -..., et ibidem). 60. Dans l’arrêt Taxquet (précité), la Cour a examiné l’apport combiné de l’acte d’accusation et des questions posées au jury. S’agissant de l’acte d’accusation, qui est lu au début du procès, elle a relevé que s’il indique la nature du délit et les circonstances qui déterminent la peine, ainsi que l’énumération chronologique des investigations et les déclarations des personnes entendues, il ne démontre pas « les éléments à charge qui, pour l’accusation, pouvaient être retenus contre l’intéressé ». Surtout, elle en a relevé la « portée limitée » en pratique, dès lors qu’il intervient « avant les débats qui doivent servir de base à l’intime conviction du jury » (§ 95). 61. Quant aux questions, au nombre de trente-deux pour huit accusés, dont quatre seulement pour le requérant, elles étaient rédigées de façon identique et laconique, sans référence « à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre au requérant de comprendre le verdict de condamnation », à la différence de l’affaire Papon, où la cour d’assises s’était référée aux réponses du jury à chacune des 768 questions posées par le président de cette cour (§ 96). 62. Il ressort de l’arrêt Taxquet (précité) que l’examen conjugué de l’acte d’accusation et des questions posées au jury doit permettre de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés durant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à répondre par l’affirmative aux quatre questions le concernant, et ce afin de pouvoir notamment : différencier les coaccusés entre eux ; comprendre le choix d’une qualification plutôt qu’une autre ; connaître les motifs pour lesquels des coaccusés sont moins responsables aux yeux du jury et donc moins sévèrement punis ; justifier le recours aux circonstances aggravantes (§ 97). Autrement dit, il faut des questions à la fois précises et individualisées (§ 98). b. Application de ces principes au cas d’espèce 63. La Cour constate d’emblée que tous les accusés, à l’instar du requérant, bénéficient d’un certain nombre d’informations et de garanties durant la procédure criminelle française : l’ordonnance de mise en accusation ou l’arrêt de la chambre de l’instruction en cas d’appel sont lus dans leur intégralité par le greffier au cours des audiences d’assises ; les charges sont exposées oralement puis discutées contradictoirement, chaque élément de preuve étant débattu et l’accusé étant assisté d’un avocat ; les magistrats et les jurés se retirent immédiatement après la fin des débats et la lecture des questions, sans disposer du dossier de la procédure ; ils ne se prononcent donc que sur les éléments contradictoirement examinés au cours des débats. Par ailleurs, les décisions des cours d’assises sont susceptibles d’un réexamen par une cour d’assises statuant en appel et dans une composition élargie. 64. S’agissant de l’apport combiné de l’acte de mise en accusation et des 65 questions posées au jury en l’espèce, la Cour relève tout d’abord que le requérant était le seul accusé et que l’affaire était très complexe. 65. Par ailleurs, l’arrêt de mise en accusation avait une portée limitée, puisqu’il intervenait avant les débats qui constituent le cœur du procès, ce dont conviennent les parties. La Cour constate néanmoins qu’il ressort expressément de cet arrêt que le meurtre n’était pas formellement établi et que, partant, le lieu, le moment et les modalités du crime supposé restaient inconnus, le requérant ayant par ailleurs toujours nié les faits. Concernant les constatations factuelles reprises par cet acte et leur utilité pour comprendre le verdict prononcé contre le requérant, la Cour ne saurait se livrer à des spéculations sur le point de savoir si elles ont ou non influencé le délibéré et l’arrêt finalement rendu par la cour d’assises. Force est cependant de constater qu’elles laissaient nécessairement subsister de nombreuses incertitudes, en raison du fait que l’explication de la disparition d’A.R. ne pouvait reposer que sur des hypothèses. 66. Quant aux questions, elles s’avèrent d’autant plus importantes que le Gouvernement indique lui-même que, pendant le délibéré, les magistrats et les jurés ne disposent pas du dossier de la procédure et qu’ils se prononcent sur les seuls éléments contradictoirement discutés au cours des débats, même s’ils disposaient également en l’espèce, conformément à l’article 347 du code de procédure pénale, de l’arrêt de mise en accusation. 67. La Cour note par ailleurs que l’enjeu était considérable, le requérant ayant été condamné à une peine de vingt ans de réclusion criminelle, après avoir préalablement bénéficié d’une ordonnance de non-lieu, puis d’un acquittement. 68. En l’espèce, les questions subsidiaires ayant été déclarées sans objet, seulement deux questions ont été posées au jury : la première sur le fait d’avoir ou non volontairement donné la mort à A.R. et, la seconde, en cas de réponse positive, sur une éventuelle préméditation. 69. La Cour ne peut que constater, dans les circonstances très complexes de l’espèce, que ces deux questions étaient non circonstanciées et laconiques. La Cour note en effet, d’une part, que le requérant avait été acquitté en première instance et, d’autre part, que les raisons et les modalités de la disparition d’A.R., y compris la thèse de l’assassinat, ne reposaient que sur des hypothèses, faute de preuves formelles, qu’il s’agisse par exemple de la découverte du corps ou d’éléments matériels établissant formellement les circonstances de lieu, de temps, ainsi que le mode opératoire de l’assassinat reproché au requérant. Partant, les questions ne comportaient de référence « à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre au requérant de comprendre le verdict de condamnation » (Taxquet, précité, § 96). 70. Certes, le ministère public a interjeté appel, ce qui a permis, comme le souligne le Gouvernement, un réexamen de l’arrêt rendu en première instance (paragraphe 53 ci-dessus). Cependant, outre le fait que ce dernier n’était pas non plus motivé, l’appel a entraîné la constitution d’une nouvelle cour d’assises, autrement composée, chargée de recommencer l’examen du dossier et 66 d’apprécier à nouveau les éléments de fait et de droit dans le cadre de nouveaux débats. Il s’ensuit que le requérant ne pouvait retirer de la procédure en première instance aucune information pertinente quant aux raisons de sa condamnation en appel par des jurés et des magistrats professionnels différents, et ce d’autant plus qu’il avait d’abord été acquitté. 71. En conclusion, la Cour estime qu’en l’espèce le requérant n’a pas disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre. 72. Enfin, la Cour prend note de la réforme intervenue depuis l’époque des faits, avec l’adoption de la loi no 2011-939 du 10 août 2011 qui a notamment inséré, dans le code de procédure pénale, un nouvel article 365 1. Ce dernier prévoit dorénavant une motivation de l’arrêt rendu par une cour d’assises dans un document qui est appelé « feuille de motivation » et annexé à la feuille des questions. En cas de condamnation, la loi exige que la motivation reprenne les éléments qui ont été exposés pendant les délibérations et qui ont convaincu la cour d’assises pour chacun des faits reprochés à l’accusé. Aux yeux de la Cour, une telle réforme, semble donc a priori susceptible de renforcer significativement les garanties contre l’arbitraire et de favoriser la compréhension de la condamnation par l’accusé, conformément aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention. 73. En l’espèce, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. C.E.D.H., 10 janvier 2013, Legillon c./ France : 2. Appréciation de la Cour a. Principes généraux 52. La Cour rappelle que la Convention ne requiert pas que les jurés donnent les raisons de leur décision et que l’article 6 ne s’oppose pas à ce qu’un accusé soit jugé par un jury populaire même dans le cas où son verdict n’est pas motivé. L’absence de motivation d’un arrêt qui résulte de ce que la culpabilité d’un requérant avait été déterminée par un jury populaire n’est pas, en soi, contraire à la Convention (Saric c. Danemark (déc.), no 31913/96, 2 février 1999, et Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 89, CEDH 2010 -...). 53. Il n’en demeure pas moins que pour que les exigences d’un procès équitable soient respectées, le public et, au premier chef, l’accusé doivent être à même de comprendre le verdict qui a été rendu. C’est là une garantie essentielle contre l’arbitraire. Or, comme la Cour l’a déjà souvent souligné, la prééminence du droit et la lutte contre l’arbitraire sont des principes qui sous-tendent la Convention (Taxquet, précité, § 90). Dans le domaine de la justice, ces principes servent à asseoir la confiance de l’opinion publique dans une justice objective et transparente, l’un des fondements de toute société démocratique (Suominen c. Finlande, no 37801/97, § 37, 1er juillet 2003, Tatichvili c. Russie, no 1509/02, § 67 58, CEDH 2007-III, et Taxquet, précité). 54. La Cour rappelle également que devant les cours d’assises avec participation d’un jury populaire, il faut s’accommoder des particularités de la procédure où, le plus souvent, les jurés ne sont pas tenus de – ou ne peuvent pas – motiver leur conviction (Taxquet, précité, § 92). Dans ce cas, l’article 6 exige de rechercher si l’accusé a pu bénéficier des garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d’arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation. Ces garanties procédurales peuvent consister par exemple en des instructions ou éclaircissements donnés par le président de la cour d’assises aux jurés quant aux problèmes juridiques posés ou aux éléments de preuve produits, et en des questions précises, non équivoques soumises au jury par ce magistrat, de nature à former une trame apte à servir de fondement au verdict ou à compenser adéquatement l’absence de motivation des réponses du jury (ibidem, et Papon c. France (déc.), no 54210/00, ECHR 2001-XII). Enfin, doit être prise en compte, lorsqu’elle existe, la possibilité pour l’accusé d’exercer des voies de recours. 55. Eu égard au fait que le respect des exigences du procès équitable s’apprécie sur la base de la procédure dans son ensemble et dans le contexte spécifique du système juridique concerné, la tâche de la Cour, face à un verdict non motivé, consiste donc à examiner si, à la lumière de toutes les circonstances de la cause, la procédure suivie a offert suffisamment de garanties contre l’arbitraire et a permis à l’accusé de comprendre sa condamnation (Taxquet, précité, § 93). Ce faisant, elle doit garder à l’esprit que c’est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques (Salduz c. Turquie, [GC] no 36391/02, § 54, CEDH 2008 -..., et ibidem). 56. Dans l’arrêt Taxquet (précité), la Cour a examiné l’apport combiné de l’acte d’accusation et des questions posées au jury. S’agissant de l’acte d’accusation, qui est lu au début du procès, elle a relevé que s’il indique la nature du délit et les circonstances qui déterminent la peine, ainsi que l’énumération chronologique des investigations et les déclarations des personnes entendues, il ne démontre pas « les éléments à charge qui, pour l’accusation, pouvaient être retenus contre l’intéressé ». Surtout, elle en a relevé la « portée limitée » en pratique, dès lors qu’il intervient « avant les débats qui doivent servir de base à l’intime conviction du jury » (§ 95). 57. Quant aux questions, au nombre de trente-deux pour huit accusés, dont quatre seulement pour le requérant, elles étaient rédigées de façon identique et laconique, sans référence « à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre au requérant de comprendre le verdict de condamnation », à la différence de l’affaire Papon, où la cour d’assises s’était référée aux réponses du jury à chacune des 768 questions posées par le président de cette cour (§ 96). 58. Il ressort de l’arrêt Taxquet (précité) que l’examen conjugué de l’acte 68 d’accusation et des questions posées au jury doit permettre de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés durant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à répondre par l’affirmative aux quatre questions le concernant, et ce afin de pouvoir notamment : différencier les coaccusés entre eux ; comprendre le choix d’une qualification plutôt qu’une autre ; connaître les motifs pour lesquels des coaccusés sont moins responsables aux yeux du jury et donc moins sévèrement punis ; justifier le recours aux circonstances aggravantes (§ 97). Autrement dit, il faut des questions à la fois précises et individualisées (§ 98). b. Application de ces principes au cas d’espèce 59. La Cour constate d’emblée que tous les accusés, à l’instar du requérant, bénéficient d’un certain nombre d’informations et de garanties durant la procédure criminelle française : l’ordonnance de mise en accusation ou l’arrêt de la chambre de l’instruction en cas d’appel sont lus dans leur intégralité par le greffier au cours des audiences d’assises ; les charges sont exposées oralement puis discutées contradictoirement, chaque élément de preuve étant débattu et l’accusé étant assisté d’un avocat ; les magistrats et les jurés se retirent immédiatement après la fin des débats et la lecture des questions, sans disposer du dossier de la procédure ; ils ne se prononcent donc que sur les éléments contradictoirement examinés au cours des débats. Par ailleurs, les décisions des cours d’assises sont susceptibles d’un réexamen par une cour d’assises statuant en appel et dans une composition élargie. 60. S’agissant de l’apport combiné de l’acte de mise en accusation et des questions posées au jury en l’espèce, la Cour relève tout d’abord que le requérant était le seul accusé et que les faits reprochés, indépendamment de leur gravité, n’étaient pas complexes. 61. Par ailleurs, l’arrêt de mise en accusation avait une portée limitée, puisqu’il intervenait avant les débats qui constituent le cœur du procès, ce dont conviennent les parties. La Cour constate néanmoins qu’il était particulièrement circonstancié et que les charges ont ensuite été débattues pendant trois jours. Concernant les constatations de fait reprises par cet acte et leur utilité pour comprendre le verdict prononcé contre le requérant, la Cour ne saurait se livrer à des spéculations sur le point de savoir si elles ont ou non influencé le délibéré et l’arrêt finalement rendu par la cour d’assises. 62. La Cour estime que le changement de qualification intervenu entre l’ordonnance de renvoi et les questions posées au jury souligne que la décision de ce dernier ne se confond pas avec l’acte de mise en accusation. Elle considère en outre que cette évolution, résultant des débats, a nécessairement permis à l’accusé de comprendre une partie du raisonnement du jury. 63. Quant aux questions, elles s’avèrent d’autant plus importantes que le Gouvernement indique lui-même que, pendant le délibéré, les magistrats et les jurés ne disposent pas du dossier de la procédure et qu’ils se prononcent sur les seuls éléments contradictoirement discutés au cours des débats, même s’ils 69 disposaient également en l’espèce, conformément à l’article 347 du code de procédure pénale, de l’arrêt de mise en accusation. 64. En l’espèce, douze questions, composant un ensemble précis et exempt d’ambiguïté sur ce qui était reproché au requérant, ont été posées. 65. Certes, le requérant se plaint également de l’absence de distinction entre les éléments de violence, de contrainte, de menace ou de surprise, lesquels ne recouvrent pas la même réalité. La Cour estime cependant qu’il ne saurait prétendre avoir été, pour cette seule raison, empêché de comprendre le verdict qui a été rendu, en particulier compte tenu de la circonstance que les faits ont été commis par un ascendant sur des victimes mineures de son entourage immédiat. 66. La Cour relève d’ailleurs que les circonstances aggravantes, en relation avec l’ascendance et l’âge des victimes, ont fait l’objet de questions individualisées, permettant ainsi au jury de déterminer individuellement et avec précision la responsabilité pénale du requérant (voir Goktepe c. Belgique, no 50372/99, 2 juin 2005). 67. En conclusion, la Cour estime qu’en l’espèce le requérant a disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre. 68. Enfin, la Cour prend note de la réforme intervenue depuis l’époque des faits, avec l’adoption de la loi no 2011-939 du 10 août 2011 qui a notamment inséré, dans le code de procédure pénale, un nouvel article 365 1. Ce dernier prévoit dorénavant une motivation de l’arrêt rendu par une cour d’assises dans un document qui est appelé « feuille de motivation » et annexé à la feuille des questions. En cas de condamnation, la loi exige que la motivation reprenne les éléments qui ont été exposés pendant les délibérations et qui ont convaincu la cour d’assises pour chacun des faits reprochés à l’accusé. Aux yeux de la Cour, une telle réforme, semble donc a priori susceptible de renforcer significativement les garanties contre l’arbitraire et de favoriser la compréhension de la condamnation par l’accusé, conformément aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention. 69. En l’espèce, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. 70 Principe d’assistance effective de l’avocat C.E.D.H., 14 octobre 2010, Brusco c./ France : b) Appréciation de la Cour (…) 45. La Cour rappelle également que la personne placée en garde à vue a le droit d'être assistée d'un avocat dès le début de cette mesure ainsi que pendant les interrogatoires, et ce a fortiori lorsqu'elle n'a pas été informée par les autorités de son droit de se taire (voir les principes dégagés notamment dans les affaires Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, §§ 50-62, 27 novembre 2008, Dayanan c. Turquie, no 7377/03, §§ 30-34, 13 octobre 2009, Boz c. Turquie, no 2039/04, §§ 33-36, 9 février 2010, et Adamkiewicz c. Pologne, no 54729/00 §§ 82-92, 2 mars 2010). (…) 54. La Cour constate également qu'il ne ressort ni du dossier ni des procèsverbaux des dépositions que le requérant ait été informé au début de son interrogatoire du droit de se taire, de ne pas répondre aux questions posées, ou encore de ne répondre qu'aux questions qu'il souhaitait. Elle relève en outre que le requérant n'a pu être assisté d'un avocat que vingt heures après le début de la garde à vue, délai prévu à l'article 63-4 du code de procédure pénale (paragraphe 28 ci-dessus). L'avocat n'a donc été en mesure ni de l'informer sur son droit à garder le silence et de ne pas s'auto-incriminer avant son premier interrogatoire ni de l'assister lors de cette déposition et lors de celles qui suivirent, comme l'exige l'article 6 de la Convention. C.C., 30 juillet 2010, 2010-14/22 QPC : - SUR LES ARTICLES 63-4, ALINÉA 7, ET 706-73 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE : 12. Considérant qu'il résulte des dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée et du troisième alinéa de son article 23-5 que le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qui a déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une 71 décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 13. Considérant que le Conseil constitutionnel a été saisi, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de la loi du 9 mars 2004 susvisée ; que les requérants contestaient notamment la conformité à la Constitution des dispositions de ses articles 1er et 14 ; que, dans les considérants 2 et suivants de sa décision du 2 mars 2004 susvisée, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné l'article 1er qui « insère dans le livre IV du code de procédure pénale un titre XXV intitulé : " De la procédure applicable à la criminalité et à la délinquance organisées " » et comportait l'article 706-73 du code de procédure pénale ; qu'en particulier, dans les considérants 21 et suivants de cette même décision, il a examiné les dispositions relatives à la garde à vue en matière de criminalité et de délinquance organisées et, parmi celles-ci, le paragraphe I de l'article 14 dont résulte le septième alinéa de l'article 63-4 du code de procédure pénale ; que l'article 2 du dispositif de cette décision a déclaré les articles 1er et 14 conformes à la Constitution ; que, par suite, le septième alinéa de l'article 63-4 et l'article 706-73 du code de procédure pénale ont déjà été déclarés conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ; qu'en l'absence de changement des circonstances, depuis la décision du 2 mars 2004 susvisée, en matière de lutte contre la délinquance et la criminalité organisées, il n'y a pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, de procéder à un nouvel examen de ces dispositions ; - SUR LES ARTICLES 62, 63, 63-1, 63-4, ALINÉAS 1er À 6, ET 77 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE : 14. Considérant que, dans sa décision susvisée du 11 août 1993, le Conseil constitutionnel n'a pas spécialement examiné les articles 63, 63 1, 63-4 et 77 du code de procédure pénale ; que, toutefois, il a déclaré conformes à la Constitution les modifications apportées à ces articles par les dispositions alors soumises à son examen ; que ces dispositions étaient relatives aux conditions de placement d'une personne en garde à vue et à la prolongation de cette mesure, au contrôle de celle-ci par le procureur de la République et au droit de la personne gardée à vue d'avoir un entretien de trente minutes avec un avocat ; que, postérieurement à la loi susvisée du 24 août 1993, ces articles du code de procédure pénale ont été modifiés à plusieurs reprises ; que les dispositions contestées assurent, en comparaison de celles qui ont été examinées par le Conseil dans sa décision du 11 août 1993, un encadrement renforcé du recours à la garde à vue et une meilleure protection des droits des personnes qui en font l'objet ; 72 15. Considérant toutefois que, depuis 1993, certaines modifications des règles de la procédure pénale ainsi que des changements dans les conditions de sa mise en œuvre ont conduit à un recours de plus en plus fréquent à la garde à vue et modifié l'équilibre des pouvoirs et des droits fixés par le code de procédure pénale ; 16. Considérant qu'ainsi la proportion des procédures soumises à l'instruction préparatoire n'a cessé de diminuer et représente moins de 3 % des jugements et ordonnances rendus sur l'action publique en matière correctionnelle ; que, postérieurement à la loi du 24 août 1993, la pratique du traitement dit « en temps réel » des procédures pénales a été généralisée ; que cette pratique conduit à ce que la décision du ministère public sur l'action publique est prise sur le rapport de l'officier de police judiciaire avant qu'il soit mis fin à la garde à vue ; que, si ces nouvelles modalités de mise en oeuvrede l'action publique ont permis une réponse pénale plus rapide et plus diversifiée conformément à l'objectif de bonne administration de la justice, il n'en résulte pas moins que, même dans des procédures portant sur des faits complexes ou particulièrement graves, une personne est désormais le plus souvent jugée sur la base des seuls éléments de preuve rassemblés avant l'expiration de sa garde à vue, en particulier sur les aveux qu'elle a pu faire pendant celle-ci ; que la garde à vue est ainsi souvent devenue la phase principale de constitution du dossier de la procédure en vue du jugement de la personne mise en cause ; 17. Considérant, en outre, que, dans sa rédaction résultant des lois du 28 juillet 1978 et 18 novembre 1985 susvisées, l'article 16 du code de procédure pénale fixait une liste restreinte de personnes ayant la qualité d'officier de police judiciaire, seules habilitées à décider du placement d'une personne en garde à vue ; que cet article a été modifié par l'article 2 de la loi du 1er févier 1994, l'article 53 de la loi du 8 février 1995, l'article 20 de la loi du 22 juillet 1996, la loi du 18 novembre 1998, l'article 8 de la loi du 18 mars 2003 et l'article 16 de la loi du 23 janvier 2006 susvisées ; que ces modifications ont conduit à une réduction des exigences conditionnant l'attribution de la qualité d'officier de police judiciaire aux fonctionnaires de la police nationale et aux militaires de la gendarmerie nationale ; que, entre 1993 et 2009, le nombre de ces fonctionnaires civils et militaires ayant la qualité d'officier de police judiciaire est passé de 25 000 à 53 000 ; 18. Considérant que ces évolutions ont contribué à banaliser le recours à la garde 73 à vue, y compris pour des infractions mineures ; qu'elles ont renforcé l'importance de la phase d'enquête policière dans la constitution des éléments sur le fondement desquels une personne mise en cause est jugée ; que plus de 790 000 mesures de garde à vue ont été décidées en 2009 ; que ces modifications des circonstances de droit et de fait justifient un réexamen de la constitutionnalité des dispositions contestées ; . En ce qui concerne le grief tiré de l'atteinte à la dignité de la personne : 19. Considérant que le Préambule de la Constitution de 1946 a réaffirmé que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ; que la sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d'asservissement et de dégradation est au nombre de ces droits et constitue un principe à valeur constitutionnelle ; 20. Considérant qu'il appartient aux autorités judiciaires et aux autorités de police judiciaire compétentes de veiller à ce que la garde à vue soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne ; qu'il appartient, en outre, aux autorités judiciaires compétentes, dans le cadre des pouvoirs qui leur sont reconnus par le code de procédure pénale et, le cas échéant, sur le fondement des infractions pénales prévues à cette fin, de prévenir et de réprimer les agissements portant atteinte à la dignité de la personne gardée à vue et d'ordonner la réparation des préjudices subis ; que la méconnaissance éventuelle de cette exigence dans l'application des dispositions législatives précitées n'a pas, en elle-même, pour effet d'entacher ces dispositions d'inconstitutionnalité ; que, par suite, s'il est loisible au législateur de les modifier, les dispositions soumises à l'examen du Conseil constitutionnel ne portent pas atteinte à la dignité de la personne ; . En ce qui concerne les autres griefs : 21. Considérant qu'aux termes de l'article 7 de la Déclaration de 1789 : « Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance » ; qu'aux termes de son article 9 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé 74 indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi » ; que son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; 22. Considérant qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant la procédure pénale ; qu'aux termes de son article 66 : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi » ; 23. Considérant que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale ; que, s'agissant de la procédure pénale, cette exigence s'impose notamment pour éviter une rigueur non nécessaire lors de la recherche des auteurs d'infractions ; 24. Considérant, en outre, qu'il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties ; qu'au nombre de celles-ci figurent le respect des droits de la défense, qui découle de l'article 16 de la Déclaration de 1789, et la liberté individuelle que l'article 66 de la Constitution place sous la protection de l'autorité judiciaire ; 25. Considérant qu'en elles-mêmes, les évolutions rappelées ci-dessus ne méconnaissent aucune exigence constitutionnelle ; que la garde à vue demeure une mesure de contrainte nécessaire à certaines opérations de police judiciaire ; que, toutefois, ces évolutions doivent être accompagnées des garanties appropriées encadrant le recours à la garde à vue ainsi que son déroulement et assurant la protection des droits de la défense ; 26. Considérant que l'autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et du parquet ; que l'intervention d'un magistrat du siège est requise pour la prolongation de la garde à vue au-delà de quarante-huit heures ; qu'avant la fin de cette période, le déroulement de la garde à vue est placé sous le contrôle du procureur de la République qui peut décider, le cas échéant, de sa prolongation de vingt-quatre heures ; qu'il résulte des articles 63 et 77 du code de procédure 75 pénale que le procureur de la République est informé dès le début de la garde à vue ; qu'il peut ordonner à tout moment que la personne gardée à vue soit présentée devant lui ou remise en liberté ; qu'il lui appartient d'apprécier si le maintien de la personne en garde à vue et, le cas échéant, la prolongation de cette mesure sont nécessaires à l'enquête et proportionnés à la gravité des faits que la personne est suspectée d'avoir commis ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 66 de la Constitution doit être écarté ; 27. Considérant cependant, d'une part, qu'en vertu des articles 63 et 77 du code de procédure pénale, toute personne suspectée d'avoir commis une infraction peut être placée en garde à vue par un officier de police judiciaire pendant une durée de vingt-quatre heures quelle que soit la gravité des faits qui motivent une telle mesure ; que toute garde à vue peut faire l'objet d'une prolongation de vingt-quatre heures sans que cette faculté soit réservée à des infractions présentant une certaine gravité ; 28. Considérant, d'autre part, que les dispositions combinées des articles 62 et 63 du même code autorisent l'interrogatoire d'une personne gardée à vue ; que son article 63-4 ne permet pas à la personne ainsi interrogée, alors qu'elle est retenue contre sa volonté, de bénéficier de l'assistance effective d'un avocat ; qu'une telle restriction aux droits de la défense est imposée de façon générale, sans considération des circonstances particulières susceptibles de la justifier, pour rassembler ou conserver les preuves ou assurer la protection des personnes ; qu'au demeurant, la personne gardée à vue ne reçoit pas la notification de son droit de garder le silence ; 29. Considérant que, dans ces conditions, les articles 62, 63, 63-1, 63-4, alinéas 1er à 6, et 77 du code de procédure pénale n'instituent pas les garanties appropriées à l'utilisation qui est faite de la garde à vue compte tenu des évolutions précédemment rappelées ; qu'ainsi, la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties ne peut plus être regardée comme équilibrée ; que, par suite, ces dispositions méconnaissent les articles 9 et 16 de la Déclaration de 1789 et doivent être déclarées contraires à la Constitution ; - SUR LES EFFETS DE LA DÉCLARATION D'INCONSTITUTIONNALITÉ : 76 30. Considérant, d'une part, que le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement ; qu'il ne lui appartient pas d'indiquer les modifications des règles de procédure pénale qui doivent être choisies pour qu'il soit remédié à l'inconstitutionnalité constatée ; que, d'autre part, si, en principe, une déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à la partie qui a présenté la question prioritaire de constitutionnalité, l'abrogation immédiate des dispositions contestées méconnaîtrait les objectifs de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et entraînerait des conséquences manifestement excessives ; qu'il y a lieu, dès lors, de reporter au 1er juillet 2011 la date de cette abrogation afin de permettre au législateur de remédier à cette inconstitutionnalité ; que les mesures prises avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité, DÉCIDE : Article 1er.- Les articles 62, 63, 63-1 et 77 du code de procédure pénale et les alinéas 1er à 6 de son article 63-4 sont contraires à la Constitution. 77 Séance III Le principe de publicité des débats I / Documents – A lire: C.E.S.D.H., article 6 Constitution du 5 fructidor an VIII, article 208 Article 22 du Code de procédure civile Article 433, alinéa 1er du Code de procédure civile C. Cass., 2ème civ., 24 févr. 2000 C.E. 4 oct. 1974, Dame David II / EXERCICE. Vous traiterez l'exercice suivant : « Après avoir pris connaissance des documents de la plaquette, vous rédigerez une première note sur le principe de publicité (une à deux pages), puis vous compléterez, grâce à vos recherches, l'aspect pénal de celui-ci en écrivant une note équivalente » 78 C.E.S.D.H., article 6 : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. Tout accusé a droit notamment à : être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ; disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ; interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. » Constitution du 5 fructidor an VIII, article 208. « Les séances des tribunaux sont publiques ; les juges délibèrent en secret ; les 79 jugements sont prononcés à haute voix ; ils sont motivés, et on y énonce les termes de la loi appliquée. » Article 22 du code de procédure civile « Les débats sont publics, sauf les cas où la loi exige qu'ils aient lieu en chambre du conseil » Article 433, alinéa 1er du code de procédure civile « Les débats sont publics sauf les cas où la loi exige qu'ils aient lieu en chambre du conseil. Ce qui est prévu à cet égard en première instance doit être observé en cause d'appel, sauf s'il en est autrement disposé. » Cour de cassation 2ème chambre civile 24 février 2000 « RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant : Sur le pourvoi formé par : 1 / M. Henri Y..., 2 / Mme Marie-Thérèse d'X..., épouse Y..., 80 demeurant ensemble ..., en cassation d'un arrêt rendu le 29 septembre 1998 par la cour d'appel d'Aix-enProvence (1re chambre civile, section A), au profit : 1 / de M. François-Régis Croze, président de la 4e chambre A de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, domicilié en cette qualité à la cour d'appel d'Aix-enProvence, ..., 2 / du Procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence, domicilié en cette qualité à la cour d'appel d'Aix-en-Provence, ..., défendeurs à la cassation ; Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les moyens de cassation annexés au présent arrêt ; LA COUR, en l'audience publique du 20 janvier 2000, où étaient présents : M. Buffet, président, M. Trassoudaine, conseiller référendaire rapporteur, MM. Guerder, Pierre, Dorly, Mme Solange Gautier, MM. de Givry, Mazars, conseillers, M. Chemithe, avocat général, Mme Claude Gautier, greffier de chambre ; Sur le rapport de M. Trassoudaine, conseiller référendaire, les observations de Me Capron, avocat des époux Y..., les conclusions de M. Chemithe, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Sur le second moyen, qui est préalable : 81 Vu les articles 14, 16 et 351 du nouveau Code de procédure civile, ensemble l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; Attendu qu'une partie doit être informée de la date à laquelle sa demande de récusation d'un juge sera examinée ; Attendu que l'arrêt attaqué, qui a rejeté la demande présentée par M. Y... et son épouse, tendant à la récusation d'un président de chambre de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, porte la mention que l'audience a été tenue sans que les parties aient été appelées ; En quoi la cour d'appel a méconnu les exigences des textes susvisés ; Et sur le premier moyen : Vu les articles 22 et 433 du nouveau Code de procédure civile, ensemble les articles 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 14 du Pacte de New-York ; Attendu que la règle d'ordre public de la publicité des débats est applicable en matière de récusation d'un juge ; Attendu que l'arrêt mentionne que les débats ont eu lieu en chambre du conseil, en l'absence des époux Y... ; qu'il ressort de cette énonciation que l'affaire n'a pas été débattue en audience publique ; En quoi la cour d'appel a méconnu la règle de la publicité des débats ; 82 PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 septembre 1998, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ; Laisse les dépens à la charge du Trésor Public ; Dit que sur les diligences du Procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre février deux mille. » C.E., 4 octobre 1974, Dame David « REQUÊTE de la dame David (Evelyne) tendant à l'annulation de l'alinéa 2 de l'article 83 du décret du 20 juillet 1972 instituant de nouvelles dispositions destinées à s'intégrer dans la partie générale d'un nouveau Code de procédure civile ; 83 Vu la Constitution et notamment ses articles 34 et 37 ; le Code civil ; l'ancien Code de procédure civile ; le décret du 9 septembre 1971 ; l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ; le Code général des impôts ; *1* CONSIDÊRANT qu'aux termes de l'article 83 du décret du 20 juillet 1972 instituant de nouvelles dispositions destinées à s'intégrer dans la partie générale d'un nouveau Code de procédure civile : les débats sont publics, à moins qu'il ne résulte de quelque disposition qu'ils doivent avoir lieu en Chambre du Conseil. Le président peut toutefois décider que les débats auront lieu ou se poursuivront en Chambre du Conseil s'il doit résulter de leur publicité une atteinte à l'intimité de la vie privée, ou si toutes les parties le demandent, on s'il survient des désordres de nature à troubler la sérénité de la justice ; *2* Cons. que la publicité des débats judiciaires est un principe général du droit ; qu'il n'appartient, dès lors, qu'au législateur d'en déterminer, d'en étendre ou d'en restreindre les limites ; que le 2e alinéa de l'article 83 qui confère au président du tribunal, seul le droit de décider que les débats auront lieu en Chambre du Conseil s'il doit résulter de leur publicité une atteinte à l'intimité de la vie privée, ou si toutes les parties le demandent, ou s'il survient des désordres de nature à troubler la sérénité de la justice, apporte des restrictions à ce principe et ne pouvait, par suite, être édicté par le pouvoir réglementaire ; que la dame David, journaliste de chroniques judiciaires, est donc fondée à en demander l'annulation ; ... (Annulation ; dépens mis à la charge de l'Etat). » 84