La sortie de l`école
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La sortie de l`école
1 LA SORTIE DE L'ECOLE _______________ Chantal de Trivières a été élevée au Couvent des Oiseaux et est arrivée vierge au mariage. Ceci n'est pas forcément le corollaire de cela, mais les deux propositions sont vraies. Pourquoi le cacher alors même que son mari Xavier, Président -Directeur général de la Société Trivières et fils n'en fait aucun mystère auprès de ses amis. Le couple est heureux comme peuvent l'être les habitants de l'avenue Victor-Hugo. L'univers de Chantal est tout entier inscrit dans un triangle dont les sommets sont le Trocadéro, l'Etoile et la Porte Dauphine. A quoi bon sortir de cet univers familier et douillet puisqu'on y trouve tout, même les amis? Sophie de Trivières a huit ans. C'est la fille unique. Elle va à l'école communnale de la rue Boissière parce que les écoles communales du seizième arrondissement sont bien fréquentées: les filles de concierges sont bien élevées, les petites espagnoles sont bien propres et on n'y trouve pas d'arabes. Pourtant, dans le quartier il y a au moins un arabe: il s'appelle Ali; il a soixante ans; il est retraité; il est seul dans la vie. Sa femme et ses trois filles sont mortes vingt ans plus tôt dans la catastrophe aérienne du vol Alger-Paris. Travailleur immigré, il avait réussi à acquérir, sinon une situation, du moins un emploi suffisamment stable chez Renault pour faire venir sa famille en France et mettre fin à une séparation qui lui pesait de plus en plus. Au moment où la vie semblait pouvoir prendre un cours normal et ressembler à celle de ses camarades d'usine, la mort avait frappé tout ce qui comptait pour lui: sa femme et ses trois petites filles: Leïla, Djamila et Malika, 12 ans, 10 ans et 8 ans, des âges qui correspondaient aux voyages biennaux au pays. Ali n'avait guère pleuré. Il était resté prostré plusieurs semaines, et puis il avait repris le chemin de l'usine et avait loué une chambre- cuisine dans un sixième étage de la rue Boissière. 1 -7- 2 Il est maintenant à la retraite. Il n'a pas le courage de retourner en Algérie. Il préfère déambuler dans le quartier. Chaque fois qu'il croise une petite fille son coeur bat très fort... En prenant de l'âge, comme il n'a rien à faire, à quatre heures et demie, il va à la sortie des écoles et dévisage toutes ces jolies petites filles auxquelles il trouve des ressemblances avec les siennes. Depuis six mois, chaque soir, il attend à la sortie de l'école de la rue Boissière qu'apparaisse la si jolie petite brune qui ressemble à Leïla: elle s'appelle Sophie. Le plus souvent sa maman vient la chercher. Parfois Sophie jette un coup d'oeil et, ne voyant personne, descend la rue Boissière en direction de la place Victor-Hugo...Probablement la maman aura eu un empêchement.... Tous les après-midi à quatre heures et demie, il est là, fidèle au poste; petit, voûté, flottant dans son vieil imperméable beige qui lui descend jusqu'aux pieds, il surveille la sortie des enfants. Son coeur se serre lorsqu'il voit les fillettes se jeter au cou de leur mère. Les enfants lui sourient au passage; il leur est devenu un personnage familier. Quelquefois il tire un bonbon de sa poche et le donne à une petite fille qui lui sourit gentiment. Un jour il voit Sophie sortir les larmes aux yeux. Sa mère n'est pas là. Elle semble hésiter à rentrer chez elle. Ali s'enhardit à lui demander ce qui ne va pas. Elle lui répond avec des sanglots dans la voix qu'elle a eu une mauvaise note et qu'elle a peur de se faire gronder. Ali essaye de la consoler. Il lui dit: "Attends moi là" et deux minutes plus tard il revient avec une sucette au caramel. Sophie le remercie entre deux hoquets et prend congé de son nouvel ami juste au moment où sa mère surgit au détour de la rue Lauriston. Voyant sa fille en conversation amicale avec un arabe, Chantal se précipite. Elle saisit Sophie par la main et l'attire contre elle: "Qui t'a donné cette sucette?". "C'est le monsieur",fait Sophie en désignant du menton le responsable confus.. "Veux-tu me jeter cela toute suite! Je t'ai déjà interdit d'accepter quoi que ce soit de messieurs que tu ne connais pas!". Elle s'éloigne après avoir jeté un regard lourd de signification vers Ali qui peut entendre: "Un arabe, en plus! C'est ton père qui va être content!". Ali hausse les épaules et s'éloigne lentement. Les semaines suivantes Chantal vient chaque jour chercher sa fille à l'école..Elle parle à d'autres mamans; elles ont, elles aussi remarqué le manège du vieux qui donne des bonbons aux petites filles. Mais, pas 2 -7- 3 plus que l'institutrice, elles ne semblent attacher d'importance au manège d'un personnage qui leur paraît inoffensif. Chantal ne voit pas les choses de cet oeil: elle connaît les arabes et sait leur penchant pour les petites filles. Elle a entendu dire au Couvent des Oiseaux, par ses petites amies que les arabes avaient des sexes d'une dimension démesurée et qu'ils ne pensaient qu'à "ça".. Elle a d'ailleurs eu confirmation de ce fait, tout au moins pour ce qui concerne la dimension, dans un film pornographique que son mari l'avait emmenée voir à Copenhague lors de leur voyage de noces. L'image l'avait hantée quelque temps mais, revenue à Paris, elle s'était contentée des attributs beaucoup plus modestes, à l'échelle humaine, de son époux.. A vrai dire, actuellement, Chantal n'est pas très portée sur la chose. Xavier a des pulsions soudaines, qui la prennent trop souvent au dépourvu, et ne lui laissent guère le temps de trouver un quelconque plaisir à de trop brèves étreintes.. C'est pourquoi, depuis quelques années, lorsque son mari s'est endormi, Chantal se rattrappe souvent la nuit. Depuis qu'elle a vu “Le dernier tango à Paris" elle s'organise son petit cinéma personnel: elle visite un appartement vide et là, viennent la retrouver tantôt Alain Delon, tantôt Gérard Depardieu, tantôt JeanJacques Ravier, le fils de son amie Lea, qui a seize ans et qu'elle initie en imagination aux jeux de l'amour..Ces escapades nocturnes sont la petite compensation qu'elle s'accorde aux étreintes brutales et trop rapides de l'homme qui ronfle à ses côtés. L'épisode de la rue Boissière l'a profondément troublée et a enrichi ses phantasmes nocturnes d'une variante qu'elle ne peut éviter: alors qu'elle est prête à s'abandonner aux bras d'Alain Delon, entre brusquement dans l'appartement un arabe qui a les traits d'Ali et qui brandit dans ses deux mains un sexe d'une dimension effrayante; il chasse Alain Delon, oblige la pauvre Chantal à se livrer aux pires turpitudes et ne la lâche qu'une fois arrivé à ses fins. Chantal perd le sommeil. Elle craint de s'endormir, sachant qu'elle sera réveillée en sursaut par son visiteur nocturne et, qu'une fois encore, elle devra y passer. Elle n'a plus d'appétit. Elle maigrit, devient nerveuse, se refuse à son mari, prétextant la fatigue. Elle a peur pour sa fille. En allant la chercher à l'école, elle aperçoit de loin la silhouette voûtée d'Ali et elle sait à quoi pense le vieil exhibitionniste en donnant des bonbons aux petites filles. Elle sait ce qu'il cache sous son imperméable soigneusement boutonné. 3 -7- 4 Elle a interrogé sa fille discrètement. Les réponses semblaient manquer de franchise.... C'est certain: l'arabe lui a montré quelque chose et elle n'ose pas en parler. Les rêves se font plus obsédants: Delon et Depardieu se sont fait la malle. Chantal passe ses nuits à subir les assauts d'Ali; depuis peu il a amené des camarades pour assister à ses exploits. Elle devient très malade. Les plus grands spécialistes appelés en consultation n'y comprennent rien; ils ne peuvent pas deviner que, dans la journée, Chantal a peur pour sa fille et que, la nuit, elle s'immole en victime expiatoire. Un jour,les joues creuses et les yeux rougis par l'insomnie, elle arrive à l'école et que voit-elle! Ali tendant une sucette à sa fille. Pour la première fois son imperméable est déboutonné. Le pire va se produire. Chantal se précipite en hurlant: "Alors, vieux cochon, tu vas enfin nous la montrer ta grosse queue!". Et joignant le geste à la parole elle écarte les deux pans du vêtement sous l'oeil étonné des mamans. N'y trouvant rien qui pût justifier son indignation elle s'acharne sur l'entrejambe du malheureux: "Salaud! Tu la caches! Mais je la sens; elle est bien là!". Il faut l'emmener de force. Elle se débat en vociférant: "Salaud! Cochon! Vicieux!". Chantal devra faire un long séjour en maison de repos. Ali préfère ne pas reparaître à la sortie des écoles, ce qui prouve bien qu'il n'a pas la conscience tranquille et qu'il n'y a pas de fumée sans feu. 4 -7-