Proposition de correction : LA3 le portrait de Catherine Leroux

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Proposition de correction : LA3 le portrait de Catherine Leroux
Proposition de correction : LA3 le portrait de Catherine Leroux
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Introduction:
Après la domination du Romantisme dans la première moitié du XIXème siècle, certains
auteurs éprouvent le besoin de réagir contre le « sentimentalisme » attribué à ce mouvement.
Ainsi naît le Réalisme, mouvement culturel qui a pour objectif de dépeindre fidèlement la
réalité en excluant toute forme d’idéalisation. Avec les réalistes, le peuple entre dans la
littérature ; ainsi paraît Madame Bovary, en 1857, roman de Gustave Flaubert qui met en
scène une jeune héroïne déçue de sa vie provinciale. Cette œuvre fut jugée scandaleuse à son
époque et son auteur essuya un procès pour « offenses à la morale publique et à la religion ».
Au chapitre II, au cours d’un rassemblement d’agriculteurs et de propriétaires
terriens, Catherine Leroux, une vieille femme, est récompensée pour avoir passé de
nombreuses années dans la même ferme ; le narrateur brosse son portrait.
A la lumière du projet entrepris par les réalistes, le lecteur s’interrogera sur la
véritable fonction de cette description en étudiant tout d’abord le réalisme du portrait pour
mettre ensuite en évidence son caractère symbolique.
[Problématiques possibles :
- quelle est la fonction de ce portrait réaliste ?
- en quoi le portrait de Catherine Leroux est-il à la fois réaliste et symbolique ?
- en quoi ce portrait réaliste a-t-il une fonction symbolique ? … ]
I)
Un portrait réaliste de Catherine Leroux
La description est motivée par le narrateur : la présence des autres personnages aux Comices
agricoles justifie le portrait de Catherine Leroux, au moment où elle est appelée pour
recevoir sa récompense. Le verbe de perception « on vit » (l.1) et le groupe prépositionnel
indiquant un lieu visible par tous (« sur l’estrade » (l.1) peuvent éventuellement justifier un
point de vue interne, celui de la foule, et annoncent la description qui suit. [Attention :
l’emploi du verbe « paraissait » peut aussi bien faire pencher pour une focalisation externe et
donc une volonté d’objectivité et de réalisme.]
Le lecteur est ainsi dans la même position que les autres participants aux Comices : il
découvre ce personnage.
Le portrait s’organise en deux temps : le narrateur commence par effectuer le portrait
physique de Catherine Leroux avant d’entamer son portrait moral.
1) Le portrait physique
a) Progression du regard
[du général au particulier et du bas vers le haut]
La description physique suit une certaine progression du regard : le narrateur commence par
donner des indications sur son allure et son maintien : « petite, maintien craintif, se
ratatiner » (l.1-2), éléments qui pourraient ancrer le portrait dans le registre pathétique
[cela ne durera que peu, nous le verrons plus avant.
Il évoque ensuite ses pieds avec les « galoches de bois » (l.3), puis « le long des hanches »
(l.3) avant d’arriver au « visage maigre » (l.3). Il insiste sur l’âge du personnage, notamment à
travers une comparaison triviale évoquant un fruit en décomposition: « son visage […] était
plus plissé de rides qu’une pomme flétrie »(l.4-5), mais aussi sur tout une vie de travail menée
par le personnage, en se focalisant sur ses mains qui sont « encroûtées, éraillées, durcies »
(l.7) [passé de dur labeur, illustré par l’allitération en [R] ; on passe ici en focalisation zéro :
le narrateur sait tout de son personnage.]
Son apparence générale est d’emblée celle d’une femme usée par le travail comme si toute
féminité avait désormais disparu chez Catherine.
b) Les vêtements qui trahissent sa condition sociale
Le narrateur souligne également les vêtements portés par Catherine Leroux, qui complètent
le portrait physique. Ainsi, les pieds sont chaussés de « grosses galoches de bois » (l.2-3)
[allitération en [g] qui illustre la grossièreté de ces « souliers » ; contraste entre « grosses »
et maigreur du personnage], elle porte « le long des hanches, un grand tablier bleu » (l.3),
autour du visage « un béguin sans bordure » (l.4) [simplicité extrême de cette coiffe qui n’est
nullement destinée à embellir]. Enfin, ses mains dépassent « de sa camisole rouge » (l.5) [on
note la disharmonie des couleurs sur l’ensemble de la tenue].
Sa silhouette disparaît dans ses vêtements, elle semble comme prisonnière de sa condition
même
Ces précisions dans les vêtements permettent d’insister sur l’importance du travail dans sa
vie (elle conserve son tablier, même pour recevoir sa récompense), mais aussi sur sa
simplicité, comme le prouvent les matières employées ou l’absence de recherche dans la
tenue. Elles permettent également d’ancrer le portrait dans le registre réaliste.
[Transition] Le portrait physique est complété par un portrait moral à la fin de l’extrait.
2) Le portrait moral
Le portrait que dresse ici Flaubert renonce absolument au pathétique: Catherine Leroux n’est
pas un personnage qui suscite la pitié. Le romancier lui confère beaucoup plus de grandeur en
montrant une absence apparente de sentiments: « Rien de triste ou d’attendri n’amollissait
son regard pâle » (l.11).
L’aboutissement de la description se fait par un retour à la situation présente (les comices
agricoles, la remise de la médaille) et le passage à une focalisation interne : « C’était la
première fois qu’elle se voyait » (l.12). Le romancier nous met ici à la place de Catherine,
cherchant à faire partager à son lecteur l’effroi de celle-ci devant une situation qu’elle ne
comprend pas, incompréhension traduite par la succession de subordonnées interrogatives
indirectes : « ne sachant s’il fallait s’avancer ou s’enfuir, ni pourquoi la foule la poussait et
pourquoi les examinateurs lui souriaient.» (l.15-16)
[Transition] Au-delà de la description réaliste, Gustave Flaubert entend dresser de portrait
d’un personnage symbolique.
II)
Le caractère symbolique de la description
L’évocation du passé de Catherine Leroux permet à Flaubert de mettre en avant les
souffrances subies et de susciter le respect, voire l’admiration du lecteur pour son
personnage.
a) Une mise en scène théâtrale
Le réalisme de la scène est battu en brèche par l’imposture de la mise en scène. En effet,
d’emblée avec « on vit » (l.1), la servante est objet de spectacle et tous les éléments
théâtraux sont présents. « L’estrade » (l.1) sur laquelle monte la vieille femme, est une scène
qui isole plus qu’elle n’élève. « Les drapeaux » et « les tambours » (l.14) font office de décor,
créant la méfiance du personnage (« effarouchée, l.13). « La foule » (l.16) constitue un public
avide de divertissement. Enfin, les costumes typiques qui s’opposent : le « tablier bleu » (l.3)
de la pauvre servante, et l’« habit noir » des messieurs (l.14) autant que « la Croix d’honneur
du Conseiller » (l.14-15) des « bourgeois épanouis » (l.17).
[Transition] Cette mise en scène cruelle humilie celle qu’on prétend honorer ; cependant,
grâce à la fonction symbolique du portrait de Catherine Leroux, les rôles s’inversent, suivant
le vieil adage « les derniers seront les premiers ».
b) Une progression dans la désignation : de la servitude à la grandeur
D’abord nommée « une petite vieille femme » (l.1), elle est présentée par la périphrase « ce
demi-siècle de servitude » à la toute fin du texte. Cette expression signale au lecteur que le
personnage doit être considéré comme emblématique.
Les mains, tout d’abord, qui sont bien sûr symboliques du travail accompli par Catherine
Leroux: le hiatus désagréable [confrontation de deux voyelles] « deux mains à articulations
noueuses », laisse présager les souffrances endurées.
Ces mains de la vieille servante sont métonymiques du personnage ; elles symbolisent le
travail, la servitude. La longue description des mains raconte son humble histoire ; elle a une
fonction à la fois narrative et critique ; témoins silencieux et irréfutables, elles "racontent"
à celui qui sait les déchiffrer une longue histoire d'exploitation et de mépris. Relevons par
exemple les énumérations, au rythme ternaire qui contribue à amplifier cette idée : « La
poussière des granges, la potasse des lessives et le suint des laines » (l.6-7). Ces mains enfin,
« entrouvertes » (l.8-9), prêtes à recevoir la récompense, sont comme en prière et font
penser à la figure du Christ. Ainsi, pour illustrer cette idée d’une Catherine Leroux présentée
en martyre [image de sainteté], on relèvera l’adjectif « monacale » (l.10) qui qualifie
« l’expression de sa figure » (l.10).
Enfin, lecteur retiendra l’animalisation du personnage à la ligne 12 avec les mots « mutisme »
et «placidité » qui renvoient aux bovins, suggérant ainsi un mimétisme entre la vieille femme
et les animaux, comme si elle était capable désormais de comprendre un autre règne que le
sien.
[Transition] Face à elle, qui ne laisse rien montrer de ses émotions, le narrateur oppose le
sourire des examinateurs et des bourgeois qui la regardent.
c) « ces bourgeois épanouis »
Flaubert dénonce dans ce texte la violence qui est ici infligée à Catherine Leroux, à qui l’on
demande d’accepter publiquement la condition servile qui est la sienne. La dernière ligne du
passage, qui oppose clairement bourreaux et victime, est particulièrement forte.
L’utilisation du démonstratif « ces » dans l’expression « ces bourgeois épanouis » [remarque :
polysémie de l’adjectif épanouis : satisfaits, comblés, gros -> ironique] (l.17) donne les
personnages à voir aux lecteurs et accentue la dénonciation : ils sont comme montrés du
doigt. Attribuer une médaille à Catherine Leroux est présenté comme la juste récompense de
son asservissement, ce qui semble donner bonne conscience à ceux qui l’ont exploitée
Conclusion :
Ainsi nous l’avons vu, le réalisme du portrait est mis au service de la dénonciation en
présentant un personnage allégorique de sa condition sociale. Flaubert utilise ainsi les
artifices du réalisme pour élaborer un personnage-type , [notion importante !] reflet de son
époque, et représentatif d’un monde ouvrier servile au service d’une bourgeoisie plus nantie.
Il illustre bien son « entreprise », évoquée dans sa correspondance : " On me croit épris du
réel, tandis que je l'exècre. C'est en haine du réalisme que j'ai entrepris ce roman. Mais je
n'en déteste pas moins la fausse idéalité, dont nous sommes bernés par le temps qui court. "
(A Edma Roger des Genettes, 30 octobre 1856).
Flaubert esquisse là un portrait de femme, qu’il reprendra ensuite avec le personnage de
Félicité, l’héroïne de « Un cœur simple » dans Trois contes (1877). Usées et exploitées, les
deux femmes sont paradoxalement grandies dans les deux romans.
OU autre ouverture possible :
Flaubert, en décrivant le corps d’une femme usée par une vie de labeur, annonce le naturalisme
de la fin du XIXème siècle et des auteurs comme Emile Zola, décrivant le milieu des mineurs
dans Germinal (1885).

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