Untitled - Le kit du petit designer
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« Je crois que la vérité est parfaite pour les mathématiques, la chimie, la physique, mais pas pour la vie. Dans la vie, l’illusion, l’imagination, le désir, l’espoir comptent plus. » Ernesto Sábato, artiste, écrivain, physicien, Alejandra, 1961 à ceux qui dessinent, à ceux qui enseignent, aux dessinateurs de presse de Charlie Hebdo SOMMAIRE I. la discipline des ARTS APPLIQUÉS A. LES ARTS DE L’INDUSTRIE 10 1. Arts appliqués ou design 16 2. Histoire du design B. L’ENSEIGNEMENT DES ARTS APPLIQUÉS 24 1. Un emploi du temps spécifique 28 2. Spécificités de la Première et de la Terminale 3 Avant-propos 7 Introduction C. LA PLACE DE L’IMAGE À L’ÉCOLE 30 1. Pédagogie de l’image 32 2. Pédagogie par l’image II. les matieres scientifiques A. LA PHYSIQUE 38 1. Une science naturelle 39 2. Les grandes découvertes B. LA CHIMIE 44 1. De l’alchimie à la chimie 46 2. Figures tutélaires C. L’ENSEIGNEMENT SCIENTIFIQUE 50 1. Avant le Baccalauréat 52 2. Séries générales et technologiques 54 3. En arts appliqués III. le projet A. LES ENJEUX DU PROJET 60 1. Convaincre les réfractaires 61 2. Se démarquer de l’existant B. UN LYCÉE QUI SE VEUT PILOTE 62 1. L’établissement : Le Paraclet 62 2. Le partenaire : Jean-Pascal Mauvoisin 64 3. La cible : les élèves de la section arts appliqués C. LANCEMENT DU PROJET 66 1. Pistes graphiques envisagées 69 2. L’apport de la narration 72 3. L’alliance du multimédia et de l’imprimé 75 Conclusion 76 Bibliographie 78 Remerciements 6 INTRODUCTION Si le sensible et le rationnel paraissent opposés, il existe pourtant de nombreux ponts entre ces deux domaines. Les univers de l’art et de la science, notamment, s’allient parfois en des métiers pluridisciplinaires. Si les arts appliqués, par définition, concernent l’industrie, – qu’elle soit du vêtement, de la communication graphique, des objets, ou de l’habitat –, ils sont soumis aux lois physiques qui permettent de créer des objets fonctionnels inscrits dans notre réalité. Il y a encore peu de temps, la physique évoquait pour moi une salle carrelée où circulaient des silhouettes vêtues de blouses blanches, opérant des manipulations expérimentales et parfois hasardeuses, traduites par d’obscurs schémas géométriques. Aussi, lorsque le professeur de physique-chimie Jean-Pascal Mauvoisin, enseignant au Lycée Le Paraclet, à Quimper, m’a contactée pour me proposer d’imaginer comment rendre sa discipline attractive et comment l’allier à l’enseignement des arts, j’ai vu là une occasion unique de revisiter mes a priori. Après un certain nombre d’échanges, nous avons opté pour une cible bien délimitée : les élèves de la filière arts appliqués ; pour un concept : la découverte de la physique par le biais du design ; et pour un projet : la réalisation de supports pédagogiques favorisant son apprentissage. Dans ce mémoire, j’évoquerai tout d’abord la discipline que constituent les arts appliqués en me focalisant sur le rôle que l’image joue dans la pédagogie. J’aborderai ensuite brièvement les domaines de la physique et de la chimie, ainsi que la façon dont ces matières scientifiques sont enseignées dans le cycle secondaire. L’exposé, enfin, de notre projet consistera, dans un premier temps à analyser les enjeux de la commande, puis ses modalités ; après quoi j’aborderai les pistes graphiques et les supports envisagés. 7 A. LES ARTS DE L’INDUSTRIE B. L’ENSEIGNEMENT DES ARTS APPLIQUÉS C. LA PLACE DE L’IMAGE À L’ÉCOLE I. LA DISCIPLINE DES ARTS APPLIQUÉS A. LES ARTS DE L'INDUSTRIE 1. ARTS APPLIQUÉS OU DESIGN Au temps de la civilisation grecque, l’art était considéré comme l’apanage des dieux. Afin d’inspirer l’esprit de l’homme et de guider sa main, un médiateur ou un intermédiaire était nécessaire. C’est la principale fonction des Muses, qui représentaient chacune un domaine particulier : l’histoire, la poésie classique et érotique, la musique, la danse, la comédie, la tragédie, la rhétorique et l’astronomie. C’est en 401 avant J.-C., que le philosophe Platon en dénombre neuf dans son dialogue socratique intitulé Ion. Mais les talents que dispensent ces figures féminines ne prennent pas encore en compte les arts graphiques traditionnels ; ce sera grâce à un autre philosophe, Wilhelm Hegel, dans son cours sur l’Esthétique ou philosophie de l’art édité à partir de 1820, que les disciplines de l’architecture, de la sculpture et de la peinture seront alors reliées aux Muses. Le mot art, dans le dictionnaire Le Robert, revêt plusieurs sens. Il s’agit à la fois d’un ensemble de connaissances et de règles d’action dans un domaine particulier, et en ce sens, il se rapproche du savoir-faire de l’artisanat ; mais aussi de l’expression, par les œuvres de l’homme, d’un idéal esthétique : en d’autres termes, de l’ensemble des activités humaines créatrices visant à cette expression. Rembrandt, Saskia en Flore, 1634 Ici, le peintre représente sa femme, dotée des attributs de la muse de la fertilité. 10 Durant l’Antiquité, la notion d’art était différente de celle-ci. En effet, l’art se disait alors τέχνη, technè, ce qui signifiait littéralement la technique. Aucune différence n’était donc faite entre l’artisan et l’artiste, et seul le « faire » avait son importance. À l’époque latine, le mot ars désigne les activités qui tendent à la création, l’habilité à mettre en œuvre son expérience, son savoir-faire et son talent. En 1816, la culture française a, quant à elle, classé les activités artistiques en différentes catégories, organisées de façon hiérarchique. L’Académie distingue les arts dits nobles, appelés Beaux-arts, des arts dits mineurs, comme l’orfèvrerie, la céramique, la verrerie ou la tapisserie. Ces derniers sont aujourd’hui regroupés dans l’appellation de « Métiers d’art ». À l’opposé de la France, les pays germaniques ont, et ceci dès la fin du xixe siècle, non seulement dépassé ces clivages en élargissant la création aux domaines de la photographie, de la typographie, de l’affiche ou de la communication visuelle, mais plus encore, ils ont établi des rapports avec le monde industriel à travers des associations et des mouvements comme la Deutscher Werkbund ou le Bauhaus. Ce n’est qu’en 1860 – alors que la Société du Progrès pour l’Art industriel a été renommée Union centrale des BeauxArts appliqués à l’Industrie – que le qualificatif d’appliqué sera accolé à la notion d’art. Il est alors admis que les arts appliqués ne font pas partie des Beaux-Arts qui, eux, concernent le champ strictement pictural ou sculptural, mais qu’ils entretiennent toutefois un rapport avec eux. Les créations et les productions des Arts appliqués sont réellement liées à l’artisanat et à l’industrie, incarnant ainsi la résolution du conflit entre art et savoir-faire. Le terme « appliqué », quant à lui, se rapporte à la mise en pratique, dans le sens d’employer, d’utiliser. Il est issu du latin applicare, composé du préfixe ad- qui indique le but de l’action, et du radical -plicare qui, lui, signifie plier. 11 Selon les designers de l’Union française des Designers industriels : « La profession de créateur industriel a pour vocation, après analyse technologique, économique et esthétique exhaustive, de créer les formes, matières, couleurs, structures permettant d’améliorer tous les aspects de l’environnement humain conditionnés par la production industrielle, qu’il s’agisse de création (ou design) de produits, de création graphique, de création d’environnement ou d’ambiance visuelle. » En ce qui concerne le domaine du design, c’est en définissant le rôle du designer que l’on peut en déduire sa nature. Un designer est un professionnel qui possède un haut degré de formation artistique et technique – voire scientifique – ainsi qu’une éthique professionnelle. Il dessine avec une capacité d’observation, d’analyse et de conseil auprès de ses commanditaires et partenaires. Il est capable d’empathie, d’une approche sensible, intuitive et créative pour aborder les sujets afin d’apporter une solution originale. Il a le sens de l’esthétique, des formes et des signes, des couleurs et de la lumière, des sons, des matières et des matériaux, de l’ergonomie et de la lisibilité, ainsi que de leur interaction. Bien qu’il n’ait pas à résoudre de problèmes techniques purs, ce qui relève plus du domaine de l’ingénieur, le designer suit le bon déroulement technique et la fabrication d’un projet. Dessin d’après Erich Dieckmann, Development design of a metal tube chair, 1931 12 En France, l’expression d’esthétique industrielle était utilisée avant la démocratisation du terme design. Si certains considèrent que le mot provient de l’ancien français dessigner, issu du latin designare composé du préfixe de- et de la racine -signum qui traduisaient la marque, le signe et faisaient référence au fait de tracer, représenter ou dessiner, c’est néanmoins l’usage anglo-saxon qui a imposé la notion de design en France au cours des années 60. Différence majeure, le mot design, en Angleterre, désigne les produits d’artisanat, ainsi que les produits d’usine (mobilier, vêtements, affiches, véhicules,...). Il est associé généralement à un adjectif qui le qualifie, comme dans les dénominations graphic design, package design ou product design. Dans l’hexagone, il est relatif à la manière d’aborder la conception d’un objet nouveau et caractérise surtout la part de création qui assure la cohérence de l’objet entre les impératifs techniques de fabrication, sa structure interne, sa valeur d’utilisation et son aspect. Plus qu’une simple exécution, c’est le projet même qui est au cœur de la conception. Ainsi, par exemple, la commande ne sera pas simplement de créer une chaise, mais de formuler la problématique induite par l’objet lui-même, donc de se demander : « Qu’est-ce qu’être bien assis ? ». Alvar Aalto, Helsinki, siège à partir d’un principe formel unique, Artek, 1935-1975 13 L’Alliance française des Designers, tout comme Anne Asensio, tend à définir le design comme un processus intellectuel créatif, pluridisciplinaire et humaniste, dont le but est d’apporter des solutions aux problématiques économiques, sociétales et environnementales. Cet aspect socioplastique d’un design social est également mis en avant par Stéphane Vial lorsqu’il essaie de cerner la discipline dans l’émission de France Culture intitulée Le design, esthétique de l’objet. En effet, le design opère une relation entre l’homme et l’objet qu’on ne trouve pas ailleurs. Il met en forme de nouvelles façons d’être avec les autres à travers des réalisations. L’Alliance française des designers est un syndicat apolitique professionnel représentant les designers de toutes disciplines. Elle a été créée en 2003 par Christian Dao, François Caspar et François Weil. 14 C’est la proposition, adoptée en 1961, par le Conseil international des Sociétés de design industriel qui devient la définition officielle du design. Elle est ainsi formulée : « Le design est une activité créatrice qui consiste à déterminer les propriétés formelles des objets que l’on veut produire industriellement. Par propriétés formelles des objets, on ne doit pas entendre seulement les caractéristiques extérieures, mais surtout les relations structurelles qui font d’un objet ou d’un système d’objets une unité cohérente, tant du point de vue du producteur que du consommateur. » « Le design est une approche humaniste, entre savoir-faire et professionnalisme, activité multidisciplinaire associant créativité, pragmatisme et travail en équipe. Il est à la fois conscience, vision, écoute, compréhension, interprétation de notre environnement, de notre société : il les traduit, il en est le symbole. » Anne Asensio, designer industriel, 1997 Le design est, par conséquent, présent partout, en adéquation avec les modes de vie, les valeurs et les besoins des êtres humains, utilisateurs ou publics. On peut cependant établir quatre grandes familles : le design d’espace, qui se rapporte au design d’intérieur, scénographique, de lumière ou de paysages ; le design de message comme le design graphique, interactif, d’illustration, sonore ou web ; le design de produit, qui comprend le design de mode, mais aussi le design d’objet ou industriel ; et le design transdisciplinaire comme la signalétique, le design de packaging ou collaboratif. Ces différents types de design sont codifiés par leur classement NAF en trois catégories : 74 Autres activités spécialisées, scientifiques et techniques 74.1 Activités spécialisées de design 74.10 Activités spécialisées de design Cependant, la véritable particularité du design est qu’il n’en existe pas de définition réellement définitive, tant il se réinvente à chaque époque, suivant les évolutions, les cultures et les apports des praticiens designers du monde entier. La seule certitude est que cette discipline est née des enjeux résultant de la production industrielle de masse du xxe siècle. 15 2. HISTOIRE DU DESIGN Raconter l’histoire du design, c’est aussi raconter l’histoire de l’humanité. Principalement fondé sur l’évolution technologique, le design est donc souvent considéré comme ayant débuté avec la Révolution industrielle. La Révolution industrielle Le Siècle des Lumières, mouvement d’intellectuels s’étant développé en Europe entre 1715 et 1789, avait pour but de dépasser l’obscurantisme religieux et de promouvoir les connaissances. Il a donné naissance, à partir de 1751, à l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Celle-ci constitue un panorama global des moyens de production de l’époque, marquée par les débuts de la mécanisation productive. Bertrand Gille, archiviste et historien français, désigne cette époque comme la « première Révolution industrielle ». Cependant, cette mécanisation est alimentée par des sources énergétiques naturelles (force musculaire de l’homme ou de l’animal, force du vent ou du courant aquatique…). Les moulins à eau, alors principal moteur énergétique dans les manufactures et les fabriques du xviie et du xviiie, obligent ainsi à installer celles-ci dans les vallées, près des fleuves. Illustration de la vue frontale du Crystal Palace imaginé par Joseph Paxton, 1851 16 La véritable Révolution industrielle désigne le processus historique du xixe siècle qui a fait basculer la société agraire et artisanale vers une société commerciale et industrielle. Cette transformation affecte profondément tous les secteurs. À la fin du xviiie siècle, l’invention de la machine à vapeur permet la construction des manufactures sur tous les terrains, tandis que le marteau-pilon frappe le fer plus efficacement et plus rapidement. Les rails de chemin de fer sont, par conséquent, produits en masse, ce qui crée un boom ferroviaire, et la qualité de l’architecture des bâtiments est grandement améliorée par la fonte. Le verre, lui aussi, est mieux maîtrisé, comme le montre la réalisation du Crystal Palace, en 1851, par Joseph Paxton : ce monument, totalement préfabriqué en usine, bénéficie d’une construction rapide. Le dynamisme de la demande de biens de consommation stimule en retour le progrès technique et la production des objets utiles devient quantitative. L’industrie recrute donc des ouvriers et va former des élites au sein de grandes écoles spécialisées. Dans les années 1860, des mouvements artistiques importants pour les arts appliqués voient le jour en Europe. Les Arts and Crafts par exemple, fondés sur les thèses de designers et d’intellectuels comme l’écrivain William Morris, l’architecte Charles Rennie Mackintosh ou le peintre John Ruskin, se destinent à réhabiliter l’artisanat, alors considéré comme seul capable de produire beau et bien et d’assurer l’épanouissement de tous les chaînons, du producteur au consommateur. En effet, les objets industriels étaient alors d’une qualité inférieure au travail des artisans. Alphonse Mucha, étiquette du Crémant Impérial de Moët & Chandon, 1899 Puis le Modern Style devient le nouveau mouvement en vigueur au tournant du siècle xxe. Il revêt différents noms : on parle de Modern Style en Angleterre, d’Art nouveau en France ou de Jugendstil en Allemagne. Ce courant met principalement l’accent sur l’inventivité, les rythmes et les couleurs. L’ornementation, quant à elle, est inspirée de la nature, des insectes, des animaux, et introduit du sensible dans le décor quotidien. Mettant en application les progrès de la technologie de l’époque, le designer Michael Thonet crée, par exemple, des meubles en bois courbé. Michael Thonet, Chaise n°14 (bistrot), 1859 La fameuse chaise Thonet, en bois courbé, s’est vendue à 50 millions d’exemplaires entre 1859 et 1930. 17 La qualité et la quantité réalisées rivalisent alors avec l’artisanat, comme aujourd’hui. En effet, la rationalisation de la production l’oriente vers l’industrie. Avant la Première Guerre mondiale, ce mouvement évolue vers un style plus géométrique, caractéristique du mouvement artistique qui prendra la relève en 1920 : l’Art décoratif. Ce mouvement, quant à lui, mélange l’art et les arts appliqués tant chaque réalisation est unique et travaillée finement. A contrario de cette profusion stylistique, l’Amérique, née en tant qu’État avec la Révolution industrielle, est libre de toute référence historique culturelle. En architecture notamment, l’École de Chicago érige de hauts buildings, du jamais vu ; en parallèle de l’invention de l’ascenseur, les villes se développent alors verticalement. Les Américains instaurent aussi la systématisation, ou normalisation des objets, ce qui permet de remplacer les pièces défectueuses. Le génie inventif s’accroît et les brevets et les dépôts de modèles se succèdent. Les travaux des scientifiques des années 1860/1890 conduisent à l’apparition de machines capables de produire de l’énergie électrique en grande quantité, ce qui permet la réalisation du moteur à explosion. Dès lors, le design automobile émerge. En 1909, la première voiture économique, le modèle T Lizzie, conçue par Henry Ford, est vendue à 15 millions d’exemplaires. 18 Puis le décor se réduit au minimum, avec le mouvement du formalisme. L’allure générale reflète les impératifs d’utilisation et de fabrication. Louis Sullivan, architecte américain, déclare : « Form follows function » (La forme suit la fonction). Cette devise continue toujours d’inspirer de nombreux créateurs . F3, chaise de jardin pour Vondom, Fabio Novembre, 2013 Flèche Art Déco du Chrysler Building, par William Van Alen, New York, 1928-1930 Affiche pour les cigarettes égyptiennes Nerma, 1924 19 Les mouvements Des écoles d’arts appliqués, comme le Deutscher Werkbund, fondé en 1907 par l’architecte Hermann Muthesius, regroupent artistes, concepteurs et industriels, dont l’objectif est de réconcilier l’art, l’artisanat, l’industrie et le commerce. Le Deutscher Werkbund est une association d’artistes, tous professeurs, comme Peter Behrens, Paul Renner, ou Henry van de Velde. L’entreprise Allgemeine Elektricitäts Gesellschaft apparaît comme le premier exemple de design global : bâtiments, cités ouvrières, produits, logotype et papier à lettres de l’entreprise sont réalisés par Peter Behrens dans l’optique d’offrir une cohérence à l’ensemble. Cette nouvelle exigence apparaît alors que l’architecte Adolf Loos décrète le décor révolu ; il écrit en 1908 : « “ Ornement ”, ce fut autrefois le qualificatif pour dire “ beau ”. C’est aujourd’hui, grâce au travail de toute ma vie, un qualificatif pour dire “ d’une valeur inférieure ”. » Adolf Loos, Ornement et Crime (1908) Peter Behrens, affiche pour les luminaires d’Allgemeine Elektricitäts Gesellschaft, 1909 20 Le décor est ainsi considéré comme la pire aberration. Au premier plan, se pose donc la question du matériau, de la structure, de l’espace, de la fonctionnalité des objets. Le mouvement suprématiste russe, apparu vers 1917, approfondira cette optique. Représenté par des artistes comme Kazimir Malevitch, Alexandre Rodchenko ou Maria Stepanova, il émerge pratiquement en même temps que le constructivisme. L’École du Vhutemas, en Russie (appelée Vhutein après 1927), encourage aussi les techniques nouvelles. L’accent est mis sur le compactage, le pliage, la conversion des meubles. On y enseigne plus particulièrement le design de produit et l’architecture jusqu’à sa disparition en 1930. En Allemagne, en 1919, les écoles d’art et d’arts appliqués du Grand Duché de Saxe se réunissent pour former le Bauhaus d’État de Weimar. Cette grande école d’arts appliqués, installée dans le bâtiment de l’architecte Walter Gropius, devient le berceau de la doctrine du fonctionnalisme. Symbolisant l’avant-garde artistique et le modernisme, le Bauhaus participe grandement à stimuler curiosité, sensibilité et créativité. Les productions des élèves sont confrontées à la réalité sociale et économique du marché en raison de la commercialisation. L’école se focalise sur l’architecture et la conception d’objets, grâce à des artistes célèbres comme Kandinsky, MoholyNagy ou Marcel Breuer, qui enseignent respectivement la peinture murale et la couleur, l’atelier du métal et l’atelier de charpenterie. Wassily Kandinsky, Sur le blanc II, 1923 Marcel Breuer, Tubular steel chair, 1928 Symbole du Bauhaus d’État de Weimar, 1919 21 « On fabriquait à tort et à travers ascenseurs, moulins à café, grues mécaniques, etc., avec pour seule préoccupation que “ ça marche ”. Quand vint l’ère de la production en masse, le pays fut inondé de produits souvent de bonne qualité, mais disgracieux et coûteux. » Raymond Loewy, designer industriel franco-américain, La Laideur se vend mal,1953 Raymond Loewy, dessin de l’automobile de l’avenir à l’occasion de l’Exposition universelle de 1939 à New York, 1938 Raymond Loewy, distributeur pression pour Coca Cola, Dole Deluxe, 1947 22 Alors que la crise économique et la grande dépression des années 1930 affectent les débuts du design industriel, le rationalisme mène au modernisme et au mouvement de la Streamline, caractérisée par des formes cylindriques et horizontales influencées par le constructivisme. Tous les objets sont designés selon ces formes typiques : montres, téléphones, voitures, meubles et habitations, intègrent pour la première fois la lumière électrique aux structures architecturales. Des plasticiens comme Norman Bel Geddes, rendent les objets agréables à l’œil pour qu’ils se vendent mieux. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, les formes modernes sont considérées comme froides et décadentes. C’est le retour de l’impérialisme antique, sobre et fonctionnel. La recherche du design industriel se focalise sur la valeur d’usage, la recherche du moindre coût de fabrication, l’adaptation de la forme aux procédés d’usage. Les années 1940 à 1945 sont alors marquées par le style international et la production est uniformisée en matière d’architecture, d’habitat et de graphisme. La fin de la guerre marque la suprématie de l’Amérique sur le vieux continent. La mécanisation devient indispensable. En 1950, le second souffle du Streamline engendre un engouement pour la forme libre. Le design se rapproche alors du champ des arts plastiques de Dali, Yves Tanguy et Pablo Picasso. L’attention est portée sur l’ergonomie et on fait la différence entre good design et marketting design. Ce dernier se rapporte à la production de masse, économique, marquant les débuts de l’obsolescence programmée. C’est l’époque du kitsch, de motifs imitant le marbre, le bois, le kraft mais aussi les fourrures animales. Le fort pouvoir d’achat engendre une profusion d’objets et un engouement passager, les modes étant éphémères. La Révolution numérique L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, publiée entre 1751 et 1772, promouvait déjà l’universalisme, préfigurant les notions de réseau et de village global, aujourd’hui associées à l’idée de révolution numérique. Ce phénomène est comparable à la Révolution industrielle survenue deux siècles plus tôt et l’on peut même y voir le prolongement de celle-ci. La naissance, puis le développement extrêmement rapide, de l’informatique et des techniques numériques a engendré de nouvelles formes de communication ainsi qu’un indéniable perfectionnement du design. Dorénavant, puisque toute information, quelle que soit sa nature – son, forme, couleur, photographie ou texte – peut être numérisée, stockée, et éditée, la création passe principalement par ces outils. La conception par ordinateur se développe, au détriment parfois du dessin industriel. Cette introduction progressive, mais massive, de la technologie numérique dans tous les domaines et dans tous les moments de la vie a débuté dans les années 1980 ; d’abord avec la généralisation de l’ordinateur personnel qui, grâce au microprocesseur, va être diffusé en un très grand nombre d’exemplaires dans les entreprises puis dans les foyers ; puis, grâce à la naissance d’Internet, le réseau des réseaux. Going numérique :), photographie d’écran, David Pino, 2012 23 B. L'ENSEIGNEMENT DES ARTS APPLIQUÉS 1. UN EMPLOI DU TEMPS SPÉCIFIQUE La série technologique Sciences et Technologies du Design et des Arts Appliqués (STD2A) a été réformée en 2010. Elle avait déjà subi des changements depuis sa création en 1980, alors nommée série F12 Arts appliqués, puis en 1992 en devenant la série STI Arts appliqués. L’ancienne classe de Seconde de détermination STI devient une Seconde d’exploration, composée de six heures de création et de culture design, permettant aux élèves de poursuivre vers une filière générale s’ils le souhaitent, après délibération du Conseil de classe, ou de continuer en Première. L’emploi du temps est réparti entre l’enseignement général et scientifique, et, bien sûr, l’enseignement de la création et de la culture design. L’enseignement général se rapproche des matières enseignées en série Littéraire : il concerne le français, l’histoire et géographie, les langues vivantes, et la philosophie. L’enseignement scientifique est, quant à lui centré sur les mathématiques et les sciences physiques. Trois heures hebdomadaires sont attribuées à chaque matière générale ou scientifique, excepté l’éducation physique et sportive qui se déroule sur deux heures mais également les sciences de la vie et de la terre qui, depuis la réforme, ont réintégré l’emploi du temps sur une heure et demie. Traditionnellement, l’enseignement spécialisé dans l’art et le design se décompose en quatre pôles majeurs. Les arts, techniques et civilisations se rapportent à la culture du design, à l’histoire de l’art et des techniques. L’élève prend connaissance des grands courants composant les arts appliqués, afin de posséder les références nécessaires pour situer un artiste et comprendre le design actuel. 24 Le cours de démarche créative se focalise sur le développement et la mise en pratique des méthodes de recherche, d’expérimentation et de création dans les contraintes d’un projet à élaborer. Ces projets se répartissent entre recherches appliqués et études de cas. Ces dernières permettent la découverte précise d’un concepteur ou d’une de ses réalisations ou séries. Le but recherché étant d’analyser, dans le cas d’un concepteur, un univers visuel et sa déclinaison ; dans le cas d’un objet sélectionné, son ergonomie, sa fonction, sa réalisation et sa cible. Les questions soulevées portent sur la conception d’un objet, sur son utilité, mais aussi sur son devenir. Les travaux de recherche appliquée, quant à eux, permettent de mettre en application ces facultés d’analyse en les réinvestissant dans la conception et la réalisation d’un projet personnel portant sur un thème donné. C’est alors la variété des recherches et leur pertinence qui sont encouragées. Salle de classe d’art appliqués Planche de recherche pour un sujet de signalétique 25 Cependant, depuis la réforme de 2010, l’aspect technologique a été globalement renforcé. L’étude de cas en tant que telle a disparu, tout comme l’histoire de l’art. Les deux matières sont liées à travers un créneau appelé analyse méthodique. Dotée d’un coefficient 8 au Baccalauréat, une épreuve type se présente comme ceci : – un thème général est fixé, « le mécanisme », par exemple, suivi de sa définition donnée par le dictionnaire ; – des références d’œuvres en rapport avec ce thème sont données grâce à des photographies, les sculptures de Tinguely, la façade de l’Institut du Monde Arabe de Jean Nouvel ou des presses mécaniques de la Révolution industrielle... ; – un questionnement est proposé : « quelle est la place du mécanisme dans le design, les arts visuels et les métiers d’art ? ». Requiem pour une feuille morte, sculpture par Jean Tinguely, 1967 Détail de la façade de l’Institut du Monde arabe de Jean Nouvel, 1987 Photographie de la fontaine Jo Siffert érigée par Jean Tinguely, à Grand-Place, Fribourg, 1984 26 Le rendu se fait sous la forme de croquis analytiques ainsi que d’un écrit synthétique sur copie-double. L’évaluation est fondée sur plusieurs critères, notamment les capacités de l’élève à construire une analyse pertinente, à donner des références adaptées, à questionner, à contextualiser les documents, et bien évidemment, la capacité à s’exprimer sous une forme écrite et graphique. La pratique en arts visuels est également importante pour acquérir une approche plastique sensible ainsi qu’une culture des technologies. Ces heures d’enseignement permettent d’appréhender la peinture acrylique ou gouache, l’aquarelle, le collage, la pratique du croquis, la réalisation de carnets, ou la pratique des logiciels de création. L’objectif est de toucher à tous les médiums et à tous les médias, afin que chaque élève puisse découvrir ses affinités propres et développer sa créativité personnelle. En plus de ces matières obligatoires, les élèves peuvent aussi choisir une option facultative « arts », centrée sur les arts plastiques, sur le cinéma-audiovisuel, la danse, la musique ou le théâtre. Cette option permet d’expérimenter sans contraintes les différentes sensibilités des jeunes créateurs. Cette épreuve orale de trente minutes a pour objectif d’évaluer les compétences plasticiennes et techniques, théoriques et culturelles des candidats. Il s’agit de mesurer l’étendue des connaissances, de vérifier les acquis et d’apprécier la singularité de démarches inscrites dans un itinéraire artistique. L’élève doit présenter un projet personnel dont il fera la démonstration pendant vingt minutes, le reste de l’épreuve étant attribué à des questions sur sa culture artistique. 27 2. SPÉCIFICITÉS DE LA PREMIÈRE ET DE LA TERMINALE L’année de Première marque un grand tournant par rapport à la classe de Seconde. En effet, le design et les arts appliqués occupent, dès lors, douze heures hebdomadaires, soit presque le double de l’horaire dédié à la classe de Seconde, plus une heure enseignée dans la première langue vivante (LV1). En effet, si la classe de Seconde est exploratoire, celle de Première est déterminée et spécialisée. Enseignement exploratoire Histoire des Arts Design & Arts TP Design Total horaire Seconde 6h Première / Terminale / 1h30 / / 7h30 3h 9h 1h 13h 3h 14h 1h 18h Tableau comparatif de la répartition horaire des matières du design en STD2A 28 L’option a pour objectif de sensibiliser les élèves aux préoccupations de notre société en matière de cadre de vie, de lecture d’image, de design d’objet, d’écoconception et d’innovation. Les élèves peuvent ainsi aiguiser leur regard sur le monde qui les entoure en procédant à des comparaisons, en constatant les évolutions dans le temps, en repérant des invariants et des mutations, avant d’entreprendre un travail d’analyse et d’expérimentation. Cette découverte s’effectue dans le cadre de micro-projets. En classe de Terminale, l’enseignement du design et des arts appliqués utilise dix-huit heures du planning sur trentedeux. Tout comme en Première, une heure est attribuée à cet enseignement dans la première langue vivante choisie. Puisque la série technologique STD2A propose une formation complète et équilibrée entre culture artistique et maîtrise de techniques d’expression et d’outils technologiques fondamentaux, elle ouvre les portes de formations variées. Après le Baccalauréat, les élèves ont accès à l’enseignement supérieur dans l’ensemble des formations préparant aux métiers du design et aux métiers d’art. Il s’agit des BTS (Brevet de Technicien supérieur) artistiques, qu’ils soient centrés sur la communication visuelle en multimédia, les médias imprimés, le design d’espace ou de produit, ou encore sur le design de mode ; mais aussi des DMA (Diplôme des Métiers d’art) aussi bien touchant au cinéma d’animation, qu’à l’illustration ou même à la reliure-dorure. L’élève peut aussi s’orienter vers l’Université ou les Classes préparatoires aux Grandes Écoles d’Art ou d’Architecture. De même, en Terminale, les élèves élaborent un projet personnel qui se déroule sur soixante-quinze heures. Un thème commun est donné à la classe, comme l’« Héritage ». L’objectif est de pousser les élèves à mener une véritable démarche expérimentale, puis de réaliser une application, une création en rapport avec cette thématique. Ce projet est évalué trois fois, tout au long de l’année, en contrôle continu et certaines épreuves doivent être présentées en anglais. Depuis la réforme de la section, les matières artistiques tendent à devenir plus transversales. En effet, les cours de technologie par exemple, sont divisés en deux volets : un professeur s’occupe de la découverte des matériaux, de leurs usages et propriétés tandis qu’un autre apprend aux élèves les techniques de communication, notamment à travers l’analyse critique de publicités et des ateliers de découverte des logiciels de création. Les matières scientifiques sont aussi plus volontiers mêlées aux cours d’art. Des liens avec la physique sont créés dès que possible, à travers des thèmes exploratoires comme la lumière. Publicité pour Louis Vuitton, photographie d’Annie Leibovitz, 2009 Analyse des élèves : Référence à la gare Saint Lazare peinte par Monet ? Catherine Deneuve, fidèle à son personnage : belle, énigmatique, assise sur deux valises. Escarpins, élégance du trench noir ceinturé au col relevé. Très cinématographique. Femme en transit, entre deux vies ? 29 C. LA PLACE DE L'IMAGE A L'ÉCOLE 1. LA PÉDAGOGIE DE L’IMAGE « Beaucoup de penseurs que nous sommes dans nante, l’école doit faire ner comme objectif de considèrent que, justement, parce une société où l’image est domiabstraction de l’image et se donformer en priorité au concept. » Philippe Meirieu, chercheur, écrivain, L’Évolution du statut de l’image dans les pratiques pédagogiques (2003) « De même que la diffusion des livres et de la presse a rendu nécessaire, dans le passé, une pédagogie de la lecture et de l’explication des textes, de même, aujourd’hui, la diffusion des images exige que l’enseignement considère leur emploi, non plus de façon épisodique et empirique, mais selon un programme systématique, assorti de méthodes appropriées. » Léonce Peyrègne, inspecteur général de l’Éducation nationale, « Pour une pédagogie de l’image », Communications, 2, 1963 30 Le dictionnaire Le Robert donne trois sens au mot image : le premier se rapporte à la reproduction visuelle d’un objet réel ou à sa reproduction par l’intermédiaire d’un système optique, c’est-à-dire la photographie ou la reproduction artistique d’une certaine réalité ; l’image peut aussi être une représentation, par les arts graphiques ou plastiques, comme les images d’Épinal, au xixe siècle ; au fil du temps, l’image a étendu son emprise en même temps que sa fascination sur l’esprit humain. Aujourd’hui encore, comme l’affirmait l’inspecteur Léonce Peyrègne, il est nécessaire d’éduquer à l’image en tant que mode de représentation et de lutter pour l’acquisition d’une culture photographique, audiovisuelle et cinématographique. Ces médiums doivent devenir systématiquement objet et matière d’enseignement, tant ils possèdent la faculté de développer les relations sensibles et de se fixer dans l’inconscient et la mémoire. L’enseignement général, tel qu’il est conçu dans la plupart des pays, néglige en effet l’étude plastique des arts. Pourtant, ces images participent grandement à l’accroissement des connaissances, que ce soit par l’exercice du jugement et du sens critique mais aussi par la formation au goût et le développement du sens civique et social. Leurs dimensions sociologique, culturelle, historique et idéologique permettent aux élèves d’élargir l’horizon de la réalité. L’image allume la passion, soulève des questions, aborde des problèmes. Elle est support de parole et de nombreuses interrogations lorsque l’on aborde l’exercice du regard. Il faut aussi prendre le temps de l’observation, de l’extrême attention. Pour des élèves des filières d’arts ou arts appliqués, il est donc important d’élucider les secrets de la composition et du cadrage afin de véhiculer l’émotion ou de faciliter la lecture. On apprend, dans ces sections, comment mettre en valeur un élément, comment jouer d’outils comme la surimpression, ou du contexte comme le contre-jour. Il est nécessaire d’éduquer à l’image, non seulement en tant que représentation, mais aussi pour connaître les risques et les limites de ce média. En effet, l’image n’est en aucun cas une mécanique de transmission passive. JeanClaude Carrière, écrivain et cinéaste, insiste très justement sur le fait que les images ont toujours besoin d’une médiation et qu’il faut les manipuler avec précaution : puisqu’elles sont images, par nature, elles ne sont pas la réalité ; elles sont parcellaires, tronquées, incomplètes. Apprendre à lire une image et la décrypter, en évitant les contresens et les interprétations abusives, est donc fondamental pour se prémunir de ses dangers. Cette éducation a une fonction préventive : celle d’empêcher que l’élève ne soit qu’un spectateur passif et puisse être potentiellement soumis aux manipulations médiatiques. L’amener à prendre conscience des idéologies que véhiculent certaines images est un pré-requis pour s’approprier les outils de création de l’image. La pédagogie de l’image est donc essentielle pour des élèves d’arts appliqués qui, en plus d’évoluer dans un monde rempli d’images, donnent à voir celles qu’ils produisent. À la lumière des événements survenus au début de l’année 2015 et de l’attentat contre les dessinateurs de presse de Charlie Hebdo, la liberté d’expression et les messages que véhiculent les images sont d’autant plus à défendre et sont matière à éducation. Détail du dessin de presse par Luz en couverture du Charlie Hebdo n°1178, 2015 31 2. LA PÉDAGOGIE PAR L’IMAGE L’image s’est attiré le mépris et la méfiance des premiers philosophes : Platon la percevait trompeuse et source de préjugés, puisqu’elle était sensible et changeante. Elle détournait l’attention du disciple de la parole du maître, seul vecteur des Idées véritables et du Savoir. Seuls certains philosophes lui ont attribué des pouvoirs bénéfiques, comme Cicéron qui cite ses trois caractéristiques : Cependant, des gravures comme celles de Benoît-Louis Prévost, par exemple, ne sont pas réellement pédagogiques. Elles tiennent plus de l’allégorie que de dessins pédagogiques, notamment le frontispice réalisé pour la couverture de l’ouvrage. « Docere, delectare, movere » (instruire, plaire, émouvoir) L’éducation par l’image a donc mis longtemps avant de dépasser le stade de la simple illustration ou de l’image d’Épinal : longtemps, en effet, elle n’a revêtu qu’un rôle d’enluminure, agrémentant le texte et destinée à atténuer l’austérité de l’apprentissage. Seuls les cartes de géographie, les graphiques et les schémas étaient considérés comme de « bonnes images » car ce sont des images rationnelles : en d’autres termes, ce sont des images qui ont perdu leur spécificité propre : être porteuse de sens multiples. L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, en revanche, qui se revendique Dictionnaire universel des Arts et des Sciences illustré, se compose de dix-sept volumes de texte et de onze volumes de planches d’illustrations : celles-ci endossent un rôle explicatif, à une époque où la majorité des Français est illettrée. 32 « La Peinture occidentale de Moyen-Age s’épanouit, aux xiie et xiiie siècles dans les églises et monastères. Elle se développa au xive siècle, surtout dans le nord de la France, grâce à l’emploi des couleurs à l’huile et des tableaux ortatifs. C’est de ce moment que commencent à se distinguer les Écoles nationales modernes. » Les Grandes Découvertes, série encyclopédique Glucq, Imagerie d’Épinal, n°3809, Pellerin & Cie, Le grand livre des images d’Épinal Ce que l’on nomme « l’enseignement par les yeux » ne gagnera l’école que dans la seconde moitié du xixe siècle, à travers manuels illustrés et planches didactiques qui deviendront alors auxiliaires, compléments ou supports de l’éducation, pérennisant le souvenir par une exposition permanente aux yeux de l’élève. Ce remarquable développement est favorisé d’abord par des avancées techniques. Dès 1796, la lithographie permet la reproduction fidèle des dessins, contribuant ainsi à l’émergence et au développement de l’album, nouveau type de livre voué aux images. Dans les années 1830, les supports illustrés se diversifient : livres, magazines, imagiers, jeux, puzzles se développent à destination des familles aisées. Cette production se sépare de l’univers didactique purement scolaire. La loi Guizot notamment, promulguée en 1833, organise l’enseignement primaire et préside à l’élaboration de manuels spécifiques à l’instruction publique. Les instructions officielles recommandent l’observation directe, mais quand celle-ci n’est pas possible, c’est à l’image de prendre le relais. Frontispice de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, illustration de Benoît-Louis Prévost, 1751 33 C’est à partir des années 1880 que la pédagogie par l’image triomphe dans l’enseignement, notamment grâce aux « leçons de choses ». Dès le début du xxe siècle, l’image investit tous les supports pour la jeunesse, aussi bien scolaires que de loisirs. Sa nécessité pédagogique est universellement admise. Cependant, si les manuels illustrés concernent surtout l’apprentissage des langues ou de la lecture, ils ne concernent que très peu la science. « La fonction de l’image – tantôt support, tantôt auxiliaire, tantôt complément de la leçon orale – est différente suivant les cas. Outil mnémotechnique, elle remédie à l’abstraction du signe typographique en lui associant une représentation concrète ; elle élargit les connaissances par l’évocation thématique d’univers inconnus ; ou encore, par des procédés graphiques d’animation, de personnification ou de réification du signe typographique, elle s’offre à des appropriations ludiques variées. » En effet, dans les milieux scientifiques, le concept prévaut toujours sur l’image. Dans ce cadre, l’éducation par l’image peine à être mise en application puisque seule la représentation géométrique est considérée comme acceptable. La focale n’est pas mise sur le contenu graphique de l’image, mais sur ce qu’elle représente de façon schématique. Elle se réduit au vecteur de la représentation mentale d’une idée. L’image scientifique est donc objective, non sujette à l’interprétation et support premier de la transmission des résultats. INRP, Voir-savoir, La Pédagogie de l’image aux temps de l’imprimé Leçon de choses, Planche 138, L’orange, ©Deyrolle 34 Les images de la science ont aussi la particularité d’être, le plus souvent, l’interprétation d’un réel qui nous est invisible. En effet, comme le souligne Jean-Pierre Mohen, notre œil ne peut capter que certains photons, ceux qui correspondent aux ondes visibles. Cette part ne compose que 3 % des ondes électromagnétiques de l’Univers. Toutes les autres informations sont contenues dans les équations mathématiques de manière non tronquée. Ceci constitue l’un des grands problèmes des scientifiques : trouver à la fois des mots pour décrire les images que nous ne pouvons pas voir et des images pour illustrer les mots. Les scientifiques sont donc limités, d’un côté, par le vocabulaire, de l‘autre par l’arbitraire de la représentation. La plupart des images de ce type sont alors appelées « vues d’artistes » ; leur profusion et leur esthétisme ne font qu’obscurcir le ciel au lieu de le dévoiler, regrette l’astrophysicien Michel Cassé. « Ce que nous appelons le visible n’est qu’une partie très limitée de notre vision. » Jean-Pierre Mohen, ancien directeur du Centre de Recherche et de Restauration des musées de France, Histoire secrète des chefs-d’œuvre, 2001 Or, la représentation scientifique possède aussi un potentiel d’abstraction utile à la science et surtout à la vulgarisation et à la pédagogie de celle-ci, comme le prouve l’exposition Mathématiques : un dépaysement soudain, qui s’est tenue à la fondation Cartier d’octobre 2011 à mars 2012. La communauté des scientifiques et celle des artistes se sont jointes pour donner à voir le fruit de leur alliance, fait de beauté, de poésie, d’enthousiasme et de drôlerie. Affiche de l’exposition Mathématiques : un dépaysement soudain, Fondation Cartier pour l’art contemporain, 2011-2012 35 A. LA PHYSIQUE B. LA CHIMIE C. L’ENSEIGNEMENT SCIENTIFIQUE II. L ES MATIERES SCIENTIFIQUES A. LA PHYSIQUE 1. UNE SCIENCE NATURELLE Comme l’art ou la littérature, les sciences constituent un élément à part entière de la culture humaine. Leur histoire nous éclaire sur le monde contemporain, à un moment où les techniques qui en sont issues semblent échapper à la maîtrise humaine. La connaissance de l’histoire de cette discipline est aussi la meilleure façon d’inviter la nouvelle génération à plonger dans l’univers de la recherche scientifique. La physique est définie par le dictionnaire Le Robert comme une science qui étudie les propriétés générales de la matière et qui établit des lois rendant compte des phénomènes matériels. Cette étude s’effectue par le biais d’expérimentations et par l’élaboration de concepts qui recouvrent de nombreux domaines, allant de l’acoustique à l’optique, en passant par l’électricité et le magnétisme. Étymologiquement, le mot physique trouve sa racine dans le latin physica qui désigne la physique et les sciences naturelles, lui-même emprunté au grec φυσική, phusikê « l’observation ou l’étude des choses de la nature», dérivé de φύσις, phúsis, l’origine, la nature ou la constitution de toute chose. Extrait des Caractères de Chymie d’après Antoine Lavoisier, Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, 1751 38 Symboles de la terre, du feu, de l’eau, de l’air, d’après les écrits d’Aristote 2. LES GRANDES DÉCOUVERTES Prétendre à condenser l’histoire d’une telle science n’étant pas envisageable, je citerai donc de façon chronologique les grandes découvertes qui ont fait avancer, conjointement ou par répercussion, le monde des sciences et celui du design. Durant l’Antiquité, certains philosophes se sont particulièrement intéressés aux caractéristiques de notre planète et de son système solaire. Encourageant l’étude des processus naturels qui régissent le monde, Aristote donne notamment de l’essor à la physique, grâce à sa décomposition des êtres naturels en cinq éléments : ainsi, la Terre s’approche des solides, l’Eau des liquides, l’Air des différents gaz, le Feu du plasma et l’Éther, de la substance des étoiles et des planètes. Il établit également des causes et des principes permettant d’aborder l’étude d’un objet ou d’un mouvement. Cependant, ces théories sont avant tout pensées comme des questions philosophiques. Considéré comme l’un des principaux scientifiques de l’Antiquité classique, Archimède innove dans les mathématiques et la physique. Il aborde la mécanique statique, le principe du levier et l’étude des fluides immobiles, appelée hydrostatique. Une véritable avancée se produit au xvie siècle avec le Polonais Nicolas Copernic. Médecin, astronome et clerc, il développe la théorie de l’héliocentrisme, selon laquelle le Soleil se trouve au centre de l’Univers et la Terre révolutionne autour de lui ; ce disant, il se dresse contre la croyance répandue que cette dernière est centrale et immobile. Les conséquences de cette découverte opèrent alors une véritable révolution, d’un point de vue philosophique, religieux et scientifique. 39 Au xviie siècle, Galilée poursuit la révolution copernicienne en posant les bases de la mécanique et de la physique. Ce mathématicien, géomètre, physicien et astronome initie la généralisation des mesures, en particulier celles du temps, et effectue des essais concernant la résistance des matériaux. Avec lui, la physique s’impose comme la première des sciences exactes modernes. Au tout début du xviie, dans son ouvrage intitulé Astronomia Nova, Johannes Kepler, fervent copernicien, expose les trois relations mathématiques qui régissent les mouvements des planètes et des orbites. Il est alors précurseur de la gravitation universelle et de l’optique – qu’il nomme dioptrique – en abordant les principes fondamentaux de la lumière, la chambre obscure, les miroirs ou la réfraction. Cette dernière et la réflexion sont alors théorisées et décrites par Willebrord Snell et René Descartes. La méthode scientifique exposée à partir de 1628 par celui-ci, fondée sur l’observation, l’expérience, le raisonnement et le calcul, place Descartes en tant que fondateur de la physique moderne. Il opère ainsi de grandes avancées dans le domaine de l’optique, tout comme Isaac Newton, mathématicien, physicien et alchimiste, lorsqu’il étudie la réfraction de la lumière et démontre que le prisme décompose la lumière blanche en un spectre de couleurs visibles. Newton publie son traité, Opticks, en 1704 : il expose sa théorie corpusculaire de la lumière, son étude de la réfraction, de la diffraction de la lumière et sa théorie des couleurs. En mécanique, il établit les lois universelles du mouvement qui sont à la base de la mécanique newtonienne, dite « classique ». Celles-ci s’appliquent 40 à la gravitation et à ses effets sur les orbites des planètes, selon les références des lois de Kepler sur le mouvement des planètes. Son ouvrage majeur, Principes mathématiques de la philosophie naturelle, publié en 1687, marque un tournant pour la physique : il y avance le principe d’inertie, la proportionnalité des forces et des accélérations, l’égalité de l’action et de la réaction, les lois des collisions ; il montre aussi la théorie de l’attraction universelle. En plus de ses contributions à la physique, Newton a élaboré les principes fondateurs du calcul infinitésimal et les suites infinies. « Ne tenez pour certain que ce qui est démontré. » Isaac Newton Cette phrase illustre très bien la physique du XIXe siècle, c’està-dire de la physique déterministe. Elle sera remise en question au XXe siècle par la physique quantique. Planisphère selon Copernic, par Andreas Cellarius, Harmonia Macrocosmica, 1708 C’est Augustin Fresnel, en 1815, qui s’opposera aux théories corpusculaires de Newton, en proposant une explication à tous les phénomènes optiques, via la théorie vibratoire de la lumière. Il devient ainsi le fondateur de l’optique ondulatoire moderne et le précurseur de Louis de Broglie. Henri Navier, ingénieur et mathématicien, établit en 1821 les équations décrivant le mouvement des fluides, que nous connaissons sous le nom de loi de Navier-Stokes, déterminante pour la mécanique des fluides ; il élabore également des calculs sur la résistance des matériaux qui lui permettent de devenir l’expert français des ponts suspendus. 41 Le domaine de l’électricité commence à être réellement appréhendé en 1820, lorsque Hans Christian Ørsted et AndréMarie Ampère découvrent, au moyen de l’électroaimant, la relation entre électricité et magnétisme. Ces lois seront décrites par Michael Faraday, JeanBaptiste Biot et Félix Savart, pour être finalement mises en forme ultérieurement par James Clerk Maxwell. Les découvertes se succèdent : en 1831, Michael Faraday découvre l’induction électromagnétique, c’est-à-dire la création d’un courant dans un conducteur à partir d’un champ magnétique ; enfin, en 1869, Zénobe Gramme, invente la dynamo, base de la production d’électricité dans l’industrie. En 1865, à travers son traité intitulé A Dynamical Theory of the Electromagnetic Field, James Clerk Maxwell révolutionne la physique, unifiant en quatre équations différentielles l’électricité, le magnétisme et l’induction, d’après le théorème d’Ampère, qui était, à l’époque, le modèle d’équation le plus complet ; il permettra d’importants travaux ultérieurs en relativité restreinte et en mécanique quantique. Maxwell émet l’hypothèse que : Cette relation entre lumière et électromagnétisme s’est révélée exacte et elle est considérée comme l’une des plus grandes découvertes du xixe siècle dans le domaine de la physique. Maxwell est également connu pour avoir réalisé, en 1861, la première photographie en couleurs. Cependant, il faudra attendre Gabriel Lippmann, Prix Nobel de physique en 1908, et sa méthode de reproduction des couleurs en photographie basée sur le phénomène d’interférence, pour voir apparaître distinctement l’ensemble des longueurs d’ondes visibles sur la photographie. Admirateur de la pensée de Maxwell, Heinrich Rudolf Hertz découverte les ondes électromagnétiques présentes dans l’air en 1888, au hasard d’une manipulation. L’oscillation entre deux sphères chargées, l’une d’électricité positive, l’autre d’électricité négative, lui permet de calculer la fréquence et la vitesse de propagation des ondes et de considérer les radiations électriques comme des radiations lumineuses de grande longueur d’ondes, ouvrant le chemin à toutes les fréquences, qu’elles soient radioélectriques, radar ou autres. « L’accord des résultats semble montrer que la lumière et le magnétisme sont deux phénomènes de même nature et que la lumière est une perturbation électromagnétique se propageant dans l’espace suivant les lois de l’électromagnétisme. » James Clerk Maxwell 42 Avec sa découverte, à la fin des années 1800, des rayons X, qui lui valut le Prix Nobel de physique de 1901, Wilhelm Röntgen ouvre le chemin d’une médecine et d’un diagnostic plus précis. Il est suivi de près par le physicien Henri Becquerel, qui découvre par hasard la radioactivité, partageant ainsi le Prix Nobel de 1903 avec Pierre et Marie Curie. Alors que le physicien Ernest Rutherford, également Prix Nobel de chimie en 1908, découvre que la radioactivité s’accompagne d’une désintégration des éléments chimiques, il bouleverse le concept d’indestructibilité de la matière prôné par la science de l’époque. Pierre Curie luimême n’accepta cette idée que deux ans plus tard. Toutefois, les radiations étudiées par ces physiciens font également avancer la médecine via la radiothérapie. Lorsque Albert Einstein publie sa théorie de la relativité restreinte, en 1905, et sa théorie de la gravitation dite relativité générale, en 1915, il contribue, lui aussi, largement au développement de la mécanique quantique et de la cosmologie. Il reçoit le Prix Nobel de physique en 1921 pour son explication de l’effet photo-électrique. Louis de Broglie, Prix Nobel de physique en 1929, découvre, pour sa part, la nature ondulatoire des électrons. Celle-ci sera validée par Schrodinger en 1927. D’après lui, l’électron, qui est une particule, peut également être une onde : il s’agit de la dualité onde-particule. Alors que l’industrie et la recherche se stimulent mutuellement, la première devenant l’application de la seconde, cette dynamique continuera à s’accentuer plus tard avec la Révolution numérique. De nos jours, le domaine de la physique se porte bien en France, grâce à des scientifiques comme Albert Fert, spécialiste de physique de la matière condensée, ou dans le domaine de la physique nucléaire, avec le physicien Georges Charpak, récemment décédé. Mais le réel défi se situe au plan de ce que l’on nomme la « théorie du tout ». Il s’agit là, à l’instar de Newton ou de Maxwell, de réunifier les forces connues comme les interactions gravitationnelle, électromagnétique, électrofaible et forte. Actuellement, la principale tentative de théorie est celle des supercordes, développée par l’astrophysicien Stephen Hawking, elle est actuellement incomplète et la théorie du tout reste encore un fantasme. Page de garde d’Opticks, ouvrage de Newton, 1704 43 B. LA CHIMIE 1. DE L’ALCHIMIE À LA CHIMIE La physique et la chimie incarnent deux matières scientifiques qui ont pour objectif commun d’analyser, de théoriser et de modéliser la nature qui nous entoure, ceci afin de nous permettre de mieux comprendre notre environnement. Cependant, l’interdisciplinarité du monde scientifique actuel fait qu’il est souvent difficile de différencier leurs évolutions respectives, d’autant que les avancées de la physique, devenue actuellement hégémonique, ont refondé en partie la chimie. La chimie est définie par Le Robert comme la science de la constitution des divers corps matériels, de leurs transformations et de leurs propriétés. Elle consiste donc en l’étude de la constitution atomique et moléculaire de la matière ainsi que des interactions et des transformations spécifiques de ses constituants entre eux. Elle fournit des produits nouveaux et révèle ou invente des structures moléculaires. La figure de l’Ouroboros, en alchimie, a inspiré la structure du benzène. 44 Le mot chimie possède plusieurs étymologies. Son origine la plus probable est un mot latin médiéval (xiiie siècle), la chimia ou chymia qui se rapportait en effet à l’art de transformer les métaux, c’est-à-dire à l’alchimie. Ce mot est emprunté au grec médiéval χυμεία, khumeia, composé de la racine -χυμός, le suc, qui se rapportait à l’action de mélanger ensemble des liquides. On peut donc dater l’apparition de la chimie du Moyen Âge, ce qui coïncide avec la maîtrise du feu à des fins expérimentales. Les transformations que celui-ci peut effectuer sur la matière engendrent un engouement à propos des métaux, et de leurs propriétés, qui se concrétise par l’alchimie. Ses adeptes deviennent ingénieurs ou pharmaciens en se penchant sur les gaz, atomes, acides et bases. Elle a été pratiquée par Isaac Newton de 1668 à 1675. Selon Serge Hutin, écrivain : « Les alchimistes étaient des “ philosophes ” d’un genre particulier, qui se disaient dépositaires de la Science par excellence, contenant les principes de toutes les autres, expliquant la nature, l’origine et la raison d’être de tout ce qui existe, relatant l’origine et la destinée de l’univers entier. » Le mot alchimie, quant à lui, provient du latin médiéval alchemia, lui-même issu de l’arabe ءايميكلا, āl-kymyā. C’est alors une pseudo-science qui instaure les notions de quantités, de mesure et d’exactitude. Les expérimentations mènent à une sorte de proto-chimie : c’est pourquoi les mots alchimie et chimie resteront synonymes et interchangeables jusqu’à la fin du xviie siècle. Ce n’est qu’au cours du xviiie siècle qu’ils se distinguent : alors que l’alchimie décline, sans toutefois disparaître, la chimie moderne s’impose avec les travaux de Lavoisier. Frontispice de l’Alchemiae Gebri Arabis, Bernae, 1545 45 2. FIGURES TUTÉLAIRES L’histoire de la chimie est intrinsèquement liée à la volonté de l’homme de comprendre la nature et les propriétés de la matière, plus particulièrement la façon dont celle-ci existe ou se transforme. Les expériences d’Antoine Lavoisier sont parmi les premières jamais exécutées à être véritablement reproductibles : c’est en ce sens qu’il assure le passage de l’alchimie – souvent imaginaire et peu expérimentale – à la chimie, dont il est le fondateur. Il publie, en 1787, la Méthode de nomenclature chimique, qui étudie et décrit une nomenclature chimique pour certains éléments comme l’oxygène et l’hydrogène, découvrant ainsi la composition de l’air. Réalisé notamment avec le chimiste Claude Louis Berthollet, ce système est en grande partie encore utilisé aujourd’hui. Au cours de ses recherches, Lavoisier détermine aussi la nature du phénomène de combustion. Le rôle du dioxygène est mis en valeur dans ce processus d’oxydation rapide mais également dans la respiration animale et végétale. S’intéressant aux changements d’états dans la réaction chimique, il établit une loi de conservation de la matière. Les années 1820 marquent les débuts de la chimie organique, ou chimie des composés dits « organisés ». Leur analyse élémentaire permet alors de les séparer et de les classer. C’est grâce à Jöns Jacob Berzélius que chaque corps simple est représenté par un symbole, pouvant être associé à d’autres pour former une famille. La classification périodique des éléments est établie peu après, en 1869, par Dmitri Mendeleieïv. L’étude de l’élément permet de s’intéresser à l’atome, puis à l’isotope, aux ions, et de décomposer les molécules et les liaisons chimiques. Tableau périodique des éléments de Dmitri Mendeleieïv , 1869 46 Cependant, la représentation des éléments n’est pas encore codifiée et, en 1860, il y a dix-huit possibilités de transcrire l’acide acétique. Kekulé Von Stradonitz propose alors en 1866 une façon de représenter les composés via un modèle astucieux de forme hexagonale. Alors que Ludwig Eduard Boltzmann se pose en défenseur de l’existence de l’atome, jusque là non démontrée, c’est Ernest Rutherford qui démontre, en 1911, l’existence d’un noyau atomique, dans lequel est réunie toute la charge positive et presque toute la masse de l’atome. À la même époque, Max Planck découvre la loi spectrale du rayonnement d’un corps noir, la notion de photon ainsi que l’effet photoélectrique, ce qui révolutionne à la fois la physique et la chimie. Travaillant de pair avec lui, Walther Hermann Nernst s’intéresse également aux domaines de l’électrochimie, de la thermodynamique, et plus spécialement de la chimie du solide et de la photochimie. Il obtient le Prix Nobel de chimie en 1920. Tableau périodique de l’IUPAC (International Union of Pure and Applied Chemisty), 2007 47 Au xixe siècle, la biochimie se développe aussi, enfin débarrassée des tabous de l’Église. Elle concerne l’étude des mécanismes vivants à travers leurs réactions chimiques. Les bases des réactions chimiques sont, elles aussi, étudiées : solutions, émulsions, acides et bases permettent d’introduire la chimie des polymères et la création de nouveaux matériaux de synthèse. Ceux-ci sont créés par dizaines, notamment pendant la Seconde Guerre mondiale, qui devient ainsi un banc d’essai pour mesurer les avancées technologiques des uns et des autres. Irène Joliot-Curie, fille de Pierre et Marie Curie, et son mari, Frédéric Joliot découvrent comment synthétiser de nouveaux éléments radioactifs et reçoivent le Prix Nobel en 1935. Peu après, Frédéric Joliot s’intéressera directement à un projet de bombe atomique. Celle-ci ne sera réalisée que plus tard, avec Otto Hahn, lauréat du Prix Nobel de chimie de 1944. Considéré comme le père de la chimie nucléaire, celui-ci découvre la fragmentation de l’uranium en deux noyaux plus légers, phénomène qui est appelé fission nucléaire et qui a marqué le début de la production d’énergie nucléaire ainsi que les prémices de la bombe nucléaire. En 1952, Archer Martin et Richard Synge reçoivent le Prix Nobel de chimie pour leur invention de la chromatographie de partage, une méthode de séparation de molécules, ce qui permet un bond en avant dans l’analyse chimique et biologique. La sidérurgie et la chimie organique se développent grandement ; on passe du caoutchouc naturel à un caoutchouc artificiel et on invente des composés tel le polychlorure de vinyle (PVC), le polystyrène ou les résines phénoliques. 48 Karl Ziegler et Guilio Natta, notamment, co-lauréats du Prix Nobel de chimie 1963, se consacrent à l’étude de la structure cristalline des polymères et améliorent nettement leur synthèse. Prix Nobel de chimie de 1991, Richard Ernst développe la spectroscopie de la résonance magnétique nucléaire (RMN), impulsant chimie organique et inorganique, science des matériaux et biochimie, mais aussi médecine par extension, avec l’imagerie par résonance magnétique nucléaire (IRM). Photographie d’Irène Joliot-Curie rencontrant Albert Einstein à Princeton aux États-Unis, 1948 La chimie s’est donc, depuis son origine, élevée au rang de science à part entière, permettant de comprendre les phénomènes et d’obtenir une connaissance théorique des techniques. De ce fait, la diversité des propriétés chimiques est mise à profit, tant elle possède un rapport éviwdent avec l’industrie, la nature, la santé ou encore l’espace ; autrement dit les domaines touchant au design à travers la recherche, l’ergonomie et l’innovation. « La Science n’est plus à même de fournir aucune certitude, mais des propositions temporaires qui se métamorphoseront aussi vite que nos certitudes d’hier. » Ilya Prigogine, Prix Nobel de chimie, 1977 Ce physicien, met ici en avant la réalité de la recherche : désormais, la Vérité absolue, défendue par les philosophes, n’existe plus, même en ce qui concerne les domaines scientifiques. Une découverte est considérée comme viable jusqu’à ce que l’on prouve le contraire. C’est ce qu’a fait Einstein lorsqu’il a remis en question le postulat* de base de la physique qui est que « le temps s’écoule de façon uniforme quelle que soit la position de l’observateur dans l’Univers » afin de théoriser la mécanique relativiste. Ce ne sont donc que des propositions, ou des modèles qui constituent la Science actuelle, et qui doivent être transmises aux élèves. * On nomme postulat (du latin postulare qui signifie demander) un principe non démontré utilisé dans la construction d’une théorie. 49 C. L'ENSEIGNEMENT SCIENTIFIQUE 1. AVANT LE BACCALAURÉAT Tout au long de son parcours scolaire, l’élève bénéficie d’un enseignement scientifique varié, qui lui permet globalement de se construire une représentation cohérente du monde dans lequel il vit. Par ailleurs, l’approche qualitative des sciences ne doit pas être une suite d’affirmations qu’il faudrait croire, comme le souligne le physicien Henri Poincaré, mais une suite d’activités permettant aux élèves de prendre conscience de l’importance d’argumenter, de raisonner, de vérifier, en un mot de réunir bon nombre d’éléments nécessaires à toute démarche réflexive. Chaque enfant doit pouvoir ainsi approfondir sa compréhension des objets et des phénomènes qui l’entourent et développer sa curiosité, sa créativité et son esprit critique. Les objectifs, les savoirs, et les savoirfaire progressent durant la scolarité de l’élève. À l’école élémentaire, pendant le Cycle II, du CP au CE2, l’enfant découvre le monde qui lui est proche à travers les apprentissages fondamentaux. Il apprend à se repérer dans l’espace et le temps, découvre le monde du vivant, de la matière et des objets ; il apprend à utiliser une syntaxe adaptée, composée de connecteurs logiques tels « parce que » ou « donc » et à utiliser des repères spatiaux et temporels. Il adopte un autre point de vue que le sien et sa confrontation avec la pensée logique lui donne le goût du raisonnement. Il devient capable de compter, de classer, d’ordonner et de décrire grâce au langage et au dessin. Il commence à comprendre ce qui distingue le vivant du non-vivant. Le Cycle III, qui va du CM1 à la 6e, est celui des approfondissements. Les sciences expérimentales et la technologie sont abordées. Elles ont pour objectif de faire comprendre et de décrire le monde réel, celui de la nature et celui qui est construit par l’homme, d’agir sur lui et de maîtriser les changements induits par l’activité humaine. Leur étude contribue à faire saisir aux élèves la distinction entre 50 faits et hypothèses vérifiables d’une part, opinions et croyances d’autre part. Le programme scolaire concerne la matière, le monde vivant, l’environnement, l’hygiène et la santé, l’énergie, le ciel et la terre, mais aussi le monde construit par l’homme et les technologies de l’information. Il s’agit avant tout d’une approche qualitative : les enfants dénombrent des objets, réalisent des mesures, font varier des paramètres mais ne modélisent pas encore les phénomènes sous la forme de formules. « On fait une science avec des faits, comme on fait une maison avec des pierres, mais une accumulation de faits ne fait pas plus une science qu’un tas de pierres une maison. » Henri Poincaré , La Science et l’Hypothèse, 1917 À partir du collège, l’enseignement scientifique s’étoffe : physique-chimie, sciences de la vie et de la terre, mathématiques... Le défi consiste à garder un contact avec le réel, étant donné que les sujets d’étude portent souvent sur des objets dont la taille est inférieure au millimètre ou supérieure à l’entendement. Certains enseignants peinent à aborder efficacement les notions scientifiques ; c’est pourquoi des associations peuvent intervenir ponctuellement. La Fondation « La Main à la Pâte », par exemple, lancée depuis 1996, à l’initiative de Georges Charpak, Prix Nobel de physique 1992, de Pierre Léna, astrophysicien, d’Yves Quéré, physicien, et de l’Académie des Sciences, vise à rénover l’enseignement des sciences et de la technologie à l’école primaire et au collège, en favorisant un enseignement fondé sur une démarche d’investigation scientifique. Exploration du monde, apprentissage scientifique, expérimentation et raisonnement, maîtrise de la langue, argumentation et éducation à la citoyenneté sont alors associés afin de former un socle de connaissances solide, et les résultats de cette initiative sont à présent évalués de façon très prometteuse. Cependant, ces initiatives pédagogiques viennent au secours d’une matière qui, depuis les années 80, tend à s’appauvrir au vu de la réduction des programmes qui intervient à chaque réforme. 51 2. SÉRIES GÉNÉRALES ET TECHNOLOGIQUES Cette mission éducative se poursuit au lycée, selon un nombre d’heures variant avec l’orientation que l’élève aura choisie. La culture scientifique est, en effet, indispensable dans un monde où le développement technologique et l’activité scientifique imprègnent la vie quotidienne à travers tous les objets de la vie courante. En définitive, l’enseignement de la physique-chimie est nécessaire d’un point de vue culturel et les programmes scolaires permettent aux élèves d’acquérir progressivement des savoirs et des compétences pour réussir l’examen du Baccalauréat, mais surtout de les préparer à la poursuite d’études supérieures. Le cursus S (scientifique) a pour vocation de former de futurs ingénieurs ou techniciens. Les enseignements sont donc spécialisés et se déploient tout au long des trois années de lycée. Les mathématiques et les sciences expérimentales constituent la majorité des heures de cours, avec le choix d’un enseignement de spécialité en Terminale (physique-chimie, mathématiques, sciences de la vie et de la terre, informatique, sciences du numérique ou écologie, agronomie et territoires). L’objectif de cette formation est d’inculquer aux élèves ayant choisi cette branche les compétences de base de la démarche scientifique : observation, modélisation et action sur le réel en constituent les grandes étapes. Leur programme s’articule autour de grands chapitres tels que les ondes et les particules, le temps, le mouvement, l’énergie, la matière et son rayonnement ainsi que le défi du développement durable. 52 Les cursus ES (économique et social) et L (littéraire) sont, quant à eux, beaucoup moins tournés vers les sciences. Pour preuve, la physique-chimie est une matière faisant l’objet d’une épreuve anticipée du Baccalauréat. Le programme porte donc seulement sur le tronc commun de Seconde et de Première. Il comporte, comme principaux chapitres : la représentation visuelle, nourrir l’humanité, le défi énergétique et le thème du féminin/masculin. La science a la particularité d’être approchée d’un point de vue social et critique, correspondant aux questionnements que posent les formations. L’enseignement en ES est centré sur les sciences économiques et sociales, les mathématiques, et l’histoire-géographie alors que l’enseignement en L est focalisé sur la langue française, l’étude de textes littéraires, la philosophie et l’apprentissage des langues vivantes, ce qui laisse peu de temps pour l’instruction des sciences physiques. Les séries technologiques, même si elles possèdent un tronc commun tout comme les séries générales, abordent en outre des domaines très spécifiques, l’objectif étant de préparer les élèves à des formations plus approfondies ou de les conduire directement à une insertion dans la vie professionnelle. Les enseignements transversaux favorisent la polyvalence tandis que les enseignements technologiques sont adaptés à chaque série, permettant aussi à chaque élève d’approfondir le domaine de son choix. Réformées dans les années 2000, les filières STD2D (Sciences et Technologies de l’industrie et du Développement Durable), STL (Sciences et Technologies de Laboratoire), ST2S (Sciences et Technologies de la Santé et du Social) ou encore STMG (Sciences et Technologies du Management et de la Gestion) abordent des programmes scientifiques totalement différents. Exemples de travaux pratiques de chimie Par exemple, le programme de la filière STI2D aborde l’architecture, la construction et l’écoconception, alors que la série STL se penche sur les sciences physiques et chimiques en laboratoire et les biotechnologies. 53 3. EN ARTS APPLIQUÉS Un programme de sciences physiques a été spécialement conçu pour les élèves de la formation technologique STD2A. Il s’agit, en effet, d’une physique dite appliquée, en liaison totale avec la formation principale. Tout au long de leur scolarité en arts appliqués, les élèves suivront donc à la fois des cours théoriques et pratiques, comme le montre ce tableau comparatif : Physique-chimie Mathématiques Seconde 3h, TP : 1h30 4h Première 3h, TP : 1h30 3h Terminale 2h, TP : 1h 3h SVT 1h30 / / Le volume des cours sous forme de travaux pratiques est en général choisi par l’enseignant, en collaboration avec le chef d’établissement, selon la dotation globale horaire (DGH) et le matériel disponible. D’autre part, puisque le cursus STD2A vise à susciter des vocations chez les élèves, les chapitres sont variés afin de passer en revue la culture des matériaux pour ceux qui se dirigeront vers une formation plus axée sur l’espace, l’objet ou l’architecture, mais aussi la perception de la couleur, ce qui est utile pour le graphisme et le multimédia. 54 Tableau horaire du volume des matières scientifiques en STD2A Durant les années de Première et de Terminale, les cours de physique-chimie abordent deux grands thèmes. Le premier est : Du monde de la matière au monde des objets « Un objet ne s’élabore pas à partir d’une présupposée rupture avec le monde existant, mais, au contraire, en lien étroit avec une réalité qu’il viendra modifier. » Pierre Charpin, designer, «Portrait», Intramuros n°101, 2002 Dans ces chapitres, les élèves étudient la matière et le matériau dans leur globalité. Comme le souligne Pierre Charpin, cette matière constitue la réalité dans laquelle s’inscrivent les réalisations des designers, il est donc primordial de commencer par la base de toute chose. Les élèves apprennent les grandes familles de matériaux, qu’ils soient métalliques, organiques, composites ou minéraux, ainsi que leurs propriétés physiques associées. Celles-ci passent par le calcul de la masse volumique ou de leurs déformations, à l’aide de formules et de différentes représentations dans l’espace. 55 Le deuxième thème est celui-ci : Voir des objets colorés, analyser et réaliser des images « La couleur est le plus beau trait d’union entre la science et l’art. » Bernard Valeur, physicochimiste, La Couleur dans tous ses éclats, 2011 Ce thème s’articule autour de deux chapitres principaux : la perception de la lumière et celle des couleurs. Premièrement, les élèves abordent la vision à travers l’analyse anatomique de l’œil, permettant ainsi de comprendre pourquoi il est possible de reproduire toutes les couleurs à partir de trois teintes avec les synthèses additive et soustractive, mais également d’expliquer les couleurs des objets. L’étude des différentes lentilles permet de comprendre la formation d’une image dans l’œil ou dans un appareil photographique. Les élèves s’intéressent aussi à la peinture sous un angle scientifique, en étudiant ses constituants – les diluants, les liants, les charges et les pigments – qu’ils soient naturels, d’origine minérale, végétale ou animale. Les images du monde invisible réalisées grâce à la microscopie, la gammagraphie, ou la stratigraphie constituent le dernier chapitre du programme. 56 L’enseignement de la physique en Arts appliqués se déroule sur deux heures hebdomadaires. Les professeurs qui souhaiteraient traiter des thèmes communs au design et aux sciences physiques ne peuvent intervenir en tant que co-enseignants qu’en accord avec le proviseur de leur établissement. De nombreux designers se sont donc intéressés à l’alliance de ces disciplines parallèles et complémentaires. La théoricienne du design Anne Bony considère le design comme un métier, certes créatif, mais surtout de service. Les productions s’inscrivent dans les limites de la réalité et doivent les prendre en compte dès la phase de conception. Si Le Corbusier disait de l’architecture qu’elle était un jeu savant, correct et magnifique, de volumes sous la lumière, un bon designer doit lui aussi connaître les paramètres scientifiques et mathématiques pour être en mesure de répondre aux contraintes techniques d’une réalisation dans l’espace et le temps de façon appropriée, sensée et innovante. « Le designer du xxie siècle ne peut se passer d’une culture scientifique approfondie, nourrie des sciences cognitives, de la biologie et de l’informatique. » Anne Bony, Le Design : histoire, principaux courants, grandes figures, Larousse, 2004 Mais au-delà du fait que les élèves ne voient pas le rapport de la physique-chimie avec leur formation, un autre véritable problème réside dans l’investissement même des professeurs de physique-chimie, ce fait est mis en avant par la thèse de Véronique Lorillot, Enseigner les Sciences physiques en STI Arts appliqués : rapport aux savoirs scientifiques et identité professionnelle. Sans manuel, cette formation est difficile à aborder à travers son aspect scientifique. En effet, de nombreux enseignants rechignent à créer un contenu de cours particulier car s’ils n’ont pas de classe d’Arts appliqués l’année suivante, cet effort ne sera pas amorti. 57 A. LES ENJEUX DU PROJET B. UN LYCÉE QUI SE VEUT PILOTE C. LANCEMENT DU PROJET III. LE PROJET A. LES ENJEUX DU PROJET 1. CONVAINCRE LES RÉFRACTAIRES Le grand problème de l’étude des sciences physiques en arts appliqués réside dans le déficit d’images de la matière. En effet, l’abstraction des visuels existants n’éveille en rien l’intérêt des élèves. Il faut donc se demander comment aiguiser leur curiosité, voire plus, les passionner, pour qu’ils établissent une connexion entre science et design. L’écart entre l’univers abordé dans les matières constituant la base des arts appliqués et celui de la physique/chimie peut produire une répulsion de la part des élèves qui peinent à percevoir les rapports sous-jacents existant entre ces deux univers. L’art de la Couleur, Johannes Itten, 1988 60 La technicité de la matière et son rapport aux mathématiques constituent un premier défi pour l’enseignant. En effet, le professeur aborde rationnellement des principes dont la classe n’a qu’une approche sensible et intuitive. La couleur, par exemple, est dotée d’un fort potentiel émotionnel : l’étudier sous l’angle du mesurable peut facilement braquer un élève, qui établit alors une distance avec le cours et dissocie sa propre réalité artistique de la réalité scientifique. Pourtant, le designer, en plus d’apporter des idées créatives, doit endosser le rôle de l’ingénieur dans le but de proposer des créations réalisables répondant à une commande industrielle, reproductible et commercialisable. Il semble alors essentiel pour un élève de savoir, par exemple, que la plupart des plastiques sont issus du pétrole, et que, si certains sont recyclables, d’autres ne le sont pas. À l’heure des crises sociales mondiales, il convient d’autant plus de se questionner sur les matériaux les plus appropriés et d’employer de nouveaux plastiques, fabriqués à partir d’agro-ressources. Les sciences incluent donc des problématiques d’ordre social ; doit-on transformer le maïs en sacs plastiques alors qu’une partie de la population mondiale meurt de faim ? C’est dont l’esprit critique qui doit être développé par les séances de travaux pratiques, en plus d’une démarche scientifique rigoureuse. 2. SE DÉMARQUER DE L’EXISTANT À l’inverse, le vocabulaire graphique est peu utilisé par les sciences physiques. En règle générale, tableaux et formules remplissent les cahiers. De plus, l’imagerie de la physique souffre du poids de la tradition. En effet, les images utilisées en cours sont, la plupart du temps, des schémas de principe, dont une majorité en noir et blanc, issues de la gravure, comme dans cet extrait de Cours de chimie, chimie générale et métalloïdes. Les effets de trame sont donc nombreux et l’humain est totalement absent. Cependant, on remarque ici une façon mixte de représenter les outils : entre l’abstraction géométrique et l’ultra-réalisme. Cette géométrie est parfois incontournable, notamment en optique où la construction rigoureuse de lignes et d’angles permet de trouver la position de l’image d’un objet, comme le montre ce schéma, issu des Éléments de sciences pour les industries graphiques. Quelques livres spécialisés, comme l’ouvrage d’Harald Küppers sur la couleur, mettent cependant un point d’honneur à produire des dessins plus élaborés et à utiliser la couleur dans un but didactique ; néanmoins, la place donnée à la représentation empiète ici sur les explications et les visuels abstraits sont peu éclairants. Extrait de Cours de chimie, chimie générale et métalloïdes, 1935 Alain Bargilliat et Jacques Campbell, Éléments de sciences pour les industries graphiques, 1962 Face à ce déficit évident de supports graphiques, mon partenaire, Jean-Pascal Mauvoisin, m’a demandé de créer des contenus didactiques destinés à lier le monde scientifique et l’univers des arts appliqués. 61 B. UN LYCÉE QUI SE VEUT PILOTE 1. L’ÉTABLISSEMENT LE PARACLET 2. le partenaire : jean-pascal mauvoisin Le Lycée privé Le Paraclet, à Quimper, en Bretagne, est subdivisé en deux entités : d’une part, la formation en hôtellerie ; de l’autre, la formation en arts appliqués. Le pôle design forme donc une fraction importante de l’école et possède des équipements spécifiques comme un studio de prise de vue, un laboratoire de développement photographique et une matériauthèque, entre autres. Mon partenaire de projet est un jeune enseignant de physique-chimie. JeanPascal Mauvoisin a 34 ans, après obtention du CAPES et de l’Agrégation, il a en charge, depuis 9 ans, les classes du pôle arts appliqués du Lycée. Il forme donc les élèves dès leur entrée en classe de Seconde de détermination puis les accompagne durant les années de Première et de Terminale, assurant ainsi une continuité dans la formation. Il enseigne également aux étudiants des cursus de BTS design graphique et de Mise à niveau en arts appliqués. Le cursus STD2A constitue le cœur de la formation avec ses trois classes de Seconde, Première et Terminale, mais on y trouve également deux classes de Mise à niveau en arts appliqués (MANAA) et une section de BTS design graphique, option imprimé et multimédia. Les classes sont souvent divisées en deux, au vu du nombre d’élèves par section ; c’est pourquoi de nombreux professeurs qui se partagent ces options artistiques cumulent parfois plusieurs sections, cependant, un seul professeur assure le cours de sciences physiques pour toutes ces classes, il s’agit de Jean-Pascal Mauvoisin. 62 Si les heures de cours théoriques s’effectuent devant 34 élèves, les travaux pratiques se réalisent à 17, ce qui permet une autre approche, plus participative. D’une façon générale, Jean-Pascal Mauvoisin essaie de rendre les élèves actifs en proposant une grande variété de supports de cours ou d’exercices. La plateforme Claroline lui permet, par exemple, de donner à ses élèves des exercices en ligne, ce qui lui donne la possibilité d’inclure des contenus audiovisuels au sein de l’application pour guider l’élève et lui apporter des informations supplémentaires quant aux notions abordées. Ces exercices mettent en relief les difficultés qu’ont les élèves à comprendre certains sujets, car les résultats sont enregistrés et envoyés au professeur, qui peut alors se rendre compte si un chapitre ou une formule a été mal compris par un ou plusieurs élèves. La démarche pédagogique de mon partenaire présente l’originalité de s’être très tôt déployée sur ces supports extra-scolaires numériques. Tout le contenu du cours est disponible sur son site, www.physique-chimie-en-aa.fr, accompagné de travaux réalisés par les élèves (vidéos à thème, création d’éditions spécifiques, prises de vues photographiques,...). En revanche, ces supports sont, à l’heure actuelle, peu illustrés, ou bien illustrés par les élèves eux-mêmes, sans réelle rigueur scientifique. Ce travail inter-disciplinaire, effectué dans la continuité de la réforme des programmes, lui paraît essentiel car il donne véritablement son sens à des matières secondaires comme la physique et la chimie. C’est pourquoi, chaque année depuis son affectation au Lycée Le Paraclet, Jean-Pascal Mauvoisin se concerte avec les professeurs d’arts appliqués afin d’essayer de raccrocher son cours aux sujets abordés. Alors que cette plateforme Web était censée constituer une vitrine de l’enseignement de la physique en arts appliqués et aider les nouveaux professeurs à établir un contenu de cours adapté, les travaux de Jean-Pascal Mauvoisin ne sont finalement accessibles que par ses propres élèves, car ils utilisent des clichés et des portraits, ce qui pose un problème juridique au niveau de la diffusion, même si les élèves ont signé une décharge. Dans l’idéal, Jean-Pascal Mauvoisin aimerait mettre en place des cours en co-animation : les heures de physique-chimie et celles des matières artistiques seraient conjointes pour que le professeur de sciences puisse intervenir afin d’expliciter précisément des notions relatives aux sujets abordés. Il pourrait, par exemple, parler d’intensité lumineuse ou de matériaux innovants pour du design d’objet, mais aussi s’éloigner des deux chapitres constituant le cadre du programme en expliquant les bases de la gravité et des forces pour des projets d’architecture. Portrait de Jean-Pascal Mauvoisin 63 3. LA CIBLE : LES ÉLÈVES DE LA SECTION ARTS APPLIQUÉS Les élèves des classes de Première et de Terminale arts appliqués constituent le premier public visé. Ils sont âgés de 16 à 18 ans ; et Jean-Pascal Mauvoisin les décrit comme sympathiques, passionnés et créatifs. En général, il s’agit d’élèves ouverts à tous les courants artistiques. Leur culture contemporaine est variée : séries, films, expositions et théâtre font partie de leurs centres d’intérêt. Ils aiment les films fantastiques, de science-fiction ou d’animation, qui font écho à leur imagination, tout en proposant une réflexion philosophique. Au fil des années passées dans cette filière, ces adolescents enrichissent leur univers visuel personnel et leur intérêt pour les arts graphiques, l’architecture ou le design a pu se préciser. Plus que l’amorce d’un projet professionnel, cette orientation correspond à un projet de vie. Après le Baccalauréat, les élèves s’orientent souvent vers les filières du design graphique, mais aussi de l’architecture, du design de produit ou d’espace. Aucune tendance ne se distingue réellement : chaque élève a en tête une orientation propre, depuis la joaillerie jusqu’à la conception 3D. S’ils s’investissent beaucoup dans leur formation principale, c’est souvent au détriment de matières secondaires comme les sciences physiques. Si, à partir de la classe de Première, ils commencent à discerner le rapport de cette matière avec la formation, ce qui éveille leur intérêt, le point épineux reste les mathématiques, aussi bien pour les notions de calcul que pour l’image même 64 de la matière... Après avoir questionné les élèves du Lycée Le Paraclet, j’ai pu localiser le principal problème, il réside dans l’abstraction : même s’ils apprennent les formules par cœur, ils ont beaucoup de mal à faire le lien entre celles-ci et la réalité, et le rapport entre les lettres, les forces et les variables n’est pas souvent saisi, l’application de la formule devient problématique, dès lors que ce rapport n’est pas compris. Cependant, ils aiment effectuer des expériences, et surtout les retranscrire, par le biais de croquis plus aboutis que de simples schémas, comme leur préconise leur professeur. Si les manipulations et les activités permettent aux élèves d’appréhender la matière de manière plus approfondie, ils ont, évidemment, une préférence pour certains chapitres, plus porteurs de notions artistiques. La photographie est en général leur cours préféré, de même que la synthèse des couleurs, bien qu’ils n’en saisissent pas tous les tenants et aboutissants scientifiques. Les activités conduites par Jean-Pascal Mauvoisin autour du light painting et de la photographie rendent les élèves actifs et intéressés. Les cours sont bien construits grâce à des supports multiples, notamment des vidéos : c’est pourquoi les élèves s’y réfèrent volontiers. Les exercices en ligne, par exemple, remportent un gros succès, car les élèves se sentent plus à l’aise sur le logiciel Claroline que sur une copie-double... Il me parait important, dans ce projet, de rattacher les grandes découvertes abordées aux objets et aux créations du design qui ont pu en découler. L’objectif est, bien sûr, d’acquérir des bases solides et une bonne méthode d’analyse pour réussir l’épreuve du Baccalauréat, dont l’évaluation se déroule sur deux heures, avec un coefficient 2 ; mais aussi, et surtout d’acquérir un bagage de savoir-faire et d’automatismes qui seront très utiles pour leurs formations futures. 65 C. LANCEMENT DU PROJET 1. PISTES GRAPHIQUES ENVISAGÉES Afin de transmettre les connaissances de façon pédagogique et ludique, il faut renouveler la façon dont la science est présentée aux élèves, spécialement dans la filière arts appliqués. Quelques soient les supports, il me semble pertinent de faire intervenir la figure du scientifique, en tant que personnification de la physique ou de la chimie, mais surtout pour réintroduire une présence humaine dans cet univers froid et abstrait. Julien Bobroff, physicien et professeur à l’université Paris-Sud, et son association La Physique Autrement, essaie parallèlement de dépoussiérer la figure du chercheur et de faire tomber les vieux clichés notamment en présentant les créations de designers ou d’illustrateurs. Système de trame sur les dollars canadiens De même, il me paraît important de souligner le fait que certains scientifiques ont été également des artistes, par exemple Léonard de Vinci. L’intervention de la figure de l’artiste permettrait aussi d’installer le dialogue entre science et arts à travers un vocabulaire commun et une approche inter-disciplinaire. Le traité graphique au trait de type gravure me semble intéressant. Colorisé à la tablette, le décalage produit apporterait la modernité nécessaire tout en restant fidèle à la représentation réaliste. Premiers essais de dessins type gravure 66 Cornée Corps vitré Rétine Cristallin Fovéa Pupille Iris Nerf optique Schéma anatomique de l’œil Portrait des Frères Lumière 67 Autofocus Optique Objectif Bague de réglage focale Boîtier Croquis de l’appareil réflex Nikon D90 Molette de réglages Viseur Écran Rotation du miroir dans le boîtier 68 Réglage ISO 2. L’APPORT DE LA NARRATION La médiation scientifique peut s’opérer par différents médiums, qu’ils soient textuels, imagés, audiovisuels ou oraux. Comme il est extrêmement difficile d’enseigner sans un minimum de support, il est essentiel de donner au professeur des outils faciles à prendre en main, utilisables dans une salle de classe, – qu’elle soit composée de 34 ou de 17 élèves – , mais également constituant un outil postcours. Il s’agit de faire prendre plaisir aux élèves afin de leur donner l’envie d’apprendre, de leur faire comprendre l’intérêt de sa matière et de créer des liens avec leurs centres d’intérêts. Puisque le schéma ne suffit souvent pas à expliquer des faits concrets, il paraît ingénieux d’utiliser les personnages du scientifique et du designer et de les mettre en scène à travers une narration. Par exemple, de courtes histoires sous forme de bande-dessinée. Scott McCloud définit ces dernières comme : Portraits de Louis Daguerre et Nicéphore Niépce « un art séquentiel, constitué d’images picturales et autres, volontairement juxtaposées en séquences ». Au-delà de la bienveillance paternaliste avec laquelle on considère généralement la bande-dessinée, celle-ci pourrait alors devenir un outil de transmission à part entière. Scott McCloud, L’Art de l’Invisible, 1993 69 « Il s’agit d’une succession de dessins juxtaposés destinés à traduire un récit, une pensée, un message ; le but n’étant plus uniquement de divertir le lecteur mais parfois de transmettre au moyen de l’expression graphique ce que l’abstraction de l’écriture ne parvient pas toujours à exprimer. » sur transparents, les dépliants en relief, les impressions sur tissu et tous les usages diversifiés de la photographie. Annie Baron-Carvais, universitaire, La Bande-dessinée, Que sais-je ? N° 2212, PUF, 1985 Si Nicolas Rouvière, universitaire et critique de bande-dessinée, se plaît à souligner son potentiel quant à l’enseignement de l’histoire, des lettres ou les langues, il pointe néanmoins son absence dans le domaine des sciences à travers son article intitulé « Enseigner avec la bande-dessinée » paru sur la Revue en ligne de la Cité internationale de la bande-dessinée et de l’image, en janvier 2013. Ce déficit est dû en partie à la difficulté de rendre didactique certains aspects abstraits des sciences comme les mathématiques, ou de représenter certains ordres de grandeur. La rareté de l’image scientifique est également due aux publics concernés : pour les scientifiques par exemple, l’image est un plus mais n’est pas le plus important. Si la bande-dessinée a été exploitée, en dehors de l’école, à des fins de vulgarisation, son utilisation en classe suscite depuis longtemps beaucoup plus de débats ; ce médium a, en effet, été stigmatisé pour la pauvreté de son texte, la teneur caricaturale de ses illustrations, ainsi que pour son contenu généralement pulsionnel et violent. C’est seulement à partir des années 1970, avec la parution de l’ouvrage d’Antoine Roux, La Bandedessinée peut être éducative (publié aux éditions de l’École) que cet outil a acquis une certaine légitimité aux yeux de l’éducation nationale. De même, la création du Festival d’Angoulême, en 1974, a initié la tenue du premier Colloque international « Bande-dessinée et éducation » en 1977. Servie alors par les éditeurs, pour lesquels elle représente une manne lucrative, elle bénéficie de l’infinie diversité des talents et des styles d’illustrateurs, de graphistes et de designers de tous les pays. Elle se situe au carrefour de plusieurs moyens d’expression artistique : l’art graphique, l’art cinématographique et la littérature ; elle peut aussi recourir à d’innombrables innovations formelles et techniques comme les images imprimées 70 « Aujourd’hui, les possibilités de la bande-dessinée sont, comme elles l’ont toujours été, illimités. » Scott McCloud, L’Art de l’Invisible, 1993 De plus, la France a tendance à valoriser son histoire, d’où un surdimensionnement de bande-dessinée historique, par rapport à la médiatisation et la valorisation de la recherche scientifique. Pourtant, en Amérique, la bande-dessinée a déjà acquis droit de cité dans les milieux universitaires : plus de trois cent cinquante institutions scolaires médicales y ont adopté un manuel de thérapies comportementales nommé Contingency management in education & other equally exciting places, rédigé par Richard W. Malott, entièrement réalisé en bande-dessinée... L’utilisation de la bande-dessinée permet surtout de susciter l’intérêt et l’empathie du jeune public. Une fois le regard attiré, il s’agit de traduire, graphiquement et typographiquement, un contenu riche de sens. La bande-dessinée propose donc une lisibilité directe et universelle : par son matériel graphique et visuel, elle facilite grandement la mémorisation. Ce type d’imagerie peut donc permettre de palier les passages difficiles d’une leçon et de compléter les informations. « La bande-dessinée est un média qui est fondé sur la vue. L’auteur de bandesdessinées a à sa disposition tout l’univers de l’iconographie. Sans oublier tous les styles graphiques possibles, de l’hyperréalisme au croquis le plus simple et le monde invisible des symboles et du langage. » Comme le souligne, une fois encore, Scott McCloud, tout le vocabulaire graphique est à disposition de l’illustrateur dans l’univers de la bande-dessinée, ce qui permet de représenter ce qui est visible ou invisible. Ces contenus peuvent être encore enrichis par des apports du multimédia. Scott McCloud, L’Art de l’Invisible, 1993 Contingency management in education & other equally exciting places, rédigé par Richard W. Malott 71 3. L’ALLIANCE DU MULTIMÉDIA ET DU PAPIER Dans le cas d’un support post-cours, des documents imprimés et consultables en ligne demeurent les meilleures solutions pour pallier le déficit de manuels scolaires. De nombreux documents imprimés sont distribués aux élèves tout au long de l’année ; résumés de cours et exercices se retrouvent alors souvent perdus dans une pochette plastique ou froissés au fond d’un sac... Pour donner de la valeur à un support, il faut sortir de ces immuables formats. Les fiches de révision, par exemple, tiennent une place importante dans la vie du lycéen car elles constituent un défi en raison du rapport entre leur court format et la densité des cours qu’il faut y retransmettre. Je souhaite donc proposer deux types de supports : des fiches d’activités comportant ce double aspect science-design qui seraient complétées lors des travaux pratiques avec le professeur ainsi que des fiches de révision qui, elles, sont utilisables en autonomie et concernent l’objectif Baccalauréat. L’image y tiendrait une place essentielle, non plus seulement comme auxiliaire de l’enseignement ou agrément de l’apprentissage, mais pour ses fonctions descriptive et documentaire, qui constituent les éléments-clés de la connaissance et de sa vulgarisation. 72 La fiche d’activité se présenterait en trois parties : la première, sous forme d’un condensé du cours, contiendrait les grandes formules à compléter ; en deuxième partie serait présentée une activité mettant en application les formules de la première ; cette mise en application serait réalisée avec le professeur pendant les cours de travaux pratiques, afin d’être certain que les élèves ont saisi comment utiliser la formule ; enfin, la dernière partie concernerait le rapport entre la science et le design. Les personnages du scientifique et du designer pourraient alors intervenir de façon ponctuelle sur toute la fiche afin de servir de guides. Il est important que cette fiche soit imprimable par les élèves, à partir du site de Jean-Pascal Mauvoisin, par exemple, car le format papier permet l’annotation et la révision, quelque soit le contexte d’utilisation. Le site Internet de Jean-Pascal Mauvoisin incite à un autre élément de réflexion. Il constitue actuellement un gigantesque portail agrégateur de cours et d’activités ; cependant, pour qu’il devienne un outil réellement pédagogique, il gagnerait à être perfectionné, tant au niveau de l’interface que du contenu. En effet, cette plateforme redirige vers de nombreux liens de travaux d’élèves qui, même s’ils sont parfois bien expliqués, donnent à voir la plupart du temps des « liens morts » qui embrouillent l’élève dans sa quête de contenu utile. De plus, l’interface graphique du site actuel gagnerait à être rénovée afin d’être visuellement plus actuelle et attirante. Malgré tout, cette plateforme, déjà utilisée par les élèves, constitue pour eux un repère non négligeable. Implémenter de nouveaux contenus, du type animation vidéo ou gif, ainsi que des fiches ou contenus imprimables, transformerait cet outil en support complet et organisé. Dans certaines universités, un format spécifique s’est développé, le MOOC (Massive Open Online Course), qui permet d’implémenter en ligne des contenus multimédias comme des vidéos, des textes, des images et même des quizz afin d’évaluer les acquis des étudiants. Ce support est accompagné d’un forum sur lequel les étudiants peuvent interagir entre eux. Un tel forum paraît inutile au sein d’une classe dont les élèves se rencontrent cinq jours par semaine, tout en restant connectés sur les réseaux sociaux, mais la transformation du site en une forme hybride du MOOC pourrait être intéressante, à de multiples points de vue. 73 74 CONCLUSION « L’imagination est plus importante que la connaissance. La connaissance est limitée, alors que l’imagination englobe le monde entier, stimule le progrès, suscite l’évolution. » Albert Einstein, « What Life Means to Einstein », The Saturday Evening Post, 26 octobre 1929 Les domaines de la physique et de la chimie sont constitués de faits, d’expériences démontrables et de lois historiques. Mais au-delà de l’apprentissage des sciences se trouve une liberté ; en effet, la connaissance de ces éléments permet la création utile et réalisable nécessaire aux arts appliqués. Le design permet d’allier ce côté rationnel à l’imagination pure, le sensible qui, pour Einstein, est la plus importante des capacités. Je crois qu’il est essentiel de conserver tout au long de mon projet, ce double aspect. Si je me dois, bien sûr, être très attentive à l’exactitude des notions abordées afin de répondre à l’exigence de l’éducation, mon défi se trouve dans le fait de ressusciter l’intérêt des élèves et de l’entretenir tout au long de l’année pour les conduire à la réussite de leur examen et leur transmettre les connaissances basiques de leur vie de futurs designers. Je ne sais si, après le diplôme, j’aurai l’occasion de collaborer à nouveau avec l’éducation nationale, cependant, au point où j’en suis, tout ce que j’ai découvert me donne grandement envie de continuer à mêler science et imaginaire dans l’esprit des élèves de tout âge. 75 BIBLIOGRAPHIE OUVRAGES DE RÉFÉRENCE · Alain Bargilliat et Jacques Campbell, Éléments de sciences pour les industries graphiques (éd. Institut national des industries et arts graphiques Mesnil, 1962) · Léonce Peyrègne, Pour une pédagogie de l’image, Communications, 2 (1963) · Pierre Fresnault-Deruelle, Dessins et bulles : la BD comme moyen d’expression (éd. Éditions de l’école, 1975) · Harald Küppers, La couleur : origine, méthodologie, application (éd. Office du Livre Dessain et Tolra, 1975) · Paul Roux, La BD, l’art d’en faire manuel de l’élève, CRDP d’Ottawa (1993) · Benoit Peeters, La Bande-dessinée (éd. Dominos-Flammarion, 1993) · Daniel Jacobi, Vulgariser la science : le progrès de l’ignorance (éd. Champ Vallon, 1993) · Scott McCloud, L’Art de l’Invisible (éd. Delcourt, 1993) · Yves Baudry, Images de la pédagogie, Pédagogie de l’image (éd. Maisonneuve & Larose, 1998) · Raymond Guidot, Histoire du Design de 1940 à 2000 (éd. Hazan, 2000) · John Krige, Companion to Science in the Twentieth Century (éd. Routledge, 2002) · Philippe Meirieu, L’évolution du statut de l’image dans les pratiques pédagogiques (2003) · Institut national de Recherche pédagogique (INRP), Voir/savoir, la pédagogie par l’image aux temps de l’imprimé · Véronique Lorillot, Enseigner les Sciences physiques en STI Arts appliqués : rapport aux savoirs scientifiques et identité professionnelle (non-publié, 2004) · Paul Parsons, 3 minutes pour comprendre les 50 plus grandes théories scientifiques (éd. Trédaniel, 2010) · Sciences et Avenir, hors-série N°164 (octobre-novembre 2010) · Héloise Chochois & CIT Blackrock Castle Observatory, essai TARA: Look up and learn (2014) ÉMISSIONS & CONFÉRENCES · France Culture, Objets trouvés (2/4) : le Design, esthétique de l’objet émission d’Adèle Van Reeth avec Stéphane Vial · Conférence : Désordre, potentiel critique et seuil de compréhension dans l’apprentissage de la physique, par Laurence Viennot, le 22 janvier 2015, à l’UFR de physique de Paris 76 SITES CONSULTÉS · Éducation nationale, http://www.education.gouv.fr/ · Éduscol, La lecture de l’image, www.eduscol.education.fr/lettres/pratiques/college/ lecture_de_limage (2013) · Éduscol, Enseigner les sciences et la technologie à l’école élémentaire http://eduscol. education.fr/cid46920/enseigner-les-sciences-technologie-ecole.html · Fondation La Main à la Pâte, http://www.fondation-lamap.org/ · Site de Jean-Pascal Mauvoisin, www.physique-chimie-en-aa.fr · Exercices en ligne de Jean-Pascal Mauvoisin sur Claroline, http://www.claroline.net/ EXPOSITIONS ·M athématiques, un dépaysement soudain, du 21 octobre 2011 au 18 mars 2012 à la Fondation Cartier pour l’Art contemporain · Dessins quantiques, à partir du 6 octobre 2014 à l’Université Paris-Sud 77 REMERCIEMENTS Merci, tout d’abord à toi, Jean-Pascal Mauvoisin, pour m’avoir proposé ce projet, pour ta motivation sans faille, ton accueil et ton implication dans cette aventure, merci aussi pour toutes ces conversations où nous avons refait le monde du design et de la physique jusqu’à des heures matinales, Merci à Luce Mondor : sans votre aide lors de la rédaction de ce premier livre et vos encouragements pour débloquer mon écriture synthétique, je n’en serais pas là, Merci aussi à Sterenn Bourgeois, la merveilleuse inspectrice des espaces fines et des doubles espaces cachées, Je remercie également l’ensemble de l’équipe enseignante et Antoine Barnaud pour ces deux ans dans cette formation unique et passionnante qu’est le DSAA Design d’Illustration scientifique, Merci à mes camarades, pour les litres de café partagés, Merci à l’éducation de continuer à nous faire utiliser nos cerveaux à bon escient dans un monde où la peur et l’ignorance se répandent beaucoup trop facilement. 78 79 Composé en Unit Pro, Track et Telefono. Imprimé sur du Munken pure 120 g pour les pages intérieures, couverture peinte sur Curious Metallic Ink 300 g. Achevé d’imprimé sur les presses d’ISIPRINT Saint-Denis La Plaine, en février 2015