Poursuivre la Success Story de Topex-Poséidon, Jason-1 et

Transcription

Poursuivre la Success Story de Topex-Poséidon, Jason-1 et
Recherche et innovation maritime
Poursuivre la Success Story
de Topex-Poséidon, Jason-1 et -2
Plaidoyer pour le satellite
océanographique Jason-3
François Barlier, Michel Lefebvre, Bruno Voituriez, Raymond Zaharia
Membres du Club des Argonautes1
Nous remercions tous nos collègues qui au cours de la réunion du 2 octobre 2008 ont débattu du présent sujet et ont beaucoup contribué à son amélioration. Un de nos collègues cité dans cet
article est Yves Ménard. Il a joué un rôle international majeur en altimétrie sur les océans. Il vient de
décéder le 20 octobre 2008 des suites d’une longue maladie. Nous lui dédions cet article.
Introduction
L
e satellite océanographique Jason-2 vient d’être lancé avec succès le 20 juin 2008.
Avec d’autres satellites en activité, et en premier lieu avec son satellite frère,
Jason-1 lancé le 7 décembre 2001, il doit contribuer aux mesures des océans et
de leur topographie. Jason-2 vise à la mise en place d’un système mondial d’observation
des océans à l’échelle de la planète : c’est la mission OSTM ou Ocean Surface Topography
Mission. Jason-1 et Jason-2 sont au départ fondamentalement sur la même trajectoire
pour assurer les intercomparaisons métrologiques indispensables à la continuité et à
la pérennité de « produits » comme le niveau moyen des mers. Jason-2 contribuera
aussi à une amélioration de la résolution spatio-temporelle dans l’observation des phénomènes océaniques en complétant les mesures du satellite Jason-1, et celles des autres
satellites. Jason-1 grâce à ses caractéristiques orbitales et à sa charge utile est lui-même successeur de Topex-Poséidon, lancé le 10 août 1992, et qui a fonctionné pendant
13 ans. Il permet déjà aujourd’hui de posséder une série homogène et unique de plus de
15 ans de mesures sur les océans, qui a débuté en 1992. L’année 1992 fut aussi l’année
de la célèbre conférence de Rio au Brésil, consacrée au changement climatique, où les
gouvernements avaient pris des engagements pour en assurer une meilleure maîtrise.
La Revue Maritime a déjà consacré deux articles complémentaires sur Topex-Poséidon
dans les numéros 475 et 477 de la Revue Maritime de mars et décembre 2006 intitulés
1 Visitez le site : http://www.clubdesargonautes.org.
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respectivement In memoriam : Topex-Poséidon - Disparition d’un fleuron2.
Ils ont été écrits par Bernard Dujardin et Jean-François Minster avec la mention supplémentaire dans ce dernier cas de Regard croisé. On peut en citer la conclusion
finale de ce dernier :
« Topex-Poséidon a dépassé tous ses objectifs et permis de nombreuses découvertes
dans un contexte de changement profond de l’océanographie, de ses enjeux scientifiques et de ses approches. D’ailleurs, en 2005, un audit de la NASA sur la valeur scientifique de l’ensemble des missions d’observation de la Terre a classé Topex-Poséidon et
Jason en numéro 1. Walter Munk - qui n’a pas été associé au projet, mais qui est un des
grands océanographes du XXe siècle - a pu écrire que Topex-Poséidon a été le projet
scientifique qui a le plus contribué à la compréhension de l’océan (I consider the US/
French altimetry satellite Topex-Poseïdon, fathered in the US by Wunsch the most succesful
océan experiment of all times). Le projet est souvent considéré au sein des agences spatiales comme le prototype de ce qu’il faut faire pour atteindre le meilleur succès. Les
équipes françaises - chercheurs et ingénieurs - peuvent être légitimement fières d’y avoir
joué un rôle essentiel - au point d’ailleurs que dans le partenariat américano européen,
le leadership des séries Jason est clairement positionné en France. »
Le lancement des satellites Topex-Poséidon, Jason-1, Jason-2 s’inscrit ainsi
dans un souci de continuité et de pérennité de la mesure de la Terre, de ses enveloppes
fluides et de sa topographie ; seules les longues séries temporelles sur plusieurs décennies peuvent apporter des réponses à certains problèmes de l’évolution des océans et du
climat sur le très long terme, notamment ceux liés aux lents mouvements périodiques
dans l’écliptique du système Terre - Lune. Mais, nécessairement, la question se pose « et
après Jason-2 , y aura-t-il et doit-il y avoir Jason-3 ? » et si oui, avec quels changements
et /ou quelles améliorations ?» Dire pourquoi cet effort doit être poursuivi, quelles
sont ses évolutions et quels sont ses apports souhaitables en termes de mesure de la Terre
et de ses océans sont des questions importantes. Dans cet article, on tente de répondre à
ce questionnement et de dégager des arguments, questionnement déjà soulevé par Bernard Dujardin en 2006 dans la Revue Maritime. Pour l’instant aucune décision ferme
n’a été prise. La NASA pose comme principe que comme agence de recherches, elle
n’a pas pour rôle de construire des répliques de missions, dès lors que les satellites expérimentaux ont fait leur preuve. Le CNES a fait savoir qu’il disposait d’un modèle de
rechange de la plateforme satellite Proteus de Jason-2, et qu’il était soucieux de la suite
de cette série, mais les décisions fermes sont encore à prendre. La NOAA américaine
(National Oceanic and Atmospheric Administration) et l’Organisation européenne
Eumetsat (European Organisation for the Exploitation of Meterological Satellites) sont
désormais les piliers de Jason-2 dans l’exploitation de ce satellite. C’est une très grande
nouveauté pour le passage de cette série Jason à une phase opérationnelle sur le long
terme. Ils sont a priori ouverts, mais les décisions fermes restent aussi à prendre, tandis
qu’il faut toujours garder présent à l’esprit que plusieurs années sont toujours nécessaires pour construire et lancer un nouveau satellite à condition de ne pas en bouleverser
les conditions de réalisation. Or il faut aller vite et bien pour assurer la continuité.
2 Disponibles sur le site internet de l’IFM. NDR
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Bref historique
L’
aventure de l’altimétrie spatiale au-dessus des océans a commencé, il y a déjà
une quarantaine d’années. Elle fut imaginé dés 1965 mais fut concrètement
initiée par le colloque de Williamstown organisé aux USA en juillet 1969 par
la NASA et consacré à la Terre et à ses océans (Earth and Ocean Application Physics) ;
il fut ouvert à la communauté scientifique internationale notamment française. Le rôle
envisagé pour l’altimétrie spatiale était visionnaire. L’objet était l’étude des océans et
des processus physiques à partir de la mesure le long de la verticale locale de la distance
entre le satellite et la surface de la mer. En pratique on devait mesurer le temps aller-retour d’une impulsion radar entre un satellite et la surface de la mer ; le principe en est
donné figure 1. Après le lancement du premier satellite artificiel par l’URSS le 4 octobre 1957, les premiers modèles géodésiques de la Terre, (champ de gravité et système
de référence), furent en effet établis, modèles appelés Standard Earth I, puis II et III et
développés par le Smithsonian Astrophysical Observatory à Cambridge aux États-Unis.
À cette époque, en 1969, il devint alors évident qu’il fallait aller au-delà dans les applications de l’espace à la Terre et imaginer une stratégie et des technologies nouvelles
pour répondre à de nouvelles questions précises sur la Terre et ses océans : courants
et circulations océaniques avec leurs variations, tourbillons et variations des océans à
moyenne échelle, amplitudes des marées et phases dans tous les océans, origine de la
dissipation des ondes de marées - ce qui fut compris 25 ans plus tard grâce à TopexPoséidon - niveau de la mer etc. Il fallait définir ainsi une stratégie sur le long terme
pour résoudre ces problèmes qu’on avait identifiés au moins en partie ; il fallait penser
à d’autres problèmes possibles qui ne manqueraient pas d’apparaître ; il fallait justifier
enfin toutes les implications financières très importantes pour la société du développement des moyens spatiaux.
≈≈≈
Figure 1. Schéma du principe de l’altimétrie spatiale avec les concepts géodésiques sous-jacents
(ellipsoïde de référence, géoïde, topographie dynamique et hauteur ou surface topographique
de la mer) et les systèmes de positionnement du
satellite : Doris, laser et maintenant aussi GPS
avec Jason-1. Cliché CNES/GRGS.
≈≈≈
En France à la suite de ces réflexions, un premier projet, le projet Dorade d’altimétrie spatiale fut étudié pour la détermination de la surface topographique de la mer
et de ses variations, mais il resta à l’état de projet. Le premier altimètre fut embarqué
à bord d’une mission spatiale américaine d’une durée relativement courte à bord de la
station Skylab le 14 mai 1973 (altitude moyenne de 450 km avec une inclinaison de
l’orbite sur l’équateur de 50°). C’était une expérience préliminaire. Le premier satellite
opérationnel avec à son bord un altimètre, le satellite GEOS-3 (Geodetic and Earth
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Orbiting satellite) fut lancé par les États-Unis le 9 avril 1975 et fut utilisable jusqu’à la
fin de 1978 (altitude de l’ordre de 825 km avec une inclinaison de l’orbite de 115°).
Il fut suivi par un autre satellite américain le satellite Seasat lancé le 28 juin 1978 (altitude de l’ordre de 800 km et une inclinaison d’orbite de 108° qui disposait d’un altimètre beaucoup plus précis, voir figure 4a) mais il ne fonctionna malheureusement
que jusqu’au 10 octobre 1978. Tous ces satellites et les autres dont nous parlerons ont
une orbite autour de la Terre qui est approximativement circulaire. Dans ce contexte
et vu les premiers résultats très attractifs, l’Europe et l’ESA (European Space Agency)
ne restèrent pas inactives et organisèrent un grand colloque en Allemagne à SchlossElmau sur les applications des techniques spatiales à la mesure et à la connaissance de la
Terre. Ce fut le colloque SONG (SONG pour Space, Ocean, Navigation, Geodynamics),
qui fut pour les Européens et plus généralement pour les géophysiciens un colloque
fondateur et favorisa grandement la coopération internationale, notamment avec les
États-Unis. Près de 30 ans après, on voit que la plupart des objectifs ont pu être atteints
même si les temps de réalisations ont été souvent plus longs qu’espérés. Pour rester dans
le domaine de l’altimétrie spatiale, l’Europe (l’ESA, l’agence spatiale européenne),
lança ainsi une série de satellites consacrés à l’étude et à l’observation de la Terre et des
océans, les satellites, ERS-1 (European Remote Sensing Satellite System, lancé le 17 juin
1991) et ERS-2 (lancé le 12 avril 1995, toujours en activité mais dans des conditions
limitées). Un autre satellite, le satellite Envisat (Environmental satellite ou mission spatiale européenne sur l’environnement) fut lancé le 1er mars 2002 et il est toujours en
activité ; il devrait le rester mais au mieux jusqu’en 2010 prévoit-on. Ces satellites ont
des paramètres orbitaux très proches, une altitude moyenne de l’ordre de 800 km et une
inclinaison de la trajectoire sur l’équateur de 98°5. Ces satellites emportent un grand
nombre d’instruments et l’altimètre n’en est qu’un parmi d’autres. La compréhension
des phénomènes nécessite en effet aujourd’hui une approche fondée sur la mesure simultanée de nombreux paramètres et divers types de satellites comme ceux qui sont
consacrés à la mesure du champ de gravité terrestre. Il ne faut pas non plus oublier les
mesures in situ faites par des bouées ou en bateaux et qui sont indispensables. Nous
devrons y revenir car il faut intégrer simultanément ces diverses mesures pour atteindre
la compréhension globale des phénomènes. En parallèle, dans ce domaine, l’US-Navy
poursuivit l’observation des océans et lança successivement le satellite Geosat (Geodetic Satellite lancé le 12 mars 1985 et en activité jusqu’en 1990) puis son successeur le
satellite, Geosat Follow On, appelé plus simplement GFO lancé le 10 février 1998 et
toujours en fonctionnement mais approchant sans doute de sa fin. Ce ne fut pas tout. À
côté de ces travaux une coopération franco-américaine remarquable s’est développée et
a abouti au projet Topex-Poséidon puis Jason-1 et Jason-2 dont nous avons parlé et sur
lequel nous allons donc revenir en détails. La figure 2 résume ce bref historique. Grâce
à tous ces efforts, un résultat très important fut obtenu : l’océanographie opérationnelle a pu se développer dans le cadre du groupement d’intérêt public, le GIP Mercator dont le siège est à Toulouse. Cette opération fut parfois très difficile à mener, mais
elle apparaît comme un très grand succès permettant pour la première fois de faire des
prévisions océanographiques comme l’on fait des prévisions météorologiques et plus
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encore, en synergie commune et réciproque. Il est ainsi possible de suivre en particulier l’évolution de tous ces phénomènes dans le cadre du changement climatique avec
un souci de rigueur et d’objectivité. Ces actions sont aussi à replacer dans le cadre du
grand programme européen, GMES-Kopernikus, Global Monitoring for Environment
and Security ,(le nom de GMES est désormais remplacé depuis la mi-septembre 2008
par Kopernikus mais ici nous l’appelerons encore GMES-Kopernikus pour éviter des
confusions). C’est aussi une contribution au programme international GEOSS, Global
Earth Observation System of Systems. Mais il faut maintenant assurer sans tarder une
continuité et une pérennité à ces succès et à l’observation de ces phénomènes et ce n’est
pas évident sans un effort volontariste.
Figure 2. Liste des missions spatiales altimétriques de 1975 à 2005. Il faut y ajouter GEOS- 3
lancé en 1975. Document CNES/GRGS.
La problématique des satellites Topex-Poséidon, Jason-1 et Jason-2.
L’objectif scientifique, l’adoption de traces répétitives spécifiques
A
u début du projet Topex-Poséidon, l’objectif était en priorité de déterminer la
topographie dynamique moyenne de l’océan à l’échelle des bassins océaniques,
afin de cartographier les courants moyennés pendant la durée de la mission avec leurs
variations. Son objectif était lié à la connaissance du rôle climatique moyen des océans,
qui était alors un nouvel enjeu de l’océanographie et devait être étudié par ailleurs in
situ par le programme WOCE (World Ocean Circulation Experiment) du programme
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mondial d’étude du climat. Ces courants créent des élévations ou des creux du niveau
de la mer par rapport au géoïde qui peuvent atteindre le niveau du mètre et nécessitent donc une précision dans les mesures altimétriques très sensiblement meilleure
que le mètre. Cependant on ne pouvait espérer au départ qu’étudier la variabilité relative de cette surface topographique de la mer. Pour avoir accès à la valeur absolue de
cette topographie due aux courants, il eut fallu connaître le géoïde avec une précision
et une résolution équivalente ; on en était encore loin et un projet de détermination
du géoïde comme Gradio-Aristoteles bien qu’initié dés le début des années 1980 en
même temps que les projets altimétriques, avait du être été différé et remis à plus tard.
Il ne sera lancé qu’en octobre 2008 sous le nom de Goce (Gravity Field and SteadyState Ocean Circulation Explorer ou Mission d’étude de la gravité et de la circulation
océanique en régime stable). Le projet a évidemment évolué depuis 30 ans. En fait l’altimétrie apporte aussi une connaissance sur les vents, la hauteur des vagues. Jointe avec
la connaissance des courants dans la mesure où l’on peut les estimer par ailleurs, on peut
alors en déduire des informations majeures sur les océans et même du géoïde. On a pu
aussi étudier les marées en pleine mer et faire des modèles numériques de ces marées.
On a pu le faire grâce au choix des paramètres orbitaux qui ont permis que les effets liées
aux marées puissent être décorrelées des divers phénomènes générateurs de la variabilité
de la surface : la pression atmosphérique, les vents, les courants etc… On est parti du
constat suivant : l’immensité de l’océan et sa variabilité temporelle et spatiale ne permettent pas qu’un seul satellite et même plusieurs satellites puissent observer l’océan
dans sa totalité, en permanence et à tout instant. Les mesures de l’altimètre ne couvrent
en fait qu’une toute petite partie de l’océan le long des traces du satellite sur les mers
avec une résolution de l’ordre de quelques km (c’est pour une part lié au diamètre du
spot du radar). Pour comprendre les processus physiques et décorreler la variabilité à la
fois temporelle et spatiale, le principe de traces répétitives spécifiques s’est révélé alors
très fécond en altimétrie spatiale. Il avait été étudié au début par un de nos collègues du
CNES, Yves Ménard. Il s’agit d’adopter des paramètres orbitaux pour que le satellite
repasse exactement et périodiquement dans le temps, tous les 5 - 10 - 30 jours par exemple, au-dessus des mêmes traces de la trajectoire (à 1 km près cependant et moyennant
des corrections périodiques de trajectoires par des poussées dont la périodicité peut
aller de 40 à 200 jours selon les effets du freinage atmosphérique et de l’activité solaire).
On peut voir sur la figure 3 les traces répétitives de Topex-Poséidon (et donc de Jason)
et celles de ERS (et donc de Envisat) autour de la Corse. On observe alors périodiquement les mêmes parties de l’océan.
On peut analyser et commenter les diverses périodicités qui ont été adoptées
en pratique. La période de répétitivité de Topex-Poséidon et celle des satellites Jason, est
de 10 jours pour une altitude de 1336 km, une inclinaison d’orbite de 66°, une intertrace à l’équateur de 315 km. Tous les 10 jours, on réalise donc l’observations de toute
la surface des mers, hormis bien sur, les mers au-delà de la latitude de 66° correspondant
à la valeur de l’inclinaison de la trajectoire. La périodicité des traces des satellites ERS
et Envisat est de 35 jours pour une altitude de 785 km environ, avec une inclinaison de
98°5 et une inter-trace à l’équateur de 90 km atteignant donc des latitudes plus hautes
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que celles de Topex-Poséidon et une meilleure résolution spatiale en surface. Les satellites américains Geosat, GFO, à une altitude de 880 km avec une inclinaison de 108° ont
eux une répétitivité de 17 jours avec une inter-trace de 160 km à l’équateur. Ce principe
de traces répétitives spécifiques a donc été quelque chose d’essentiel pour l’océanographie. Plus la période de répétitivité est courte plus la résolution temporelle est grande,
mais plus la résolution spatiale diminue. Le satellite ERS-1 a été ainsi placé pendant
un an aussi sur une orbite répétitive de 168 jours pour avoir une très grande résolution
spatiale (étude du géoïde marin) et aussi sur une orbite de 3 jours pour avoir, à l’inverse
une très haute résolution temporelle : il faut savoir choisir en fonction de ses buts.
≈≈≈
Figure 3. Site d’étalonnage en Corse des altimètres au-dessus des mers. On compare la distance
à la mer du satellite mesurée par le radar à la
distance mesurée par les techniques de géodésie
spatiale (GPS, laser, Doris) et la marégraphie ;
les mesures sont faites le long de la verticale locale. On observe les traces répétitives sur la mer
de la trajectoire des satellites : en noir Topex/
Poséidon et Jason-1, en pointillé ERS-1 et Envisat. Document OCA/GRGS, Bonnefond et
al, 1995.
≈≈≈
Dans le cas de Topex-Poséidon, le choix de la répétitivité de 10 jours a fait
l’objet de nombreuses études avant d’être adopté pour remplir un ensemble d’objectifs. On a volontairement privilégié une altitude relativement élevée pour le satellite,
de façon à avoir un freinage atmosphérique relativement faible, un champ de gravité
mieux connu et finalement déterminer une trajectoire avec la précision la meilleure
possible. On a cherché aussi à obtenir une résolution temporelle relativement brève
c’est-à-dire à observer tout l’océan dans le délai court de 10 jours. Ce choix a permis
en même temps la détermination précise des marées. En revanche, pour d’autres objectifs comme ceux liés à l’imagerie, il vaut mieux peut-être chercher à le faire à des
altitudes inférieures pour des questions de bilan d énergie et de résolution angulaire de
la surface de la Terre. Cela explique la diversité des choix adoptés pour les paramètres
orbitaux, choix qui se complémentent. Ceci étant dit, dès lors que l’on a fait un choix
sur les éléments orbitaux, on obtient un produit lié à ces éléments orbitaux. Ainsi le niveau moyen des mers ne peut avoir exactement la même signification s’il est déterminé
avec une orbite répétitive à 10 jours ou à 17 jours ou à 35 jours car on ne fait pas les
mesures sur les mêmes traces à la surface de la mer. Il y aussi le problème de la précision
et de l’exactitude des mesures que nous allons examiner maintenant et qui dépendent
des moyens de trajectographie à bord du satellite et de l’altitude du satellite et donc
des paramètres orbitaux.
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La recherche de la précision et de l’exactitude des mesures
L
a précision de la mesure de la hauteur de la surface topographique de la mer par
rapport à une surface géodésique de référence (voir figure 1) dépend de plusieurs
paramètres. Mais en premier lieu elle dépend de deux paramètres primordiaux : la position du satellite dans un référentiel géodésique à partir d’où la mesure est faîte et la
précision avec laquelle on connaît la mesure de la distance altimétrique satellite-surface
de la mer, c’est-à-dire de la mesure du temps aller-retour de l’impulsion radar (figure 1).
Cette simple remarque montre toute l’importance de connaître à la fois la trajectoire
du satellite avec la plus extrême précision et aussi de faire des mesures altimétriques très
précises d’où la nécessité de bien comprendre le processus physique de propagation et
de réflexion de l’onde radar. Cependant dans les débuts des années 80, un des paramètres cités, la trajectographie précise, était loin de pouvoir espérer le niveau décimétrique
et plus encore centimétrique rendant difficile, voire inaccessible l’atteinte de certains
objectifs visés (voir la figure 4a pour la précision des mesures laser et doppler en trajectographie et leurs variations au cours du temps). Or c’étaient les niveaux souhaités par
les océanographes pour progresser dans nos connaissances. Certes comme on le sait
en métrologie géodésique, on ne peut espérer améliorer les précisions que pas à pas,
et on ne pouvait pas aller de la précision métrique à la précision centimétrique d’un
seul coup et il fallait que les océanographes bénéficiaires soient patients et acceptent
de soutenir des projets dans un souci prospectif même sans avoir immédiatement tout
ce qu’ils eussent voulu avoir. Ce fut fait, mais ce ne fut pas évident à obtenir de la part
de certains océanographes. Le système de positionnement de l’époque de l’US-Navy
fondé sur le système « Doppler Transit » ne pouvait donner sur la trajectoire qu’une
précision de quelques décimètres comme on peut le voir sur la figure 4b et on voit aussi
sur la figure 4a que les mesures de base de l’effet doppler ont fait un saut entre 1985 et
1995. Il ne faut pas non plus oublier les erreurs introduites par les temps de propagation
dans l’ionosphère et la troposphère et par le système de mesure lui-même tel l’electromagnetic bias (EM bias) ; elles sont mises en évidence dans la figure 4b. On voit ainsi
sur cette figure que dans la phase initiale de l’épopée altimétrique, l’erreur d’orbite a été
assez largement prédominante jusqu’à l’arrivée de Topex-Poséidon où une rupture peut
être observée, mais il faut bien comprendre pourquoi et on va y revenir. Concernant
l’exactitude de la mesure altimétrique elle-même, il faut s’en assurer avec des campagnes régionales d’étalonnage et de validation. Aujourd’hui cela est réalisé dans des
sites géographiques dédiés comme ceux qui sont développés en Corse (figure 3) ou
à Harvest aux États-Unis ou ailleurs de façon occasionnelle comme en Crète (Grèce),
en Tasmanie (Australie), ou encore à Ibiza en Espagne. Le principe en est très simple :
on compare la mesure du temps aller-retour de l’onde radar émis depuis le satellite à la
distance observée mer-satellite. Cette dernière est obtenue en mesurant dans le même
référentiel local avec GPS3, la position de la mer (grâce à des bouées, grâce aussi à des
marégraphes) et la position du satellite (grâce à un récepteur GPS à bord du satellite et
grâce aux réflecteurs laser installés sur le satellite).
3 Global positioning system. NDR
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1975
1985
1995
2000
150 cm
30 cm
3 cm
1 cm
5 cm/s
1 cm/s
0,03 cm/s
0,01 cm/s
20 cm
5 cm
2 cm
0,5 cm
-9
-10
2
-10
2
5 10 m/s
10 m/s
10-13 m/s2
10 m/s2
-11
-12
-13
10 s
10 s
3 10 s
10-14 s
-12
-13
-14
(10 )
(10 )
(10 )
Figure 4a. Évolution des précisions des instruments de mesures utilisés en géodésie.
laser
doppler
altimètre
accéléromètre
horloge
Figure 4b. On a de gauche à droite les erreurs dues à l’orbite, les erreurs de l’altimètre, les erreurs
ionosphériques, troposphériques et le biais électromagnétique. La parallèle à l’axe des abscisses
d’ordonnée 20 cm donne l’amplitude du signal océanographique à mesurer. Les deux valeurs
pour Topex- Poséidon sont celles du début et de la fin de la mission (document GRGS/CNES).
≈≈≈
Il faut revenir à la précision de la trajectographie. Le succès de Topex-Poséidon dans ce domaine par rapport aux missions précédentes fut gagné grâce au nouveau
système français de détermination d’orbites, le système Doris (Détermination d’orbite
et radiopositionnement intégré par satellite). Au départ on espérait seulement une
précision globale meilleure que 13 centimètres et cela même était très discuté. Il faut
souligner notamment que beaucoup de collègues outre-atlantique ne croyaient pas au
départ aux prévisions annoncées ; il fallait l’optimisme de Michel Lefebvre et de ses
collègues du CNES pour y croire vraiment et plus tard une vision courageuse pour
lancer le fameux défi du two centimeters challenge. Pourtant ce fut fait et avec panache
et aujourd’hui sur Jason-1 et Jason-2 il est possible d‘obtenir la précision centimétrique
et même mieux. À cette époque, il faut préciser que le système GPS embarqué à bord
de satellites n’avait pas encore fait ses preuves dans ce domaine. Il fallait des développements technologiques complémentaires et nouveaux ; ils étaient préparés au JPL4 aux
États-Unis pour Topex-Poséidon, mais ils ne furent finalisés que sur Jason-1 et Jason-2
4 Jet propulsion laboratory, centre de recherche dépendant de la NASA. NDR
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au niveau centimétrique avec le nouveau récepteur opérationnel GPS de bord, appelé
« Black Jack ». La télémétrie laser comme on le sait aussi, a joué et joue un rôle très
important dans la trajectographie tant comme moyen de poursuite et de soutien (surtout quand les autres systèmes sont défaillants, ce qui est arrivé plusieurs fois au cours
de l’histoire de l’altimétrie spatiale) que comme système de validation et d’étalonnage
absolu des altimètres. Par ailleurs dans les années 80 la précision de la télémétrie laser
avait encore toute une marge de progrès possibles (voir figure 4a) ; il faut attendre le milieu des années 90 pour que la communauté internationale s’organise d’une façon très
efficace dans le cadre de l’International Laser Ranging Service, l’ILRS. Ainsi le rôle de
Doris a été fondamental et nul doute que sans Doris, Topex-Poséidon n’eût pas connu
les succès obtenus et de très loin. Aujourd’hui tous les trois systèmes de poursuite utilisés conjointement sur ces satellites ont donné la clé du problème et sont désormais
coordonnés au niveau international avec l’International GPS Service ou l’IGS qui fut
d’ailleurs moteur dans ce domaine et qui représente maintenant l’International GNSS
Service (GNSS pour Global Navigation Satellite System), l’International Doris Service
ou l’IDS et l’ILRS. Ces services sont affiliés à l’Association internationale de géodésie
dans le cadre de l’International Earth Rotation Service ou l’IERS.
Les géodésiens sont aujourd’hui très attachés à ces trois systèmes de poursuite,
GPS/GNSS, Doris, et Laser, car des erreurs systématiques sont inévitables et toujours
présentes ; seule la comparaison entre les différentes déterminations et les différentes
mesures peuvent donner une évaluation irremplaçable des biais possibles. Ceci est très
important car les progrès dans nos connaissances sont intimement liés aux progrès de
la trajectographie ; la course à la précision et à l’exactitude du mm est toujours engagée,
mais n’est pas encore gagnée sur tous les fronts tant s’en faut.
Un autre point important pour une trajectographie de haute précision est l’altitude du satellite, plus l’altitude est basse, plus la haute précision est difficile à obtenir ;
champ de gravité, freinage atmosphérique, albédo terrestre perturbent plus cette trajectoire. Ce fut le gros avantage de la série Topex-Poséidon et Jason par rapport aux autres
séries de satellites évoluant à des altitudes moins élevées. Cette série Topex-Poséidon
constitua ainsi une référence géodésique irremplaçable et elle l’est encore. Par comparaison et par référence, cette série a permis de valoriser et en fait d’étalonner les résultats
des autres séries de satellites et chacun y a donc beaucoup gagné.
La recherche de la qualité et de l’exactitude des produits - un exemple : le niveau moyen
des mers
L
e niveau moyen des mers au sens ou nous l’avons défini le long des traces répétitives
est un bon exemple de la qualité des produits obtenus et nous allons nous y attarder
(figure 5a, le niveau moyen déduit de Topex-Poséidon et Jason). L’incertitude est de
l’ordre de 0,4 mm/an pour une amplitude de l’ordre de 3 mm/an ce qui est remarquable
en termes de précision et d’exactitude mais on le comprend très exigeant à garantir. En
fait seule, l’accumulation d’un très grand nombre de mesures avec des erreurs systématiques aussi petites que possible permet d’obtenir de telles incertitudes. L’importance
123
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Plaidoyer pour le satellite océanographique Jason-3
d’une trajectographie la plus exacte possible (comme celle également de l’étalonnage
des altimètres) est un point clé incontournable sur lequel on ne peut transiger. Ceci est
en faveur des orbites de type Topex et Jason qui sont comme on l’a vu, les plus précises.
Cependant, le niveau moyen peut aussi être obtenu très heureusement avec les autres
satellites altimétriques (figure 5b) car il est possible de les inter comparer notamment
avec les séries Topex-Poséidon et Jason puis de les étalonner ainsi les uns par rapport aux
autres et enfin de les combiner tous ensemble. Cela améliore de manière significative la
détermination de la tendance moyenne que l’on cherche à estimer. On peut alors aussi
et de manière également plus précise estimer les variations régionales et géographiques
(figure5c) à différentes latitudes et dans des régions non accessibles aux séries TopexPoséidon - Jason.
Figure 5a. Évolution du niveau des mers déduite de Topex-Poséidon et de Jason-1. Document
laboratoire LEGOS/CNES observatoire Midi
Pyrénées Toulouse.
Figure 5b. Évolution du niveau moyen des mers
déduite des divers satellites altimétriques. Document NOAA, États-Unis, présenté au colloque du groupe Ocean Surface Topography Science
de Venise, Lillibridge, mars 2006.
Figure 5c. Niveau
moyen des mers
déduit des satellites altimétriques
de 1992 à 2008 et
carte géographique de tendances
entre 1992 et
2008 en mm/an.
La correction du
baromètre inverse
et celle de correction troposphérique humide ainsi
que les corrections
saisonnières ont été appliquées aux données (Documents du site Internet CLS/Aviso, 2008).
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Interpréter et comprendre la signification des produits par ajout de données externes et
la modélisation géophysique - cas de l’évolution du niveau moyen des mers
L
e niveau moyen des mers est considéré comme un indicateur du changement climatique observé ; il est très important et a un grand retentissement médiatique car
c’est un intégrateur sur tout ce qui se passe sur toutes les colonnes verticales des océans.
D’autres indicateurs océaniques existent évidemment comme le phénomène El Niño,
les oscillations des paramètres atmosphériques, le NAO, le North Atlantic oscillation,
et l’ENSO (acronyme composé à partir des termes El Niño et Southern Oscillation)
mais nous ne considérons ici que le niveau moyen.
Pour s’assurer de la validité de ces estimations, il est alors très important de
chercher à les modéliser. Pour cela, il faut d’autres types de mesures, en premier lieu,
celles permettant les estimations de la température et de la salinité des océans à différentes profondeurs comme cela peut être obtenu avec des bouées (figure 6). On peut alors
évaluer la contribution de la dilatation thermique des océans à l’élévation du niveau de
la mer.
Figure 6. Position des 3 000 flotteurs de la mission ARGO à la date du 21 septembre 2007. Il
est essentiel de combiner les données in situ (notamment les mesures de paramètres océaniques
physiques à différentes profondeurs jusqu’à 700
m) avec les données spatiales.
Il faut aussi évaluer les transferts des masses d’eau des continents vers les océans
(fonte des glaciers, débit des fleuves et des rivières dans la mer) et aussi les transferts des
masses d’eau de l’atmosphère vers les océans (pluie et évaporation). Sur ces questions le
satellite germano-américain Grace (Grace, Gravity Recovery and Climate Experiment,
satellite lancé en 2002) a apporté et apporte une contribution de grande valeur qui est
irremplaçable. Elle se fonde sur la trajectographie relative de deux satellites jumeaux
qui se suivent à quelques centaines de km. À titre d’exemple, depuis 2002, ce satellite
permet d’étudier la variation de la quantité de glace stockée sur le Groenland (figure 7)
et les transferts de quantité d’eau entre la terre solide et les océans, et donc de prédire
leurs contributions à l’élévation du niveau de la mer.
≈≈≈
Figure 7. Diminution du volume des glaces du Groenland
estimées à partir des données
du satellite Grace pour la période 2002-2006. D’après
F.Parrenin et C.Ritz, LGGE,
Grenoble, 2007.
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Grâce à ces données, on a cherché à modéliser les variations observées du niveau de la mer en prenant en compte les contributions déduites des mesures faites avec
les bouées et le satellite du champ de gravité Grace. On observe ainsi à partir de 2002,
un certain changement de comportement comme si les effets liés à la dilation thermique
paraissaient diminuer par rapport aux 10 années précédentes de 1992 à 2002 et qu’au
contraire, il y avait une augmentation des effets liés à la fonte des glaces et aux autres transferts hydrologiques. Le rôle respectif des effets se serait en quelque sorte inversé, le rôle
de l’expansion thermique n’étant plus majoritaire ou du moins ne représentant plus approximativement que la moitié des phénomènes observés comme dans les 10 années précédentes. Aujourd’hui pour les 5 dernières années on estime à 2,5 mm/an avec une incertitude de 0,4 mm l’élévation du niveau de la mer dont 2,2 mm/an serait due à la fonte des
glaciers et aux autres transferts hydrologiques (données de Grace et données terrestres)
et 0,31 mm/an due à l’expansion thermique d’après les données des bouées ARGO. On
voit que l’on est donc dans une période d’évolution possible et significative de l’origine
de l’élévation du niveau de la mer rendant délicate toute prévision précise à long terme.
Seule, l’observation à long terme avec les mêmes séries scrupuleusement identiques sur le
plan système, vu la petitesse des chiffres à mesurer, pourront nous éclairer ultérieurement.
Ceci milite donc très fortement en faveur de la poursuite des mesures faites dans le cadre
de la série Jason qui sont la référence dans ce domaine depuis 1992, soit depuis plus de
15 ans. Mais aussi en parallèle, il faut assurer la maintenance des systèmes de bouées et il
faut militer très fortement pour que le satellite Grace ait un successeur sous une forme ou
sous une autre qu’on peut appeler Grace Follow on. Ces résultats cités sont développés à
Toulouse au Legos5, laboratoire dépendant de l’université Paul Sabatier (Toulouse III),
du CNES, du CNRS et de l’IRD. Toutes ces questions sont difficiles avec un certain
nombre d’incertitudes et font l’objet de recherches ; on n’en est pas encore au stade d’en
maîtriser tous les aspects tant s’en faut. Leurs analyses précises sortiraient du cadre de cet
article, mais il faut retenir l’importance extrême de longues séries temporelles homogènes
d’observations sur des décennies pour bien comprendre tous ces phénomènes.
Devant la nécessité de faire des comparaisons avec d’autres systèmes pour assurer l’exactitude de l’élévation du niveau de la mer, on doit citer maintenant la marégraphie avec son réseau mondial GLOSS, Global Levelling of Sea Surface, incluant environ
300 marégraphes. L’observation du niveau de la mer de cette manière est coordonnée
est placée sous le patronage de la Commission océanographique intergouvernementale
et de l’Organisation météorologique mondiale. Ses objectifs se trouvent notamment
dans l’étude des tendances à long terme du niveau de la mer, l’étalonnage régional des
altimètres radars embarqués sur satellite comme on l’a déjà vu, la surveillance de la
circulation de surface des océans. Pour atteindre ces objectifs des très longues séries
temporelles sont aussi nécessaires et indispensables. Ainsi on possède des observations
faîtes à Brest depuis 300 ans à partir de 1700 et c’est très précieux. Cependant de telles
comparaisons ne sont pas faciles à faire car le sens des données issues de l’altimétrie est
différent de celui issues des données des marégraphes qui sont par nature obtenues près
des côtes. La comparaison ne peut se faire directement et sans précaution.
5 Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales. NDR
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Conclusion : soutenir la poursuite de la série Jason et développer Jason- 3, agir très vite
dans le cadre de GMES-Kopernikus
C
omme nous venons de le montrer, l’importance de poursuivre la série Jason est
cruciale car nous avons encore beaucoup à comprendre dans l’élévation actuelle
du niveau des mers. Seules, de longues séries temporelles exactes nous permettront de
le faire. Pour éviter des interruptions, des décisions sont à prendre dès maintenant car il
faut près de 5 ans entre l’instant de la décision et l’instant du lancement et encore si l’on
s’en tient à une reproduction de l’instrumentation existante sans de nouvelles études,
qui seraient par ailleurs coûteuses.
L’importance d’assimiler différents type de données issues de l’observation de
la Terre, de modéliser leurs variations, d’en obtenir de longues séries exactes ne saurait
se limiter au cas du niveau de la mer qui est un exemple et un très bon indicateur du
changement climatique. La Terre est un tout, que l’on veut comprendre, Terre solide,
Terre liquide et Terre gazeuse avec des interactions entre ces différentes couches. Sur le
plan des applications sociétales, il faut se placer dans un cadre général comme celui du
programme européen GMES-Kopernikus, Global Monitoring for Environment and Security, lui même lié au programme mondial GEOSS, Global Earth Observation System
of Systems. Il s’agit de doter l’Europe, dès 2008, de « moyens opérationnels et pérennes »
lui permettant de remplir ses engagements concernant les directives européennes ou les
traités et les conventions internationaux en matière environnementale.
Rappelons que le programme GMES-Kopernikus s’articule autour de quatre
éléments :
- les moyens d’observation spatiaux ;
- les moyens d’observation in situ (y compris aéroportés) ;
- le traitement des données et la diffusion d’informations et de produits ;
- les services en fonction des besoins spécifiques (prévision de l’état de la mer, gestion
des situations de crise liées aux aléas d’origine naturelle, climatique ...). Les prévisions
en matière d’état de la mer en liaison avec les données météorologiques sont devenues
essentielles, comme on le voit malheureusement avec tout un ensemble de cyclones tropicaux comme celui de Katrina le 29 août 2005 et d’autres plus récents.
Dans ce secteur et dans le domaine de l’océanographie opérationnelle un grand
progrès à été accompli à Toulouse par le groupement d’interêt public, le groupement
Mercator. Il délivre désormais chaque semaine des prévisions. Nous donnons en figure
8 à titre un exemple de prévision dans l’océan Indien.
≈≈≈
Figure 8. Carte de la salinité à 100 m de profondeur du 29 avril
2008 (couleur bleue : mer peu salée - 34.60 ; couleur rouge mer
salée - 36.50). La finesse des résultats sur la salinité (1/12 de degré
de résolution spatiale) est absolument remarquable.
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Mais pour assurer ces travaux de prévisions, plusieurs satellites dans l’espace et
une instrumentation diversifiée, 3 ou 4 au minimum disent les experts sont nécessaires et en permanence. Ils devront être intégrés dans des objectifs communs et Jason-3
donnera la référence géodésique du niveau des mers avec une continuité de plus 20 ans
de données. Sur ce plan, en parallèle, des missions spécifiques expérimentales sont de
fait et heureusement programmées en Europe.
On doit citer le satellite franco-indien Saral-Altika, lancé en 2009 et fondé
sur l’utilisation de nouvelles fréquences plus élévées permettant de mieux étudier
l’océanographie côtière et les plateaux continentaux. Il faut citer aussi le satellite
Cryosat-2 de l’ESA qui sera lancé en 2009 pour surveiller l’épaisseur des glaces continentales et les glaces de mer et mieux cerner ainsi leur lien avec l’élévation du niveau
de la mer et les changements climatiques. Il faut y ajouter les satellites « sentinelles »
sous maîtrise d’œuvre de l’ESA avec le soutien financier de la Commission européenne. Sentinelle-1 lancé en 2011 sera équipé d’un radar pour une imagerie tout
temps, 24 heures sur 24 avec 5 mètres de résolution pour assurer une continuité avec
les données des radars SAR des satellites ERS et Envisat de l’ESA. Un instrument
comme le SAR, Synthetic Aperture Radar dans des travaux de type Mercator peut
jouer un rôle très positif. Des progrès récents ont en effet été obtenus avec succès dans
des applications océanographiques (études des vents vagues, courants). Sentinelle-2
lancé vers 2012 fera de l’imagerie optique pour la surveillance des terres et des océans
dans 13 bandes spectrales du visible à l’infra-rouge avec une imagerie de 10 mètres de
résolution dans le cadre des programmes du GMES-Kopernikus. Sentinelle-3 lancé
vers 2012 fera l’observation de la couleur des océans et des terres émergées, la mesure
de la température des surfaces, l’étude du couplage océan-atmosphère ; il sera aussi
équipé d’un radar altimètre SRAL avec un radiomètre micro-onde. Il pourrait faire
partie d’une série de satellites récurrents, les satellites « sentinelles B ». HY-2 un
satellite chinois complétera ce tableau et sera lancé en 2009. HY ou HaiYang qui
en langue chinoise signifie océan sera équipé du système de positionnement et de
trajectographie Doris. D’autres opportunités peuvent se présenter dans d’autres pays
notamment aux États-Unis.
Figure 9. Le principe de fonctionnement
de l’altimètre à large fauchée, WSOA, Wide-Swath Ocean Altimeter, est l’envoi par
chacun des interféromètres d’une onde qui
est réceptionnée par l’autre. Chaque interféromètre illumine une bande de 100 km
grâce à un angle d’antenne de ~4°. La taille
latérale effective des pixels est de 670 m au
proche nadir, et de 100 m en bout de fauchée. La taille le long de la trace est d’environ
13,5 km. Une recomposition d’image serait
effectuée de façon à reconstituer une mosaïque de 15 km de résolution. D’après L-L.
Fu et E. Rodriguez, NASA/JPL, USA.
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On peut citer ici la mission SWOT, Surface Water and Ocean Topography. L’altimétrie spatiale s’est montrée porteuse d’un potentiel de découvertes en hydrographie
avec déjà de très beaux résultats (étude de la variabilité du niveau des grands lacs, des
mers intérieures, des grands bassins fluviaux). Nous n’avons pu malheureusement ici
parler de ces aspects. Mais il y a aussi des limitations dans ces études par l’altimétrie
classique et on a pu montrer qu’un interféromètre à large fauchée dont le principe est
donné en figure 9 apporterait beaucoup dans ce domaine. C’est la mission SWOT, mission étudiée en particulier au JPL (USA) et au Legos à Toulouse et envisageable pour
2015-2016 ; on devrait alors avoir une résolution spatiale bien meilleure que ce qui
existe et qui donnerait accès à la topographie des zones continentales polaires, à celle
des océans côtiers ou à celles des plus larges fleuves.
Il ne faut pas oublier également toutes les expériences parallèles notamment à caractère in situ délivrant les données obtenues avec les bouées, les navires, les
marégraphes.
En conclusion, il faut souligner l’importance de conserver une référence de
très haute qualité métrologique pour les produits comme le niveau de la mer, en prolongeant la série Jason. Il faut souligner l’importance de la qualification et de la validation
des produits notamment avec d’autres sources de données comme ceux de la marégraphie, l’intérêt des longues séries temporelles, l’importance d’assimiler les données dans
des modèles, l’importance d’insérer des données et les résultats dans des programmes
et dans des centres de prévisions comme Mercator. Tout cela rentre aussi dans les objectifs de GMES-Kopernikus.
Il y a urgence si l’on veut tenir les engagements européens de GMES-Kopernikus
et le changement climatique n’attend pas que nous soyons prêts pour l’observer et il paraît s’accélérer dans l’Arctique. Pour faire vite et bien dans des délais courts il faudrait
qu’un telle série Jason continue de se faire dans le cadre de la NOAA et de Eumetsat. Il
faudrait aussi préserver tous les acquis instrumentaux de cette série pour avoir un coût
aussi réduit que possible et ne se lancer dans aucune étude nouvelle. Ici il ne s’agit pas
d’un satellite expérimental mais de la réalisation d’une série de satellites opérationnels
semblables les uns aux autres.
Pour les raisons exposés plus haut, précision, pérennité, continuité, besoin critique de longues séries de mesures interrompues, nous soutenons l’urgence de programmer Jason-3.
Conclusion générale
I
l faut continuer la success story de la série Jason et il faudrait que Jason-3 soit décidé
rapidement ; il y a urgence car des exigences sont à satisfaire dans le cadre de GMESKopernicus, de Mercator et des problèmes liés à la surveillance de la planète Terre .
Plusieurs années sont toujours nécessaires pour réaliser et lancer un satellite. Il faut une
volonté politique pour surmonter les rigidités (il y en a en Europe) et les règles de toutes parts qui peuvent bloquer le processus de décision sans même parler des problèmes
financiers.
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