Les prix de transfert au Canada
Transcription
Les prix de transfert au Canada
Les prix de transfert au Canada : Le principe de pleine concurrence et les nouvelles règles François Vincent et Ian M. Freedman* ABSTRACT The Canadian tax authorities recently released proposed new transferpricing rules. These new rules are set out in draft legislation and expanded upon in a draft information circular. The aim of the new rules is to “harmonize” Canada’s transfer-pricing practices with the arm’slength principle outlined by the OECD in its recently revised transferpricing guidelines. In this article, the authors briefly review the proposed new rules and consider whether or not they achieve their stated objective. In addition, the authors consider the legal basis for, and the enforceability of, numerous “quasi-rules” set out in the draft information circular. On the first point, the authors conclude that the new rules have, in many respects, achieved their objective of harmonizing Canada’s transfer-pricing regime with that of the OECD. The authors consider three principal differences in phraseology between the Canadian and the OECD description of the arm’s-length principle. They conclude that, for the most part, these differences in phraseology do not result in significant differences of substance. However, there is one important exception: the language used by the OECD seems to leave more room for year-end or aggregative analyses of transfer prices than does the wording of the proposed legislation. As regards the use of the draft information circular to promulgate “quasi-rules,” the authors note that such “quasi-rules” are not legally enforceable. In particular, the courts might have more latitude to accept non-traditional and low-ranked transfer-pricing methodologies (such as the transactional net margin method) than is suggested in the draft information circular. The choice of transfer-pricing methodology is relevant both with respect to the evaluation of a taxpayer’s transfer-pricing * Respectivement de Stikeman, Elliott, Montréal, et de Stikeman, Elliott, Toronto. Les auteurs remercient leurs collaborateurs—D re Lorraine Eden, Robert Hogan et Danièle Séguin—pour leur aide à la préparation de cet article. Les erreurs et omissions sont la responsabilité des auteurs. (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 1243 1244 CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE practices and with respect to the determination of whether “reasonable efforts” were made by a taxpayer to establish arm’s-length transfer prices. In the absence of such “reasonable efforts,” a taxpayer may be subject to significant penalties in the event that a transfer-pricing adjustment is made by Revenue Canada. PRÉCIS Récemment, les autorités fiscales canadiennes ont publié de nouvelles propositions sur la réglementation des prix de transfert constituées d’amendements à la législation fiscale existante et d’un projet de circulaire d’information, l’objectif étant « d’harmoniser » les règles de prix de transfert canadiennes avec le principe de pleine concurrence énoncé par l’OCDE. Dans cet article, les auteurs font une brève révision des règles proposées et tentent d’établir si le Canada a atteint son objectif d’harmonisation. L’article discute aussi des fondements juridiques et de la force exécutoire des règles contenues dans le projet de circulaire d’information. Quant à l’harmonisation, les auteurs ont conclu que les nouvelles règles ont, de façon générale, atteint l’objectif que s’était fixé le Canada pour son régime de réglementation de prix de transfert. Ils identifient trois différences principales dans les libellés respectifs du principe de pleine concurrence au Canada et à l’OCDE pour conclure qu’elles sont principalement de forme et non de fond. Cependant, ils font remarquer une exception importante à ce principe général : le libellé de l’OCDE sur le principe de pleine concurrence semble se prêter beaucoup plus facilement aux analyses de fin d’année que ne le permet l’approche canadienne. Pour ce qui a trait à l’utilisation d’un projet de circulaire d’information pour mettre en place des règles quasi-législatives, les auteurs concluent que ces règles n’ont pas de force exécutoire. Plus particulièrement, ils précisent qu’à leur avis, les cours de justice auraient une latitude considérable pour accepter des méthodes non traditionnelles d’établissement des prix de transfert, voire même des méthodes dites inférieures dans la hiérarchie des méthodes acceptées (par exemple, la méthode transactionnelle de la marge nette) que celles proposées dans le projet de circulaire d’information. Le choix de la méthode appropriée d’établissement des prix de transfert est crucial, tant pour l’évaluation des politiques de prix de transfert d’une entreprise que pour déterminer si un contribuable a fait des « efforts sérieux » dans l’établissement de ces prix de transfert. Si de tels efforts sérieux n’ont pas été faits ou sont présumés ne pas avoir été faits, un contribuable pourrait faire face à un régime onéreux de pénalités si un redressement de ces prix de transfert devait être effectué par Revenu Canada. (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 CANADA : NOUVELLE RÈGLES SUR LES PRIX DE TRANSFERT 1245 INTRODUCTION Dans la documentation qui accompagnait le budget fédéral du 18 février 19971, le gouvernement annonçait officiellement qu’il modifierait le régime canadien des prix de transfert afin « d’harmoniser » les règles canadiennes avec le principe de pleine concurrence décrit par l’Organisation de coopération et de développement économiques (l’« OCDE ») dans la version récemment révisée de ses principes applicables en matière de prix de transfert2. Le 11 septembre 1997, comme l’avait annoncé le budget, les autorités fiscales canadiennes ont publié un projet de modification (« l’avant-projet de loi ») de la Loi de l’impôt sur le revenu3, ainsi qu’un projet de révision de la Circulaire d’information 87-24. L’avantprojet de loi a depuis été modifié pour tenir compte des réactions des intervenants du milieu fiscal, la nouvelle publication formant partie intégrante de l’Avis de motion des voies et moyens du 8 décembre 1997 (« l’avis de motion »). Il est prévu qu’une version révisée de la circulaire proposée, intégrant les remarques des intervenants fiscaux, sera rendue publique en 1998, ce qui n’avait pas été fait au moment de la rédaction de cet article. Dans ce texte, les auteurs voient de plus près si les nouvelles règles de fixation des prix de transfert énoncées dans l’avant-projet de loi et dans la circulaire proposée (les « nouvelles règles ») atteignent l’objectif déclaré d’harmonisation des pratiques canadiennes avec le principe de pleine concurrence décrit par l’OCDE. En outre, ils examinent le fondement juridique et la force exécutoire des nombreuses quasi-règles énoncées non pas dans l’avant-projet de loi, mais dans la circulaire proposée. LE RÉGIME CANADIEN DES PRIX DE TRANSFERT : LOIS ET PRATIQUES EXISTANTES Dans les lois fiscales canadiennes, des dispositions législatives s’appliquent aux prix de transfert depuis 19385. Dans la législation en 1 Canada, ministère des Finances, Budget 1997, Bâtir l’avenir pour les Canadiens— Plan budgétaire, le 18 février 1997 (le « budget »). 2 Organisation de coopération et de développement économiques, Principes applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales (Paris : OCDE, 1995) (feuilles mobiles) (les « principes de l’OCDE »). 3 LRC (1985), c. 1 (5 e suppl.), telle que modifiée (la « Loi »). Sauf indication contraire, toute référence statutaire est à la Loi. 4 Projet de Circulaire d’information 87-2R, le 11 septembre 1997 (la « circulaire proposée »). 5 Le présent texte ne vise pas à faire une révision de toutes les lois et pratiques antérieures du Canada sur les prix de transfert. Plusieurs auteurs ont déjà traité ce sujet, à savoir, François Vincent, dans « Transfer Pricing in Canada: An Overview » (1996) vol. 5, n o 15 Tax Management Transfer Pricing Special Report, rapport n o 25; Carl F. (page suivante s.v.p.) (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 1246 CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE vigueur au moment de l’établissement du budget, soit les paragraphes 69(2) et (3) de la Loi, le critère d’évaluation des prix de transfert transfrontaliers consistait à établir si le montant payé ou payable entre un contribuable et une personne non-résidente avec qui le contribuable a un lien de dépendance « aurait été raisonnable dans les circonstances si la personne non-résidente et le contribuable n’avaient eu aucun lien de dépendance ». C’était donc sur le caractère raisonnable des prix, évalués en comparaison de montants payés entre des parties sans lien de dépendance, que se fondait l’application du principe du prix de pleine concurrence. Les paragraphes 69(2) et (3) de la Loi étaient complétés par la Circulaire d’information 87-2 qui entérinait officiellement le principe de pleine concurrence énoncé dans le rapport de 1979 de l’OCDE sur les prix de transfert6. Cette position administrative et les dispositions législatives connexes n’ont jamais été sérieusement contestées, la jurisprudence à l’égard des paragraphes 69(2) et (3) était quasi inexistante 7 et, jusqu’à récemment, la vérification approfondie des prix de transfert était l’exception plutôt que la règle. Cependant, comme des vérifications effectuées vers la fin des années 70 et le début des années 80 dans l’ensemble des secteurs pharmaceutique, forestier, pétrolier et gazier donnaient aux autorités fiscales canadiennes ce qu’elles considéraient comme des signes probants d’abus en matière de prix de transfert par les entreprises multinationales faisant affaires au Canada, le gouvernement a confié à Revenu Canada le mandat clair (ainsi que les fonds nécessaires) de régler cette question. Cette mesure a fait monter en flèche le nombre de vérifications8 et le volume de (… suite) Steiss et Luc Blanchette, « The International Transfer-Pricing Debate » (1995), vol. 43, n o 5 Revue fiscale canadienne 1566-1602, et Nathan Boidman, « Transfer Pricing in Canada », dans The Tax Treatment of Transfer Pricing (Amsterdam : Bureau international de documentation fiscale) (feuilles mobiles). 6 Organisation de coopération et de développement économiques, Prix de transfert et entreprises multinationales—Rapport du Comité des Affaires fiscales de l’OCDE (Paris : OCDE, 1979) (le « rapport de 1979 de l’OCDE »). 7 Bien que quelques situations concernant les prix de transfert aient été portées devant les tribunaux, une seule décision concernait particulièrement le paragraphe 69(2) de la Loi; il s’agit de Indalex Ltd. c. La Reine, [1986] 1 CTC 219 (CF 1 re inst.); [1988] 1 CTC 60 (CF Appel). Même la décision Indalex semble se rapprocher davantage de l’évitement fiscal que des prix de transfert. Voir Vincent, supra, note 5, aux pp. 7-12. Il existe un cas de fraude fiscale qui mentionne au passage le paragraphe 69(3) de la Loi, mais aucune analyse significative ne s’y trouve; il s’agit de La Reine c. Kleysen, [1996] 2 CTC 201 (BR, Man.). La décision Cudd Pressure Control Inc. c. La Reine, [1995] 2 CTC 2382 (CCI) (un avis d’appel a été déposé auprès de la Cour d’appel fédérale) renvoie expressément au rapport de 1979 de l’OCDE, bien que le litige ne soit pas fondé sur les paragraphes 69(2) ou (3) de la Loi. 8 Fait constaté par Martin Przysuski, spécialiste en vérification fiscale internationale de Revenu Canada à Toronto, à la conférence de la maison de publication Insight tenue les 27 et 28 février 1997 et intitulée « How To Prepare for an International Audit », dans Innovative Transfer Pricing Strategies: Practical Solutions for Effective Risk (page suivante s.v.p.) (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 CANADA : NOUVELLE RÈGLES SUR LES PRIX DE TRANSFERT 1247 doctrine sur la position du Canada à l’égard des prix de transfert9. Ce n’est qu’au cours des dernières années que les évaluations de prix de transfert sont portées en appel10 mais, à moins que les différends ne soient réglés hors cour, les tribunaux ne rendront leur décision finale que dans bien des années. La plupart des efforts du Canada sur les prix de transfert ont été et sont toujours provoqués par les mesures prises par les autorités fiscales américaines dans ce domaine et par les fortes réactions que ces mesures ont suscitées à l’échelle internationale11. Les exigences en documentation et les pénalités relatives au prix de transfert, introduites à grand renfort de publicité par les États-Unis, ne pouvaient tout simplement pas être mises de côté, ce qui a préoccupé les autorités fiscales canadiennes qui craignaient l’érosion de l’assiette fiscale canadienne résultant du déplacement des profits vers le principal partenaire commercial du Canada par les mécanismes de prix de transfert. Compte tenu de cette situation, les autorités fiscales canadiennes ont commencé à réévaluer l’efficacité des paragraphes 69(2) et (3) et le besoin de se conformer davantage au principe du prix de pleine concurrence, que le Canada avait d’ailleurs ardemment défendu pendant les négociations qui ont mené aux principes de l’OCDE. SOMMAIRE DES NOUVELLES RÈGLES L’avant-projet de loi aura notamment pour effet de supprimer les paragraphes 69(2) et (3) de la Loi et de promulguer le nouvel article 247 pour les remplacer. La disposition du nouvel article 247, qui reprend le principe de pleine concurrence, est le paragraphe 247(2) qui stipule essentiellement que Revenu Canada doit « redresser » la valeur ou la nature de tout montant (… suite) Management (Toronto : Insight Press, 1997), article IX, où il déclarait que les pratiques en matière de prix de transfert de chaque multinationale au Canada seraient bientôt vérifiées. Également, le vérificateur général faisait observer, aux paragraphes 37.32 à 37.36 de son rapport de novembre 1996, que les renvois aux vérificateurs internationaux de différends sur les prix de transfert provenant du programme des dossiers importants, avaient été moins nombreux que prévu. Toutefois, le rapport faisait remarquer qu’une augmentation des vérifications des prix de transfert était prévue dans le cadre du programme des dossiers importants. Voir Canada, Rapport du vérificateur général du Canada à la Chambre des Communes (Ottawa : Travaux publics et Services gouvernementaux, 1996). 9 À preuve, les multiples conférences annuelles sur les prix de transfert tenues depuis le début des années 90, plus particulièrement dans la région de Toronto, ainsi que les nombreux articles publiés par les participants à ces conférences. 10 Voir Roger Taylor, « Current Tax-Avoidance Cases », dans Report of the Proceedings of the Forty-Seventh Tax Conference, 1995 Conference Report (Toronto : Association canadienne d’études fiscales, 1996), 12:1-15, à la p. 12:15. 11 Voir Organisation de coopération et de développement économiques, Les aspects fiscaux des prix de transfert pratiqués au sein des entreprises multinationales : Les propositions américaines de règlements (Paris : OCDE, 1993). (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 1248 CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE se rapportant à une opération 12 entre un contribuable et une personne non-résidente avec laquelle le contribuable a un lien de dépendance si, selon le cas, les modalités conclues ou imposées relativement à l’opération diffèrent de celles qui auraient été conclues entre personnes sans lien de dépendance ou si cette opération n’avait pas été conclue entre personnes sans lien de dépendance et qu’il est raisonnable de considérer qu’elle n’a pas été principalement conclue pour des objets véritables, si ce n’est l’obtention d’un avantage fiscal13. Le montant en question doit alors être redressé par Revenu Canada pour correspondre à la valeur ou à la nature du montant qui aurait été déterminé si l’opération avait été conclue entre personnes sans lien de dépendance. Pour étayer cette disposition et calmer les préoccupations de Revenu Canada quant à l’existence et à la disponibilité d’informations concernant les pratiques des multinationales en matière de prix de transfert, l’avant-projet de loi promulguera les paragraphes 247(3) et (4). Le paragraphe proposé 247(3) établit un mécanisme qui oblige automatiquement le contribuable qui est assujetti à un redressement du prix de transfert, qu’il s’agisse du revenu ou du capital, à payer une 12 Pour faciliter la lecture du texte, le mot « contribuable » s’entend à la fois d’un contribuable et d’une société de personnes et le mot « opération » comprend l’expression « série d’opérations », à moins que le contexte n’exige autrement. 13 Le paragraphe 247(2) se lit comme suit : Lorsqu’un contribuable ou une société de personnes et une personne non-résidente avec laquelle le contribuable ou la société de personnes, ou un associé de cette dernière, a un lien de dépendance, ou une société de personnes dont la personne non-résidente est un associé, prennent part à une opération ou à une série d’opérations et que, selon le cas : a) les modalités conclues ou imposées, relativement à l’opération ou à la série, entre des participants à l’opération ou à la série diffèrent de celles qui auraient été conclues entre personnes sans lien de dépendance, b) les faits suivants se vérifient relativement à l’opération ou à la série : (i) elle n’aurait pas été conclue entre personnes sans lien de dépendance, (ii) il est raisonnable de considérer qu’elle n’a pas été principalement conclue pour des objets véritables, si ce n’est l’obtention d’un avantage fiscal, les montants qui, si ce n’était le présent article et l’article 245, seraient déterminés pour l’application de la présente loi quant au contribuable ou la société de personnes pour une année d’imposition ou un exercice font l’objet d’un redressement de façon qu’ils correspondent à la valeur ou à la nature des montants qui auraient été déterminés si : c) dans le cas où seul l’alinéa a) s’applique, les modalités conclues ou imposées, relativement à l’opération ou à la série, entre les participants avaient été celles qui auraient été conclues entre personnes sans lien de dépendance; d) dans le cas où l’alinéa b) s’applique, l’opération ou la série conclue entre les participants avait été celle qui aurait été conclue entre personnes sans lien de dépendance, selon des modalités qui auraient été conclues entre de telles personnes. (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 CANADA : NOUVELLE RÈGLES SUR LES PRIX DE TRANSFERT 1249 pénalité, à moins que le redressement ne puisse raisonnablement être considéré avoir trait à un arrangement admissible de participation au coût ou que le contribuable n’ait fait des efforts sérieux pour déterminer des prix de transfert de pleine concurrence14. Selon le paragraphe 247(1), un « arrangement admissible de participation au coût »15 s’entend d’un arrangement dans le cadre duquel les participants ont fait des efforts sérieux pour établir une méthode d’attribution du coût de production, de développement ou d’acquisition de biens, ou du coût d’acquisition ou d’exécution de services, en fonction des bénéfices que chacun peut raisonnablement s’attendre à tirer de l’arrangement. Il est intéressant de noter que malgré l’absence délibérée du concept de caractère raisonnable dans le nouveau paragraphe 247(2)—concept qui se retrouvait aux paragraphes 69(2) et (3) de la Loi et qui avait été décrié comme trop subjectif et évasif 16 —cette idée n’en transparaît pas moins comme le pivot de l’application de la pénalité, à preuve l’expression « efforts sérieux » (en anglais : reasonable efforts) employée pour exprimer l’exception proposée dans la division 247(3)a)(ii)( B), ainsi que dans la définition de l’arrangement admissible de participation au coût, ce type d’arrangement étant exclu des dispositions de pénalité conformément à la division 247(3)a)(ii)(B). L’idée d’« efforts sérieux » n’est pas définie dans la Loi. Toutefois, le paragraphe 247(4) contient une disposition déterminative selon laquelle le contribuable est réputé ne pas avoir fait d’efforts sérieux relativement à une opération à moins qu’il n’établisse ou n’obtienne, 14 En outre, le paragraphe 247(3) prévoit que la pénalité ne s’appliquera que si le total du redressement de capital et du redressement de revenu (exclusion faite de ceux qui ont trait à un arrangement admissible de participation au coût et ceux pour lesquels des efforts sérieux ont été faits pour déterminer le prix de transfert ou les attributions de pleine concurrence) est supérieur à 10 pour cent du revenu brut du contribuable (défini au paragraphe 248(1) de la Loi) pour l’année (s’il n’était pas tenu compte du paragraphe 247(2), des paragraphes 69(1) et (1.2) et de l’article 245) ou à 5 000 000 $, le moins élevé de ces montants serait retenu. Au paragraphe 247(9), une disposition antiévitement stipule qu’une opération ou une série d’opérations dont l’un des objectifs est d’augmenter le revenu brut du contribuable est réputée ne pas avoir été exécutée. De plus, en réponse à des réactions passablement défavorables de la part des intervenants du milieu fiscal concernant l’impossibilité de compenser par des redressements profitables les redressements défavorables effectués pour calculer le montant en fonction duquel sont établies les pénalités, l’avis de motion permet cette compensation de façon très limitée. Il en est discuté plus en détail dans l’article de François Vincent et Ian Freedman, « Canadian Transfer Pricing : Finance Makes Changes but Cedes Little Ground » (le 5 janvier 1998), 16 Tax Notes International 8-11. 15 Les expressions « prix de transfert de pleine concurrence », « attribution de pleine concurrence », « arrangement admissible de participation au coût », « opération », « prix de transfert », « redressement de capital » et « redressement de revenu » sont définies au paragraphe proposé 247(1) aux fins de l’article 247 et l’expression « série d’opérations » est défini au paragraphe 248(10) de la Loi. 16 Pour un exposé sur l’interprétation poussée du caractère raisonnable dans le contexte des paragraphes 69(2) et (3) de la Loi, voir Vincent, supra, note 5, aux pp. 4 et 5. (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 1250 CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE avant sa « date limite de production » 17 pour l’année d’imposition ou l’exercice au cours duquel se produit l’opération, des registres ou des documents contenant une description complète et exacte à tous égards importants des six éléments qui y sont énumérés18 et de toute modification importante à ces éléments dans les années d’imposition ou exercices ultérieurs au cours desquels se poursuit l’opération. Il doit de plus fournir ces registres ou documents au ministre du Revenu national dans les trois mois suivant la signification d’une demande écrite les concernant. Le contribuable qui ne respecte pas ces trois exigences sera réputé ne pas avoir fait d’efforts sérieux et se verra imposer la pénalité prévue au paragraphe 247(3) si un redressement du prix de transfert doit être effectué 19. Il importe de souligner que, bien que le paragraphe 247(4) détermine qu’un contribuable qui n’a pas respecté les conditions précisées n’a pas fait d’« efforts sérieux », l’inverse n’est pas vrai. Cette règle déterminative à sens unique confère au Ministre le pouvoir discrétionnaire d’affirmer qu’un contribuable n’a pas fait d’« efforts sérieux » et de lui imposer une pénalité, même dans les cas où toute la documentation ponctuelle requise a été établie et transmise au Ministre dans les délais impartis. Bien que les nouvelles règles ne constituent pas un refuge clair selon lequel un contribuable est réputé avoir fait des « efforts sérieux » si certaines conditions identifiables sont satisfaites, la circulaire suggère, au paragraphe 79, une façon dont Revenu Canada pourrait interpréter le 17 Selon le paragraphe 247(l), l’expression « date limite de production » s’entend « a) dans le cas d’une personne, [de] la date d’échéance de production qui lui est applicable pour l’année; ou b) dans le cas d’une société de personnes, [de] la date où une déclaration doit, au plus tard, être produite pour son exercice en application de l’article 229 du Règlement de l’impôt sur le revenu, ou devrait être ainsi produite si cet article s’appliquait à elle ». 18 Les six éléments énumérés qui doivent être décrits sont les suivants : (i) les biens ou les services auxquels l’opération se rapporte, (ii) les modalités de l’opération et leurs rapports éventuels avec celles de chacune des autres opérations conclues entre les participants à l’opération, (iii) l’identité des participants à l’opération et les liens qui existent entre eux au moment de la conclusion de l’opération, (iv) les fonctions exercées, les biens utilisés ou apportés et les risques assumés dans le cadre de l’opération par les participants, (v) les données et méthodes prises en considération et les analyses effectuées en vue de déterminer les prix de transfert, l’attribution des bénéfices ou des pertes ou la participation aux coûts, selon le cas, relativement à l’opération, (vi) les hypothèses, stratégies et principes éventuels ayant influé sur l’établissement des prix de transfert, l’attribution des bénéfices ou des pertes ou la participation aux coûts relativement à l’opération. 19 Cette règle est évidemment assujettie au seuil et au droit de compensation limitée dont il est question à la note 14. Il est bon de mentionner que, selon le paragraphe 247(10), les redressements favorables au contribuable ne sont faits que si le ministre du Revenu national « estime que les circonstances le justifient ». (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 CANADA : NOUVELLE RÈGLES SUR LES PRIX DE TRANSFERT 1251 concept d’« efforts sérieux » : « … en général, le Ministère considère que faire des efforts sérieux exige l’utilisation d’une méthode recommandée ». (soulignement ajouté) Les méthodes recommandées dont il est question dans ce passage sont la méthode du prix comparable sur le marché libre (« PCML »), la méthode du prix de revente, la méthode du prix de revient majoré, la méthode du partage des bénéfices et la méthode transactionnelle de la marge nette (« TMN »), la préférence étant toutefois accordée aux trois premières. Ainsi, les entreprises multinationales qui emploient la méthode du bénéfice comparable (« BC »)20, l’une des méthodes acceptées aux États-Unis, peuvent se rendre compte qu’à moins que leur méthode BC ne soit également une méthode TMN acceptable, Revenu Canada pourra considérer qu’aucun effort sérieux n’a été fait et que la pénalité s’applique si un redressement du prix de transfert est effectué. Bien que l’importance d’utiliser une méthode recommandée soit clairement énoncée dans la circulaire, il n’y en a aucune mention expresse dans l’avant-projet de loi. L’impact de cette réglementation par voie de circulaire d’information sera examiné un peu plus loin dans le présent texte. Outre qu’il soit essentiel d’avoir recours à une méthode recommandée pour que le Ministère reconnaisse que des efforts sérieux ont été faits, la circulaire proposée stipule aussi que Revenu Canada appliquera la norme de la personne d’affaire prudente pour déterminer l’étendue de la documentation à établir aux termes du paragraphe 247(4). La circulaire renvoie plus précisément à cet égard aux « principes de saine gestion »21. Revenu Canada n’a pas inventé la norme de la personne d’affaire prudente. Elle provient du chapitre V des principes de l’OCDE où l’exigence d’établir de la documentation est liée à des « principes de gestion prudente »22. À cet égard, l’ OCDE fait savoir que le contribuable ne devrait pas être tenu d’établir ou d’obtenir de tels documents, sauf s’ils sont indispensables pour une vérification raisonnable de la conformité du prix de transfert au principe de pleine concurrence et peuvent être obtenus ou établis par le contribuable sans frais disproportionnés 23. (soulignements ajoutés) Voilà l’un des éléments sur lesquels le Canada se distingue quelque peu des principes de l’OCDE. L’obligation imposée par le Canada de 20 En anglais : Comparable profits method (CPM). Voir le paragraphe 80 de la circulaire proposée. Il semblerait qu’il y ait eu un manque de constance dans la traduction française puisqu’il y a différence entre l’expression employée par l’OCDE (« gestion prudente ») et celle employée par Revenu Canada (« saine gestion ») alors que la version anglaise concorde parfaitement ( prudent business management). 22 Voir le paragraphe 5.4 des principes de l’OCDE. 23 Ibid., paragraphe 5.7. 21 (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 1252 CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE regrouper des documents sur les six éléments susmentionnés n’est pas conforme au libellé de l’OCDE et à l’application des « principes de gestion prudente ». Les auteurs ne prétendent pas que la version canadienne du principe de pleine concurrence n’est pas conforme à celle de l’OCDE (le sujet est traité plus loin), mais cela signifie que dans son engagement à appliquer les principes de l’OCDE24, le Canada montre certaines failles. Du moins en ce qui concerne la pénalité et la documentation à établir, la méthode canadienne se rapproche davantage de celle des États-Unis que de celle de l’ OCDE. Enfin, il est à noter que la circulaire définit, au paragraphe 80, l’expression « principes de saine gestion » de la façon suivante : Une personne d’affaire prudente essaierait d’équilibrer, d’une part, l’importance des transactions pour lui et, d’autre part, les coûts administratifs supplémentaires qu’entraînent l’établissement et l’obtention de cette documentation. Par conséquent, l’obligation de trouver des transactions comparables aux fins de l’application du principe de pleine concurrence n’est pas absolue. Un contribuable peut donc tenir compte du coût et de la probabilité de la découverte de ces transactions comparables par rapport à l’importance de la transaction visée pour ce contribuable lorsque celui-ci détermine la documentation à établir. Cet énoncé contraste vivement avec le fait que Revenu Canada décrie l’emploi de la méthode BC aux États-Unis. L’une des plaintes de Revenu Canada à ce sujet est que les multinationales se rabattent trop facilement sur cette méthode en raison des économies de coûts perçues qu’entraîne son application, les données nécessaires étant plus disponibles que celles dont elles ont besoin pour les autres méthodes. Bien que Revenu Canada n’ait sans doute pas proposé le critère de saine gestion pour justifier la méthode BC, ce critère pourrait néanmoins paver la voie à d’autres procédés comme la méthode TMN et la méthode du partage des bénéfices résiduels25 s’ils étaient jugés plus pratiques du point de vue de la saine gestion. LES NOUVELLES RÈGLES : ADHÉSION AU PRINCIPE DE PLEINE CONCURRENCE Fondements du principe de pleine concurrence26 Dans une entreprise multinationale, les conditions fixées pour les opérations entre personnes apparentées peuvent différer de celles qui sont établies entre parties sans lien de dépendance pour une foule de raisons, notamment l’intention de déplacer le revenu d’un territoire à un autre (que ce déplacement se produise au profit de la société mère ou 24 Voir le paragraphe 6 de la circulaire proposée. Ibid., paragraphe 40. 26 Pour un aperçu des principes qui sous-tendent le régime international des prix de transfert, voir Lorraine Eden, Taxing Multinationals: Transfer Pricing and Corporate Taxation in North America (Toronto : University of Toronto Press, 1998), 103-12. 25 (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 CANADA : NOUVELLE RÈGLES SUR LES PRIX DE TRANSFERT 1253 vers le territoire d’une personne apparentée où le cadre fiscal est plus favorable), l’intention de réduire les coûts au minimum grâce à l’intégration verticale et aux économies d’échelle, ainsi que la décision de pénétrer un marché donné d’une façon donnée. Par ailleurs, les administrations fiscales craignent en général que les conditions fixées entre personnes apparentées provoquent l’érosion de leur assiette fiscale. Elles tentent donc de trouver des moyens pour veiller à ce qu’une part équitable du revenu découlant d’une opération ou d’une série d’opérations soit adéquatement déclarée et assujettie à l’impôt, chacune dans sa sphère d’autorité. Il peut en découler que des administrations fiscales adoptent des opinions contraires concernant des opérations ou séries d’opérations données et que le résultat mène à la double imposition. Pour régler ce problème, l’OCDE propose, à l’article 9 du Modèle de convention fiscale27, d’appliquer le principe de pleine concurrence. Ce principe a été adopté par les membres de l’OCDE parce qu’ils étaient d’avis qu’il représentait le seul moyen acceptable d’assurer l’attribution judicieuse des bénéfices entre des juridictions fiscales et de lutter contre la perception que de l’évitement d’impôt se fait au moyen de la fixation de prix de transfert déraisonnables et du recours à des personnes apparentées situées dans des paradis fiscaux28. Bien que l’OCDE ait étudié d’autres méthodes d’attribution, comme la répartition globale selon une formule préétablie, aucune n’a été jugée viable29. Le principe de pleine concurrence est donc devenu la pierre angulaire de l’article 9 du Modèle de convention fiscale et le fondement des négociations entre les autorités compétentes des diverses administrations fiscales conformément à la procédure amiable prévue dans les conventions fiscales conclues entre les pays en cause. 27 Organisation de coopération et de développement économiques, Modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune (Paris : OCDE) (feuilles mobiles) (le « Modèle de convention fiscale »). 28 Bien que, dans son rapport de 1979, l’OCDE ait reconnu que les prix de transfert ne doivent pas être assimilés à de la fraude fiscale ou à de l’évitement fiscal (voir le rapport de 1979 de l’OCDE, supra, note 6, à la p. 9), les différends sur les prix de transfert au Canada ont plutôt donné lieu à des contestations judiciaires fondées sur des concepts ou des dispositions anti-évitement contenues dans la Loi que sur des dispositions et principes en matière de prix de transfert. Voir, par exemple, Spur Oil Ltd. c. La Reine, [1980] CTC 170 (CF 1 re inst.); [1981] CTC 336 (CF Appel) et Irving Oil Ltd. c. La Reine, [1988] 1 CTC 263 (CF 1re inst.); [1991] 1 CTC 350 (CF Appel). Il est également à noter que l’article 482 du Internal Revenue Code of 1986 des États-Unis, tel que modifié (le « Code américain ») précise que les questions d’évitement fiscal et de reflet fidèle du revenu justifient les redressements en matière de prix de transfert. 29 Les auteurs Jill C. Pagan et J. Scott Wilkie décrivent le refus de l’OCDE d’entériner la répartition globale selon une formule préétablie parce que les résultats seraient arbitraires et que cela entraînerait la nécessité de renégocier l’ensemble des traités fiscaux. Voir Jill C. Pagan et J. Scott Wilkie, Transfer Pricing Strategy in a Global Economy (Amsterdam : Bureau international de documentation fiscale, 1993), paragraphes 1.35-1.37. (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 1254 CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE Généralement, les membres de l’ OCDE font affaire entre eux par l’intermédiaire de conventions en matière d’impôt sur le revenu fondées sur le Modèle de convention fiscale. Pour négocier une telle convention entre deux membres, il doit exister un régime fiscal exhaustif et des taux d’imposition semblables (plutôt que l’absence d’imposition) dans les deux États contractants. Les administrations fiscales et multinationales de deux pays membres de l’ OCDE qui concluent une telle convention se préoccuperont non pas tant de l’évitement fiscal que de l’attribution judicieuse du bénéfice afin d’éviter que le même revenu soit imposé entre les mains de différentes personnes (double imposition économique). La double imposition est-elle une si mauvaise chose ? En tant que coût économique irrécupérable 30, la double imposition représente un empêchement majeur aux mouvements internationaux des marchandises, des services et des capitaux 31. Elle handicape le libre échange et entrave la mondialisation car ce prélèvement inacceptable décourage les investisseurs qui voudraient faire des affaires dans les territoires en cause. Un remède à la double imposition est donc nécessaire, tant pour les multinationales que pour les juridictions fiscales. L’harmonisation entre les versions de l’ OCDE et du Canada du principe de pleine concurrence, annoncée dans le budget de février 1997, constitue une étape essentielle de l’élimination des barrières commerciales et de la discrimination, par rapport à leurs contreparties sans lien de dépendance, dont font l’objet les multinationales qui exercent des activités au Canada et qui sont à risque de double imposition. À cet égard, le paragraphe 6 de la circulaire indique que Revenu Canada « appuie les principes de l’OCDE et entend les appliquer ». Cependant, il est plausible de soutenir qu’afin que Revenu Canada puisse se fonder avec succès sur les principes de l’ OCDE pour administrer le régime des prix de transfert au Canada, le cadre de référence canadien (le paragraphe 247(2) de la Loi) doit être compatible avec celui des principes de l’OCDE. Qu’est-ce que le principe de pleine concurrence ? L’ OCDE stipule que le principe de pleine concurrence est fondé sur une comparaison entre les conditions des opérations contrôlées et les conditions qui prévaudraient entre des entreprises indépendantes32. Les 30 Il pourrait être prétendu que le coût de la double imposition peut être transféré par les multinationales aux consommateurs par le biais de prix plus élevés, mais une telle hausse de prix n’est pas toujours possible (par exemple, lorsque les forces du marché sont un empêchement) et peut entraîner d’autres problèmes tel le moment d’inscription aux livres (synchronisation des dépenses et du redressement). 31 Voir le paragraphe 1 de l’introduction du Modèle de convention fiscale, supra, note 27, à la p. I-1. 32 Principes de l’OCDE, paragraphe 1.15. (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 CANADA : NOUVELLE RÈGLES SUR LES PRIX DE TRANSFERT 1255 principes de l’OCDE présentent la version suivante du principe de pleine concurrence comme étant celle qui « fait autorité » : [Lorsque] … les deux entreprises [associées] sont, dans leurs relations commerciales ou financières, liées par des conditions convenues ou imposées, qui diffèrent de celles qui seraient convenues entre des entreprises indépendantes, les bénéfices qui, sans ces conditions, auraient été réalisés par l’une des entreprises, mais n’ont pu l’être en fait à cause de ces conditions, peuvent être inclus dans les bénéfices de cette entreprise et imposés en conséquence 33. Cet extrait de l’article 9 du Modèle de convention fiscale est expliqué en détail dans les principes de l’OCDE pour établir, notamment, les méthodes qui conviennent à l’application du principe de pleine concurrence, le traitement qui doit être accordé aux biens incorporels, à la prestation de service intragroupe et aux arrangements de participation au coût. Étant donné que le principe de pleine concurrence évalue les opérations conclues entre des personnes apparentées par rapport à des opérations conclues entre parties sans lien de dépendance, il est considéré que l’application du principe met sur un pied d’égalité les multinationales et les entités indépendantes, favorisant ainsi le commerce international34. Les nouvelles règles respectent-elles le principe de pleine concurrence ? Un examen en parallèle du paragraphe 247(2) de l’avant-projet de loi et de l’énoncé de l’OCDE sur le principe de pleine concurrence révèle que, bien que la version canadienne de cette norme soit plus semblable à l’énoncé de l’OCDE que ne l’est la version de certains autres pays 35, il existe néanmoins quelques différences entre la formulation du principe au Canada et celle qu’en donne l’OCDE. Cette partie du texte examine les trois principales différences de formulation et tente d’établir si elles entraînent dans les faits des écarts de fond. 33 Ibid., paragraphe 1.6. Ibid., paragraphe 1.7. 35 Par exemple, l’article 482 du Code américain se lit comme suit : In any case of two or more organizations, trades, or businesses (whether or not incorporated, whether or not organized in the United States, and whether or not affiliated) owned or controlled directly or indirectly by the same interests, the Secretary may distribute, apportion, or allocate gross income, deductions, credits, or allowances between or among such organizations, trades, or businesses, if he determines that such distribution, apportionment, or allocation is necessary in order to prevent evasion of taxes or clearly reflect the income of any such organizations, trades, or businesses. In the case of any transfer (or license) of intangible property (within the meaning of section 936(h)(3)(B)), the income with respect to such transfer or license shall be commensurate with the income attributable to the intangible. 34 (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 1256 CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE a) Événement déclenchant l’application du principe de pleine concurrence La première différence réside dans l’événement qui déclenche l’application du principe de pleine concurrence. Selon l’ OCDE, l’article 9 du Modèle de convention fiscale et les règles sur les prix de transfert s’appliquent lorsqu’il y a une différence entre les conditions convenues ou imposées entre des entreprises associées36 dans leurs relations commerciales ou financières et celles qui seraient convenues entre des entreprises indépendantes. Le paragraphe 247(2) de la Loi stipule plutôt que les règles canadiennes sur les prix de transfert s’appliquent lorsqu’un contribuable et une personne non-résidente avec lien de dépendance participent à une opération37 et que les conditions convenues ou imposées entre les participants à l’égard de l’opération diffèrent de celles qui auraient été convenues entre des personnes sans lien de dépendance ou encore, lorsque l’opération n’aurait pas été conclue entre des personnes sans lien de dépendance. Ainsi, alors que l’OCDE renvoie à des entreprises qui « sont, dans leurs relations commerciales ou financières, liées par des conditions […] » différentes, l’avant-projet de loi mentionne plutôt des différences dans les modalités, les conditions ou la nature des opérations. Bien que les différences entre les deux libellés soient relativement mineures, elles suggèrent néanmoins une différence assez importante de point de vue. Les nouvelles règles, par le biais de la référence à « l’opération », suggèrent une analyse des prix de transfert une opération à la fois. Par contre, l’ OCDE, en mettant l’emphase sur les relations commerciales ou financières, suggère plutôt qu’il faut tenir compte de toutes les relations commerciales ou financières entre des contribuables liés, et ne pas se limiter à des opérations isolées, ce qui met en jeu l’apparente contradiction entre une méthode purement transactionnelle et une autre qui permet une analyse de fin d’exercice ou agrégative. 36 Bien que les principes de l’OCDE emploient l’expression « entreprises associées », elle n’a pas le sens qui lui est accordé au paragraphe 256(1) de la Loi. Selon l’article 9 du Modèle de convention fiscale, l’expression s’applique plutôt lorsque : (a) une entreprise d’un État contractant participe directement ou indirectement à la direction, au contrôle ou au capital d’une entreprise de l’autre État contractant, ou que (b) les mêmes personnes participent directement ou indirectement à la direction, au contrôle ou au capital d’une entreprise d’un État contractant et d’une entreprise de l’autre État contractant. Ainsi, le concept d’« entreprise associée » de l’OCDE est semblable au concept des contribuables ayant un lien de dépendance au sens du paragraphe 247(2), sauf peut-être pour ce qui est des sociétés canadiennes de personnes dont il sera question plus loin. 37 Au paragraphe 247(1), les mots « arrangements » et « événements » sont assimilés au mot « opération » aux fins de l’article 247. (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 CANADA : NOUVELLE RÈGLES SUR LES PRIX DE TRANSFERT 1257 Revenu Canada a depuis longtemps pris la position voulant que ses règles sur les prix de transfert soient appliquées à chaque opération38, position que le paragraphe 13 de la circulaire perpétue en indiquant que, selon Revenu Canada, le « principe de pleine concurrence exige […] [que] chaque transaction entre personnes […] s’effectue aux conditions »39 qui auraient prévalu entre des parties sans lien de dépendance. À l’opposé, l’ OCDE, tout en exprimant sa préférence pour l’analyse transactionnelle, semble aussi ouvrir la voie, dans certaines circonstances, à l’emploi d’une analyse de fin d’exercice ou agrégative pour évaluer les prix de transfert. La préférence déclarée de l’OCDE pour l’analyse transactionnelle ne l’empêche pas de présenter comme faisant autorité à l’égard du principe de pleine concurrence l’analyse fondée sur « les relations commerciales ou financières » et un recours fondé sur l’ajustement des « bénéfices » entre les entreprises. Ainsi, il est facile d’imaginer que lorsque les autorités fiscales canadiennes ont tenté d’harmoniser la version canadienne du principe de pleine concurrence avec celle de l’OCDE, la contradiction apparente entre la méthode transactionnelle et la méthode de l’analyse de fin d’exercice ou agrégative a refait surface. En effet, qu’est-ce que le principe de pleine concurrence et quelles en sont les exigences ? Au coeur de ce principe et dans sa forme la plus simple, les paramètres essentiels en sont que les relations entre des parties ayant un lien de dépendance soient conformes aux relations qui existeraient entre des parties non liées. La difficulté que représente l’application d’un tel principe à chaque opération est que même des parties non liées pourraient voir certaines situations de façon différente. Par exemple, lorsque des parties non liées se transfèrent un lot de biens corporels, de services et même de biens incorporels, au lieu de considérer la situation en fonction de chaque opération, elles pourraient plutôt considérer la rentabilité globale de la série d’opérations. Même lorsqu’un seul bien corporel est transféré de façon répétitive au cours de l’année, les parties non liées ne considéreront pas nécessairement la rentabilité de chaque opération mais plutôt celle qui a été réalisée sur l’année entière ou même sur un cycle de plusieurs années. Par conséquent, les autorités fiscales ne devraient pas considérer uniquement l’analyse transactionnelle et les bénéfices qui en sont tirés mais plutôt, comme le feraient deux parties non liées, tous les facteurs pertinents, soit la rentabilité globale, la nature cyclique d’un secteur donné, le taux étalon et l’ensemble des éléments qui entrent dans le processus de prise de décision quant à la conclusion de relations commerciales entre des parties non liées. 38 Le paragraphe 6 de la Circulaire d’information 87-2 du 27 février 1987, prévoit que les paragraphes 69(2) et (3) « s’appliquent à chaque transaction ». 39 Soulignements ajoutés. (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 1258 CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE b) Redressement de la valeur ou de la nature des montants La deuxième différence réside dans le recours qui découle de l’événement déclencheur. Selon l’Article 9 du Modèle de convention fiscale, la mesure déclenchée est le redressement des bénéfices de l’entreprise. Le Canada propose plutôt, dans son avant-projet de loi, que fassent l’objet d’un redressement la valeur ou la nature « [d]es montants » qui seraient déterminés pour l’application de la Loi. Toutefois, pour déterminer les montants à redresser, il faut retenir, comme il en a déjà été question, que l’avant-projet de loi préconise l’analyse de chaque opération d’un contribuable qui aurait trait à des prix de transfert. Ainsi, les montants à redresser sont le prix de l’opération et tous les autres montants qui en découlent (par exemple, les bénéfices, le revenu imposable, le coût en capital). À cet égard, la distinction sans doute la plus importante entre la conception canadienne du principe de pleine concurrence et celle de l’OCDE porte, encore une fois, sur l’analyse de fin d’exercice par rapport à l’analyse transactionnelle. Supposons, à titre d’exemple, un contribuable canadien qui conclut deux opérations avec un non-résidant associé, l’une ayant été faite pour un prix déraisonnablement bas et l’autre à un prix déraisonnablement élevé. Bien que, selon les principes de l’OCDE, pour évaluer les relations commerciales et financières entre ces deux parties chaque opération doive être analysée séparément, la formulation par l’ OCDE du principe de pleine concurrence semble également suggérer que les deux opérations devraient être considérées et que, si l’une donne lieu à un redressement favorable et l’autre à un redressement défavorable, les redressements devraient être compensés. L’importance de tenir compte de toutes les opérations et de les compenser l’une l’autre se traduit, dans la formulation par l’OCDE du principe de pleine concurrence, par le fait que ce sont les « bénéfices » qui sont redressés. Pour exprimer ce même principe, le Canada se sert plutôt de l’analyse individuelle des opérations et du redressement des « montants » qui en découlent, formule qui semble s’éloigner de la méthode agrégative qui permet la compensation. À cet égard, la nature non agrégative de la méthode canadienne est explicite dans le paragraphe 247(10) de l’avant-projet de loi qui prévoit que le Ministre n’est pas tenu d’effectuer un redressement des prix de transfert qui serait favorable à un contribuable. Enfin, une comparaison du recours prévu par la formulation canadienne du principe de pleine concurrence et de celui que préconise la formulation de l’OCDE fait remarquer qu’en plus de permettre le redressement de la valeur des « montants » déterminés pour une opération donnée, le paragraphe 247(2) envisage également une nouvelle qualification de la nature des montants lorsque des parties sans lien de dépendance n’auraient pas conclu l’opération qu’ont conclue les parties associées en cause. Ce pouvoir de requalifier peut, à première vue, sembler déborder de la portée de l’énoncé de l’OCDE qui fait autorité au sujet du principe de pleine concurrence. Il y a sans aucun (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 CANADA : NOUVELLE RÈGLES SUR LES PRIX DE TRANSFERT 1259 doute une différence inévitable entre un simple redressement des niveaux de bénéfices et le changement réel de la nature (voire de la source) de ces bénéfices. Toutefois, malgré la formulation de l’ OCDE du principe de pleine concurrence, les principes de l’OCDE mentionnent précisément la possibilité de requalifier la nature de certaines opérations et donnent des exemples concrets à cet égard. D’abord, lorsque s’appliquent des règles sur la sous-capitalisation, l’OCDE convient que certains prêts peuvent être plus adéquatement considérés comme des participations au capital social40. Ensuite, lorsqu’une entreprise indépendante ne vendrait pas un bien incorporel qui a été transféré entre des entreprises associées, l’OCDE convient que la vente pourrait être requalifiée comme un contrat de licence et une redevance pourrait être réputée payable41. Bien que le libellé de l’Article 9 du Modèle de convention fiscale puisse, au premier abord, ne pas viser la requalification de la nature des opérations, il semble bien établi que l’OCDE et ses membres considèrent qu’il en est ainsi et, par conséquent, l’inclusion expresse par les autorités canadiennes d’un tel pouvoir dans le paragraphe 247(2) ne semble pas déroger du principe de pleine concurrence décrit par l’OCDE. c) Associés et sociétés de personnes La troisième différence qui semble exister entre les versions du Canada et de l’OCDE du principe de pleine concurrence est l’application expresse de l’article 247 de la Loi aux associés et aux sociétés de personnes, là où l’OCDE ne mentionne que les entreprises. À l’Article 3 du Modèle de convention fiscale, le mot « entreprise » est défini comme suit : … les expressions « entreprise d’un État contractant » et « entreprise de l’autre État contractant » désignent respectivement une entreprise exploitée par un résident d’un État contractant et une entreprise exploitée par un résident de l’autre État contractant; Il semble donc qu’une entreprise soit une activité ou une entreprise commerciale quelconque exercée ou exploitée par un résident d’un État contractant42. Étant donné qu’une société de personnes peut exploiter une entreprise et exercer des activités commerciales, le concept d’entreprise ne semble pas en soi empêcher l’application du principe de pleine concurrence aux sociétés de personnes. Toutefois, cela ne règle pas la question à savoir si une société de personnes peut être un résident d’un État contractant pour l’application du Modèle de convention fiscale. À cet égard, les commentaires sur l’Article 1 du Modèle de convention fiscale qui concerne les personnes visées par la 40 Voir le paragraphe 2 des commentaires sur l’article 9 du Modèle de convention fiscale et le paragraphe 1.37 des principes de l’OCDE. 41 Voir les paragraphes 1.10 et 1.37 des principes de l’OCDE. 42 Voir, par exemple, l’article 7 du Modèle de convention fiscale. (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 1260 CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE convention stipulent que lorsque dans un certain pays une société de personnes est considérée comme une unité imposable, elle peut invoquer les dispositions de la Convention. D’autre part, s’il n’est pas tenu compte de la société de personnes aux fins de l’impôt et que seuls les associés sont individuellement tenus de payer de l’impôt sur leur part du revenu de la société de personnes, « il serait possible de refuser à la société de personnes elle-même l’application de la Convention, du moins si celle-ci ne prévoyait aucune règle spéciale au sujet des sociétés de personnes43 ». Dans de telles circonstances toutefois, l’activité de la société de personnes serait généralement considérée comme étant celle de ses associés, ces derniers pouvant alors se fonder sur les conventions fiscales auxquelles est partie leur pays de résidence. Il est possible de déduire de tout ce qui précède que le principe de pleine concurrence, tel qu’énoncé par l’OCDE, doit s’appliquer directement aux sociétés de personnes uniquement lorsqu’elles ne sont pas considérées par les législations internes comme des entités transparentes non soumises à l’impôt. Autrement, le principe de pleine concurrence ne fera que mettre en jeu des sociétés de personnes dans l’établissement de la part de chaque associé du revenu de la société de personnes. Les nouvelles règles permettent à peu près le même résultat, quoi qu’elles empruntent un chemin différent. Même si, au Canada, les sociétés de personnes ne sont pas considérées comme des personnes mais bien comme des entités intermédiaires, les nouvelles règles s’appliquent à ces sociétés de personnes lorsqu’elles participent à des opérations transfrontalières avec des personnes ou des sociétés de personnes avec lesquelles elles ont un lien de dépendance. La question de savoir quand une société de personnes transige sans lien de dépendance avec une personne ou une autre société de personnes semble quelque peu incertaine. Cette question n’est pas un nouveau problème qui découlerait de l’article 247 de la Loi. Elle a plutôt été soulevée par d’autres dispositions de la Loi, comme l’alinéa 13(7)e), le paragraphe 14(3), le sous-alinéa 18(9)d)(i) et l’alinéa 96(2.2)c). Aux paragraphes 20 et 21 du Bulletin d’interprétation IT -419R du 24 août 1995, Revenu Canada présente les opinions suivantes sur cette question : 20. Dans les cas où un associé est en mesure de contrôler une société de personnes, que ce soit parce qu’il détient une participation déterminante ou un mandat confié par ses associés, l’associé est considéré comme ayant un lien de dépendance avec la société de personnes. Toutefois, lorsqu’un associé n’est pas en position de contrôler une société de personnes dans laquelle il détient une participation et que cet associé n’a à peu près rien à voir avec l’orientation des opérations de la société de personnes, il est habituellement reconnu que l’associé n’a pas de lien de dépendance avec la société de personnes. 21. En règle générale, on suppose que les associés n’ont pas de lien de dépendance entre eux en ce qui a trait aux autres transactions qui se 43 Commentaires sur l’article 1 du Modèle de convention fiscale, paragraphe 3. (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 CANADA : NOUVELLE RÈGLES SUR LES PRIX DE TRANSFERT 1261 déroulent à l’extérieur des activités de la société de personnes, même si leur association serait un facteur à prendre en considération pour toute autre transaction conclue entre eux44. Dans d’autres interprétations, Revenu Canada a aussi pris la position selon laquelle des associés qui agissent de concert en vue de contrôler une société de personnes sont considérés avoir un lien de dépendance avec la société de personnes. Lorsqu’il a été noté que l’un des critères d’une société de personnes est que les membres agissent en commun en vue d’obtenir des bénéfices et, qu’en tant que tels, tous les associés ont probablement un lien de dépendance avec la société de personnes, Revenu Canada s’est fondée sur la version antérieure de l’équivalent de la deuxième phrase du paragraphe 20 du Bulletin d’interprétation IT -419 R 45, où il était déclaré que Revenu Canada était prête à reconnaître qu’un associé et une société de personnes « peuvent » transiger sans lien de dépendance dans un tel cas. Revenu Canada a par ailleurs déclaré que le Ministère considérait comme hypothèse raisonnable que moins il y avait d’associés, plus il était probable qu’ils avaient un lien de dépendance avec la société de personnes 46. Dans une autre interprétation technique, Revenu Canada a examiné sept cas différents et donné un avis de principe sur le lien de dépendance qui pouvait exister entre une société de personnes et une société par actions47. Il en ressortait que Revenu Canada appliquerait en général le même traitement qu’elle applique aux actionnaires et à une société par actions en considérant la participation dans la société de personnes comme l’équivalent d’une participation dans une société par actions. À tout le moins, Revenu Canada a déclaré que tous les cas comportent de nombreux faits et que seul un examen de tous les faits pertinents peut mener à une décision éclairée 48. Pour ce qui est des sociétés en commandite, Revenu Canada est d’avis que lorsqu’une telle société n’a qu’un commandité, celui-ci ne transige généralement pas sans lien de dépendance avec la société en commandite car il en exerce normalement le contrôle. Revenu Canada a également fait remarquer que lorsque le commandité est une filiale en propriété exclusive du seul commanditaire, il se peut que la société en commandite ne transige pas sans lien de dépendance avec le 44 Ces opinions sont conformes à des avis exprimés antérieurement par Revenu Canada, document n o 5-6721, le 23 novembre 1988. 45 Paragraphe 15 du Bulletin d’interprétation IT-419, le 10 juillet 1978. 46 Revenu Canada, document août 1990-340. 47 Revenu Canada, document n o 5-8399, le 29 décembre 1989. 48 En réponse à une demande de décision anticipée, Revenu Canada a fait savoir qu’en général, le Ministère ne prenait normalement pas de décision sur la question de savoir si un associé qui n’est pas en mesure de contrôler une société de personnes transige sans lien de dépendance avec cette société de personnes. Revenu Canada, document n o 3-2421, le 26 juillet 1989. (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 1262 CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE commanditaire parce que celui-ci exerce en fait le contrôle sur la société en commandite 49. Bien qu’il serait indiqué de garantir davantage le traitement des sociétés de personnes pour l’établissement du lien de dépendance entre des parties, il semble que la différence dans la formulation des versions du Canada et de l’OCDE du principe de pleine concurrence ne donne pas lieu à des écarts marqués pour ce qui est de son application. LES NOUVELLES RÈGLES : LA LÉGISLATION PAR VOIE DE CIRCULAIRE D’INFORMATION Les nouvelles règles proposées de la Loi prévoient un cadre assez général pour le régime des prix de transfert au Canada. Le principe de pleine concurrence qui sert à évaluer les pratiques canadiennes en matière de prix de transfert y est articulé, les grandes lignes de la documentation ponctuelle requise y sont expliquées, Revenu Canada y reçoit autorisation de redresser les opérations transfrontalières entre parties ayant un lien de dépendance pour bien tenir compte du principe de pleine concurrence, et des pénalités y sont autorisées pour les contribuables qui sont assujettis à des redressements de prix de transfert. Bien que le cadre général soit énoncé dans les dispositions législatives, c’est dans la circulaire proposée que la structure est expliquée en détail et qu’elle prend son sens. Comme il en a toujours été le cas, le régime canadien des prix de transfert est essentiellement défini non pas dans la loi ou dans la jurisprudence qui en porte interprétation, mais bien dans une circulaire d’information, ce qui soulève certaines questions fondamentales au sujet de la mesure dans laquelle Revenu Canada et le contribuable sont tenus de respecter les « règles » qui y sont énoncées, ainsi qu’au sujet de la mesure dans laquelle les tribunaux, dans l’application de l’avant-projet de loi, peuvent décider de déroger à ces « règles ». Rôle de la circulaire d’information et du bulletin d’interprétation Dans sa toute première circulaire d’information, la Circulaire d’information 70-1 50, Revenu Canada annonçait le lancement de deux nouvelles séries de publications intitulées Circulaires d’information et Bulletins d’interprétation. Le Ministère en décrivait les objectifs respectifs de la façon suivante : 2 Les nouvelles Circulaires d’information auront pour but d’informer le grand public concernant les questions de procédure relatives à la Loi de l’impôt sur le revenu, à la Loi de l’impôt sur les biens transmis par décès et aux dispositions du Régime de pensions du Canada qui ont trait aux cotisations; de plus, elles serviront à annoncer les changements 49 50 Revenu Canada, document mai 1991-179 et document n o 5-7883, le 16 juin 1989. Circulaire d’information 70-1, le 25 août 1970, paragraphes 2 et 3. (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 CANADA : NOUVELLE RÈGLES SUR LES PRIX DE TRANSFERT 1263 apportés aux programmes portant sur l’organisation, le personnel et le fonctionnement, ainsi que d’autres mesures administratives présentant un intérêt général pour d’importants secteurs de la population. (soulignement ajouté) 3 La seconde publication, les Bulletins d’interprétation, intéressera spécialement les avocats, les comptables et les autres personnes dont le travail courant les amène à s’occuper des questions fiscales. Comme leur nom l’indique, ces bulletins auront pour but de faire connaître, de temps à autre, l’interprétation du ministère concernant les sections de la loi qui relèvent de sa compétence; un autre objectif, aussi important, sera d’annoncer les changements majeurs touchant l’interprétation du ministère et les dates d’entrée en vigueur de ces changements. Selon ces descriptions, il est quelque peu surprenant que le prononcé administratif dont il est fait état dans ce texte prenne la forme d’une circulaire d’information et non d’un bulletin d’interprétation, car sa teneur semble davantage liée à l’interprétation des nouvelles règles législatives qu’à la divulgation d’informations sur des questions de procédure. La circulaire proposée donne l’interprétation que Revenu Canada fait notamment du principe de pleine concurrence énoncé dans l’avant-projet de loi, des méthodes d’établissement des prix de transfert qui seront utilisées pour déterminer si un prix de transfert de pleine concurrence a été fourni, des dispositions punitives et des exigences en matière de documentation ponctuelle. À plusieurs égards, ces interprétations, et les autres qui figurent dans la circulaire proposée, semblent imposer des exigences précises aux contribuables participant à des opérations qui tombent sous le coup du régime canadien des prix de transfert, exigences qui ne sont souvent pas mentionnées dans les dispositions législatives sous-jacentes. Il reste à déterminer dans quelle mesure ces règles et interprétations de la Loi lient les contribuables. Caractère exécutoire des bulletins d’interprétation et autres prises de position administratives de Revenu Canada La jurisprudence a clairement démontré que les énoncés et publications de Revenu Canada qui prétendent interpréter les exigences de la loi n’ont pas en tant que tels le caractère exécutoire qu’aurait la loi, bien que, dans certaines circonstances, ils puissent avoir valeur de persuasion lorsqu’il s’agit d’interpréter des dispositions ambiguës de la Loi. Dans la décision Mattabi Mines Ltd. c. Ont. (Min. du Revenu)51, le juge Wilson, statuant pour le tribunal, déclarait ce qui suit : Pour résoudre ce litige, il est capital de saisir l’effet juridique de la pratique administrative rendue publique dans les bulletins d’interprétation. Comme je l’ai déjà souligné, ces bulletins n’ont pas force obligatoire en matière d’interprétation des lois fiscales. Comme le juge Cattanach l’a dit dans la décision Southside Car Market Ltd. c. La Reine, [1982] 2 C .F . 755 ( D. P. I.), à la p. 770, « [u]ne […] interprétation ne constitue pas le droit avant d’être ainsi interprétée par un tribunal 51 [1988] 2 RCS 175, à la p. 195. (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 1264 CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE compétent ». Le même juge a souligné dans la décision Stickel c. Ministre du Revenu national, [1972] C . F . 672 ( D. P . I .), à la p. 684, que « [l]e sous-ministre n’a pas le pouvoir de légiférer ». Les bulletins d’interprétation ont cependant une certaine force persuasive lorsqu’il existe une ambiguïté dans la loi52. Bien que les tribunaux aient indiqué que les bulletins d’interprétation et les autres énoncés administratifs de Revenu Canada peuvent constituer un élément convaincant lorsqu’il s’agit d’interpréter des dispositions législatives ambiguës, il est à remarquer que cela ne signifie pas nécessairement que toutes les ambiguïtés doivent être résolues de la façon proposée par l’énoncé administratif. Autrement, Revenu Canada bénéficierait de facto d’un pouvoir de réglementer partout où il y a des ambiguïtés dans la Loi (d’ailleurs fort nombreuses). Il est donc intéressant de constater que dans la décision Vaillancourt c. La Reine53, la Cour d’appel fédérale semble suggérer que les bulletins d’interprétation peuvent être particulièrement convaincants pour résoudre les ambiguïtés lorsqu’un contribuable les invoque en sa faveur et à l’encontre de Revenu Canada54. C’est précisément la position adoptée par le professeur Côté dans un article de la Revue fiscale canadienne 55 où il indique qu’une analyse des décisions judiciaires suggère que les bulletins d’interprétation et autres énoncés administratifs semblent plus persuasifs lorsque c’est le contribuable qui les invoque que lorsque c’est le Ministre qui s’en sert 56. Comme le professeur Côté le suggère, un tel résultat est intuitivement satisfaisant. Bien qu’un contribuable ne puisse pas 52 Voir aussi Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 RCS 29; Harel c. Sous-ministre du Revenu du Québec, [1978] 1 RCS 851 et Vaillancourt c. La Reine, [1991] 3 CF 663 (CF Appel). 53 Vaillancourt, supra, note 51. 54 Ibid., à la p. 674 où la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit : … que les tribunaux recourent de plus en plus souvent à ces bulletins et qu’ils paraissent facilement enclins à voir une ambiguïté dans la Loi—ce qui permet d’y recourir—lorsque l’interprétation donnée dans un bulletin contredit carrément l’interprétation que le ministère propose dans un cas donné ou permet l’interprétation que propose le contribuable. Lorsque le contribuable s’adonne à une activité commerciale en réponse à une invitation expresse de l’Administration et que la légalité de cette activité est confirmée dans un bulletin d’interprétation, ce n’est que justice que de rechercher accessoirement dans ce bulletin le sens de la législation en cause. 55 Pierre-André Côté, « L’interprétation de la loi fiscale—quelques problèmes » (1991), vol. 39, n o 2 Revue fiscale canadienne 258-87. 56 Par exemple, à la page 271, le professeur Côté déclare ce qui suit : L’interprétation administrative est-elle invoquée au soutien des prétentions de l’Administration ou de celles du contribuable ? Cette question paraît déterminante. Une étude de 29 décisions où le tribunal a fait état de l’interprétation par le fisc a révélé qu’elle a été suivie dans 18 cas, écartée dans 11. Parmi les 18 cas où elle a été suivie, 15 ont été décidés en faveur du contribuable, seulement 3 en faveur du fisc. (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 CANADA : NOUVELLE RÈGLES SUR LES PRIX DE TRANSFERT 1265 invoquer le principe de la préclusion (en anglais : estoppel ) lorsque le Ministre tente d’émettre une cotisation contraire à une interprétation de la Loi exposée dans un bulletin d’interprétation ou dans un autre énoncé administratif, les tribunaux auront vraisemblablement un certain degré de sympathie pour le contribuable et peuvent ainsi choisir d’interpréter la Loi au soutien de la position administrative que le Ministre a laissée de côté en imposant une cotisation au contribuable. Revenu Canada a effectivement reconnu le fait qu’il est possible que des bulletins d’interprétation ne constituent pas un énoncé exact ou exécutoire de la loi dans la Circulaire d’information 70-1 où elle a noté qu’un des objectifs des bulletins d’interprétation est la divulgation de « l’interprétation du ministère concernant les sections de la loi qui relèvent de sa compétence ». Il est important que le public soit informé de l’interprétation que fait le Ministère de la Loi et, dans la plupart des cas, les contribuables agiront en conséquence. En bout de ligne, toutefois, la fonction du Ministère consiste uniquement à administrer et à appliquer la Loi57, non pas à rendre des décisions définitives ou exécutoires quant à son interprétation. Les différends entre les contribuables et le Ministère concernant l’interprétation de la Loi doivent être résolus par les tribunaux 58. Bien qu’un tribunal puisse considérer l’interprétation du Ministère persuasive, elle ne peut être ni déterminante ni exécutoire pour un contribuable59. Un bulletin d’interprétation ou un énoncé administratif est habituellement publié pour divulguer une interprétation d’une disposition législative précise. Les énoncés administratifs servent également à fournir des directives concernant les circonstances dans lesquelles Revenu Canada pourra exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère la Loi. L’expression « pouvoir discrétionnaire » signifie un pouvoir précis conféré à Revenu Canada par une disposition précise de la Loi. Par exemple, selon le paragraphe 220(3.1), le Ministre peut, à tout moment, renoncer à une pénalité ou à un intérêt payable par un contribuable, même l’annuler. Par contre, la Loi ne précise pas les facteurs dont Revenu Canada doit tenir compte pour décider comment 57 Le paragraphe 220(1) de la Loi décrit la fonction du Ministre de la façon suivante : 220. (1) Fonctions du ministre—Le ministre assure l’application et l’exécution de la présente loi, et a la direction et la surveillance des personnes employées à cette fin. Le sous-ministre du Revenu national peut exercer les pouvoirs et fonctions conférés au ministre en vertu de la présente loi. 58 Voir la division J de la partie I de la Loi. 59 La conclusion voulant qu’une interprétation de la Loi par Revenu Canada figure dans un bulletin d’interprétation ne lie pas un tribunal, ce dernier étant alors libre d’interpréter la Loi autrement, est conforme à la décision récente Consoltex Inc. c. La Reine, [1997] 2 CTC 2846 (CCI), dans laquelle le juge Bowman statue que ni Revenu Canada ni le contribuable n’était lié par une entente entre ces deux parties qui était incompatible avec les dispositions de la Loi. Les fondements de cette décision sont que nul ne peut modifier les règles fiscales énoncées dans la Loi. (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 1266 CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE ce pouvoir sera exercé. En réponse à de tels pouvoirs étendus, les organismes gouvernementaux choisiront souvent de publier des lignes directrices administratives concernant l’exercice du pouvoir discrétionnaire. La Circulaire d’information 92-260 sert exactement à cette fin pour ce qui est du pouvoir discrétionnaire étendu conféré au Ministre par le paragraphe 220(3.1). Dans cette circulaire, Revenu Canada indique le genre de circonstances dans lesquelles le Ministère exercera son pouvoir discrétionnaire pour renoncer à des intérêts et des pénalités. En général, les tribunaux ont accepté le recours aux énoncés administratifs pour structurer le pouvoir discrétionnaire d’un organisme gouvernemental, dans la mesure où l’organisme respecte le fait que ces énoncés ne sont que de grandes lignes directrices et que l’organisme ne leur donne pas la force de règles législatives pour supplanter l’application cas par cas de son pouvoir. Le droit administratif reconnaît précisément l’effet d’« entrave » que peut avoir le pouvoir discrétionnaire qui sert de justification pour renverser l’exercice par un organisme gouvernemental de son pouvoir discrétionnaire. Bien que la seule publication de lignes directrices ne constitue pas normalement une entrave et que les tribunaux hésitent généralement à renverser les décisions purement discrétionnaires des organismes gouvernementaux, si les « lignes directrices » sont des règles de fait et qu’elles sont appliquées en tant que telles, un organisme gouvernemental serait généralement jugé avoir entravé son pouvoir discrétionnaire61. Par conséquent, si l’avant-projet de loi confère spécifiquement à Revenu 60 Circulaire d’information 92-2, le 18 mars 1992. Voir, par exemple, la décision Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 RCS 2, où la Cour suprême du Canada statue, aux pp. 6 et 7 : Il est donc manifeste, à mon avis, que l’art. 8 de la Loi accorde un pouvoir discrétionnaire au Ministre. Le fait que le Ministre ait employé dans ses lignes directrices contenues dans l’avis aux importateurs les mots : « Si le produit canadien n’est pas offert au prix du marché, une licence est émise … » n’entrave pas l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. C’est la Loi qui accorde le pouvoir discrétionnaire et la formulation et l’adoption de lignes directrices générales ne peut le restreindre. Il n’y a rien d’illégal ou d’anormal à ce que le Ministre chargé d’appliquer le plan général établi par la Loi et les règlements formule et publie des conditions générales de délivrance de licences d’importation. Il est utile que les demandeurs de licences connaissent les grandes lignes de la politique et de la pratique que le Ministre entend suivre. Donner aux lignes directrices la portée que l’appelante allègue qu’elles ont équivaudrait à attribuer un caractère législatif aux directives ministérielles et entraverait l’exercice du pouvoir discrétionnaire du Ministre. Le judge [sic] Le Dain a analysé cette question et dit, à la p. 513 : Le Ministre est libre d’indiquer le type de considérations qui, de façon générale, le guideront dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (voir British Oxygen Co. Ltd. c. Minister of Technology [1971] A.C. (C.L.) 610; Capital Cities Communications Inc. c. Le Conseil de la Radio-Télévision canadienne [1978] 2 R.C.S. 141, aux pp. 169 à 171), mais il ne peut pas entraver ce pouvoir discrétionnaire en tenant les lignes directrices pour obligatoires et en excluant tous les autres motifs valides ou pertinents pour lesquels il peut exercer son pouvoir discrétionnaire (voir Re Hopedale Developments Ltd. And Town of Oakville [1965] 1 O.R. 259). 61 (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 CANADA : NOUVELLE RÈGLES SUR LES PRIX DE TRANSFERT 1267 Canada le pouvoir discrétionnaire d’appliquer les règles en matière de prix de transfert, comme c’est le cas dans le paragraphe proposé 247(10), Revenu Canada aura toute la latitude nécessaire pour structurer ce pouvoir discrétionnaire et informer les contribuables de la façon générale dont le Ministère entend exercer ce pouvoir. À cet égard, il est fort peu probable que les tribunaux interviennent, à moins que les lignes directrices de Revenu Canada ne tiennent lieu de règle et ne soient appliquées à des fins légalistes d’une façon qui entrave indûment le pouvoir discrétionnaire de Revenu Canada. En tenant compte de cet exposé sur le rôle approprié des énoncés administratifs, les auteurs font l’examen du contenu de la circulaire et l’étude de leur caractère exécutoire ou non exécutoire, ainsi que l’analyse de l’effet de certains des énoncés qui y figurent. LA CIRCULAIRE : CLASSEMENT DES MÉTHODES DE FIXATION DES PRIX DE TRANSFERT La circulaire indique que Revenu Canada se fondera sur les méthodes de fixation des prix de transfert exposées dans les principes de l’OCDE afin de déterminer si un prix de transfert de pleine concurrence est employé par un contribuable. À l’instar des principes de l’OCDE, la circulaire dénote une nette préférence pour les méthodes traditionnelles fondées sur les opérations (c’est-à-dire la méthode PCML, la méthode du prix de revente et la méthode du prix de revient majoré), quoique la circulaire indique également que les méthodes transactionnelles fondées sur les bénéfices (c’est-à-dire les méthodes du partage des bénéfices et la méthode TMN ) seront jugées acceptables par Revenu Canada si les méthodes traditionnelles ne permettent pas de faire une estimation fiable du prix de pleine concurrence. Revenu Canada a cependant indiqué qu’il considère que la méthode TMN est une méthode de dernier recours. En ce qui concerne l’acceptabilité de diverses méthodes de fixation des prix de transfert, la position de Revenu Canada soulève des questions intéressantes, à savoir, si les tribunaux accepteront ou non d’autres méthodes préconisées par un contribuable à l’appui du caractère raisonnable de ses pratiques en matière de prix de transfert. Aucune disposition de l’avant-projet de loi ne concerne les méthodes de fixation des prix de transfert, le seul critère étant que les conditions soient semblables à celles dont auraient convenu des parties sans lien de dépendance. De plus, ni l’avant-projet de loi ni les notes techniques qui l’accompagnent ne renvoient précisément aux principes de l’OCDE. Il semble donc qu’il existe un fondement raisonnable à l’argument voulant que ni les principes de l’ OCDE ni la circulaire ne devraient lier un tribunal quant à la méthode d’évaluation des pratiques d’un contribuable en matière de prix de transfert62. 62 Les auteurs sont toutefois conscients que les tribunaux puissent préférer se fonder sur les principes de l’OCDE lorsqu’un litige sur les prix de transfert touche l’une des (page suivante s.v.p.) (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 1268 CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE Cela dit, les auteurs reconnaissent qu’un tribunal peut à tout le moins juger que la liste des méthodes acceptées, tant dans la circulaire que dans les principes de l’ OCDE, est un élément convaincant pour décider s’il devrait accepter une méthode distincte appliquée par un contribuable. Même si les tribunaux jugent que la liste de l’OCDE est convaincante, il importe peut-être encore davantage de savoir si les tribunaux jugeront que la préférence accordée à ces méthodes par les principes de l’ OCDE et la circulaire est persuasive, et dans quelle mesure ils tiendront compte des commentaires de la circulaire stipulant que la méthode TMN devrait être utilisée comme méthode de « dernier recours ». Il semble qu’en contraste avec la position avancée par Revenu Canada dans la circulaire proposée, les tribunaux pourraient user d’une plus grande latitude pour accepter les méthodes moins privilégiées dans la circulaire, voire des méthodes qui n’y sont même pas mentionnées. Pour obtenir une telle acceptation d’un tribunal, il serait nécessaire de fournir une preuve d’expertise persuasive qui établirait pourquoi une méthode particulière donne lieu à un prix de transfert conforme à l’énoncé législatif du principe de pleine concurrence, tel qu’il paraît au paragraphe proposé 247(2) de la Loi. Fait important, ni la nature ni l’ordre des méthodes préconisées dans la circulaire ne lient légalement les tribunaux ou les contribuables. En bout de ligne, le fait de savoir si les prix satisfont aux critères de pleine concurrence est une question relevant entièrement des tribunaux qui doivent appliquer le principe de pleine concurrence énoncé dans la Loi. Si un contribuable peut convaincre un tribunal que le principe de pleine concurrence a été respecté et que les conditions sont celles dont (… suite) conventions fiscales conclues par le Canada. Dans ces circonstances, les principes de l’OCDE pourraient être apparentés aux commentaires qui accompagnent le Modèle de convention fiscale et conséquemment, en se fondant sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire La Reine c. Crown Forest Industries Ltd., [1995] 2 CTC 64, un tribunal pourrait juger ces principes « fort convaincants ». À cet égard, le professeur Vogel suggère que les principes de l’OCDE ont le même poids que les commentaires qui se rapportent au Modèle de convention fiscale [Klaus Vogel on Double Taxation Conventions, 3 e éd. (Boston : Kluwer Law International, 1997), à la p. 535]. Cependant, même si le droit canadien acceptait que les principes de l’OCDE possèdent le même pouvoir persuasif que les commentaires qui accompagnent le Modèle de convention fiscale, les méthodes d’établissement des prix de transfert incluses aux principes de l’OCDE n’auraient toujours pas force de loi au Canada. Au contraire, ces principes n’entreraient en jeu que dans l’interprétation du principe de pleine concurrence énoncé à l’article 9 du Modèle de convention fiscale. Donc, si un contribuable peut démontrer qu’une méthode particulière donne un prix de transfert qui respecte le principe de pleine concurrence, les tribunaux devraient avoir le loisir d’accepter cette méthode, peu importe le rang qu’elle occupe ou son inclusion aux principes de l’OCDE. En fait, il semble que ce point soit reconnu dans les principes mêmes de l’OCDE, plus précisément au paragraphe 1.68 qui se lit comme suit : Par ailleurs, les groupes multinationaux sont entièrement libres de recourir à des méthodes autres que celles qui sont exposées dans ce rapport, dès lors que les prix fixés satisfont au principe de pleine concurrence, conformément aux Principes directeurs exposés ici. (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 CANADA : NOUVELLE RÈGLES SUR LES PRIX DE TRANSFERT 1269 auraient convenu des parties sans lien de dépendance, le fait que la preuve du contribuable soit présentée sous forme d’analyse TMN , BC 63 ou autre, ne devrait pas être déterminant. Revenu Canada fera tous les efforts possibles pour contester l’emploi de ces méthodes, plus particulièrement l’emploi des méthodes TMN et BC. Selon les auteurs, Revenu Canada ne peut se limiter à simplement affirmer qu’il considère ces méthodes appropriées seulement dans les circonstances les plus extrêmes. Il est plutôt probable que les tribunaux veuillent déterminer si une méthode particulière donne des résultats conformes au principe de pleine concurrence, compte tenu des circonstances particulières de chaque cas. « Efforts sérieux » Le paragraphe 247(4) des nouvelles règles stipule que le contribuable doit maintenir certains documents ponctuels concernant une opération particulière, à défaut de quoi il sera réputé ne pas avoir fait les efforts sérieux nécessaires pour déterminer des prix de transfert appropriés relativement à l’opération concernée et sera assujetti à une pénalité s’il y a redressement des prix de transfert. Les nouvelles règles prévoient que la documentation ponctuelle doit comprendre la description des « données et méthodes prises en considération et [des] analyses effectuées en vue de déterminer les prix de transfert ». Dans la circulaire proposée, Revenu Canada déclare, au paragraphe 79, qu’« en général, le Ministère considère que faire des efforts sérieux exige l’utilisation d’une méthode recommandée », ce qui soulève l’intéressante question de savoir dans quelle mesure un contribuable peut se fonder sur la méthode TMN pour respecter la règle déterminative du paragraphe 247(4). Voilà une question particulièrement importante, étant donné qu’un proche équivalent de la méthode TMN , la méthode BC, est fréquemment utilisée par les multinationales américaines dans leurs études sur les prix de transfert aux fins des lois fiscales américaines. Sous la rubrique précédente, les auteurs faisaient remarquer qu’il était possible que les tribunaux ne tiennent pas compte de l’opinion de 63 Il ne faut pas oublier le débat sur la similitude entre les méthodes TMN et BC. Les États-Unis considèrent qu’elles sont effectivement analogues, contrairement, semblet-il, au reste du monde. Il est à noter que les États-Unis ne sont pas les seuls à avoir adopté la méthode BC puisque l’alinéa GD 13(7)e) de l’Income Tax Act 1994 de la Nouvelle-Zélande en reconnaît spécifiquement l’acceptabilité. Étant donné que la méthode TMN doit être appliquée de manière conforme au mode d’application de la méthode du prix de revient majoré et de la méthode du prix de revente (y compris, présumément, une comparabilité plus élevée que celle qui est nécessaire pour la méthode BC—voir le paragraphe 3.26 des principes de l’OCDE), il est possible d’affirmer que la méthode TMN s’appliquera moins souvent que sa contrepartie américaine. Il peut aussi être suggéré que, si la méthode TMN exige le même niveau de comparabilité que la méthode du prix de revient majoré et la méthode du prix de revente, la méthode TMN ne devrait pas être appliquée parce que la hiérarchie des méthodes justifierait plutôt le recours aux deux autres. (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 1270 CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE Revenu Canada quant aux classements des diverses méthodes de fixation des prix de transfert pour évaluer les politiques d’un contribuable et déterminer s’il est opportun de recourir à un redressement tel que prévu au paragraphe 247(2). De l’avis des auteurs, même si les tribunaux n’acceptent pas la fixation du prix de transfert établi par un contribuable selon une méthode particulière, quelle qu’elle soit, en invoquant que la méthode n’est pas considérée appropriée, le tribunal pourrait hésiter à maintenir l’imposition d’une pénalité s’il considère que des efforts sérieux ont été faits. Malgré les hésitations de Revenu Canada quant aux méthodes BC et TMN, il semble que la portée du critère de l’« effort sérieux » est suffisante pour que les tribunaux décident que l’emploi de bonne foi de n’importe quelle méthode de fixation des prix de transfert, plus particulièrement d’une méthode approuvée par l’OCDE comme la méthode TMN, constitue des efforts sérieux dans plusieurs cas. Cela est particulièrement vrai étant donné que Revenu Canada reconnaît qu’un critère de saine gestion commerciale est considéré approprié dans le contexte de l’évaluation de la documentation ponctuelle. Requalification de l’opération Le paragraphe 247(2) confère à Revenu Canada le pouvoir de requalifier une opération et les montants s’y rapportant s’il s’agit d’une opération que des personnes transigeant sans lien de dépendance n’auraient pas conclue entre elles (par exemple, un prêt requalifié comme injection de capital). En réaction aux nombreuses critiques des intervenants du monde fiscal, le pouvoir de requalifier la nature d’une opération, tel qu’il était originalement présenté dans l’avant-projet de loi, a été quelque peu diminué dans l’avis de motion récemment publié par l’ajout du sous-alinéa 247(2)b)(ii) qui précise que pour qu’une opération soit requalifiée, il doit s’agir non seulement d’une opération que n’auraient pas conclue deux personnes sans lien de dépendance, mais il ne doit pas être possible de juger raisonnablement que l’opération a été conclue principalement en vue d’objets véritables autres que pour obtenir un avantage fiscal. L’expression « avantage fiscal » utilisée dans le paragraphe 247(2) est définie comme suit au paragraphe 247(1) : « réduction, évitement ou report d’impôt ou d’un autre montant payable en application de la […] loi ou augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’autres montants visés par la […] loi ». La même définition en est donnée à l’article 245 de la Loi (la disposition générale anti-évitement ou DGAÉ). Il existe toutefois une différence intéressante entre la DGAÉ et le paragraphe 247(2) en ce que la DGAÉ ne peut pas s’appliquer pour requalifier une opération s’« il est raisonnable de considérer qu’elle n’entraîne pas, directement ou indirectement, d’abus dans l’application des dispositions de la […] [Loi] lue dans son ensemble. » Cette exception ne figure pas dans le pouvoir de requalification prévu au paragraphe 247(2). Malgré l’assez grande étendue du pouvoir de requalification prévu au paragraphe 247(2), Revenu Canada indique, dans les paragraphes 18 à (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 CANADA : NOUVELLE RÈGLES SUR LES PRIX DE TRANSFERT 1271 20 de la circulaire proposée, que ce pouvoir ne sera utilisé que dans des circonstances limitées : 18. En général, le Ministère accepte les transactions commerciales telles qu’elles sont structurées par les parties. Cependant, comme l’indiquent les principes de l’ OCDE, il peut y avoir certains cas où il est nécessaire de faire une nouvelle qualification d’une transaction pour fins d’impôt. Les principes de l’OCDE précisent deux genres de situations où une nouvelle qualification d’une transaction serait envisagée. 19. Dans la première situation, la substance d’une transaction diffère de sa forme. L’exemple donné dans les principes de l’ OCDE porte sur un investissement dans une entreprise liée sous la forme d’un prêt rémunéré, où des personnes non-apparentées auraient structuré leur investissement sous la forme d’une souscription de capital. Cependant, dans une telle situation, il est peu probable qu’une nouvelle qualification de la transaction soit effectuée lorsque les dispositions relatives à la capitalisation restreinte que prévoient les paragraphes 18(4) à 18(8) de la Loi pourraient s’appliquer à la transaction. 20. Dans la deuxième situation, la transaction entre personnes apparentées diffère de celle que des entreprises indépendantes ayant un comportement commercial rationnel auraient conclue, et la structure de ladite transaction est telle qu’il est presque impossible de déterminer un prix de transfert approprié. Dans l’exemple donné dans les principes de l’OCDE , un contribuable vend pour un paiement forfaitaire un droit illimité à la propriété intellectuelle liée aux résultats de recherches qu’il effectuera. Des personnes non-apparentées n’auraient pas structuré la transaction sous cette forme. En pareil cas, le Ministère pourrait, aux fins de l’impôt, faire une nouvelle qualification de la transaction sous forme d’accord permanent de recherche. Cet énoncé est conforme aux déclarations des principes de l’OCDE voulant que, bien que « les autorités fiscales peuvent être fondées à ne pas tenir compte de la structure adoptée par un contribuable »64, en règle générale cette mesure devrait être évitée. Notons, à cet égard, la teneur du paragraphe 1.36 des principes de l’OCDE : 1.36 L’examen par l’administration fiscale d’une transaction entre entreprises associées doit se fonder sur la transaction effectivement intervenue entre les parties et les modalités de cette transaction, selon les méthodes utilisées par le contribuable dans la mesure où elles sont conformes à celles qui sont exposées aux chapitres II et III. Sauf dans des cas exceptionnels, l’administration fiscale ne devra pas faire abstraction des transactions effectives ni leur substituer d’autres transactions. La restructuration de transactions commerciales légitimes relèverait d’une démarche totalement arbitraire rendue plus injuste encore par une double imposition au cas où l’autre administration fiscale concernée aurait une opinion différente sur la façon dont la transaction devrait être structurée. Bien que dans d’autres parties de la circulaire proposée, notamment dans celle qui concerne la documentation ponctuelle et les méthodes de 64 Voir le paragraphe 1.37 des principes de l’OCDE. (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 1272 CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE fixation des prix de transfert, Revenu Canada ait semblé vouloir établir de nouvelles règles et conditions (en plus de celles contenues dans les dispositions législatives) qu’un contribuable devrait respecter, la partie de la circulaire proposée qui touche le pouvoir de requalification prévu au paragraphe 247(2) semble conçue pour apaiser les préoccupations des contribuables en posant des limites à ce qui est par ailleurs un pouvoir défini dans son sens le plus large. Même si ces déclarations administratives réussissent à rassurer le contribuable, elles ne sauraient remplacer des dispositions législatives soigneusement rédigées qui éviteraient une portée trop large. Encore une fois, il faut souligner que les déclarations administratives ne peuvent outrepasser la loi. Ainsi, même si Revenu Canada indique qu’elle aura peu souvent recours au pouvoir de requalification prévu au paragraphe 247(2), cette épée de Damoclès demeure toujours au-dessus des têtes des contribuables. Le peu de mordant des déclarations de la circulaire proposée qui tentent de limiter ce pouvoir élargi est particulièrement évident du fait que le paragraphe 247(2) ne constitue même pas un pouvoir discrétionnaire. Plutôt, il y est déclaré que, dans certaines conditions, la valeur et la nature des montants déterminés par ailleurs « feront » l’objet d’un redressement. Il aurait été préférable que l’avant-projet de loi soit rédigé plus étroitement plutôt que de recourir à une circulaire d’information pour en limiter l’application. Paragraphe 247(10) Tel que déjà discuté, le paragraphe 247(10) de l’avant-projet de loi confère au Ministre le pouvoir discrétionnaire de ne pas consentir à un redressement auquel le contribuable aurait plein droit aux termes du paragraphe 247(2) de l’avant-projet de loi. Il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire conféré au Ministre conformément à l’avant-projet de loi. Il aurait été plus utile que la circulaire proposée contienne des lignes directrices détaillées sur les divers facteurs dont le Ministre tiendrait compte pour déterminer quand et comment il exercerait ce pouvoir. Comparativement aux déclarations assez détaillées que contient la circulaire proposée au sujet de l’interprétation d’autres aspects de l’avant-projet de loi, il est malheureux de ne pas y trouver de remarques étoffées sur le paragraphe 247(10). Il est à noter que bien que la circulaire proposée ait à plusieurs occasions tenté d’établir des règles de facto détaillées extralégislatives concernant les prix de transfert qui complètent celles qui se retrouvent dans l’avant-projet de loi, elle est peu loquace en ce qui a trait au pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 247(10) alors qu’il aurait été tout à fait opportun pour Revenu Canada de donner des lignes directrices détaillées pour structurer son pouvoir discrétionnaire. Résumé À l’examen de plusieurs dispositions de la circulaire, les auteurs ont constaté qu’à plusieurs égards, Revenu Canada semble utiliser la (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 CANADA : NOUVELLE RÈGLES SUR LES PRIX DE TRANSFERT 1273 circulaire proposée pour créer un ensemble de règles qui complète la structure générale des prix de transfert énoncée dans l’avant-projet de loi. De leur avis, bien qu’un tribunal pourrait tenir compte de ces règles dans l’interprétation du régime global des prix de transfert établi par l’avant-projet de loi, les règles n’en sont pas pour autant déterminantes. Par conséquent, les contribuables pourraient être en mesure de défendre les pratiques dont il pourrait être dit qu’elles tombent sous la lettre de l’avant-projet de loi mais qui ne sont pas conformes aux règles additionnelles énoncées dans la circulaire proposée. L’envers de cette médaille est que certaines dispositions vagues de l’avant-projet de loi, notamment celles sur le pouvoir de requalification prévu au paragraphe 247(2), ne seront pas nécessairement restreintes par les remarques administratives de la circulaire voulant que ces dispositions reçoivent une application limitée. LES NOUVELLES RÈGLES : LES APP DEVIENNENT ENCORE PLUS INTÉRESSANTS En plus d’accentuer, pour le Canada, le besoin de conseillers en matière de prix de transfert, l’un des principaux effets prévus de l’avant-projet de loi sera que les multinationales chercheront un moyen de s’assurer que leurs pratiques en matière de prix de transfert sont acceptables afin d’éviter le spectre de la double imposition et des pénalités onéreuses. En établissant des accords préalables en matière de prix de transfert (« APP ») (nommées « ententes anticipées en matière de prix de transfert (« EAPT ») » dans la Circulaire d’information 94-4), les autorités fiscales canadiennes semblent tendre un rameau d’olivier aux multinationales. En effet, le paragraphe 100 de la circulaire indique que tant qu’un APP reste en vigueur et que le contribuable se conforme aux conditions de l’entente, aucun redressement de prix de transfert ne sera effectué et aucune pénalité ne devrait s’appliquer aux opérations visées par l’ APP. Bien que tout assouplissement de l’application des pénalités soit bienvenu, les auteurs se demandent pourquoi les pénalités sont énoncées dans l’avant-projet de loi et qu’une présomption irréfragable en assure l’application quasi automatique, tandis que la seule exonération en vue prend la forme d’une déclaration administrative qui, tel que noté, n’a pas de force exécutoire juridique et peut être résiliée au gré du Ministre. Un APP est une entente entre un contribuable et les autorités fiscales selon laquelle les parties s’entendent sur une méthode de fixation des prix de transfert pour une série donnée d’opérations pendant une durée déterminée. De façon générale, les APP sont de l’une ou l’autre des catégories suivantes : unilatéraux ou multilatéraux. Les APP unilatéraux n’offrent normalement aucune protection contre la double imposition, bien qu’il en découle une certitude très souhaitable au niveau de l’imposition au Canada. Le seul fondement juridique des APP unilatéraux est le pouvoir général du ministre du Revenu national d’administrer la Loi, même fondement que pour les (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 1274 CANADIAN TAX JOURNAL / REVUE FISCALE CANADIENNE décisions anticipées en matière d’impôt65. Toutefois, même si les APP unilatéraux relèvent du pouvoir discrétionnaire du Ministre, il a déjà été argumenté que ces ententes lient le Ministre dès qu’elles sont conclues 66, question qui suscite toujours un certain débat 67. Quant aux APP multilatéraux (souvent appelés APP bilatéraux), ils sont généralement fondés sur la procédure amiable prévue dans les diverses conventions fiscales du Canada. Par exemple, l’article XXVI de la Convention entre le Canada et les États-Unis68 prévoit qu’un contribuable peut demander l’aide de l’autorité compétente s’il considère que les mesures prises par le gouvernement du Canada ou celui des États-Unis donneront lieu à une imposition non conforme à la Convention. Ainsi, la procédure amiable prévoit un mécanisme par lequel les contribuables peuvent régler les problèmes prévus de double imposition en en faisant la demande aux autorités compétentes 69. Par conséquent, lorsqu’un APP a été conclu, il peut être considéré comme une entente conclue avec une autorité compétente selon la procédure amiable. Étant donné qu’un APP multilatéral semble être fondé sur une convention fiscale et, qu’en tant que tel il est protégé par les dispositions du paragraphe 115.1(1) de la Loi70, il peut être plus facile d’affirmer qu’un APP multilatéral a un effet exécutoire que de faire cette affirmation pour un APP unilatéral 71. Quant à la question de savoir pourquoi les APP ne sont pas explicitement mentionnés dans l’avantprojet de loi, il pourrait être avancé que cette mention est inutile (à tout le moins aux fins des APP multilatéraux) en raison de l’existence du paragraphe 115.1(1) de la Loi. Bien qu’il puisse y avoir certaines questions techniques touchant le caractère exécutoire des APP, et plus 65 Voir la Circulaire d’information 70-6R3 du 30 décembre 1996, qui établit les décisions anticipées en matière d’impôt sur le revenu et la Circulaire d’information 94-4 du 30 décembre 1994, qui concerne les EAPT. 66 Le paragraphe 3 de la Circulaire d’information 94-4, supra, note 64, contient la déclaration suivante : « Une EAPT est considérée comme un accord liant le contribuable et le Ministère ». 67 Voir Vincent, supra, note 5, aux pp. 29-32, pour un exposé détaillé sur le caractère exécutoire des APP. 68 Convention entre le Canada et les États-Unis d’Amérique en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, signée à Washington, DC, le 26 septembre 2980, telle que modifiée (la « Convention entre le Canada et les États-Unis »). 69 L’OCDE reconnaît également que les APP peuvent être fondés sur la procédure à l’amiable. Voir le paragraphe 4.140 des principes de l’OCDE. 70 Le paragraphe 115.1(1) de la Loi se lit comme suit : 115.1(1) Conventions entre autorités compétentes—Malgré les autres dispositions de la présente loi, les montants déterminés et les décisions prises en conformité avec une convention qui est conclue entre le ministre et une autre personne, en conformité avec une disposition de quelque convention ou accord fiscal entre le Canada et un autre pays qui a force de loi au Canada, et qui vise l’imposition de l’autre personne, sont réputés conformes à la présente loi. 71 Voir Vincent, supra, note 5, aux pp. 29-32. (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6 CANADA : NOUVELLE RÈGLES SUR LES PRIX DE TRANSFERT 1275 particulièrement des APP unilatéraux, ils sont, en réalité, tout comme les décisions anticipées en matière d’impôt, généralement respectés et considérés lier Revenu Canada. Ainsi, les multinationales pourraient trouver qu’une demande d’ APP est le moyen idéal d’assurer le traitement fiscal de leurs pratiques en matière de prix de transfert et d’éviter les pénalités potentielles, ainsi que la double imposition. CONCLUSION Les nouvelles règles semblent, à plusieurs égards, avoir atteint leur objectif qui consistait à harmoniser le régime canadien des prix de transfert avec la formulation de l’OCDE du principe de pleine concurrence. Toutefois, cette harmonisation n’est pas complète. Au premier chef, l’OCDE semble ménager une plus grande marge de manoeuvre que les nouvelles règles du Canada en ce qui concerne les analyses de fin d’exercice et les analyses agrégatives des prix de transfert. De plus, même si plusieurs aspects des principes de l’OCDE sont intégrés dans la circulaire, ils n’ont aucun fondement dans le droit canadien. Reste à savoir dans quelle mesure les tribunaux feront exécuter ces énoncés de politique puisque les tribunaux peuvent déroger aux méthodes acceptables de fixation des prix de transfert et à l’ordre de priorité d’application des méthodes que Revenu Canada énumère dans la circulaire proposée. À cet égard, il est à remarquer que les tribunaux pourraient décider d’accepter, dans certaines circonstances, une analyse fondée sur la méthode TMN, sur la méthode BC ou sur toute autre méthode conforme au principe de pleine concurrence énoncé au paragraphe 247(2) de la Loi. Cependant, d’ici à ce que les tribunaux aient statué sur ce point ou que les autorités fiscales canadiennes aient modifié leur position, toute dérogation par les contribuables aux méthodes actuellement approuvées par Revenu Canada porte de grands risques. En fin de compte, vu leur importance comme seule source certaine du respect des règles statutaires et de l’exonération de la double imposition et des pénalités, les APP demeurent une option extrêmement intéressante. (1997), Vol. 45, No. 6 / no 6