MARCEL MARTEL

Transcription

MARCEL MARTEL
MARCEL MARTEL
UNE BRÈVE HISTOIRE
DU VICE AU CANADA
DEPUIS 1500
Traduction de
GENEVIÈVE DESCHAMPS
Une brève histoire du vice
au Canada depuis 1500
Marcel Martel
Une brève histoire du vice
au Canada depuis 1500
Traduit de l’anglais par
Geneviève Deschamps
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Maquette de couverture : Laurie Patry
Mise en pages : Diane Trottier
© Presses de l’Université Laval. Tous droits réservés.
Dépôt légal 4e trimestre 2015
ISBN 978-2-7637-2523-9
PDF 9782763725246
Les Presses de l’Université Laval
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Table des matières
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
Chapitre 1
Différents mondes, différentes valeurs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
Rencontres entre 1500 et 1700
Rencontres entre autochtones et Européens. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
Liberté sexuelle ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
« Une passion invétérée pour l’eau-de-vie31 ». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
Jeux de hasard et d’argent. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
Le tabac et son utilisation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
Conclusion : interagir avec les autochtones. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
CHAPITRE 2
Au nom de Dieu, du roi et des colons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
La réglementation des comportements
à l’époque coloniale (1700-1850)
Sexualité : pour procréer seulement. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
Alcool : des colons assoiffés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
« Pas de jeu illégal à l’intérieur de l’établissement » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
Tabac : un transfert culturel « réussi » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
CHAPITRE 3
Réussites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
Les vices en recul (1850-1920)
Bâtir le royaume de dieu sur terre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
Sexualité : répression et résistance. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
Chasser le démon de l’alcool . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
Le jeu : une habitude inconvenante. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
Se débarrasser des drogues. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
V
VI
UNE BRÈVE HISTOIRE DU VICE AU CANADA DEPUIS 1500
Fumer : une habitude à la mode . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103
Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
CHAPITRE 4
De vices à problèmes de santé. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
De 1920 à aujourd’hui
Valeurs différentes et ouverture sexuelle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
Alcool : monopole d’état et consommation responsable. . . . . . . . . . . . . . . . 141
Les gouvernements accros au jeu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150
Drogues : vers la légalisation ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157
Tabac : une menace pour la santé
et une habitude dérangeante. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181
Notes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191
Notes de l’introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191
Notes du chapitre 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191
Notes du chapitre 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193
Notes du chapitre 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 196
Notes du chapitre 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200
Note de la conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208
Bibliographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209
Livres et articles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209
Thèses. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218
Publications gouvernementales. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219
Journaux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219
Sites Internet. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219
Index. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
Introduction
ares sont ceux qui qualifient aujourd’hui de « vice » les jeux de hasard et
R
d’argent, la consommation excessive d’alcool ou la dépendance à la
drogue ou au sexe. On croit généralement, au contraire, que la consommation de drogue et le besoin excessif des jeux d’argent et de hasard sont les
symptômes d’une maladie plutôt que le signe d’un manque de contrôle de
soi ou d’une faiblesse morale. Ces comportements étaient pourtant considérés comme des vices il n’y a pas si longtemps : ils témoignaient ainsi de
l’incapacité d’une personne à se contrôler. Selon ceux qui dénonçaient ces
comportements, cette incapacité avait des conséquences terribles pour les
individus qui en étaient affligés, leur famille immédiate et la communauté
environnante.
Si le terme « vice » peut sembler inapproprié dans la société d’aujourd’hui – bien que certains continuent de l’utiliser –, on constate cependant que les Canadiens ressentent toujours un certain malaise face à ces
comportements. En tant que société, nous accordons une grande importance
à l’identification et à la suppression de ces comportements, qui sont perçus
comme des problèmes sociaux. Et nous sommes, individuellement, réticents
à y être associés, même indirectement. De nombreux conseillers financiers
suggèrent d’investir dans le vice. Entre 1965 et 2006, l’achat de parts dans
une entreprise de fabrication d’alcool ou de cigarettes ou dans une société
de jeux d’argent et de hasard garantissait un retour annuel sur investissement de 3,5 %. Pourtant, les individus et les fonds communs de placement
ont résisté à l’appât du gain et se sont montrés peu disposés à investir dans
ce type d’action, précisément en raison de la nature moralement condamnable des activités de ces entreprises1. Après tout, peut-on tirer une fierté de
soutenir l’industrie du tabac, sachant que le produit qu’elle vend est mauvais
pour la santé ? Et qu’en est-il des entreprises de jeux de hasard et d’argent ?
N’ont-elles pas une responsabilité sociale envers les joueurs compulsifs et
pathologiques qui perdent tellement d’argent qu’ils en viennent parfois à
considérer le suicide comme leur seule option ?
Pour comprendre pourquoi les investisseurs individuels et institutionnels continuent d’accorder de l’importance à la réprobation associée aux
« vices », nous devons prendre en considération les débats et les
1
2
UNE BRÈVE HISTOIRE DU VICE AU CANADA DEPUIS 1500
réglementations qui ont influencé, pendant plus de 500 ans, les attitudes des
Canadiens à cet égard. Certains comportements continuent de soulever la
controverse et de diviser la population. Reste à déterminer comment la
société et les gouvernements devraient les régir.
Le choix du terme « vice », qui semble être tombé en désuétude, peut
paraître étrange à certains lecteurs. Selon le Oxford English Dictionary, un vice
est « une dépravation ou une corruption des mœurs ; une conduite ou des
habitudes mauvaises, immorales ou vilaines ; l’assouvissement de plaisirs
coupables ou l’adoption de pratiques dégradantes ». Cette définition englobe
des comportements qui sont destructeurs parce qu’ils corrompent les individus, mais aussi répréhensibles et hautement condamnables parce qu’ils
sont identifiés comme immoraux. Elle laisse finalement entendre que « les
gens qui se livrent au vice » sont des individus qui apprécient des formes de
plaisir malsaines et irrespectueuses.
Si l’on se base sur cette définition, peut-on qualifier de vice le fait de
manger du chocolat ? La réponse est non, évidemment. Certains médecins
recommandent même d’en manger tous les jours en raison de ses effets
bénéfiques sur la santé. Manger une boîte complète de chocolats chaque
jour est-il un vice ? On peut considérer que de manger autant de chocolat
est dommageable pour la santé d’un individu. On peut aussi se demander ce
qui pousse l’individu à le faire. Il est possible que certains considèrent ce
comportement comme le signe d’un trouble de l’alimentation, en particulier
si l’habitude finit par devenir un besoin. Une telle consommation a des
conséquences. Si elle peut apporter du plaisir à certains, on est en droit de
se demander quel type de plaisir ils en tirent. Certaines personnes insisteront sur les conséquences destructives que peut entraîner l’ingestion de
quantités excessives de chocolat2. D’autres diront qu’il s’agit de gourmandise, invoquant du même coup les sept péchés capitaux, ou vices capitaux,
énumérés par Dante dans son Purgatoire – l’orgueil, l’envie, la colère, la
paresse, l’avarice, la gourmandise et la luxure – et supportés par la moralité
judéo-chrétienne.
Les vices ne se limitent pas à la célèbre liste de Dante. L’index de l’art
chrétien (Index of Christian Art), créé en 1917 par le professeur Charles
Rufus Morey et aujourd’hui hébergé sur le site internet de l’Université de
Princeton, qualifie de vices plus de 118 comportements et habitudes. Il
existe, outre les sept péchés mortels – qualifiés de « mortels » par les chrétiens parce qu’ils entraînent la mort de l’âme de l’individu –, d’autres
comportements considérés comme immoraux, malsains ou irrespectueux,
notamment le blasphème, l’ivresse, la fornication, l’infidélité, l’intempérance, le plaisir et la pauvreté3.
INTRODUCTION
3
Je n’ai pas l’intention de me pencher sur ces 118 vices : ce serait là une
tâche monumentale. Je me propose, dans cette brève exploration de la façon
dont la société canadienne a fait face au vice au cours des 500 dernières
années, de cibler ceux que l’État et les institutions sociétales ont le plus
souvent tenté de combattre. J’aborderai ainsi divers aspects de la sexualité,
comme les tentatives de limiter le contrôle des naissances et les relations
sexuelles avec des prostitué(e)s ou des personnes non mariées ou entre des
partenaires de même sexe. Celles-ci étaient en effet considérées, à d’autres
époques, comme des actes de fornication, de luxure, d’infidélité ou de
sodomie. La consommation d’alcool et l’ébriété qui en résulte étaient
souvent considérées comme des vices parce qu’elles étaient un signe d’intempérance. La consommation de drogue et de tabac était également considérée comme un vice à une époque4. L’usage de drogues à des fins non
thérapeutiques a été diabolisé dans la seconde moitié du XIXe siècle parce
qu’elle permettait au consommateur d’échapper à la réalité et aux responsabilités sociales. Selon les militants antidrogues, les consommateurs développaient des habitudes destructives pour eux et pour leurs proches. À partir de
la seconde moitié du XIXe siècle, les opposants au tabac utilisaient le terme
« vice » dans leur argumentaire. Après avoir rencontré quelques obstacles, la
campagne antitabac a connu un certain succès, en particulier dans les
années 1960, quand le fait de travailler, de voyager et de faire de l’exercice
dans un environnement sans fumée est devenu la nouvelle norme. J’ajoute
les jeux de hasard et d’argent à la liste, puisqu’ils procurent un plaisir illicite
– en particulier lorsqu’une personne gagne beaucoup d’argent sans travailler
dur pour l’obtenir, ce qui va à l’encontre de l’éthique protestante du travail
– ou mènent à la pauvreté, qui est elle-même réputée constituer un vice. On
peut en outre considérer qu’un joueur compulsif se comporte de manière
dommageable pour lui-même lorsqu’il ne parvient pas à se remettre de
pertes financières importantes.
Il se peut que certains lecteurs soient tentés de remplacer l’étiquette
« vice » par celle de « mauvaise habitude ». Après tout, le premier terme a de
fortes connotations chrétiennes et le Canada du début du XXIe siècle est une
société largement séculaire. Il n’est plus beaucoup utilisé de nos jours, sauf
par ceux qui s’appuient sur les croyances chrétiennes pour mener leur vie.
De nombreux chrétiens de diverses dénominations qui se disent progressistes se montrent en outre réticents à employer un terme tombé en désuétude. J’insiste malgré tout pour l’utiliser, notamment parce que le
christianisme a profondément influencé la définition des comportements
appropriés et inacceptables avant l’émergence du mouvement de laïcisation
du XXe siècle. On peut dire, en bref, que le terme « vice » a eu un puissant
4
UNE BRÈVE HISTOIRE DU VICE AU CANADA DEPUIS 1500
impact moral et social. Les Canadiens ont été nombreux à se mobiliser politiquement pour lutter contre le vice. Le christianisme est en outre demeuré
une composante importante du tissu social malgré l’arrivée au Canada de
nombreux non-chrétiens, à compter de 1850. En témoignent encore
aujourd’hui les débats publics au sujet de la définition du mariage et de
l’avortement.
L’étude du vice dans un contexte historique nous permet d’analyser de
quelle façon les individus, les institutions religieuses, les groupes sociaux
organisés (comme les organisations de femmes et, plus récemment, les
médecins et les travailleurs sociaux) et l’État ont cherché à réglementer la
moralité et à influencer la répartition des ressources afin d’appliquer cette
réglementation. Cette exploration se veut le point de départ d’une discussion sur le contrôle social et les restrictions mises en place par les collectivités, les institutions et l’État quant à la manière dont les individus doivent
se comporter en société et à ce qui est attendu d’eux. Les personnes qui ne
respectent pas les normes établies en ce qui concerne les comportements
acceptables risquent des sanctions qui varient en fonction de la nature de la
déviance, de sa fréquence et de ses effets pour les transgresseurs eux-mêmes,
leur entourage et la société en général.
Qui sont les acteurs qui ont fait pression en faveur d’une régulation
des comportements ? Au Canada, la théologie chrétienne a eu une énorme
influence. Au fil des siècles, les théologiens ont développé la notion de vice
et s’en sont servi pour discipliner les individus et contrôler la manière dont
ils menaient leur vie ou se contrôlaient eux-mêmes. La croyance selon
laquelle le vice est destructeur pour la personne qui le pratique a persisté. Le
vice est devenu un signe de corruption, de faiblesse morale et de défaut
moral, et ces caractéristiques étaient condamnables, dépravées et dégradantes5. On croyait que les individus pouvaient éviter la transgression en
intériorisant le concept des vertus et des vices chrétiens, car ils avaient la
volonté nécessaire pour choisir une vie vertueuse. Des sanctions étaient en
outre prévues pour aider les croyants à rester dans le droit chemin si l’intériorisation de ces valeurs ne suffisait pas à les dissuader d’adopter des
comportements répréhensibles. Les chrétiens de diverses dénominations
ciblaient les individus qui s’adonnaient au vice et leur disaient qu’ils avaient
la volonté nécessaire pour mettre un terme à leur conduite moralement
condamnable. Les chrétiens estimaient ainsi que les individus exerçaient un
certain contrôle sur eux-mêmes et qu’ils étaient en partie responsables de
leur propre conduite.
D’après le sociologue Alan Hunt, les membres de la classe moyenne
ont joué un rôle essentiel dans le façonnement du programme de réforme
INTRODUCTION
5
sociale, en particulier dans la seconde moitié du XIXe siècle. Puisque leurs
tentatives pour régir les vies des autres par le biais de leurs propres institutions et campagnes n’ont pas toujours eu le succès escompté ou ont même
échoué, dans certains cas, ces individus et ces groupes – les « entrepreneurs
de morale », notamment les chefs des Églises chrétiennes et l’Union chrétienne des femmes pour la tempérance (WCTU, selon le sigle anglais) – ont
fini par se tourner vers l’État. Ils ont ainsi imaginé un plus grand rôle pour
l’État dans la régulation de la moralité. Le succès de leur activisme s’explique également par leur capacité à élargir leur appel dans le but de gagner
leur cause ou de faire des gains substantiels. Il est utile ici d’aborder le
concept d’« effet parapluie » (umbrella effect) pour analyser ce vaste mouvement de mobilisation sociale. On parle d’effet parapluie lorsque des individus ou des groupes ayant généralement des vues idéologiques et politiques
divergentes s’unissent pour défendre un règlement ou une politique en
particulier6. L’effet parapluie est notamment évident à la fin du XIXe siècle
dans les campagnes en faveur de la prohibition de l’alcool et des jeux de
hasard et d’argent, de la criminalisation de certaines drogues et de certains
moyens de contraception ainsi que de la répression de l’homosexualité et de
la prostitution. À titre d’exemple, le mouvement antidrogue de la fin du
XIXe siècle a rassemblé des chefs religieux chrétiens, des organisations de
femmes, des dirigeants syndicaux et des opposants à une politique d’immigration ouverte. Ces individus et ces groupes ont mis de côté leurs différences idéologiques et se sont associés pour accuser des groupes spécifiques
d’immigrants de promouvoir la consommation de drogue ou de faciliter
l’accès à celles-ci.
Ces mobilisations ont cependant rencontré une forte opposition.
Souvent, les projets de règlements et de lois défendus portaient atteinte aux
intérêts commerciaux (notamment en ce qui concerne l’alcool, le tabac, le
jeu et la prostitution). Certains opposants – les producteurs d’alcool, les
sociétés de jeux, les travailleurs du sexe et, plus récemment, les fabricants
de cigarettes – ont mobilisé des ressources importantes pour empêcher leur
adoption. Ils ont parfois réussi à mettre en échec certaines campagnes
­antivices.
Le rôle de l’État dans la réglementation du vice a considérablement
varié d’une époque à l’autre. L’évolution de la réponse de l’État aux vices –
d’abord caractérisée par la répression puis, plus récemment, par le contrôle
– témoigne de son développement. À l’époque coloniale, l’État disposait de
moyens limités pour réguler la moralité et contrôler les individus. Ce n’est
qu’à la suite de la Révolution industrielle, au XIXe siècle, qu’il a commencé
à jouer un rôle plus important. Au fur et à mesure que l’État gagnait en
6
UNE BRÈVE HISTOIRE DU VICE AU CANADA DEPUIS 1500
puissance, les entrepreneurs de morale se tournaient vers lui pour lutter
contre le vice au lieu d’employer d’autres mécanismes. Lorsque les autres
institutions échouaient ou disposaient de moyens limités pour régir la
conduite des autres, ces opposants appelaient le gouvernement à intervenir,
même si cela limitait la capacité des individus à se contrôler eux-mêmes. Ils
estimaient que l’intérêt commun serait mieux servi par l’application d’une
réglementation étatique qui serait bénéfique pour les individus, les familles
et les collectivités.
Avec la création des forces de police et l’expansion du système de
justice, les institutions de l’État ont commencé à assumer la responsabilité de
l’application de l’ordre moral. Selon Max Weber, un sociologue et philosophe allemand de la fin du XIXe siècle, la capacité de discipliner vient avec
la modernité. Les institutions d’un État en développement cherchent en
effet des stratégies pour discipliner la société. En investissant des ressources
dans le système d’éducation et en entretenant des forces de police, des tribunaux et des prisons, l’État renforce son pouvoir de contrôle et de discipline
sur la population. Depuis la seconde moitié du XIXe siècle, des spécialistes
se sont appuyés sur la mise en œuvre de mesures répressives par l’État pour
étayer l’affirmation selon laquelle l’appel lancé par les entrepreneurs de
morale en faveur d’une plus grande implication de l’État dans la régulation
de la moralité a provoqué une ère de contrôle social rigide. En réalité, l’État
a simplement tracé des limites claires entre les comportements acceptables
et inacceptables. Les gens qui remettaient en cause ou transgressaient ces
limites devaient faire face aux sanctions mises en œuvre par les agents de
contrôle de l’État. Mais quelle était l’efficacité des forces de police, du
système judiciaire et des autres acteurs de l’État dans la répression du jeu, de
la prostitution, de l’ivresse publique et des autres comportements considérés
comme des vices ?
Dans son ouvrage sur les jeux d’argent et de hasard, Suzanne Morton
soulève un point intéressant. Elle écrit : « Il n’est pas toujours facile de déterminer ce qui motive la mise en œuvre périodique d’une loi […]7 ». Son
étude montre que l’application de politiques publiques restrictives constitue
souvent le maillon le plus faible dans la chaîne des efforts mis en œuvre
pour réprimer les comportements interdits. Des études récentes sur le développement des politiques publiques, et en particulier sur leur application8,
révèlent que l’État n’a pas toujours affecté des ressources suffisantes aux
politiques et aux programmes créés pour lutter contre des vices spécifiques.
Par ailleurs, l’État n’a jamais été un agent neutre. Il a toujours été, au
contraire, au cœur des querelles internes qui dressaient les divers éléments
de l’appareil de l’État, notamment les fonctionnaires, les juges, les policiers
INTRODUCTION
7
et les travailleurs sociaux, les uns contre les autres et contre les acteurs
sociaux qui tentaient d’imposer leurs préoccupations morales et d’influencer
et de façonner les politiques gouvernementales. Dans le cas des politiques
morales, ces éléments se montrent souvent sélectifs dans leur façon d’appliquer les nouvelles réglementations et lois. Comme le fait remarquer Kenneth
J. Meier : « Les organismes administratifs, en particulier ceux qui s’occupent
de faire appliquer la loi, ont beaucoup plus de responsabilités que de
ressources. Ces organismes doivent donc user de précaution au moment de
doser l’énergie qu’ils consacrent à l’application des diverses politiques9. » La
disponibilité des ressources n’est cependant pas le seul facteur déterminant.
Comme l’illustre le présent ouvrage, des facteurs tels que la classe sociale, le
sexe, l’âge et l’appartenance ethnique ainsi que les convictions morales
personnelles des transgresseurs présumés, des clients et des patients ont
souvent influencé la façon dont les juges, les médecins, les travailleurs
sociaux et les policiers ont appliqué les politiques. Inversement, ces facteurs
et les convictions morales des juges, des médecins, des travailleurs sociaux
et des policiers ont influencé la mise en œuvre des politiques.
Si la régulation sociale fondée sur des motifs moraux a entraîné l’expansion des régimes réglementaires et le développement des bureaucraties
fédérale et provinciale, elle a parfois aussi profité à ceux qui cherchaient à
gagner gros en peu de temps. Ces politiques ont cependant souvent donné
lieu à une utilisation inefficace des ressources de l’État pour éradiquer le
vice10. Le cas de la prostitution constitue un bon exemple. Les solutions
pour faire face à la prostitution, très répandue depuis l’époque coloniale,
vont de la persuasion morale à la rééducation, en passant par la répression.
Or la prostitution n’a pas disparu, même si la répression a été l’option la
plus souvent retenue, notamment à la fin du XIXe siècle, lorsque les autorités
ont fait un grand ménage dans les Red Lights des grandes villes canadiennes
comme Montréal et Winnipeg. Elle s’est simplement déplacée vers d’autres
quartiers de la ville ; les prostitué(e)s ont basculé dans la clandestinité et
attendu que la mobilisation antiprostitution s’essouffle avant de refaire
surface. Les forces de police et les autres agences publiques responsables de
la mise en œuvre des mesures de répression ont fermé les yeux ou extorqué
des frais de protection aux prostitué(e)s, ce qui a contribué à la réémergence
du travail du sexe en tant que problème social exigeant l’adoption de
mesures concrètes.
Cet ouvrage, qui couvre une période de plus de 500 ans, examine
d’abord la rencontre entre deux mondes : celui des autochtones et celui des
Européens. Le premier chapitre s’intéresse à la façon dont ces rencontres ont
façonné le processus de colonisation et continué d’influencer la manière
8
UNE BRÈVE HISTOIRE DU VICE AU CANADA DEPUIS 1500
dont les non-autochtones voient et construisent les réalités sociales des
peuples autochtones. En explorant l’Amérique du Nord aux XVIe et
XVIIe siècles, les Français ont rencontré des sociétés autochtones qui avaient
leurs propres règles et réglementations en ce qui concerne la sexualité, les
jeux de hasard et d’argent et la consommation de tabac, pour ne nommer
que quelques-uns des comportements considérés comme des vices par
certains Européens. La collision des valeurs et les tentatives répétées des
missionnaires pour imposer un ordre moral chrétien n’ont cependant pas
empêché les explorateurs, les commerçants de fourrures et les représentants
de la Couronne de nouer des alliances politiques et économiques profitables
avec les autochtones.
Le deuxième chapitre s’intéresse aux colons européens et à l’instauration d’un ordre moral chrétien régissant les comportements sexuels, le jeu et
la consommation d’alcool. Les Églises chrétiennes ont joué un rôle décisif
dans la régulation morale de leurs fidèles. Elles ont utilisé divers moyens
pour encourager ces derniers à adopter ce qu’elles considéraient comme des
comportements vertueux et elles ont fait leur possible pour punir toute
forme de déviance. La capacité de chacune des Églises chrétiennes – catholique romaine, anglicane, baptiste, méthodiste et presbytérienne – à contrôler
ses fidèles était cependant limitée. Elles ont dès lors fini par dépendre de
l’État pour imposer un ordre moral chrétien. La plupart des citoyens intériorisaient les prescriptions des Églises, que les institutions de l’État venaient
renforcer, mais il arrivait que certains individus et communautés contestent
les règlements de l’Église et les lois de l’État. Les habitants de certains
villages ou petites villes utilisaient par exemple le mécanisme du charivari
pour régir les comportements sexuels et reproductifs. Le contrôle social se
caractérisait ainsi, à l’époque coloniale, par une certaine concurrence entre
les communautés, les institutions religieuses et l’État.
C’est dans la seconde moitié du XIXe siècle que la société civile a
commencé à jouer un rôle plus important dans la réglementation des
comportements considérés comme des vices. Le troisième chapitre examine
l’offensive massive en faveur de la suppression des vices menée par des individus, des lobbies organisés et d’autres acteurs sociaux qui, en dépit de leurs
différences idéologiques, se sont regroupés au sein d’une coalition disparate.
Ces acteurs sociaux ont fait pression en faveur d’une législation qui permettrait de réguler la sexualité, de limiter le tabagisme et d’interdire le jeu et la
consommation d’alcool et de drogue. Ils avaient déjà atteint certains de leurs
objectifs en 1918 : l’alcool était interdit ; les drogues telles que l’opium et la
cocaïne étaient illégales, de même que la plupart des jeux de hasard et
INTRODUCTION
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d’argent ; et le seul acte sexuel autorisé était celui accompli dans un but de
procréation par un homme et une femme unis par le lien indissoluble du
mariage. Si la vaste mobilisation sociale de cette époque a remporté un vif
succès, c’est que des hommes et des femmes, convaincus que leurs campagnes
antivices étaient justes et urgentes, se sont battus pour obtenir le soutien de
l’État. Ces acteurs sociaux ont forcé les politiciens à mettre en œuvre leur
programme de réforme sociale. Ils croyaient que les interventions de l’État
étaient légitimes en dépit du fait qu’elles interféraient avec les droits individuels et la capacité des individus à se contrôler eux-mêmes.
Au début du XXe siècle, les militants du mouvement de réforme sociale
croyaient que les vices étaient en recul. Le dernier chapitre, qui s’intéresse à
la réglementation du vice depuis 1920, montre que ce triomphe était illusoire. Pendant cette période, les vices ont simplement été nommés autrement. Les Églises, les tribunaux, les forces de police et les citoyens ont
continué de condamner ceux qui transgressaient les comportements
« normaux », mais ces transgressions étaient souvent considérées comme des
problèmes de santé exigeant un traitement. La réglementation du vice était
de plus en plus souvent laissée entre les mains des professionnels de la santé.
Certaines personnes refusaient aussi de considérer ces comportements
comme des maladies et affirmaient qu’ils faisaient partie de l’éventail normal
et acceptable des comportements humains. Les travailleur(se)s du sexe, les
consommateurs de drogue, les personnes alcooliques, les femmes souhaitant
obtenir un avortement et les homosexuel(le)s ont ainsi remis en cause des
interprétations qui niaient leur droit à être entendus. Leur participation au
débat a rendu la question de la régulation morale encore plus complexe.
Cette brève synthèse historique montre comment la régulation morale
a évolué au fil du temps et comment elle a façonné les vies des Canadiens.
Elle cherche à expliquer pourquoi certains comportements ont été ciblés
pendant des périodes spécifiques et pourquoi certains individus et groupes
se sont sentis habilités à tenter de résoudre des problèmes sociaux collectifs.
Nous pouvons voir de quelle façon les débats ont évolué au fil des ans et
comprendre pourquoi certains d’entre eux – comme la controverse sur la
prohibition de l’alcool à la fin de la Première Guerre mondiale – ont presque
disparu, tandis que d’autres – les débats sur l’avortement, les jeux de hasard
et d’argent, la consommation de marijuana et la prostitution – ont persisté
et continué de diviser les Canadiens. D’autres encore ont émergé. On peut
notamment penser à la campagne menée à la fin du XXe siècle pour changer
la définition du mariage et ainsi offrir une reconnaissance légale aux couples
de même sexe. Avec, en toile de fond, l’évolution de l’État, l’accroissement
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UNE BRÈVE HISTOIRE DU VICE AU CANADA DEPUIS 1500
de la participation citoyenne à la vie politique et l’usage de plus en plus
fréquent des tribunaux par les activistes pour affirmer leurs droits, l’histoire
du vice et de la régulation sociale au Canada se révèle à la fois fascinante et
complexe.
CHAPITRE 1
Différents mondes,
différentes valeurs
Rencontres entre 1500 et 1700
t aussitôt qu’ils [les autochtones] nous aperçurent ils se mirent à fuir, nous
Emontrèrent
faisant signe qu’ils étaient venus pour trafiquer avec nous ; et ils nous
des peaux de peu de valeur dont ils se vêtent .
1
La première rencontre de Jacques Cartier avec les autochtones a eu
lieu le 7 juillet 1534 près de Gaspé. Les interactions entre Européens et
Premières nations avaient toutefois commencé plusieurs décennies avant
l’arrivée de l’explorateur sur la côte est de l’Amérique du Nord. Dans son
journal de voyage, Cartier fait référence aux rencontres précédentes évoquées
par les autochtones qui lui ont apporté des petits cadeaux, notamment avec
les Basques, qui pêchaient le long de la côte atlantique et rentraient chez
eux après avoir accumulé une grande quantité de poissons.
Après les Basques, d’autres Européens ont continué ce processus de
rencontres avec des sociétés qu’ils disaient avoir « découvertes ». En se
fondant sur des valeurs culturelles spécifiques et des interprétations de la
société, ces deux mondes avaient développé leurs propres règles pour réguler
les comportements des individus. Les interactions entre les deux, qui ont
évolué au fil du temps, ont fait connaître aux autochtones des groupes d’individus qui avaient des intérêts spécifiques et poursuivaient des objectifs
précis. Les missionnaires, les commerçants de fourrures et les autorités
royales françaises ont tous tenté, en tant qu’agents de contrôle social, de
fonctionner dans le « Nouveau Monde » en respectant leurs propres valeurs.
Les représentants de deux de ces institutions en particulier – l’Église catholique romaine et la Couronne française – ont cependant dû composer avec
des moyens limités au moment d’appliquer leur compréhension de ce qui
constitue un comportement moralement acceptable.
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UNE BRÈVE HISTOIRE DU VICE AU CANADA DEPUIS 1500
RENCONTRES ENTRE AUTOCHTONES ET EUROPÉENS
Dans les récits de ses voyages au Canada, Jacques Cartier parle peu des
aspects sociaux des sociétés autochtones qu’il a rencontrées. Il accorde
beaucoup plus d’importance aux descriptions de la géographie, de la flore
et de la faune de ce nouveau territoire et à l’évaluation de son potentiel
économique. Lors de son deuxième voyage, Cartier a passé l’automne
de 1535 et l’hiver de 1536 près de Stadaconé, l’emplacement actuel de la
ville de Québec, et il a ainsi pu se familiariser avec les autochtones qui y
vivaient. Les rares fois où il commente l’organisation sociale et les conditions de vie des autochtones, Cartier porte des jugements sur eux.
Le christianisme était un élément central de l’identité des Européens.
Les idées culturelles chrétiennes façonnaient leur compréhension du monde.
Il semble que Cartier, un catholique romain, ressentait une certaine curiosité
envers les autochtones, mais il est clair, à la lecture de ce qu’il écrit au sujet
de leurs croyances religieuses, qu’il était persuadé de sa supériorité culturelle. « Ce peuple n’a aucune croyance en Dieu qui vaille », observe-t-il2.
Cartier reconnaissait que les autochtones, s’ils n’avaient aucune connaissance du christianisme, avaient malgré tout développé une certaine forme de
spiritualité. Dans les récits de ses voyages, il écrit que les autochtones croient
en un esprit qui communique avec eux et peut révéler « le temps qu’il doit
faire3 ». Cet esprit est parfois fâché contre eux et exprime sa colère en leur
jetant « de la terre aux yeux4 ». Cartier indique aussi que ces autochtones ont
une idée de ce qui arrive à leurs morts : « ils vont aux étoiles5 ». Cartier
reconnaissait qu’il s’agissait là d’une forme de spiritualité, mais il considérait
malgré tout ces croyances comme primitives et tentait de démontrer la supériorité de la foi chrétienne fondée, entre autres choses, sur la croyance selon
laquelle les êtres humains doivent leur existence et le monde dans lequel ils
vivent à un Dieu « qui est au ciel, lequel nous donne toutes choses nécessaires et est créateur de toutes choses, et que nous devons croire seulement
en Lui6 ».
Cartier commente également d’autres aspects des sociétés autochtones. Il est notamment frappé par leur mode de vie communautaire. Il
décrit aussi de quelle façon les relations entre les hommes et les femmes
autochtones sont socialement définies et quelles sont les limites des comportements socialement acceptables. Les protestants et les catholiques romains
définissaient le mariage comme l’union indissoluble entre un homme et une
femme et comme une unité sociale fondamentale, mais les autochtones que
Cartier a pu observer à Stadaconé avaient une vision bien différente des
choses. « Ils gardent l’ordre du mariage, sauf que les hommes prennent deux

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