Les débuts commerciaux de l`automobile - automotive

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Les débuts commerciaux de l`automobile - automotive
LES DÉBUTS COMMERCIAUX DE L'AUTOMOBILE :
DES PREMIERS ESSAIS AVENUE D'IVRY
AU VOYAGE D'HIPPOLYTE PANHARD, 1890-1893
Acheter une voiture… Au début de 1893, cet acte qui nous paraît aujourd'hui si facile, seuls
quelques clients l'ont accompli depuis le moment où une firme commerciale s'est lancée dans
la fabrication et la vente de voitures automobiles ; cette firme, c'est l'« Ancienne Maison Périn,
Panhard et Cie, Panhard et Levassor, Successeurs » - telle est la raison sociale qui figure alors
sur les catalogues des scies et machines vendues avenue d'Ivry. Pourtant, quels progrès
depuis les premiers tours de roues dans la cour de l'usine ! Bientôt, le jeune Hippolyte Panhard
va même faire la preuve qu'il est possible de rejoindre la côte d'Azur au volant d'une de ces
drôles de « voitures sans chevaux »…
Si le client est alors un pionnier, les constructeurs ne le sont pas moins, payant toujours de leur
personne, parfois même de leur vie, pour mettre au point leur voiture. Sur les documents publicitaires
qu'ils éditent, René Panhard et Émile Levassor ne s'honorent-ils pas du titre de « constructeurs
mécaniciens » ? Puisse le monument à Levassor rappeler aux automobilistes gâtés d'aujourd'hui,
quand ils passent à la Porte Maillot, combien il fallait être visionnaire et téméraire, à la fin du
XIXe siècle, pour se lancer ainsi à la fois sur les routes et dans une entreprise commerciale dont le
succès était plus qu'aléatoire. Il est presque certain qu'aucun capitaine d'industrie d'aujourd'hui, s'il
était transporté en 1891, ne prendrait le risque de lancer une série d'engins dont l'utilité pratique était
loin de sauter aux yeux du grand public ! Mais revenons un peu en arrière. Comme on le sait, Panhard
avait fourni en mars 1890 à la firme Peugeot Frères deux moteurs sous licence Daimler, destinés à
des châssis légers de type quadricycle, fabriqués à titre expérimental sous la direction de l'ingénieur
Louis Rigoulot. La firme de l'avenue d'Ivry aurait pu se contenter d'observer de loin l'utilisation faite par
les Franc-comtois de ces moteurs qu'elle pouvait s'enorgueillir d'avoir su mettre au point, tout en
continuant tranquillement l'activité de fabrications de machines à bois, activité sûre, rentable, et sur
laquelle la réputation de la maison n'était plus à faire.
Constructeurs pionniers
Cependant, deux mois après la livraison de ces premiers moteurs 2 cylindres, suivis en avril d'un
moteur 1 cylindre (moteurs référencés sous les numéros 12, 14 et 16), Levassor, au moment, et sans
doute à la suite, de son mariage avec Louise Sarazin, célébré le 17 mai 1890, prend une décision
capitale. Il va commercialiser des voitures et non plus seulement des moteurs, et demande que l'usine
lui mette en réserve un moteur deux chevaux, 2 cylindres en V, type P2D ; ce moteur de 921 cm
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tournant à 600 tr/min., qui portera le numéro 17, est destiné à un « dos à dos » à 4 places, avec lequel
Levassor, aidé du contremaître Mayade, commence à rouler dans la cour de l'usine dans l'été 1890,
puis s'aventure sur le chemin de ronde voisin ainsi que dans la petite banlieue de Vitry et d'Ivry. René
Panhard suit de près ces essais auxquels il participe parfois personnellement. Les « prototypes »
Peugeot sont des jouets de 400 kg environ, conformes au vœu d'Armand Peugeot (qui, paraît-il, était
initialement hostile à leur fabrication d'automobiles) de privilégier la légèreté pour s'éloigner autant que
possible de la conception hippomobile ; au contraire, les deux associés de l'avenue d'Ivry préfèrent
mettre au point une vraie voiture, capable d'emmener plusieurs passagers. La tâche n'est pas aisée :
une chose est de fixer un moteur sur un véhicule, une autre de faire progresser l'ensemble de façon
satisfaisante. En revanche, si le poids n'est pas négligeable (près d'une tonne), la réalisation est plutôt
élégante ; le moteur disposé au centre est protégé par un coffrage ajouré de part et d'autre duquel
sont disposés conducteur et passagers ; la transmission se fait par chaînes sur les roues arrière,
lesquelles sont plus grandes que celles de l'avant. Le 11 septembre 1890, Levassor estime avoir
réalisé un véhicule déjà satisfaisant puisqu'il écrit à Gottlieb Daimler pour l'inviter à venir se rendre
compte à Paris des résultats obtenus ; il pourra, dit-il, y voir aussi le quadricycle Peugeot. Celui-ci a
été expédié avenue d'Ivry en août 1890 pour évaluation, ou peut-être réparation du moteur ; la maison
Panhard finira d'ailleurs par le vendre en juin 1891 pour un prix symbolique (400 F) à une société de
Stockholm, avec un moteur neuf facturé à part (2.400 F). Il s'avère en tout cas que la réalisation de
Levassor est en tous points supérieure à ce quadricycle et aussi aux prototypes de Daimler, dont la
premier remonte à 1886, mais qui n'ont pas encore abouti à une machine commercialisable.
De plus en plus loin !
À la fin du mois de janvier 1891, Levassor effectue enfin à bord de son prototype sans chevaux le
parcours-test dont il s'était fixé l'objectif, et qui le mène « sans panne et sans descendre de voiture »
de l'avenue d'Ivry à l'entrée de Boulogne-Billancourt, à la porte de Saint-Cloud (au Point du Jour, ex
viaduc d'Auteuil). C'est la première fois que la voiture parcourt une vingtaine de kilomètres sans avoir
besoin, pour revenir au bercail, d'être remorquée par un brave représentant de l'espèce qu'elle
prétend détrôner. Le soir même, un banquet réunit dans l'usine illuminée les patrons et leurs
collaborateurs, techniciens et ouvriers ayant directement participé à la mise au point de l'ensemble.
Pas question de s'arrêter en si bon chemin : moins de quinze jours plus tard, Levassor couvre sans
ennui le trajet Porte d'Ivry-Versailles et retour, et le prototype s'améliore constamment. Une seconde
voiture est mise en chantier, toujours à moteur central, mais dotée cette fois d'un bicylindre plus gros
(1.025 cm3) et bénéficiant d'un empattement allongé. Le moteur a été reculé, au détriment des places
arrière ; il est vrai que la puissance nominale des moteurs (2 CV 3/4) n'autorise pas la surcharge.
C'est à bord de ce second modèle que Levassor va réussir les 31 juillet et 1er août 1891 ce qui est
véritablement un exploit : le premier parcours routier automobile à longue distance.
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Madame Levassor possédant en effet une villa à Étretat, Levassor se propose de s'y rendre en
automobile. Il est accompagné dans son expédition par Hippolyte Panhard, le fils de René ; les deux
voyageurs quittent Paris à l'aube (4 h 45), atteignent Vernon pour le déjeuner, et peuvent loger à
Rouen le soir-même, à l'Hôtel du Dauphin (il n'y avait pas de place pour la voiture à l'Hôtel de la
Poste). Si la voiture a bien marché le premier jour, malgré les averses, les côtes, les routes boueuses,
la seconde journée est marquée par quelques soucis de brûleur et Étretat ne sera rallié qu'à 18 h 45.
Mais la moyenne « commerciale » enregistrée est satisfaisante (10 km/h), et ces deux journées de
route sont à comparer aux quatorze jours qu'avait mis Serpollet pour son « raid » Paris-Lyon l'année
précédente avec une voiture à vapeur, système sur lequel le moteur à pétrole vient de prouver sa
supériorité définitive.
La nouvelle Panhard est commercialisée
Le 24 du même mois, les deux associés prennent leur premier brevet pour une amélioration majeure
apportée au moteur Daimler, sous la forme d'un « allumage à incandescence » par tubes de platine.
Mais surtout, Levassor annonce la sortie. d'un nouveau modèle, de conception tout à fait différente
par rapport aux deux prototypes initiaux : il s'agit d'une voiture à moteur avant, ce qui est déjà une
innovation considérable qui fait de la Panhard l'archétype de la voiture moderne. Mais surtout, cette
voiture (dont le premier exemplaire sera surnommé « le Crabe », pour sa propension à évoluer de
travers) est destinée à être vendue, puisque Levassor en annonce la fabrication à cinq exemplaires !
Étudiée depuis le début de l'année par Levassor et l'ingénieur qui le seconde, M. Gleize, ce modèle
léger (650 kg), à l'empattement réduit à 1,30 m, va connaître un succès immédiat et recevoir cinq
commandes fermes dans les jours qui suivent l'annonce de son existence. Le premier client est un
certain M. Verlinde, qui habite à Boulogne, rue de Billancourt. Il vient chercher sa voiture à l'usine le
30 octobre 1891. Peut-être les descendants de ce tout premier client détiennent-ils encore le premier
catalogue automobile jamais édité, daté d'août 1891 ? Catalogue très simple au demeurant, car les
premiers acheteurs n'ont pas le choix des modèles, toutes ces voitures étant de strictes deux places.
Un an plus tard, le catalogue sera déjà moins rudimentaire et proposera un embryon de « gamme ».
Quatre modèles au choix !
En effet, dès 1892, la production va connaître un début de diversification. Sur les 16 voitures livrées
cette année-là, dix conservent le moteur P2C 2 cyl. de 1 CV nominal, 1 CV 3/4 (2 HP) de 816 cm
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(alésage x course : 70 x 106 mm) semblable à celui des premières voitures livrées ; ces voitures sont
toutes des deux places. Cinq autres sont des quatre places et bénéficient quant à elles d’un moteur
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P2D de 1025 cm (72 x 126) de 2 CV nominaux, 2 CV 3/4 (3 HP), comme sur la seconde voiture de
Levassor - la première voiture avait aussi un moteur P2D, mais de 921 cm3 (70 x 120). La seizième
voiture vendue, acquise par le chimiste Soldé qui la paiera en quinze mois (!), est vendue avec une
forte réduction (3.000 F au lieu de 3.700) car elle est équipée d’un moteur d’occasion, le moteur n° 17
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de la première voiture de Levassor. Une autre voiture à deux places, celle qui a été vendue à M.
Lemoine, est vendue 3.200 F car c’est une « occasion » qui n’a que… 138 kilomètres !
Notons pour être complet qu’il existera par la suite un moteur P2D de 4 HP (3 ch 1/3) de 1184 cm3 (72
x 146) et un moteur P2D de 1290 cm3 (75 x 146) ; des groupes P2D seront commercialisés jusqu’en
1896, mais la plupart des voitures à partir de cette année-là reçoivent des moteurs Phénix à deux
cylindres parallèles ; la paternité de leur carburateur à gicleur avec cuve à niveau constant revient à
l’ingénieur anglais Simms ainsi qu’à Wilhelm Maybach, deux collaborateurs de Daimler ; expérimenté
en 1895 sur la fameuse « N° 5 » de Paris-Bordeaux-Paris, le moteur Phénix surclassera
incontestablement le « vieux » Daimler des débuts ; mais ceci est une autre histoire…
Revenons à la « gamme » 1892. Depuis octobre, donc, la firme propose à son catalogue quatre
modèles de carrosserie : deux voitures à quatre places, de forme dog-cart ou wagonnette, et deux
voitures à deux places, dont une « avec un petit siège à l’arrière », les unes et les autres pouvant être
équipées de parasols, de prix variable selon les dimensions, et de roues avec bandages en
caoutchouc. Le document commercial ne précise pas que les voitures à quatre places ont un moteur
plus puissant que les deux places, l’important étant que la « force » soit suffisante pour emmener à
17 km/h, en terrain plat et sur le troisième rapport, le nombre de passagers qui sont montés dans le
véhicule… « Montés » est vraiment le terme exact, heureusement ces Panhard 1893 bénéficient du
marchepied absent sur les prototypes à moteur central, qui nécessitaient, paraît-il, de véritables
acrobaties de la part de leurs occupants…
Grand tourisme
Justement, à part faire de la culture physique et parfaire ses connaissances mécaniques, à quoi peut
donc bien servir à l’époque un véhicule automobile ? Mais… à se déplacer, à partir en voyage, à aller
visiter ses ouailles, comme le fera durant quarante ans le brave curé de Renneville, ou ses patients,
comme ces cinq médecins qui achèteront une Panhard & Levassor en 1893. Plaisanterie mise à part,
l’utilité pratique de l’automobile reste quand même encore à prouver. Pour ce faire, Hippolyte
Panhard, le fils de René qui est déjà son collaborateur à l’usine où il fait un stage, va accomplir rien
moins que le premier voyage de grand tourisme en automobile.
Le jeune homme a 23 ans et possède déjà une voiture achetée pour lui par son père, et sortie le 28
septembre 1892. Le prix est de 4.214 F (René Panhard a obtenu une réduction, le tarif normal étant
de 4.800 F), somme à laquelle il faut ajouter un parasol rectangulaire à franges à 104 F. En francs
actuels, la voiture vaudrait environ 90.000 F (ou 13.700 €), ce qui est fort raisonnable étant donné le
caractère artisanal de l’engin, carrossé par Belvalette… La Panhard et Levassor est équipée d’un
moteur P2D portant le n° 102 ; ce 2 cylindres de 1025 cm3 donné pour 3 HP développe en fait la
puissance de 2 chevaux 3/4 (2 chevaux nominaux) ; il est refroidi par « une petite provision d’eau
contenue dans un réservoir spécial » et alimenté par un carburateur à barbotage faisant office de
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minuscule réservoir d’essence, dont la contenance permet d’effectuer environ 80 kilomètres (une
réserve est nécessaire si on veut augmenter l’autonomie). Les engrenages de la boîte de vitesses
fonctionnent encore à l’air libre (sur la N° 5, ils seront enfermés dans un carter), tandis que la direction
est confiée à une barre franche, c’est-à-dire un levier également surnommé « queue de vache » que
le conducteur tient de la main gauche, tandis que sa main droite est occupée à manœuvrer, le cas
échéant, le levier de vitesses ou celui qui actionne l’un des deux dispositifs de freinage (celui que l’on
emploie « dans les grandes descentes, ou pour des arrêts instantanés », dit le catalogue), l’autre frein
étant commandé par une pédale.
Voilà pour la mécanique. Le 27 mars 1893, à 8 h 45, la voiture s’engage dans l’avenue d’Ivry ; aux
commandes, Hippolyte, et à côté du jeune homme son oncle Georges Méric, oncle maternel par
alliance. La voiture est carrossée en dog-cart, ce qui signifie qu’il y a derrière une mince banquette qui
fait office de coffre à bagages. Le but est de rallier Nice en six étapes de 120 à 140 kilomètres
chacune, par la vallée du Rhône, et de revenir à Paris par la route Napoléon, le Dauphiné et l’Ain.
Chaque soir, Hippolyte écrira ou télégraphiera à son père ainsi qu’à « Monsieur Levassor », qui
semble avoir sur la conduite du jeune homme un avis mitigé : « M. Levassor va dire que je conduis
très mal ma voiture, écrit-il une fois à destination, mais je t’assure que je fais tout ce que je peux pour
la ménager et que je n’essaie pas de monter les côtes plus vite que je ne peux en faisant glisser
l’embrayage ».
D’une étape à l’autre
Lundi 27 mars 1893. Une fois franchie la porte de Charenton et traversé le bois de Vincennes, la
voiture, dans un bruit de tonnerre, franchit le pont de Joinville et gagne la route de Melun via Bercy et
Alfort, dont les quais pavés sous Louis XIV se prêtent mal au roulement d’une voiture sans chevaux,
fût-elle suspendue par des ressorts à lames ! Une fois sur la grand’ route, il est possible d’accélérer
jusqu’à l’allure de croisière de 17 km/h, avec quelques « pointes » (tout est relatif) à la vitesse
maximale (le prospectus de 1892 disait : « On peut marcher plus vite et atteindre 20 km/h, mais ces
allures exigent de la part du conducteur une grande attention et ne sont pas toujours à conseiller »).
Fontainebleau est atteint pour le déjeuner (au « Cadran bleu »), et les voyageurs arrivent le soir à
Briare, après 140 km parcourus sans grands ennuis (moteur calé vers Melun, brûleur éteint en forêt
de Fontainebleau…).
Mardi 28 mars : Cosne-sur-Loire, déjeuner à Nevers, où la population s’amasse devant l’hôtel pour
voir la voiture sans chevaux et ses occupants. Dans les villages, gamins et chiens courent après la
voiture (et même « chats et volailles », écrit Hippolyte avec un peu d’exagération). En cours de route,
il avait fallu ôter le parasol, qui « donne prise au vent » (déjà, les soucis d’aérodynamique !).
L’approvisionnement en carburant n’est pas facile mais, à Pouilly-sur-Loire, les voyageurs rencontrent
un M. Thévenin, qui possède une charrue à pétrole et leur cède « 23 litres de gazoline ». Nuit à
Decize, dans un petit hôtel « très propre », écrit le jeune homme, qui ajoute : « Il y avait à dîner cinq
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plats exquis, que mon oncle Georges a beaucoup appréciés. Le dîner, les deux chambres, le
remisage de la voiture, le petit déjeuner, le tout nous a coûté dix francs. Ce n’est vraiment pas cher ».
Mercredi 29 mars : Bourbon-Lancy, Digoin, Marcigny, Roanne, où un incident comique se produit
quand Hippolyte se rend chez un épicier, pour acheter de l’essence : « je me suis arrêté derrière sa
charrette à bras. En descendant, j’ai poussé le levier d’embrayage et la voiture en démarrant
brusquement a culbuté celle de l’épicier. Coût : 10 francs ».
Jeudi 30 mars : Les voyageurs ont atteint le Midi de la France. Après Saint-Étienne, la grande côte
du Col de la République est absorbée « sans descendre de voiture », mais, à la descente, la situation
se gâte : les voyageurs qui se laissent « glisser sans bruit et comme sur du velours », prennent un
peu trop de vitesse, les freins et les roues chauffent et la voiture manque prendre feu… L’oncle
Georges tient un « seau plein d’eau entre ses jambes et à l’aide d’un chiffon humecte constamment
les freins » ! Le soir, les voyageurs logent à Annonay.
Jours suivants : Encore deux jours jusqu’à Orange, où les voyageurs visitent «au clair de lune» le
front de scène du théâtre antique ; ils dînent à Chateauneuf-du-Pape à l’Hôtel des Princes. Après
Avignon, Salon-de-Provence et Marseille, les voyageurs gagnent Hyères, d’où Hippolyte est natif, si
bien qu’il y restera deux jours. C’est là que Félix Belhomme, un cousin de René Panhard venu de
Paris, remplace l’oncle Méric. Hipployte arrive à Nice via Sainte-Maxime et Cannes. Il restera sur la
Côte jusqu’au 19 avril.
Ce sont deux semaines à la fois de villégiature et d’affaires qui commencent alors. Hippolyte va
rencontrer des personnalités et pouvoir faire la promotion de sa voiture. Il obtient des rendez-vous
importants avec des clients potentiels et en particulier le grand-duc de Mecklembourg, cousin du
grand-duc Michel et qui abdiquera en 1918. L’épouse du grand-duc Michel émet le désir d’acheter une
voiture qu’elle conduira elle-même. Voilà Hippolyte transformé en démonstrateur : « Ils veulent que je
les conduise au Golf Club dont le grand-duc est président». Seulement, ils seront «trois ou quatre sur
la voiture et il paraît qu’ils sont grands et gros », et c’est le moment que l’embrayage choisit pour faire
des
caprices : « J’ai déchargé complètement le coffre, mais je ne pourrai jamais faire ce qu’ils
veulent. J’essaierai de mettre une cale derrière le ressort d’embrayage pour le faire entrer davantage,
et à la grâce de Dieu. Ce serait bien ennuyeux de manquer mon effet devant tous ces personnages ».
L’embrayage est alors un mécanisme à lames d’acier qu’il faut faire patiner légèrement pour obtenir
un démarrage pas trop brutal, ce qui provoque à la longue un échauffement inopportun… Finalement,
heureusement pour Hippolyte, tout se passera fort bien.
Après cette période un peu folle où on voit la Panhard circuler partout sur la côte d’Azur - la publicité
ainsi faite sera excellente, puisque 37 voitures seront vendues par l’usine en 1893 -, il faut songer à
rentrer. Le retour ne va pas sans quelques difficultés car l’embrayage va très vite donner des soucis,
dans la montagne après Saint-Vallier, au-dessus de Grasse : c’est la panne au petit hameau
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d’Escragnolles. On leur indique une auberge à 16 km de là, au Logis du Pin ; les voyageurs trouvent
deux chevaux et un homme pour les hisser au sommet d’une côte de 7 km : de là, ils n’auront qu’à se
laisser glisser dans la descente… Las, celle-ci ne fait que 2 km, il reste 7 km à faire ! Belhomme, dans
la nuit, ira chercher un autre sauveteur qui les amènera à bon port… Le plateau d’embrayage changé,
on continue cahin-caha jusqu’à Digne, d’où’on rentrera par petites étapes… Il n’importe : la mission
est accomplie ! C’est peut-être à la suite de ces ennuis d’embrayage qu’à partir du mois d’août, les
voitures construites bénéficieront d’un nouvel embrayage à double cône, dit « compound ».
La voie est tracée…
Paris-Nice… Les millions d’automobilistes qui ont, depuis, emprunté ce trajet pour leurs affaires ou
leurs vacances pensent-ils à Hippolyte Panhard, qui leur y ouvrit la route ? Comme il rirait de notre
prétendu goût de l’ »extrême », l’intrépide Hippolyte ! Lui qui, malgré sa santé prétendument fragile (il
siégera pourtant au Conseil d’Administration jusqu’en 1941, et le présidera pendant vingt-six ans), se
risqua sans assistance, sans téléphone portable, sans ordinateur de bord, sans panneaux indicateurs,
sur des routes qui n’en étaient pas toujours, avec une des premières voitures à laquelle, pourtant, rien
d’essentiel ne manquait, pas même la marche arrière (obtenue grâce à un inverseur)…
L’automobile a désormais fait la preuve de son utilité pratique. L’un des premiers clients de 1892,
Louis Mors, un futur concurrent pour l’avenue d’Ivry, qui a acheté une voiture 4 places équipée d’un
moteur P2D (n° 101), pourra en novembre 1893 témoigner par lettre de sa satisfaction : « Je viens
d’achever, avec la voiture que vous m’avez livrée en septembre 1892, 8.000 kilomètres, cela sans
avarie ni accident. Ni la carrosserie, ni la mécanique n’ont bougé ». Même le législateur commence à
tenir compte de l’arrivée de l’automobile dans le paysage ; signée du préfet Lépine, une ordonnance
du 16 août 1893, la première en la matière, réglemente le « fonctionnement et la circulation sur la voie
publique, dans Paris et dans le ressort de la Préfecture de Police, des véhicules à moteur
mécanique ». Bientôt, ce sera le premier «concours de voitures sans chevaux», organisé par le Petit
Journal, avec pour épreuve finale la première course automobile du monde (Paris-Rouen, le 22 juillet
1894), et un an plus tard la fameuse épreuve Paris-Bordeaux-Paris. Rien n’a changé depuis : entre les
contraintes de la loi et les progrès permis par la compétition, l’automobile n’a plus jamais cessé de se
perfectionner. Quant à Hippolyte, il obtiendra son « certificat de capacité » (ancêtre du permis de
conduire) à l’automne 1893, c’est-à-dire après son retour de voyage…
Patrick Maendly
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