Le baiser au lépreux
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Le baiser au lépreux
II. "LE BAISER AU LEPREUX" de FRANCOIS MAURIAC 2.1. FRANCOIS MAURIAC : BIOGRAPHIE Né à Bordeaux en 1885, d’une famille Bourgeoise et catholique. Son père meurt un an après sa naissance laissant une femme et cinq enfants. Son œuvre reste imprégnée des paysages de sa province, unique lieu d’observation d’où naîtront tous ses personnages. Si ses personnages sortent de ces paysages, ce ne sera jamais que pour rejoindre Paris tout comme François Mauriac l’a fait. Mauriac n’a pas la passion des voyages et n’est aucunement tenté par le dépaysement. Son univers restera donc très limité. Il ne prétend pas non plus à une ouverture sur la société moderne trop diverse et mouvante pour lui. La foi janséniste de sa mère et son éducation chez les pères maristes auront également une grande influence sur Mauriac qui deviendra un « romancier catholique » bien que lui-même préfère le terme de « catholique qui écrit des romans ». Mauriac est un romancier inquiet, il montre sa vision de la grâce et du pêché, (la chair est coupable et les passions sont mauvaises) et parfois on sentira un conflit entre sa foi chrétienne et les tendances païennes qui sont en lui. A Paris Mauriac apprend le pouvoir de l’intrigue et les calculs de l’ambition. Mauriac n’aura pas de souci matériel vu ses origines bourgeoises. Au départ il voulait devenir poète et son succès en tant que romancier n’éteindra pas ce désir Ses romans seront d’ailleurs fort poétiques mais aussi tragiques, une harmonie du langage, une profondeur d’analyse, l’emprise du mal l’inquiétude et la ferveur, une action simple, un enchaînement rigoureux : ceci décrivant parfaitement le style bien caractéristique de Mauriac. Mauriac est néanmoins influencé par des écrivains comme Racine, Pascal, Baudelaire, Proust et Dostoïevsky Il pense être arrivé trop tard pour le théâtre auquel il donne un connotation psychologique, alors que ce genre est passé de mode. Il écrit également des essais, des confidences poétiques (une flânerie d’une âme à la recherche d’elle-même, avec ses émois, ses scrupules, ces remords et toutes ses vibrations) et enfin ses récits politiques (défendant la cause des républicains espagnols et les catholiques basques). Il loue également le maréchal Pétain puis le quitte pour de Gaulle qu’il abandonne pour Mendès et retourne enfin à de Gaulle lorsque celui-ci revient au pouvoir ; on devine par-là, le côté un peu opportuniste de Mauriac, on pourrait dire qu’il subit finalement les mythes comme les foules, il est intéressé et sincère et la présence d’un chef le rassure ; ces récits politiques ne sont pas faits pour convaincre un intellectuel, car on le sent naïf et cela n’ajoute rien à sa renommée. En 1952 il reçoit le prix Nobel " pour l’analyse pénétrante de l’âme et l’intensité artistique avec laquelle il a interprété dans la forme du roman, la vie humaine". Mauriac produit abondamment et régulièrement ses romans, son chef d’œuvre serait d’après certains « Le nœud de vipères ». Il meurt à l’âge de 85 ans en 1970 à son domicile parisien. 2.2. BIBLIOGRAPHIE DE FRANCOIS MAURIAC Les mains jointes, 1909 L'adieu à l'adolescence, 1911 L'enfant chargé de chaînes, 1913 La robe prétexte, 1914 De quelques cœurs inquiets, 1920 La chair et le sang, 1920 Préséances, 1921 Le baiser au lépreux, 1922 Le fleuve de feu, 1923 Génitrix, 1923 Le mal, 1924 La vie et la mort d'un poète, 1924 Orages, 1925 Le désert de l'amour, 1925 Bordeaux, 1926 Le jeune homme, 1926 Proust, 1926 Fabien, 1926 La province, 1926 La rencontre avec pascal, 1926 Le tourment de jaques rivière, 1926 Thèrése Desqueyroux, 1927 Destins, 1928 Le roman, 1928 La vie racine, 1928 Dieu et Mammon, 1929 Ce qui était perdu, 1929 Trois récits, 1929 Voltaire et centre Pascal, 1930 Trois grands hommes devant Dieu, 1930 Ce qui était perdu, 1930 Souffrances et bonheur du chrétien, 1931 Commencement d'une vie, suivi de Bordeaux, 1931 Jeudi saint, 1931 L'affaire Favre-Bulle, 1931 Blaise Pascal et sa sœur Jacqueline, 1931 René Bazin, 1931 Le nœud de vipères, 1932 Le romancier et ses personnages, 1933 Le mystère Frontenac, 1933 Pèlerins de Lourdes, 1933 Le drôle, 1933 Journal, 1934-51 (5 vol.) La fin de la nuit, 1935 Les anges noirs, 1936 Vie de jésus, 1936 Asmodée, 1937 Plongées, 1938 Les chemins de la mer, 1939 Les maisons fugitives, 1939 La pharisienne, 1941 Le sang d'Atys, 1941 Le cahier noir, 1943 Ne pas se renier, 1944 La rencontre avec Barrès, 1945 Sainte Marguerite de Cortone, 1945 Le bâillon dénoué, 1945 Les mal-aimés, 1945 Du côte de chez Proust, 1947 Passage du malin, 1948 Journal d'un homme de trente ans, 1948 Le désert de l'amour, 1949 Terres franciscaines, 1950 Mes grands hommes, 1950 Le sagouin, 1951 La pierre d'achoppement, 1951 Le feu sur la terre, 1951 Lettres ouvertes, 1952 Galigaï, 1952 Ecrits intimes, 1953 Paroles catholiques, 1954 L'agneau, 1954 Le pain vivant, 1955 Les fils de l'homme, 1958 Bloc-notes, 1952-1957, 1958 Mémoires, 1959-67 Mémoires intérieurs, 1959 Nouveaux bloc-notes, 1958-1960, 1961 La vie de racine, 1962 Ce que je crois, 1962 De Gaulle, 1964 D'autres et moi, 1966 Mémoires politiques, 1967 Un adolescent d'autrefois, 1969 Derniers bloc-notes, 1968-1970, 1971 Correspondance André Gide- F.M., 1912-1950, 1971 Correspondance F.M..Jacques-Emile blanche, 1916-1942, 1976 Œuvres romanesques et théâtrales complètes, 1978 2.3. LE BAISER AU LEPREUX 2.3.1. Résumé du livre Jean Péloueyre est laid depuis toujours et sans amis et il s'y est résigné. Mais un jour son père décide de son mariage avec Noémi (une jeune et jolie fille) Tout ceci, grâce au curé du village qui ne veut pas que la richesse des Péloueyre tombe entre les mains de leur cousin Cazenave qui est non-croyant et haï de Jean et son père. Jean n'y croit pas mais se retrouve tout de même marié à Noémi. Celle-ci éprouve un dégoût profond envers le corps de Jean. Ce mariage elle l'a accepté sous les paroles du curé et de ses parents. Pourtant elle sait que Jean est un être bon mais elle ne peut s'empêcher de répugner a être près de ce corps si mal fait. Jean ne s'attendait pas à ce qu'elle l'aime et la fuit lui-même pour fuir le dégoût de sa femme. Noémi dépérit et ce n'est que lorsque Jean s'en va à Paris pour terminer un travail de recherche qu'elle reprend des couleurs. Lorsque Jean revient, elle pense qu'elle pourra l'aimer mais c'est toujours pareil. A son retour Jean tombe malade, mais pour l'amour de Noémi il se rendra au chevet d'un mourant dans le but d'aggraver sa maladie et de mourir lui aussi. Noémi finit par comprendre ce geste et promet que s'il guérit, elle l'aimera. Mais Jean ne guérira pas. Alors que son mari est en train de mourir, un jeune docteur tente de la séduire, mais Noémi est certaine et fière d'être sûr de n'avoir rien de plus cher au monde que son mari. Noémi restera la veuve fidèle à Jean, pensant qu'il s'agira là de sa plus grande gloire au yeux de Dieu. 2.3.2. Analyse d'un thème : La laideur de Jean et le dégoût des autres Jean Péloueyre est laid de nature et il le sait trop bien, sa vie en est par conséquent dénudée d’amour, un véritable enfer pour qui n'y serait pas habitué. Il se moque de lui-même, alors qu’il est déjà sujet à la risée dans le village. Il fuit le monde et se cache des autres pour leur épargner la vue d’un être aussi mal fait que lui, il ose à peine regarder les gens qui sont beaux. En lisant Nietzche son opinion de lui se confirme « Qu’est-ce qui est bon ? Tout ce qui exalte en l’homme le sentiment de puissance, la volonté de puissance, la puissance elle-même » « Qu’est-ce qui est mauvais ? Tout ce qui a sa racine dans la faiblesse. Que périssent les faibles et les ratés et qu’on les aide encore à disparaître ! Qu’est ce qui est plus nuisible que n’importe quel vice : La Pitié qu’éprouve l’action pour les déclassés et les faibles : Le christianisme » Ce qui résume un peu l’histoire de Jean plus tard : Homme pitoyable faible et raté sauvé par la religion catholique qui lui donne une (belle) femme mais tout cela le mènera quand même à sa perte. De plus, son seul ami est l’homme que l’on trouve perché au-dessus de l’autel et la Vierge était pour lui la digne représentation d’une mère qu’il n’a pas eue. La religion fut effectivement un refuge pour le pauvre Jean. Jean était voué au célibat, à une mort prématurée et à mener une vie déserte d’amour ou d’amitié. Nietzche parle aussi du Maître et de l’esclave : Jean maître de maison avec son père n’en est pas moins la stricte représentation de l’esclave : la tête basse, portant en lui une condamnation inévitable, Jean est né pour la défaite. Face à son jardinier resplendissant de beauté il a honte d’en être le maître et pense que ce jeune et bel homme aurait dû être à sa place et lui à la sienne. Jean hais ces gens si beaux et en même temps se fait horreur de les haïr. Lorsque son père lui propose de fonder une famille, Jean sait déjà qu’il ferait alors le malheur des futurs membres de cette famille. Lorsque son père lui annonce qu’il sera marié à Noémi, Jean lui répond que personne ne voudrait de lui et qu’il ferait sans doute horreur à Noémi et qu’elle ne voudra de toute façon pas de lui. Alors qu’il sait que son père ne rigole plus avec cette histoire de mariage, Jean commence à avoir plus confiance en lui et pendant de brefs instants il ne se sent plus hideux, il a l'impression de devenir le maître, mais il retrouve vite son habitude de mauvaise considération de lui-même. Au moment où il rencontre Noémi en compagnie de sa mère et du curé, il réussit à la fixer du regard essayant de lui trouver un défaut, mais il sait que s’il arrive à la fixer comme cela c’est aussi pour éviter qu’elle, elle le regarde. Mais une fois seul avec elle, c’est elle qui scrute cette larve qui sera son destin et il redevient « le petit mâle noir apeuré devant une femelle merveilleuse ». Il lui dit qu’il sait qu’il n’est pas digne d’elle et commence à lui expliquer qu’il sait qu’on ne peut l’aimer mais que tout ce qu’il demande c’est que lui, puisse l’aimer. Jean pense que sa nuit de noces n’aura jamais lieu, il croit qu’un événement empêchera cette nuit là, car cette nuit est inconcevable pour une personne tel que Jean Péloueyre. Pourtant le mariage est là, Jean observe la foule qui s’apitoie sur le sort de la jeune Noémi. Le lendemain de la nuit de noces Jean se décrit comme un ver près d’un cadavre abandonné, une martyre endormie. Jean fuit très vite Noémi comme avant il fuyait les gens, en chassant toute la journée espérant que le soir n’arrive jamais pour que « Noémi ne souffre pas de le sentir dans la maison ». Noémi aimerait se comporter comme une bonne épouse mais une fois dans la chambre, « Jean devine la rétraction du corps adoré » Jean s’en éloigne alors le plus possible. Une fois la lumière éteinte Noémi ne voyant plus le laid visage, y avance une main et sentant des larmes sur ce visage, elle se remplit de remords et de pitié. Mais elle n’y arrive pas, Jean par sa seule présence assassinait Noémi. , meurtrissant ses yeux, « Pourtant, quelle victime fût jamais plus aimée de son bourreau ». Jean ose à peine toucher Noémi pendant son sommeil. Jamais aucune dispute ne se produit car ils se savent trop blessés pour cela, la moindre attaque se serait envenimée et aurait été inguérissable, chacun veille à ne pas toucher la blessure de l’autre, jamais il n’y a de reproche. Jean se croyait coupable mais Noémi se déteste de ne pas être une épouse selon Dieu. Leurs regards se demandant l’un à l’autre pardon. Noémi fuit le corps de Jean et Jean fuit le dégoût de Noémi Alors qu’on demande à Jean de terminer une étude (déjà entamée) à Paris, Noémi feint un « Je ne veux pas que Jean me quitte » mais elle ne trouve pas la force de protester vraiment. Aller à Paris serait pour lui comme sombrer à jamais au fond d’un océan humain plus redoutable que l’Atlantique, mais tout et tous semblait le pousser vers ce gouffre. L’hiver arrivant, Jean n’a plus l’occasion de chasser pour fuir, ils restent cloîtrés "devant une lampe unique rapprochant les corps ennemis". A la nouvelle du départ de Jean, la jeune Noémi semble revivre. Il fallait donc la fuir pour qu’elle puisse redevenir une femme joyeuse. Juste avant de partir, la voyant revivre, il lui demande ce qui se passerait s’il ne partait pas, mais devant son effroi, il la rassra sur sa décision de partir. Honteuse elle finit par pleurer. A Paris, il vit dans le souvenir d’un corps qu’il n’a pu contempler qu’aux instants où Noémi dormait. Il se dit que l’on connaît probablement mieux que quiconque, une femme qui ne vous a pas aimé. Il sentait la joie de Noémi éloignée de lui, mais se promet de s’imposer à elle dés son retour, de la soumettre à lui. Ce qu’il ne fera pourtant jamais. Jean lui-même ne supporte plus son reflet dans une glace. Pourtant à Paris son aspect n’étonne personne, il ira même jusqu’à une maison de joie, mais se décline au dernier moment. « Il n’est pas de maître, nous sommes tous esclaves et nous devenons les affranchis de Dieu » Jean est heureux de sa misère sans souillures. Au retour de Jean, Noémi souhaitait que son émotion soit de la joie pensant même être impatiente de l’embrasser, elle avait comme recréé son époux, un époux moins repoussant, elle gardait alors une image de lui quelque peu retouchée. Etant malade, Jean demande un lit séparé pour ne pas contaminer Noémi, mais c’est surtout pour éviter le regard de Noémi sur son corps. Encore une fois elle veut protester mais elle n’y arrive pas. Jean a du mal à supporter la pitié de sa femme et Noémi perd à nouveau de son éclat. Quand elle l’embrasse sur le front, il se sent comme un lépreux recevant le baiser d’un Saint. Jean se rend en secret au chevet d’un malade mourant et se retrouve contaminé. Pendant ce temps, le jeune docteur qui s’occupe de lui tombe sous le charme de Noémi. Consciente de cela, "elle savoure la certitude que rien ne lui est plus cher que son époux". Le jeune docteur, lui ne comprend pas que Noémi lui résiste, mais persiste en pensant qu’une fois le mari décédé, elle lui tomberait dans les bras. Jean pense qu’il est enfin aimé de sa femme et béni Dieu que sa femme ai pu l’aimer avant qu’il ne meure. Noémi comprend que Jean s’est « donné la mort » pour elle seulement, et se promet de l’aimer s’il guérit, mais il ne guérira pas. Jean comprend enfin les intentions de ce jeune docteur si prévenant. Mais conscient de l'acte irréversible qu’il avait accompli, il veut guérir pour empêcher ce jeune homme de séduire sa femme, car finalement il se dit qu’avec l’âge toute beauté comme toute laideur se perd. Il pense que sa mort sera une joie pour les autres et que le glas de l’église sera confondu avec l’angélus du matin par les villageois. Noémi restera fidèle à Jean en lui faisant grand deuil, ce qui sera pour elle enfin sa gloire aux yeux de Dieu et qu’il ne lui appartenait pas de s’y soustraire. La dernière image sera celle de Noémi enserrant un chêne noir rabougri à l’image de Jean. 2.4. APPRECIATION DU LIVRE Ce roman me fait penser à l'histoire de la belle et la bête mais dans version beaucoup plus tragique puisqu'elle se termine mal : Noémi (la belle) n'aimera Jean (la bête) qu'après la mort de ce dernier. C'est un livre plein de vérité, une vérité parfois difficile à admettre. On s'attache à Jean Péloueyre et on a envie de l'aimer, pourtant il semble que personne n'y arrive, même le lecteur ne ressent que de la pitié et non de l'amour. Cependant l'histoire n'est pas passionnante et on peut imaginer la fin avant qu'elle n'arrive, il n'y a aucun rebondissement, aucun suspens, ce sont juste des vies qui passent devant nous, clairement décrites. Mauriac dit les choses comme elle sont, sans tourner autour du pot et n'essaie pas d'y ajouter du piment. C'est peut-être ce qui fait le charme de ses romans, mais cela ne plaît pas à tout le monde.