Paris, le 2 avril 2007

Transcription

Paris, le 2 avril 2007
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
LIBERTÉ - ÉGALITÉ - FRATERNITÉ
Denys ROBILIARD
Député de Loir-et-Cher
La réponse à l’afflux d’exilés ne peut qu’être européenne
Etat des lieux
L’arrivée massive de réfugiés nous interpelle tous. On ne peut réfléchir utilement à son propos que dans
son contexte. Quelques données statistiques permettent de mesurer en grande partie les enjeux.
Depuis le début de la guerre civile en Syrie, il y a quatre ans et demi, 12 millions de personnes ont été
déplacées, sur une population globale de 23 millions d’habitants, dont 7,6 millions à l’intérieur du pays,
parce qu’ils n’ont d’autre choix.
98% des presque 5 millions d’exilés syriens ont fui dans des pays limitrophes : 2 millions en Turquie, pays
qui compte 75 millions d’habitants (la moitié de ces réfugiés se trouvent dans la seule ville d’Istanbul), 1,1
million au Liban, ce qui représente désormais 25% de la population, 630 000 en Jordanie, 250 000 en Irak et
132 000 en Egypte. Ainsi que l’a souligné l’un des nombreux commentateurs de la situation, « une nouvelle
Palestine est en train de se constituer » dans la région.
La cheffe de la diplomatie de l’Union européenne, Frederica Mogherini, estime à 430 000 le nombre de
réfugiés syriens arrivés depuis le début du conflit dans l’Union européenne, laquelle compte 500 millions
d’habitants et dont la proportion de réfugiés est de 0,1%.
A ces ressortissants syriens, il convient d’ajouter des migrants d’autres pays, Erythréens et Soudanais bien
sûr, également touchés par des troubles internes d’une grande gravité, mais également d’autres pays
comme l’Irak, l’Afghanistan, l’Iran ou ceux des Balkans (Kosovo, Albanie) et du reste de l’Afrique.
Pour le premier semestre de l’année 2015, Frontex, l’agence européenne des frontières, a déjà recensé 500
000 franchissements de frontières à destination du territoire de l’Union européenne, contre 280 000 pour
l’ensemble de l’année 2014. 80% des migrants démunis de visas se rendent en Europe par la Méditerranée.
En 2014, la demande d’asile en France fut en baisse, de 5%, par rapport à l’année précédente, alors qu’elle
augmentait de manière significative dans les autres pays européens, de 44% en moyenne sur l’ensemble de
l’Union européenne, avec un bond de 60% en Allemagne et de 50% en Suède.
Les prévisions pour l’année 2015 sont de 60 000 demandes en France, ce qui est proche, voire en baisse
par rapport à l’année 2014. Elles sont estimées à 800 000 en Allemagne, soit treize fois plus qu’en France,
toutes nationalités confondues. Aujourd’hui, elles sont même révisées à 1 million.
126, rue de l’Université, 75355 Paris cedex 07
Tél. : 01 40 63 53 58 – Fax : 01 40 63 51 19 – Email : [email protected]
www.denys-robiliard.fr
Pour le premier semestre de l’année 2015, la demande d’asile syrienne occupe une place importante et
elle est aussi inégalement répartie entre les Etats membres de l’Union européenne : sur 30 000 demandes
enregistrées dans l’ensemble de l’Union, on en recense 13 850 en Allemagne, soit un tiers du total, 3 205
en Suède, 2 800 aux Pays-Bas, 2 025 au Danemark, dont la France est proche puisqu’elles y sont au nombre
de 2 072. Elle a été multipliée par presque 13 en Hongrie.
La part de la demande d’asile traitée en France est de 10% par rapport à l’ensemble de l’Union
européenne. Le taux de réponse favorable est de 21,7% alors qu’il est en moyenne de 45% pour l’Union
(41,6% en Allemagne et 76,8% En Suède). Précisons que les autorités françaises reconnaissent une
protection internationale aux ressortissants syriens et érythréens dans environ 75% des cas.
Enfin, pendant les mois de janvier à août 2015, 2 760 personnes ont péri en Méditerranée en tentant de
gagner les côtes européennes, contre 2 223 pour la même période en 2014.
Système européen de l’asile
L’asile est une garantie autant internationale que constitutionnelle. Les Etats qui se sont engagés à le
respecter y sont astreints de manière obligatoire et ne disposent en principe d’aucun choix d’opportunité.
En outre, le système européen de l’asile n’est pas unifié, dans la mesure où chaque Etat membre de l’Union
européenne détermine souverainement les conditions d’octroi de la protection qui lui est demandée. Les
accords négociés jusqu’à ce jour concernent principalement la répartition de ce qui est souvent perçu
comme une charge. Ainsi, le règlement dit « de Dublin » prévoit qu’il est possible de présenter une
demande d’asile dans un seul Etat membre de l’Union et celui-ci est déterminé selon des critères imposés
aux requérants, le principal étant celui du franchissement de la frontière européenne : l’Etat responsable
est donc celui de première entrée sur le sol européen. Afin d’identifier cet Etat, toute demande d’asile
donne lieu à un relevé d’empreintes digitales conservé sur le fichier dénommé Eurodac. C’est la première
formalité qui est accomplie lorsque la demande d’asile est exprimée. Elle permet aux autorités de chaque
Etat de s’assurer qu’aucune demande préalable n’a été présentée, y compris sous une identité différente.
A défaut, l’Etat saisi doit organiser le transfert de l’intéressé vers l’Etat désigné comme responsable. Ce
dernier est chargé soit de traiter la demande d’asile, soit de procéder à l’éloignement du territoire de
l’Union européenne, si l’intéressé a déjà été débouté de sa demande de protection.
La plupart des demandeurs d’asile se présentent aux frontières dépourvus de documents transfrontières
(passeports et visas) et 80% des entrées irrégulières se font par la Méditerrané. Les principaux Etats
membres concernés sont aussi ceux du sud de l’Union : Italie, Grèce et désormais dans une moindre
mesure, l’Espagne. C’est ainsi que des lieux de premier contact avec l’Europe portent des noms souvent
familiers : Ceuta et Melilla, Lampedusa ou Kos et Lesbos.
La charge pèse donc de manière très inégale entre les différents Etats membres de l’Union européenne et
sa répartition repose sur la confiance que se font les Etats entre eux, notamment ceux du nord vis-à-vis de
ceux du sud, à propos du relevé des empreintes et donc du signalement sur le fichier Eurodac.
En fait le système Dublin ne fonctionne pas et ce, pour deux principales raisons. Tout d’abord, les Etats
responsables étant débordés et souvent démunis, car de niveau économique plus faible que leurs voisins
du nord, ils ne disposent pas de structures adaptées, même à un premier accueil, de telle sorte qu’ils ont
été à plusieurs reprises condamnés, tant par la Cour européenne des droits de l’homme (il y a encore
quelques jours) que par la Cour de justice de l’Union européenne. Concrètement, cela rend tout transfert à
destination de ces Etats impossible. Ceux-ci deviennent de simples pays de transit et les Etats de
destination finale se voient dans l’obligation de traiter les demandes d’asile. Ensuite, depuis l’entrée en
vigueur du système Dublin, au début des années 1990, les statistiques révèlent un taux très élevé de nontransferts d’un Etat membre à un autre Etat membre car leur mise en œuvre est particulièrement
complexe.
C’est ainsi, par exemple, que l’Allemagne et la Suède, qui ne sont pas des pays d’entrée sur le territoire de
l’Union européenne, sont les Etats le plus souvent saisis pour traiter de fait des demandes d’asile. C’est
ainsi aussi que d’aucuns qualifient de plus en plus la France comme un pays de transit et non plus comme
une destination finale. On le constate particulièrement à Calais.
De manière plus conjoncturelle, l’afflux massif constaté depuis plusieurs mois révèle clairement que le
traitement des demandes d’asile ne peut être opéré par les deux principaux pays d’entrée concernés,
l’Italie et la Grèce, et qui sollicitent légitimement la solidarité de leurs partenaires.
La question est de savoir comment cette solidarité peut être organisée tant que les Etats membres
refusent de remettre entièrement à plat le système existant.
Les solutions avancées
La réponse peut venir des institutions de l’Union européenne, ou d’un Etat membre.
Après le naufrage d’une embarcation contenant 800 personnes au printemps dernier, la Commission
européenne, qui dispose d’un rôle d’impulsion parmi les institutions de l’Union européenne, a annoncé
qu’elle proposerait un système de répartition entre les Etats membres. Celui-ci comporte deux séries de
mesures : les relocalisations et les réinstallations. Les premières dérogent ponctuellement au système
Dublin et répartissent entre les Etats membres les personnes ayant manifestement besoin d’une protection
internationale et qui sont déjà sur le territoire européen. Les secondes concernent les personnes qui sont
dans le même besoin et qui se trouvent encore dans un pays tiers, dont l’admission dans l’Union
européenne est fortement recommandée par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.
Une clé de répartition a été définie selon la taille de la population, le PIB, le nombre moyen de réfugiés
réinstallés et de demandes d’asile spontanées par tranche de 1 million d’habitants pour la période de 2010
à 2014 et enfin, le taux de chômage.
Ce système avait été discuté lors du Conseil européen du 25 juin 2015 mais la majorité des Etats membres
l’avait rejeté.
L’afflux s’est encore accru pendant l’été. Si les Etats reconnaissent qu’une solution efficace ne peut être
recherchée qu’au niveau européen, les mêmes Etats ont multiplié les obstacles à son adoption.
Parallèlement, des mesures de restriction draconiennes étaient annoncées, telle la construction, pour le 1er
septembre, d’un grillage par les autorités hongroises, le long de la frontière avec la Serbie, soit sur une
longueur de 175 kilomètres.
La situation a basculé lorsque la Chancelière allemande a annoncé qu’elle renonçait à procéder au relevé
des empreintes digitales des demandeurs syriens. Autrement dit, elle a passé outre le règlement Dublin et
accueilli sans restriction tous les demandeurs d’asile syriens. Elle a ainsi reconnu la charge qui pèse sur
l’Italie et la Grèce et rendu son pays attractif. Cela a généré des arrivées massives dans les gares
allemandes, par exemple 20 000 personnes pour les seuls 5 et 6 septembre.
Pendant ce temps, les cadavres se multiplièrent au large des côtes méditerranéennes. La publication de la
photo d’un enfant noyé échoué sur une place turque a provoqué une vague d’émotion. La gare de
Budapest, fermée pendant deux jours, fut prise d’assaut par les réfugiés. Le gouvernement hongrois a
annoncé le déploiement de 4 000 militaires à ses frontières et l’entrée en vigueur d’une loi
particulièrement répressive à l’égard des étrangers dépourvus de documents.
Des commissaires européens et le HCR ont rappelé que l’admission en Europe de 200 000 personnes était
tout à fait « gérable ». Il fut donc décidé de tenir un nouveau Conseil européen, le mardi 15 septembre
avec des orientations annoncées préalablement.
La Commission européenne proposa de nouveau le système des relocalisations écarté lors du Conseil
européen du 25 juin, sur une base de 12 000 personnes (qui s’ajoutent aux 40 000 personnes déjà décidées
au mois de juin), tout en tentant de le rendre plus attractif, en annonçant que pour chaque personne
réinstallée sur leur territoire, les Etats membres recevraient une aide de 6 000 euros d’un Fonds spécial,
qui serait d’ailleurs en partie alimenté par une contribution obligatoire mise à la charge des Etats
défaillants.
Plusieurs Etats membres l’ont catégoriquement refusé avant même la réunion du Conseil, notamment ceux
réunis au sein du groupe dit de Visegrad (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie), deux des
pays baltes et, discrètement, l’Espagne.
Le 13 septembre, Angela Merkel annonça qu’elle n’était plus en mesure d’accueillir l’afflux de réfugiés et
rétablit les contrôles à ses frontières, dérogation prévue par les accords de Schengen. Elle fut suivie dès le
lendemain par la Slovaquie et l’Autriche.
Le 14 septembre, François Hollande décida unilatéralement d’accueillir 24 000 réfugiés dans les deux ans. Il
se rapprochait ainsi très fortement des préconisations qui avaient été formulées par la Commission
européenne. C’est moins que ce qui aurait résulté d’un engagement européen qui aurait pu être pris lors
du Conseil européen du 15 septembre, puisque selon la clé de répartition, la France aurait du soulager
l’Italie de 7 175 personnes, la Grèce de 12 794 personnes et la Hongrie de 10 814 demandeurs, soit un total
de 30 783 personnes.
Ce nombre vient s’ajouter aux 6 750 personnes que la France a acceptées au mois de juillet dernier au titre
de la relocalisation de réfugiés en Europe.
L’effort consenti représente 0,05% de la population française et 0,6% des 4 millions de réfugiés syriens.
Le Conseil européen du 15 septembre a échoué mais le Conseil de l’Union européenne qui s’est tenu le
mardi 22 septembre est parvenu à adopter un accord contraignant sur la relocalisation en deux temps de
120 000 personnes. Il a été voté à la majorité qualifiée, la Roumanie, la République tchèque, la Hongrie et
la Slovaquie s’y étant opposés et la Finlande s’étant abstenue. La Pologne, qui avait émis des réserves, s’est
finalement ralliée à la majorité.
Les 120 000 personnes qui seront relocalisées proviennent de Grèce, d’Italie et de Hongrie. Mais en raison
du refus de la Hongrie de participer au mécanisme de relocalisation, celui-ci a été remanié et fonctionnera
en deux temps. Les Etats membres de l’Union européenne relocaliseront d’abord 50 400 réfugiés se
trouvant en Grèce et 15 600 présents sur le sol italien. Les 54 000 restants, qui étaient initialement prévus
pour la Hongrie, seront redéployés vers l’Italie et la Grèce, mais la Commission européenne pourra
également proposer qu’ils soient pris en charge par d’autres Etats membres qui ont accepté de participer
au mécanisme.
Quant aux députés du Parlement européen, ils débattent déjà de l’éventualité d’un mécanisme permanent
de relocalisation et d’une liste commune de pays tiers d’origine sûrs. Ce dernier aspect mérite également la
plus grande attention, tant du point de vue du principe (au cours des débats sur la réforme de l’asile, j’avais
d’ailleurs clairement manifesté le souhait de voir ce mécanisme supprimé - http://www.denysrobiliard.fr/IMG/pdf/analyse_droit_asile_17-12-14.pdf) que de celui des pays qui figureront sur la liste.
Certains députés européens ont ainsi déjà exprimé leurs réserves à propos de la présence de la Turquie et
du Kosovo sur cette liste.
L’engagement est aussi à comparer avec les 150 000 juifs russes que les Français ont accueillis ou les
500000 Républicains espagnols ayant fui le régime de Franco ou encore les 123 000 boat-people du sud-est
asiatique après 1975.
Quoi qu’il en soit, l’élan de générosité et de solidarité est en cours d’organisation et j’y suis
particulièrement attentif.
Les moyens financiers sont mobilisés pour un total de 600 millions d’euros, dont un tiers proviendra du
Fonds européen. Cette somme est à comparer avec les 6 milliards d’euros estimés pour l’Allemagne et le
financement pour la création en urgence de 300 000 logements dans ce pays. 279 millions d’euros seront
débloqués d’ici à la fin de l’année 2016 au titre du premier accueil, de l’hébergement d’urgence, de l’aide
forfaitaire destinées aux communes (1 000 euros par place accordée en faveur d’un réfugié) ainsi que pour
le renforcement des effectifs des services qui seront amenés à contribuer à l’accueil des réfugiés (Office
français pour la protection des réfugiés et apatrides, Office français de l’immigration et l’intégration,
Education nationale notamment). 250 millions d’euros seront débloqués au cours des douze prochains
mois, dont 130 dès le mois prochain, en faveur de l’hébergement d’urgence et de la veille sociale.
De nombreux maires ont répondu à l’invitation du gouvernement à une Conférence qui s’est tenue le 12
septembre dernier. Il s’agissait de coordonner et articuler les différentes initiatives d’accueil des
collectivités.
A mon sens, il s’agit de veiller à ce que l’accueil qui sera réservé aux nombreux réfugiés soit correctement
structuré et pérenne et qu’il comprenne tous les dispositifs d’accompagnement nécessaires pour favoriser
une insertion rapide et de qualité.
Je ne partage pas l’analyse du gouvernement et des décideurs européens qui renforcent parallèlement les
mesures restrictives, telles la mise en place de garde-frontières européens, le rétablissement des contrôles
aux frontières françaises, notamment à Menton, ou les moyens accordés à la police aux frontières.
Je suis également très réservé sur les modalités de la solution avancée des « hotspots », ces centres de
sélection dont la création est imminente en Grèce, en Italie et en Hongrie. Il s’agirait de procéder à une
sélection en amont des situations ouvrant droit à une protection internationale. Rien n’est dit sur les
conditions matérielles qui prévaudront dans ces centres, ni sur les critères de tri qui sera effectué. Je n’ai
pas la garantie que ce ne soient pas des lieux d’enfermement alors que les demandeurs d’asile n’ont
normalement pas à être détenus.
Le droit d’asile est un droit inconditionnel et non d’opportunité. Il conviendrait d’ailleurs de réserver les
meilleures conditions d’accueil également aux réfugiés qui réclameraient une protection qui leur est
nécessaire en se rendant en France en-dehors du processus de relocalisation qui vient d’être décidé. Pour
cette même raison, il conviendrait de veiller à ce que tous ceux qui souhaitent se rendre en France puissent
accéder à notre territoire. C’est pour cela que le 4 août dernier, j’ai interrogé le ministre de l’intérieur sur
les conditions d’obtention de visas pour les réfugiés syriens en quête de protection
(http://questions.assemblee-nationale.fr/q14/14-86367QE.htm). Je regrette que cet aspect soit pour
l’instant passé sous silence. La question des visas de transit aéroportuaire, qui sont pourtant, en l’état
actuel du droit, exigés des ressortissants syriens n’a pas non plus été traitée. Ils devraient être purement et
simplement abrogés car il s’agit, là encore, d’un instrument permettant d’effectuer un filtre injustifié.
Plus globalement, je souhaite vivement que les évènements qui nous occupent tous génèrent une réflexion
en profondeur à propos d’un véritable système européen d’asile, à commencer par une remise en cause du
mécanisme Dublin et de la répartition des demandeurs d’asile au sein de l’Union européenne.
23 septembre 2015