La lutte contre le terrorisme et les droits de l`Homme

Transcription

La lutte contre le terrorisme et les droits de l`Homme
Université Lumière Lyon 2
Master 2 recherche droits de l’Homme
Année universitaire 2006 / 2007
La lutte contre le terrorisme
et
les droits de l’Homme
Moins de droits pour plus de sécurité… ?
Elodie BERTRAND VINCENT
Sous la direction de Madame JAILLARDON
« Et quelle est cette efficacité qui parvient à justifier ce qu’il ya de plus
injustifiable chez l’adversaire ? A cet égard on doit aborder de front l’argument
majeur de ceux qui ont pris leur parti de la torture : celle-ci a peut-être permis
de retrouver trente bombes, au prix d’un certain honneur, mais elle a suscité du
même cout cinquante terroristes nouveaux qui, opérant autrement, feront mourir
plus d’innocents encore ».
CAMUS Albert, 19581
« Ceux qui acceptent de céder une part de liberté pour accroître leur sécurité
n’auront, ni ne méritent, ni l’une ni l’autre ».
FRANKLIN Benjamin2
1
Cité par LEVI-LAVENSI Jacqueline, GARAPON Antoine et SALAS Denis, « Réflexions sur le terrorisme » ;
Paris, Nicolas Philippe, 2002 ; p.182.
2
Cité par CANTIE Philippe, « Au nom de l’antiterrorisme: les bibliothèques américaines face à l’USA Patriot
Act » ; Presses de l’enssib ; mars 2006, ISBN 2-910227-64-2 ; p.177.
Sommaire
Introduction
Chapitre 1
p.4
Le contrôle des populations
p.20
Section I ) Des atteintes caractérisées à la liberté individuelle
A ) Les perquisitions domiciliaires facilitées
p.21
B ) Les contrôles d’identité et les « visites » de véhicules généralisées en France
p.29
Section II ) Des limitations réelles aux libertés d’opinion, de communication et
d’information
p.43
A ) Les bibliothèques étasuniennes sous haute vigilance
B ) Les connexions internet et les communications électroniques sous surveillance
p.60
C ) Le principe du secret des sources journalistiques : le droit et sa pratique
p.69
Chapitre 2 Les « aménagements » apportés au droit à un procès équitable
p.72
Section I ) L’altération du droit d’accès à un juge indépendant et impartial
A ) Les juridictions françaises spécialisées, trop spécialisées ?
p.73
B ) Quel juge pour les prisonniers de Guantanamo ?
p.84
Section II ) L’affaiblissement des droits de la défense
p.103
A ) Du droit de ne pas s’accuser soi-même à la torture des terroristes présumés
B ) Du droit d’accès au secret des charges retenues et des preuves de l’accusation
p.108
C ) Du droit d'être assisté par un défenseur à la réalité
p.115
Conclusion
p.123
Bibliographie
p.125
Table des matières
p.138
1
Sigles
ABFFE
American Booksellers Foundation for Free Expression
(Fondation des libraires américains pour la liberté d’expression)
ACLU
American Civil Liberties Union
(Syndicat américain des libertés civiques)
AEA
Association des Editeurs Américains
ALA
American Library Association
(Association des bibliothéques américaines)
ARB
Administrative Review Board
(Conseil de révision administratif)
CCR
Center for Constitutional Rights
CIA
Central Intelligence Agency
(Agence Centrale de Renseignement Américaine)
CICR
Comité International de la Croix Rouge
CNCIS
Commission Nationale de Contrôle des Interceptions de Sécurité
CNIL
Commission Nationale Informatique et Libertés
CNCIS
Commission Nationale de Contrôle des Interceptions de Sécurité
CPCE
Code des postes et communications électroniques
C. pen.
Code pénal
CPP
Code de procédure pénale
CUJM
Code unifié de justice militaire
CSRT
Combatant Status Review Tribunal
(tribunal compétent pour la détermination du statut de
combattant)
DGPN
Direction générale de la police nationale
DNAT
Division Nationale de lutte Anti-Terroriste
2
FAI
Fournisseur d’Accès Internet
FARC
Forces Armées Révolutionnaires de Colombie
FBI
Fédéral Bureau of Investigation
(Bureau fédéral d’investigation)
FEN
Free Expression Network
(Collectif pour la libre expression en réseau)
FIDH
Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme
FISA
Foreign Intelligence Surveillance Act
(Acte sur la surveillance de l’intelligence étrangère)
IP
Protocole Internet
JLD
Juge des Libertés et de la Détention
LAP
Library Awareness Program
(Programme de sensibilisation (comprendre surveillance) des
librairies)
LDH
Ligue française pour la défense des Droits de l’Homme et du
citoyen
NTIC
Nouvelles Technologies de l’Information et de la
Communication
NSL
National Security Letters
Lettres pour la sécurité nationale
OPJ
Officier de Police Judiciaire
RSF
Reporters Sans Frontière
USA PATRIOT Act
Uniting and Strengthening America by Providing Appropriate
Tools Required to Intercept and Obstruct Terrorism
(Unir et renforcer l’Amérique en fournissant des outils
appropriés pour déceler et contrer le terrorisme)
USB
Universal Serial Bus
3
Introduction
Comme le disait HOBBES, « l’Homme est un loup pour l’Homme » et pour s’en protéger
l’humain se place sous la coupe d’une société, « il accepte librement une réduction de ses
libertés fondamentales en échange d’une garantie de sécurité de la part de l’Etat »1. Reste à
savoir le niveau de liberté et de droits auxquels il est prêt à renoncer pour être en sécurité.
A l’heure actuelle, cette question se pose particulièrement au sujet du terrorisme. Le
terrorisme n’est pas un phénomène nouveau. Pour exemple, en Palestine, entre 73 et 66 avant
Jésus Christ, « les Zélotes combattent l’occupation romaine avec des méthodes relevant du
terrorisme »2. Pourtant, le mot « terrorisme » apparut « pour la première fois dans le
supplément de 1798 du dictionnaire de l’Académie française. (…) Il désigne alors un mode de
gouvernement du type de celui instauré par la Convention dans la France révolutionnaire »3.
Le terrorisme est alors synonyme de terreur politique, les révolutionnaires s’arrogeant le droit
de tuer au nom des progrès de l’humanité, et constitue une vaste machine politique soutenue
par des lois, des tribunaux et une majorité parlementaire ; c’est le terrorisme d’Etat. « D’où ce
paradoxe que le mot “terrorisme” prend sa résonnance historique avec l’avènement des
droits de l’Homme »4.
Dès le début du XIXème siècle, le terrorisme couvre une seconde acception avec le terrorisme
contre l’Etat. « De méthode de conservation et de protection de l’Etat, il devient l’outil de sa
remise en cause »5. Ce terrorisme est utilisé comme une stratégie de guerre indirecte. Celle-ci
consiste « à ne pas prendre le taureau par les cornes, c'est-à-dire à ne pas affronter l’ennemi
dans une épreuve de force directe, mais à ne l’aborder qu’après l’avoir inquiété, surpris et
déséquilibré par une approche imprévue, effectuée par des directions détournées »6. Ce
terrorisme constitue une « manœuvre par lassitude où l’infériorité des forces militaires doit
être compensée par une supériorité croissante des forces morales à mesure que l’action
DAGUZAN Jean-François, « Terrorisme(s), abrégé d’une violence qui dure » ; Paris, CNRS éditions, carré
sciences ; 2006 ; p.174.
2
PETREMANN Simon et GOENS Olivier, « Réflexions sur l’histoire du terrorisme » ; in « Terrorisme, regards
croisés », dir. MICHEL Quentin ; Presses Interuniversitaires Européennes, collection Non Prolifération ;
Bruxelles, 2005 ; ISBN 90-5201-255-5 ; p.14.
3
PETREMANN Simon et GOENS Olivier, « Réflexions sur l’histoire du terrorisme » ; op cit, p.13.
4
GAYRAUD J.F. et SENAT David, « Le terrorisme » ; PUF, Que sais-je ?; 2ème édition, octobre 2006 ; ISBN 2
13 055866 6 ; p.10.
5
GAYRAUD J.F. et SENAT David, « Le terrorisme » ; op cit, p.11.
6
BEAUFRE André, « Introduction à la stratégie », Hachette, collection pluriel, 1998 ; p.43.
1
4
dure »1. Le terrorisme est donc devenu une action, une stratégie psychologique par laquelle
ses auteurs tentent de renverser le rapport de forces initialement favorable à l’ennemi.
Ce « terrorisme contre l’Etat » a évolué au cours de l’histoire. Il y eut le terrorisme ouvrier
(par exemple la bande noire de Montceau-les-Mines entre 1882 et 1885 en France ou les
Molly Maguires en Pensylvanie aux Etats-Unis dans les années 1870), puis le terrorisme
anarchique, le terrorisme indépendantiste et de libération nationale (Algérien, Basque, Corse,
Breton pour la France, Vietnamien pour les Etats-Unis). Dans les années 1970, apparait le
terrorisme révolutionnaire ou idéologique, souvent d’inspiration d’extrême gauche, et enfin,
survint le terrorisme islamique.
On peut dire que depuis les attentats du 11 septembre 2001, l’Occident a pris conscience
d’une nouvelle mutation du terrorisme. Elle n’est pas technique mais relative à la conception
même du terrorisme. « Une nouvelle forme de terrorisme lié à l’islamisme radical semble
émerger. Nul n’est à ce jour en mesure de démontrer l’existence d’une internationale
terroriste, au sens où il existait une internationale communiste avec un centre unique de
commandement. Mais [les attentats du 11 septembre 2001] donnent en tout cas l’impression
d’un terrorisme tellement inscrit dans les logiques de la globalisation que l’on est tenté de le
qualifier lui aussi de global. Ce terrorisme d’inspiration islamique incarné par la figure
emblématique d’Oussama BEN LADEN est le fait de réseaux très flexibles qui savent se
connecter et se déconnecter »2. En effet, si on nous a présenté pendant de longs mois AlQaida comme l’organisation regroupant la totalité des terroristes islamistes, on sait bien
aujourd’hui qu’il s’agit plus d’une multitude de groupes plus ou moins indépendants que
d’une organisation pyramidale de type occidental3. Du fait de la mondialisation et de la fin de
la bipolarisation Est-Ouest, le terrorisme est devenu désétatisé, déterritorialisé, mutant, fluide,
massif, aveugle, criminalisé.
L’aspect global du terrorisme actuel résulte de sa désétatisation et de sa déterritorialisation.
En effet, les intégristes islamiques terroristes ne sont pas aux ordres d’un Etat (nous ne
prétendons pas qu’ils n’ont reçu aucun secours étatique) et ne limitent plus leurs actions à un
territoire donné. Bien au contraire, le recrutement s’effectue à travers le monde entier et les
attentats ont lieu dans l’ensemble des pays du monde. Depuis de nombreuses années, les
extrémistes islamiques utilisent le jihad « local » contre les pays où ils habitent, afin que
BEAUFRE André, « Introduction à la stratégie » ; op cit ; p.43.
PETREMANN Simon et GOENS Olivier, « Réflexions sur l’histoire du terrorisme » ; in « Terrorisme, regards
croisés » ; op cit ; p.30.
3
Voir sur ce point BAUER Alain et RAUFER Xavier, « L’énigme Al-Qaida » ; éditions J.C. LATTES, avril
2005, p.61 et suivantes.
1
2
5
ceux-ci respectent plus les préceptes islamistes. Par les attentats du 11 septembre 2001, s’est
découvert au grand jour un jihad « mondial » que sont censés mener l’ensemble des
musulmans contre les « croisés ». Pour preuve, le « Front Islamique International » formé dès
1990 puis, créé en février 1998, le « Front Islamique Mondial du Jihad contre les juifs et les
croisés »1. Pour preuve encore, la multitude de nationalités parmi les terroristes du 11
septembre ou des talibans en Afghanistan.
Le terrorisme, qui reste en majorité politique, s’est criminalisé du fait des moyens utilisés et
surtout des pertes civiles causées. Historiquement, il était d’essence politique. Le trouble à
l’ordre public était le moyen du criminel et le but du terroriste, même s’ils employaient les
mêmes procédés. « Le banditisme était motivé par l’esprit de lucre et de profit, alors que le
terrorisme était en principe mû par des abstractions et une cause »2. La frontière s’est
troublée à partir de la fin de la guerre froide. Aujourd’hui, certaines organisation politiques se
sont « criminalisées » (pensons aux FARC3 en Colombie) et des acteurs purement criminels
s’attaquent de front à l’Etat. En France, « à Nice, en 1993, des truands menés par JeanClaude OLIVEIRO se livrent à une série d’attentats afin d’asseoir leur hégémonie locale :
deux tirs de roquette contre une maison d’arrêt, plasticages de commerces, etc… »4. Les
explosions qui visent des bâtiments de la police nationale sont récurrentes. Les violences
urbaines de novembre 2005, avec les incendies de voitures et de bus, font aussi penser à du
terrorisme. Reste que le terrorisme islamique est, lui, d’essence théologique et politique. Le
courant islamique fondamentaliste est né à l’époque du Moyen Age chrétien. Il prône un
« islam politique, de réaction violente à une agression, un islam manichéiste qui oppose sans
nuance “Dar al-islam” (le terre de l’islam, le bien) “Dar al-kufr” (la terre des infidèles, le
mal) »5. Le courant jihadiste mondial, assimilé en Occident à Al-Quaida, est clairement
d’essence politique dans le sens où il cherche à imposer au Monde une organisation sociale et
politique en respect avec son interprétation du Coran. Il peut être délicat de distinguer une
organisation religieuse d’une organisation politique. Carl Schmitt nous éclaire sur ce point6 :
« une communauté religieuse, une Eglise peuvent demander à un fidèle de mourir pour sa foi,
de subir le martyr, mais en vue de son propre salut seulement, et non pour sa communauté
religieuse en tant que puissance organisée en ce bas monde ; sinon cette communauté se
transforme en organisme politique ; ses guerres saintes et ses croisades sont, comme les
BAUER Alain et RAUFER Xavier, « L’énigme Al-Qaida » ; op cit, p.100 et 112.
GAYRAUD J.F. et SENAT David, « Le terrorisme » ; op cit, p.16.
3
Forces Armées Révolutionnaires de Colombie.
4
GAYRAUD J.F. et SENAT David, « Le terrorisme » ; op cit, p.19.
5
BAUER Alain et RAUFER Xavier, « L’énigme Al-Qaida » ; op cit, p.128.
6
Carl SCHMITT, « Le Nomos de la Terre », PUF-Léviatan, 2001
1
2
6
autres guerres, des entreprises fondées sur une décision d’hostilité ». Ainsi, on peut dire que
le courant jihadiste mondial est un mouvement politico-militaire recouvert d’un vernis
religieux mais dont « l’essence est politique et non religieuse »1. Pour autant, les terroristes
islamistes ne peuvent bénéficier du statut de réfugié politique. Les Etats de droit protègent de
telles personnes au nom de la démocratie. Pourtant, l’opposant politique qui commet des actes
de terrorisme et cause des pertes civiles devient un criminel et doit être puni comme tel,
quelque soient ses mobiles (généralement indifférents en droit pénal). C’est la raison pour
laquelle, le 28 septembre 2001, le Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations Unies a
adopté la résolution 1373 qui « demande à tous les Etats (…) de veiller, conformément au
droit international, à ce que les auteurs ou les organisateurs d’actes de terrorisme ou ceux
qui facilitent de tels actes ne détournent pas à leur profit de statut de réfugié et à ce que la
revendication de motivations politiques ne soit considérée comme pouvant justifier le rejet de
demande d’extradition de terroristes présumés »2.
Le terrorisme islamiste est massif et aveugle, il a pour but avoué de faire le plus de victimes
possible, il mutile, tue, détruit indistinctement. En fait, le terrorisme est une guerre sans front
dont les victimes sont principalement civiles. « L’inspiration profonde de tous les terroristes
est la même : on fait de la politique en tuant, en tuant uniquement »3. Ils propagent la terreur
via les médias. Or « un attentat ne franchit désormais la “barrière médiatique” qu’au-delà de
la dizaine de morts »4 alors il faut beaucoup de morts et de blessés pour que l’acte soit
retransmis, encore et encore. Malgré l’écart technologique entre l’occident et les terroristes
islamiques, ces derniers tuent en grand nombre car ils ont recours à des techniques
rudimentaires (difficilement détectables et contrôlables) dont l’efficacité est accrue par des
plans d’action sophistiqués.
Le problème posé par la définition du terrorisme est que le terroriste d’hier peut être le
libérateur de demain (pensons aux résistants français de la seconde guerre mondiale) et
inversement (pensons à Oussama BEN LADEN, « combattant de la liberté » pour les
étasuniens jusqu’à ce qu’il s’attaque à des ambassades étasuniennes, il devient alors un
terroriste). En fait, les groupements sont qualifiés de terroristes par l’autorité en place à
BAUER Alain et RAUFER Xavier, « L’énigme Al-Qaida » ; op cit, p.116.
Résolution adoptée par le Conseil de Sécurité de l’ONU à sa 4385ème séance, le 28 septembre 2001 ;
S/RES/1373 (2001), p.3 ; disponible sur :
http://daccessdds.un.org/doc/UNDOC/GEN/N01/557/44/PDF/N0155744.pdf?OpenElement
3
PETREMANN Simon et GOENS Olivier, « Réflexions sur l’histoire du terrorisme » ; in « Terrorisme, regards
croisés » ; op cit ; p.33.
4
GAYRAUD J.F. et SENAT David, « Le terrorisme » ; op cit, p.20.
1
2
7
laquelle ils s’opposent. Cela rend cette qualification partiale et dangereuse, surtout du fait de
la coopération internationale contre le terrorisme qui s’est mise en place. En effet, étant donné
que les terroristes doivent en principe être extradés (cf. résolution 1373 de l’ONU), comment
s’assurer que l’Etat qui les qualifie de terroristes ne profite pas de la coopération
internationale pour faire revenir sur son territoire des opposants politiques pacifiques ?
La prochaine forme de terrorisme à laquelle nous devrons certainement faire face est le
terrorisme informatique. Ce terrorisme attaque les systèmes d’information et les banques de
données adverses par l’introduction de virus, chevaux de Troie, bombes logiques… Encore
virtuelle, cette menace est particulièrement préoccupante pour nos sociétés toujours plus
informatisées et interconnectées. En effet, une telle attaque pourrait toucher des secteurs
vitaux comme les transports, les banques, les bourses et la production d’énergie. Pour se
prémunir de cela, les gouvernements, comme nous le verrons, surveillent de près les
Nouvelles Technologies de l’Information et des Communications (NTIC).
Se prémunir du terrorisme est le but avoué, voir l’obsession principale des gouvernants. C’est
aussi bien sûr un devoir qui leur incombe, au nom de leur obligation de protéger l’intégrité
physique et la vie de leurs citoyens, contre partie de l’autorité qu’ils exercent sur eux. Les
Etats-Unis ont même déclaré la « guerre au terrorisme ». La communauté internationale
collabore aussi dans ce but. Au niveau étatique, la lutte contre le terrorisme passe en premier
lieu par la définition d’infractions terroristes.
Aux Etats-Unis, il revient à chaque Etat fédéré de définir les infractions terroristes, sur la base
de la « common law » ou par le biais de lois pénales. Au niveau fédéral, des incriminations
spécifiques au terrorisme ont été prévues. Elles prévoient notamment la compétence
universelle des juridictions étasuniennes en cas d’acte de terrorisme contre les citoyens
étasuniens, n’importe où dans le monde1. Une loi fédérale prévoit aussi des primes au
bénéfice des personnes fournissant des informations sur des infractions terroristes2.
Reste qu’à l’échelle fédérale, il n’existe pas d’incrimination uniforme du terrorisme. En effet,
chaque acteur de la sécurité a sa propre définition. Le Département d’Etat et l’agence centrale
de renseignement (CIA) utilisent la définition de la section 2656f (d) du titre 22 du United
States Code3 : « violence préméditée, à motivations politiques, exercées contre des cibles non
Anti-Terrorisme Act de 1987, inséré aux sections 5201 à 5203 du Code des Etats-Unis.
Section 3077 du titre 18 du Code des Etats-Unis.
3
Section 2656f (d) du titre 22 du United States Code ; disponible sur :
http://www.law.cornell.edu/uscode/html/uscode22/usc_sec_22_00002656---f000-.html
1
2
8
combattantes par des groupes subnationaux ou des agents clandestins, dont le but est
généralement d’influencer une opinion ». Cette définition insiste sur les caractères prémédité
et politique du terrorisme. La police fédérale (FBI) se réfère à la section 0.85 du titre 28 du
Code of Federal Regulations1 aux termes de laquelle le terrorisme se définit comme « l’usage
illégal ou la menace de faire usage de la force ou de la violence, par un groupe ou un
individu (…), contre des personnes ou des biens, pour intimider ou contraindre un
gouvernement, la population civile (...), dans le but de promouvoir des objectifs politiques ou
sociaux ». Plus large que la précédente, cette définition prend en compte les mobiles sociaux
et élargit la catégorie des cibles aux biens et aux gouvernements. Pour le Département de la
Défense, le terrorisme se caractérise par « l’usage illégal – ou la menace – de la force ou de
la violence contre des individus ou des biens, pour contraindre ou intimider des
gouvernements ou des sociétés, souvent pour atteindre des objectifs politiques, religieux ou
idéologiques »2. Cette définition du terrorisme met l’accent sur les buts poursuivis et englobe
le terrorisme religieux.
Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont décidé de se doter d’un
régime d’exception en matière de lutte contre le terrorisme. Il a été instauré par la loi du 26
octobre 20013 présentée sous l’acronyme de « USA PATRIOT Act » : « Uniting and
Strengthening America by Providing Appropriate Tools Required to Intercept and Obstruct
Terrorism »4. Le texte créé de nouvelles infractions dont l’imprécision est marquante. En
effet, « l’emploi dans l’USA Patriot Act des termes de terrorisme et de terroriste est
extrêmement vague. Un terroriste peut être un représentant d’une organisation terroriste
étrangère “telle que définie par le secrétaire d’Etat” ou “quiconque engagé dans des
activités qui risquent d’être préjudiciables à la santé”. C’est ainsi que les trafiquants de
stupéfiants et même les “hackers” [pirates informatiques] peuvent se trouver rangés dans la
même catégorie que les sbires d’Oussama Ben Laden, se voir accusés de terrorisme et
encourir ainsi la peine de mort. Un citoyen américain peut se retrouver “terroriste” en
vacant à une activité tout à fait innocente à ses yeux [comme] financer une organisation
humanitaire subitement déclaré terroriste, réparer le fax d’un “terroriste”, gérer un serveur
de site internet utilisé par des “terroristes” ou simplement engager une conversation anodine
Définition du terrorisme de la section 0.85 du titre 28 du Code of Federal Regulations ; disponible sur :
http://www.fbi.gov/publications/terror/terror2000_2001.htm
2
Directive du Département de la Défense « DOD antiterrorism/Force Protection Program » du 13 avril 1999 ;
2000.12 ; disponible sur :http://www.gwu.edu/~nsarchiv/NSAEBB/NSAEBB55/2000.12.pdf
3
USA Patriot Act du 26 octobre 2001, Disponible sur http://thomas.loc.gov/cgibin/query/z?c107:H.R.3162.ENR:
4
Traduction : Unir et renforcer l’Amérique en fournissant des outils appropriés pour déceler et contrer le
terrorisme
1
9
avec un “terroriste” dans un lieu public. Quant au diplomate, il est par sa profession “agent
d’une puissance étrangère”, donc en statut d’équivalence avec un “terroriste”. C’est ainsi
qu’Azouz BEGAG, [l’ancien] ministre français délégué à la promotion de l’égalité des
chances, a subi un contrôle diplomatiquement qualifié “d’un peu trop poussé” à la douane de
l’aéroport d’Atlanta en octobre 2005, de même que le prix Nobel de la paix, Mohammed ELBARADEI, à New York peu de jours après »1. Outre Atlantique, dans un but répressif, les
infractions terroristes sont conçues de manière très large. Il en résulte qu’elles peuvent
concerner des comportements, certes criminels ou délictuels, mais qui ne sont pas en lien avec
du terrorisme. On retrouve la même logique en France.
Ici, il convient d’apporter quelques précisions au sujet de l’USA Patriot Act. « Pour le dire de
but en blanc, [ce dernier] a fait l’objet d’une procédure expéditive, entachée d’irrégularités
et de manœuvres sournoises indignes d’un régime démocratique. L’adoption de la loi
s’apparente à un véritable passage en force »2. Ainsi, John ASHCROFT, alors ministre de la
justice, indiquait aux membres du Congrès qu’il ne répondrait de rien si le gouvernement ne
se voyait pas accorder de pouvoirs étendus en matière de lutte contre le terrorisme. Autrement
dit, il fallait que les élus du peuple accordent ces pouvoirs au pouvoir exécutif ou bien ils
devraient assumer la responsabilité d’éventuels nouveaux attentats. Le discours patriotique
des républicains rencontrant un très large succès auprès de l’opinion publique au lendemain
des attentats, la loi fut adoptée à une large majorité. Seul un sénateur vota contre, Russ
FEINGOLD, Démocrate du Wisconsin et la sénatrice Mary ANDRIEU fut la seule à
s’abstenir. L’USA Patriot Act fut voté directement, sans audition préalable ni examen par une
commission. Pourtant, il s’agit d’un texte complexe. D’environ 350 pages, il se compose de
10 titres qui se subdivisent tous en 12 sections. Il engendre de nombreuses conséquences : met
en place de nouveaux bureaux fédéraux, créé de nouvelles infractions, commande la rédaction
de nombreux rapports, ouvre de nouveaux crédits et définit de nouveaux protocoles dans
quatre départements ministériels. Entrant en contradiction avec plusieurs lois fédérales, son
intégration n’est pas chose aisée3. L’USA Patriot Act « modifie les lois antérieures en
modifiant, ajoutant ou retranchant des termes ou des sections et rend nécessaires une
réévaluation par les tribunaux ainsi qu’une réinterprétation par les agences qui sont
HARVEY Robert et VOLAT Hélène, « USA PATRIOT ACT, de l’exception à la règle°» ; Editions Lignes &
Manifestes, collection Essais ; Février 2006 ; ISBN : 2-84938-048-2 ; p.33 et 34.
2
CANTIE Philippe, « Au nom de l’antiterrorisme: les bibliothèques américaines face à l’USA Patriot Act » ;
Presses de l’enssib ; mars 2006, ISBN 2-910227-64-2 ; p.37
3
MIROW Mary (attorney), tableau de l’ensemble des textes remaniés par l’USA Patriot Act;
http://www.alternatives-citoyennes.sgdg.org/num4/dos-marzouki-w.html
1
10
chargées de mettre en œuvre cette législation »1. D’un point de vue général, le Patriot Act
rend secrètes les activités des administrations fédérales, affaiblit le contrôle du juge au profit
d’une plus grande liberté d’action de l’exécutif.
En France, « le législateur est intervenu à maintes reprises pour élargir la liste des
infractions pouvant recevoir la qualifications d’actes de terrorisme »2. La loi du 22 juillet
19923 a inséré dans le Code pénal les articles 421-1 à 422-5 relatifs aux actes de terrorisme.
L’infraction terroriste est ainsi devenue autonome, révélant « la prise en compte de la réalité
contemporaine que constitue le terrorisme en consacrant l'autonomie des infractions
terroristes »4. Comme l’ancien, le nouveau Code pénal ne contient pas de définition globale
de l’acte terroriste. Exception faite de la nouvelle infraction de terrorisme écologique, la loi
énumère un certain nombre d’infractions préexistantes de droit commun, susceptibles d’être
qualifiées de terroristes si elles se couplent d’une intention particulière. Elles sont
principalement contenues dans l’article 421-1 du nouveau Code pénal :
- l’ensemble des atteintes volontaires à la vie et à l'intégrité de la personne humaine5 :
meurtre, empoisonnement, actes de barbarie, violences… On y retrouve aussi les menaces
« de commettre un crime ou un délit contre les personnes dont la tentative est punissable et
punie de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende lorsqu'elle est, soit réitérée,
soit matérialisée (…) ». Or le principe en droit français est que la tentative de tous les crimes
est punissable. Il faut par contre en matière délictuelle que le texte prévoit expressément
l’incrimination de la tentative, « ce qui est au demeurant presque toujours le cas »6. De plus,
sont à présent compris dans les « atteintes à la personne humaine » les appels téléphoniques
malveillants et les agressions sonores7. Ces infractions sont donc susceptibles de devenir des
actes de terrorisme ; « l'opportunité de cette solution ne s'impose pas avec évidence ! »8.
1
JEAGER Paul, Mc CLURE Charles, BERTOT John, SNEAD John, « The USA Patriot Act, the Foreign
Intelligence Surveillance Act, and information policy research in libraries : issues, impacts, and questions for
libraries and researchers » ; Library Quaterly, avril 2004, vol.74, n°2; p.4
2
VERON Michel, « Droit pénal spécial » ; Sirey, Dalloz, 11ème édition 2006, p.299.
3
Loi n° 92-686 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des
crimes et délits contre la nation, l'Etat et la paix publique.
4
M. SAPIN, alors ministre délégué à la Justice, exposé des motifs ; doc. AN 2083 et AN, 7 oct. 1991, JO, 1991,
n° 70, 4209.
5
Définies aux articles 221-1 à 221-5 et 222-1 à 222-18 du Code pénal
6
LE GUNEHEC Francis et DESPORTES Frédéric ; « Droit pénal Général » ; Economica, collection corpus
droit privé ; octobre 2004 ; ISBN 2-7178-4866-5 ; p.407
7
Article 222-16 du Code pénal
8
CARTIER Marie Elisabeth, « le terrorisme dans le nouveau code pénal français » ; revue de science criminelle
1995, chroniques p. 225
11
- les atteintes à la liberté de la personne : les enlèvements et séquestrations1 (la disposition
permet la compétence pour les enlèvements de français à l’étranger), les détournements
d'aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport2 ; ainsi que le fait de communiquer
une fausse information compromettant la sécurité d'un aéronef en vol ou d'un navire3.
- les infractions contre les biens punies d’au moins trois ans, c'est-à-dire des infractions d’une
certaine gravité: les vols simples et aggravés4, les extorsions5, les destructions, dégradations et
détériorations6 ainsi que les infractions en matière informatique7.
L’article 421-2-1 incrimine de manière autonome ce que l’on pourrait appeler « l’association
de malfaiteurs terroristes ».
L’article 421-1 3° vise « les infractions en matière de groupes de combat et de mouvements
dissous définies par les articles 431-13 à 431-17 et les infractions définies par les
articles 434-6 et 441-2 à 441-5 ». Ce renvoi à d’autres dispositions du Code pénal ne va pas
dans le sens de la clarté de la loi. « Constitue un groupe de combat, en dehors des cas prévus
par la loi, tout groupement de personnes détenant ou ayant accès à des armes, doté d'une
organisation hiérarchisée et susceptible de troubler l'ordre public »8. Le fait de participer à
un tel groupe de combat est répréhensible9. Logiquement, le fait d'organiser un groupe de
combat est aussi puni, plus sévèrement bien sûr10.
L’article 434-6 du Code pénal envisage les actes constituant une aide à un terroriste : « le fait
de fournir à la personne auteur ou complice (…) d'un acte de terrorisme puni d'au moins dix
ans d'emprisonnement un logement, un lieu de retraite, des subsides, des moyens d'existence
ou tout autre moyen de la soustraire aux recherches ou à l'arrestation est puni de trois ans
d'emprisonnement et de 45°000 euros d'amende ». Commettre de tels actes de manière
habituelle est plus sévèrement sanctionné. L’immunité familiale a été expressément prévue
par le législateur à la fin de l’article. L’article 434-6 ne peut donc pas servir de fondement à
des poursuites contre « les parents en ligne directe et leurs conjoints, (…) les frères et sœurs
et leurs conjoints, (…) (ni contre) le conjoint de l'auteur ou du complice du crime ou de l'acte
de terrorisme, ou la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui »11. La
1
Articles 224-1 à 224-5 du Code pénal
Article 224-6 et 7 du Code pénal
3
Article 224-8 du Code pénal
4
Article 311-1 à 311-11
5
Article 312-1 à 312-9
6
Article 322-1 à 322-14
7
Article 323-1 à 323-7 : « atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données »
8
Article 431-13 du Code pénal
9
Article 431-14, les peines sont de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.
10
Article 431-16, les peines sont de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
11
L’immunité du concubin est une innovation du nouveau Code pénal
2
12
production et l’usage d’un faux « commis dans un document délivré par une administration
publique » constitue aussi une infraction pouvant être qualifiée de terroriste1. Différentes
conditions d’aggravation sont prévues.
Ensuite, l’article 421-1 4° du nouveau Code pénal envisage différentes infractions-obstacles,
ainsi nommées par la doctrine car elles incriminent des comportements susceptibles de
conduire à la commission d'infractions plus graves. Le renvoi dans cet article à d’autres
dispositions contenues dans le Code de la défense ne simplifie encore pas la compréhension
du novice et complique sensiblement la tâche du juriste… Notons que la rédaction antérieure
à la loi du 12 décembre 20052 qui listait les infractions présentait bien plus de clarté. Dans les
articles du Code de la défense visés ici, on retrouve diverses infractions dont :
- le fait de s'approprier indûment les matières nucléaires, le fait de les altérer ou de les
détériorer ainsi que le fait de détruire des éléments de structure dans lesquels sont
conditionnées les matières nucléaires3.
- la fabrication ou le commerce des matériels de guerre ou d'armes ou de munitions de défense
de l'une des 1ère, 2ème, 3ème, 4èmecatégories4 ; la responsabilité des personnes morales étant
expressément prévue.
- l'acquisition, la cession ou la détention, d’une ou plusieurs armes de la 1 ère ou de la 4ème
catégorie ou leurs munitions5.
- le transport d’armes de 1ère, 4ème ou 6ème catégorie, ou d'éléments constitutifs de ces armes
des 1ère et 4ème catégories ou des munitions correspondantes6.
- la mise au point, la fabrication, la détention, le stockage, l'acquisition et la cession des agents
microbiologiques, des autres agents biologiques et des toxines biologiques, (…) non destinés
à des fins prophylactiques, de protection ou à d'autres fins pacifiques7.
L’article 421-1 5° incrimine le recel du produit de l'une des infractions précitées.
L’article 421-1 6° sanctionne les infractions de blanchiment prévues au chapitre IV du titre II
du livre III du Code pénal
Enfin, l’article 421-1 7° puni les délits d'initié prévus à l'article L. 465-1 du Code monétaire et
financier.
1
Article 441-2
Loi nº 2005-1550 du 12 décembre 2005 (art. 17) ; Journal Officiel du 13 décembre 2005.
3
Article L1333-9 du Code de la défense
4
Article L2339-2 combiné avec l’article L. 2332-1 I du Code de la défense.
5
Article L2339-5 du Code de la défense.
6
Article L2339-9 du Code de la défense.
7
Article L2341-1 du Code de la défense.
2
13
On peut remarquer que les dispositions du Code pénal ne font pas mention des infractions
connexes aux infractions terroristes énoncées avant. Ces dernières ne peuvent donc pas être
qualifiées de terroristes, les peines ne seront pas aggravées. Pourtant, elles aussi se voient
appliquer le régime procédural spécial prévu pour les actes de terrorisme1 au motif qu’il en va
d’une meilleure administration de la justice que les infractions connexes soient instruites et
jugées en même temps que les infractions terroristes avec lesquelles elles sont en lien.
La seule infraction terroriste spécifique est le terrorisme écologique. L'article 421-2 du Code
pénal incrimine comme un acte de terrorisme « le fait d'introduire dans l'atmosphère, sur le
sol, dans le sous-sol, dans les aliments ou les composants alimentaires ou dans les eaux, y
compris celles de la mer territoriale, une substance de nature à mettre en péril la santé de
l'homme ou des animaux ou le milieu naturel ». Cette nouvelle incrimination est le résultat de
la prise en compte des nouvelles réalités terroristes. Les terroristes n’ont en effet aucune
raison de se contenter d’utiliser les moyens connus employés de longue date ; ils évoluent et
tendent à se servir des moyens modernes qui peuvent rendre difficile, sinon impossible, la vie
de l'Homme dans son environnement naturel. On peut penser par exemple aux dommages
écologiques provoqués par l'Irak de Saddam Hussein au moment de la guerre du Golfe,
lorsque ses soldats embrasaient les puits de pétrole (certes aussi pour des raisons tactiques et
financières) ce qui rendait la survie des soldats étasuniens difficile dans un désert déjà hostile.
L’incrimination est large. « Le fait d’introduire » peut revêtir nombre de réalités, de
l'insertion, l'intromission, le déversement à la projection, etc... L’introduction est
répréhensible dans tous les lieux du territoire national. La « substance » peut être tout produit
quelconque. Le fait que cette « substance » doive être « de nature à mettre en péril » signifie
que l'infraction est formelle : l’incrimination n’exige pas la réalisation du dommage ; étant
précisé que la mort d’au moins une personne aggrave la peine encourue2. Le péril doit
concerner « la santé de l'homme ou des animaux ou le milieu naturel », c’est à dire que doit
être menacée la santé de tous les êtres vivants, à court comme à long terme.
L’article 421-2-3 incrimine « le fait de pas pouvoir justifier de ses ressources correspondant
à son train de vie, tout en étant en relation habituelle avec une ou plusieurs personnes se
livrant à un des actes de terrorisme » envisagés avant. Cette extension au terrorisme du délit
de non justification de ressources correspondant au train de vie permet de poursuivre le recel
de produits issus d’actes de terrorisme (la rançon d’un enlèvement par exemple) sans avoir à
caractériser l’infraction initiale. Cette infraction provoque un renversement de la charge de la
1
2
Article 706-16 du Code de procédure pénale.
Article 421-4 al.2 du Code pénal.
14
preuve : il incombera à la personne soupçonnée ou poursuivie de prouver la légalité de ses
ressources.
Toutes ces infractions de droit commun se verront qualifiées de terroristes si elles sont
commises « en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de
troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ».
La formule date de la loi de septembre 19861. Si la doctrine continue à regretter son manque
de clarté2, le Conseil Constitutionnel a eu l’occasion de dire qu’elle « est énoncée en des
termes d'une précision suffisante pour qu'il n'y ait pas méconnaissance » du principe de
légalité des délits3. Le rapporteur du projet de loi de juillet 19964 lui-même indiquait que « les
termes utilisés ne rencontraient pas totalement son adhésion mais que cependant les
consultations auxquelles il avait procédé montraient que la loi de 1986 avait été appliquée de
manière raisonnable, sans débordement et, grâce à la centralisation des poursuites, de
manière unitaire »5. Le droit de l’Homme constitué par le principe de légalité, sans être
totalement respecté, n’est pas violé.
La qualification terroriste découle donc d'un élément moral spécifique, un dol spécial
caractérisé par deux éléments : un de nature objective, « être en relation avec une entreprise
individuelle ou collective » et un de nature subjective, « ayant pour but de troubler gravement
l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ».
L'expression « en relation avec » est « assez insolite dans un texte répressif »6 qui doit par
nature être précis et explicite. Or, la « relation » est susceptible d’être caractérisée par un lien
distendu, voir provoqué par le hasard. L’exigence d'une « entreprise » « est exclusive de toute
idée d'improvisation ; elle suppose des préparatifs et un minimum d'organisation : par
exemple, l'établissement d'un plan d'action, le rassemblement de moyens matériels, la mise en
place d'un dispositif de repli, la rédaction d'un communiqué destiné à la presse... »7. On y
retrouve les notions à la fois de préméditation et d’acte préparatoire. Même si l’on sait que les
actes terroristes les plus dangereux sont souvent le fait d’une stratégie collective, le législateur
n’a pas voulu permettre que les poursuites soient impossibles dans le cas où la preuve ne peut
1
Loi ordinaire n°86-1020 du 09 septembre 1986, loi dit CHALANDON relative à la lutte contre le terrorisme et
aux atteintes à la sureté de l’Etat ; J.O. "Lois et Décrets" du 10 septembre 1986, page 10956.
2
CARTIER Marie Elisabeth, « le terrorisme dans le nouveau code pénal français » ; op cit.
3
CC, décision n° 86-213 du 3 septembre 1986, J.O. du 5 septembre 1986, p. 10786 ; 6ème considérant.
4
Loi n° 96-647 du 22 juillet 1996 tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes
dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public et comportant des dispositions
relatives à la police judiciaire ; J.O n° 170 du 23 juillet 1996 page 11104 ; NOR: JUSX9500140L
5
JO 1991, n° 70, séance du 7 oct. 1991, 4204.
6
CARTIER Marie Elisabeth, « le terrorisme dans le nouveau code pénal français » ; op cit.
7
Circulaire d'application de la loi de 1986.
15
être faite d’un acte collectif ou dans l’hypothèse d’actes individuels (on se souvient de
Théodore John Kaczynski, surnommé Unabomber, un terroriste étasunien qui a fait l’objet de
la chasse à l’homme la plus coûteuse du FBI ; de 1978 à 1995 il a en effet envoyé des colis
piégés à des personnes en lien avec la technologie qu’il perçoit comme le démon des temps
modernes ; il a causé la mort de 3 personnes et a fait 29 blessés1). L’entreprise terroriste peut
donc être « tant individuelle que collective ».
L’infraction doit poursuivre une finalité terroriste : « troubler gravement l’ordre public par
l’intimidation ou la terreur ». Il s’agit d’un mobile spécifique alors que le droit pénal est en
général indifférent aux motivations de l’acte répréhensible. Pourtant un mobile peut se définir
« à la fois comme les raisons qui ont poussé l’auteur des faits à agir et comme l’intention de
parvenir à un résultat plus lointain que le résultat normalement exigé par la loi »2. Dans ce
second sens, l’intention terroriste est qualifiée de dol spécial et aggrave la répression. En quoi
consiste l’intention de « troubler gravement l'ordre public » ? L’ordre public est une notion
évolutive, voir floue, souvent utilisée par le législateur mais définie par la jurisprudence. Ici, il
semble que cette intention signifie que « l'agent ait eu recours à des procédés inquiétant
légitimement les populations (colis piégés, voitures qui s'enflamment...) et qui donnent
l'impression qu'effectivement chacun se trouve vulnérable et sans défense. Bref, c'est un
sentiment d'insécurité permanente qui peut hanter le public »3. Ce dernier peut être lui-même
constitutif d’un trouble grave à l’ordre public ou, en tout état de cause, est susceptible d’en
provoquer un, la panique de la population pouvant la conduire à violer les lois.
Les moyens dont doivent faire usage les terroristes sont l’intimidation et la terreur. Elles
renvoient toutes deux à la crainte collective, l’appréhension et à la paralysie de l’esprit. La
terreur est provoquée par le fait que nul ne peut se dire à l’abris d’une attaque terroriste,
aveugle par nature, tuant ou blessant les riches comme les pauvres, les vieux comme les
jeunes.
Aux Etats-Unis comme en France, les infractions terroristes sont donc très larges. De plus,
comme nous le verrons, le champ d’application des dispositions de procédure pénale,
dérogatoires au droit commun, applicables à ces infractions terroristes a été étendu à d’autres
infractions. Aux Etats-Unis, une partie des règles de procédure a été étendue à l’ensemble des
procédures criminelles qui ressortent de la compétence des autorités fédérales. En France, la
1
Pour plus de précisions, http://fr.wikipedia.org/wiki/Unabomber
LE GUNEHEC Francis et DESPORTES Frédéric ; « Droit pénal Général » ; op cit ; p.433.
3
BOULOC B., « Le terrorisme » in Problèmes actuels de science criminelle, Presses universitaires d'AixMarseille 1989, p. 70.
2
16
quasi-totalité des règles de procédure relatives à la recherche, à la poursuite et au jugement
des actes de terrorisme a été étendue aux infractions en matière de stupéfiants et de grande
criminalité. Comme nous le verrons, ces règles de procédure adoptées au lendemain des
attentats du 11 septembre 2001, au moment où l’émotion des citoyens et de leurs élus était
forte, portent atteinte, voire violent les droits de l’Homme. Elles créent une législation
d’exception qui en réalité, soit immédiatement soit plus tard, a été étendue à d’autres
infractions que les actes de terrorisme. Les gouvernants ont justifié ses extensions par le fait
que le terrorisme est financé par d’autres infractions, principalement de grande criminalité et
le trafic de stupéfiants. Il en résulte que la commission d’infractions qui ne sont pas en lien
avec du terrorisme se voient appliquer des procédures adoptées sous couvert de lutter contre
le terrorisme.
A l’annonce, fin octobre 2006 dans les médias, que le gouvernement étasunien permettait la
torture des prisonniers de Guantanamo, nous avons choisi de nous intéresser aux
conséquences (négatives) de la lutte contre le terrorisme sur les droits de l’Homme. Du fait de
l’effroi suscité par les attaques terroristes (surtout celles du 11 septembre 2001 aux EtatsUnis), la lutte anti-terrorisme remet, pour certains, en cause la pertinence de la notion même
de droits de l’Homme. Les terroristes se voient en effet refuser le bénéfice des droits attachés
dans les Etats de droit à la seule qualité d’être humain.
La lutte contre le terrorisme est une menace pour tous les Etats du monde (les pays du Sud en
sont d’ailleurs les premières victimes). Un bilan international aurait été trop complexe et
surtout trop long ; c’est pourquoi nous avons choisi de délimiter la présente étude, en l’espèce
aux Etats-Unis et à la France. La France parce qu’elle est notre pays, que l’état du droit nous y
intéresse particulièrement. Les Etats-Unis parce que bien souvent les pays européens suivent
le chemin qu’ils tracent et qu’il parait intéressant, à travers l’étude de leur droit, d’anticiper
les changements pouvant intervenir chez nous. Les Etats-Unis d’Amérique ont leur place dans
cette étude aussi car ils sont « les nouveaux moteurs de la lutte internationale contre le
terrorisme »1 et ils ont, au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, mis en place une
législation particulièrement dérogatoire, un régime d’exception attentatoire aux droits de
l’Homme.
ADAM Alexandre, « Lutte contre le terrorisme : étude Comparative Union Européenne – Etats-Unis » ;
Editions L'Harmattan ; coll. Inter-National ; 13 janvier 2006 ; ISBN-13: 978-2747594370 ; p.15
1
17
La question des conséquences sur les droits de l’Homme de la lutte contre le terrorisme
s’inscrit en France dans un contexte du « tout sécuritaire ». Quelques mois après les attentats
du 11 septembre 2001, le candidat du Front National accédait au second tour des élections
présidentielles, grâce à un discours basé sur la peur des immigrés du Maghreb et du Moyen
Orient, « des terroristes potentiels ». La sécurité fut encore un des sujets principaux des
dernières élections de 2007.
Aux Etats-Unis, un patriotisme exacerbé a résulté des attentats du 11 septembre 2001. En
conséquence, y est apparue une vision du monde binaire caractérisée par une « distribution
manichéenne des rôles : victimes sur leur sol d’une agressions sans précédent, les Etats-Unis,
quintessence autoproclamée de la démocratie, déclarent leur intention d’éradiquer cet Autre
diabolique qu’est le terrorisme »1. Pour preuve, la déclaration de George W. BUSH : « soit
vous êtes avec nous, soit vous êtes du coté des terroristes »2. Cette perception du monde, fort
similaire à celles des islamistes extrémistes, rend toute critique du dispositif de lutte contre le
terrorisme impossible. Les défenseurs des libertés civiles doivent, en outre, faire face à un
exécutif républicain conservateur et à une population qui, choquée par les images des
attentats, préfère sacrifier sa liberté et sa vie privée sur l’autel de la sécurité. Pour preuve,
65% des personnes interrogées lors d’un sondage3 déclarent que la lutte contre le terrorisme
est plus importante que la protection de la vie privée. 51% des sondés disent être prêts à
fermer les yeux sur les atteintes du gouvernement en matière de vie privée4. Le maintien d’un
seuil d’alerte élevé aux Etats-Unis, ainsi que les attentats islamistes qui ont lieu en Occident
(Madrid le 11 mars 2004, Londres le 7 juillet 2005) continuent d’entretenir la crainte qu’ont
les citoyens occidentaux de nouvelles attaques. Par ailleurs, « de nombreux sondages ont
montré un taux de confiance dans l’Etat fédéral d’un niveau jamais atteint depuis les années
soixante »5.
Alors que les droits de l’Homme ont été proclamés aux Etats-Unis et en France il y plus de
deux cents ans, nous pouvions penser, il y a quelques années, que les combats qui restaient à
mener auraient pour but de rendre les droits de l’Homme effectifs et réellement universels.
1
CANTIE Philippe, op cit, p.31.
BUSH George W. ; discours à l’adresse du Congrès et du peuple américain le 20 septembre 2001 ; p.31
Disponible sur http://www.whitehouse.gov./news/release/2001/09/20010920-8.htlm
3
LANGER GARY, « Poll: Broader Concern on Privacy Rights, But Terrorism Threat Still Trumps; Public Split
on Issue of Warrantless Wiretaps »; 10 janvier 2006; disponible sur:
http://abcnews.go.com/Politics/story?id=1490715
4
Il faut préciser que ce sondage a été fait en janvier 2006, au lendemain des révélations sur les mises sur écoutes
clandestines pratiquées pas la National Security Agency.
5
ADAM Alexandre, op cit, p.104.
2
18
Mais les attentats du 11 septembre ont provoqué des prises de position législatives et
institutionnelles qui ont engendré un net recul des droits de l’Homme, y compris dans nos
Etats qui les ont proclamés en premier et qui y sont traditionnellement attachés. C’est ce que
nous nous attacherons à prouver.
Il s’agit de démontrer comment et dans quelle mesure la lutte contre le terrorisme porte
atteinte aux droits de l’Homme. La question du comment est particulièrement intéressante du
point de vue de la technique juridique car elle permet de voir de quelle manière les
gouvernants peuvent s’affranchir des textes à valeur supra législative qui protègent les droits
de l’Homme.
Nous avons choisi d’aborder le sujet sous deux aspects. Premièrement, la lutte préventive
contre le terrorisme qui permet un contrôle accru des populations (chapitre 1). Ensuite, la lutte
contre le terrorisme dans son aspect répressif, c’est à dire les « aménagements » du droit au
procès équitable (chapitre 2) qui sont appliqués aux personnes suspectées, accusées et
condamnées pour terrorisme.
19
Chapitre 1
Le contrôle des populations
Dans son roman « 1984 », George ORWELL1 imaginait un monde sous contrôle intégral de
Big Brother. Sommes-nous face à l’avènement de sa prédiction ?
Les gouvernants s’immiscent dans les espaces privés sous couvert de lutter contre le
terrorisme. D’une manière générale, aux Etats-Unis comme en France, les dispositifs de lutte
contre le terrorisme, qui ne sont pas dans les faits limités à cette seule criminalité, ont en
commun un affaiblissement des garanties judiciaires. En effet, elles octroient plus
d’autonomie aux services de police et, quand un contrôle juridictionnel est prévu,
l’appréciation du juge est rendue plus difficile, voir impossible. Ainsi, les procédés de
contrôle des populations engendrent des atteintes caractérisées à la liberté individuelle
( section I ) et entraînent de réelles limitations aux libertés d’opinion, de communication et
d’information ( section II ).
Section I ) Des atteintes caractérisées à la liberté individuelle
Dans le but de prévenir d’éventuelles attaques terroristes, les gouvernements étasunien et
français ont modifié de traditionnelles dispositions protectrices de la liberté individuelle, de
telle sorte qu’elles y portent des atteintes caractérisées. Dans ces deux pays, le principe de
l’inviolabilité du domicile est mis à mal par des mesures tendant à faciliter les perquisitions
domiciliaires ( A ). En France, au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, le législateur
a généralisé les contrôles d’identité et les « visites » de véhicules ( B ).
1
ORWELL George, « 1984 » ; Galimard, Folio, novembre 1972, ISBN 207036822X.
20
A ) Les perquisitions domiciliaires facilitées
1 ) Des conditions allégées pour les perquisitions en France
a ) Notion et protection du domicile
Pour la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), « les droits garantis sous l’angle
de l’article 8 de la Convention EDH (CESDH) peuvent, dans certaines circonstances, être
interprétés comme incluant pour une société les droits au respect de son siège social, son
agence ou ses locaux professionnels »1. Une jurisprudence française isolée et ancienne a
défendu la même théorie : « un local industriel ou commercial doit être assimilé au domicile
d’un citoyen ou d’une personne juridique, l’accès pouvant en être réglementé et subordonné à
l’autorisation du propriétaire ou de l’exploitant »2.
Pourtant, en droit interne, si la définition du domicile est assez large, le critère le plus efficace
reste l’habitabilité : « seul constitue un domicile (…) le lieu où une personne, qu’elle y habite
ou non, a le droit de se dire chez elle, quel que soit le titre juridique de son occupation et
l’affectation donnée au locaux »3. « Le domicile implique nécessairement une notion
d’habitabilité méritant d’être protégée, sans laquelle ce lieu ne serait qu’une adresse »4.
Ainsi, un véhicule n’est pas qualifié de domicile5, sauf à ce qu’il soit spécifiquement aménagé
pour être habité, tel que les caravanes6. Sont qualifiées de domiciles les chambres d’hôtel7, ou
les chambres d’hôpital8.
Au niveau européen, la protection du domicile est assurée par l’article 8 de la Convention
Européenne des Droits de l’Homme : « toute personne a droit au respect de sa vie privée et
familiale, de son domicile et de sa correspondance (…) ».
Le domicile profite d’une protection en France depuis un décret de 1791 (19 et 22 juillet
1791)9. Le Code pénal (C. pen.) sanctionne les atteintes à l’inviolabilité du domicile par une
1
CEDH, 16 avril 2002, Sté Colas Est c. France ; D. 2003. Somm. 527, obs. BIRSAN.
CA Dijon, 1er février 1951 ; Quest. prud’h. 1951. 679.
3
CCass, crim., 22 janvier 1997 ; Bull. crim. N°31 ; Dr. Pénal 1997. Comm. 78, obs. VERON.
4
CA Versailles, 9 octobre 1992 ; Gaz. Pal. 1993 1. Somm. 52.
5
CCass., crim., 11 septembre 1933 ; DH 1933. 462.
6
Art. R 443-16 du Code de l’urbanisme.
7
CCass., crim. 31 janvier 1914 ; DP 1918 1. 76 ; S. 1916. 1. 59.
8
CA Paris, 17 mars 1986 ; Gaz. Pal. 1986. 2. 429.
9
http://playmendroit.free.fr/libertes_fondamentales/inviolabilite_domicile.htm
2
21
personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public dans la
cadre de ses fonctions ou de sa mission (art. 432-8 du C.pen.) ainsi que par une personne
quelconque (art. 226-4 et suivants du C.pen.).
Le Conseil Constitutionnel, dans une décision du 29 décembre 19831, a eu l’occasion de dire
que le principe de l’inviolabilité du domicile fait partie de la liberté individuelle dont la
sauvegarde est confiée à l’autorité judiciaire.
b ) Les atteintes légales au respect du domicile : les perquisitions.
Le Code de Procédure Pénale (CPP) permet des atteintes à l’inviolabilité du domicile, ce sont
les perquisitions. Elles consistent en une recherche policière ou judicaire de preuve d’une
infraction2. Elles sont encadrées par l’article 59 qui dispose que « sauf réclamation faite de
l'intérieur de la maison ou exceptions prévues par la loi, les perquisitions et les visites
domiciliaires ne peuvent être commencées avant 6 heures et après 21 heures ».
Dans une décision du 16 juillet 19963, le Conseil Constitutionnel a invalidé la loi du 22 juillet
19964 pour atteinte excessive au droit au respect du domicile. En effet, l’article 10 de cette loi
relative à la répression du terrorisme modifiait l'article 706-24 du Code de Procédure Pénale,
par l'ajout de quatre alinéas. En vertu des trois premiers, s'agissant d'infractions entrant dans
la définition des actes de terrorisme, pouvaient être opérées de nuit, des visites, perquisitions
et saisies, si les nécessités de l'enquête ou de l'instruction l'exigeaient. Les auteurs de la
saisine soutenaient que la règle posée par l'article 59 du code de procédure pénale, qui interdit
que visites et perquisitions puissent se dérouler entre 21 heures et 6 heures, était un principe
fondamental reconnu par les lois de la République. Selon eux, le principe de liberté
individuelle garantissant l'inviolabilité du domicile ne pourrait connaître d'atténuations
qu'autant que celles-ci sont rendues nécessaires pour sauvegarder l'ordre public, et que cette
exigence d'une nécessité éprouvée et indiscutable n'existe pas dans le cadre de l'enquête
préliminaire. Le Conseil estime que « le législateur n'a pas apporté une atteinte excessive au
principe d'inviolabilité du domicile, eu égard aux nécessités de l'enquête en cas de
1
CC, 29 décembre 1983, décision n° 83-164 DC, à propos de la loi de finances pour 1984 ; J.O. du 30
décembre 1983, p. 3871 ; 28ème considérant
2
Lexique des termes juridiques, 13ème édition, Dalloz, p.413
3
CC, 16 juillet 1996, décision n° 96-377 DC, considérant 14 et suivants ; J.O. du 23 juillet 1996, p. 11108 ;
NOR : CSCL9601612S ; D. 1997. 69, note MERCUZOT ; JCP 1996. II. 22709, note NGUYEN VAN TUONG.
4
Loi n° 96-647 du 22 juillet 1996 tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes
dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public et comportant des dispositions
relatives à la police judiciaire ; J.O n° 170 du 23 juillet 1996 page 11104 ; NOR: JUSX9500140L
22
flagrance »1. Il n’en va pas de même lorsque la loi prévoit « la possibilité de telles visites,
perquisitions et saisies de nuit, pendant une période qui n'est pas déterminée par la loi, dans
tout lieu, y compris dans les locaux servant exclusivement à l'habitation, en cas d'enquête
préliminaire et au cours d'une instruction préparatoire ». En effet, dans ce cas, « le
déroulement et les modalités de l'enquête préliminaire sont laissés à la discrétion du
procureur de la République, ou sous son contrôle, des officiers et agents de police
judiciaire ». De plus, au cours de la phase d'instruction préparatoire, le juge dispose de
pouvoirs assez importants pour qu’il ne soit pas nécessaire de lui permettre d’ordonner des
perquisitions de nuit. Ainsi, le Conseil Constitutionnel considèrent que les perquisitions de
nuit, dérogeant à l’article 59 du CPP, ne sont conformes à la Constitution que dans le cadre
des enquêtes de flagrance. Le Conseil Constitutionnel a tout de même refusé de voir dans le
principe de l’inviolabilité du domicile un principe reconnu par les lois de la République.
c ) Le contournement de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel : la permission des
perquisitions de nuit dans le cadre d’une instruction.
Le législateur, le 30 décembre 19962, a légiféré de nouveau en matière de terrorisme. L’article
16 I de cette loi dispose qu’il est créé « un article 706-24-1 ainsi rédigé : en cas d'urgence, si
les nécessités de l'instruction l'exigent, les visites, perquisitions et saisies peuvent être
effectuées en dehors des heures prévues par l'article 59, pour la recherche et la constatation
des actes de terrorisme (…) punis d'au moins dix ans d'emprisonnement : 1° - lorsqu'il s'agit
d'un crime ou d'un délit flagrant ; 2° - lorsqu'il existe un risque immédiat de disparition des
preuves ou des indices matériels ; 3° - lorsqu'il existe des présomptions qu'une ou plusieurs
personnes se trouvant dans les locaux où la perquisition doit avoir lieu se préparent à
commettre de nouveaux actes de terrorisme. A peine de nullité, ces opérations doivent être
prescrites par une ordonnance motivée du juge d'instruction précisant la nature de
l'infraction dont la preuve est recherchée ainsi que l'adresse des lieux dans lesquelles ces
Le Conseil Constitutionnel rappelle que « la recherche des auteurs d'infractions est nécessaire à la sauvegarde
de principes et droits de valeur constitutionnelle ; qu'il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre
cet objectif de valeur constitutionnelle et l'exercice des libertés publiques constitutionnellement garanties au
nombre desquelles figurent la liberté individuelle et notamment l'inviolabilité du domicile ». Les juges
constitutionnels estiment « qu'eu égard aux exigences de l'ordre public, le législateur peut prévoir la possibilité
d'opérer des visites, perquisitions et saisies de nuit dans le cas où un crime ou un délit susceptible d'être qualifié
d'acte de terrorisme est en train de se commettre ou vient de se commettre, à condition que l'autorisation de
procéder aux dites opérations émane de l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, et que le
déroulement des mesures autorisées soit assorti de garanties procédurales appropriées »
2
Loi n°96-1235 du 30 décembre 1996 relative à la détention provisoire et aux perquisitions de nuit en matière de
terrorisme ; J.O. n° 1 du 1 janvier 1997 page 9 ; NOR: JUSX9600198L.
1
23
opérations doivent être accomplies, et comportant l'énoncé des considérations de droit et de
fait qui constituent le fondement de cette décision par référence aux seules conditions prévues
par les 1°, 2° et 3° du présent article. (…)».
Autrement dit, quelques mois après que le Conseil Constitutionnel ait invalidé les
perquisitions de nuit dans le cadre d’une instruction, le législateur reprend les mêmes
mesures. Il permet ainsi les perquisitions domiciliaires de nuit dans le cadre des procédures
d’instruction en matière terroriste, du moment qu’il « existe un risque immédiat de disparition
des preuves ou des indices matériels » ou pour prévenir la commission d’autres actes de
terrorisme (ce qui semble dans ce dernier cas justifié mais aussi difficilement contrôlable).
Cette loi de décembre 1996 n’a pas été déférée au Conseil Constitutionnel qui n’a alors pas la
faculté de statuer. On se demande pourquoi les élus qui avaient saisi le Conseil en juillet n’ont
pas eu la même initiative en décembre. La réponse tient certainement dans les attentats du
RER Port Royal à Paris le 3 décembre 1996 (des attentats avaient pourtant déjà eu lieu dans le
RER parisien en juillet et octobre 1995). Tout se passe comme si, face à la commission
d’attentats, il n’était plus possible de défendre les droits de l’Homme. Le même phénomène
exactement se produisit aux Etats-Unis d’Amérique en 2001.
La loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité1,
communément appelée loi PERBEN I, a abrogé les articles 706-24 et suivants (du titre du
CPP consacré aux actes de terrorisme) que les lois de 1996 avaient modifiés. Les dispositions
ont été transférées aux articles 706-89 et suivants (dans une section relative aux perquisitions
dans le cadre des procédures applicables à la criminalité et à la délinquance organisée).
L’ancien juge antiterroriste Jean-Louis BRUGUIERE se veut rassurant sur des dispositions
dérogatoires au droit commun : « nous [les juges antiterroristes] sommes très peu
consommateurs des quelques mesures exceptionnelles prévues par la loi. Nous n’avons, par
exemple, utilisé la perquisition de nuit que deux fois et pour des raisons motivées. Dans une
procédure relative à un projet d’attentat contre l’ambassade des États-Unis à Paris, quand
des individus informés de l’avancée de l’enquête étaient en train de détruire des pièces à
conviction. Et dans une enquête sur le GSPC2 quand nous avions découvert en région
parisienne des armes et des explosifs pouvant servir à une action terroriste en France »3.
1
Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ; J.O. n° 59 du
10 mars 2004 page 4567 ; NOR: JUSX0300028L
2
Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat, ou GSPC, un groupe armé terroriste d'Algérie.
3
Propos recueillis par Christophe Lucet pour Sud-Ouest Dimanche « Le risque d’attentats en France reste
élevé », 7 janvier 2007 ;
http://www.sudouest.com/070107/une.asp?Article=070107a32525.xml
24
d ) L’exception à la nécessité de l’assentiment de la personne
Sauf cas de délit ou de crime flagrant, les perquisitions domiciliaires nécessitent en principe le
consentement expresse de la personne en vertu de l’article 76 du CPP. Depuis la loi du 15
novembre 2001 pour la sécurité quotidienne (LSQ)1, renforcée sur ce point par la loi pour la
sécurité intérieure (LSI) du 18 mars 20032, le juge des libertés et de la détention peut, à la
demande du Procureur de la République, autoriser une perquisition sans le consentement de
l’intéressé en application de l’alinéa 4 de l’article 76 du CPP. Cette disposition exige
seulement que la perquisition soit nécessaire (l’appréciation de ce critère n’étant confiée
expressément à personne, on supposera qu’elle doit d’abord être faite par le Procureur puis
par le juge avec les éléments dont il dispose) à une enquête relative à un délit puni d’une
peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à cinq ans, ce qui est le cas de
l’ensemble des infractions terroristes.
A la fin de l’article 76, il est précisé que « le fait que ces opérations révèlent des infractions
autres que celles visées dans la décision [du juge] ne constitue pas une cause de nullité des
procédures incidentes ». Nous reviendrons plus loin sur ce point car la disposition est
commune à plusieurs articles.
2 ) Des perquisitions secrètes tolérées aux USA
Le quatrième amendement de la Constitution des Etats-Unis dispose que « le droit des
citoyens d’être garantis dans leur personne, leur domicile, leur papiers et effets, contre les
perquisitions et saisies non motivées ne sera pas violé et aucun mandat ne sera délivré, si ce
n’est sur présomption sérieuse (…) ». Or ce droit est violé par le dispositif étasunien de lutte
contre le terrorisme qui permet à la police fédérale (FBI) de procéder à des perquisitions
domiciliaires non seulement sans la personne habitant les lieux mais aussi sans avoir à la
prévenir sauf après l’écoulement d’un « délai raisonnable » ; cet avertissement n’est pas
contrôlé…
1
Loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, LSQ ; J.O n° 266 du 16 novembre
2001 page 18215 ; NOR: INTX0100032L
2
Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure, LSI ; J.O n° 66 du 19 mars 2003 page 4761 ; NOR:
INTX0200145L
25
a ) L’état du droit avant l’USA Patriot Act
Le Foreign Intelligence Surveillance Act (FISA)1 avait été adopté en 1978 dans le but de
protéger le respect de la vie privée des citoyens étasuniens, à la suite du Watergate (1972) et
de la révélation de pratiques inconstitutionnelles du FBI. La loi créa deux systèmes de
surveillance distincts.
Le premier, pour les enquêtes relatives aux affaires criminelles intérieures : le FBI devait
nécessairement obtenir d’un juge fédéral ordinaire un mandat de perquisition justifié sur le
critère de la « présomption sérieuse » (probable cause), prouvant l’existence de faits
spécifiques indiquant qu’un crime aurait été commis ou serait sur le point de l’être
(conformément au quatrième amendement).
Le second système de surveillance concernait les enquêtes de contre espionnage. Le FBI était
alors tenu d’obtenir d’une Cour secrète (Cour FISA) un « ordre de la cour » octroyé d’office
et qui, autorisant une exception au quatrième amendement, faisait abstraction du critère de la
« présomption sérieuse ». « Sur les 15 000 requêtes reçues depuis 1978, aucune n’a été
rejetée »2.
La Cour FISA est composée de 11 juges (dont les noms sont confidentiels) qui délibèrent en
secret et qui sont tenus au secret. Ses décisions peuvent faire l’objet d’un recours par le
pouvoir exécutif, c’est alors la FISA Court of Review qui est compétente. Or cette Cour est
composée de 3 membres nommés par le président de la Cour suprême, lui-même nommé par
le Président des Etats-Unis. C’est dire si, du fait des modes de désignation, ces magistrats sont
proches du pouvoir exécutif et n’ont donc pas la qualité d’indépendance. De plus, toutes les
décisions de la Cour sont secrètes.
b ) les modifications apportées par l’USA Patriot Act
Le Patriot Act autorise, pour les enquêtes criminelles intérieures, l’emploi du processus
dérogatoire prévu pour les enquêtes secrètes relatives à l’espionnage. Ainsi, il prive d’effet la
distinction entre les deux types d’enquêtes posée par le FISA. « Non moins de 1 012
demandes ont été approuvées en 2001, 1 288 en 2002 et il n’y a aucune raison de douter que
leur nombre soit en hausse »3.
1
Le texte est disponible (en anglais) sur http://thomas.loc.gov/home/gpoxmlc109/h1526_ih.xml
HARVEY Robert et VOLAT Hélène, « De l’exception à la règle, USA PATRIOT ACT » ; op. cit, p.36.
3
HARVEY Robert et VOLAT Hélène ; op cit, p.37
2
26
* Quant aux conditions d’octroi des mandats de perquisition
Sous l’empire du FISA, la Cour n’octroyait de mandat au FBI que si le « but principal de
l’enquête », de la perquisition ou de la mise sur écoute était lié au contre-espionnage, cette
mesure ne concernait donc que des étrangers (sauf à ce qu’un citoyen étasunien soit un agent
d’une puissance étrangère). Depuis l’USA Patriot Act, le « but principal » a disparu au profit
d’un « but significatif » de l’enquête lié à un risque de terrorisme. Ainsi, tout ressortissant des
Etats-Unis, pour peu qu’il soit concerné par une enquête touchant de près ou de loin au
terrorisme, peut être perquisitionné (et mis sur écoute) sans jamais le savoir. En effet, les
mandats sont obtenus automatiquement, les services fédéraux n’ont qu’à déclarer que l’objet
de la perquisition est « peut-être » lié à une enquête en matière de terrorisme. Le critère légal
est faible et incontrôlable par les juges de la cour FISA.
* Quant à l’avertissement de la personne concernée
Avant l’entrée en vigueur de l’USA Patriot Act, exception faite des mises sur écoutes, tout
agent des forces de police, muni d’un mandat de perquisition, devait avertir la personne
résidant dans les lieux de son entrée, a posteriori en cas d’absence. On appliquait alors « le
principe constitutionnel de frapper à la porte et de s’annoncer (knock and announce) »1.
Depuis l’adoption du Patriot Act et de sa section 2132, les policiers fédéraux peuvent
« pénétrer subrepticement pour jeter un coup d’œil » chez les citoyens (« sneak and peek »).
Les immixtions dans la vie privée des citoyens sont non seulement possibles mais en plus les
agents fédéraux ne sont tenus d’avertir la personne de la visite de son domicile qu’après un
« délai raisonnable » pouvant aller jusqu’à plusieurs mois. Reste qu’au regard des pratiques
habituelles du FBI et du fait du silence imposé aux juges (aucune disposition ne prévoit qu’ils
contrôlent que le FBI avertit bien les individus perquisitionnés, et de toute façon ils sont tenus
au silence), il est probable que nombre de perquisitions n’ont pas donné lieu à un
avertissement.
Notons que cette mesure, incluse dans l’USA Patriot Act qui a été adopté sous couvert de
lutter contre le terrorisme, ne se limite en fait pas à cette lutte. Les perquisitions domiciliaires
secrètes peuvent en effet être effectuées dans l’ensemble des enquêtes criminelles. « Selon les
1
HARVEY Robert et VOLAT Hélène ; op cit, p.38
Disposition disponible (en anglais) sur http://thomas.loc.gov/cgibin/query/F?c107:1:./temp/~c107ZAb2sP:e48053:
2
27
informations soigneusement recueillies par l’ACLU1, le FBI a utilisé [le Patriot Act pour des
visite domiciliares] une centaine de fois en 2001 et continue à le faire à un rythme
accéléré »2. De leur coté, « les défenseurs du Patriot Act font valoir que les dispositions les
plus dures de la loi n’ont pas été beaucoup utilisées : 155 perquisitions secrètes »3 entre 2001
et 2005...
Si ce dispositif porte atteinte à l’inviolabilité du domicile, il viole aussi le droit de propriété
puisque, sans avertir la personne concernée, les services fédéraux peuvent saisir des objets.
Sur ce point, le dispositif étasunien de lutte contre le terrorisme est particulièrement
attentatoire à la liberté individuelle dans le sens où sans motif raisonnable et sans contrôle
juridictionnel réel, le FBI peut pénétrer dans le domicile de tout résidant sur le territoire
étasunien. L’avertissement de la personne perquisitionnée n’étant pas contrôlé, comment
pourrait-elle faire valoir ses droits si elle n’a pas été informée de l’exécution de la mesure ?
Comment les étasuniens pourraient-ils se défendre d’un abus de pouvoir éventuel s’ils n’en
ont pas été avertis ?
En France, la lutte contre le terrorisme a justifié aux yeux du Parlement la remise en cause de
la règle traditionnelle de l’inviolabilité du domicile qui empêchait les perquisitions de nuit
(sauf cas de flagrance). L’absence de saisine du Conseil Constitutionnel, qui sous entend une
entente générale des parlementaires, est un moyen efficace pour les gouvernants de
contourner des droits de l’Homme ayant une valeur supra législative. Comme nous allons le
voir, il n’y a pas eu un tel consensus des élus en ce qui concerne les lois qui ont permis la
généralisation des contrôles d’identité et des « visites » de véhicules.
1
American Civil Liberties Union (Syndicat américain des libertés civiques)
HARVEY Robert et VOLAT Hélène ; op cit, p.39
3
CAMPIOTTI Alain, « La dérive totalitaire aux Etats-Unis » ; 14 juillet 2005 ; Le Temps
Disponible sur http://www.interet-general.info/rubrique.php3?id_rubrique=275
2
28
B ) Les contrôles d’identité et des « visites » de véhicules généralisés
en France
En ce qui concerne les contrôles d’identité et les fouilles de voitures, nous n’envisageons que
le cas de la France car il ne semble pas que le dispositif de lutte contre le terrorisme aux USA
ait modifié l’état du droit sur ce point.
Depuis les attentats du 11 septembre 2001 et les législations qui les ont suivis, le pouvoir des
juges a été considérablement diminué alors qu’au contraire les forces de police sont de plus en
plus autonomes. Cela est particulièrement vrai en France pour les contrôles d’identité ( 1 ) et
les fouilles de véhicules ( 2 ). De plus, devant l’immense tâche que représente la lutte contre
le terrorisme, il semble que l’Etat français et ses fonctionnaires aient besoin d’être aidés, des
mesures de fouilles et de palpations sont en effet confiées à des agents privés ( 3 ).
1 ) La banalisation des contrôles d’identité
Depuis la loi du 3 septembre 19861, l’article 78-1 al.1 du CPP dispose que « toute personne se
trouvant sur le territoire national doit accepter de se prêter à un contrôle d'identité effectué
dans les conditions et par les autorités de police visées aux articles suivants ». Dans le cadre
de la lutte actuelle contre le terrorisme, ces contrôles d’identité revêtent une importance
particulière car ils instaurent de facto une forte pression sociale sur un groupe ciblé de la
population, à savoir les arabes et plus largement les musulmans.
a ) Des conditions abaissées pour les contrôles d’identité à l’initiative de la police
L’article 78-2 alinéa 1 du CPP dispose que « les officiers de police judiciaire et, sur l'ordre et
sous la responsabilité de ceux-ci, les agents de police judiciaire et agents de police judiciaire
adjoints (…) peuvent inviter à justifier, par tout moyen, de son identité toute personne à
l'égard de laquelle existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner :
- qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction ;
- ou qu'elle se prépare à commettre un crime ou un délit ;
1
Loi ordinaire n°86-1004 du 03 septembre 1986 relative aux contrôles et vérifications d’identité ; Journal
officiel "Lois et Décrets" du 04/09/1986, page 10714.
29
- ou qu'elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l'enquête en cas de crime ou
de délit ;
- ou qu'elle fait l'objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire. »
L’ancienne rédaction de cet article disposait que pour contrôler une personne, les officiers de
police (…) devaient avoir à son encontre « un indice faisant présumer » et non seulement
« une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner ». Cette nouvelle rédaction a été mise en
place par l’article 10 de la loi sur la sécurité intérieure (LSI) du 18 mars 2003. Le texte
abaisse ainsi les conditions pour les contrôles d’identité que la police peut effectuer de son
propre chef. Un soupçon sur la commission de toute infraction, y compris aux dispositions sur
l’entrée des étrangers sur le territoire national, permet de contrôler l’identité d’une personne.
On voit bien dans ce cas les effets discriminatoires que peut avoir une telle disposition. De
plus, le déclenchement de la mesure de contrôle ne repose plus sur un ou des éléments
subjectifs mais sur un élément apparent et échappe alors à la sphère de la pure subjectivité ;
elle rend donc le contrôle judiciaire, même a posteriori, difficile, voire impossible.
Le troisième alinéa de l’article 78-2 du CPP dispose que « l'identité de toute personne, quel
que soit son comportement, peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au
premier alinéa, pour prévenir une atteinte à l'ordre public, notamment à la sécurité des
personnes ou des biens ». Il n’y a pas dans ce cas de réquisition du Procureur.
Là encore, la disposition ne concerne pas expressément les infractions terroristes. Cet alinéa
semble déroger au premier (qui permettait un contrôle d’identité à condition qu’on soupçonne
la personne d’être sur le point de commettre un crime ou un délit) dans le cas où l’infraction
qui va se produire soit une atteinte à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou
des biens. Premièrement, on sait que la définition de l’ordre public est aléatoire, casuistique et
il semble dangereux de laisser aux membres de la police le soin de la déterminer. Ensuite, on
remarquera que si une telle mesure paraît appropriée pour prévenir des atteintes à la sécurité
des personnes, elle semble disproportionnée pour assurer la sécurité des biens. Qui plus est,
elle ne s’y cantonne pas puisque le législateur a utilisé l’adverbe commode « notamment ».
Ainsi, on ne voit pas trop quel est l’intérêt de citer de tels exemples d’atteinte à l’ordre public.
Cette disposition, issue de la loi sur la sécurité intérieure de 2003, a été déférée au Conseil
Constitutionnel1. Dans sa décision, il commence par relever que la disposition était déjà en
vigueur avant la loi de 2003, sauf que celle-ci y a ajouté « quel que soit son comportement »
1
CC, 5 août 1993, décision n° 93-323 DC; J.O. du 7 août 1993, p. 11193 ; NOR : CSCX9310113S ;
considérants 7 à 10.
30
[de la personne contrôlée]. Les auteurs de la saisine soutenaient que « cet ajout, en conduisant
à autoriser des contrôles d'identité sans que soient justifiés les motifs de l'opération effectuée,
porte une atteinte excessive à la liberté individuelle en la privant de garanties légales ».
Le Conseil Constitutionnel n’a pas déclaré la disposition inconstitutionnelle mais a émis une
réserve d’interprétation : « considérant que (…) la pratique de contrôles d'identité généralisés
et discrétionnaires serait incompatible avec le respect de la liberté individuelle1 ; que s'il est
loisible au législateur de prévoir que le contrôle d'identité d'une personne peut ne pas être lié
à son comportement, il demeure que l'autorité concernée doit justifier, dans tous les cas, des
circonstances particulières établissant le risque d'atteinte à l'ordre public qui a motivé le
contrôle ; que ce n'est que sous cette réserve d'interprétation que le législateur peut être
regardé comme n'ayant pas privé de garanties légales l'existence de libertés
constitutionnellement garanties ». Les Sages ont donc validé la disposition, tout en imposant
aux services de police de justifier leurs démarches. En conséquence de cela, ils mettent en
place un contrôle judiciaire a posteriori de l’action policière, contrôle qui pourra s’effectuer
sur la base du comportement de l’individu : « considérant qu'il appartient aux autorités
administratives et judiciaires de veiller au respect intégral de l'ensemble des conditions de
forme et de fond posées par le législateur ; qu'en particulier il incombe aux tribunaux
compétents de censurer et de réprimer les illégalités qui seraient commises et de pourvoir
éventuellement à la réparation de leurs conséquences dommageables ; qu'ainsi il revient à
l'autorité judiciaire gardienne de la liberté individuelle de contrôler en particulier les
conditions relatives à la légalité, à la réalité et à la pertinence des raisons ayant motivé les
opérations de contrôle et de vérification d'identité ; qu'à cette fin il lui appartient d'apprécier,
s'il y a lieu, le comportement des personnes concernées ». Les Sages n’ont pas invalidé la
disposition mais ont émis une réserve telle que cela se passe comme si ils l’avaient déclarée
inconstitutionnelle.
b ) La validité des procédures incidentes relatives à d’autres infractions que celles visées par
l’ordonnance du procureur
Des contrôles d’identité sont aussi possibles lorsqu’ils sont ordonnés par le Procureur de la
République. C’est alors l’alinéa 2 de l’article 78-2 du CPP qui s’applique. Il dispose que « sur
réquisitions écrites du procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite
1
Principe déjà posé par la décision du CC du 5 aout 1993 ; op cit
31
d'infractions qu'il précise, l'identité de toute personne peut être également contrôlée, selon les
mêmes modalités, dans les lieux et pour une période de temps déterminés par ce magistrat ».
Les infractions terroristes entrent dans ce cas de figure. Le problème posé par cet alinéa est
que « le fait que le contrôle d'identité révèle des infractions autres que celles visées dans les
réquisitions du procureur de la République ne constitue pas une cause de nullité des
procédures incidentes ».
Dans le cadre du plan Vigipirate1 qui a été renforcé au lendemain des attentats de 2001 à New
York, de nombreux contrôles d’identité ont été ordonnés dans les lieux publics tels que les
gares ou les aéroports, pour des périodes assez longues. La police a alors ordre de contrôler
l’identité de toutes les personnes susceptibles de commettre des attentats (bien sûr, elle
contrôle surtout ceux dont elle peut supposer qu’ils sont musulmans). Or ces contrôles
d’identité, s’ils révélent d’autres infractions que des infractions en matière de terrorisme,
ouvrent tout de même une procédure.
Il nous semble que cela ne permet pas au pouvoir judiciaire de protéger la liberté individuelle
des personnes (en effet, les contrôles ordonnés en vue de découvrir ou de poursuivre une
infraction spécifiquement visée peuvent ouvrir sur des poursuites relatives à d’autres
infractions). Le Conseil Constitutionnel n’a pas été de cet avis2. Les auteurs de la saisine
avançaient que cette disposition privait « l'autorité judiciaire de toute maîtrise effective de
l'opération » de contrôle d’identité. Pour le Conseil Constitutionnel, « la circonstance que le
déroulement de ces opérations conduise les autorités de police judiciaire à relever des
infractions qui n'auraient pas été visées préalablement par ce magistrat ne saurait, eu égard
aux exigences de la recherche des auteurs de telles infractions, priver ces autorités des
pouvoirs qu'elles tiennent de façon générale des dispositions du code de procédure pénale ;
que par ailleurs celles-ci demeurent soumises aux obligations qui leur incombent en
application des prescriptions de ce code, notamment à l'égard du procureur de la
République ; que, dès lors, les garanties attachées au respect de la liberté individuelle sous le
contrôle de l'autorité judiciaire ne sont pas méconnues ». Reste que l’on ne sait pas trop où le
Conseil Constitutionnel a perçu que la disposition en cause concernait « la recherche des
auteurs de “telles” infractions ». En effet, si certains articles de la loi sur la sécurité intérieure
concernent uniquement la lutte contre le terrorisme, ce n’est pas le cas de cette disposition
qui, bien au contraire, concerne tout type d’infraction.
1
Le plan Vigipirate a été créé en 1978 et a été déployé pour la première fois en 1991. Il est un des dispositifs de
sécurité français destiné à prévenir les menaces ou à réagir face aux actes terroristes
2
CC, 5 août 1993, op cit, considérant 3 à 6.
32
Nous venons d’évoquer différentes dispositions qui ne visent pas expressément les infractions
terroristes mais qui participent à la lutte contre ce phénomène. Au coté de ces dispositions
« générales », il est des dispositions spécifiques au terrorisme (étendues à la grande
criminalité) en matière de contrôle d’identité. Elles sont incluses dans les dispositions
relatives à la visite des véhicules, et c’est la raison pour laquelle nous les envisagerons en
même temps. Les analyses et commentaires relatifs aux visites de voitures seront donc aussi
valables en ce qui concerne les contrôles d’identité.
2 ) La généralisation des « visites » de véhicules
Comme nous l’avons vu, un véhicule n’est pas qualifié de domicile1, sauf à ce qu’il soit
spécifiquement aménagé pour être habité, comme les caravanes2, il ne profite donc pas de la
protection accordée aux domiciles telle que l’encadrement des perquisitions entre certaines
heures.
Pourtant, il est indéniable que la fouille d’un véhicule touche aux conditions dans lesquelles
s’exerce la liberté individuelle (article 66 de la Constitution de 1958), la liberté d’aller et de
venir (intégrée aux libertés publiques constitutionnellement garanties3) et le respect de la vie
privée (article 8 de la CESDH). Une saisie à la suite d’une fouille préjudicie également le
droit de propriété. Ces investigations constituent donc une intrusion caractérisée des autorités
publiques dans la sphère privée, reste à savoir si elle est justifiée, encadrée et suffisamment
contrôlée.
a ) L’état du droit avant la loi du 2001
La décision du Conseil Constitutionnel du 12 janvier 19774 est celle qui a reconnu à la liberté
individuelle la qualité de principe fondamental reconnu par les lois de la République. Les
juges constitutionnels avaient été saisis à propos de la loi « autorisant la visite des véhicules
en vue de la recherche et de la prévention des infractions pénales »5. Celle-ci donnait « aux
officiers de police judiciaire (…), le pouvoir de procéder à la visite de tout véhicule ou de son
1
CCass., crim., 11 septembre 1933 ; op cit.
Art. R 443-16 du Code de l’urbanisme.
3
CC, 18 janvier 1995, décision n° 94-352 DC ; JO du 21 janvier 1995, p. 1154
4
CC, 12 janvier 1977 ; décision n° 76-75 DC ; J.O. du 13 janvier 1976, p. 344.
5
Nous n’avons pas été en mesure de trouver les références de la loi, au regard de la saisine des députés
communistes (disponible sur légifrance), nous savons simplement que cette loi a été adoptée le 20 décembre
1976. http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnTexteSaisine
2
33
contenu aux seules conditions que ce véhicule se trouve sur une voie ouverte à la circulation
publique et que cette visite ait lieu en la présence du propriétaire ou du conducteur (…) alors
même qu'aucune infraction [n’avait] été commise et sans que la loi subordonne ces contrôles
à l'existence d'une menace d'atteinte à l'ordre public »1. Pour le Conseil Constitutionnel, du
fait de « l'étendue des pouvoirs, dont la nature n'est, par ailleurs, pas définie, conférés aux
officiers de police judiciaire et à leurs agents, du caractère très général des cas dans lesquels
ces pouvoirs pourraient s'exercer et de l'imprécision de la portée des contrôles auxquels il
seraient susceptibles de donner lieu, ce texte porte atteinte aux principes essentiels sur
lesquels repose la protection de la liberté individuelle ; que, par suite, il n'est pas conforme à
la Constitution »2. Avec l’accord du propriétaire comme sur décision du Procureur de la
République, les juges constitutionnels avaient « refusé d’étendre les fouilles au véhicule dans
son entier » 3. Dans une décision de 19954, le Conseil Constitutionnel avait en outre décidé
que, pour fouiller l’intégralité d’un véhicule, y compris le coffre, les officiers de police
judiciaire devaient obtenir l’autorisation préalable de l’autorité judiciaire. La Cour de
Cassation interdit elle aussi aux officiers de police judiciaire d’imposer l’ouverture du coffre5
(mais ne frappe pas de nullité les procédures consécutives à la découverte d’objets illicites
dans le coffre que le propriétaire a accepté d’ouvrir, même dans l’hypothèse où les policiers
ont prétexté vouloir y contrôler la présence d’une roue de secours).
b ) Le droit en vigueur depuis 2001
L’article 23 de la loi sur la sécurité quotidienne du 16 novembre 2001 a créé l’article 78-2-2
du Code de Procédure Pénale. Son premier alinéa dispose que « sur réquisitions écrites du
procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite des actes de terrorisme (…),
les officiers de police judiciaire, (…) dans les lieux et pour la période de temps que ce
magistrat détermine et qui ne peut excéder vingt-quatre heures, renouvelables sur décision
expresse et motivée selon la même procédure, procéder non seulement aux contrôles
d'identité prévus au sixième alinéa de l'article 78-2 mais aussi à la visite des véhicules
1
CC, 12 janvier 1977 ; op cit
CC, 12 janvier 1977 ; op cit, considérants 3 à 5.
3
CANTEGREIL Julien, « Terrorisme et libertés, la voie française après le 11 septembre » ; Edition en temps
réel, Collection les cahiers, n°20, Janvier 2005 ; ISBN : 2-915897-06-9 ; p.35
4
CC, 18 janvier 1995, décision n° 94-352 DC ; Journal officiel du 21 janvier 1995, p. 1154 ; NOR :
CSCX9500587S
5
Cour de Cassation, chbr criminelle, 9 janvier 2002 ; Bulletin criminel 2002 N° 2 p. 4
2
34
circulant, arrêtés ou stationnant sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au
public ».
Ici, le législateur a employé le mot « visite » mais il faut comprendre « fouille ». En effet,
comme le souligne le Conseil d’Etat luxembourgeois dans un avis consultatif 1, « dans la
mesure où, selon l’exposé des motifs, l’opération de “visite” ne consiste pas seulement dans
un examen visuel superficiel, mais implique des investigations poussées comportant un degré
d’intrusion caractérisé dans l’intimité de la personne visée (y compris l’inspection des
bagages, même fermés), le terme de “fouille” paraît être bien plus descriptif de l’opération ».
L’étendue exacte de la fouille n’est pas précisée dans le textelégislatif français. Lors d’une
séance au Sénat, le ministre de l’intérieur de l’époque Michel VAILLANT expliquait que le
projet de loi, qui allait devenir la loi sur la sécurité quotidienne, permettait « aux services de
la police et de la gendarmerie nationale de visiter les véhicules automobiles, et donc de faire
ouvrir les coffres, afin de rechercher ou de poursuivre certaines infractions portant
particulièrement atteinte à la sécurité publique, actes de terrorisme, bien sûr, mais aussi
infractions à la législation sur les armes ou les explosifs, ou trafics de stupéfiants, car ce sont
ces trafics qui financent pour partie les réseaux »2. Premièrement, c’est donc bien l’ensemble
du véhicule qui pourra être fouillé : le pouvoir de visite d’un véhicule comporte dès lors un
droit d’investigation intégrale du contenu y compris le coffre, la boîte à gants, les bagages, les
serviettes fermées, les sacs à main et leurs contenus. L’accès par les forces de police à la
totalité du contenu du véhicule est susceptible de porter atteinte au secret professionnel de
l’ensemble des professions réglementées (avocats, huissiers ou encore médecins) et pourrait
violer le secret des sources journalistiques. Ensuite, on voit que la lutte contre le terrorisme,
qui permet de justifier des dispositions dérogatoires au droit commun, contient des mesures
étendues à d’autres infractions.
La nature des actes permis ici par la fouille n’est pas non plus précisée. Le texte ne permet pas
de savoir si la police est autorisée à démonter le véhicule, sauf à dire que le terme « visite » ne
le permet pas.
De plus, le fait que le Procureur doive produire une réquisition « aux fins de recherche et de
poursuite des actes de terrorisme » n’apporte pas à notre sens de garanties suffisantes. En
1
Avis du CE luxembourgeois sur le projet de loi portant réglementation de la visite de véhicules et modifiant le
Code d’instruction criminelle ; 10 octobre 2006 ; No 47.158 ; Doc. parl. 5522 ;
Disponible sur http://www.ce.etat.lu/html/47158.htm
Nous savons que cet avis n’a aucune valeur en France, il est considéré ici comme un article de doctrine. Il est
néanmoins intéressant car les dispositions soumises à l’avis de CE luxembourgeois, de l’aveu du gouvernement
qui les a proposé, s’inspirent fortement du Code de Procédure Pénale français, le copie dans une large mesure.
2
Séance au Sénat du 16 octobre 2001, discussion sur la LSQ en nouvelle lecture ;
Disponible sur http://www.senat.fr/seances/s200110/s20011016/sc20011016029.html
35
effet, les infractions terroristes (à l’exception du terrorisme écologique) sont des infractions de
droit commun qualifiées de terroristes en raison d’un dol spécial, d’une intention spécifique
de l’auteur (troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur). Or le but
recherché par un criminel lors de la commission d’une infraction ne se détermine pas a priori.
Il faut faire des recherches sur la personnalité, le mode vie, les habitudes de l’individu et, en
matière de terrorisme, sur ses opinions religieuses, politiques, etc… En conséquence, les
réquisitions du Procureur pourront concerner la plupart des infractions de droit commun et la
mise en évidence de certaines permettra peut-être la découverte d’infractions terroristes.
Rappelons que les procédures relatives aux infractions non terroristes mais découvertes lors
de ces contrôles et fouilles seront valides.
L’alinéa 2 de l’article 78-2-2 dispose que « pour l'application des dispositions du présent
article, les véhicules en circulation ne peuvent être immobilisés que le temps strictement
nécessaire au déroulement de la visite qui doit avoir lieu en présence du conducteur.
Lorsqu'elle porte sur un véhicule à l'arrêt ou en stationnement, la visite se déroule en
présence du conducteur ou du propriétaire du véhicule ou, à défaut, d'une personne requise à
cet effet par l'officier ou l'agent de police judiciaire et qui ne relève pas de son autorité
administrative. La présence d'une personne extérieure n'est toutefois pas requise si la visite
comporte des risques graves pour la sécurité des personnes et des biens ».
Si le législateur est parfois imprécis, il arrive aussi parfois qu’il fasse du zèle. Ainsi, le CE
luxembourgeois a pu remarquer qu’il « est prévu que les véhicules en circulation ne peuvent
être immobilisés “que le temps strictement nécessaire au déroulement de la visite”. Le
contraire serait étonnant, même en l’absence de cette précision »1.
En cas d’absence du conducteur ou du propriétaire du véhicule, le texte ne précise pas dans
quelles conditions une personne est requise, ni même si elle est tenue de décliner son identité.
Il n’est pas non plus prévu de faire figurer son nom dans le procès-verbal obligatoire dans ce
cas de figure (ce que nous verrons plus tard). D’une manière générale, il ne paraît pas
satisfaisant que les droits des personnes, qui peuvent être violés par l’exécution de la fouille,
ne soient garantis que par la présence d’une tierce personne, choisie librement par les forces
de police.
Il est, par ailleurs, possible d’opérer hors la présence d’une tierce personne, si le représentant
de la police estime que la fouille comporte « des risques graves pour la sécurité des
1
Avis du CE luxembourgeois du 10 octobre 2006 ; op cit.
36
personnes et des biens ». Dans cette hypothèse laissée à la libre appréciation du seul agent de
police judiciaire, l’établissement obligatoire d’un procès-verbal est la seule mesure
d’encadrement. On peut facilement imaginer les conséquences désastreuses que pourrait avoir
une fouille dont personne ne contrôlerait le bon déroulement.
L’alinéa 3 de l’article 78-2-2 dispose qu’en cas « de découverte d'une infraction ou si le
conducteur ou le propriétaire du véhicule le demande ainsi que dans le cas où la visite se
déroule en leur absence, il est établi un procès-verbal mentionnant le lieu et les dates et
heures du début et de la fin de ces opérations. Un exemplaire en est remis à l'intéressé et un
autre est transmis sans délai au procureur de la République ».
Il est difficilement compréhensible que la loi ne prévoit pas l’établissement systématique d’un
procès verbal, sauf à vouloir rendre plus rapides et donc plus nombreuses les opérations de
fouille. Reste que, sans trace écrite, l’autorité judiciaire ne pourra pas vérifier la légalité de la
mesure, ni le respect des libertés individuelles.
Lorsqu’un procès verbal devra être dressé ou sera demandé, il n’est pas prévu dans la loi que
le document fasse mention du nom de l’officier et des agents de police judiciaire ayant
exécuté l’opération. Or cela semblerait nécessaire pour que l’autorité judiciaire soit en mesure
de sanctionner d’éventuels manquements des forces de police.
L’alinéa 5 de l’article 78-2-2 prévoit l’application des dispositions relatives aux perquisitions et visites
domiciliaires pour les « véhicules spécialement aménagés à usage d'habitation et effectivement utilisés comme
résidence ».
La loi sur la sécurité quotidienne a opéré un grand changement en permettant la fouille, ou
visite, des véhicules en arrêt ou stationnés. De même, elle a grandement changé l’état du droit
en permettant la fouille de l’intégralité du véhicule, au prétexte que le coffre d’une voiture ne
saurait constituer un domicile et à condition que cette fouille du coffre soit autorisée par le
propriétaire ou ordonnée par le Procureur de la République.
37
3 ) Des contrôles confiés à des agents privés « très sélectionnés »
a ) Des agents privés autorisés à effectuer des fouilles et des palpations…
Dans le but « d'assurer préventivement la sûreté des vols » tant intérieurs qu'internationaux,
l’article L. 282-8 du Code de l’aviation civile1 autorise, « sous le contrôle des officiers de
police judiciaire ou des agents des douanes, les agents de nationalité française ou
ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne désignés par les entreprises de
transport aérien, les exploitants d'aérodromes ou les entreprises qui leur sont liées par
contrat » à procéder à « la fouille et à la visite par tous moyens appropriés des personnes, des
bagages, du fret, des colis postaux, des aéronefs et des véhicules pénétrant ou se trouvant
dans les zones non librement accessibles au public des aérodromes et de leurs dépendances,
ou sortant de celles-ci ». « Ces agents doivent être préalablement agréés par le représentant
de l'Etat dans le département et le procureur de la République ». « Les agréments (…) sont
refusés ou retirés lorsque la moralité de la personne ou son comportement ne présentent pas
les garanties requises au regard de la sûreté de l'Etat, de la sécurité publique, de la sécurité
des personnes, de l'ordre public ou sont incompatibles avec l'exercice des missions » qui leur
sont dévolues. Ils n’ont pas exactement les mêmes prérogatives que les agents de police
judiciaire et leurs adjoints : « ils ne procèdent à la fouille des bagages à main qu'avec le
consentement de leur propriétaire et à des palpations de sécurité qu'avec le consentement de
la personne ».
L'article L. 323-5 du code des ports maritimes2 contient les mêmes dispositions pour
« assurer préventivement la sûreté des transports maritimes et des opérations portuaires qui
s'y rattachent ». Il concerne la « visite des personnes, des bagages, des colis, des
marchandises, des véhicules et des navires, à l'exception des parties à usage exclusif
d'habitation et des locaux syndicaux, pénétrant ou se trouvant dans les zones portuaires non
librement accessibles au public, délimitées par arrêté préfectoral ». Les fouilles – car là aussi
il faut parler de fouilles et non de simples visites – peuvent être effectuées par des « agents de
nationalité française ou ressortissants d'un Etat membre de la Communauté européenne,
agréés par le représentant de l'Etat dans le département et par le procureur de la République,
que les personnes publiques gestionnaires du port désignent pour cette tâche ». Les mêmes
dispositions quant aux agréments sont prévues. Les agents privés ne disposent pas non plus
1
2
Créé par l’article 25 de la LSQ.
Créé par l’article 26 de la LSQ.
38
des mêmes prérogatives que les agents de police judiciaire (et leurs adjoints) : « en ce qui
concerne la visite des bagages à main, ces agents procèdent à leur inspection visuelle et, avec
le consentement de leur propriétaire, à leur fouille. En ce qui concerne la visite des
personnes, leur intervention porte sur la mise en œuvre des dispositifs de contrôle. Avec le
consentement de la personne, ils peuvent procéder à des palpations de sécurité ».
Dans tous les cas, la palpation de sécurité doit être faite par une personne du même sexe que
la personne qui en fait l'objet.
b ) … sujets d’enquêtes « poussées »
Le fait de confier à des agents privés, même contrôlés par des membres de police, des
missions de palpation et de fouille laisse craindre encore plus de dérives que lorsqu’elles sont
effectuées par des agents de police. L’ancien ministre de l’intérieur Michel VAILLANT, lors
d’un débat au Sénat au sujet de la loi sur la sécurité quotidienne, a déclaré que « bien entendu,
il est hors de question de laisser se développer des pratiques douteuses. Afin d'encadrer ces
mesures de contrôle, l'amendement impose pour les agents qui pourront procéder à ces
palpations de sécurité une habilitation spéciale du préfet »1. Cette habilitation et l’enquête qui
la précède sont à relier avec les prérogatives étendues qu’ont les forces de police et la
gendarmerie en ce qui concerne les enquêtes et le contrôle des données et connexions internet.
Nous verrons plus loin les dispositions qui permettent en France aux agents de police d’avoir
accès aux données d’internet. Pour ce qui est de l’enquête qui sera effectuée sur les agents
privés procédant à des fouilles, il faut se référer à l’article 28 al.1 de la loi sur la sécurité
quotidienne, relatif aux données personnelles à caractère judiciaire. Cette disposition n’a pas
été codifiée, elle a modifié la loi du 21 janvier 19952 à laquelle a été ajouté un article 17-1. Ce
dernier dispose que « les décisions administratives (…) d'habilitation, prévues par des
dispositions législatives ou réglementaires, concernant (…) l'exercice de missions de sécurité
ou de défense, (…) font l'objet d'enquêtes administratives destinées à vérifier que le
comportement des candidats n'est pas incompatible avec l'exercice des fonctions ou des
missions envisagées. Les enquêtes administratives dont la liste est fixée par décret en Conseil
d'Etat peuvent donner lieu à la consultation, par des agents habilités de la police et de la
1
Séance au Sénat du 16 octobre 2001, discussion sur la LSQ en nouvelle lecture ;
Disponible sur http://www.senat.fr/seances/s200110/s20011016/sc20011016029.html
2
Loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 portant « loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité ; JO n°20
du 24 janvier 1995, p.1249 ; NOR : INTX9400063L.
39
gendarmerie nationales, des traitements autorisés de données personnelles gérés par les
services de police judiciaire ou de gendarmerie, y compris pour les données portant sur des
procédures judiciaires en cours, dans la stricte mesure exigée par la protection de la sécurité
des personnes et la défense des intérêts fondamentaux de la nation. La consultation
mentionnée au précédent alinéa peut également être effectuée pour l'exercice de missions ou
d'interventions lorsque la nature de celles-ci ou les circonstances particulières dans
lesquelles elles doivent se dérouler comportent des risques d'atteinte à l'ordre public ou à la
sécurité des personnes ».
Aucune information n’est donnée quant aux « agents habilités de la police et de la
gendarmerie nationales » qui pourront accéder aux données personnelles.
Le décret en Conseil d'Etat devant fixer la liste des enquêtes administratives date du 8 mars
20021. Par renvoi, il liste en fait les personnes pouvant faire l’objet de ces enquêtes
administratives. Il s’agit des personnes fournissant « des services ayant pour objet la
surveillance humaine ou la surveillance par des systèmes électroniques de sécurité ou le
gardiennage de biens meubles ou immeubles ainsi que la sécurité des personnes se trouvant
dans ces immeubles » (article 1er de la loi du 12 juillet 1983) ainsi que des personnes
membres du service de sécurité de la Société Nationale de Chemins de Fer (SNCF).
Ces enquêtes ne s’appliquent donc pas uniquement aux personnes chargées d’éviter la
commission d’attentats terroristes, mais à toutes celles chargées de la sécurité des biens et des
personnes.
Quels sont les documents accessibles ? Selon la Commission Nationale Informatique et
Liberté (CNIL), « aucune disposition de la loi du 6 janvier 1978, ni aucune de ses
délibérations sur le sujet, ne s’oppose à ce que les fichiers de personnes hospitalisées d’office
puissent être consultées par les services de police dans le cadre de la procédure (…)
d’agrément des activités privées de surveillance »2. Les dossiers médicaux relatifs aux
hospitalisations d’office sont donc accessibles.
Pour ce qui est de la consultation des dossiers portant sur des affaires judiciaires en cours, la
loi sur la sécurité quotidienne contredit des avis antérieurs de la CNIL. En effet, cette autorité
administrative « s’était opposée à toute consultation d’un fichier de police judiciaire à
1
Décret n° 2002-329 du 8 mars 2002 relatif à l'habilitation et à l'agrément des agents des entreprises de
surveillance et de gardiennage pouvant procéder aux palpations de sécurité (pris pour l'application de l'article 3-1
de la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983) ; J.O n° 59 du 10 mars 2002 page 4459 ; NOR: INTD0200054D
2
CNIL, « Rapport d’activité 2001 », p.18
Disponible sur http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/024000377/0000.pdf
40
l’occasion des enquête dites de moralité. La commission avait en effet relevé que “la
communication d’informations extraites de procès verbaux de police judiciaire (…) pourrait
priver d’effet les dispositions (…) qui énumèrent les condamnations dont la mention est
exclue ou peut être effacée du bulletin n°2, seul susceptible d’être exigé par les
administrations publiques de l’Etat, notamment lors de certaines enquêtes administratives”.
(…) La commission avait émis une réserve sur la possibilité de prendre ainsi connaissance
d’informations relatives à des affaires en cours, ce qui lui paraissait contraire au secret de
l’enquête et de l’instruction garanti par les dispositions de l’article 11 du CPP ». Pour autant,
la CNIL n’émet pas un avis négatif sur la disposition en question. En effet, elle relève que les
enquêtes administratives pouvant donner lieu à la consultation des fichiers de police judiciaire
sont limitées et énumérées par la loi et son décret d’application. Le fait que les consultations
ne se fassent que « dans la stricte mesure exigée par la protection de la sécurité des
personnes et la défense des intérêts fondamentaux de la nation » satisfait la CNIL1.
Les libertés individuelles pâtissent de la lutte contre le terrorisme du fait qu’elle a justifié que
les fouilles et contrôles de sécurité ne soient plus le monopole des forces de police nationale.
Qui plus est, les agents habilités à effectuer ces opérations font l’objet d’enquêtes
« poussées » attentatoires à leur vie privée sans pour autant présenter toutes les garanties
d’une déontologie sans reproche.
1
CNIL, « Rapport d’activité 2001 », p.19 ; op cit
41
D’une manière générale, la lutte contre le terrorisme permet des atteintes aux libertés
individuelles qui se conjuguent avec une diminution du contrôle juridictionnel, voire une
absence de celui-ci. Les juges suprêmes ont pour mission de protéger les droits des citoyens
mais, comme nous l’avons vu en France et comme nous le verrons aux Etats-Unis, l’exécutif
peut toujours, avec la complicité du pouvoir législatif, contourner cette protection supra
législative.
Nous avons envisagé les méthodes de prévention du terrorisme dans leur aspect matériel et
physique : lorsque les gouvernants pénètrent physiquement la sphère privée de leurs citoyens
afin de constater des infractions ou de rechercher des preuves. Mais la lutte préventive contre
le terrorisme concerne aussi la sphère privée immatérielle, se sont alors les libertés d’opinion,
de communication et d’information qui sont gravement limitées.
42
Section II ) Des limitations réelles aux libertés d’opinion, de
communication et d’information
La liberté d’opinion est l’essence même de la démocratie. Sans elle, les idées meurent, les
débats s’appauvrissent, voire disparaissent, et enfin c’est la démocratie elle-même qui meure.
Or l’exercice de la liberté d’opinion nécessite que soient respectées les libertés de
communication et d’information qui la nourrissent. Aux Etats-Unis, la liberté de penser
semble inquiéter le gouvernement qui tient à garder les bibliothèques, sources d’informations
s’il en est, sous haute vigilance ( A ). De chaque coté de l’Atlantique, le nouveau moyen de
communication et d’information qu’est internet est surveillé de près ( B ). La liberté
d’information de tous les citoyens est mise en danger par les pratiques gouvernementales qui
tendent à violer le principe du secret des sources journalistiques ( C ).
A ) Les bibliothèques étasuniennes sous haute vigilance
Aux Etats-Unis, les bibliothèques publiques ont un lien avec la démocratie plus fort que dans
n’importe quel autre pays. « Elles constituent pour ainsi dire une émanation de la
collectivité »1. En effet, les bibliothèques sont très indépendantes du gouvernement fédéral qui
par exemple ne prend pas en charge la détermination et l’exécution d’une quelconque
politique de coordination des bibliothèques. Leurs financements ne passent pas par l’échelon
fédéral, ou bien dans de faibles proportions : 1% ; 13% de leurs ressources proviennent des
Etats fédérés, 77% des collectivités locales et 9% de donateurs privés2.
Par ailleurs, la forte relation existant entre les bibliothèques et la démocratie est illustrée par le
fait que dans certains Etats et certains contés ce sont les bibliothécaires qui s’occupent de
l’inscription des citoyens sur les listes électorales, participant ainsi à la lutte contre
l’abstention.
CANTIE Philippe, « Au nom de l’antiterrorisme: les bibliothèques américaines face à l’USA Patriot Act » ; op
cit, p.35.
2
CANTIE Philippe; op cit ; p.35.
1
43
Le réflexe sécuritaire (qui n’est pas exclusif aux Etats-Unis) n’est pas nouveau dans ce pays.
« L’histoire des Etats-Unis démontre une tendance à sacrifier les libertés individuelles
chaque fois qu’un danger se présente »1. On peut citer à titre d’exemple la suppression de
l’habeas corpus par le Président Abraham LINCOLN durant la guerre de cessession ou
encore l’internement des citoyens étasuniens d’origine japonaise au lendemain de l’attaque de
Pearl Harbour. Si le reflexe sécuritaire n’est pas nouveau, le fait qu’il ait des conséquences sur
les bibliothèques non plus. En effet, de 1973 au lendemain de l’effondrement de l’empire
soviétique, le Bureau Fédéral d’Investigation (FBI) mettait en œuvre un programme appelé
Library Awareness Program (LAP) dont les objectifs étaient d’une part d’empêcher l’accès à
certaines informations non confidentielles pour les ressortissants de l’ancienne URSS ; et
d’autre part d’obtenir des bibliothécaires qu’ils signalent la présence dans leurs établissements
de personnes pouvant être ces fameux ressortissants. Le LAP peut être qualifié d’ancêtre de
l’USA Patriot Act puisqu’il posait déjà les questions de l’accès à l’information et de la
confidentialité de cet accès. Pourtant, contrairement au LAP, l’USA Patriot Act est assorti de
moyens juridiques car il a le statut de loi. Les défenseurs des libertés individuelles et
publiques ont dû entamer une bataille juridique contre le Patriot Act alors qu’il a suffit que le
LAP soit révélé au grand jour pour que le FBI y mette fin.
1 ) Les dispositions du Patriot Act concernant les bibliothèques
Les dispositions du Patriot Act qui concernent les bibliothèques sont essentiellement
contenues dans les sections 214 à 217 de cette loi, sections que nous allons étudier tour à tour.
Elles ne mentionnent pas explicitement les bibliothèques, ce qui permit aux défenseurs de la
loi de dire qu’elles n’étaient pas concernées. Par exemple, John ASHCROFT qui rend
publique en septembre 2003 une note du directeur du FBI indiquant que « le nombre de fois
où la section 215 avait été utilisée à ce jour [était de] zéro » et qu’aucun « historique de
lecture de citoyen américain n’avait été le sujet d’une enquête menée dans le cadre du Patriot
Act »2. Pour autant, les dispositions de l’USA Patriot Act n’excluent pas les bibliothèques de
leur champ d’application, ce qui permet qu’elles leur soient appliquées. Ainsi, au même
moment qu’est rendue publique la note du FBI précitée, la presse américaine publie
« plusieurs questionnaires envoyés aux bibliothèques, qui prouvent sans aucun doute possible
1
2
LEONE Richard, ANRIG Gregory (ed.), « The war on our freedom » ; New York, Public Affairs, 2003, p.12
HARVEY Robert et VOLAT Hélène ; op cit., p.50.
44
que le FBI a bien utilisé l’USA Patriot Act à maintes reprises depuis septembre 2001 pour
exiger des listes de lecture des usagers et s’enquérir des sites internet visités »1…2.
La section 214 de l’USA Patriot Act s’attache à définir le fonctionnement des écoutes
électroniques aussi concernées par la section 216. Elle donne aux services fédéraux la
possibilité de saisir un tribunal secret (celui mis en place dans le cadre du Foreign Intelligence
Surveillance Act – FISA) pour obtenir l’autorisation d’effectuer de telles écoutes. Les
conditions requises pour l’obtention de cette autorisation ont été abaissées au minima. Les
services fédéraux n’ont plus besoin de prouver que la personne qu’ils veulent surveiller est un
« agent d’une puissance étrangère » ; il leur suffit à présent d’évoquer (et non de démontrer)
un lien entre la personne et une enquête relative au contre-espionnage ou à la lutte contre le
terrorisme. Ainsi, il semble difficile de croire qu’est garantie une application limitée de ces
mesures de surveillance, ces dernières tendant dans les faits à se généraliser, toute personne
physique et morale pouvant en être la cible. C’est le cas des bibliothèques qui procurent à
leurs usagers des accès internet ainsi qu’un service de messagerie électronique. Depuis
l’adoption, le 9 mars 2006, par la chambre des représentants de la version finale du texte
reconduisant les mesures antiterroristes de l’USA Patriot Act3, un haut fonctionnaire doit
approuver les demandes de documents adressées aux bibliothèques : le directeur du FBI, son
adjoint ou un assistant de ce dernier. Cette mesure est censée limiter les demandes abusives.
La section 215, dite « library clause », est la plus problématique du point de vue des
bibliothèques. En effet, elle modifie une des dispositions du FISA en autorisant le directeur du
FBI à solliciter auprès du tribunal secret précité un mandat requérant la présentation de tout
élément matériel (any tangible thing). Ce terme est tellement large qu’il est susceptible
d’englober absolument tout : livres, documents, disques durs ou encore tout type de fichiers.
En application de cette section, une bibliothèque pourrait se voir contrainte de communiquer à
l’administration toutes les données personnelles qu’elle détient sur ses utilisateurs. Parmi ces
données, les choix de lecture et les connections internet. Cela porte évidemment atteinte au
caractère confidentiel du choix des lectures et du profil internet. Aucune disposition
constitutionnelle ne protège, même de manière générale, un droit à la confidentialité ou au
respect de la vie privée. Pourtant, on peut conclure au caractère confidentiel du choix des
1
HARVEY Robert et VOLAT Hélène ; op cit, p.52.
Notons qu’avant cette loi, l’administration disposait déjà face aux bibliothécaires de moyens de droit commun
tels que la convocation devant un grand jury et le mandat de perquisition.
3
« USA Patriot Act Additional Reauthorizing Amendmnets Act of 2006 », 9 mars 2006, S.2271
2
45
lectures et du profil internet par la combinaison du 1er amendement de la Constitution (qui
protège « la liberté de la parole » et son corolaire, la liberté d’information) avec la notion de
« right of privacy » dégagée pas la jurisprudence étasunienne1. Comme dans le cadre de la
section 214, le FBI pour obtenir un mandat requérant la présentation de tout élément matériel,
n’a plus à démontrer l’existence d’un « lien probable » (probable cause) entre les éléments
requis et une enquête antiterroriste. Il lui suffit d’alléguer que les documents dont il demande
la présentation présentent un certain intérêt pour son enquête. Les conditions de mise sous
surveillance ont donc été abaissées, au préjudice de la liberté de pensée et du droit à la
confidentialité. Par contre, en ce qui concerne les activités de l’administration, le secret est de
mise. En effet, la section 214 interdit à toute personne de révéler à quiconque que le FBI a
tenté ou s’est procuré les éléments matériels concernés par cette section.
La section 216 de l’USA Patriot Act étend la surveillance téléphonique au domaine d’internet.
Cette section concerne les bibliothèques en ce qu’elles fournissent des accès internet. Si elles
reçoivent un mandat le leur ordonnant, elles sont enjointes à collaborer à la surveillance des
communications privées de leurs utilisateurs désignés par les services fédéraux comme par les
polices d’Etat (dans ce second cas, il n’est pas requis que la surveillance soit nécessaire à une
enquête antiterrorisme). La collaboration revêt deux aspects : la bibliothèque doit faciliter la
mise en place du dispositif de surveillance et doit, si elle le peut, fournir l’information
recherchée à partir de ses propres fichiers. Ici encore le secret est de mise, le destinataire du
mandat n’a pas le droit de révéler à quiconque l’installation de la surveillance. Les conditions
requises pour l’obtention d’une telle autorisation de surveillance sont là encore réduites au
minimum : les agents fédéraux ou les services de police d’Etat n’ont qu’à avancer que la
demande d’information s’inscrit dans le cadre d’une procédure criminelle. A l’instar de celleci, les dispositions du Patriot Act qui ne concernent pas seulement la lutte contre le terrorisme
sont nombreuses. Le contrôle judiciaire de ces mesure de surveillance est quant à lui affaibli
du fait que les services fédéraux peuvent saisir n’importe quel tribunal fédéral compétent
matériellement (au regard de l’acte objet de l’enquête). Ainsi, il suffira à l’administration de
s’adresser au juge qu’elle sait le plus conciliant quant à l’autorisation de telles mesures. Le
mandat ainsi délivré est valable sur l’ensemble du territoire des Etats-Unis.
1
Cour Suprême, OLMSTEAD vs. the United States, 4 juin 1928 ; 277 U.S. 438
Disponible sur :
http://caselaw.lp.findlaw.com/cgi-bin/getcase.pl?court=us&vol=277&invol=438
et Cour Suprême, KATZ vs. United States, 18 décembre 1967 ; 389 U.S. 347
disponible sur http://caselaw.lp.findlaw.com/scripts/getcase.pl?court=US&vol=389&invol=347
46
Sous deux conditions, la 217ème section permet à tout agent du gouvernement (et non
seulement à un membre des services de police) de surveiller le contenu des communications
internet de toute personne sur le territoire national. Premièrement, il faut que la police ait de
bonnes raisons de croire en une utilisation frauduleuse ou criminelle d’un ordinateur. Ensuite,
l’accord du propriétaire ou de l’exploitant de la machine est nécessaire. Cela concerne donc
les ordinateurs connectés et mis à disposition du public, y compris ceux des bibliothèques.
Ainsi, l’interception et la surveillance des messages électroniques peut être réalisée sans le
consentement ni l’avertissement de l’utilisateur propriétaire des dits messages. En application
de cette disposition, la personne utilisatrice d’un ordinateur non privatif est déchue de
l’ensemble de ses droits à la confidentialité. « Le propriétaire ou l’exploitant [de la machine
a] par conséquent le pouvoir discrétionnaire de déterminer a priori s’il y a ou non violation
de la loi. Dans le principe, un bibliothécaire serait habilité à exercer une surveillance, sans
limite de temps, à partir d’une infraction mineure commise par l’usager, comme la non
inscription à une cession d’ordinateur »1. Dans cette hypothèse, dont l’USA Patriot Act
permet la réalisation, la sanction qu’est la déchéance du droit à la confidentialité du courrier
électronique semble bien disproportionnée par rapport à l’infraction commise.
De manière générale, le Patriot Act multiplie les possibilités pour les services fédéraux de
surveiller et perquisitionner dans toutes les bibliothèques. En effet, ces services ne doivent
plus prouver à un juge une « forte présomption » d’activité criminelle ou terroriste (probable
cause), il n’est plus nécessaire que les opérations de surveillance soient justifiées par le fait
qu’elles sont directement liées à une enquête antiterroriste (primary purpose). Il suffit que les
services déclarent au tribunal saisi pour la délivrance d’un mandat que les actions pour
lesquelles la permission est demandée présentent un « lien significatif» (significant purpose)
avec une enquête de contre-renseignement. Pour Herbert FOERSTEL, « le trouble suscité par
l’USA Patriot Act ne provient pas tant de dispositions entièrement inédites que des
modifications qu’il apporte à des textes antérieurs, en un sens qui va à l’encontre du 4ème
amendement »2. En effet, cet amendement dispose que « le droit des citoyens d’être garantis
dans leur personne, leur domicile, leurs papiers et effets, contre les perquisitions et saisies
non motivées ne sera pas violé, et aucun mandat ne sera délivré, si ce n’est sur présomption
sérieuse, corroborée par serment ou déclaration, ni sans que le mandat décrive
1
CANTIE Philippe; op cit ; p.57.
FOERSTEL Herbert, « Refuge of a scoundrel : the USA Patriot Act in Libraries » ; Westport, CT, Greenwood
Press, 2004, p.181.
2
47
particulièrement le lieu à perquisitionner et les personnes ou les choses à saisir ». Or non
seulement l’exigence de «°présomption sérieuse » a disparu au profit d’un « lien significatif »
pouvant être indirect ; mais encore des surveillances aléatoires sont possibles (roving wiretap)
après autorisation de la Cour secrète instaurée par le FISA.
Ensuite, le USA Patriot Act multiplie le type de fichiers auxquels les services de police ont
accès ou qu’ils peuvent saisir. En effet, ils peuvent exiger la communication de fichiers tant
physiques qu’électroniques, de fichiers de transactions, d’inscription, de fichiers du personnel,
d’historique des sites consultés sur internet, de fichiers médicaux ou scolaires, etc… Tous ces
types de fichiers sont susceptibles d’entrer dans la catégorie des business records,
particulièrement floue. Quant à la saisie, elle concerne, comme nous l’avons dit, tout élément
matériel (tangible thing), de toute forme et nature.
Sous des conditions abaissées au minima, les services de police peuvent identifier l’origine et
la destination des courriels ainsi que leurs contenus dès que l’émetteur ou le destinataire
utilise un ordinateur public.
2 ) Les bibliothèques, destinataires de National Security Letters
La liberté d’information au sein des bibliothèques a été remise en cause par l’USA Patriot Act
en ce qu’il a simplifié la délivrance des National Security Letters (NSL). Ces dernières
peuvent concerner les communications électroniques dans le cadre de l’Electronic
Communication Privacy Act de 19861 qui règlemente le droit au respect de ces
correspondances. En application de la procédure des NSL, le ministre de la Justice a
compétence pour prononcer une « citation administrative à comparaître » (administrative
subpoena) sans que soit nécessaire l’obtention d’une ordonnance judiciaire (Court order).
Cette citation administrative à comparaître contraint son destinataire à transmettre au FBI
toute information demandée. Pour une bibliothèque, il pourrait s’agir de toute information
concernant un abonné : nom, adresse, date de son abonnement, liste de livres empruntés,
factures de téléphone avec mention des numéros joints, utilisation de la messagerie
électronique ou encore historique de ses connections internet. La règle du secret est ici aussi
de mise, toutes les NSL sont assorties d’une obligation de non divulgation. Depuis la
promulgation du Patriot Act et de sa section 505, le FBI n’a plus à démontrer que la personne
visée représente ou est au service d’une puissance étrangère, invoquer un lien avec une
1
Disponible sur http://floridalawfirm.com/privacy.html
48
enquête antiterrorisme suffit, ce lien n’étant « contrôlé » qu’en cas de recours juridictionnel.
Le juge ne pourra pas, dans les faits, contrôler le bien fondé du motif sur le fond. Notons que
l’USA Patriot Act interdit une National Security Letter fondée « uniquement sur la base
d’activités protégées par le 1er amendement de la Constitution » (religion, parole, presse,
association, pétition contre le gouvernement) mais cette interdiction ne profite qu’aux seuls
citoyens américains et en réalité n’est pas appliquée, nous l’évoquerons plus loin.
Pour conclure sur cette procédure des National Security Letters, il faut souligner qu’un article
du Washington Post1 révélait en novembre 2005 que le FBI avait émis environ 30 000 NSL
par an depuis le 11 septembre 2001 alors que leur nombre était cent fois moins important
avant les attentats.
3 ) La liberté d’expression violée par la règle du secret
La communication des fichiers des bibliothèques aux services de police peut se faire en vertu
d’une National Security Letter qui est assortie, comme toutes les NSL, d’une obligation légale
de non divulgation. La communication des fichiers peut aussi se faire en vertu d’un mandat
émis par la Cour FISA, Cour secrète dont l’appel des décisions va aussi à une Cour secrète.
La règle du silence (gag order) interdit à toute personne destinataire d’un mandat d’en parler.
« La personne ne peut communiquer d’information qu’à son avocat et aux agents dont la
participation a été jugée nécessaire à l’exécution du mandat. Elle ne peut s’ouvrir en
revanche aux membres du Congrès qui représentent sa circonscription. Les bibliothécaires
qui enfreignent cette règle sont passibles d’une forte amende, voire d’une peine
d’emprisonnement »2. On peut analyser cette règle du silence comme une précaution
juridique, « parfois il n’est pas seulement important mais nécessaire de conserver le secret »3,
un terroriste se sachant surveillé redoublera de précaution pour ne pas dévoiler d’éventuels
projets ou le nom de ses complices. Pourtant, cet argument ne tient plus quand on sait que la
règle du secret n’a pas de limite temporelle : la clôture de l’enquête n’implique pas la levée du
secret. Qui plus est, cette règle du silence peut aussi être perçue comme un moyen d’empêcher
toute critique de la politique fédérale, de la mise en œuvre de la loi, voire de la loi elle-même.
Ce procédé, peu démocratique, restreint la liberté d’expression garantie par le premier
GELLMAN Barton, « The FBI’s Secret Scrutiny » ; Washington Post, 6 novembre 2005.
CANTIE Philippe; op cit , p.59.
3
FOERSTEL Herbert, « Refuge of a scoundrel : the USA Patriot Act in Libraries » ; op cit , p.97
1
2
49
amendement et nie le droit d’accès à une juridiction publique prévu par les 6ème (procès
pénale) et 7ème amendements (procès civil).
Sans violer cette règle du secret, certains bibliothécaires la contournent astucieusement.
« Quelques-uns ont ainsi pris le parti de communiquer chaque mois à leur personnel
l’information selon laquelle aucune visite du FBI ne s’est produite au cours de la période
écoulée. En cas de non-notification, le personnel est invité à tirer par lui-même les
conséquences qui s’imposent… »1.
Pour empêcher les citoyens d’adapter leurs comportements aux possibilités de surveillance de
l’administration, le FBI a forcé l’ACLU à censurer un paragraphe sur son site internet qui
indiquait quelles informations le FBI est autorisé à exiger en application du Patriot Act. La
barrière séparant la surveillance d’internet et le contrôle de son contenu est franchie.
La liberté d’expression pâtit donc de cette nouvelle situation. Elle ne devrait pouvoir être
limitée que si elle représente un « danger actuel, imminent et clair »2. Cela a été précisé par la
Cour suprême : « la liberté d’expression ne peut être empêchée que si elle est
intentionnellement et vraisemblablement source d’attaque imminente à l’ordre social »3. Or il
ne semble pas qu’une personne communiquant au sujet d’une surveillance, dont elle a été
témoin ou dont elle a été la cible, corresponde à une telle situation. On ne voit pas quel danger
courrait la société si un individu dévoilait les activités du FBI, tant qu’il ne met pas en danger
les autres surveillances en cours. Par contre, il est certain que certaines voix se feraient
entendre, protestant contre les actions de l’administration. Qui plus est, nous le verrons plus
loin, les services fédéraux ont reconnu avoir surveillé des organisations légales mais qui
protestaient contre l’action du gouvernement BUSH. Il ne fait pas de doute que de telles
révélations ont fait taire d’autres protestataires, portant atteinte à leur liberté d’expression,
mettant en danger un des fondements de la démocratie.
L’information du Congrès a tout de même été rétablie lors du vote de la loi prolongeant
l’application du Patriot Act4. La nouvelle loi impose au Procureur général, sur une base semi
annuelle, d’informer à la fois le comité permanent pour le renseignement de la Chambre des
représentants et celui du Sénat ; au sujet de toutes les requêtes en production de « toute chose
tangible »5.
1
CANTIE Philippe; op cit , p.60.
SCHENCK vs US (1919) et ABRAMS vs US (1919)
3
BRANDENBREG vs Ohio (1969)
4
USA Patriot Act Additional Reauthorizing Amendmnets Act of 2006; op cit.
5
Section 502 a de l’USA Patriot Act Additional Reauthorizing Amendmnets Act of 2006; op cit.
2
50
4 ) La liberté d’information violée par la censure
Aucune disposition de l’USA Patriot Act ne prévoit la censure de quelque information que ce
soit. Pourtant, le texte entraîne indirectement des atteintes au droit d’accès à l’information
dont les bibliothèques se font les défenderesses et qui participe au sain exercice des libertés
politiques dans le cadre d’une démocratie. Comme l’expliquait James MADISON, l’un des
pères de la Constitution étasunienne, « un gouvernement populaire sans information pour le
peuple, ni les moyens pour le peuple d’y avoir accès, n’est qu’un prologue à une farce, à une
tragédie ou peut-être les deux à la fois. (…) Les peuples qui entendent se gouverner euxmêmes doivent s’armer du pouvoir que confère la connaissance »1. Encore faut-il qu’ils le
puissent.
a ) L’autocensure des citoyens
Le Patriot Act a un effet de censure en premier lieu sur la demande d’information. « Il produit
ce que les Américains appellent un “coup de froid” (chilling effect). Le comportement des
usagers [des bibliothèques] est nécessairement influencé par le seul fait d’avoir conscience
de la capacité du gouvernement à inspecter les fichiers »2. L’inhibition provoquée par cette
conscience a été reconnue en 1983 par un tribunal de l’Iowa : « la divulgation contrainte des
fichiers de bibliothèque aurait pour effet d’inhiber la lecture que tout citoyen peut faire
d’ouvrages polémiques ou n’ayant pas la faveur de l’opinion en raison de la connaissance
qu’autrui pourrait en avoir »3.
b ) L’autocensure de la presse et des bibliothèques
Le climat de patriotisme exacerbé produit aussi un effet de censure sur l’offre d’information.
Pour ce qui est de la presse, quelques jours avant que ne débute la seconde guerre en Irak, le
magazine Time a retiré de ses archives disponibles sur internet un article de George BUSH
père, datant des années quatre-vingt-dix, dans lequel il expliquait que le renversement de
Saddam HUSSEIN était pour lui un projet insensé4. Autre exemple, « le critique média du
Washington Post, Howard KURTZ, révélait le 30 octobre [2001] que le président de CNN,
Walter ISAACSON, avait fait circuler une note interne invitant la rédaction à “équilibrer” les
1
MADISON James, dans une lettre à BARRY W.T. en date du 8 août 1822.
CANTIE Philippe; op cit , p.73
3
BROWN vs JOHNSTON, 328 N.W. 2nd 510, 512.
4
GRENIER Tony, « the case of the disappearing article », 15 avril 2004
http://Libraryjournal.com/article/CA408331
2
51
reportages sur les bombardements américains en Afghanistan par le rappel des attentats et
des victimes civiles du 11 septembre »1. Autocensurée, la presse participe à la propagande de
l’administration BUSH. Laquelle empêche autant que possible que son chef soit critiqué.
Ainsi, « deux journalistes du Texas City Sun et du Daily Courrier ont été licenciés pour avoir
critiqué le Président BUSH »2.
Quant aux bibliothèques publiques, une enquête auprès de leurs responsables3 révèle que
1,3% d’entre elles ont de leur propre initiative retiré des documents considérés comme utiles à
des terroristes. Reste la question de savoir si des bibliothécaires ont compétence pour ainsi
disqualifier des documents et sur quels critères ils se fondent pour prendre une telle décision.
c
)
L’inaccessibilité
des
informations
unilatéralement
classées
« sensibles »
par
l’administration
Le FBI a décidé de retirer au public l’accès à certaines informations dites sensibles, sans
qu’elles soient classées secret défense. Parfois, l’accès est réservé à ceux qui acceptent de
montrer « patte blanche ». « Dans l’Ohio, des agents fédéraux ont ainsi retiré des collections
de référence d’au moins deux bibliothèques des documents décrivant la mise en place du plan
d’urgence en cas de catastrophe nucléaire ou chimique. [En remplacement], un fantôme
invitait toute personne souhaitant consulter les documents à se présenter, munie d’une pièce
d’identité, à l’antenne du Homeland Security Department »4. Il ne nous a pas été possible de
trouver sur quelle base juridique l’accès à ces données était ainsi conditionné (y’en a-t-il
une ?). S’agit-il d’une simple formalité ? Ou l’accès peut-il être refusé à certaines personnes,
dont le nom a une consonance arabe par exemple ? Il nous semble en tous cas qu’un individu
effectuant cette démarche, fournissant son identité, ferait par la suite l’objet d’une enquête,
voire d’une surveillance ; ce qui, on le comprend, décourage ce type de recherche.
L’accès à certaines images satellites a aussi été restreint, sous prétexte que ces images
pourraient être utiles à des terroristes, elles ont été classées sensibles. Pourtant, ces
informations seraient utiles aux citoyens étasuniens pour mesurer l’impact des activités
humaines sur l’environnement ou pour contrôler la gestion des ressources naturelles. « Des
MARTHOZ Jean-Pierre ; « La liberté de la presse » ; paru dans BRIBOSIA Emmanuelle et WEYEMBERGH
Anne, « Lutte contre le terrorisme et droits fondamentaux », Edition Nemesis Bruylant, collection Droit et
Justice, 2002, ISBN : 2-8027-1606-9 ; p.301
2
MARTHOZ Jean-Pierre ; op cit, p.301
3
Enquête réalisée par ESTRABROOK Leigh, directrice du Centre de recherche sur les bibliothèques (LRC),
« Public libraries and civil liberties questionnaire. Public Libraries’reponse to the events of 9/11/2001 : one
year later ».
http://irc.lis.uiuc.edu/web/PLCL.html.
4
CANTIE Philippe ; op cit, p.76
1
52
esprits chagrins n’ont pu s’empêcher de suggérer qu’en s’accaparant ainsi ces documents, le
gouvernement
cherchait
peut-être
à
dissimuler
les
dégâts
de
sa
politique
environnementale… »1. Reste que la classification de tous documents dans la catégorie des
documents sensibles, sur initiative du gouvernement et sans contrôle, a été validée par le
Sénat qui s’est fondé sur la sécurité nationale. Les rédacteurs du rapport du Sénat « avancent
l’argument fallacieux selon lequel le fait de ne pas classer ces documents confidentiels (mais
seulement sensibles) permet le cas échéant de lever très rapidement le secret en évitant de
recourir à une procédure longue de dé-classification »2.
5 ) La défense des bibliothèques face au Patriot Act
a ) La résistance des lecteurs et de l’ensemble des métiers du livre
Hors du terrain juridique, nous avons déjà vu comment certaines bibliothèques contournaient
la clause de secret (en informant tant que cela était vrai qu’elles n’avaient pas encore été objet
de mandat de communication ou de perquisition). Par ailleurs, en vue de protéger les droits de
leurs usagers, certains bibliothécaires ont décidé de restreindre la quantité de données
personnelles qu’elles possèdent au minimum nécessaire au bon fonctionnement de
l’établissement. Il est même envisagé de créer des cartes de bibliothèque qui garantiraient
l’anonymat des usagers tout en permettant à l’établissement d’être remboursé du prix du
document en cas de non retour3. De même, nombre d’entre elles ont pris le parti de détruire
automatiquement tout fichier qui n’est plus nécessaire (par exemple, les fiches d’emprunt qui
contiennent identité, adresse de l’emprunteur et références du livre sont détruites dès le retour
du document).
Les bibliothécaires ne sont pas les seuls à s’être mobilisés contre l’USA Patriot Act. Des
associations d’usagers de bibliothèques se sont formées plus ou moins spontanément, l’une
d’elles a, par exemple, organisé l’emprunt le même jour et dans une seule bibliothèque de tous
les ouvrages susceptibles d’être perçus avec suspicion par le FBI4. Au-delà des bibliothèques,
l’ensemble des métiers du livre s’est mobilisé. Par exemple, les libraires dont les fichiers
informatiques peuvent être saisis par le FBI afin de savoir qui a acheté tel livre ou quels livres
a acheté telle personne. Ils militent au sein d’une association (l’American Booksellers
1
CANTIE Philippe ; op cit, p.77
CANTIE Philippe ; op cit, p.76
3
OSTROWSKY Ben, « Anonymous library cards allowed you to wonder: who was that masked patron! »;
Computers in libraries, juin 2005, volume 25, n°6. Disponible sur:
http://www.vaxer.net/~sylvar/anonymouslibrarycards.html
4
CANTIE Philippe ; op cit, p.152
2
53
Foundation for Free Expression – ABFFE) qui a fait circuler une pétition en faveur de la
confidentialité ; elle a recueilli 200 000 signatures. L’Association des Editeurs Américains
(AEA) a rédigé un texte démontrant l’inconstitutionnalité du Patriot Act par rapport au 1er
amendement1. Le PEN American Center, regroupant d’éminents écrivains, a mis en exergue
les abus que permettrait la section 215 de l’USA Patriot Act2. Plusieurs associations, dont
celles citées et l’ALA (American Library Association) ont formé une coalition et émis un
manifeste commun pour soutenir le juge MORRERO (qui en 2004 a déclaré
inconstitutionnelles les National Security Letters)3.
b ) Les réactions des Etats fédérés et municipalités à la loi fédérale
* La loi de l’Illinois sur la confidentialité des fichiers des bibliothèques
Le réflexe sécuritaire au niveau fédéral s’est étendu au niveau des Etats fédérés. Pourtant, des
lois propres à un seul Etat permettent parfois de protéger la confidentialité des fichiers de
bibliothèques. C’est le cas de la législation de l’Illinois qui comporte une loi4 disposant que
« le fichier des inscrits et les fichiers de prêt d’une bibliothèque sont des informations
confidentielles. Hormis sur présentation d’un mandat judiciaire, personne ne publiera ou ne
mettra à disposition du public aucune des informations figurant dans ces fichiers ». Reste
qu’en vertu de la hiérarchie des normes, les lois des Etats fédérés, comme celle que nous
venons d’évoquer, ne peuvent pas porter atteinte à l’USA Patriot Act. Donc lorsque les agents
de la police fédérale demandent l’application du Patriot Act, ils n’entrent pas dans le
« public » visé par la loi de l’Illinois.
* Les résolutions des Etats fédérés à ne pas mettre en œuvre le Patriot Act, l’exemple de
l’Alaska
Les Etats fédérés peuvent décider de ne pas mettre en œuvre l’USA Patriot Act. Ainsi, de
nombreux Etats et municipalités5 ont interdit à leurs agents d’appliquer cette loi fédérale
1
http://www.publishers.org/about/patriot.cfm
Par exemple, RUSHDIE Salman « Terrorisme, intellectual freedom, and the USA Patriot Act » ; 10 août 2004
http://www.pen.org/viewmedia.php/prm-MID/39
3
http://www.ala.org/ala/ourassociation.othergroups/ftrf/ftrfinaction/recentcasestatus/secondcircuitnslamicusbrief.pdf
4
Loi de l’Etat de l’Illinois sur la confidentialité des fichiers de bibliothèque, 1er janvier 1993 ; 75 ILCS 70/1 ;
Ch. 81, § 1201
http://www.ilga.gov/legislation/ilcs/ilcs3.asp?ActID=1004&ChapAct=75%C2%A0ILCS%C2%A070/&ChapterI
D=16&ChapterName=LIBRARIES&ActName=Library+Records+Confidentiality+Act
5
La liste des Etats et des municipalités, ainsi que les textes adoptés sont disponibles sur
http://www.bordc.org/list.php
2
54
qu’ils qualifient souvent d’inconstitutionnelle. « Le fédéralisme recommence à jouer à plein
son rôle modérateur de l’exécutif central »1. Les Etats qui ont pris cette initiative sont la
Californie, le Colorado, Hawaï, l’Idaho, le Maine, le Montana, le Vermont et l’Alaska dont
nous avons traduit la résolution2 :
« Résolution du législateur de l’Etat d’Alaska en date du 21 mai 2003, relative à l’USA PATRIOT Act, à la
déclaration des droits de l’Homme, à la Constitution de l’Etat d’Alaska, et aux libertés civiles, à la paix, et à la
sécurité des citoyens de l’Etat d’Alaska.
Attendu que l’Etat d’Alaska reconnait la Constitution des Etats-Unis comme notre charte des libertés, et que la
Déclaration des Droits de l’Homme fait partie intégrante des droits fondamentaux et inaliénables des
Américains, y compris les libertés de religion, de parole, d’association et le droit au respect de la vie privée ; et
Attendu que chacun des employés d’un service public dûment élu a juré de défendre et de faire respecter la
Constitution des Etats-Unis et la Constitution de l’Etat d’Alaska ; et
Attendu que l’Etat d’Alaska dénonce et condamne tout acte de terrorisme, n’importe où il ait lieu ; et
Attendu que les attaques contre les Américains tels que ceux qui ont eu lieu le 11 septembre 2001, ont rendu
nécessaire la mise en œuvre de lois efficaces pour protéger la population des attaques terroristes ; et
Attendu que toute nouvelle mesure de sécurité de l’Etat fédéral, de l’Etat fédéré et d’une collectivité locale
devrait être rédigée avec soin et utilisée avec précaution pour renforcer la sécurité de la population sans empiéter
sur les libertés civiles et les droits des citoyens innocents de l’Etat d’Alaska ; et
Attendu que certaines dispositions de la loi de 2001 intitulée « Unification et Consolidation de l’Amérique par la
Fourniture d’Outils Opportuns Nécessaires à l’Interception et à l’Entrave du Terrorisme », connue sous le nom
de « loi patriote », permet plus facilement au gouvernement fédéral d’arrêter et d’enquêter sur des citoyens et de
mener des surveillances de leurs activités, et que cela est susceptible de violer ou de porter atteinte aux droits et
libertés garanties par nos Constitutions fédérale et fédérée.
Le pouvoir législatif de l’Etat d’Alaska décide d’apporter son soutient au gouvernement des Etats-Unis
d’Amérique dans sa campagne contre le terrorisme, et affirme son engagement à ce que la campagne ne soit pas
menée au détriment des droits et libertés civils des citoyens de ce pays qui sont contenus dans la Constitution des
Etats-Unis et dans la Déclaration des droits de l’Homme ;
Ainsi, la politique de l’Etat de l’Alaska est de s’opposer à toute partie de l’USA Patriot Act qui violerait les
droits et libertés garantis à la fois par la Constitution fédérale et la Constitution fédérée.
Ainsi, conformément à la politique de l’Etat d’Alaska, une agence fédérée de l’Etat d’Alaska, en l’absence de
soupçon raisonnable à propos d’une activité criminelle ressortissante de la compétence de la loi d’Alaska, ne
devra pas :
1 - initier, participer à, assister ou coopérer à une enquête, une recherche, une surveillance, ou une détention ;
2 - enregistrer, créer de dossier, ou partager d’information de renseignement concernant une personne ou une
organisation, y compris les registres de prêt ou de recherche d’une bibliothèque, les registres de vendeurs et
ADAM Alexandre, « Lutte contre le terrorisme : étude Comparative Union Européenne – Etats-Unis » ;
Editions L'Harmattan ; coll. Inter-National ; 13 janvier 2006 ; ISBN-13: 978-2747594370 ; p.103
2
Disponible sur http://www.bordc.org/detail.php?id=2
1
55
de loueurs de vidéos et de livres, les dossiers de location, les dossiers médicaux et scolaires, et les autres données
personnelles, même si ils y sont autorisés par l’USA Patriot Act ;
3 - conserver de tels renseignements, le procureur général d’Etat devra examiner la constitutionnalité de
l’information au regard des Constitutions fédérale et fédérée, et de tout temps devra détruire celle-ci s’il n’y a
pas de suspicion raisonnable d’une activité criminelle ; ainsi
Il est décidé qu’une agence fédérée de l’Etat ne devra pas :
1 - utiliser les bases de données de l’Etat ou de ses institutions pour l’application des lois fédérales en matière
d’immigration, dont la mise en œuvre ressort de la responsabilité du gouvernement fédéral
2 - collecter ou entretenir des bases de données portant sur des opinions politiques, religieuses, ou sociales, sur
des activités de tout individu, group, association, organisation, ou corporation, sauf si l’information relie
directement ces personnes à une enquête criminelle et si il y a de bonnes raisons de suspecter que le sujet de
l’information est ou pourrait être impliqué dans une activité criminelle
3 - pour engager des profilages raciaux, les agences chargées de l’application de la loi ne devront pas se servir de
la race, la religion, l’ethnie ou l’origine nationale comme critères pour sélectionner les individus objet
d’investigation, sauf si elles cherchent à appréhender un suspect spécifique dont la race, la religion, l’ethnie ou
l’origine nationale est un élément descriptif du suspect ; ainsi
Il est décidé que le pouvoir législatif de l’Etat d’Alaska implore le Congrès des Etats-Unis de corriger les
dispositions de l’USA Patriot Act et les autres mesures qui violent les libertés civiles, et s’oppose à toute
législation fédérale en discussion ou future pourvu qu’elle viole les droits et libertés civils des étasuniens. (…) »
* La résistance des villes, l’exemple d’Ames (Iowa)
Si l’initiative n’est pas étatique, elle peut être municipale. Ce fut le cas pour plus de 350
petites communes mais aussi pour de grandes métropoles telles que Chicago, Détroit,
Philadelphie ou encore San Francisco. Celle qui est la plus pertinente en ce qui concerne les
bibliothèques est celle de la ville d’Ames dans l’Iowa1 (où n’existe aucune résolution à
l’échelle étatique) :
« Résolution n°04-118 en date du 23 mars 2004, adoptée par le Conseil municipal de Ames (Iowa), concernant
l’application de l’USA Patriot Act pour la ville de Ames.
Le Conseil municipal d’Ames, Iowa,
1 – affirme son soutien indéfectible à tous les droits constitutionnels et son attachement à la défense des libertés
civiles ; et
2 – affirme son soutien indéfectible aux droits des immigrés et des résidents étrangers et s’oppose aux mesures
qui distinguent les individus pour les examens minutieux légaux ou la mise en œuvre des lois selon leurs
apparences, leurs croyances religieuses, ou leurs nationalités ; et
1
http://www.bordc.org/detail.php?id=187
56
3 – affirme sa croyance dans le fait que l’Amérique peut être protégée de toute menace sans sacrifier les droits et
libertés constitutionnels ; et
4 – s’oppose aux parties de l’USA Patriot Act qui violent les libertés civiles clairement protégées par la
Déclaration des Droits de l’Homme et la Constitution des Etats-Unis ; et
5 – encourage les bibliothèques publiques d’Ames à afficher dans un endroit bien en vue de la bibliothèque pour
ses usagers un avis ainsi rédigé : « ATTENTION ! En application de la section 215 de l’USA Patriot Act (loi
n°107-56), les agents fédéraux peuvent se procurer les registres des livres ou autres éléments matériels que vous
empruntez. Cette loi fédérale interdit aux bibliothécaires de vous informer si les fichiers d’emprunts ont été
consultés ou saisis par les agents fédéraux (…) ».
c ) L’échec des révisions du Patriot Act au Congrès
En fait, seul le Congrès des Etats-Unis d’Amérique pourrait garantir la protection des droits et
libertés des étasuniens, en amendant le Patriot Act. Si des initiatives en ce sens sont prises en
son sein, les soutiens du Président G.W. BUSH réussissent à les faire échouer. Ainsi, le 6
mars 2003, le républicain Bernie SANDERS a proposé un amendement à l’article 215 de
l’USA Patriot Act, appelé « Freedom to Read Act »1 (« loi pour la liberté de lecture »). Celuici tendait à rétablir l’obligation pour le FBI de prouver une « probable cause » dans le cadre
des commissions rogatoires délivrées aux bibliothécaires ; cela revenait en fait à soustraire les
bibliothèques du champ d’application de l’USA Patriot Act, les agents fédéraux auraient
toujours eu accès aux fichiers des bibliothèques mais aux conditions en vigueur avant 2001, à
savoir qu’ils auraient dû démontrer que l’enquête impliquait une puissance étrangère en
rapport avec des activités terroristes ou de renseignement. Un article du Seattle Times2 révèle
que lorsque le délai de vote a expiré, l’amendement avait recueilli la majorité des voix. Les
leaders républicains ont alors laissé les votes ouverts pendant deux fois plus de temps que le
délai normalement imparti (vingt minutes) et en ont profité pour persuader les républicains de
changer leurs votes. L’amendement n’a donc pas été adopté… Pas plus d’ailleurs que de
nombreux autres amendements déposés par Bernie SANDERS et d’autres représentants (il ne
nous est pas possible ici de tous les évoquer3). Pour Bernie SANDERS, la plus grande
inquiétude quant à la situation actuelle réside dans le « chèque en blanc » (black warrant)
laissé à l’administration4
« Freedom to Read Act » amendement du 6 mars 2003, H.R. 1157;
Disponible sur http://thomas.loc.gov/cgi-bin/query/z?c108:H.R.1157:
2
« Sun should set on part of Patriot Act », Seattle Times, 15 juillet 2004
3
Pour une liste (non exhaustive) des amendements proposés, voir CANTIE Philippe; op cit; p.168 et suivantes.
4
www.bernie.house.gov
1
57
6 ) Des mesures réellement efficaces ?
Enfin, reste la question de savoir si l’ensemble des mesures de surveillance des bibliothèques
est réellement efficace dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Nous dirions bien sûr non
si de nouveaux attentats s’étaient produits sur le sol des Etats-Unis mais ce n’est pas le cas.
Faut-il pour autant dire oui ? Faut-il croire l’administration BUSH quand elle déclare que le
Patriot Act et les surveillances d’emprunts de livres ont permis de démanteler des réseaux
terroristes ? Nous voulons bien croire que ces surveillances ont « provoqué » des
surveillances, voir des arrestations mais concernaient-elles des terroristes ? Les services
fédéraux, même de bonne foi, interprètent les choix de lecture des usagers des bibliothèques.
« Les lectures d’un usager, que ce soit sous forme imprimée ou électronique, ne révèlent pas
nécessairement les intentions de cette personne »1. En effet, selon ses choix littéraires,
comment distinguer un musulman ou un islamologue d’un islamiste ? Un étasunien qui,
comme nous, cherche à comprendre le phénomène islamiste extrémiste doit-il être surveillé ?
Pour cette étude, nous avons effectué des recherches sur les atteintes aux droits de l’Homme
dans le cadre de la lutte antiterrorisme ; sommes-nous fichés ? Pourrions-nous être assimilés
par les services de renseignement étasuniens à des défenseurs, à des conseils juridiques de
terroristes ?
Conclusion, la situation des bibliothèques françaises
En France, sommes-nous à l’abri de tels contrôles des lectures et emprunts en bibliothèques ?
Aucune disposition ne semble prévoir l’accès de la police aux fichiers d’emprunts mais ces
établissements restent concernés par l’enregistrement des connexions internet, dont nous
allons parler plus loin et qui est prévu par la loi du 23 janvier 20062. A l’instar de l’USA
Patriot Act, ce texte ne fait aucune mention des bibliothèques et ne les exclut donc pas de son
champ d’application. L’échange, lors d’un débat à l’Assemblée Nationale le mercredi 23
novembre 20053, entre un ministre délégué du gouvernement VILLEPIN et le député Noël
MAMERE montre comment le pouvoir exécutif se réserve la possibilité de contrôler les
1
JEAGER Paul, Mc CLURE Charles, BERTOT John, SNEAD John; op cit; p.11
Loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses
relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers ; J.O n° 20 du 24 janvier 2006 page 1129 ; NOR:
INTX0500242L
3
Débat rapporté intégralement sur : http://noelmamere.org/imprimer.php3?id_article=544
2
58
connexions internet des bibliothèques, avançant que de tels établissements ont déjà servi à des
terroristes : « - M. le Ministre délégué : “je suis très clair : ce sont d’abord les cybercafés qui
sont concernés, c'est-à-dire les personnes qui au titre d’une activité professionnelle
principale offrent au public une connexion au réseau internet. Ce sont eux que nous voulons
soumettre au même régime que les opérateurs classiques : obligation de conservation de
données techniques de connexion - numéros de terminaux, dates, horaires et durée de
communication -, indépendamment d’ailleurs des données de contenu, comme par exemple le
contenu d’un mail. Je rappelle que Richard REID, le terroriste dont la chaussure était
remplie d’explosif, utilisait des cybercafés ainsi qu’une bande de connexion de l’aéroport de
Roissy. Les mairies, les universités, les bibliothèques ne sont pas concernées en principe car
leur activité ne consiste pas principalement à proposer des connexions à l’internet.
Néanmoins, si l’on signalait, par exemple, que telle ou telle bibliothèque se transformait en
une sorte de cybercafé, celle-ci pourrait entrer dans le champ des personnes soumises à
l’obligation de conservation des données au titre de leur activité accessoire. Il convient de se
ménager une telle possibilité. Autre exemple, Mohammed ATTA, le chef des commandos
kamikazes du 11 septembre 2001, communiquait avec une partie de son réseau à partir des
postes internet que l’université de Hambourg mettait à la disposition de ses étudiants. La
définition proposée par le projet du Gouvernement n’appelle donc pas de précision par
décret”. M. Noël Mamère - “J’entends bien votre réponse concernant les universités, les
bibliothèques, les mairies, mais pourquoi ne pas inscrire précisément dans la loi la liste des
personnes devant conserver les données techniques relatives à l’utilisation d’internet ?” »
Aucune modification du texte de la loi n’a été faite sur ce point. Pourquoi le législateur n’a-til pas satisfait à son obligation constitutionnelle de clarté et de prévisibilité de la loi ? Selon
nous, comme le dit le ministre délégué, il s’est réservé la possibilité d’imposer aux
bibliothèques d’enregistrer les connexions mais n’a pas voulu le faire ouvertement au moment
du vote de la loi. Il s’agira d’une obligation imposée au cas par cas : « si (…) telle ou telle
bibliothèque se transformait en une sorte de cybercafé ». De plus, si le texte avait visé
directement les bibliothèques, les bibliothécaires se seraient mobilisés et auraient attaqué de
front le texte.
59
B ) Les connexions internet et les communications électroniques sous
surveillance
Les Nouvelles Technologies de l’Information et des Communications (NTIC) sont surveillées
de près dans le cadre de la lutte contre le terrorisme pour deux raisons. Premièrement, elles
permettent à d’éventuels terroristes de communiquer facilement, de s’organiser, le tout
anonymement. Les services chargés de la lutte contre le terrorisme s’attachent non seulement
à prendre connaissance des réseaux, du contenu des conservations et essaient de dépasser
l’anonymat que permettent ces technologies. Ensuite, le terrorisme informatique est aussi
craint. « Les agressions de type “terroriste” n’ont déjà plus besoin d’avions, de bombes, de
kamikazes : il suffit de s’introduire dans un système informatique à valeur stratégique, d’y
installer un virus ou quelque perturbation grave pour paralyser les ressources économiques,
militaires et politiques d’un pays ou d’un continent. Cela peut être tenté de n’importe où sur
la terre, à un coût et avec des moyens réduits »1. Pour finir, internet est un lieu privilégié pour
la propagande jihadiste.
1 ) le secret des correspondances électroniques mis en danger par la lutte des
gouvernements contre la cryptographie
En France, un courriel est une correspondance lorsque le message : « s’adresse à une
personne individualisée, si son adresse est nominative, ou déterminée, si son adresse est
fonctionnelle »2. Le courriel doit, en outre, être « personnalisé en ce qu’il établit une relation
entre l’expéditeur et le récepteur, laquelle fait référence à l’existence d’un lien les unissant
qui peut être familial, amical, professionnel, associatif, etc »3. Quand il répond à la définition
d’une correspondance, un message électronique bénéficie de la protection édictée par l’article
1er de la loi du 10 juillet 19914 qui dispose que « le secret des correspondances émises par la
voie des communications électroniques est garanti par la loi. Il ne peut être porté atteinte à ce
DERRIDA Jacques (philosophe et écrivain, 1930-2004), interviewé par BORRADORI Giovana, « Entretiens
sur le “concept” du 11 septembre » ; Le Monde Diplomatique, février 2004.
2
LE CLAINCHE Julien, « Courriels et secret des correspondances privées », article publié le 8 avril 2004 ;
disponible sur http://www.droit-ntic.com/news/afficher.php?id=222
3
Trib.corr Paris, 17ème ch, 2 novembre 2000, note X.FURST in Expertise, mai 2001, p.191.
Adresse : http://www.legalis.net/jnet/decisions/illicite_divers/jug_tgi_paris_021100.htm
4
Loi 91-646 du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des
télécommunications ; JORF 13 juillet 1991 ; NOR:JUSX9100068L.
1
60
secret que par l'autorité publique, dans les seuls cas de nécessité d'intérêt public prévus par
la loi et dans les limites fixées par celle-ci ».
Le droit au secret de sa correspondance en général est protégé au niveau supra-législatif, par
l’article 8 de la CEDH. La Cour EDH a pourtant eu l’occasion de dire en 19781 qu’eu égard à
« deux faits importants : les progrès techniques réalisés en matière d’espionnage et
parallèlement de surveillance, en second lieu, le développement du terrorisme en Europe au
cours des dernières années, les sociétés démocratiques se trouvent menacées de nos jours par
des formes très complexes d’espionnage et par le terrorisme, de sorte que l’État doit être
capable, pour combattre efficacement ces menaces, de surveiller en secret les éléments
subversifs opérant sur son territoire. La Cour doit donc admettre que l’existence de
dispositions législatives accordant des pouvoirs de surveillance secrète de la correspondance,
des envois postaux et des télécommunications est, devant une situation exceptionnelle,
nécessaire dans une société démocratique à la sécurité nationale et/ou à la défense de l’ordre
et à la prévention des infractions pénales ». La Cour conclut à la conventionalité de
l’ingérence, au motif que le législateur (allemand) a « compensé » les atteintes au secret de la
correspondance. En effet, le contrôle du respect de la loi est confié à un comité (au sein
duquel le principe du pluralisme est respecté par la présence d’un membre de l’opposition
politique en son sein) et à une commission qui est indépendante.
Un mois après les attentas de New-York, la loi sur la sécurité quotidienne, a imposé
l’enregistrement de nombreuses données internet afin qu’elles puissent servir à l’autorité
judiciaire. Dans ce cas, les juges peuvent recourir aux « moyens de l'Etat soumis au secret de
la Défense nationale » pour décrypter les messages (article 30 de la LSQ, codifié à l’article
230-1 et suivants du CPP). Par ailleurs, la loi oblige les fournisseurs de moyens de
cryptographie à transmettre aux autorités leurs protocoles de chiffrement, afin qu'elles
puissent décrypter à leur aise les messages (article 31 de la LSQ). Un fournisseur ne sera pas
sanctionné pénalement s’il ne communique pas la convention de cryptage de sa propre
initiative. Par contre, il le sera s’il refuse de communiquer une convention que les services de
police lui demandent ou s’il refuse de décrypter des messages (deux ans d'emprisonnement et
30 000 Euro d'amende). Les peines sont encore aggravées si le fournisseur avait connaissance
du fait que la convention servirait à la commission d’un délit ou d’un crime : trois ans
d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende (article 434-15-2 du Code Pénal).
1
CEDH (plen.), KLASS et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978 ; req. no 5029/71 ; §48
61
La procédure de décryptage ne peut, en principe, être utilisée qu’individuellement dans le
cadre d’une procédure judiciaire. Il faudra cependant rester vigilent et veiller à ce que cette
procédure ne soit pas utilisée par les services de renseignement pour surveiller toute les
communications internet.
Aux Etats-Unis, l’Electronic Communications Privacy Act protège spécifiquement le secret
des courriels. Mais les logiciels de cryptage sont aussi la cible des services fédéraux
étasuniens. En effet, « ils sont mis à mal par le programme “lanterne magique” (“magic
lantern”) du FBI. Envoyé par email, ce virus, de type “espion de clavier” enregistre à leur
insu les touches sur lesquelles frappent les internautes. Il permettrait ainsi au FBI d’identifier
la clé de déchiffrement des utilisateurs de logiciels de cryptographie et de récupérer les
messages écrits par le propriétaire de l’ordinateur »1.
En France comme aux Etats-Unis, la cryptographie est suspecte. Dans l’hexagone, au sujet de
la loi sur la sécurité intérieure (LSQ), « les organisations de défense de la liberté d’expression
sur Internet, Reporters sans frontières, LSIjolie, IRIS, Bug Brother, etc., se sont indignées du
vote aussi rapide d’un texte qui n’a fait l’objet d’aucune concertation et remet en cause le
principe de la confidentialité des échanges professionnels et privés, notamment du secret des
sources des journalistes »2, sujet dont nous reparlerons plus loin.
2 ) La liberté d’information menacée par l’enregistrement des données internet
Selon une enquête menée par Cent News (publiée par ZDNet US)3, les moteurs de recherche
Google, Yahoo et Microsoft enregistrent, conservent et archivent pour une durée indéterminée
(vraisemblablement très longue) toutes les expressions saisies dans le champ « recherche » de
ces moteurs. AOL, pour sa part, efface ces données après trente jours.
De même, sont enregistrés les liens de la page de résultats qui sont choisis et visités, ainsi que
toutes les données de connexion de l’utilisateur : l’adresse IP (Protocole Internet qui permet
de déterminer l’ordinateur utilisé), la plateforme et les navigateurs utilisés, et enfin les dates et
heures de connexion.
Toutes ces données sont utilisées pour définir les centres d’intérêt des internautes, afin de
proposer des publicités adéquates ; mais pas seulement. En France comme aux Etats-Unis, ces
RSF, rapport « Internet en liberté surveillée » ; p.14 ; disponible sur
http://www.rsf.org/IMG/pdf/doc-1258.pdf
2
RSF, « Internet en liberté surveillée » ; op cit ; p.9.
3
GROUAS Thibault, « De l’absence de protection des données aux USA et ses conséquences » ; e-juristes.org
1
62
données sont accessibles aux services de police et permettent d’obtenir l’identité de la
personne grâce à son adresse IP et aux heures de connexion.
a ) Le droit pertinent en France
- La directive européenne du 15 mars 2006
Une directive de l’Union Européenne, en date du 15 mars 20061, a été adoptée au sujet de la
« conservation des données générées ou traitées dans le cadre de la fourniture de services de
communications
électroniques
accessibles
au
public
ou
de
réseau
publics
de
communication ». L’article 2 de la directive définit les données à conserver comme « les
données relatives au trafic et les données de localisation, ainsi que les données connexes
nécessaires pour retrouver et identifier la source, la destination, la date, l’heure et la durée
d’une communication ». Sont ainsi concernés, notamment, le numéro de téléphone attribué à
toute communication, les noms et adresses des abandonnés, comme leurs adresses IP. Dans le
but d’harmoniser les législations des Etats membres et par dérogation au principe
d’effacement des données personnelles, la directive fixe une durée minimum de six mois et
maximum de deux ans pour leur conservation. « Le caractère préventif et général de cette
mesure fait craindre pour la liberté d’information »2.
- Le décret du 24 mars 2006 et la mise en cause de sa légalité
En France, la loi sur la sécurité quotidienne a maintenu le principe selon lequel « les
opérateurs de télécommunications (…) sont tenus d'effacer ou de rendre anonyme toute
donnée relative à une communication dès que celle-ci est achevée » (art. 29 I). Mais la loi a
assorti le principe de dérogations. En effet, elle a « pour les besoins de la recherche, de la
constatation et de la poursuite des infractions pénales, et dans le seul but de permettre, en
tant que de besoin, la mise à disposition de l'autorité judiciaire d'informations » porté à un an
la durée de conservation des données de connexions à la toile et les données relatives aux
envois et réceptions de courriels par les fournisseurs d'accès à internet (article 29 II). Depuis,
le décret du 24 mars 20063 prévoit que la durée de conservation des données serait de deux
ans, soit le maximum prévu par la directive européenne.
1
Directive 2006/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 ; modifiant la directive
2002/58/CE
2
RSF, « Internet en liberté surveillée » ; op cit ; p.14.
3
Décret n° 2006-358 du 24 mars 2006 relatif à la conservation des données des communications électroniques;
art. 1 Journal Officiel du 26 mars 2006
63
Ce décret a été attaqué par l’association des Fournisseurs d’Accès Internet (FAI) car selon eux
il contredit l’article L.34-1 du Code des Postes et Communications Electroniques (CPCE). Ce
dernier pose le principe selon lequel les opérateurs de communications électroniques
« effacent ou rendent anonyme toute donnée relative au trafic », et prévoit des exceptions au
principe : la conservation de certaines « données techniques » aux fins notamment de
recherches, constatations et poursuites des infractions pénales. Or le décret litigieux efface la
distinction législative entre « toute données relative au trafic » et les « données techniques »
qui en constituent un sous ensemble. C’est sur ce point qu’est fondé le recours des FAI1.
L’article 1er du décret dispose que « les données relatives au trafic s'entendent des
informations rendues disponibles par les procédés de communications électroniques,
susceptibles d'être enregistrées par l'opérateur à l'occasion des communications
électroniques dont il assure la transmission et qui sont pertinentes au regard des finalités
poursuivies par la loi2. (…) Les opérateurs de communications électroniques conservent pour
les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales : a)
Les informations permettant d'identifier l'utilisateur ; b) Les données relatives aux
équipements terminaux de communication utilisés ; c) Les caractéristiques techniques ainsi
que la date, l'horaire et la durée de chaque communication ; d) Les données relatives aux
services complémentaires demandés ou utilisés et leurs fournisseurs ; e) Les données
permettant d'identifier le ou les destinataires de la communication »3.
Or, les « informations permettant d’identifier l’utilisateur », les « données permettant
d’identifier le ou les destinataires de la communication » ainsi que les données « relatives aux
services complémentaires demandés ou utilisés et leurs fournisseurs », qui en vertu du décret
doivent être conservées, ne peuvent pas selon les FAI être considérées comme des « données
techniques » au sens de l’article L.34-1 du CPCE. Nous n’avons pas été en mesure de trouver
l’arrêt qui a statué sur le recours des FAI. Il nous paraît pourtant possible de dire que le juge
administratif ne l’a pas accueilli, sinon les articles R.10-12 et -13 ne seraient plus libellés
comme ils le sont…
1
Précisons qu’ils ne sont pas motivés par la seule protection de l’anonymat et de la liberté d’information de leurs
abonnés, mais aussi par le fait qu’une telle extension de la conservation des données engendrerait pour eux un
surcoût financier.
2
R.10-12 du CPCE
3
R.10-13 du CPCE
64
- les réserves de la CNIL relatives à l’enregistrement des données internet
La Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL), autorité administrative
indépendante, a émis de fortes réserves quant à la conservation des données internet à
l’occasion de l’examen le 10 octobre 2005 de l’avant-projet de loi relatif à la lutte contre le
terrorisme1.
* Quant à l’imprécision des personnes soumises à l’obligation de conservation
La CNIL « estime que la loi devrait lister précisément les personnes qui devraient conserver
les données techniques relatives à l’utilisation d’internet ». A l’instar du député Noël
MAMERE, la commission se demande : « les universités, les bibliothèques, les mairies qui
proposent un accès internet sont-elles ou non soumises à l’obligation de conservation ? »
Elle n’a pourtant pas été entendue et ne s’estime alors pas en mesure de remplir sa fonction de
contrôle2.
* Quant aux personnes ayant accès aux informations et à l’absence de contrôle juridictionnel a
priori
Etrangement similaire à ce qui est en vigueur aux Etats-Unis, la loi française ne prévoit pas
l’intervention d’un juge pour autoriser en amont la consultation des données de connexion par
les services de police. En effet, dans le cadre d’opérations de lutte contre le terrorisme, les
services de police et de gendarmerie pourront avoir accès aux données de connexion dans le
cadre de leur pouvoir de police administrative, c’est à dire hors contrôle a priori de l’autorité
judiciaire. Sur ce point, la CNIL, après avoir souligné « la diversité et la sensibilité des
informations ainsi mises à disposition », a demandé qu’en l’absence de contrôle juridictionnel
préalable à l’exécution de la mesure, soient indiqués avec précision les services de police et
de gendarmerie qui seront spécialement habilités pour ces nouveaux contrôles. Sans renoncer
à son rôle de contrôle en la matière, la commission s’est félicitée du fait que le projet de loi ait
été modifié : une Commission Nationale de Contrôle des Interceptions de Sécurité (CNCIS)
créée par le texte sera compétente pour examiner les modalités d’habilitation des agents
pouvant avoir accès à ces données3.
Pourtant, on pourrait voir dans l’absence de contrôle juridictionnel a priori une violation de
l’article 66 alinéa 2 de la Constitution française qui dispose que « l'autorité judiciaire,
gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions
1
Délibération de la CNIL n°2005-208 du 10 octobre 2005 portant avis sur le projet de loi relatif à la lutte contre
le terrorisme disponible sur http://www.cnil.fr/index.php?id=1884
2
Délibération de la CNIL ; op cit
3
Délibération de la CNIL op cit.
65
prévues par la loi ». De plus, le fait que la Commission Nationale de Contrôle des
Interceptions de Sécurité ne contrôle pas les habilitations (mais seulement les modalités de
mise en place de ces dernières) ne parait pas offrir assez de garanties.
b ) L’enregistrement des données internet aux Etats-Unis
En ce qui concerne les Etats-Unis d’Amérique, nous avons déjà évoqué la surveillance des
connections internet et des communications électroniques mais seulement dans le cadre des
ordinateurs laissés à la disposition du public au sein des bibliothèques. Qu’en est-il des
conséquences de l’USA Patriot Act sur les nouvelles technologies de l’information et de la
communication (NTIC) en dehors des bibliothèques ?
- l’absence totale de protection juridique de ces données
Aux USA, les données relatives aux connections internet ne sont pas protégées. En effet, la
confidentialité des courriels est garantie par l’Electronic Communications Privacy Act de
1986 mais ce dernier, du fait de son ancienneté, ne concerne pas l’ensemble des données que
nous avons évoquées avant (adresse IP, plateforme les navigateurs utilisés, dates et heures de
connexion…).
En l’absence de texte adapté applicable protégeant ces données, toutes les dérives sont
possibles aux Etats-Unis, y compris une utilisation par des personnes privées1.
- La mise en place de la surveillance : le logiciel Carnivore
Le FBI a reçu par la loi l’autorisation d’installer le logiciel appelé Carnivore2 chez les FAI
dans le but d’épier la circulation des messages électroniques et de conserver les traces de la
navigation sur le web de toute personne suspectée de contact avec une puissance étrangère.
Pour se faire, les services fédéraux n’ont besoin que d’une autorisation délivrée soit par
n’importe quel tribunal fédéral3, soit par la Cour secrète FISA. « Le journal en ligne Wired a
affirmé dans une enquête que les agents du FBI (…) s’étaient présentés dans les locaux [des
principaux fournisseurs d’accès basés aux Etats-Unis] afin d’y installer leur machine
[Carnivore]. (…) Le FBI aurait encore exigé et obtenu de ces compagnies des informations
provenant de comptes dont l’adresse internet comportait le nom “Allah”. Tous les grands
1
Cela n’est pas possible en France grâce à la loi du 6 aout 2004, transposant la directive européenne 95/46/CE
Face aux critiques, l’autorisation d’utiliser le logiciel « Carnivore » a été supprimée et remplacée par
l’autorisation d’utiliser le logiciel « DCS 1000 » qui est en tous points similaire à son prédécesseur.
3
Cela permet au FBI de pratiquer une sorte de « forum shopping » des juges fédéraux et de choisir ceux qui sont
les moins exigeants.
2
66
fournisseurs d’accès semblent avoir suivi l’exemple de Hotmail et pleinement collaboré avec
les services de sécurité américain »1. Le système Carnivore, en application de la section 216
du Patriot Act, permet aussi au FBI d’avoir accès non seulement aux adresses internet des
correspondants mais aussi au contenu des courriels. Or les commissions rogatoires délivrées
par le juge ne visent que les adresses. Cela est contraire au 4ème amendement qui précise que
les mandats doivent décrire « particulièrement (précisément) le lieu à fouiller et les personnes
ou les choses à saisir ». Enfin, dans les fait, ce système de surveillance, mis en place pour un
FAI permet d’avoir accès non seulement aux communications visées par le mandat mais aussi
à l’ensemble des communications qui passent par ce FAI2. Là aussi, cela est contraire au 4ème
amendement et la précision des mandats qu’il impose.
De plus, les FAI peuvent, sans avoir été requis en ce sens, donner de leur propre initiative des
informations personnelles, relative à la navigation sur le web par exemple.
- Le détournement des mesures
Un des principaux problèmes posé par le Patriot Act est que, dérogeant à de nombreuses
libertés, il ne se limite pas en fait à la lutte contre le terrorisme. En effet, en novembre 2003,
le ministre de la Justice étasunien John ASHCROFT a annoncé « la mise en place de
nouvelles procédures incitant le FBI à appliquer de manière plus efficace le Patriot Act ; elles
donnent notamment au FBI le pouvoir de récolter des informations sur des internautes hors
de toute enquête officielle et de s’engager ainsi dans une surveillance a priori du réseau
internet »3. Depuis la mise en place du système Carnivore, les dérapages redoutés par les
associations de défense des libertés civiles se sont produits. Au printemps 2002, l’organisation
américaine Electronic Privacy Information Center (EPIC), après un bras de fer juridique avec
le FBI, a obtenu le droit d’accéder à certains dossiers relatifs à Carnivore. « Ses spécialistes
ont découvert que, dans le cadre de la “croisade antiterroriste”, les courriers électroniques
privés de citoyens au dessus de tous soupçons avaient été interceptés et espionnés “par
erreur”, selon la police fédérale. De mauvaises manipulations techniques seraient à l’origine
de ces bavures »4.
« Internet en liberté surveillée » ; rapport de RSF ; p.5 ; disponible sur
http://www.rsf.org/IMG/pdf/doc-1258.pdf
2
GHOZALI Maya, « L’USA Patriot Act ou l’avènement des prédictions d’Orwell… » ; disponible sur ejuristes.org/USA-Patriot-Act
3
GHOZALI Maya ; op cit
4
RSF, « Internet en liberté surveillée » ; op cit ; p.6
1
67
Notons que si l’USA Patriot Act permet l’accès pour les services fédéraux à de nombreuses
données relatives aux connexions et communications électroniques, c’est aussi l’ensemble des
données électroniques qui sont concernées. En effet, « depuis le 11 septembre, les bases de
données concernant des informations et des dizaines de milliers de citoyens ordinaires ont été
récupérées par des agents fédéraux désireux de collecter les moindres informations
susceptibles de les aider dans la lutte contre le terrorisme (listes de supermarché, listing de
voyage…) et même des informations issues de bases de données publiques ! »1. Reste que,
collectées, de nombreuses informations ne sont pas exploitées du fait de la saturation en
données des services de renseignement. En effet, la rétention massive des données rend leur
traitement et leur filtrage difficiles, voire impossibles. « L’augmentation de la quantité
d’informations recueillies produit, en l’absence de moyens d’interprétation, un effet de
saturation qui nuit au système de sécurité »2. « L’abdication de la liberté au nom de la lutte
contre le terrorisme n’est pas seulement une tragédie sur le plan de la Constitution mais
aussi, vraisemblablement, une opération inefficace »3. Aucun des documents que nous avons
lus dans le cadre de cette étude n’a mentionné un problème de saturation des services de
renseignement en France, pourtant nous pensons que le même problème doit se retrouver dans
l’hexagone.
3 ) Des mesures réellement efficaces ?
Dans ces domaines de haute technologie, tous les individus ne sont pas égaux et le droit peut
être contourné.
En l’espèce, de nouveaux logiciels permettent à ceux qui y ont accès (ceux qui ont les
connaissances nécessaires en informatique ainsi que les moyens financiers adéquats) de
continuer à naviguer sur la toile anonymement. En effet, les internautes peuvent par exemple
s’équiper d’une clé USB couplée à un logiciel baptisé Torpack ; cela leur permet de naviguer
sur le web via TOR, un système de connexion internet où l’anonymat est technologiquement
garanti.
Or nous savons que les islamistes extrémistes, s’ils rejettent idéologiquement la technologie,
savent parfaitement l’utiliser. Ils se servent d’internet pour diffuser messages et propagande,
1
GHOZALI Maya ; op cit
CANTIE Philippe, p.178.
3
FOERSTEL Herbert, « Refuge of a scoundrel : the USA Patriot Act in libraries » ; Westport, CT, Greenwood
Press, 2004 ; p.72.
2
68
et il est difficile de douter du fait qu’ils aient en leur sein des informaticiens performants,
capables de déjouer les pièges occidentaux.
C ) Le principe du secret des sources journalistiques : le droit et sa pratique.
« La protection des sources, l’un des piliers du journalisme d’investigation et de la liberté de
la presse risque fort de sortir affaiblie de [la volonté] de prévenir les actions terroristes »1.
Selon la société interaméricaine de presse (SIP)2, les Etats-Unis sont inclus dans la liste des
pays du continent américain qui violent la liberté de la presse en emprisonnant des
journalistes qui refusent de révéler leurs sources3. Approuvé par 350 propriétaires, directeurs
et rédacteurs en chef de journaux du continent entier qui participaient à l’assemblée générale
de la SIP au Panama, le rapport publié le 14 mars 2005 souligne que la guerre menée en Irak
par les Etats-Unis, le renforcement des mesures de sécurité dans ce pays et les pressions pour
identifier les sources confidentielles affectent la liberté de la presse.
De plus, un plan de réforme de la police fédérale (FBI) a été adopté le 30 mai 2002. Selon
Reporters Sans Frontières (RSF), ce plan menace la confidentialité du travail des journalistes4.
En effet, à l’instar de tout citoyen, les courriels des journalistes peuvent être consultés plus
facilement et le cryptage est mis à mal. RSF a alors adressé à John ASCHCROFT (alors
ministre de la justice) une lettre rappelant à ce dernier le principe du secret des sources
journalistiques, la confidentialité des informations et lui demandant de soumettre tout acte de
surveillance à l’autorisation préalable d’un magistrat dont l’action serait publique. La lettre
n’a reçu aucune réponse.
En France, l’article 109 du Code de procédure pénale dispose que « toute personne citée pour
être entendue comme témoin est tenue de comparaître, de prêter serment et de déposer (…).
Tout journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l'exercice de
MARTHOZ Jean-Paul, « La liberté de la presse », p.297 ; dans BRIBOSIA Emmanuelle et WEYEMBERGH
Anne, « Lutte contre le terrorisme et droits fondamentaux », Edition Nemesis Bruylant, collection Droit et
Justice, 2002, ISBN : 2-8027-1606-9
2
AFP 15/03/2005
3
Extraits du rapport disponibles sur http://www.elcorreo.eu.org/article.php3?id_article=2263
4
RSF, « Internet en liberté surveillée » ; op cit.
1
69
son activité, est libre de ne pas en révéler l'origine ». Le secret des sources journalistiques est
ainsi garanti.
De plus, au niveau européen, si ce secret n’est pas garanti par la CESDH, il l’est par la
jurisprudence de la Cour EDH. De nombreux arrêts strasbourgeois condamnent les Etats pour
irrespect du secret des sources journalistiques. A notre sens, le plus emblématique est l’arrêt
GOODWIN contre le Royaume Uni1. Dans cette affaire, les journalistes avaient été
condamnés à payer une astreinte tant qu’ils ne révélaient pas le nom de leur source. Au §39 de
cet arrêt, la Cour rappelle que « la liberté́ d'expression constitue l'un des fondements
essentiels d'une société démocratique et les garanties à accorder à la presse revêtent une
importance particulière (…). La protection des sources journalistiques est l'une des pierres
angulaires de la liberté́ de la presse (…). L'absence d'une telle protection pourrait dissuader
les sources journalistiques d'aider la presse à informer le public sur des questions d'intérêt
général. En conséquence, la presse pourrait être moins à même de jouer son rôle
indispensable de “chien de garde” et son aptitude à fournir des informations précises et
fiables pourrait s'en trouver amoindrie. Eu égard à l'importance que revêt la protection des
sources journalistiques pour la liberté́ de la presse dans une société démocratique et à l'effet
négatif sur l'exercice de cette liberté́ que risque de produire une ordonnance de divulgation,
pareille mesure ne saurait se concilier avec l'article 10 de la Convention que si elle se justifie
par un impératif prépondérant d'intérêt public. (…)D'une manière générale, la “nécessité́”
d'une quelconque restriction à l'exercice de la liberté́ d'expression doit être établie de
manière convaincante ».
Malgré la protection législative nationale et la protection jurisprudentielle européenne, le
secret des sources journalistiques est mis à mal par l’Etat français, notamment dans le cadre
de la lutte contre le terrorisme. Ainsi, RSF rapporte que « des procès-verbaux d’écoutes
téléphoniques rendus publics par le journal Le Monde prouvent que Laïd SAMMARI,
journaliste à l’Est républicain, a été placé sur écoutes judiciaires à la demande d’un juge de
la Division nationale de lutte antiterroriste (DNAT) en 2002. Six journalistes avaient
également été placés sur écoutes, en 2000 et 2001, dans le cadre de l’enquête visant le leader
nationaliste corse François SANTONI. (…). Malgré la “légalité” de ces écoutes
téléphoniques, le fait que les juges ne fassent aucun cas du principe du secret des sources
journalistiques pose désormais un vrai problème de liberté de la presse en France »2. En
1
CEDH, GOODWIN c. RU du 27/03/1996 ; Recueil 1996-II
RSF, « un nouveau journaliste mis sur écoutes », 3 juillet 2002
Disponible sur http://www.rsf.org/article.php3?id_article=2855
2
70
dehors des cas de mise sur écoute des journalistes, RSF fait état du fait que « dans un nombre
croissant d’affaires, la justice française exerce une pression sur les journalistes pour les
contraindre à révéler l’origine de leurs informations. L’interpellation, la mise en garde à vue,
et la mise en examen sont utilisées pour contraindre le journaliste à se comporter en
auxiliaire de justice ou de police. Jean-Pierre REY, journaliste-photographe à l’agence
Gamma, avait été placé en garde à vue pendant près de quatre jours en septembre 2001, par
la DNAT. Quatre autres journalistes avaient fait l’objet d’une telle mesure dans les vingt
mois précédents »1.
1
RSF, « un nouveau journaliste mis sur écoutes » ; op cit
71
L’ensemble du dispositif de surveillance de la population en France, sous couvert de lutter
contre le terrorisme, est clairement dérogatoire aux règles de droit commun et viole certains
droits de l’Homme. Reste que si les mesures étaient limitées aux seuls terroristes, elles
seraient proportionnées à leur objectif, c'est-à-dire garantir la population française d’attentats
meurtriers. Pourtant, nous l’avons vu, elles ne s’y limitent pas. Premièrement parce que une
infraction n’est terroriste qu’au regard de l’intention de l’auteur qui ne peut se découvrir a
priori. Ensuite, parce qu’il est expressément prévu que seront valides les procédures relatives
à d’autres infractions découvertes grâce aux dispositions concernant la lutte contre le
terrorisme. Dès lors, comment assurer l’effectivité des garanties procédurales de droit
commun ?
Aux Etats-Unis, par la surveillance de la population résidant sur son territoire,
« l’administration a déclaré avoir procédé à 400 arrestations qui auraient ensuite conduit à
200 inculpations. Mais en réalité 39 personnes seulement ont été inculpées d’actes en
relations avec une entreprise terroriste. Les autres motifs d’inculpations étaient surtout liés à
une infraction aux lois de l’immigration. Les condamnations, rarement supérieures à un an
de prison, indiquent le faible degré de gravité des actes commis »1.
Autrement dit, des dispositions qui contredisent clairement la Constitution étasunienne
(principalement le quatrième amendement) ont permis d’arrêter 200 innocents et de découvrir
161 infractions mineures sans lien avec le terrorisme. En somme, beaucoup de libertés sont
gravement limitées et de droits bafoués pour peu de résultats. « Ce qu’il faut surtout
souligner, c’est que les 39 inculpations auraient été possibles sans le recours à l’USA Patriot
Act… »2.
1
2
CANTIE Philippe; op cit, p.184.
CANTIE Philippe, op cit, p.184.
72
Chapitre II )
Les « aménagements » du droit à un procès équitable
Le droit de l’Homme à un procès équitable est un droit essentiel, pierre angulaire de tous les
autres car c’est lui qui permet de garantir leur effectivité. En France comme aux Etats-Unis, il
est garanti à un niveau supra législatif : par l’article 6 de la CEDH et par les cinquième et
sixième amendements de la Constitution étasunienne. Pourtant, dans le cadre de la lutte contre
le terrorisme, ce droit fait l’objet de nombreux « aménagements ». En effet, le jugement des
actes de terrorisme ressort de la compétence de juridictions spéciales, tellement spéciales que
se posent les questions de leur indépendance et de leur impartialité ( section I ). Dans un but
répressif, les droits de la défense devant ces juridictions sont affaiblis ( section II ).
Section I ) L’altération du droit d’accès à un juge indépendant et impartial
En France, seules les juridictions de Paris sont compétentes en matière de terrorisme. Cette
centralisation des affaires à Paris est critiquée, tout comme les juges qui y officient ( A ). Aux
Etats-Unis, le droit d’accès à un juge des prisonniers de Guantanamo ( B ) fait l’objet d’un
bras de fer entre pouvoirs judiciaire et exécutif, ce dernier voulant créer des tribunaux et
commissions militaires pour juger les détenus. Cela impliquerait de facto un manque évident
d’indépendance vis-à-vis de l’exécutif et un manque d’impartialité étant donné que ce sont
souvent les militaires qui ont arrêtés les détenus sur les fronts ( de leur propre initiative, selon
le seul critère flou d’appartenance à un mouvement terroriste, fréquemment sur dénonciation).
73
A ) Les juridictions françaises spécialisées, trop spécialisées ?
1 ) La centralisation des affaires et la mise en cause de l’action des juges
antiterroristes français.
Le droit et le juge français sont compétents en matière de terrorisme si :
- le comportement objet de poursuites a eu lieu sur le territoire français (compétence
territoriale – article 113-2 du Code pénal (C. pen.))
- une des victimes (compétence personnelle passive – 113-7 C. pen) ou un des auteurs
(compétence personnelle active - 113-6 C. pen) est français
- les intérêts de la nation sont en jeu (113-10 C. pen)
- a été commis une atteinte à l’intégrité physique d’une personne ayant droit à une protection
internationale, y compris les agents diplomatiques (689-3 al.1 du CPP)
- a été commis un enlèvement ou une séquestration, ainsi que tout crime ou délit avec
utilisation d’une bombe, d’un colis piégé (…) dans le cadre d’une organisation terroriste (6893 al2 CPP)
- a été commis un crime ou un délit terroriste au sens du Code pénal et que l’infraction a
constitué un financement d’acte de terrorisme (689-10 CPP).
a ) La centralisation des affaires dans la quatorzième section du Parquet parisien
Dans tous ces cas de compétence, la loi de 1986 a prévu la centralisation à Paris des affaires
nationales et internationales de terrorisme. Cette centralisation à Paris a été codifiée dans le
CPP, aux articles 706-17 à 706-22-1. Ces articles investissent l’appareil judiciaire parisien
d’un pouvoir de contrôle total dans la lutte anti-terroriste : de la décision d’ouverture d’une
procédure, à l’application des peines, en passant par l’instruction et le jugement.
Pour assurer la compétence des juridictions parisiennes, les Procureurs de la République ont
la possibilité de requérir qu’un juge d’instruction d’un Tribunal de Grande Instance (TGI)
autre que celui de Paris se dessaisisse d’une affaire de terrorisme, laquelle sera alors
transférée aux autorités parisiennes compétentes (article 706-18 du CPP). Cette possibilité est
dans les faits toujours exercée, il n’y a pas de doute qu’un Procureur qui ne requerrerait pas
qu’un juge d’instruction provincial se déclare incompétent serait rappelé à l’ordre par sa
hiérarchie.
74
L’article 14 de la loi du 23 janvier 20061 a inséré dans le CPP le nouvel article 706-22-1. Ce
dernier dispose que par dérogation à l’article 712-10, « sont seuls compétents le juge de
l'application des peines du TGI de Paris, le tribunal de l'application des peines de Paris et la
chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Paris pour prendre les décisions
concernant les personnes condamnées pour une infraction entrant dans le champ
d'application de l'article 706-16 [actes de terrorisme], quel que soit le lieu de détention ou de
résidence du condamné ». Cette nouvelle disposition a suscité peu de commentaires, elle ne
concerne en effet que les rares prisonniers condamnés pour terrorisme. Pour autant, le
collectif « Ne Laissons Pas Faire » qui milite pour la libération des prisonniers d’Action
Directe pense qu’il s’agit là du « dernier maillon d’une chaîne redoutable qui parachève les
dispositions spéciales. Et peut-être le plus redoutable puisque [la disposition] permet le
maintien en détention ad vitam æternam, elle remet entre les mains d’une juridiction
particulière la possibilité existant normalement pour chaque détenu d’obtenir une libération.
Pour les prisonniers politiques qui ont choisi la lutte frontale contre l’État, obtenir leur
libération était déjà mission pratiquement impossible. Toutes les demandes déposées par les
camarades d’Action Directe ont ainsi essuyé un refus, même si elles répondaient aux critères
de logement et d’emploi. Joëlle AUBRON, seule, a pu quitter les geôles de l’État : mais après
mobilisations et luttes et parce que, comme ils le disent : “le pronostic vital était engagé”.
(…) Mais une chose est la pratique et une autre l’institutionnalisation de cette pratique.
Aujourd’hui, il est clair et net que c’est l’État, par l’intermédiaire de la juridiction
parisienne, c’est-à-dire un juge d’application des peines “antiterroriste” siégeant à Paris,
qui rendra les décisions »2. Le collectif reconnait que dans les faits, la nouvelle disposition
n’apportera que peu de changements, étant donné la pratique antérieure ; mais relève que
« s’il existait quelque part un juge susceptible d’indépendance, l’ancien dispositif lui
permettait d’agir. Le nouveau exclut cette possibilité »3.
Selon un rapport de la Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme (FIDH)4,
les articles 706 et suivants du Code de procédure pénale présentent un « effet pervers » : la
1
Loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses
relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers ; J.O n° 20 du 24 janvier 2006 page 1129 ; NOR:
INTX0500242L
2
Collectif « Ne Laissons Pas Faire », « Juridictions spéciales… Jusqu’au bout » ; 28 septembre 2006
Disponible sur http://nlpf.samizdat.net/spip.php?article146
3
Collectif « Ne Laissons Pas Faire », « Juridictions spéciales… Jusqu’au bout » ; op cit
4
« France, la porte ouverte à l’arbitraire », rapport d’une mission internationale d’enquête en France sur
l’application de la législation anti-terroriste, concernant particulièrement les conditions de détention provisoire et
l’exercice des droits de la défense ; réalisée entre avril et novembre 1998 par :Michaël Mc COLGAN, avocat
75
concentration des pouvoirs non seulement à Paris mais plus précisément au sein d’une section
particulière du Parquet de Paris, la quatorzième. Le bureau du Procureur de la République de
cette section travaille avec six juges d’instruction connus et largement médiatisés,
communément appelés les « juges antiterroristes ».
Notons que les pouvoirs ne sont pas concentrés dans les mains d’un seul des juges
instructeurs, ces derniers travaillent collectivement sur les affaires complexes de terrorisme,
c’est le principe de la « cosaisine ». Selon le juge BRUGUIERE, « le travail en équipe est
crucial pour comprendre les phénomènes [islamiques et séparatistes] et réagir
efficacement »1.
b ) La mise en cause de l’indépendance des juges antiterroristes
* La (trop ?) grande confiance des juges dans les notes de service des renseignements
Les juges antiterroristes se font remettre des notes par les services de renseignement français
et étrangers, services dont ils dépendent pour mener leurs missions d’instruction. Or ils ressort
des affaires déjà jugées que ces documents, acceptés au titre de preuves par les juges
antiterroriste, ne sont pas réellement remis en question, même dans le cas où elles proviennent
de services de sécurité de pays laissant à désirer en matière de démocratie et de respect des
droits de l’Homme – le fait que de telles notes proviennent de pays parmi « les plus
démocratiques » n’est pas non plus un gage de véracité. Ainsi, les rapporteurs de la FIDH2 ont
recueilli des plaintes de plusieurs avocats pour qui les juges instructeurs donnent « une trop
grande importance aux rapports des services secrets, sans réellement se demander s'ils
étaient totalement crédibles ». Les rapporteurs concluront même que « manifestement, à en
juger par les documents que nous avons consultés, les juges d'instruction apparaissent moins
enclins qu'ils pourraient l’être à examiner ces documents de façon rigoureuse. Ainsi, ils se
comportent davantage en “prosecutors” [procureurs], au sens anglo-saxon du terme, qu'en
enquêteurs impartiaux, et l'interrogatoire lui-même revêt un caractère plus traditionnel »3.
(Grande Bretagne) - rapporteur de la mission - et Alessandro ATTANASIO, avocat (Italie), avec le concours de
Jean-Pierre DUBOIS, professeur de droit et Vice-président de la Ligue française des droits de l’Homme ; hors
série de la Lettre bimensuelle de la FIDH, janvier 1999, n°271
1
Propos recueillis par Christophe LUCET pour Sud-Ouest Dimanche « le risque d’attentats en France reste
élevé » 7 janvier 2007 ; 7.1.07http://www.sudouest.com/070107/une.asp?Article=070107a32525.xml
2
Rapport de la FIDH « France, la porte ouverte à l’arbitraire » ; op cit.
3
Rapport de la FIDH « France, la porte ouverte à l’arbitraire » précité, p.17
76
Un exemple de la confiance que portent les juges dans les preuves procurées par les services
de renseignement est visible dans l’arrêt de la Cour de Cassation du 28 février 20011. Cet arrêt
statue sur les pourvois de 18 individus condamnés pour association de malfaiteurs en relation
avec une entreprise terroriste. Parmi ces 18 personnes, Mohamed KERROUCHE fait valoir
que la seule preuve formelle de sa culpabilité (les autres preuves étant ses liens avec des
personnes elles aussi condamnées) est une lettre manuscrite. Pour les juges d’appel, M.
KERROUCHE « ne peut nier qu'il était l'auteur du courrier en langue arabe, découvert à son
domicile à Londres au moment de son interpellation, courrier dans lequel l'auteur rend
compte d'un certain nombre des activités des mouvements islamistes en Europe ; (…) la Cour
constate que les services de renseignement avaient recueilli à l'encontre de Mohamed
KERROUCHE des éléments que les termes même de la lettre saisie à Londres n'ont fait que
confirmer ; qu'est ainsi démontrée l'implication éclairée de Mohamed KERROUCHE à
l'association illicite, et le rôle déterminant qui était le sien dans l'entente et dans la formation
du réseau ». Mohamed KERROUCHE souligne dans ses conclusions que « le document dont
la paternité lui est imputée a été recueilli par les autorités britanniques, sans aucune
garantie, lui-même n'étant pas présent lorsqu'il a été saisi, et rien ne permettant de dire que
c'est effectivement à son domicile qu'il aurait été trouvé ». Aucune expertise graphologique
n’a été demandée ni par le juge instructeur ni par une des juridictions de jugement. De même,
aucune vérification n’a été faite en Algérie pour confirmer que les éléments biographiques
donnés par l'auteur du document correspondaient à des éléments de la vie même de Mohamed
KERROUCHE, ce qu'il contestait. Ici on voit bien comme les juridictions ne remettent pas en
cause les preuves à charge, surtout lorsque celles-ci proviennent des services de
renseignement et confirment leurs allégations.
* Les liens des juges antiterroristes avec le pouvoir exécutif
En 1986, une série d’attentats d’une grande violence frappent Paris. Le juge Gilles
BOULOUQUE, qui vient de rejoindre la chambre antiterroriste, est saisi des dossiers. Il
souhaite entendre Wahid GORDJI, numéro deux de l'ambassade d'Iran à Paris, pour connaître
son rôle exact pendant les attentats, et demande son interpellation. Ce dernier se réfugie dans
son ambassade. Charles PASQUA, ministre de l'intérieur, décide de se servir de GORDJI
comme monnaie d'échange contre les deux otages français alors détenus au Liban. L'Iran fait
pression sur le Hezbollah qui, le 28 novembre, libère les otages. Le lendemain, GORDJI est
1
Cour de Cassation, Chambre criminelle, 28 février 2001, N° de pourvoi : 00-84108
77
entendu par le juge BOULOUQUE avant de prendre l'avion pour Téhéran. De nombreuses
personnes, en tête desquels les médias, persuadées de la culpabilité de GORDJI, reprocheront
« au juge d'avoir cédé à la raison d'Etat »1.
Pour le juge BRUGIERE, « la raison d'Etat ne doit pas exister pour le juge. Du moins, elle ne
doit pas être un obstacle. Il ne doit pas y avoir de conflit avec le pouvoir. Il faut affirmer la
prééminence du droit et faire fonctionner les institutions ». C’est la raison pour laquelle, de
son aveu, le juge a « établi, si j'ose dire, un véritable partenariat avec le pouvoir. J'ai
convaincu l'Etat de fonctionner avec la justice, parce que c'est son intérêt »2.
Peut-être est-il dans l’intérêt de l’Etat de collaborer avec la justice. Mais peut-être est-il aussi
dans l’intérêt du juge d’avoir de bonnes relations avec le pouvoir. Pour preuve, la conversion
du juge BRUGIERE en politique : il s’est présenté aux élections législatives de 2007 dans le
Lot-et-Garonne sous les couleurs du parti en place depuis 12 ans et pour 5 ans encore. Dès le
mois de novembre 2006, Nicolas SARKOZY déclarait que la candidature du juge était « très
vraisemblable »3. Le juge candidat (malheureux puisqu’il a été battu avec 47,71% des voix au
deuxième tour) a encore surpris en janvier 2007, à Bias, où il s’est rendu à une conférence sur
« le malaise des banlieues » accompagné d’un capitaine du FBI en uniforme…4
c ) La mise en cause de l’impartialité des juges antiterroristes
En droit français, le juge d’instruction qui comme tous ses collègues doit être impartial, a pour
mission d’instruire à charge et à décharge. Or nombre de défenseurs se plaignent que
l’instruction ne va que dans un sens : à charge. Ce point a été soulevé par les rédacteurs du
rapport de la FIDH précité. Juristes pénalistes, ils savent bien qu’il est « tentant pour des
avocats de la défense de perdre de vue la réalité objective en défendant la cause de leurs
clients. Mais, on ne peut aisément rejeter l'avis quasi-unanime de ceux qui représentent, selon
[leur] estimation, entre la moitié et les deux tiers des personnes poursuivies ou attendant de
passer en jugement dans le cadre des lois anti-terroristes. (…) L'objection principale des
avocats porte sur ce qu'ils considèrent comme l'insistance des six juges à tirer, dans la
plupart des cas, les pires conclusions de preuves fragiles et indirectes, ainsi que leur
Le Monde du 04 janvier 2006, DOUIN Jean-Luc, « "La Fille du juge" : la petite musique douloureuse de
Clémence Boulouque »
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3476,36-726879,0.html
2
Propos recueillis par PONTAUT Jean-Marie ; LEXPRESS.fr du 14/03/2007
http://www.lexpress.fr/info/monde/dossier/terrorisme/dossier.asp?ida=456349&p=1
3
SMOLAR Piotr, « Un parachute pour le juge Bruguière » ; Le Monde, 6 décembre 2006 ; p.3
4
SMOLAR Piotr, op cit.
1
78
répugnance ou leur refus de prendre en compte des explications qui contredisent leur point de
vue tiré des premiers éléments apparents » 1. Une instruction exclusivement à charge devrait
normalement être remise en cause par les autres organes de l’appareil judiciaire. Pourtant, cela
ne semble pas être le cas. Les magistrats instructeurs, d’une manière générale, sont considérés
par leurs collègues, comme les mieux informés sur un dossier. Il s’ensuit donc que « leurs
conclusions sont ensuite reprises par leurs collègues, avocat général ou Procureur, pour la
préparation de leur réquisitoire lors du procès »2.
Selon la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, les juges doivent faire
preuve d’impartialité objective et subjective. Nous n’avons trouvé aucune mise en cause de
l’impartialité subjective des juges traitant des affaires de terrorisme. Pour ce qui est de
l’impartialité objective, il ressort de l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de Cassation
du 28 février 20013 « qu'aucune disposition légale n'interdit aux membres de la chambre
d'accusation qui s'est prononcée sur la détention provisoire d'un prévenu de faire ensuite
partie de la chambre des appels correctionnels saisie de l'affaire; que cette participation n'est
contraire ni à l'article 49 du Code de procédure pénale ni à l'exigence d'impartialité énoncée
par l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme ». En l’espèce, Mme
MORAT, magistrate, avait fait partie de la chambre d’accusation qui avait refusé une mise en
liberté des détenus (pour association de malfaiteurs ayant pour objet de préparer un acte de
terrorisme) ; ensuite, elle avait présidé la chambre correctionnelle de la Cour d'appel ayant
retenu la culpabilité et condamné les demandeurs. La Cour de Cassation juge que la procédure
n’a pas violé l’article 49 du CPP, ce dernier prescrivant à peine de nullité que le juge
d’instruction ne peut participer au jugement des affaires pénales dont il a connu en sa qualité
de juge instructeur. Nous convenons que la participation au jugement d’un membre de la
chambre d’accusation ne contredit pas cet article. Quant à la conventionalité de cette
participation, au regard d’exigence d’impartialité objective, nous émettons des doutes. En
effet, la loi du 15 juin 20004 a déchargé le juge d’instruction du pouvoir de placer le mis en
examen en détention provisoire, ce pouvoir est confié au seul juge des libertés et de la
détention (JLD). Or l’article 137-1 du CPP dispose dans son alinéa 3 que ce juge « ne peut, à
peine de nullité, participer au jugement des affaires pénales dont il a connu ». La séparation
du pouvoir de mise en détention et de la fonction de juger a été décidée pour une adaptation
FIDH, rapport « France, la porte ouverte à l’arbitraire », op cit
FIDH, rapport « France, la porte ouverte à l’arbitraire », op cit
3
Cour de Cassation, Chambre criminelle, 28 février 2001, N° de pourvoi : 00-84108
4
Loi du 15 juin 2000 n°2000-516 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des
victimes ; JORF du 16 juin 2000 ; NOR:JUSX9800048L
1
2
79
de la procédure française à la jurisprudence européenne. Il ne fait pas de doute que, même
sans s’intéresser réellement au fond de l’affaire, le magistrat qui décide de la mise en
détention d’une personne poursuivie forme en son for intérieur un avis sur sa culpabilité.
Heureusement, la loi est venue contredire la jurisprudence, ceci pour une meilleure
administration de la justice.
Reste le problème de l’autonomie du juge des libertés et de la détention (qui est en fait un
magistrat souvent débordé par ses autres fonctions). Il lui est souvent reproché de suivre l’avis
émis par le juge d’instruction, toujours considéré comme celui qui connait le mieux le dossier.
On imagine que cette tendance est encore plus forte au sein du parquet de Paris. Les affaires y
sont extrêmement complexes, il lui serait difficile, saisi depuis peu de temps, de contredire un
de ses collègues qui travaille de longue date sur les dossiers. En effet, il est un des magistrats
du siège du TGI de Paris ayant le rang de président ou de vice-président, c'est-à-dire
quelqu’un qui côtoie et travaille chaque jour avec les juges antiterroristes.
d ) Une centralisation réellement efficace ?
La centralisation des affaires de terrorisme a été instituée en 1986 dans le but d’une plus
grande efficacité1. Pour Yves BOT, Procureur de la République au TGI de Paris, « le système
de lutte centralisé dans les juridictions parisiennes a indéniablement renforcé l’efficacité du
dispositif, par le regroupement des affaires qu’il facilite, par l’unicité des décisions en
matière de poursuites qu’il autorise, par la spécialisation des magistrats en charge ces
affaires qu’il permet, tant au stade du parquet qu’à celui de l’instruction, en première
instance comme à hauteur d’appel »2.
Les juges de la quatorzième section du Parquet parisien, du fait de leur spécialisation,
développent des relations avec les services de renseignements et le pouvoir exécutif en place,
ce qui augmente certainement leur efficacité mais pose le problème de leur indépendance.
Reste que pour « les procès des frères CHALABI, du RER Saint-Michel, du réseau algérien
qui devait s’en prendre à la Coupe du monde 1998, le juge [BRUGIERE] n’a pas obtenu les
condamnations qu’il voulait. Il en est de même de la récente condamnation du membre d’Al1
L’efficacité de cette centralisation à Paris comme de la spécialisation des juges n’a pas été démontrée par les
autorités qui les ont instituées, elle est affirmée comme une évidence. Voir par exemple les travaux préparatoires
du Sénat disponibles sur http://www.senat.fr/rap/l05-117/l05-1175.html.
2
BOT Yves, « Orientations du parquet de Paris dans le domaine de la lutte contre le terrorisme » ; paru dans le
livre de l’association SOS Attentats, « Terrorisme, victimes et responsabilité pénale internationale », édition
Calmann-Levy, novembre 2003 ; ISBN : 2-7021-3426-2 ; p.239
80
Qaïda, Djamel BEGHAL, qui vient d’écoper de 10 ans de prison, dont les avocats accusent
BRUGUIERE d’avoir monté de toutes pièces des accusations extorquées sous la torture »1.
Par ailleurs, sont encore sur les bureaux des juges antiterroristes de vieux dossiers tel que
celui « du détournement de l’Airbus d’Air France à Alger que les magistrats n’ont pas clos
“faute de commanditaires” (faute de cadavres restitués selon la justice algérienne), ou celui
des 7 moines de Tibherine qui est relancé »2.
Selon l’ancien juge BRUGUIERE, le système est efficace puisqu’il a déclaré : « nous avons
stoppé, fin 2002, une tentative d’attentat majeur qui affectait probablement le métro parisien,
[et] d’autres cibles, avec une arme chimique nouvelle. (...) Si nous n’avions pas réussi à agir
et à démonter ce réseau (…) je pense qu’il y aurait eu, en France, plus de morts qu’à
Madrid »3. Le lendemain, l’« info » est répercutée sur les ondes ainsi que dans la presse
écrite. Le Figaro écrit : « Un attentat contre le métro parisien déjoué en 2002 ». Pour Paris
Match, « AL-ZARKAOUI projetait un attentat chimique dans le métro parisien »4… Les
journalistes du Canard enchainé précisent que la Direction Générale de la Police Nationale
(DGPN) s’avoue « plutôt embarrassée. On ne fait pas de commentaires sur cette déclaration
de M. BRUGUIERE. Il dit ce qu’il veut, il est libre de ses propos ». Que comprendre de cette
déclaration de la Direction Générale de la Police Nationale? Le service refuse-t-il de
communiquer sur cette affaire ou met-il en doute la véracité des déclarations de l’ancien
juge ? Ses relations avec le ministre de l’intérieur de l’époque, qui avait à cœur de protéger les
français de l’insécurité, auraient-elles pu le pousser à faire croire qu’il y avait un risque
d’attentat ?
B. MOUNIR ; « Jean-Louis BRUGIERE, le juge anti-terrorisme », pour « quotidien-oran.com », le portail
algérien de l'actualité politique, économique, informatique, sportive et culturelle en Algérie et dans le monde ; 17
mars 2005.
http://www.algerie-dz.com/article1710.html
2
B. MOUNIR, « Jean-Louis BRUGIERE, le juge anti-terrorisme »; op cit
3
Le Canard enchainé, 6 octobre 2004
4
Paris Match, 8 octobre 2004
1
81
2 ) La phase décisoire confiée à une Cour d’Assises très spéciale
a ) Une Cour d’Assises sans jury populaire…
Le droit à un procès par jurés populaires est né en France à la Révolution, par une loi de
septembre 1791 pour les crimes les plus graves1. Bien que révolutionnaire, ce droit ne figure
pas dans la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC). Il devint néanmoins,
au cours de l’histoire, la règle pour le jugement des crimes.
Des exceptions y sont posées, l’une d’elles concerne le jugement des terroristes. Elle se
justifie par le risque de pressions ou menaces que pourraient subir des jurés tirés au sort sur
les listes électorales. Une autre raison qui pourrait être avancée serait le risque de
complaisance de la part de citoyens adhérant à la cause des terroristes. Pourtant, dans le cadre
du terrorisme islamique actuel, ce risque est moindre en France. Au contraire, un jury
populaire ayant vu dans les médias les images des attaques, pourraient réagir de manière
passionnelle, ce qui n’irait pas dans le sens d’une bonne administration de la justice.
La loi du 9 septembre 19862 créa une Cour d’Assises spécialisée pour les infractions
terroristes, composée exclusivement de magistrats professionnels. Le risque de menace contre
les membres d’un jury populaire s’est produit en France : « les jurés avaient fait l'objet de
menaces de mort de la part de l'accusé [Régis SCHEILCHER] soupçonné d'appartenir à
Action Directe, en 1986 »3. En conséquence de cela, une nouvelle loi intervint le 30 décembre
de la même année4 pour rendre la loi du 9 septembre d’application directe ; l’accusé qui avait
menacé ses jurés fut jugé par des magistrats professionnels. Cette loi de décembre ne fut pas
déférée au Conseil Constitutionnel alors qu’elle posait un problème quant au principe
constitutionnel de l'autorité de la chose jugée : l'accusé avait déjà été renvoyé devant la Cour
d'Assises de droit commun par un arrêt devenu définitif. Toutefois, la Chambre criminelle de
la Cour de cassation, saisie de la question, a jugé que l'autorité de la chose jugée ne s'attachait
Fabienne VIRICEL, « Etude comparative franco-irlandaise des juridictions spéciales en matière de
terrorisme », deuxième partie.
Disponible sur http://www.juripole.fr/memoires/compare/Fabienne_Viricelle/partie2.html
2
Loi ordinaire n°86-1020 du 09 septembre 1986, loi dit CHALANDON relative à la lutte contre le terrorisme et
aux atteintes à la sureté de l’Etat ; JO "Lois et Décrets" du 10 septembre 1986, page 10956
3
Fabienne VIRICEL ; op cit
4
Loi ordinaire 86-1322 du 30/12/1986, modifiant le CPP et complétant la loi du 9 septembre 1986 relative à la
lutte contre le terrorisme ; JO "Lois et Décrets" du 31 décembre 1986, page 15890
1
82
« qu'aux décisions sur le fond, [et] que l'arrêt de la chambre d'accusation en ce qu'il
prononce le renvoi des accusés devant la cour d'assises n'a pas ce caractère »1.
En application des articles 706-25 et 698-6 du CPP, par dérogation aux règles habituelles, la
Cour d'Assises compétente en matière de terrorisme « est composée d'un président et,
lorsqu'elle statue en premier ressort, de six assesseurs, ou lorsqu'elle statue en appel, de huit
assesseurs ». Il en résulte donc qu'elle ne comprend pas de jury populaire. Les magistrats qui
la composent ne peuvent être de ceux qui, dans l'affaire soumise à la Cour d'Assises, ont, soit
fait un acte de poursuite ou d'instruction, soit participé à l'arrêt de mise en accusation ou à une
décision sur le fond relative à la culpabilité de l'accusé (art. 253 CPP adopté en application de
la jurisprudence de la CEDH).
L’article 6 de la CESDH, relatif au droit à un procès équitable ne prévoit pas de droit à un
jury populaire, pas plus que la jurisprudence de la Cour EDH. L’absence d’un tel jury, entre
autres pour le jugement des terroristes, est prévu dans de nombreux Etats signataires comme
l’Irlande du Nord, l’Italie ou l’Espagne ; la Cour n’a donc pas pu dégager de consensus
européen sur un droit à être jugé par des civils.
L’absence de jury populaire n’a pas été considérée par le Conseil Constitutionnel comme
inconstitutionnelle2 même s’il reconnait le « principe [non constitutionnel] de l'intervention
du jury ». Aucune disposition du bloc de constitutionnalité ne prévoit un droit à un jury
populaire. On pourrait penser que ce droit constitue un principe reconnu par les lois de la
République mais des lois particulières ont, de longue date, confié la répression de certains
crimes contre la sûreté de l'État à des juridictions ne comportant la participation d'aucun juré
civil3. Les auteurs de la saisine avançaient cependant que l’absence d’un tel jury violait le
principe d’égalité devant la justice. Ce moyen n’a pas été accueilli par le Conseil
Constitutionnel : « considérant qu'il est loisible au législateur, compétent pour fixer les règles
de la procédure pénale en vertu de l'article 34 de la Constitution, de prévoir des règles de
procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles
s'appliquent, pourvu que ces différences ne procèdent pas de discriminations injustifiées et
que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du
1
Cass. chbr crim., 7 mai 1987, n° de pourvoi 87-80822 ; Bull. crim., n°186, Rev. sc. crim. 1987, 621, obs.
R. KOERING JOULIN
2
CC, 3 septembre 1986, décision n° 86-213 DC, considérant 7 à 13 ; Journal officiel du 5 septembre 1986, p.
10786
3
Ce fut le cas, par exemple, sous le régime constitutionnel de 1875, de la Haute Cour de justice (à l'époque le
Sénat) avait reçu compétence pour juger sans juré les crimes et délits commis par certains titulaires de fonctions
politiques (président de la République et ministres) ainsi que pour réprimer les complots contre la sûreté de
l'État, quels qu'en étaient les auteurs.
83
principe des droits de la défense; considérant que la différence de traitement établie par
l'article 706-25 nouveau du code de procédure pénale (à l'égard de tous les auteurs
d'infractions terroristes) tend, selon l'intention du législateur, à déjouer l'effet des pressions
ou des menaces pouvant altérer la sérénité de la juridiction de jugement; que cette différence
de traitement ne procède donc pas d'une discrimination injustifiée; qu'en outre, par sa
composition, la Cour d'assises instituée par l'article 698-6 du code de procédure pénale
présente les garanties requises d'indépendance et d'impartialité; que devant cette juridiction
les droits de la défense sont sauvegardés; que, dans ces conditions, le moyen tiré de la
méconnaissance du principe d'égalité devant la justice doit être écarté ». Le Conseil
Constitutionnel explique même que l’absence de jury populaire, permettant « la sérénité de la
juridiction de jugement », participe à la bonne administration de la justice.
b ) … pouvant siéger en tout lieu
Autre exception aux règles de droit commun de la procédure pénale, l’article unique de la loi
du 29 décembre 19971 permet que les terroristes soient jugés en dehors du Palais de justice.
L’article 706-17-1 CPP que la loi créé dispose que « pour le jugement des délits et des crimes
[terroristes], le premier président de la cour d'appel de Paris peut, sur les réquisitions du
procureur général, après avis des chefs des tribunaux de grande instance intéressés, du
bâtonnier de Paris et, le cas échéant, du président de la cour d'assises de Paris, décider que
l'audience du tribunal correctionnel, de la chambre des appels correctionnels de Paris ou de
la cour d'assises de Paris se tiendra, à titre exceptionnel et pour des motifs de sécurité, dans
tout autre lieu du ressort de la cour d'appel que celui où ces juridictions tiennent
habituellement leurs audiences. L'ordonnance (…) constitue une mesure d'administration
judiciaire qui n'est pas susceptible de recours ». Cela a permis que le procès des trente huit
personnes du réseau des frères CHALABI se déroule au sein même de l’institution
pénitentiaire, dans le gymnase de l’école pénitentiaire de Paris, tout près de la prison de
Fleury-Mérogis. Il est difficile de s’empêcher de penser, toutes mesures gardées, aux procès
chiliens qui se déroulaient sous PINOCHET dans des stades de sport.
Pour finir, en application des règles communes, la juridiction peut décider que les débats ne
seront pas publiques (article 306 et 400 du CPP).
1
Loi no 97-1273 du 29 décembre 1997 tendant à faciliter le jugement des actes de terrorisme ; J.O n° 303 du 31
décembre 1997 page 19312 ; NOR: JUSX9702370L
84
B ) Quel juge pour les prisonniers de Guantanamo ?
Les pouvoirs exécutif et judiciaire étasuniens se livrent un véritable bras de fer pour connaître
des jugements des prisonniers de Guantanamo ( 2 ). Mais avant d’aborder ce point, il nous
faut examiner la question de l’applicabilité de la 3ème Convention de Genève relative aux
prisonniers de guerre ( 1 ).
1 ) La question de l’applicabilité de la 3ème Convention de Genève relative aux prisonniers de
guerre
Il existe plus de 400 Conventions de Genève, nous nous intéressons ici à celle relative aux
prisonniers de guerre signée le 12 août 19491. On l'appelle la « troisième Convention de
Genève ». Le bénéfice de cette convention est refusé par le gouvernement étasunien aux
« terroristes présumés » détenus dans le Camps Delta (aussi appelé X-ray2) à Guantanamo
Bay, sur l’île de Cuba. Nous allons voir si elle devrait leur être appliquée.
a ) Le problème
Le respect des dispositions de la Convention ressort de la compétence des Etats signataires en
vertu de l’article 1er (titre 1) de la Convention qui dispose que « les Hautes Parties
contractantes s'engagent à respecter et à faire respecter la présente Convention en toutes
circonstances ». Il n’existe donc pas d’instance juridictionnelle chargée de sanctionner les
violations de la Convention. La sanction pour un Etat qui ne la respecte pas réside dans le fait
que ses propres soldats, s’ils sont faits prisonniers, ne bénéficieront pas non plus des
protections qu’elle contient.
Par contre, le fait que les parties à la Convention se soient engagées à la « faire respecter »
justifierait que la France et les autres Etats parties fassent pression sur les Etats-Unis dans ce
sens. Cette obligation, non sanctionnée juridiquement et donc non coercitive, n’est pas
respectée par notre pays. En effet, dans une interview3, Me William BOURDON a indiqué
qu’avec d’autres avocats de prisonniers français de Guantanamo, il avait en 2003 demandé au
Ministre des Affaires Etrangères de saisir au nom de la France la Cour Internationale de
1
Texte disponible sur le site du haut commissariat aux droits de l’Homme :
http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/91_fr.htm
2
JEBRI Youssef, « Démocratie et lutte contre le terrorisme », 10 février 2007 ;
http://www.youssef-jebri.com/Democratie%20et%20lutte%20contre%20le%20terrorisme.htm
3
Interview accordée à Challenge Liberty and Security, “retour sur Guantanamo”, 14 février 2005
Disponible sur http://www.libertysecurity.org/article136.html
85
Justice de la Haye au sujet de la violation par les Etats Unis de différentes conventions
internationales dont la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre.
La demande au Quai d’Orsay n’a pas été entendue, « on nous a tout simplement indiqué que
pour différentes raisons, la France ne souhaitait pas s’engager dans cette voie ». Elle préfère
la voie de la coopération, au nom de l’amitié franco-étasunienne et au mépris des droits
fondamentaux des personnes qui sont détenues à Guantanamo, y compris des ressortissants
français.
Le champ d’application de la Convention est défini par son article 2 (titre 1) aux termes
duquel « la présente Convention s'appliquera en cas de guerre déclarée ou de tout autre
conflit armé surgissant entre deux ou plusieurs des Hautes Parties contractantes, même si
l'état de guerre n'est pas reconnu par l'une d'elles. (al.1) (…) ». La clause de réciprocité,
traditionnelle en droit international, s’applique donc ici. Reste que les Etats-Unis ne remettent
pas en question l’applicabilité de la Convention aux guerres d’Afghanistan et d’Irak dans leur
ensemble. Ils ne la remettent en cause qu’en ce qui concerne les combattants qualifiés
d’illégaux.
L’article 4 de la Convention s’attache à définir les « prisonniers » bénéficiant des protections
de la Convention.
Premièrement, il doit s’agir de « personnes qui (…) sont tombées au pouvoir de l'ennemi ».
Ensuite, il s’agit des « membres des forces armées d'une Partie au conflit, de même que les
membres des milices et des corps de volontaires faisant partie de ces forces armées [ou bien
des] membres des autres milices et les membres des autres corps de volontaires, y compris
ceux des mouvements de résistance organisés, appartenant à une Partie au conflit et agissant
en dehors ou à l'intérieur de leur propre territoire, même si ce territoire est occupé, pourvu
que ces milices ou corps de volontaires, y compris ces mouvements de résistance organisés,
remplissent les conditions suivantes : a) d'avoir à leur tête une personne responsable pour ses
subordonnés ; b) d'avoir un signe distinctif fixe et reconnaissable à distance ; c) de porter
ouvertement les armes ; d) de se conformer, dans leurs opérations, aux lois et coutumes de la
guerre ;(…) ». Sont encore des prisonniers au sens de la Convention « les personnes
appartenant ou ayant appartenu aux forces armées du pays occupé si, en raison de cette
appartenance, la Puissance occupante, même si elle les a initialement libérées pendant que
les hostilités se poursuivent en dehors du territoire qu'elle occupe, estime nécessaire de
procéder à leur internement, notamment après une tentative de ces personnes non couronnée
86
de succès pour rejoindre les forces armées auxquelles elles appartiennent et qui sont
engagées dans le combat, ou lorsqu'elles n'obtempèrent pas à une sommation qui leur est
faite aux fins d'internement ». Les prisonniers de Guantanamo entrent-ils dans ces
qualifications ?
Il est vrai que certains, voire la majorité, n’étaient pas des membres des forces armées
officielles ; ce sont pour la plupart des civils talibans qui ont pris les armes. Par contre, on
peut facilement voir en eux des membres de « mouvements de résistance organisés ».
Organisés en milices, certes plus ou moins autonomes, mais dirigées par des chefs (1ère
condition cumulative). Leur signe distinctif, sans être un uniforme militaire, est la tenue
traditionnelle talibane. En tant que force résistante, les talibans ont bien sûr intérêt à se fondre
dans la population et cette condition (2nd) de port de signe distinctif peut ne pas toujours être
remplie. Sauf à ne pas vouloir se faire repérer, les talibans portent ouvertement les armes (3ème
condition). Et enfin, ils font la guerre en utilisant tous les moyens à leur disposition (d’ailleurs
poussés dans cette logique par les Etats-Unis) ce qui peut être analysé comme un non respect
des « lois et coutumes de la guerre » (4ème condition cumulative).
La dernière catégorie de prisonniers, « les personnes appartenant ou ayant appartenu aux
forces armées », que la Puissance occupante estime devoir interner ne semble pas concerner
l’ensemble des individus détenus à Guantanamo. En effet, tous les talibans n’ont pas un jour
été enrôlés dans l’armée et n’ont pas tous essayé de la rejoindre.
D’un point de vue général, il est difficile d’affirmer que les personnes détenues à Guantanamo
Bay entrent toutes dans le champ d’application de la Convention. Il n’empêche qu’en refuser
le bénéfice à toutes semble aussi pêcher dans l’excès.
b ) Le refus du gouvernement étasunien d’appliquer la 3ème convention de Genève
Du point de vue de l’administration BUSH, les personnes détenues à Guantanamo ne
bénéficient pas de la Convention, n’entrent pas dans son champs d’application car ils sont
qualifiés de « combattants illégaux » (unlawful combattants), qualification qui n’existe pas
dans la Convention III de Genève. « L’administration BUSH suit (…) une longue tradition
d’hostilité à l’égard des traités internationaux protégeant les droits humains. Souvent, le
gouvernement américain refuse simplement de ratifier les traités (…). Par ailleurs, [lorsqu’il
le fait] il procède toujours de manière à s’assurer que les obligations qui en découlent ne
87
soient pas directement exécutoires »1. Concernant les prisonniers de Guantanamo, le
gouvernement étasunien avançait justement que les Conventions de Genève, y compris celle
relative aux prisonniers de guerre, n’était pas d’applicabilité directe (argument avancé pour la
décision du 29 juin 2006 dont nous parlerons plus loin).
Dans un mémo du 7 février 2002 signé par le Président BUSH2 on peut lire : « les talibans
dans leur ensemble ne peuvent pas bénéficier du statut de prisonnier de guerre en application
de l’article 4 de la Convention »3. Reste que toutes les conséquences ne sont pas tirées de
cette affirmation. En effet, « il n’y a pas de statut intermédiaire ; aucune personne se trouvant
aux mains de l’ennemi ne peut être en dehors du droit »4 et les individus tombés aux mains de
l’ennemi durant un conflit armé international sont soit des prisonniers de guerre, soit des
civils alors protégés par la IVème Convention de Genève. Or l’Afghanistan, l’Irak et les EtatsUnis d’Amérique y sont parties depuis le milieu des années 50.
« En réalité, cette violation délibérée de la [IIIème] Convention de Genève tient à ce que
l’objectif des américains est de pouvoir interroger indéfiniment ces gens sans la présence
d’un juge ou d’un avocat. Tout cela au nom de la lutte sacrée et messianique contre le
terrorisme international. Les autorités américaines essayent de justifier ce contournement du
droit international en prétendant, sans aucune vérification possible, que depuis trois ans les
interrogatoires sur la base de Guantanamo ont permis de casser des cellules d’Al-Quaïda à
travers le monde. Ces informations ne peuvent pas être vérifiées »5.
De toute façon, la question de savoir si les individus détenus pas les Etats-Unis sur l’île de
Cuba doivent ou non bénéficier de la Convention ne doit pas être résolue par l’administration,
l’armée ou le gouvernement étasunien. En effet, l’article 5 alinéa 2 de la Convention précise
qu’en cas de « doute sur l'appartenance à l'une des catégories énumérées à l'article 4 des
personnes qui ont commis un acte de belligérance et qui sont tombées aux mains de l'ennemi,
ROTH Keneth, « Les droits de l’Homme et la campagne anti-terroriste » ; publié p. 79 et 80 dans BRIBOSIA
Emmanuelle et WEYEMBERGH Anne, « Lutte contre le terrorisme et droits fondamentaux », Edition Nemesis
Bruylant, collection Droit et Justice, 2002, ISBN : 2-8027-1606-9
2
Disponible sur http://news.findlaw.com/wp/docs/torture/bybee20702mem2.html
3
Mémo du Président des USA du 7 février 2002, p.2 (publié par le Washington Post)
Disponible sur http://www.washingtonpost.com/wp-srv/nation/documents/020702bush.pdf
4
PICTET J.S. (dir.), « Les Conventions de Genève du 12 aout 1949 », Commentaire, Convention de Genève
relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, vol. 4 ; Genève, CICR, 1956, p.58
5
BOURDON William, « Les détenus français à Guantanamo : un trou noir judiciaire » ; paru dans le livre de
l’association SOS Attentats, « Terrorisme, victimes et responsabilité pénale internationale », édition CalmannLevy, novembre 2003 ; ISBN : 2-7021-3426-2 ; p.186
1
88
lesdites personnes bénéficieront de la protection de la présente Convention en attendant que
leur statut ait été déterminé par un tribunal compétent ». La Convention ne précise pas les
critères de ce « tribunal compétent ». « Les travaux préparatoires nous indiquent que par ce
terme, les Etats ne voulaient pas désigner exclusivement le tribunal pénal »1. Pourtant, on
peut légitimement penser qu’il s’agit d’un tribunal, civil ou militaire, qui présente les
caractéristiques fondamentales d’indépendance, d’impartialité et de respect des droits de la
personne jugée. Pour William BOURDON, « il est acquis néanmoins que le terme “tribunal”
fait référence à un organe judiciaire, qui doit avoir un minimum d’indépendance et être
distinct des fonctionnaires ou soldats (…). Si ces derniers pouvaient être considérés comme
un tribunal, l’exigence que seul un tribunal peut trancher en cas de doute perdrait son effet
utile »2.
Non seulement les individus détenus à Guantanamo n’ont pas eu accès à un tribunal au sens
de la Convention mais en plus ils n’ont pas bénéficié de la présomption de qualité de
prisonniers prévue par l’article 4 al.2 de la Convention ; en cela les Etats-Unis ont clairement
violé les dispositions de la Convention.
2 ) Le bras de fer entre les pouvoirs exécutif et judiciaire pour connaître des jugements des
prisonniers de Guantanamo
a ) L’incompétence de principe des juridictions étasuniennes ?
La ville de Guantanamo est la capitale de la province cubaine du même nom. Depuis le 23
février 1903, le gouvernement étasunien loue pour 4 085 dollars par an une portion de cette
province3. De longue date, il y a installé une base navale et en 2001 sa prison dite « camp de
Guantanamo ».
Le statut d’extraterritorialité du camp a pour conséquence que les détenus ne sont pas soumis
aux lois américaines, les juridictions étasuniennes ne peuvent pas se prévaloir d’une
compétence territoriale. Pourtant le « contrat de location » entre les USA et Cuba stipule que
« les Etats-Unis exercent une juridiction et un contrôle complet » sur les terrains loués4. De
même, des décisions juridictionnelles ont décidé que « les cours U.S. exercent leur
1
BOURDON William ; op cit, p.190
BOURDON William; op cit, p.190
3
Agreement Between the United States and Cuba for the Lease of Lands for Coaling and Naval Stations, Feb.
16-23, 1903, U.S.-Cuba
4
Extrait du contrat cité dans l’arrêt AL ODAH vs United States, 321 F.3d 1134, D.C. Cir. 2003
Disponible sur news.findlaw.com/usatoday/docs/scotus/alodah90203certpet.pdf
2
89
compétence juridictionnelle en matière criminelle sur les citoyens étasuniens comme sur les
étrangers »1.
Dans l’affaire AL ODAH de 2006 (dont nous parlerons plus loin), le juge fédéral a pu relever
que « sur son site web officiel, la marine des Etats-Unis (…) expose que les Etats-Unis,
depuis environ un siècle exercent les éléments essentiels de la souveraineté sur ce territoire,
sans qu’il leur appartienne en fait »2
b ) L’instauration de tribunaux militaires pour juger les prisonniers
* Le Président des Etats-Unis compétent pour créer des tribunaux militaires ?
Le problème de la compétence du Président des Etats-Unis pour créer des tribunaux militaires
(compétents pour juger de la responsabilité des prisonniers de Guantanamo dans les attentats
du 11 septembre 2001) est important car il permet de voir la manière dont l’administration
BUSH a entendu faire de Guantanamo un endroit d’exception où les textes et juridictions de
droit commun n’étaient pas compétents.
Le 14 septembre 2001, le Président Bush a déclaré l’état d’urgence national en conformité
avec le « National Emergency Act » (loi d’urgence nationale)3 et le même jour, le Congrès a
voté la « Joint Resolution » donnant au Président l’autorisation d’utiliser les forces armées4.
Aux Etats-Unis, une « Joint Resolution » est une mesure législative qui requière le vote du
Sénat et de la Chambre des représentants mais pas la signature du Président5.
Par un ordre présidentiel du 13 novembre 20016, le Président BUSH a décidé d’établir une
commission militaire pour juger les prisonniers Talibans et d’Al-Qaida capturés pendant la
« guerre contre le terrorisme ».
Le Président BUSH fonde cet acte cumulativement sur l’autorité de Président (« Commanderin-Chief » des forces armées accordée par la Constitution et les lois des Etats-Unis), sur la
1
Voir par exemple United States vs LEE ; 906 F.2d 117 (4th Circ. 1990) ou United States vs ROGERS, 388 F.
Supp. 298, 301 E.D. Va. 1975)
2
Décision AL ODAH vs United States; op cit, p.16
news.findlaw.com/usatoday/docs/scotus/alodah90203certpet.pdf
3
National Emergency Act, 50 U.S.C. 1601 et seq. ; disponible sur
http://www.law.cornell.edu/uscode/html/uscode50/usc_sec_50_00001621----000-.html
4
MARTIN-LALANDE Nicolas, « Politique étrangère américaine de septembre 2001 à septembre 2005 »
http://politique-etrangere-usa.typepad.com/2001_septembre_2005.pdf
5
Définition traduite du site officiel du Sénat étasunien
http://www.senate.gov/reference/glossary_term/joint_resolution.htm
6
Nous n’avons pas été en mesure de trouver cet ordre exécutif ; il est toutefois mentionné dans plusieurs
documents dont « Inter arma silent lege » de SERVIDIO-DELABRE Eileen.
90
« Joint Resolution » et sur les sections 821 et 836 du Titre 10 du « United States Code ».
Nous allons vérifier la validité de ces fondements.
L’article II section 2 de la Constitution des Etats-Unis dispose que « Le président sera
commandant en chef de l'armée et de la marine des Etats-Unis(…). Il aura le pouvoir
d'accorder des sursis et des grâces pour crimes contre les États-Unis, sauf dans les cas
d'“impeachment” ». L’extrait que nous venons de citer est le seul relatif à une compétence du
Président dans le domaine de la justice. Ainsi, il ne semble pas que, contrairement à ce que G.
W. BUSH affirme, cette disposition lui permette unilatéralement de créer des tribunaux
spéciaux. Bien au contraire, l’article III, section 1 dispose que « le pouvoir judiciaire sera
confié à une Cour suprême et à telles cours inférieures dont le Congrès pourra
périodiquement ordonner l’institution ». Certes cet article vise « le pouvoir judiciaire » et non
le pouvoir juridictionnel mais la section 2-1 de l’article III dispose que « le pouvoir judiciaire
s’étendra (…) aux différents auxquels les Etats-Unis sont partie », ce qui pourrait s’appliquer
à la « guerre contre le terrorisme » étasunienne.
La « Joint Resolution » accorde au Président le pouvoir d’utiliser les forces armées mais il
n’est fait aucune mention d’un pouvoir de créer des commissions militaires. Il ne nous semble
pas que le terme « forces », même implicitement, puisse renvoyer à la création de juridictions.
La Section 821 de l’« United States Code »1 concerne seulement les juridictions militaires
dont l’établissement (y compris les règles de fonctionnement) revient au Congrès en vertu de
la Constitution. « Cette loi concerne donc les crimes commis par les membres des forces
armées et non pas par des non-citoyens accusés d’être des terroristes »2.
La Section 8363 accorde au Président le pouvoir d’édicter les règles de procédure, y compris
les règles de preuve pour les juridictions militaires. Il n’est pas fait mention d’un pouvoir de
créer une quelconque juridiction. Notons que le texte prévoit que les règles édictées par le
Président doivent, autant que possible, respecter les principes du droit et les règles de preuve
en vigueur pour les procédures pénales ordinaires (nous verrons plus loin que le Président a
décidé que ce n’était pas « faisable »).
1
Disponible sur http://thomas.loc.gov/cgibin/cpquery/?&sid=cp109WXD6e&refer=&r_n=hr089.109&db_id=109&item=&sel=TOC_758618&
2
GROSSMAN J.B., « Careless with the Constitution ? The Problem with Military Tribunals », p. 4, Findlaw,
Nov. 2001.
3
Disponible sur http://www.constitution.org/mil/ucmj19970615.htm
91
Un autre fondement, avancé pour justifier de la création de tribunaux militaires par le
Président BUSH, est l’affaire Ex Parte Quirin1 jugée par la Cour Suprême en 1942. En juillet
de cette même année, le Président F.D. ROOSEVELT avait établi une commission militaire
pour juger huit saboteurs allemands qui avaient agi sur le sol des USA en portant des habits
civils. La Cour Suprême, dans cette affaire, a fait la différence entre les combattants légaux et
illégaux (les huit prisonniers se trouvant dans la deuxième catégorie). Selon la Cour, une
procédure militaire était justifiée par une combinaison du pouvoir présidentiel comme
« Commander-in-Chief » et une loi fédérale valide autorisant une procédure militaire pour
ceux qui sont accusés de violations du droit de la guerre. La décision a été vivement critiquée,
notamment parce qu’elle n’avait pas répondu à la vraie question posée par l’affaire : le
Président avait-il le droit, de sa propre autorité, d’établir ces tribunaux militaires ? Le Juge
STONE, qui a rédigé l’opinion de la Cour Suprême, a simplement signalé que le Président
avait une autorisation spécifique du Congrès pour de telles procédures. La Cour a pris la
précaution de limiter la portée de cette décision par une définition précise des combattants
illégaux. D’après la Cour, seuls « l’espion qui, secrètement et sans uniforme passe la ligne
d’un belligérant en temps de guerre, essayant de réunir des informations militaires et de les
communiquer à l’ennemi, ou l’ennemi combattant qui sans uniforme passe secrètement les
lignes pour commettre des actes de guerre en détruisant la vie ou des biens, exemples connus
des belligérants, ne sont généralement pas estimés avoir le droit au statut de prisonnier de
guerre, mais peuvent être jugés et punis par les tribunaux militaires »2. Dans cette affaire, la
Cour a estimé que le Président avait reçu l’autorisation du Congrès pour cet acte mais il ne
semble pas que ce soit le cas pour le Président BUSH au regard de la « Joint Resolution ».
Qui plus est, la décision Ex Parte Quirin « souvent considérée comme embarrassante pour le
système judiciaire américain »3, doit être replacée dans le contexte politique de l’époque : le
Président ROOSEVELT avait déclaré à son Ministre de la Justice, avant que la Cour ne statue
« qu’il n’avait aucune intention de remettre les saboteurs à un tribunal civil, quelle que soit la
décision de la Cour »4. En conséquence, la Cour Suprême aurait pris sa décision en prenant
soin de ne pas entrer en conflit avec le chef de l’exécutif.
1
Ex Parte Quirin 317 U.S. 1 (1942)
http://caselaw.lp.findlaw.com/scripts/getcase.pl?court=US&vol=317&invol=1
2
Ex Parte Quirin ; op cit
3
SERVIDIO-DELABRE Eileen, « Inter arma silent lege » ; publié dans « Terrorisme, victimes et responsabilité
pénale internationale » de l’association SOS Attentats, Edition° Calmann-Levy, novembre 2003, ISBN : 2-70213426-2 ; p.201
4
SERVIDIO-DELABRE Eileen, « Inter arma silent lege »; op cit
92
Par ailleurs, il semble hasardeux d’assimiler la seconde guerre mondiale, guerre étatique, et la
« guerre contre le terrorisme » des USA d’aujourd’hui.
Pour finir, en 1942, le droit international humanitaire et le droit international de la guerre (les
Conventions de Genève) n’étaient qu’au stade embryonnaire, voire inexistants de telle sorte
que la décision Ex Parte Quirin comblait plus un vide qu’elle ne dérogeait à des règles et que
« les lois et les coutumes de la guerre admettaient que les combattants, sans uniformes,
commettant des actes d’espionnage ou de sabotage sur le territoire de leur ennemi, pouvaient
être exécutés »1.
A l’appui de la création de tribunaux militaires de G. W. BUSH, est souvent cité le Tribunal
militaire international pour l'Extrême-Orient créé le 19 janvier 1946 par le général Douglas
MAC ARTHUR, en sa qualité de Commandant Suprême des Puissances Alliées en ExtrêmeOrient. Pourtant les différences sont grandes entre ce Tribunal militaire (fort similaire à celui
de Nuremberg) et ceux que l’actuel Président des Etats-Unis a créé. En effet, le premier était
international, composé de 11 juges chacun venant d’un des pays vainqueurs de la seconde
guerre mondiale. Il avait été institué en toute légalité. Sur les 28 individus poursuivis pour
crime contre la paix et crime de guerre, tous étaient de hauts responsables politiques et
militaires, à l’exception de trois hommes d'affaires et trafiquants de drogue. Comme le
tribunal de Nuremberg, celui d’Extrême-Orient est critiqué par les partisans des personnes
qu’il a jugées : tribunal des vainqueurs qui a jugé les vaincus. Reste qu’il a respecté les droits
de la défense, les règles de procédure et surtout la publicité des charges, des débats et des
sentences. Nous le verrons, ce n’est pas le cas des tribunaux mis en place par G. W. BUSH.
* La compétence des tribunaux militaires
Dans l’ordre exécutif du 13 novembre 20012, le Président Bush déclare que, pour protéger les
Etats-Unis et ses citoyens, pour l’efficacité des opérations militaires et pour prévenir des
attaques futures, les individus sujets à cet ordre peuvent être détenus, et jugés pour des
violations des lois de la guerre et d’autres lois par des tribunaux militaires (Sec. 1 (e))3. « Le
champs de compétence des tribunaux est donc de nature à s’étendre bien au-delà des
missions traditionnelles des tribunaux militaires – de connaître des infractions commises par
SERVIDIO-DELABRE Eileen, « Inter arma silent lege »; op cit
Nous n’avons pas été en mesure de trouver cet ordre exécutif ; il est toutefois mentionné dans plusieurs
documents dont « Inter arma silent lege » de SERVIDIO-DELABRE Eileen ; op cit.
3
SERVIDIO-DELABRE Eileen, « Inter arma silent lege »; op cit
1
2
93
les combattants sur le champs de bataille – pour atteindre des personnes accusées d’actes
fort éloignés de l’Afghanistan ou de tout autre conflit armé »1.
Il ajoute qu’en conformité avec la section 836, Titre 10 de l’« United States Code » il n’est
pas « faisable » d’appliquer à ces commissions militaires les principes des lois et des règles
concernant les preuves généralement reconnues dans la procédure pénale devant les tribunaux
fédéraux américains (Sect. 1 (f))2. Ainsi, toutes les preuves, y compris par ouï-dire deviennent
acceptables.
Les individus sujets à cet ordre sont définis dans la Section 2 (a) de l’Ordre présidentiel
comme tout individu qui n’est pas un citoyen des Etats-Unis et que le Président détermine par
écrit comme (i) un membre de l’organisation al Qaida ; (ii) s’étant engagé, ayant aidé, ou
ayant comploté en vue de commettre les actes de terrorisme international ou des actes
préparatoires à ces actes, qui ont causé, menacé de causer, ou ont comme but de causer des
dommages ou des effets « adverses » aux Etats-Unis, ses citoyens, sa sécurité nationale, sa
politique étrangère, ou économique ; ou (iii) ayant donné abri à un ou plusieurs de ces
individus3.
La notion de droits de l’Homme est remise en cause par la lutte contre le terrorisme car, pour
certains, le fait de commettre de tels actes fait perdre le bénéfice des droits attachés à la seule
qualité d’humain. On remarque tout de même que le texte de l’ordre présidentiel ne concerne
que les non-étasuniens. Premièrement, cette disposition viole le quatorzième amendement de
la Constitution des Etats-Unis qui interdit qu’une loi refuse « une égale protection des lois à
quiconque relève de sa juridiction » ; autrement dit, les discriminations entre nationaux et
étrangers sont inconstitutionnelles. Cette précision participe certainement de la manipulation
de l’opinion publique, toujours moins encline à s’indigner de pratiques qui ne la concerne pas.
Deuxièmement, étant donné le secret qui entoure l’ensemble de la lutte contre le terrorisme
aux USA, nous émettons des doutes sur le fait qu’aucun citoyen étasunien ne soit jugé par un
tribunal militaire.
1
ROTH Kenneth, p.82; op cit
SERVIDIO-DELABRE Eileen, « Inter arma silent lege »; op cit
3
SERVIDIO-DELABRE Eileen, « Inter arma silent lege »; op cit
2
94
* Les compétences juridictionnelles du pouvoir exécutif
L’ordre présidentiel du 13 novembre 2001 fait du Président des Etats-Unis un juge à part
entière. L'appellation « combattant ennemi » est en effet uniquement basée sur la décision du
Président qui utilise généralement les renseignements des services secrets. Dans un mémo, le
Président expliquait qu’il pouvait juger lui-même la qualité de prisonnier de guerre des
détenus. « Par l’article II de la Constitution, le Président détient le pouvoir d’interpréter les
traités (…). Cela inclut, bien sûr, le pouvoir d’appliquer les traités à une situation donnée »1,
dont la troisième convention de Genève. Or l’article II de la Constitution étasunienne ne
donne au Président que « le pouvoir, sur avis et avec consentement du Sénat, de conclure des
traités ».
Un grand rôle est aussi confié au ministre de la défense. « L'ordre [présidentiel] précise
[qu’il] a pleine autorité pour nommer des commissions militaires et déterminer “les règles de
procédures des commissions militaires”. Ceci inclut les procédures entourant l'avant-procès,
le procès et l'après-procès, les règles pour établir la preuve et les qualifications
professionnelles des procureurs comparaissant devant le tribunal »2.
Par ailleurs, relevons que la section 412 du Patriot Act3 autorise la détention des nonétasuniens sur la seule décision du ministre de la justice. Il peut ainsi incarcérer toute
personne qu’il qualifie de « dangereuse pour les Etats-Unis ». Il n’a pas à prouver ladite
dangerosité dont il fait état dans sa « certification » ((a) (2)). « Aucune Cour n’est compétente
pour réviser, par le biais d’une pétition d’habeas corpus ou par tout autre moyen, les
décisions » du ministre ((b) (1)). Il n’y a aucune disposition dans cette section concernant un
droit à un avocat.
1
Mémo du Président des USA du 7 février 2002, p.2 ; op cit
http://www.cpcml.ca/francais/lmlq/Q34091.htm
3
Disponible sur http://www.ratical.org/ratville/CAH/Section411.html
2
95
c ) 2003, la confirmation de l’incompétence des juridictions étasuniennes par les juges
fédéraux
En 2003, des juges fédéraux ont eu à connaître de trois affaires relatives aux détenus de
Guantanamo : l’affaire AL ODAH1, l’affaire Center of National Security Studies2 et l’affaire
HAMDI3.
Dans les deux premières affaires, les juges ont estimé que « la ténuité du contrôle américain
sur Guantanamo permet de ne pas accepter les pétitions d’Habeas corpus »4. Ne se trouvant
pas sur un territoire où les Etats-Unis exercent leur souveraineté juriduque, les plaignants ne
pouvaient pas se prévaloir des droits constitutionnels étasuniens. Pour les juges, « la
souveraineté technique [juridique cubaine] sur Guantanamo est plus déterminante que la
juridiction et le contrôle des Etats-Unis »5. La Cour reconnaît qu’il n’y a « aucun doute que la
manière dont le gouvernement retient les prisonniers de Guantanamo – incarcérés depuis
plus d’un an et demi sans connaissance des accusations retenues contre eux et sans accès
pour eux, leur famille ou un conseil à un tribunal impartial pour statuer sur la légalité de leur
détention – est radicalement en opposition avec le régime constitutionnel du “due process of
law”. (…) Malgré tout, la Cour estime que les prisonniers n’ont aucun droit à se plaindre aux
Cours parce qu’ils sont des étrangers que le gouvernement des Etats-Unis a décidé
d’incarcérer en dehors de la souveraineté territoriale »6.
L’affaire HAMDI permit aux juges fédéraux de dire que la désignation présidentielle
d’individus capturés dans une zone militaire comme « ennemis combattants » ne pouvait être
contrôlée par les juridictions étasuniennes de droit commun.
d ) 2004, la Cour suprême rétablit la compétence des juridictions étasuniennes
Le 28 juin 2004, la Cour Suprême a rendu deux décisions retentissantes dans les affaires
« HAMDI vs RUMSFELD »7 et « Shafik RASUL vs Georges BUSH »8. La Cour suprême a
1
AL ODAH vs United States; op cit
Center of National Security Studies vs DOJ, 331 F. 3d 918, D.C. Cir. 2003
Disponible sur http://www.usdoj.gov/osg/briefs/2003/0responses/2003-0472.resp.html
3
HAMDI vs RUMSFELD, 337 F. 3d 335, 357, 4ème Cir. 2003
Disponible sur http://www.law.cornell.edu/supct/html/03-6696.ZO.html
4
CANTEGREIL Julien ; op cit ; p.77
5
AL ODAH vs United States; op cit, p.7
6
AL ODAH vs United States; op cit, p.8
7
HAMDI vs RUMSFELD, No. 03-6696
Disponible sur http://caselaw.lp.findlaw.com/scripts/getcase.pl?court=US&vol=000&invol=03-6696
8
RASUL Shafik vs George BUSH, n°03-334
2
96
statué sur la compétence des tribunaux étasuniens pour connaître de la légalité et des
conditions de détention des prisonniers de Guantanamo. Sans se prononcer sur le fond (à
savoir la légalité du statut et du traitement des détenus), la Cour a considéré que la base de
Guantanamo se trouvait sous « le contrôle et la juridiction complète » des Etats-Unis et que le
droit étasunien était applicable aux individus qui y sont détenus. Il revenait alors « au juge
fédéral du district de Columbia d’examiner la légalité des actes du gouvernement américain à
l’égard des requérants »1. Le Pentagone a fait savoir qu’il informerait les détenus que la Cour
suprême les autorise à introduire des recours devant la justice civile, par le biais d’une pétition
d’habeas corpus devant l’US district court2.
Le Président du Center for Constitutional Rights (CCR)3, Michael RATNER conclut : « la
Cour suprême a fermement rejeté la tentative du président BUSH d’écarter la compétence des
tribunaux américains. Maintenant, il est temps pour le Président BUSH d’agir : juger nos
clients devant les tribunaux compétents américains ou les libérer. Le président BUSH ne peut
plus se cacher derrière un soi-disant vide juridique pour ignorer le caractère illégal et
immoral de la prison de Guantanamo. »4
e ) Décembre 2005, la réponse du gouvernement : le « Detainee Treatment Act ».
Le 30 décembre 2005, le Président BUSH a signé le « Detainee Treatment Act »5 voté au
préalable par le Congrès. Cette loi enlève toute compétence aux Cours fédérales pour
examiner la situation des détenus de Guantanamo. Elle s’oppose ainsi en tout point à la
décision de la Cour suprême dans l’affaire RASUL et nie aux terroristes présumés le droit
constitutionnel d’habeas corpus. Le « Detainee Treatment Act » a été adopté sans délibération
en commissions parlementaires et donne le droit au gouvernement fédéral de détenir
indéfiniment les prisonniers de Guantanamo.
Début janvier 2006, sur la base de cette nouvelle loi d’applicabilité directe y compris aux
affaires en cours (section 1005 de l’act), l’administration BUSH a adressé une motion aux
Disponible sur http://caselaw.lp.findlaw.com/scripts/getcase.pl?court=US&vol=000&invol=03-334
1
CANTEGREIL Julien ; op cit, p.78
2
CANTEGREIL Julien ; op cit, p.78
3
CCR, organisation membre de la FIDH aux Etats-Unis
4
FIDH « USA / Camp de Guantanamo : Les tribunaux militaires de Guantanamo déclarés illégaux par la Cour
suprême américaine : une décision historique » ; 3 juillet 2006
http://www.fidh.org/article.php3?id_article=3463
5
Disponible sur http://jurist.law.pitt.edu/gazette/2005/12/detainee-treatment-act-of-2005-white.php
97
tribunaux saisis de pétitions d’habeas corpus, leur demandant que toutes celles déposées en
faveur des prisonniers de Guantanamo soient définitivement rejetées1.
A l’appui de sa loi, l’administration BUSH avance – sans le prouver - que les hommes
détenus à Guantanamo sont extrêmement dangereux. Pourtant, les autorités militaires ont
admis l’innocence d’un grand nombre d’entre eux.
Selon Michael RATNER, président du Center for Constitutional Rights (CCR), il s’agit d’un
« désastre juridique, politique et moral. Cette loi crée une prison permanente en dehors des
Etats-Unis où les personnes qui y sont détenues n’ont ni droits légaux, ni audience auprès des
tribunaux, et peuvent y être torturées en toute impunité »2. Pour Sidiki KABA, Président de la
FIDH, « cette loi érige l’arbitraire au rang de norme : la légalisation du non-droit absolu»3.
f ) En juin 2006, les tribunaux militaires déclarés illégaux par les juges fédéraux
Le 26 juin 2006 les juges fédéraux du district de Columbia ont statué sur l’affaire « Salim
HAMDAN vs Donald RUMSFELD »4. A 5 voix contre 3, ils ont conclu que « les
commissions militaires convoquées pour juger HAMDAN ne sont pas compétentes car leurs
structures et leurs procédures violent à la fois le Code de justice militaire américain et les
Conventions de Genève ». Le plaintif ne pouvait se voir retirer la protection conférée par le
statut de prisonnier de guerre en l’absence de décision spécifique prise par une juridiction
compétente sur cette question, les tribunaux militaires mis en place par le Detainee Treatment
Act ne correspondant pas à une telle définition. Quatre juges concluent également « que les
crimes pour lesquels M HAMDAN avait été mis en accusation ne peuvent être jugés, selon le
droit de la guerre, par des commissions militaires ».
Les commissions militaires ne sont pas légales, en raison des violations des normes que leur
fonctionnement entraîne mais aussi au motif que le Président George W. BUSH a outrepassé
ses prérogatives en ordonnant la mise en place de commissions militaires pour juger les
détenus emprisonnés à la base navale de la baie de Guantanamo.
FIDH, « Le “Detainee Treatment Act” retire toute compétence aux cours fédérales américaines sur le sort des
détenus de Guantanamo » ; http://www.fidh.org/article.php3?id_article=2983
2
FIDH, « Le “Detainee Treatment Act” retire (…) »; op cit.
3
FIDH, « Le “Detainee Treatment Act” retire (…) »; op cit.
4
Cour fédérale de Columbia, Salim HAMDAN vs Donald RUMSFELD
Disponible sur news.findlaw.com/hdocs/docs/tribunals/hamdanrums110804opn.pdf
1
98
Par ailleurs, la Cour considère que le procès de Salim HAMDAN est irrégulier et contraire à
l’article 39 du Code unifié de justice militaire (CUJM) notamment tant que la commission
militaire continuera à utiliser des preuves secrètes et non contradictoires1.
Les juges reconnaissent encore que l’article 5 de la Convention de Genève ne doit pas être
ignoré dans le contexte de la lutte contre Al-Qaida : « l’expression [tribunal] doit être
comprise comme comprenant au moins des garanties minimales lors d’un procès, reconnues
par le droit international coutumier ». A ce sujet, le gouvernement étasunien avançait que les
Conventions de Genève, y compris celle relative aux prisonniers de guerre, n’était pas
d’applicabilité directe. Les juges relèvent que « parce que les conventions de Genève ont été
rédigées pour protéger les individus, parce que le pouvoir exécutif de notre gouvernement a
mis en œuvre les conventions de Genève pendant cinquante ans sans questionner l’absence de
loi d’adaptation, parce que le Congrès a clairement compris que les conventions ne
nécessitent pas de loi de mise en œuvre sauf dans des domaines spécifiques, (...) la 3ème
convention de Genève est d’application immédiate ».
g ) Octobre 2006, la réponse du gouvernement : le « Military Commissions Act ».
Nous l’avons vu, depuis le 26 juin 2006, le pouvoir judiciaire étasunien a imposé à l’exécutif
de respecter l’article 5 de la Convention de Genève. Mais la Convention ne précise pas les
critères de ce « tribunal compétent ». Les juges avaient précisé que devraient être respectées
les « garanties minimales lors d’un procès, reconnues par le droit international coutumier ».
Pour l’application de l’article conventionnel, il y a eu débat et tentative de clarification de
l’article. Le débat a tourné au détriment des droits des détenus de la base américaine de
Guantanamo avec l’instauration d’un tribunal militaire chargé de définir individuellement le
statut des prisonniers. La loi adoptée le 17 octobre 20062 reprend l’essentiel des procédures
des commissions sanctionnées peu de temps avant par les juges. Elle légalise l'existence de
tribunaux militaires d'exception pour juger de leur participation éventuelle aux attentats du 11
septembre 2001 (elle légalise leur institution par le Président avec une autorisation législative
expresse - section 2 et 3 de l’act). Elle interdit aux « combattants illégaux » de recourir au
système judiciaire américain, par le biais de pétition d’habeas corpus. Sous l’empire de la
FIDH, « USA/AFFAIRE SALIM HAMDAN VS. DONALD RUMSFELD : les conventions de Genève protègent
les prisonniers de Guantanamo »
http://www.fidh.org/article.php3?id_article=2034
2
« Military Commissions Act to amend title 10, United States Code, to authorize trial by military commission for
violation of the laws of war, and for other purposes »; public law 109-366 – oct. 17, 2006.
Disponible sur http://www.loc.gov/rr/frd/Military_Law/pdf/PL-109-366.pdf
1
99
nouvelle loi, seuls les tribunaux et commissions militaires seront compétents pour juger les
prisonniers de Guantanamo : en ce qui concerne la question de savoir s’ils sont ou non des
prisonniers au sens de la 3ème Convention de Genève, comme en ce qui concerne leur
participation aux attentats du 11 septembre 2001.
La section 3 de l’act définit les « combattants légaux » et « illégaux », reprenant les
distinctions de la Convention de Genève mais reste silencieuse sur le traitement des
« combattants légaux » (parce qu’au regard du gouvernement étasunien, il n’y en a pas à
Guantanamo…). Ensuite, elle dispose que les « combattants illégaux » seront jugés par les
commissions militaires mises en place. La loi précise qu’ils ne pourront pas « se prévaloir de
la Convention [3ème] comme d’une source de droits ». Les « précédents » (la jurisprudence)
des commissions militaires qui ont jugé les soldats étasuniens n’auront pas non plus de valeur.
« C’est parce qu’on les déclare “illégaux” qu’on va pouvoir les soustraire à toutes les règles
du droit américain courant et du droit international de la guerre »1. Qui décide de ce statut ?
« Le pouvoir exécutif lui-même, par la mise en place à cette fin d’un “tribunal compétent”.
Cette sorte de tribunal existe déjà sous le nom de “Combatant Status Review Tribunal CSRT” - : c’est ce “tribunal” qui a statué sur les mises en détention de Guantanamo. Les
personnes visées par la loi sont aussi bien des personnes arrêtées dans le cadre d’un conflit
armé international, que des personnes arrêtées dans un conflit armé local, ou des personnes
arrêtées en dehors de tout conflit. La qualification peut s’appliquer de façon très large :
“quiconque en infraction d’un serment ou d’un devoir envers les Etats Unis, aide sciemment
et intentionnellement un ennemi des Etats Unis ou un des cobelligérants de l’ennemi, sera
puni”. Des juristes américains ont fait remarquer que cette législation autorise le président
des Etats-Unis à se saisir y compris de citoyens américains en tant que “combattants ennemis
illégaux”. Le New-York Times lui-même a souligné que cette loi permettait de soumettre des
résidents légaux des Etats-Unis, ainsi que des étrangers vivant dans leur propre pays, à une
arrestation arbitraire et à une détention indéfinie, sans possibilité de recours »2. En effet, la
loi interdit aux Cours de droit commun étasuniennes de connaître d’un appel contre les
décisions du Combatant Status Review Tribunal et nie ainsi aux prisonniers le bénéfice de
l’habeas corpus. Qui plus est, la loi est rétroactive et frappe donc de nullité les quelques 200
actions judiciaires intentées avant son entrée en vigueur3.
Louise-Judith BALSO ; « Aux U.S.A., une nouvelle loi : le "Military Commissions Act" » ;
Disponible sur http://www.orgapoli.net/spip.php?article310
2
Louise-Judith BALSO ; op cit.
3
Amnesty international, « Le Congrès américain donne le feu vert aux violations des droits humains dans la
“guerre contre le terrorisme” » ;
1
100
Le Combatant Status Review Tribunal est constitué de trois officiers militaires1. Il est prévu
que tout prisonnier confirmé comme « combattant ennemi » verra son cas révisé annuellement
par un Conseil de révision administratif (Administrative Review Board, ARB) pour décider s'il
« continue à représenter une menace pour les États-Unis ou leurs alliés ou s'il existe d'autres
facteurs établissant la nécessité du maintien en détention ». « Ayant commencé à fonctionner
en juillet 2004, les Combatant Status Review Tribunal ont rendu leurs conclusions concernant
les détenus présents à Guantanamo à la fin du mois de mars 2005. Ils ont examiné 558
dossiers et, dans 93 % des cas, estimé que le détenu était bien un “combattant ennemi” »2.
Le jugement des « actes » des terroristes présumés est assuré par des Commissions militaires.
Ce sont des tribunaux d’exception, composés d’au moins 5 officiers militaires, juristes ou
non ; la loi demande seulement que soient membres des commissions les officiers « les plus
qualifiés pour cette mission, selon leur âge, leur parcours scolaire, leur formation et leur
expérience »3. Les commissions jugent secrètement et peuvent prononcer des peines de prison
à perpétuité comme des condamnations à mort (section 3 de la loi qui énumère les peines).
Elles sont présidées par le ministre de la défense ou un officier que le ministre aura désigné.
En fait, les commissions militaires sont caractérisées par un manque d'indépendance flagrant
vis-à-vis du pouvoir exécutif. C’est au Président des États-Unis, ou au ministre de la Défense
qu'il reviendra de nommer leurs membres ou de les relever de leurs fonctions, de choisir les
membres des commissions qui réexamineront la déclaration de culpabilité et la peine des
condamnés.
h ) L’application de la nouvelle loi
Le 20 février 2007, une Cour d'appel fédérale de Washington a décidé par deux voix contre
une, que les détenus de la base américaine de Guantanamo ne pouvaient pas contester leur
détention devant les tribunaux de droit commun car ces derniers ne sont pas (plus)
compétents4. Cette décision vient confirmer l'une des dispositions clés de la nouvelle
Disponible sur http://web.amnesty.org/pages/stoptorture-060930-features-fra
1
Amnesty international, « Combatant Status Review Tribunal » ;
Disponible sur :
http://www.amnesty.fr/index.php/amnesty/agir/actions_en_cours/etats_unis_d_amerique/guerre_contre_le_terror
isme/le_statut_des_detenus
2
Amnesty international, « Combatant Status Review Tribunal » ; op cit.
3
Section 3 du « Military Commissions Act of 2006 »; op cit.
4
Nous n’avons pas été en mesure de trouver la décision. Elle est néanmoins citée et commentée dans de
nombreux textes.
Par exemple, le Nouvel Observateur du 20 février 2007, disponible sur :
101
législation antiterroriste de George W. BUSH. Si elle en avait décidé autrement, la Cour serait
clairement entrée en conflit avec l’exécutif.
Dans son arrêt, la Cour a rappelé que des décisions antérieures devant les tribunaux avaient
déjà établi que la Constitution américaine ne donne pas de droits aux étrangers qui ne sont pas
présents aux Etats-Unis ou n'y ont pas de propriété. Cette décision oppose donc une fin de
non-recevoir aux centaines de plaintes déposées par les détenus, et les maintient hors du
système judiciaire américain. « Le dossier pourrait être transmis à la Cour suprême »1 et on
pourrait alors voir se produire un nouveau retournement de situation...
i ) Le cas particulier des personnes arrêtées et détenues sur le sol des Etats-Unis
M. AL-MARRI est arrivé aux Etats-Unis le 10 septembre 2001 pour poursuivre ses études à
Peoria. Il a été arrêté trois mois plus tard, en raison de soupçons d’escroquerie à la carte
bancaire. En juin 2003, le président l’a déclaré « combattant ennemi » et a ordonné son
transfert dans une prison militaire. Selon le gouvernement, Ali AL-MARRI, dont un frère est
détenu à Guantanamo, a suivi un entraînement en Afghanistan, et s’est proposé, durant l’été
2001, à Oussama BEN LADEN pour effectuer une mission en martyr.
La Cour d’appel fédérale de Richmond, le 11 juin 20072, a donné raison à Ali AL-MARRI qui
contestait sa détention sans inculpation dans une prison militaire de Caroline du Sud. Le
gouvernement avait demandé le rejet de cette procédure, faisant valoir que la loi Military
Commissions Act of 2006, établie surtout pour les détenus de Guantanamo, pouvait
s’appliquer à M. Al-MARRI. Par deux voix contre une, la cour d’appel de Richmond a estimé
que la loi ne s’appliquait pas à M. Al-MARRI, arrêté et détenu sur le sol américain. « Le
président n’a pas le pouvoir d’ordonner à l’armée d’arrêter et de détenir indéfiniment ALMARRI », a déclaré la Cour, expliquant que si les affirmations du gouvernement étaient
confirmées, M. AL-MARRI pouvait être considéré comme un criminel, mais pas comme un
combattant. La détention militaire de M. AL-MARRI doit donc cesser, mais « cela ne signifie
pas (qu’il) doit être libéré », a précisé la Cour. « AL-MARRI peut retourner devant la justice
civile, être jugé pour des crimes, et s’il est condamné, sévèrement puni. Mais le gouvernement
http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/international/ameriques/20070220.OBS3439/les_prisonniers_de_guant
anamo_interdits_de_tribunaux_us.html
1
Karine VUILLEMIN ; bulletin n°25 (mars 2007) de l’Association Française des Docteurs en Droit
http://www.afdd.fr/index.php?option=com_content&task=view&id=83&Itemid=19
2
Nous n’avons pas été en mesure de trouver la décision commentée dans plusieurs articles dont CARRIER
Fanny, « Etats-Unis : Nouveau revers judiciaire pour la "guerre contre le terrorisme" »
Disponible sur http://www.interet-general.info/article.php3?id_article=9138
102
ne peut pas soumettre Al-Marri à une détention militaire illimitée. Parce qu’aux Etats-Unis,
l’armée ne peut pas arrêter et emprisonner les civils, encore moins les emprisonner de
manière illimitée », a ajouté la Cour1.
Le ministère de la Justice a exprimé dans un communiqué sa « déception », et - ne s’avouant
pas vaincu - fait part de son intention de demander un nouvel examen de l’affaire par
l’ensemble des treize juges de la Cour d’appel2.
En ce qui concerne les prisonniers de Guantanamo, la question de la détermination du juge
auquel ils ont accès est cruciale pour leurs droits de la défense. En effet, devant les
juridictions de droit commun, ils bénéficieraient des garanties attachées au « due process of
law ». En l’état actuel du droit, ce n’est pas le cas comme nous allons le voir.
1
2
CARRIER Fanny, op cit
CARRIER Fanny ; op cit
103
Section II ) L’affaiblissement des droits de la défense
Comme nous l’avons dit, la notion même de droit de l’Homme est remise en cause par le
terrorisme. En effet, pour certains, les auteurs de tels actes, qui sont certes d’une gravité
extrême, ne méritent pas de bénéficier de ces droits. Cela est particulièrement perceptible au
niveau du traitement des personnes poursuivies pour acte de terrorisme. Leurs droits de la
défense, sont affaiblis. C’est le cas du droit de ne pas s’accuser soi-même, qui est en réalité
nié du fait des actes de torture commis par les services chargés des enquêtes ( A ). De même,
le droit d’accès aux charges du dossier et aux pièces du dossier est gravement compromis pas
le secret de certains documents ( B ). Enfin, l’exercice du droit d’être assisté d’un défenseur
est retardé, voir nié en pratique ( C ).
A ) Du droit de ne pas s’accuser soi-même à la torture des terroristes présumés
La méthode qui revient à torturer les suspects pour obtenir preuves et aveux n’est pas nouvelle
(pensons par exemple à « la question » sous l’Ancien Régime) et est encore d’actualité. Nous
le verrons, la France, dans un passé proche, comme aujourd’hui, n’est pas à l’abri de telles
dérives ( 1 ). Le paroxysme de la négation du droit au silence se trouve dans le droit
applicable au camps de Guantanamo puisque le Congrès y a « légalisé » la torture ( 2 ).
1 ) En France : de l’interdiction de torturer pour obtenir preuves et aveux à la pratique
Le droit français ne prévoit plus explicitement un droit au silence au bénéfice d’une personne
accusée. En effet, l’article 8 de la loi du 15 juin 20001 avait prévu la notification du « droit de
ne pas répondre aux questions (…) posées par les enquêteurs » à une personne placée en
garde à vue mais la loi sur la sécurité intérieure du 18 mars 2003 a supprimé cette disposition.
Reste que le droit au silence existe depuis longtemps, même en l’absence de notification, et
découle du fait que la charge de la preuve incombe au ministère public en vertu de la
présomption d’innocence. Celle-ci est protégée au niveau constitutionnel, elle est énoncée à
l’article 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. La loi du 15 juin 2000 est
venue lui donner un cadre législatif.
1
Loi n°2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des
victimes ; J.O n° 138 du 16 juin 2000 page 9038 ; NOR: JUSX9800048L
104
Le droit au silence a, par ailleurs, reçu une consécration jurisprudentielle européenne : « la
Cour [EDH] rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle, même si l'article 6 de la
Convention ne les mentionne pas expressément, (…) le droit de se taire et le droit de ne pas
contribuer à sa propre incrimination, sont des normes internationales généralement
reconnues qui sont au cœur de la notion du procès équitable consacrée par ledit article »1. La
CEDH a eu l’occasion de dire que le silence de l’accusé ne pouvait à lui seul justifier une
condamnation : « le tribunal national ne peut conclure à la culpabilité du prévenu simplement
parce que celui-ci choisit de garder le silence »2.
En application de cette jurisprudence, la CEDH a condamné la France quand ses agents (des
douanes) avaient fait pression sur un individu pour obtenir des preuves contre lui : « faute de
pouvoir ou vouloir se les procurer par un autre moyen, [ils] tentèrent de contraindre le
requérant à fournir lui-même la preuve d'infractions qu'il aurait commises. [cela constitue
une] atteinte au droit, pour tout “accusé” au sens autonome que l'article 6 attribue à ce
terme, de se taire et de ne point contribuer à sa propre incrimination »3. En l’espèce, les
agents des douanes avaient obtenu une condamnation de l’intéressé pour une infraction autre
que celle sur laquelle ils enquêtaient.
Reste que la pratique s’éloigne parfois du droit. De longue date, le droit sanctionne la pratique
de la torture (article 222-1 et suivants du Code pénal) mais de tels actes se produisent
pourtant. Pensons aux tortures avérées en Algérie pendant la guerre de décolonisation,
perpétrées sous prétexte de lutter contre les réseaux terroristes de libération nationale par
l’armée française. Plus proche de nous, la France a été condamnée en 1992 par le CEDH sur
le fondement de l’article 3 de la CESDH (torture ou traitements inhumains ou dégradants) 4.
Un suspect de terrorisme avait subi des sévices de la part de la police judiciaire.
1
HEANEY et Mc GUINESS c. Ireland, 21 décembre 2000, §40
CEDH, John MURRAY c. Royaume-Uni, 8 février 1996, §51 ; recueil 1996-I
3
CEDH, FUNKE c. France, 25 février 1993, §44 ; A256-A
4
CEDH, TOMASI c. France, 27 aout 1992 ; Requête no12850/87
2
105
2 ) Aux Etats-Unis : la « légalisation » de la torture des terroristes présumés
a ) Le droit au silence expressément prévu
Le cinquième amendement de la Constitution étasunienne stipule que « nul ne pourra, dans
une affaire criminelle, être obligé de témoigner contre lui-même ». Le droit au silence est
donc un droit constitutionnel (il doit d’ailleurs être notifié à l’intéressé lors de son arrestation).
Seulement, nous l’avons vu, le bénéfice de l’ensemble des droits constitutionnels, comme de
l’ensemble du droit étasunien, est refusé aux terroristes présumés détenus dans le camp de
Guantanamo. En effet, ce que nous avons dit précédemment au sujet de la compétence
juridictionnelle a un lien direct avec le corpus juridique applicable aux prisonniers. Le corpus
juridique étasunien « de droit commun » n’est pas applicable aux détenus de Guantanamo.
Pour savoir de quels droits peuvent se prévaloir ces prisonniers, il faut se référer au « Military
Commissions Act of 2006 » du 17 octobre 2006. Cette loi est souvent présentée comme ayant
légalisé la torture1 dans le but d’obtenir aveux et preuves de culpabilité. Ce n’est pas inexact
mais doit être nuancé : le texte n’autorise pas expressément une telle pratique. Le Military
Commissions Act prévoit même que les détenus de Guantanamo bénéficient d’un droit au
silence devant les commissions militaires (section 3).
b ) La validité des preuves et aveux obtenus sous la contrainte
La loi dispose que sont exclues des preuves recevables les dépositions obtenues sous la
torture. Le texte est rassurant sur ce point mais il faut s’inquiéter du silence de cette
disposition au sujet des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Les preuves obtenues
« grâce » à ces pratiques restent recevables « alors que l’on sait que sous la contrainte et face
à des techniques d’interrogations extrêmement intenses et résultant en des traitements cruels
inhumains et dégradants, les fausses confessions sont nombreuses »2.
Voir par exemple FIDH, « La torture légalisée », 9 octobre 2006 ; disponible sur
http://www.humanrights-geneva.info/article.php3?id_article=653
2
FIDH, « La torture légalisée » ; op cit.
1
106
c ) Le Président, seul compétent pour apprécier ce qui constitue ou non un acte de torture
La loi exclut expressément l’applicabilité des Conventions de Genève (section 3 de l’act) et
donne une pleine compétence exclusive au Président pour les interpréter en ce qui concerne
Guantanamo (section 5). Or l’article 3 de la IIIème Convention de Genève prohibe « les
atteintes portées à la vie et à l'intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses
formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices (…), les atteintes à la
dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants ». Cet article sera
apprécié, interprété et appliqué par le Président des Etats-Unis. Lui seul est compétent pour
qualifier de torture le traitement subi par les prisonniers. « Sachant qu’il est aujourd’hui avéré
que, ces dernières années, le gouvernement BUSH a pratiqué contre des détenus saisis dans
le contexte de la “guerre contre le terrorisme”, des mises à l’isolement excédant un an, des
privations de sommeil jusqu’à 50 jours, de l’hypothermie, des simulacres de noyades, des
exploitations de phobies personnelles, des abus physiques, sexuels et autres, il n’est pas
acceptable de remettre dans les mains d’un homme, au surplus chef de l’exécutif et hors de
tout contrôle, la décision de déterminer ce qui constitue une technique d’interrogation
abusive »1.
Pour avoir une idée de ce qui constitue des techniques ne violant pas les conventions
internationales et ne constituant pas des actes de torture selon l’administration BUSH, on peut
se référer au mémo de Donald RUMSFELD du 16 avril 20032. L’auteur commence par
préciser qu’il autorise les techniques de « contre-résistance » énumérées plus loin et limite
leur application aux seuls « combattants illégaux » détenus à Guantanamo dont la
détermination, rappelons le, revient à des tribunaux militaires. Les techniques avalisées, dont
certaines violent clairement la Convention de Genève, sont les suivantes :
A
Des questions franches, directes et simples.
B
La motivation par l’octroi ou le retrait de privilèges, y compris l’autorisation ou
l’interdiction de pratiquer la religion du détenu.
C
Jouer des sentiments du détenu pour un individu ou un groupe.
D
Jouer de la haine du détenu pour un individu ou un groupe.
FIDH, « La torture légalisée » ; op cit
Mémo de Donald RUMSFELD « to the Head of the U.S. Southern Command » du 16 avril 2003
Disponible sur http://www.washingtonpost.com/wp-srv/nation/documents/041603rumsfeld.pdf
1
2
107
E
Faire extrêmement peur à un détenu.
F
Faire moyennement peur à un prisonnier.
G
Rassurer un détenu.
H
« Booster » l’égo et la fierté d’un détenu.
I
S’en prendre à l’égo ou à la fierté d’un détenu en l’attaquant ou en l’injuriant.
J
Evoquer la futilité d’un détenu.
K
Faire croire que l’interrogateur sait tout, connait les réponses aux questions.
L
Convaincre le détenu qu’on l’a pris pour quelqu’un d’autre.
M
Constamment répéter la même question.
N
Convaincre le détenu que l’interrogateur a contre lui un dossier accablant.
O
Interrogatoire à deux, chaque interrogateur utilisant respectivement les deux méthodes
sur l’égo et la fierté du détenu
P
Bombarder de questions sans laisser le temps de répondre.
Q
Garder le silence.
R et S Pendant l’interrogatoire, augmenter ou baisser le confort du détenu.
T
Changer le régime alimentaire du détenu, sans aller jusqu’à le priver de nourriture ou
d’eau, ni provoquer des allergies alimentaires.
U
Altérer le confort de l’environnement du détenu : moduler la température de la salle
d’interrogation ou y introduire des odeurs nauséabondes par exemple.
V
Changer le rythme du sommeil des détenus, les faire dormir la nuit puis le jour.
W
L’interrogateur peut faussement changer de nationalité : faire croire au détenu qu’il est
interrogé par quelqu’un qui n’est pas étasunien.
X
Isoler le détenu des autres prisonniers.
Voilà pour ce qui est expressément autorisé depuis 2003, les autres techniques seront
avalisées par le seul Président, sans autre contrôle.
d ) L’absence de recours, même à postériori, pour les prisonniers torturés
La section 7 (a2) du Military Commissions Act, après avoir retiré aux juridictions de droit
commun des Etats-Unis la compétence de statuer sur la légalité des détentions, dispose
qu’« aucune Cour, aucun tribunal ou juge n’aura la compétence pour entendre ou prendre en
considération toute autre action contre les Etats-Unis ou ses agents relative à tout aspect de
la détention, du transfert, du traitement, du jugement ou des conditions de confinement d’un
étranger qui est ou était détenu en tant qu’ennemi combattant ». La loi prévoit donc une
108
immunité totale pour l’Etat comme pour ses agents quant à la commission d’actes de torture
ou de traitements dégradants, dans le camp de Guantanamo (comme dans les autres centres de
détention).
Qui plus est, cette immunité est rétroactive puisque la loi s’applique aux affaires qui étaient en
cours devant les juridictions de droit commun lors de son entrée en vigueur.
Les détenus ne disposent d’aucun recours. La seule garantie qu’ils aient contre la torture est
l’interdiction qui en est faite dans le Military Commissions Act. Reste que, comme en France,
la pratique s’éloigne souvent du droit. « Le Comité international de la Croix Rouge a écrit
dans son rapport de novembre 2004 que les militaires étasuniens ont intentionnellement
utilisé des moyens de coercition psychologiques et parfois physiques qui “s’apparentent à de
la torture” sur les prisonniers de Guantanamo »1. « L’Union américaine pour les libertés
civiles (ACLU) indique avoir des preuves que des agents fédéraux ont perpétré de
nombreuses violences contre des détenus étrangers comme “tremper la main d’un prisonnier
dans l’alcool avant d’y mettre le feu, administrer des chocs électriques, infliger des violences
sexuelles répétées y compris la sodomie à l’aide d’une bouteille” et la nouvelle pratique du
supplice de la baignoire, en “attachant le détenu sur une planche, la tête plus bas que les
pieds et en faisant ruisseler de l’eau sur la tête, ce qui provoque une insupportable sensation
de noyade” »2.
B ) Du droit d’accès au secret des charges retenues et des preuves de
l’accusation
Le droit d’accès aux charges retenues et aux preuves de l’accusation est la condition sine qua
non de l’exercice des droits de la défense. Comment se défendre si on ne sait pas de quoi on
est accusé ? Comment contredire les preuves avancées par l’accusation si on n’y a pas accès ?
Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et la grande criminalité, la France a institué la
procédure du témoin anonyme ( 1 ) qui empêche dans les faits la défense de remettre en cause
un témoignage. A Guantanamo, la règle du secret a été étendue à toutes les pièces de
procédure dont la divulgation mettrait en péril la sécurité des Etats-Unis ( 2 ).
LEWIS Neil A., « Red Cross Finds Detainee Abuse in Guantánamo »; New York Times, 30 novembre 2004
Disponible sur http://newsmine.org/archive/security/terror-suspects/torture/red-cross-finds-detainee-abuse-inguantanamo.txt
Nous ne sommes pas en mesure de citer le rapport du CICR car celui-ci est confidentiel. Neil LEWIS qui
travaille à Washington déclare que des contacts à la Maison Blanche lui ont communiqué l’information.
2
Michel Muller, « Quand Washington légalise la torture » ; l’Humanité, 17 octobre 2006 ;
Disponible sur http://www.fairelejour.org/article.php3?id_article=1240
1
109
1 ) En France : la procédure du témoin anonyme
Le droit français ne permet pas que le motif de l’accusation ou les preuves à charge ne soit
pas communiqués, même à une personne soupçonnée de terrorisme. L’article préliminaire du
Code de procédure pénale, relatif à la présomption d’innocence, dispose que toute personne
poursuivie « a le droit d’être informé des charges retenues contre elle ». Le principe du
contradictoire et de l’égalité des armes entre les parties impose la communication de toutes les
pièces du dossier.
Par contre, au lendemain des attentats de New-York, la loi sur la sécurité quotidienne a
institué la procédure du témoin anonyme (article 706-57 du CPP). Initialement, son champ
d’application était limité aux procédures relatives à des infractions punies de plus de cinq ans
de prison. La loi du 9 septembre 20021 l’a étendue aux infractions punies de trois ans de
prison (c’est le cas de l’ensemble des infractions terroristes). Aucune des deux lois précitées
n’a été déférée au Conseil Constitutionnel.
La procédure a été mise en place pour protéger les témoins de pressions ou de représailles,
afin de briser la loi du silence dans certains milieux. De plus, le témoignage anonyme permet
aux agents de l’Etat qui ont infiltré une organisation criminelle°–°terroriste par exemple°–° de
témoigner sans risquer de subir des vengeances contre eux ou leurs familles. Ils pourront par
ailleurs infiltrer de nouveau des organisations criminelles. Reste que la procédure du témoin
protégé anonyme porte atteinte aux droits de la défense car elle empêche la mise en cause de
la personnalité du témoin par la personne poursuivie. En ne permettant pas la comparution du
témoin, elle empêche aussi la personne poursuivie de voir les réactions du témoin lors de sa
déclaration et quand il répond aux questions. Comment s’assurer que le témoin n’est pas
motivé par une volonté de se venger ? Ou qu’il n’a pas été influencé par la police dans ses
déclarations ?
Afin de garantir les droits de la défense, l’anonymat du témoin est encadré et conditionné.
Premièrement, ne pourront témoigner anonymement que « les personnes à l'encontre
desquelles il n'existe aucune raison plausible de soupçonner qu'elles ont commis ou tenté de
commettre une infraction et qui sont susceptibles d'apporter des éléments de preuve
1
Loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice ; J.O n° 211 du 10
septembre 2002 page 14934 ; NOR: JUSX0200117L
110
intéressant la procédure » (article 706-57 du CPP). L’appréciation de cette condition revient
au Procureur de la République ou au juge d’instruction.
Ensuite, il faut que l’audition du témoin soit « susceptible de mettre gravement en danger la
vie ou l'intégrité physique de cette personne, des membres de sa famille ou de ses proches ».
La décision (motivée) d’anonymat est prise par « le juge des libertés et de la détention, saisi
par requête motivée du procureur de la République ou du juge d'instruction (…).Cette
décision n'est pas susceptible de recours sous réserve des dispositions (…) de l’article 70660. (…) » (article 706-58). L’article 706-59 punit de cinq ans d'emprisonnement et de
75°000 euros d'amende le fait de révéler l’identité du témoin protégé.
Parallèlement aux contrôles juridictionnels que nous venons d’évoquer, l’article 706-60 vise
la protection des droits de la défense : « les dispositions de l'article 706-58 ne sont pas
applicables si, au regard des circonstances dans lesquelles l'infraction a été commise ou de la
personnalité du témoin, la connaissance de l'identité de la personne est indispensable à
l'exercice des droits de la défense ». La personne poursuivie peut contester le recours à la
procédure du témoin anonyme devant le président de la chambre d’instruction. Celui-ci
« statue par décision motivée qui n'est pas susceptible de recours (…). S'il estime la
contestation justifiée, il ordonne l'annulation de l'audition. Il peut également ordonner que
l'identité du témoin soit révélée à la condition que ce dernier fasse expressément connaître
qu'il accepte la levée de son anonymat ».
Si le président de la chambre d’instruction ne fait pas droit à sa requête, la personne
poursuivie peut « demander à être confrontée avec un témoin [anonyme] par l'intermédiaire
d'un dispositif technique permettant l'audition du témoin à distance ou à faire interroger ce
témoin par son avocat par ce même moyen. La voix du témoin est alors rendue non
identifiable par des procédés techniques appropriés » (article 706-61). Ce dispositif ne
permet pas d’apprécier les réactions du témoin aux questions et de juger de leur fiabilité.
L’article 706-62 vient préciser qu’aucune « condamnation ne peut être prononcée sur le seul
fondement de déclarations recueillies dans les conditions prévues par les articles 706-58 et
706-61 ».
La procédure du témoin anonyme ne permet pas la sanction d’un faux témoignage (prévue par
l’article 434-13 du Code pénal). En effet, il est de jurisprudence constante que « le faux
111
témoignage ne peut résulter que d’une déclaration faite sous la foi du serment »1. Or
l’ensemble des dispositions du CPP relatives au témoin protégé anonyme ne prévoient pas de
serment. Cet oubli semble très dangereux à la fois pour les droits de la défense et pour la
bonne administration de la justice : elle ouvre la porte à des délations malveillantes non
punissables.
La procédure française du témoin anonyme contredit l’article 6 §3 d) de la CESDH qui
dispose que « tout accusé a droit notamment à (…) interroger ou faire interroger les témoins
à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes
conditions que les témoins à charge ».
Pour la CEDH, « certes, l'article 6 (art. 6) ne requiert pas explicitement que les intérêts des
témoins en général, et ceux des victimes appelées à déposer en particulier, soient pris en
considération. Toutefois, il peut y aller de leur vie, de leur liberté ou de leur sureté, comme
d'intérêts relevant, d'une manière générale, du domaine de l'article 8 de la Convention.
Pareils intérêts des témoins et des victimes sont en principe protégés par d'autres
dispositions, normatives, de la Convention, qui impliquent que les Etats contractants
organisent leur procédure pénale de manière que lesdits intérêts ne soient pas indument mis
en péril. Cela posé, les principes du procès équitable commandent également que, dans les
cas appropriés, les intérêts de la défense soient mis en balance avec ceux des témoins ou des
victimes appelés à déposer »2. Les procédures de témoin anonyme ne sont donc pas, par
principe, contraires à la Convention. Il ressort de l’ensemble de la jurisprudence de la Cour
qu’il est nécessaire que les personnes poursuivies aient pu interroger ou faire interroger les
témoins, même dans des conditions permettant de sauvegarder leur anonymat3.
Reste que pour les juges de Strasbourg, « une condamnation ne peut se fonder uniquement, ni
dans une mesure déterminante, sur des déclarations anonymes »4. Or la législation française,
si elle interdit qu’une condamnation soit fondée uniquement sur un témoignage anonyme,
permettrait qu’une telle décision se fonde « dans une mesure déterminante », essentiellement,
sur un témoignage sous X. De ce fait, il est possible que la France soit condamnée par la Cour
Européenne.
1
CCass, crim. 20 mai 1958 ; Bull. crim. n°408
CEDH, DOORSON c. Pays-Bas, 23 mars 1996; recueil 1996-II, §70
3
Voir par exemple CEDH, KOSTOVSKI c. Pays-Bas, 20 novembre 1989 ; A166
4
CEDH, DOORSON c. Pays-Bas ; op cit, §76.
2
112
On peut s’interroger sur l’efficacité d’une telle mesure. Elle ouvre la porte à des dénonciations
et témoignages mensongers et même calomnieux, sans permettre à la personne poursuivie de
les contredire réellement. Par ailleurs, si ni le suspect ni son avocat ne connaissent l’identité
du témoin protégé, ce dernier aura dû donner son nom et son adresse aux policiers ou aux
gendarmes, au parquet, au juge d’instruction, au juge des libertés et de la détention ; son nom
sera connu des greffiers, des secrétaires et pourra être consulté dans les archives par le
personnel administratif. Dans le cadre de réseaux terroristes puissants, on ne peut garantir
l’ensemble du personnel des Palais de Justice contre des pressions et menaces.
2 ) Aux Etats-Unis, l’extension de la règle du secret
Le sixième amendement de la Constitution des Etats-Unis dispose que « dans toute poursuite
criminelle, l’accusé aura le droit (…) d’être instruit de la cause et de la nature de
l’accusation, d’être confronté avec les témoins à charge, d’exiger par des moyens légaux la
comparution de témoins à décharge (…) ». Seulement ce droit ne profite pas aux prisonniers
de Guantanamo.
a ) Les fortes réticences quant à la communication des charges
La section 3 du Military Commissions Act (sous-chapitre III, phase préparatoire du jugement)
dispose que « l’accusé sera informé des charges retenues contre lui dès que possible (…).
[Son défenseur] recevra une copie des charges (…) qui seront données en anglais et, si
nécessaire, dans une autre langue que l’accusé comprend ».
Seulement, il y a le droit d’un côté et la pratique de l’autre. Les détenus qui ont un avocat ont
des difficultés à obtenir la communication des charges, peut-on penser que ceux qui n’ont pas
de conseil sont mieux avertis ?
De plus, de nombreux écrits relatent des problèmes de traduction. Parmi eux, les
« observations d’Amnesty International sur le procès d’Abdul ZAHIR »1, un ressortissant
afghan accusé de plusieurs inculpations de conspiration, notamment de complicité avec un
groupe de personnes qui auraient jeté une grenade à main dans une voiture transportant des
journalistes. « L’absence de traduction adéquate, problème qui avait gêné les audiences dès
1
« Observations d’Amnesty International sur le procès d’Abdul ZAHIR », 4 avril 2006
Disponible sur http://web.amnesty.org/library/Index/FRAAMR510632006
113
le début, s’est à nouveau posé le premier jour de cette suite d’audiences. (…). Abdul ZAHIR
parle farsi, mais les chefs d’inculpation lui ont été signifiés en anglais, arabe et pashtoune.
Aucun interprète farsi n’était disponible pour servir de traducteur à Abdul ZAHIR et, par un
détournement du règlement même de la commission, le propre interprète d’Abdul ZAHIR s’est
vu demander de servir de traducteur à la fois pour le tribunal et pour l’accusé. Le procureur
en chef et le bureau des commissions militaires ont été interrogés à ce sujet, mais n’ont su ni
l’un ni l’autre expliquer l’absence d’un interprète farsi. Amnesty International constate avec
grande inquiétude que, deux ans après avoir identifié ZAHIR comme susceptible d’être jugé
par une commission militaire et deux mois après l’avoir inculpé, les autorités de la
commission n’ont pas été capable de produire un traducteur adéquat »1.
b ) La non communication des preuves confidentielles
Pour ce qui est des preuves, la loi prévoit que leur recevabilité sera appréciée par la
commission, sans recours possible (section 3, sous chapitre IV, procédure devant les
commissions). Elles doivent aussi être communiquées aux prisonniers et à leurs avocats sauf
si elles mettent en jeu la sureté des Etats-Unis d’Amérique : « les informations des services
secrets doivent être protégés de la divulgation si cette divulgation se faisait au détriment de la
sécurité nationale. Cette règle s’applique à tous les stades de la procédure devant les
commissions militaires ». Même dans un jugement prononçant la peine de mort, le condamné
ne pourrait pas prendre connaissances des preuves rassemblées contre lui. La classification
« secret défense » ressort de la compétence du « chef de l’exécutif ou du chef du ministère de
la défense ». Sont considérées comme secrètes les pièces déjà qualifiées de confidentielles et
celles dont la Commissions estime que la divulgation mettrait en péril la sureté des EtatsUnis.
Le juge militaire pourra ordonner la communication d’une pièce confidentielle, en effaçant les
données devant rester secrètes ou en ne communicant qu’une partie du document.
Qui plus est, la loi impose à la commission militaire de « protéger de la divulgation les
sources, méthodes ou activités qui ont permis aux Etats-Unis d’acquérir des preuves, si la
commission pense que les sources, méthodes ou activités sont confidentielles ».
L’audience de Mustafa AIT IDIR devant la juge fédérale de district Joyce HENS GREEN
illustre le fait qu’il est impossible de se défendre dans de telles conditions. Le 31 janvier 2005
1
Le jugement d’Abdoul ZAHIR s’est fait sous l’empire de la loi invalidée par les juges mais dont les
dispositions ont été reprises par le Military Commissions Act.
114
(avant l’entrée en vigueur du Military Commissions Act, sous l’empire d’une loi similaire sur
ce point), la juge fédérale statuait sur la légalité de la détention de Mustafa AIT IDIR.
Lorsque la juge lui a lu l’accusation selon laquelle il «°était en relation avec un agent connu
d’Al Qaida°» quand il vivait en Bosnie, Mustafa AIT IDIR a demandé quel était le nom de cet
agent et la présidente du tribunal a répondu qu’elle l’ignorait. Mustafa AIT IDIR a alors
répliqué : « c’est quelque chose que les enquêteurs m’ont dit depuis longtemps. Je leur ai
demandé qui était cette personne. J’aurais pu dire alors si je l’avais connue, mais je n’aurais
pas pu dire si c’était un terroriste. Peut-être aurais-je pu dire si j’avais avec elle des liens
d’amitié, ou si c’était quelqu’un qui travaillait avec moi ou qui faisait partie de mon équipe.
Mais je ne sais pas si cette personne est bosniaque, indienne ou autre chose. Si vous me dites
son nom je pourrais répondre et me défendre contre cette accusation ». Quand on lui a dit
qu’il avait été arrêté parce qu’il était soupçonné d’avoir participé à un projet d’attentat à la
bombe contre l’ambassade des États-Unis à Sarajevo, Mustafa AIT IDIR a, de nouveau,
demandé à être informé des preuves existant contre lui. En l’absence de telles preuves, il a dit
« vous me dites que j’ai participé à un projet d’attentat à la bombe, je ne peux que vous dire
que ce n’est pas le cas ».
c ) La validité des témoignages par ouï-dire, ou la négation du droit de contre-interroger un
témoin.
Pour ce qui est des témoins à charge, le Military Commissions Act dispose qu’il «°devra être
permis à l’accusé de (…) contre-interroger le témoin qui a témoigné contre lui », ce contreinterrogatoire pouvant être effectué par son avocat (section 3, sous chapitre IV). Reste que la
loi prévoit ensuite l’admissibilité des preuves par ouï-dire alors qu’elles ne sont pas admises,
comme le rappelle la loi, devant les Cours martiales et les juridictions étasuniennes de droit
commun. En conséquence de cela, les dires d’un témoin à charge seront recevables même si le
témoin ne comparaît pas et que ses propos son rapportés par un tiers, y compris un membre
des forces armées étasuniennes. La loi laisse ouverte la possibilité pour la défense de faire
rejeter les preuves par ouï-dire, si elle « prouve que la preuve n’est pas en lien avec l’affaire
ou qu’elle manque de force probante »… Cela semble difficilement réalisable dans les faits.
La validité des preuves par ouï-dire, dans des procès où la peine de mort est encourue, est
particulièrement attentatoire aux droits de la défense, empêchant leur exercice. Rappelons que
nombre de détenus de Guantanamo ont été dénoncés par des civils en Afghanistan ou en Irak.
Ces civils avaient alors droit à une prime en application de la Section 3077 du titre 18 du
115
Code des Etats-Unis. Dans un contexte de guerre et alors que les populationss manquaient de
tout pour vivre, on peut imaginer que beaucoup de civils ont été prêts à dénoncer leur voisin
pour quelques salvateurs dollars ou bien pour se venger.
C ) Du droit d'être assisté par un défenseur à la réalité
Le droit d’être assisté d’un défenseur est un droit de l’Homme dans tous les Etats de droit.
Comme tous les droits fondamentaux, il est restreint ou nié dans le cadre de la lutte contre le
terrorisme. Il est restreint en France où la procédure retarde l’intervention de l’avocat au
troisième jour de la garde à vue, c'est-à-dire après 72 heures d’interrogatoire ( 1 ). A
Guantanamo, ce droit existe mais l’administration met en œuvre tous les moyens, légaux ou
non, pour le nier ( 2 ).
1 ) En France, l’intervention de l’avocat est retardée à la 72ème heure de la garde à vue
Le droit à un avocat est garanti en procédure pénale française pas l’ensemble des dispositions
du Code de procédure pénale qui envisagent la consultation d’un conseil dès le début de la
garde à vue et sa présence devant toutes les juridictions de jugement. En outre, l’article
6°§3°c) de la CESDH dispose que « tout accusé [d’une infraction pénale] a droit notamment
à (…) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur (…) ». En matière de
terrorisme, aucune disposition n’empêche l’assistance ou la représentation par un conseil.
Nous nous intéresserons ici à la garde à vue où le terrorisme fait figure d’exception quant à la
durée de la mesure et quant au moment d’intervention de l’avocat (notons que l’article 6 de la
CESDH s’applique aussi à la phase préparatoire du procès1).
Dans les procédures de droit commun, le principe est le suivant : le conseil intervient dès le
début de la garde à vue et à chaque renouvellement de celle-ci (article 63-4 du CPP). Une
garde à vue est décidée par un Officier de Police Judiciaire (OPJ) dans le cadre d’une enquête
préliminaire, d’une enquête de flagrance ou d’une instruction et dure en principe vingt quatre
heures, renouvelable pour le même durée une seule fois (article 63, 77 et 154 du CPP).
1
Voir par exemple CEDH, IMBRIOSCIA c. Suisse, 24 novembre 1993 ; requête no13972/88 ; A275
116
En matière de terrorisme, c’est l’article 706-88 du CPP qui s’applique. Il dispose que « (…) si
les nécessités de l'enquête ou de l'instruction relatives à l'une des infractions entrant dans le
champ d'application de l'article 706-73 [dont les infractions terroristes] l'exigent, la garde à
vue d'une personne peut, à titre exceptionnel, faire l'objet de deux prolongations
supplémentaires de vingt-quatre heures chacune.(…) Si la durée prévisible des investigations
restant à réaliser à l'issue des premières quarante-huit heures de garde à vue le justifie, le
juge des libertés et de la détention ou le juge d'instruction peuvent décider (…) que la garde à
vue fera l'objet d'une seule prolongation supplémentaire de quarante-huit heures. Lorsque
l'enquête porte sur une infraction entrant dans le champ d'application des 3º et 11º de
l'article 706-73 [dont les infractions terroristes (11°)], l'entretien avec un avocat ne peut
intervenir qu'à l'issue de la soixante-douzième heure ». Depuis la loi du 23 janvier 2006
(article 17) 1, « s'il ressort des premiers éléments de l'enquête ou de la garde à vue elle-même
qu'il existe un risque sérieux de l'imminence d'une action terroriste en France ou à l'étranger
ou que les nécessités de la coopération internationale le requièrent impérativement, le juge
des libertés peut (…) décider que la garde à vue en cours d'une personne, se fondant sur l'une
des infractions visées au 11° de l'article 706-73, fera l'objet d'une prolongation
supplémentaire de vingt-quatre heures, renouvelable une fois. A l'expiration de la quatrevingt-seizième heure et de la cent-vingtième heure, la personne dont la prolongation de la
garde à vue est ainsi décidée peut demander à s'entretenir avec un avocat (…) ».
Une personne soupçonnée de terrorisme pourra être gardée à vue en tout pendant 6°jours
(144°heures) et n’aura le droit de s’entretenir avec son avocat qu’au bout de trois (72°heures),
quatre (96 heures) et cinq jours (120 heures).
Les entretiens avec l’avocat se dérouleront en respect des dispositions de droit commun, à
savoir qu’ils seront confidentiels et dureront trente minutes maximum (article 63-4 du CPP).
Aucune disposition ne prévoit l’accès de l’avocat au dossier de l’affaire pendant la garde à
vue. « Dans ces circonstances, l’avocat est un peu plus qu’un observateur et peut faire peu, si
ce n’est rien, pour fournir un conseil juridique solide à son ou sa cliente »2.
Durant toute la garde à vue, à l’exception des périodes où l’avocat est présent, la personne
poursuivie est interrogée par les forces de police ou de gendarmerie et ses déclarations sont
1
Loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses
relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers ; J.O n° 20 du 24 janvier 2006 page 1129 ; NOR:
INTX0500242L
2
Human Rights Watch, « Lettre de Human Rights Watch sur le projet de loi sur la lutte contre le terrorisme », 9
décembre 2005
Disponible sur http://hrw.org/french/docs/2005/12/09/france12235_txt.htm
117
recevables devant les juridictions de jugement. Or les interrogatoires durent, en matière de
terrorisme, trois jours sans que l’individu ait pu s’entretenir avec son avocat ; et les agents de
police ou de gendarmerie n’ont pas l’obligation de notifier au gardé à vue son droit de garder
le silence. La durée même de la garde à vue, conjuguée avec l’isolement de l’individu,
constitue un moyen de pression susceptible d’amener la personne poursuivie à avouer des
crimes ou délits qu’il ou elle n’a pas commis. Qui plus est, durant les trois premiers jours, le
gardé à vue ne peut, dans les faits, contester sa détention puisqu’il est retenu dans les locaux
de la police ou de la gendarmerie et ne peut donner procuration à son avocat.
Une fois encore, la lutte contre le terrorisme et la prévention de telles attaques justifient des
dérogations extraordinaires aux droits de la personne humaine, en l’espèce aux droits de la
défense. Aucune juridiction n’a jugé ce retardement de l’intervention de l’avocat
inconstitutionnel ou inconventionnel. Pourtant, si la CEDH estime que l’article 6 de la
CESDH n’impose pas la présence de l’avocat durant toute la garde à vue1, ce n’est pas l’avis
de la totalité de ses juges. Pour la juge européenne LOPES ROCHA, « le droit de l’accusé à
l’assistance d’un défenseur en toute phase de la procédure est, d’après les codes de
procédure pénale européens les plus modernes, un acquis passant pour la réalisation la plus
parfaite des droits de la défense et, par là même, d’une procédure équitable visant à garantir
à l’intéressé une condition toujours plus solide et effective de partie au procès. Assurément, la
jouissance d’un tel droit se justifie particulièrement dans les phases initiales de la procédure,
où l’accusé se trouve dans une situation assez déséquilibrée face aux autorités de
poursuite »2. Dès 1997, le Comité des droits de l'Homme des Nations Unies avait exprimé ses
inquiétudes concernant l'absence d'accès à un avocat pendant les 72 premières heures de garde
à vue en France. Il avait alors recommandé que les lois anti-terroristes « soient mises en
complète conformité avec les conditions de l’article 14 du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques » (« droit à communiquer avec le conseil de son choix ») 3.
1
Par exemple, CEDH, IMBRIOSCIA c. Suisse ; op cit.
Opinion dissidente de la juge LOPES ROCHA sous l’arrêt CEDH, IMBRIOSCIA c. Suisse ; op cit.
3
Comite des droits de l’Homme des Nations Unies, Observations finales: France, CCPR/C/79/Add.80, 4 aout
1997, paragraphe 23.
2
118
2 ) Aux Etats-Unis, le droit des prisonniers à un conseil est soumis à de nombreux obstacles
La première fois que des avocats ont pu rencontrer des prisonniers de Guantanamo, c’était le
30 août 2004, c'est-à-dire plus de trois ans après l’incarcération des premiers détenus.
Pourtant, le sixième amendement de la Constitution des Etats-Unis dispose que « dans toute
poursuite criminelle, l’accusé aura droit (…) d’être assisté d’un conseil pour sa défense ».
Le Military Commissions Act ne prévoit pas l’assistance d’un avocat devant le tribunal
compétent pour octroyer le bénéfice du statut de prisonnier de guerre mais ne l’interdit pas
non plus. A l’inverse, il impose un avocat militaire devant les commissions et laisse possible
l’assistance d’un avocat civil. « Si l’accusé est représenté par un conseil civil, le conseil
militaire aura le rôle d’un assistant-conseil ».
En application du Military Commissions Act of 2006, un avocat militaire, pour défendre un
détenu de Guantanamo, doit « être diplômé d’une faculté accréditée de droit ou être membre
du barreau d’une Cour fédérale ou d’une Haute Cour d’Etat », il doit « être certifié
compétent pour sa mission par un avocat général de l’armée à laquelle il appartient ».
Un avocat civil doit quant à lui être un citoyen étasunien, être inscrit au barreau d’une Cour
d’Etat, de district ou d’une Cour fédérale. Il ne doit pas avoir fait l’objet d’une sanction
disciplinaire devant une Cour, un tribunal ou une autorité gouvernementale. Il doit avoir reçu
une accréditation pour l’accès à des informations secrètes. Il doit avoir signé un accord écrit
où il déclare accepter de se conformer aux règles de procédure des commissions. Il ne devra
pas divulguer les informations secrètes auxquelles il pourrait avoir accès. Autrement dit, le
choix de l’avocat n’est pas réellement libre. La première restriction tient à l’exigence que
l’avocat soit étasunien alors qu’a priori tous les détenus de Guantanamo sont étrangers.
Ensuite, il doit être accrédité par le gouvernement.
Comme toujours, il y a le texte de droit d’un côté et la pratique de l’autre.
Amnesty International a publié une interview d’un des avocats du « barreau de
Guantanamo », Clive STANFORD SMITH. Il explique la difficulté de convaincre des avocats
étasuniens de défendre les présumés terroristes. Lorsqu’il a contacté des collègues, « les
réactions ont été réservées, pour ne pas dire glaciales. L’Amérique était sous le choc du 11
septembre. L’idée d’une prison secrète pour les suspects terroristes ne choquait personne. Et
119
la crainte d’être accusés d’être de mauvais patriotes paralysait nombre d’avocats »1. Le
temps passe et les soutiens se multiplient « mais cela prendra encore des mois tant le
département de la justice multiplie les barrages administratifs et tarde à donner aux avocats,
après passage au crible de leur passé, le feu vert des services de sécurité. Une fois ce saufconduit obtenu, reste à organiser avec Washington les dates des séjours, obtenir le droit de
rencontrer les clients souhaités, prévoir d’y emmener un interprète (difficile -et coûteux !- de
recruter des citoyens américains parlant arabe, ourdou, dari, pachtou ou ouïgour, et
acceptant d’affronter l’examen scrutateur de la police) »2. Autorisées au début de 08h00 à
17h00, 7 jours sur 7, les visites sont désormais restreintes : de 09h00 à 11h30, puis de 13h30 à
16h30, 5 jours sur 7. Clive STAFFORD SMITH déplore que « de soixante-cinq heures de
travail possible par semaine, on est passé à trente ! Quand on se rend à Guantanamo, ce
n’est pourtant pas pour prendre des vacances, mais pour être efficace ! Or tout est fait pour
compliquer, ralentir, entraver le travail des avocats. Il a fallu que Wells DIXON [un autre
avocat] attende quatre jours l’autorisation de montrer à son client une simple photo »3.
Une fois accrédités pour défendre les prisonniers de Guantanamo, les avocats doivent
composer avec le règlement intérieur de la base.
Non seulement l’administration étasunienne ne facilite pas le travail des avocats, mais elle ne
leur fournit pas les moyens nécessaires au bon accomplissement de leurs missions. C’est le
cas, même pour les avocats militaires : « l’équipe chargée de la défense manque toujours de
ressources. Le commandant FLEENER a été rappelé en service actif pour s’occuper de cette
affaire il y a trois mois à peine, tout en étant affecté à un autre procès. En revanche,
l’accusation comptait trois procureurs présents dans la salle d’audience et en évoquait un
quatrième »4.
Les militaires de Guantanamo vont jusqu’à tenter de rendre totalement inutiles les visites des
avocats. « Le détenu n’est pas toujours dans les meilleures dispositions pour recevoir son
conseil. On ne l’a pas prévenu de la visite, mais on l’a brutalement réveillé en pleine nuit,
quelques jours plus tôt, pour le transférer, menotté, cagoulé, au camp Echo [de très haute
Amnesty International, « INFO/ Guantanamo et nouvelle loi antiterroriste », 17 novembre 2007 ;
Disponible sur http://inside.amnestyinternational.be/cgi-bin/mail.cgi/archive/ndp/20061117111614/
2
Amnesty International, « INFO/ Guantanamo et nouvelle loi antiterroriste » ; op cit
3
Amnesty International, « INFO/ Guantanamo et nouvelle loi antiterroriste » ; op cit.
4
Amnesty International ; « Commissions militaires de Guantanamo : notes de l’observateur d’Amnesty
International concernant les audiences », 13 janvier 2007 ;
Disponible sur http://web.amnesty.org/library/Index/FRAAMR510142006
1
120
sécurité] et le soumettre à un isolement total. Cela commence donc par une punition. Et cela
continue, car après le départ de l’avocat, le prisonnier reste reclus dans sa cellule une
dizaine de jours, parfois soumis à 30, voire 40 interrogatoires à la suite. Et puis, explique
Clive STAFFORD SMITH, “un formidable travail de sape est opéré. D’abord, des
interrogateurs de l’armée se sont souvent fait passer auprès des détenus pour leurs avocats,
entraînant une légitime suspicion lorsque nous arrivons. Ensuite, il leur est affirmé que leurs
avocats sont juifs. Et même... homosexuels ! Cela me ferait rire si je ne savais la gravité de
cette stigmatisation dans certains pays islamiques, et je m’empresse de montrer mon alliance
en guise de démenti”. Gagner la confiance des prisonniers peut donc prendre du temps.
Certains avocats qui ont fait le déplacement en Orient sont aidés par le courrier dont les a
chargés la famille. Tom WILNER a même eu recours à des DVD dans lesquels les parents de
ses clients les encourageaient à lui faire confiance »1.
La confidentialité, inhérente à la fonction d’avocat, est absente de Guantanamo. « Chaque
soir, avant de reprendre le ferry, les avocats doivent remettre aux militaires les notes prises
pendant leurs visites. Les pages sont numérotées, placées dans des enveloppes scellées et
envoyées par courrier, à la fin de leur séjour, à Washington où des juristes du département de
justice décideront de leur classification comme secret défense ou de leur éventuelle
déclassification, le tout pouvant prendre des semaines. “Au début, toutes mes notes sur la
torture ont été censurées, comme les courriers de nos clients, et comme une lettre que j’avais
écrite sur le sujet à Tony BLAIR, raconte Clive STAFFORD SMITH. Il est également arrivé
que l’administration “perde” par la poste des documents précieux. C’est à devenir fou !” Des
entraves effarantes pour ces avocats non rémunérés, qui savent que la meilleure façon
d’aider leurs clients est d’ébruiter les informations sur ce qui se passe réellement à
Guantanamo, mais qui risquent en même temps de lourdes peines d’emprisonnement s’ils
passent outre la censure »2.
Le gouvernement étasunien, face à l’obligation qui lui est faite de laisser les avocats entrer à
Guantanamo, essaie de décourager les conseils. « Selon une note confidentielle envoyée à
Reporters Sans Frontières, Clive STAFFORD-SMITH a été menacé d’emprisonnement par un
militaire de la base de Guantanamo, dans la matinée du 5 août 2006. L’avocat a demandé ce
COJEAN Annick, « Etats-Unis : avocat dans l’enfer de Guantanamo », Le monde 14 novembre 2006
Disponible sur http://www.interet-general.info/article.php3?id_article=8182
2
COJEAN Annick, « Etats-Unis : avocat dans l’enfer de Guantanamo » ; op cit
1
121
jour-là à rencontrer deux clients (…). Le gradé a prétendu que ces derniers refusaient de le
rencontrer. Etonné, Clive STAFFORD-SMITH s’est vu aussitôt accusé d’avoir violé les règles
de procédure en incitant l’un des ses clients, le Saoudien Shaker AAMER (“numéro 239”) à
mener une grève de la faim. L’avocat n’avait même pas pu rencontrer ce dernier lors de sa
visite précédente un mois plus tôt. Le militaire a menacé Clive STAFFORD-SMITH de saisir
le ministère fédéral de la Justice afin d’obtenir son incarcération. Clive STAFFORD-SMITH
a confié avoir appris que durant les mois de juillet et d’août 2006, un autre de ses clients, le
Tchadien Mohammed EL GHARANI, avait été soumis à des pressions constantes de ses
gardiens pour le compromettre. Victime de tortures et d’insultes racistes, le jeune Tchadien
avait été placé, en mars 2006, auprès de Shaker AAMER au Camp Echo, afin de convaincre
ce dernier de cesser sa grève de la faim. Mohammed EL GHARANI a ensuite été forcé
d’avouer, sous peine d’internement en unité de sécurité maximale (Camp 5), que Shaker
AAMER lui aurait confié que Clive STAFFORD-SMITH était l’instigateur de sa grève de la
faim et du suicide de trois détenus, deux Saoudiens et un Yéménite. Clive STAFFORD-SMITH
n’a jamais été le défenseur des trois détenus en question, dont il ne connaît même pas les
noms »1.
Et l’administration n’en a pas fini avec les avocats du « barreau de Guantanamo ». En effet,
un éditorial du journal The Times, (supplément du Monde du 5 mai 2007) explique qu’il
« peut être difficile de dire qui l’administration BUSH considère le plus comme ennemi au
centre de détention de Guantanamo Bay : les prisonniers ou les avocats. William
GLABERSON a rapporté dans The Times que le ministère de la justice avait demandé à une
Cour d’appel fédérale de remettre en cause les derniers lambeaux des droits à la
représentation des prisonniers. Le gouvernement veut que la Cour autorise les officiers
militaires à lire les courriels envoyés par les avocats à leurs clients de Guantanamo. Les
avocats seraient aussi limités à seulement trois visites pour chaque client, et un détenu
n’aurait droit qu’à une visite pour décider si oui ou non il autorise le procureur à s’occuper
de son cas [donc s’il accepte d’être jugé]. (…) La proposition la plus scandaleuse du
département de la justice est d’interdire aux avocats l’accès aux preuves utilisées pour
décider si un détenu est ou non un combattant illégal. (…) Le dossier du département de la
justice dit que les avocats ont causé des agitations parmi les prisonniers et qu’ils ont d’une
RSF, « Les militaires de la base de Guantanamo tentent de compromettre l’avocat de Sami AL-HAJ », 27
septembre 2006 ;
Disponible sur http://www.rsf.org/article.php3?id_article=19010
1
122
manière déplacée relayé des messages des prisonniers dans les médias. L’administration n’a
apporté aucune preuve de ces accusations, probablement parce qu’il n’y en a pas. C’est une
injure à l’intégrité des avocats, qui rappelle l’ancienne allusion du Pentagone qui tendait à
dire qu’ils étaient “anti patriotes” et que les corporations étasuniennes devraient boycotter
leurs cabinets. Le ministère de la justice a aussi dit que les avocats n’avaient aucun droit à
demander l’accès à leurs clients de Guantanamo parce que ces derniers étaient des “détenus
étrangers dans une base militaire sécurisée située dans un pays étranger”. La Cour suprême
a déjà rejeté cet argument. (…) La raison pour laquelle l’administration attaque les avocats
est évidente. Elle ne veut pas que le monde en sache plus que ce qu’il sait déjà au sujet de ce
camp de détention immoral. De courageux avocats ont aidé à médiatiser les abus et tortures
qui s’y passent, de même que la détention de personnes innocentes – qui y sont une grande
partie, si ce n’est la majeure partie des détenus de Guantanamo Bay. L’administration BUSH
ne veut pas que ces problèmes soient évoqués en public, et certainement pas devant une Cour.
M. BUSH pense qu’il a le droit d’ignorer la Constitution. Mais les Etats-Unis sont un Etat de
droit (…), et donner des droits aux coupables comme aux accusés est le prix à payer pour une
vraie justice »1.
L’affaiblissement des droits de la défense des terroristes présumés peut-il tendre vers plus
efficacité de la lutte contre le terrorisme ? Pour obtenir des preuves ou des aveux contre un
innocent, certainement ! On sait que nombre d’innocents ont été sanctionnés pénalement suite
à des aveux obtenus sous la contrainte, celle-ci pouvant résulter de la seule longueur de la
garde à vue. Comment différencier coupable et innocent si l’on ne met pas les suspects en
mesure de contredire les preuves à charge ? Enfin, aux Etats-Unis comme en France, on
découvre la défiance des gouvernants envers les avocats. Les empêcher d’accéder à leurs
clients revient à isoler ces derniers, ce qui constitue un moyen de pression supplémentaire.
Sans parler du cas extrêmement grave des prisonniers de Guantanamo, on se demande
comment un innocent réagirait dans le cas où pendant six jours durant on le pressait à avouer
un crime qu’il n’a pas commis.
1
Editorial du Times, supplément du Monde du 5 mai 2007 ; p.2
123
Conclusion
Le terrorisme cherche à désorganiser l’Etat ; pour ne prendre qu’un exemple, les attentats de
2001 à New York ont visé des centres stratégiques pour les affaires (Word Trade Center),
pour l’armée (Pentagone) et pour la vie politique (Maison Blanche). Mais le but principal du
terrorisme reste d’ordre psychologique ; il a pour objectif, d’angoisser, d’apeurer, de terrifier
jusqu’à la tétanie, de devenir l’obsession de ses victimes, bref de terroriser comme son nom
l’indique et comme le souligne très bien l’incrimination de ces actes en France.
Le terrorisme fait peur car il est extrêmement violent (explosions, crash d’avion…) et surtout
car il frappe aveuglément et par surprise les populations civiles, « dans leur cadre de vie
quotidien, là où elles se croyaient absolument protégées (…). Il reste, à bien des égards et
malgré le travail des services de renseignement, souvent imprévisible »1.
Pourtant, devons-nous réellement craindre le terrorisme ? La crainte qu’il suscite est-elle
proportionnelle aux risques encourus ? Le bilan des attentats du World Trade Center le 11
septembre 2001 est de 2 973 morts et 24 disparus, de plusieurs milliers de personnes blessées
et de milliers d'autres, notamment parmi les sauveteurs, atteintes de maladies induites par
l'inhalation de poussières toxiques. Au plan mondial, la base de données de la Rand
Corporation et du Memorial d’Oklaoma City (MIPT Terrorism Knowledge Base - TKB2), qui
ne recense que les attentats « significatifs » à travers le monde, comptabilise 25 127 actes de
terrorisme entre le 1er janvier 1968 et le 3 février 2007. Ils ont causé en tout 34 361 morts et
85 804 blessés. « Mais, paradoxe des paradoxes, le terrorisme, quelle que soit l’ampleur de
ces chiffres est statistiquement insignifiant rapporté aux guerres mondiales, aux génocides et
autres épouvantes des régimes totalitaires et leurs dizaines de millions de morts »3. On estime
entre 200 000 et 400 000 le nombre de morts au Darfour ; en France, la route tue plus de
4 900 personnes et blesse plus de 105 000 individus chaque année4.
Le terrorisme, de part l’effet de surprise et grâce à la retransmission des images via les
médias, provoque une peur irrationnelle. C’est la raison pour laquelle les politiques menées en
matière de terrorisme ne visent pas seulement l’éradication du phénomène mais ont aussi pour
BONIFACE Pascal, « Vers la quatrième guerre mondiale ? » ; Aramnd Collin, Paris, mai 2005, ISBN : 220026909-9 ; 92.
2
Disponible sur http://www.tkb.org/
3
DAGUZAN Jean-François, « Terrorisme(s), abrégé d’une violence qui dure » ; op cit, p.12.
4
En 2006, sur l’ensemble du territoire français, les chiffres sont de 4 942 tués à trente jours et de 105 980 blessés
dont 41 869 blessés hospitalisés. « Synthèse générale de l’année 2006 » de l’Observatoire de la sécurité routière
disponible sur http://www.securite-routiere.gouv.fr/infos-ref/observatoire/accidentologie/Synthese.html
1
124
but de rassurer le public. On ne lutte pas seulement contre l’insécurité mais aussi contre le
sentiment d’insécurité. Cela est problématique car contrecarrer un sentiment ressort
évidemment de l’irrationnel, de l’émotion, or il faut penser la lutte contre le terrorisme avec
sang froid.
Cet aspect émotionnel de la lutte contre le terrorisme ressort très bien de l’urgence avec
laquelle les Etats ont légiféré au lendemain des attentats du 11 septembre 2001.
Ils ont pris des mesures temporaires qui ont toutes été pérennisées, elles perdureront tant
qu’elles seront jugées nécessaires. Or on serait bien incapables de dire quand la lutte française
ou la guerre étasunienne au terrorisme finiront.
En luttant contre le terrorisme par des moyens attentatoires aux droits de l’Homme, les
démocraties risquent de se perdre elles-mêmes, de perdre leurs valeurs fondatrices ; le risque
ne vient alors plus de l’extérieur mais de l’intérieur.
Les Etats-Unis comme la France entendent lutter préventivement contre le terrorisme. Ils
multiplient ainsi les contrôles de la population et privilégient le renseignement. Mais ils ne
semblent pas s’attaquer aux racines du terrorisme. Celles-ci se trouvent dans le
fondamentalisme islamique qui prône un certain type de jihad, le jihad défensif non
proportionné à l’attaque subie, voire le jihad offensif. Or si certains musulmans du Proche et
du Moyen Orient n’envisagent que le terrorisme pour défendre leur autonomie et leur culture,
c’est du fait d’un déficit des droits de l’Homme et de la démocratie dans ces régions du
monde. Nous pensons que seule la promotion de ces valeurs, qui permettent une expression
libre, modérée et pacifiste des idées, lutterait efficacement contre le terrorisme.
Bien au contraire, les moyens mis en place aujourd’hui nient les droits de l’Homme et les
valeurs démocratiques. Elles en deviennent contre-productives. Elles accréditent la
philosophie des terroristes selon laquelle la fin justifie les moyens et participent dès lors à la
légitimation de leur action. Comment croire que le fait de savoir que les terroristes sont
arbitrairement emprisonnés et torturés dissuadera les islamistes, qui ne sont pas encore passés
à l’acte, de le faire ? Bien sûr, une des fonctions essentielle de la sanction pénale est d’être
dissuasive. Mais encore faut-il qu’elle soit légale, comprise et acceptée.
125
Bibliographie
I ) Ouvrages
1 ) Dictionnaire
 Lexique des termes juridiques, 13ème édition, Dalloz
2 ) Manuel
 LE GUNEHEC Francis et DESPORTES Frédéric ; « Droit pénal général » ; Economica,
collection corpus droit privé ; octobre 2004 ; ISBN 2-7178-4866-5
 VERON Michel, « Droit pénal spécial » ; Sirey, Dalloz, 11ème édition 2006 ; ISBN
2247054951
3 ) Traités
 ADAM Alexandre, « Lutte contre le terrorisme : étude Comparative Union Européenne –
Etats-Unis » ; Editions L'Harmattan ; coll. Inter-National ; 13 janvier 2006 ; ISBN-13: 9782747594370
 BAUER Alain et RAUFER Xavier, « L’enigme Al-Qaida » ; éditions J.C. LATTES, avril
2005.
 BEAUFRE André, « Introduction à la stratégie », Hachette, collection pluriel, 1998.
 BONIFACE Pascal, « Vers la quatrième guerre mondiale ? » ; Armand Collin,
Paris, mai 2005, ISBN : 2200-26909-9.
 BOULOC B., « Le terrorisme » in Problèmes actuels de science criminelle, Presses
universitaires d'Aix-Marseille, 1989
 BOT Yves, « Orientations du parquet de Paris dans le domaine de la lutte contre le
terrorisme » ; paru dans le livre de l’association SOS Attentats, « Terrorisme, victimes et
responsabilité pénale internationale », édition Calmann-Levy, novembre 2003 ; ISBN : 27021-3426-2 ; p.239.
 BOURDON William, « Les détenus français à Guantanamo : un trou noir judiciaire » ;
paru dans le livre de l’association SOS Attentats, « Terrorisme, victimes et responsabilité
pénale internationale », édition Calmann-Levy, novembre 2003 ; ISBN : 2-7021-3426-2 ;
p.186
 CANTEGREIL Julien, « Terrorisme et libertés, la voie française après le 11 septembre » ;
Edition en temps réel, Collection les cahiers, n°20, Janvier 2005 ; ISBN : 2-915897-06-9
 CANTIE Philippe, « Au nom de l’antiterrorisme: les bibliothèques américaines face à
l’USA Patriot Act » ; Presses de l’enssib ; mars 2006, ISBN 2-910227-64-2
126
 DAGUZAN Jean-François, « Terrorisme(s), abrégé d’une violence qui dure » ; Paris,
CNRS éditions, carré sciences ; 2006
 FOERSTEL Herbert, « Refuge of a scoundrel : the USA Patriot Act in Libraries » ;
Westport, CT, Greenwood Press, 2004
 GAYRAUD J.F. et SENAT David, « Le terrorisme » ; PUF, Que sais-je ?; 2ème édition,
octobre 2006 ; ISBN 2 13 055866 6
 HARVEY Robert et VOLAT Hélène, « USA PATRIOT ACT, de l’exception à la règle°» ;
Editions Lignes & Manifestes, collection Essais ; février 2006 ; ISBN : 2-84938-048-2
 JEAGER Paul, Mc CLURE Charles, BERTOT John, SNEAD John, « The USA Patriot Act,
the Foreign Intelligence Surveillance Act, and information policy research in libraries :
issues, impacts, and questions for libraries and researchers » ; Library Quaterly, avril 2004,
vol.74, n°2
 LEONE Richard, ANRIG Gregory (ed.), « The war on our freedom » ; New York, Public
Affairs, 2003
 LEVI-LAVENSI Jacqueline, GARAPON Antoine et SALAS Denis, « Réflexions
sur le terrorisme » ; Paris, Nicolas Philippe, 2002
 MARTHOZ Jean-Paul, « La liberté de la presse » ; paru dans BRIBOSIA Emmanuelle et
WEYEMBERGH Anne, « Lutte contre le terrorisme et droits fondamentaux », Edition
Nemesis Bruylant, collection Droit et Justice, 2002, ISBN : 2-8027-1606-9 ; p.297
 MINOW Mary, LIPINSKI Thomas, « The Library’s legal anwer book » ; Chicago, ALA,
2003
 PETREMANN Simon et GOENS Olivier, « Réflexions sur l’histoire du terrorisme » ; in
« Terrorisme, regards croisés », dir. MICHEL Quentin ; Presses Interuniversitaires
Européennes, collection Non Prolifération ; Bruxelles, 2005 ; ISBN 90-5201-255-5
 ROTH Keneth, « Les droits de l’Homme et la campagne anti-terroriste » ; publié p. 79 et 80
dans BRIBOSIA Emmanuelle et WEYEMBERGH Anne, « Lutte contre le terrorisme et droits
fondamentaux », Edition Nemesis Bruylant, collection Droit et Justice, 2002, ISBN : 2-80271606-9
4 ) Littérature non juridique
 ORWELL George, « 1984 » ; Galimard, Folio, novembre 1972, ISBN 207036822X
 SCHMITT Carl, « Le Nomos de la Terre », PUF-Léviatan, 2001
II ) Travaux et publications
1 ) Presse
 BORRADORI Giovana, interview de DERRIDA Jacques (philosophe et écrivain, 19302004), «Entretiens sur le “concept” du 11 septembre » ; Le Monde Diplomatique, février
2004.
 CAMPIOTTI Alain, « La dérive totalitaire aux Etats-Unis » ; Le Temps, 14 juillet 2005.
127
 COJEAN Annick, « Etats-Unis : avocat dans l’enfer de Guantanamo », Le monde, 14
novembre 2006
 DOUIN Jean-Luc, « "La Fille du juge" : la petite musique douloureuse de Clémence
Boulouque » ; Le Monde, 04 janvier 2006.
 GELLMAN Barton, « The FBI’s Secret Scrutiny » ; Washington Post, 6 novembre 2005.
 Le Canard enchainé, 6 octobre 2004
 Le Monde du 5 mai 2007 « The Lawers And Guantanamo Bay », éditorial du Times,
supplément; p.2
 LEWIS Neil A., « Red Cross Finds Detainee Abuse in Guantánamo »; New York Times, 30
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(disponible sur http://newsmine.org/archive/security/terror-suspects/torture/red-cross-finds-detaineeabuse-in-guantanamo.txt)
 LUCET Christophe « Le risque d’attentats en France reste élevé », Sud-Ouest Dimanche, 7 janvier
2007
http://www.sudouest.com/070107/une.asp?Article=070107a32525.xml
 MULLER Michel, « Quand Washington légalise la torture » ; l’Humanité, 17 octobre
2006 ;
Disponible sur http://www.fairelejour.org/article.php3?id_article=1240
 Paris Match, 8 octobre 2004
 PONTAUT Jean-Marie ; interview de J.L. BRUGUIERE, « Nous avons évité une opération
terroriste par an », L’express, 14/03/2007
http://www.lexpress.fr/info/monde/dossier/terrorisme/dossier.asp?ida=456349&p=1
 RICKS Thomas E., « Sun should set on part of Patriot Act », Seattle Times, 15 juillet 2004.
 SMOLAR Piotr, « Un parachute pour le juge Bruguière » ; Le Monde, 6 décembre 2006 ;
p.3
2 ) Revues juridiques
 SERVIDIO-DELABRE Eileen, « Inter arma silent lege » (« en temps de guerre, la loi est
silencieuse ») ; revue internationale de droit pénal, 2001, p.1021 – 1034.
 CARTIER Marie Elisabeth, « le terrorisme dans le nouveau code pénal français » ; revue de science
criminelle 1995, chroniques p. 225
 Grossman J.B., « Careless with the Constitution ? The Problem with Military Tribunals »,
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III ) Documents
1 ) Officiels français
a ) Lois
- Loi ordinaire n°86-1004 du 03 septembre 1986 relative aux contrôles et vérifications d’identité ;
J.O. "Lois et Décrets" du 04/09/1986, page 10714.
128
- Loi ordinaire n°86-1020 du 09 septembre 1986, loi dit CHALANDON relative à la lutte contre le
terrorisme et aux atteintes à la sureté de l’Etat ; J.O. "Lois et Décrets" du 10 septembre 1986, page
10956.
- Loi ordinaire 86-1322 du 30/12/1986, modifiant le CPP et complétant la loi du 9 septembre
1986 relative à la lutte contre le terrorisme ; J.O. "Lois et Décrets" du 31 décembre 1986, page
15890.
- Loi 91-646 du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des
télécommunications ; JORF 13 juillet 1991 ; NOR:JUSX9100068L.
- Loi n° 92-686 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la
répression des crimes et délits contre la nation, l'Etat et la paix publique ; J.O n° 169 du 23 juillet
1992 ; NOR: JUSX9100041L.
- Loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 portant « loi d’orientation et de programmation relative à la
sécurité » ; J.O. n°20 du 24 janvier 1995, p.1249 ; NOR : INTX9400063L
- Loi n° 96-647 du 22 juillet 1996 tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes
aux personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public et
comportant des dispositions relatives à la police judiciaire ; J.O n° 170 du 23 juillet 1996 page
11104 ; NOR : JUSX9500140L
- Loi no 96-1235 du 30 décembre 1996 relative à la détention provisoire et aux perquisitions de
nuit en matière de terrorisme ; J.O. n° 1 du 1 janvier 1997 page 9 ; NOR: JUSX9600198L.
- Loi no 97-1273 du 29 décembre 1997 tendant à faciliter le jugement des actes de terrorisme ;
J.O. n° 303 du 31 décembre 1997 page 19312 ; NOR: JUSX9702370L
- Loi du 15 juin 2000 n°2000-516 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les
droits des victimes ; JORF du 16 juin 2000 ; NOR:JUSX9800048L
- Loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, LSQ ; J.O. n° 266 du
16 novembre 2001 page 18215 ; NOR: INTX0100032L
- Loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice ; J.O n°
211 du 10 septembre 2002 page 14934 ; NOR: JUSX0200117L
- Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure, LSI ; J.O. n° 66 du 19 mars 2003
page 4761 ; NOR: INTX0200145L
- Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ;
J.O. n° 59 du 10 mars 2004 page 4567 ; NOR: JUSX0300028L
- Loi n° 2004-801 du 6 août 2004 relative à la protection des personnes physiques à l'égard des
traitements de données à caractère personnel ; J.O. n° 182 du 7 août 2004 page 14063 ; NOR:
JUSX0100026L
- Loi nº 2005-1550 du 12 décembre 2005 modifiant diverses dispositions relatives à la défense;
J.O. du 13 décembre 2005 page 19160 ; NOR: DEFX0500016L
- Loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions
diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers ; J.O. n° 20 du 24 janvier 2006 page
1129 ; NOR: INTX0500242L
b ) Décrets
- Décret n° 2002-329 du 8 mars 2002 relatif à l'habilitation et à l'agrément des agents des
entreprises de surveillance et de gardiennage pouvant procéder aux palpations de sécurité (pris
129
pour l'application de l'article 3-1 de la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983) ; J.O n° 59 du 10 mars
2002 page 4459 ; NOR: INTD0200054D
- Décret n° 2006-358 du 24 mars 2006 relatif à la conservation des données des communications
électroniques; art. 1 Journal Officiel du 26 mars 2006
c ) Codes
- Code de la défense
- Code de l’aviation
- Code de l’urbanisme
- Code de procédure pénale
- Code des ports maritimes
- Code des postes et communications électroniques
- Code monétaire et financier
- Code pénal
d ) Travaux parlementaires
- Séance à l’assemblée nationale, discours de M. SAPIN (alors ministre délégué à la Justice),
exposé des motifs ; doc. AN 2083 et AN, 7 oct. 1991, JO, 1991, n° 70, 4209
- Travaux préparatifs de la loi de 1992, JO 1991, n° 70, séance du 7 oct. 1991, 4204
- Séance au Sénat du 16 octobre 2001, discussion sur la LSQ en nouvelle lecture ;
Disponible sur http://www.senat.fr/seances/s200110/s20011016/sc20011016029.html
e ) Avis
- CNIL, « Rapport d’activité 2001 »
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/024000377/0000.pdf
- CNIL, « Lutte contre le terrorisme : la CNIL souhaite un meilleur équilibre entre les impératifs
de sécurité et la protection des libertés », 26 octobre 2005.
http://www.cnil.fr/index.php?id=1884
d ) Rapports
- « Synthèse générale de l’année 2006 » de l’Observatoire de la sécurité routière ; disponible sur
http://www.securite-routiere.gouv.fr/infos-ref/observatoire/accidentologie/Synthese.html
2 ) Officiels étasuniens
- Code of Federal Regulations
http://www.gpoaccess.gov/cfr/index.html
- United States Code
http://www.law.cornell.edu/uscode/
130
- l’Electronic Communication Privacy Act of 1986, PUBLIC LAW 99-508, 21 octobre 1986;
http://www.cpsr.org/issues/privacy/ecpa86
- Loi de l’Etat de l’Illinois du 1er janvier 1993 sur la confidentialité des fichiers de bibliothèque ;
75 ILCS 70/1 ; Ch. 81, § 1201 ; disponible sur :
http://www.ilga.gov/legislation/ilcs/ilcs3.asp?ActID=1004&ChapAct=75%C2%A0ILCS%C2%A0
70/&ChapterID=16&ChapterName=LIBRARIES&ActName=Library+Records+Confidentiality+
Act
- Directive du Département de la Défense « DOD antiterrorism/Force Protection Program » du
13 avril 1999 ; 2000.12 ; disponible
sur :http://www.gwu.edu/~nsarchiv/NSAEBB/NSAEBB55/2000.12.pdf
- National Emergency Act, 50 U.S.C. 1601 et seq. ; 14 septembre 2001
http://www.law.cornell.edu/uscode/html/uscode50/usc_sec_50_00001621----000-.html
- Discours de BUSH George W à l’adresse du Congrès et du peuple américain, le 20 septembre
2001.
http://www.whitehouse.gov./news/release/2001/09/20010920-8.htlm
- USA PATRIOT ACT 26 octobre 2001,
http://thomas.loc.gov/cgi-bin/query/z?c107:H.R.3162.ENR:
- Amendement « Freedom to Read Act » du 6 mars 2003 proposé par SANDERS Bernie, H.R.
1157;
http://thomas.loc.gov/cgi-bin/query/z?c108:H.R.1157:
- Résolution de l’Etat d’Alaska, 21 mai 2003
http://www.bordc.org/detail.php?id=2
- Résolution de la ville d’Ames (Iowa), 23 mars 2004
http://www.bordc.org/detail.php?id=187
- USA Patriot Act Additional Reauthorizing Amendments Act of 2006 », 9 mars 2006, S.2271
www.fas.org/sgp/crs/intel/RS22384.pdf
- « Military Commissions Act to amend title 10, United States Code, to authorize trial by military
commission for violation of the laws of war, and for other purposes », 17 octobre 2006; public law
109-366.
http://www.loc.gov/rr/frd/Military_Law/pdf/PL-109-366.pdf
3 ) Officiels internationaux
- Agreement Between the United States and Cuba for the Lease of Lands for Coaling and Naval
Stations, Feb. 16-23, 1903, U.S.-Cuba; T.S. No. 418
- Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la
protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à
la libre circulation de ces données
- Comité des droits de l’Homme des Nations Unies, « Observations finales: France »,
CCPR/C/79/Add.80, 4 aout 1997, paragraphe 23.
- Directive 2006/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 sur la conservation
des données générées ou traitées dans le cade de la fourniture de services de communications
électroniques accessibles au public ou de réseaux publics de communications et modifiant la
directive 2002/58/CE ; JOL 105 du 13.04.2006 p. 54
131
- Résolution adoptée par le Conseil de Sécurité de l’ONU à sa 4385ème séance, le 28 septembre
2001 ; S/RES/1373 (2001) ; disponible sur :
http://daccessdds.un.org/doc/UNDOC/GEN/N01/557/44/PDF/N0155744.pdf?OpenElement
4 ) Publication d’organisations internationales non gouvernementales
« France, la porte ouverte à l’arbitraire », rapport d’une mission internationale d’enquête en
France sur l’application de la législation anti-terroriste, concernant particulièrement les conditions
de détention provisoire et l’exercice des droits de la défense ; réalisée entre avril et novembre 1998
par : Michaël Mc COLGAN, avocat (Grande Bretagne) - rapporteur de la mission - et Alessandro
ATTANASIO, avocat (Italie), avec le concours de Jean-Pierre DUBOIS, professeur de droit et
Vice-président de la Ligue française des droits de l’Homme ; hors série de la Lettre bimensuelle de
la FIDH, janvier 1999, n°271
5 ) Non publiés
- Mémo du Président des USA du 7 février 2002, p.2 (publié par le Washington Post)
Disponible sur http://www.washingtonpost.com/wp-srv/nation/documents/020702bush.pdf
- Mémo de Donald RUMSFELD « to the Head of the U.S. Southern Command » du 16 avril 2003
Disponible sur http://www.washingtonpost.com/wp-srv/nation/documents/041603rumsfeld.pdf
IV ) Jurisprudences
1 ) Jurisprudence Européenne
- CEDH (plen.), KLASS et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978 ; req. no 5029/71.
- CEDH, KOSTOVSKI c. Pays-Bas, 20 novembre 1989 ; A166.
- CEDH, TOMASI c. France, 27 aout 1992 ; Requête no12850/87.
- CEDH, FUNKE c. France, 25 février 1993 ; A256-A.
- CEDH, IMBRIOSCIA c. Suisse, 24 novembre 1993 ; requête no13972/88 ; A275.
- CEDH, MURRAY John c. Royaume-Uni, 8 février 1996; recueil 1996-I.
- CEDH, DOORSON c. Pays-Bas, 23 mars 1996; recueil 1996-II.
- CEDH, Goodwin c. RU, 27 mars 1996 ; Recueil 1996-II.
- CEDH, HEANEY et Mc GUINESS c. Ireland, 21 décembre 2000.
- CEDH, Sté Colas Est c. France, 16 avril 2002; D. 2003. Somm. 527, obs. BIRSAN.
2 ) Jurisprudence Française
a ) Conseil constitutionnel
- CC, 12 janvier 1977 ; décision n° 76-75 DC ; J.O. du 13 janvier 1976, p. 344.
- CC, 29 décembre 1983, décision n° 83-164 DC, à propos de la loi de finances pour
1984 ; JO du 30 décembre 1983, p. 3871.
- CC, 3 septembre 1986, décision n° 86-213 DC ; JO du 5 septembre 1986, p. 10786.
- CC, 5 août 1993, décision n° 93-323
p.°11193 ; NOR : CSCX9310113S.
DC, considérant 3 à 6; JO du 7 août 1993,
132
- CC, 18 janvier 1995, décision n° 94-352 DC ; JO du 21 janvier 1995, p. 1154.
- CC, 16 juillet 1996, décision n° 96-377 DC; JO du 23 juillet 1996, p. 11108 ; NOR :
CSCL9601612S ; D. 1997. 69, note MERCUZOT ; JCP 1996. II. 22709, note NGUYEN
VAN TUONG.
b ) Cour de cassation
- Cour de Cassation, Chambre criminelle, 31 janvier 1914 ; DP 1918 1. 76 ; S. 1916. 1. 59.
- Cour de Cassation, Chambre criminelle, 11 septembre 1933 ; DH 1933. 462.
- Cour de Cassation, Chambre criminelle, 20 mai 1958 ; Bull. crim. n°408.
- Cour de Cassation. Chambre criminelle, 7 mai 1987, n° de pourvoi 87-80822 ; Bull.
crim., n°186, Rev. sc. crim. 1987, 621, obs. R. KOERING JOULIN.
- Cour de Cassation, Chambre criminelle, 22 janvier 1997 ; Bull. crim. n°31 ; Dr. Pénal
1997. Comm. 78, obs. VERON.
- Cour de Cassation, Chambre criminelle, 28 février 2001, n° de pourvoi 00-84108.
- Cour de Cassation, Chambre criminelle, 9 janvier 2002 ; Bulletin criminel 2002 n° 2
p.°4.
c ) Cour d’appel
- CA Dijon, 1er février 1951 ; Quest. prud’h. 1951. 679.
- CA Paris, 17 mars 1986 ; Gaz. Pal. 1986. 2. 429.
- CA Versailles, 9 octobre 1992 ; Gaz. Pal. 1993 1. Somm. 52.
d ) Tribunal correctionnel
- Trib.corr Paris, 17ème ch, 2 novembre 2000, note X.FURST in Expertise, mai 2001,
p.191.
3 ) Jurisprudence étasunienne
- Cour Suprême, SCHENCK vs U.S., 3 mars 1919 ; 249 U.S. 47; 39 S. Ct. 247; 63 L. Ed.
470; 1919 U.S. LEXIS 2223; 17 Ohio L. Rep. 26; 17 Ohio L. Rep. 149.
http://caselaw.lp.findlaw.com/scripts/getcase.pl?court=US&vol=249&invol=47
- Cour Suprême, ABRAMS vs United States, 10 novembre 1919 ; 250 U.S. 616.
http://caselaw.lp.findlaw.com/scripts/getcase.pl?court=US&vol=250&invol=616
- Cour Suprême, OLMSTEAD vs. the United States, 4 juin 1928 ; 277 U.S. 438.
http://caselaw.lp.findlaw.com/cgi-bin/getcase.pl?court=us&vol=277&invol=438
- Cour Suprême, Ex Parte Quirin, 31 juin 1942 ; 317 U.S. 1, 63 S. Ct. 2; 87 L. Ed. 3; 1942
U.S. LEXIS 1119.
http://caselaw.lp.findlaw.com/scripts/getcase.pl?court=US&vol=317&invol=1
- Cour Suprême, KATZ vs. United States, 18 décembre 1967 ; 389 U.S. 347.
http://caselaw.lp.findlaw.com/scripts/getcase.pl?court=US&vol=389&invol=347
133
- Cour Suprême, BRANDENBURG vs Ohio (9 juin 1969) 395 U.S. 444; 89 S. Ct. 1827;
23 L. Ed. 2d 430; 1969 U.S. LEXIS 1367; 48 Ohio Op. 2d 320.
http://caselaw.lp.findlaw.com/scripts/getcase.pl?navby=CASE&court=US&vol=395&pag
e=444
- Cour Suprême, United States vs LEE ; 23 février 1982; 455 U.S. 252, 906 F.2d 117.
Disponible sur http://supreme.justia.com/us/455/252/case.html
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terrorisme" » ;
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- LUCET Christophe « le risque d’attentats en France reste élevé »; pour Sud-Ouest
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- MOUNIR B.; « Jean-Louis BRUGIERE, le juge anti-terrorisme », pour « quotidienoran.com », le portail algérien de l'actualité politique, économique, informatique, sportive
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http://membres.lycos.fr/returnliberty/patriotact2005.htm
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_prisonniers_de_guantanamo_interdits_de_tribunaux_us.html
5 ) Divers
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véhicules et modifiant le Code d’instruction criminelle ; 10 octobre 2006 ; No 47.158 ;
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137
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http://www.youssefjebri.com/Democratie%20et%20lutte%20contre%20le%20terrorisme.htm
- http://fr.wikipedia.org/wiki/Unabomber
138
Table des matières
Sommaire
p.1
Sigles
p.2
Introduction
p.4
Chapitre 1
Le contrôle des populations
p.20
Section I ) Des atteintes caractérisées à la liberté individuelle
A ) Les perquisitions domiciliaires facilitées
p.21
1 ) Des conditions allégées pour les perquisitions en France
a ) Notion et protection du domicile
b ) Les atteintes légales au respect du domicile : les perquisitions.
p.22
c ) Le contournement de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel : la permission des
perquisitions de nuit dans le cadre d’une instruction.
p.23
d ) L’exception à la nécessité de l’assentiment de la personne
p.25
2 ) Des perquisitions secrètes tolérées aux USA
a ) L’état du droit avant l’USA Patriot Act
p.26
b ) les modifications apportées par l’USA Patriot Act
* Quant aux conditions d’octroi des mandats de perquisition
p.27
* Quant à l’avertissement de la personne concernée
139
B ) Les contrôles d’identité et les « visites » de véhicules généralisés en France
p.29
1 ) La banalisation des contrôles d’identité
a ) Des conditions abaissées pour les contrôles d’identité à l’initiative de la police
b ) La validité des procédure incidentes relatives à d’autres infractions que celles visées par
l’ordonnance du Procureur
p.31
2 ) La généralisation des « visites » de véhicule
p.33
a ) L’état du droit avant 2001
b ) Le droit en vigueur depuis 2001
p.34
3 ) Des contrôles confiés à des agents privés « très sélectionnés »
p.38
a ) Des agents privés autorisés à effectuer des fouilles et des palpations…
b ) … sujets d’enquêtes « poussées »
p.39
Section II ) Des limitations réelles aux libertés d’opinion, de communication
et d’information
p.43
A ) Les bibliothèques étasuniennes sous haute vigilance
1 ) Les dispositions du Patriot Act concernant les bibliothèques
p.44
2 ) Les bibliothèques, destinataires de National Security Letters
p.48
3 ) La liberté d’expression violée par la règle du secret
p.49
4 ) La liberté d’information violée par la censure
p.51
a ) L’autocensure des citoyens
140
b ) L’autocensure de la presse et des bibliothèques
c ) L’inaccessibilité des informations unilatéralement classées « sensibles » par
l’administration
p.52
5 ) La défense des bibliothèques face au Patriot Act
p.53
a ) La résistance des lecteurs et de l’ensemble des métiers du livre
b ) Les réactions des Etats fédérés et municipalités à la loi fédérale
p.54
* La loi de l’Illinois sur la confidentialité des fichiers des bibliothèques
* Les résolutions des Etats fédérés à ne pas mettre en œuvre le Patriot Act, l’exemple de
l’Alaska
* La résistance des villes, l’exemple d’Ames (Iowa)
p.56
c ) L’échec des révisions du Patriot Act au Congrès
p.57
6 ) Des mesures réellement efficaces ?
p.58
Conclusion, la situation des bibliothèques françaises
B ) Les connexions internet et les communications électroniques sous surveillance
p.60
1 ) Le secret des correspondances électroniques mis en danger par la lutte des gouvernements
contre la cryptographie
2 ) La liberté d’information menacée par l’enregistrement des données internet
p.62
a ) Le droit pertinent en France
p.63
- La directive européenne du 15 mars 2006
- Le décret du 24 mars 2006 et la mise en cause de sa légalité
- Les réserves de la CNIL relatives à l’enregistrement des données internet
p.65
* Quant à l’imprécision des personnes soumises à l’obligation de conservation
* Quant aux personnes ayant accès aux informations et à l’absence de contrôle juridictionnel a
priori
141
b ) l’enregistrement des données internet aux Etats-Unis
p.66
- L’absence totale de protection juridique de ces données
- La mise en place de la surveillance : le logiciel Carnivore
- Le détournement des mesures
p.67
3 ) Des mesures réellement efficaces ?
p.68
C ) Le principe du secret des sources journalistiques : le droit et sa pratique.
p.69
Chapitre 2
Les « aménagements » d’un droit à un procès équitable
p.73
Section I ) L’altération du droit d’accès à un juge indépendant et impartial
A ) Les juridictions françaises spécialisées, trop spécialisées ?
p.74
1 ) La centralisation des affaires et la mise en cause de l’action des juges antiterroristes
français.
a ) La centralisation des affaires dans la quatorzième section du Parquet parisien
b ) La mise en cause de l’indépendance des juges antiterroristes
p.76
* La (trop ?) grande confiance des juges dans les notes de service des renseignements
* Les liens des juges antiterroristes avec le pouvoir exécutif
p.77
c ) La mise en cause de l’impartialité des juges antiterroristes
p.78
d ) Une centralisation réellement efficace ?
p.80
2 ) La phase décisoire confiée à une Cour d’Assises très spéciale
p.82
a ) Une Cour d’Assises sans jury populaire…
b ) … pouvant siéger en tout lieu
p.84
142
B ) Quel juge pour les prisonniers de Guantanamo ?
p.85
1 ) La question de l’applicabilité de la 3ème Convention de Genève relative aux prisonniers de
guerre
a ) Le problème
b ) Le refus du gouvernement étasunien d’appliquer la 3ème Convention de Genève
p.87
2 ) Le bras de fer entre les pouvoirs exécutif et judiciaire pour connaître des jugements des
prisonniers de Guantanamo
p.89
a ) L’incompétence de principe des juridictions étasuniennes ?
b ) L’instauration de tribunaux militaires pour juger les prisonniers
p.90
* Le Président des Etats-Unis compétent pour créer des tribunaux militaires ?
* La compétence des tribunaux militaires
p.93
* Les compétences juridictionnelles du pouvoir exécutif
p.95
* Les juges militaires
c ) 2003, la confirmation de l’incompétence des juridictions étasuniennes par les juges
fédéraux
p.96
d ) 2004, la Cour suprême rétablit la compétence des juridictions étasuniennes
e ) Décembre 2005, la réponse du gouvernement : le « Detainee Treatment Act »
p.97
f ) En juin 2006, les tribunaux militaires déclarés illégaux par les juges fédéraux
p.98
g ) Octobre 2006, la réponse du gouvernement : le « Military Commissions Act ».
p.99
h ) L’application de la nouvelle loi
p.101
i ) Le cas particulier des personnes arrêtées et détenues sur le sol des Etats-Unis
p.102
Section II ) L’affaiblissement des droits de la défense
p.104
A ) Du droit de ne pas s’accuser soi-même à la torture des terroristes présumés
1 ) En France : de l’interdiction de torturer pour obtenir preuves et aveux à la pratique
143
2 ) Aux Etats-Unis : la « légalisation » de la torture des terroristes présumés
p.106
a ) Le droit au silence expressément prévu
b ) La validité des preuves et aveux obtenues sous la contrainte
c ) Le Président, seul compétent pour apprécier ce qui constitue ou non un acte de torture
p.107
d ) L’absence de recours, même a postériori, pour les prisonniers torturés
p.108
B ) Du droit d’accès au secret des charges retenues et des preuves de l’accusation
p.109
1 ) En France : la procédure du témoin anonyme
p.110
2 ) Aux Etats-Unis, l’extension de la règle du secret
p.113
a ) Les fortes réticences quant à la communication des charges
b ) La non communication des preuves confidentielles
p.114
c ) La validité des témoignages par ouï-dire, ou la négation du droit de contre-interroger un
témoin.
p.115
C ) Du droit d'être assisté par un défenseur à la réalité
p.116
1 ) En France, l’intervention de l’avocat est retardée à la 72ème heure de la garde à vue
2 ) Aux Etats-Unis, le droit des prisonniers à un conseil est soumis à de nombreux obstacles
p.119
Conclusion
p.124
Bibliographie
p.126
Table des matières
p.139
144