L`écharpe de portage : un outil kinésithérapique
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L`écharpe de portage : un outil kinésithérapique
IFPEK IFMK L’écharpe de portage : un outil kinésithérapique ? En vue de l’obtention du diplôme d’état de masseur-kinésithérapeute LINARES CRUZ Gwendoline 2012/2013 Selon le code de la propriété intellectuelle, toute reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur est illégale. IFPEK IFMK L’écharpe de portage : un outil kinésithérapique ? Sous la direction de KOSTUR Laurent En vue de l’obtention du diplôme d’état de masseur-kinésithérapeute LINARES CRUZ Gwendoline 2012/2013 Remerciements Je remercie Laurent Kostur, mon directeur de mémoire, pour les conseils précieux qu’il m’a délivrés tout au long de l’élaboration de ce travail écrit de fin d’études. Je remercie également toutes les personnes que j’ai sollicitées, kinésithérapeutes et conseillères de l’Association française de portage des bébés, pour leur aide et l’intérêt qu’elles ont porté à mon mémoire. Je remercie enfin ma famille pour son soutien et sa disponibilité. Résumé Contexte : Des kinésithérapeutes se forment au portage en écharpe afin de le proposer aux parents d’enfants à risque de handicap d’origine périnatale ou de s’en servir en séances de rééducation. Objectif de l’étude : Il s’agit d’une étude analytique, fondée sur la revue de littérature et l’avis d’experts, qui répond à la problématique suivante : en quoi le portage physiologique constitue-t-il un outil de rééducation pertinent au sein d’un programme d’intervention précoce des troubles du développement neuro-moteur ? L’étude a pour but de tester deux hypothèses : - Le portage en écharpe répond aux objectifs de l’intervention précoce. - Le kinésithérapeute peut recourir à l’outil que représente le portage en écharpe dans le cadre de l’intervention précoce. Plan de rédaction : Une première partie pose le contexte de l’étude puis une deuxième partie développe la méthode utilisée pour répondre à la problématique, les résultats obtenus et une discussion du travail. Discussion : On retrouve une cohérence externe entre la littérature et l’avis d’experts pour définir un intérêt au portage en écharpe dans le cadre de l’axe éducatif de l’intervention précoce, avec pour le kinésithérapeute un rôle de conseil vis-à-vis de cet outil. L’étude met en évidence des divergences en ce qui concerne les modalités d’application pratique du portage en écharpe. Les biais méthodologiques amenuisent la validité interne de l’étude qui ne peut donc pas prouver la confirmation des hypothèses de travail. Conclusion : L’applicabilité clinique du portage en écharpe est soumise à la sensibilité de chaque kinésithérapeute en fonction de ses formations et de son expérience professionnelle et personnelle du portage. Mots clés Portage en écharpe ; handicap d’origine périnatale ; intervention précoce ; nourrisson. Summary Context: Physiotherapists are getting trained for infant ring sling carrying in order to suggest its use to parents of children who bear a risk of perinatal due handicap, or to use it during physiotherapy sessions. Aim of the study: This analytical study is based on a literature review and experts’ opinions. It deals with the following issue: How can physiological carrying be a relevant physiotherapy tool within early intervention programmes for neuromotor development disorders? The study aims at testing two hypotheses: - Infant ring sling carrying matches the objectives of early intervention. - Physiotherapists can use infant ring sling carrying as a tool within early intervention. Writing plan: The first part sets the context of the study. Then the second part explains the method which was used to deal with our issue, the obtained results and a discussion about the work. Discussion: Both literature and experts’ opinions externally acknowledge that infant ring sling carrying is useful within the educational line of early intervention, physiotherapists acting as advisors for that tool. But opinions differ when it comes to the practical application modalities of ring sling carrying. Method biases reduce the internal validity of the study, thus our work hypotheses can’t be proof confirmed. Conclusion: The clinical applicability of infant ring sling carrying depends on each physiotherapist’s own sensitivity, training, professional and personal experience in carrying. Key words Infant ring sling carrying; perinatal due handicap; early intervention; infant. Sommaire I. Introduction ............................................................................................................................. 1 II. Partie I : Contexte de l’étude ................................................................................................. 4 A. Contexte postural ............................................................................................................... 4 1. Déficience tonique et posturale d’origine périnatale ...................................................... 4 2. Evolution à risque ........................................................................................................... 5 3. Intervention précoce : contrôle de la posture .................................................................. 7 B. Contexte sensoriel .............................................................................................................. 7 1. Le développement neuro-moteur nécessite des entrées sensorielles .............................. 7 2. Intervention précoce : stimulations sensorielles ............................................................. 9 C. Contexte psychique/émotionnel/ cognitif .......................................................................... 9 1. Contexte psychique ......................................................................................................... 9 2. Contexte émotionnel ..................................................................................................... 11 3. Contexte cognitif ........................................................................................................... 12 III. Partie II : Méthodes, résultats, discussion .......................................................................... 13 A. Méthode ........................................................................................................................... 13 B. Résultats ........................................................................................................................... 13 1. Résultats déduits de la revue de littérature ................................................................... 13 2. Résultats des entretiens ................................................................................................. 23 C. Discussion ........................................................................................................................ 27 1. Validité interne.............................................................................................................. 27 2. Cohérence externe ......................................................................................................... 27 3. Pertinence clinique ........................................................................................................ 29 IV. Conclusion ......................................................................................................................... 30 V. Bibliographie ....................................................................................................................... 31 I. Introduction Le pronostic de handicap neuro-moteur est impossible à poser dès la naissance. Dans le cas de la paralysie cérébrale par exemple, le diagnostic – essentiellement clinique – ne peut être confirmé avant deux ans (François, 2007). En amont, et en l’absence d’un tableau clinique précis et complet, il n’est que suspecté. Sainte-Anne Dargassies (reprise par Levy, 1982) a d’ailleurs classé le dépistage*1 des retards neuro-moteurs en trois périodes : d’alarme, d’orientation et de certitude en fonction de signes cliniques de suspicion d’abord, puis s’aggravant jusqu’aux séquelles signant avec certitude une anomalie neuro-motrice. C’est donc généralement une fois que les déficiences* ont entraîné une incapacité*, générant au quotidien un handicap* que les familles s’alarment et que les professionnels suspectent puis constatent cliniquement une pathologie. Pourtant, si le diagnostic et même le doute sont tardifs, à cause de l’installation progressive des symptômes, l’étiologie des troubles du développement neuro-moteur est souvent péri ou néonatale – dans 58% des cas selon Cans et al. (2001) - créant la lésion ou la déficience. François (2007) a recensé les facteurs de risque prénatals, périnatals et postnatals de la paralysie cérébrale. Ce paradoxe entre précocité des causes et retard d’apparition des troubles a abouti à un consensus médical sur la nécessité de suivre dès la naissance les enfants considérés comme à très haut risque de troubles du développement. Les critères d’inclusion sont présentés en annexe 1. Cela représente 2% des naissances vivantes mais 50% des enfants qui seront affectés plus tard par un retard ou un trouble du développement d’origine périnatale* figurent parmi eux. Ce consensus repose sur l’hypothèse que l’on peut, en agissant en amont, influencer favorablement l’évolution naturelle de lésions périnatales vers des séquelles neuro-motrices. Cambonie et al. (2011) affirment ainsi que tout nouveau-né ayant présenté une pathologie modérée ou sévère doit faire l’objet d’une surveillance attentive. Ce suivi régulier permet un dépistage précoce de nombreuses anomalies du développement, alors que les examens en cours d’hospitalisation étaient normaux. Une intervention médico-psychosociale précoce peut alors être mise en place et limiter l’évolution vers un polyhandicap lourd. C’est dans ce contexte que s’est développé, à partir des notions de plasticité cérébrale et d’interaction inné-acquis, le concept d’intervention précoce, au sens d’un programme de « stimulations précoces » pour tenter de diminuer le handicap et d’augmenter les compétences d’enfants en difficulté développementale (Inserm, 2004). La notion d’intervention précoce ne sera pas étendue ici, comme elle l’est parfois, aux actions de prévention primaire du handicap 1 Les termes suivis d’un astérisque sont définis dans le glossaire. 1 périnatal et à la neuroprotection médicamenteuse du fœtus et du nouveau-né. Ainsi, Marret (2004) définit le suivi pluridisciplinaire que constitue l’intervention précoce comme « l’ensemble des actions de prévention et des moyens […] destinés à favoriser un développement cérébral optimal dans la première année de vie ». Selon Beucher (2004), l’intervention précoce dans les anomalies neuro-développementales se caractérise par deux axes, l’un thérapeutique et l’autre éducatif. Elle prend la forme d’une alliance complémentaire et coopérative entre parents et professionnels. Marret (2004) distingue quatre buts de l’intervention précoce : - Recruter des structures cérébrales accessoires grâce à la plasticité cérébrale ; - Automatiser des réponses motrices adaptées aux stimulations en suivant les niveaux d’évolution motrice ; - Prévenir les effets secondaires des déficiences motrices ; - Aménager la place des parents. Dans le cadre des troubles du développement neuro-moteur, la notion de bébé à risque suffit donc à justifier la mise en place d’un programme d’intervention précoce visant la prévention secondaire de l’évolution spontanée de lésions ou morbidités périnatales. Actuellement, en France, différentes méthodes kinésithérapiques s’inscrivent dans le cadre de l’intervention précoce. L’éducation thérapeutique de Le Métayer a pour but de « modifier l’organisation motrice pathologique par des techniques appropriées et de proposer à l’enfant d’agir autrement pour améliorer ses performances fonctionnelles » (Le Métayer, 1999). La méthode comporte un temps de prise de contact, un temps de décontraction automatique et de correction posturale, un temps de stimulation des automatismes cérébro-moteurs innés et enfin un temps d’éducation thérapeutique perceptivo-motrice et sensorielle. La motricité dirigée, telle qu’elle est présentée par Soyez-Papiernik (2005), a pour buts de maintenir les amplitudes articulaires, de faire parcourir à l’enfant les différents paliers de développement moteur qui jalonnent l’évolution normale et d’améliorer la qualité et la force du mouvement. Cette méthode se fonde sur le travail des niveaux d’évolution motrice de Bobath, non seulement le maintien des postures mais surtout les passages des unes aux autres. L’auteur présente également la guidance sensorimotrice qui repose sur la « motricité libérée » de Grenier. En modifiant l’état sensoriel on obtient un état attentionnel plus favorable aux acquisitions motrices. Cette méthode a pour but la maîtrise des postures et des gestuelles dans toutes leurs modulations et quelles que soient les perturbations (sensorielles, émotionnelles), afin que l’enfant incorpore les acquis dans son propre répertoire. La méthode 2 consiste à travailler les différents niveaux d’évolution motrice en changeant les bases d’appui et les stimuli sensoriels. En ce qui concerne les réponses rééducatives, Truscelli (2008) rappelle que « la préoccupation des experts en kinésithérapie passe sans arrêt d’un concept « globalisant » […] à l’extrême vigilance sur l’instrument d’exécution musculo-squelettique, qui subit constamment les effets des troubles neurologiques et des contraintes mécaniques ». Par ailleurs, des articles récents tirés d’une revue d’actualité en kinésithérapie présentent un nouvel outil dans l’arsenal de la kinésithérapie pédiatrique : le portage physiologique (Gambet-Drago, 2010, 2012 et 2013), autrement nommé portage traditionnel ou portage en écharpe. Ces articles de vulgarisation vantent les mérites du portage en écharpe dans la prise en charge de nombreuses pathologies du nourrisson telles que le torticolis, la dysplasie de hanche, la plagiocéphalie, la bronchiolite, le reflux gastro-œsophagien ou encore les coliques. Le portage dont il est ici question exclut la méthode kangourou, bien documentée et protocolisée, dont l’enjeu réside, en néonatalogie, à stabiliser des paramètres physiologiques vitaux. L’auteur avance que le portage permet un travail proprioceptif, des postures d’étirement et la rééducation de l’équilibre. Le portage en écharpe est un outil, essentiellement considéré comme de puériculture, dont les techniques de nouages requièrent un apprentissage. C’est pourquoi il existe de nombreux ouvrages et formations dédiées aux parents. Mais l’on retrouve également trois formations continues s’adressant particulièrement à un public de masseur-kinésithérapeutes. La pratique du portage physiologique se répand dans les Centres d’Action MédicoSociale Précoce, témoignant de son usage à des fins thérapeutiques. Ce travail consiste en une étude analytique dont la problématique de recherche est : en quoi le portage physiologique constitue-t-il un outil de rééducation pertinent au sein d’un programme d’intervention précoce des troubles du développement neuro-moteur ? Les outils de recherche sont la revue de littérature et l’avis d’experts. L’objectif de ce travail est de tester les hypothèses suivantes : - Le portage traditionnel répond aux objectifs de l’intervention précoce. - Le kinésithérapeute peut recourir à l’outil que constitue le portage traditionnel dans le cadre de l’intervention précoce. Une première partie posera le contexte de l’étude puis une deuxième partie développera la méthode utilisée pour répondre à la problématique, les résultats obtenus et une discussion de ce travail. 3 II. Partie I : Contexte de l’étude Le contexte de l’étude pose le cadre de l’action kinésithérapique au sein des programmes d’intervention précoce et se décline à trois niveaux : postural, sensoriel et psychique/émotionnel/cognitif. A. Contexte postural 1. Déficience tonique et posturale d’origine périnatale Au niveau développemental, l’évolution du tonus* sous-tend celle de la posture* et de l’activité motrice. La posture rend possible les interactions et constitue « l’ancrage de l’activité motrice de déplacement et d’exploration ». L’évolution du tonus et de la posture conditionne donc le développement sensitivomoteur de l’enfant. (Jover, 2000) Une évolution normale se caractérise par une hypotonie du tronc et une hypertonie des membres à la naissance (Jovet, 2000 ; Levy, 1982) qui entraîne l’adoption d’une posture antigravité (Grenier, 2000). Selon Jovet (2000), le tonus axial augmente ensuite selon la loi de développement céphalo-caudale tandis qu’au niveau des membres, l’hypertonie des fléchisseurs à la naissance laisse place à l’hypotonie vers 3 mois puis au renforcement du tonus des extenseurs par rapport aux fléchisseurs dans le sens proximo-distal. Lors de cette évolution, le tonus n’est pas figé mais peut être modulé en variant autour d’états toniques stables, déterminés biologiquement (Bullinger, 2005). Le développement postural se fonde sur ces fluctuations toniques. Il existe plusieurs mécanismes de la régulation tonique en fonction du développement. La première régulation est liée aux états de vigilance de Prechtl. La deuxième régulation tonique repose sur un contrôle des flux sensoriels. Le troisième mode de régulation est externe, exercé par le milieu humain. Le quatrième et dernier mode de régulation correspond à une possibilité représentative des ajustements toniques. Dans le cas de lésion ou de morbidité périnatale, le tonus et par voie de conséquence la posture sont altérés (Saint-Anne Dargassies, 1979). L’adoption de postures anormales s’explique de différentes façons en fonction du contexte. Dans le cas du prématuré, c’est l’hypotonie qui empêche les postures anti-gravité et impose le plus souvent une posture aplatie en « grenouille écrasée » (Grenier, 2000). Dans le cas du lésé cérébral, une hypertonie des extenseurs de l’axe s’installe et provoque des opisthotonos*, troncs en cor de chasse* ou encore attitude en planeur. Dans d’autres cas enfin, c’est l’intervention médicale qui se révèle 4 iatrogène et qui crée la posture anormale. Grenier (2000) cite l’exemple d’un maintien du cou en hyper extension pendant une longue période pour faciliter l’assistance respiratoire mécanique. Bullinger (2005) cite également, en plus des déficits du tonus axial, les difficultés de régulation tonique comme principale cause de limitations motrices du jeune bébé. Alors que le développement sensitivomoteur de l’enfant s’étaye sur ses capacités toniques, posturales et de régulation tonique, il s’avère que les lésions ou morbidités périnatales entravent ces capacités. 2. Evolution à risque a. Retentissement orthopédique Grenier (2000) a mis en évidence les conséquences orthopédiques du maintien prolongé en posture vicieuse. Au niveau des hanches en particulier, la posture en « grenouille écrasée » et l’absence de motricité normale entraînent d’une part la rétraction des muscles psoas iliaques et longs adducteurs, d’où un aspect « en ciseaux » des membres inférieurs, d’autre part la déformation ostéocartilagineuse du tiers supérieur du fémur, liée à la pesanteur. Dans le cas d’une hypertonie des extenseurs ou d’un maintien du cou en hyperextension, le retentissement orthopédique prend la forme d’un raccourcissement des trapèzes qui rétracte les épaules et l’axe vertébral, pouvant fixer les membres supérieurs en « chandelier ». Bullinger (2005) aborde un autre risque orthopédique : si l’enfant n’adopte pas la posture antigravité, « la musculature abdominale insuffisamment développée, n’offrant pas un appui lors de l’inspiration, le ventre se gonfle alors, ce qui peut amener à une déformation des dernières côtes. » b. Troubles de la construction de l’axe corporel L’axe corporel désigne les chaînes musculaires du tronc, de la tête et du cou, qui sont étroitement coordonnées afin d’assurer trois fonctions essentielles : la lutte contre la pesanteur, la mobilité et les réactions d’orientation (Vasseur, 2000, et Bullinger, 2005, reprenant André-Thomas et Ajuriaguerra). La construction de l’axe corporel commence dès le premier trimestre (Delion et Vasseur, 2011). L’enfant investit son plan antérieur au moyen du regroupement qui comprend l’enroulement, rapprochant les ceintures, et la torsion, les opposant et les dissociant progressivement (cf. annexe 2). C’est l’engagement du plan 5 antérieur qui rend possible l’évolution céphalo-caudale du redressement (Vasseur, 2000). L’axe corporel peut ainsi reposer, à la fin du premier semestre, sur un équilibre entre regroupement du plan ventral et extension du plan dorsal. Lors de la construction de l’axe corporel, « la position regroupée favorise l’activation des chaînes musculaires antérieures droites et croisées en harmonie avec les chaînes postérieures. L’enfant peut ainsi refabriquer fonctionnellement et réinvestir libidinalement le plan antérieur. C’est sur cette posture regroupée qu’il construit ses schémas moteurs de base, ses coordinations sensori-motrices, en particulier la coordination main-bouche, ses interactions avec le milieu humain, et qu’il réalisera plus tard une première unification de ses sensations corporelles ». (Delion et Vasseur, 2011). Tant que l’équilibre entre les schémas d’extension et d’enroulement n’est pas atteint, le nourrisson rigidifie son buste en retenant son souffle. Ce recours au tonus pneumatique sert de substitution transitoire à la fonction tonique (Bullinger, 2005). Des déficiences toniques et posturales peuvent entraver la construction de l’axe corporel. Selon Cambonie et al. (2011), un schéma en extension lié à une hypotonie du tronc risque d’évoluer vers une triade plagiocéphalie, faux torticolis, hémisyndrome. Ce dernier regroupe l’asymétrie tonique hémi-corporelle et l’asymétrie des champs attentionnels qui réduit les compétences contro-latérales. Dans cette situation - aggravée par la présence de lésions neurologiques –l’enfant est enfermé dans une posture asymétrique qui empêche les enchaînements tonico-moteurs. En inhibant les activités exploratoires, ces schémas en extension compromettent la conquête de l’axe médian et la construction de l’espace oral puis de préhension. Delion et Vasseur (2011) ajoutent que la position en hyperextension du tronc inhibe les chaînes antérieures. Elle amène l’enfant à investir par défaut ses chaînes musculaires postérieures en réponse à tout type de stress. De plus, Bullinger (2005) note que le tonus pneumatique persiste si des limitations entravent le schéma d’enroulement. Or, le recours au tonus pneumatique ne permet pas les rotations du buste nécessaires à l’unification des espaces corporels droit et gauche. L’auteur précise enfin que des difficultés de régulation tonique n’entravent pas la constitution de l’axe corporel mais perturbent la stabilité des points d’appui. L’évolution redoutée est alors une persistance de difficultés dans le contrôle des mouvements d’adresse. Des lésions ou morbidités périnatales peuvent donc créer des déficiences toniques et posturales qui risquent d’évoluer vers des troubles orthopédiques ou de construction de l’axe corporel. Ce sont ces troubles secondaires qui génèrent le handicap car des déformations, ou encore un schéma corporel* pathologique, empêchent l’instrumentation* du corps comme moyen de locomotion ou d’exploration. 6 3. Intervention précoce : contrôle de la posture L’intervention précoce doit donc principalement consister en une correction posturale, en repositionnant le nouveau-né dépisté comme à risque dans la posture anti-gravité (ou de regroupement) qu’il n’est pas capable d’adopter de lui-même. Delion et Vasseur (2011) affirment que c’est au milieu humain, dans le cadre des interactions, de suppléer à la musculature d’enroulement du bébé qui met six à sept mois à l’investir pleinement pour reconstruire son plan antérieur. Pendant le premier trimestre surtout, le regroupement est fragile et requiert une intervention humaine pour le mettre en forme. Ce conseil vaut particulièrement pour les bébés à risque. Plusieurs outils reproduisent passivement le regroupement pendant les premiers mois de vie (cf. annexe 3): - les conseils de portage manuels (Finnie, 1979), le positionnement préalable à la motricité libérée (Grenier, 2000) ; - les cocons fabriqués à partir de langes roulés (Grenier, 2000) ou tous faits (VaivreDouret et al. 2009) ; - les sièges moulés en plâtre, les sièges assis tailleur (Toullet, 2007) ; - les matelas à dépression, les bouées au sol, les sièges mousse ou coquille (Bullinger, 2005). B. Contexte sensoriel 1. Le développement neuro-moteur nécessite des entrées sensorielles Le contrôle des flux sensoriels* est le deuxième mécanisme de régulation tonique auquel le bébé a recours lors du développement (Bullinger, 2005). L’organisation du tonus et de la motricité dépendent de l’intégrité des systèmes sensoriels ainsi que de l’apport d’afférences ou de flux sensoriels. La vision, l’audition et les sensations tactiles participent à la régulation tonico-posturale (Cambonie et al. 2011). L’activité de positionnement s’organise autour de la pesanteur (Pêcheux, 1990). La maîtrise de la posture met alors en jeu deux pôles : l’un sensoriel et notamment vestibulaire, l’autre moteur. C’est pourquoi, d’après l’auteur, « les stimulations vestibulaires ont un effet positif sur le développement moteur de la première année ». Si les afférences sensorielles permettent la régulation tonico-posturale, la réciproque est également vraie : une bonne posture favorise non seulement l’équilibre tonique, comme 7 expliqué précédemment, mais aussi le contrôle des flux sensoriels. Ainsi, Delion et al. (2009) indiquent que lors d’une perte de stabilité entraînant une désorganisation (bras en extension, cambrure, dos en arc de cercle, gesticulations), l’enroulement du bassin rétablit un équilibre sensori-tonique. Des positions favorisant l’enroulement, combinées à des appuis sensoriels, sonores par exemple, permettent alors au bébé de libérer pour un temps sa motricité et ses compétences relationnelles. Selon Bullinger (2005), à la naissance et en dehors de la zone orale déjà instrumentée, les flux sensoriels parviennent au système nerveux central par des voies de transmission archaïques, sous-corticales. Les stimulations sensorielles entraînent alors des réponses toniques pouvant mobiliser tout l’organisme. Au fur et à mesure du développement, le système récent – cortical - va prendre le dessus et les réponses toniques aux flux sensoriels vont s’instrumentaliser. Delion et Vasseur (2011) synthétisent : le premier trimestre correspond à une période où les dimensions archaïques des systèmes sensoriels s’exercent pleinement. Elles assurent un recrutement tonique, une mise en tension de l’organisme suivie d’une réaction d’orientation à partir des postures asymétriques initiales. Cette étape est le fondement des fonctions instrumentales futures. Pour Vasseur (2000), « la construction harmonieuse de l'axe corporel nécessite l'intégration des systèmes sensoriels avec coordination des fonctions archaïques et des fonctions plus récentes de ces systèmes ». La finalité revient à ce que le système récent, dominant, traite les flux sensoriels dans une visée instrumentale tandis qu’une part persistante du système archaïque continue d’assurer l’arrièrefond tonique indispensable à l’actualisation des conduites (Bullinger, 2005). L’intégration sensorielle est la capacité de prendre en compte les différentes modalités sensorielles et de les faire travailler ensemble. Dans l’environnement naturel, les informations provenant des différentes modalités sont congruentes. Les récepteurs régulateurs de la posture interagissent et sont situés sur des parties du corps mobiles les unes par rapport aux autres. La perception de l’organisation du corps dans l’espace n’est donc pas un « fait sensoriel » mais plutôt la résultante d’une coordination sensorielle entre les modalités sensori-motrices. (Jovet, 2000 et Pêcheux, 1990). L’intégration sensorielle est associée à la différentiation, autrement dit à la possibilité de distinguer les afférences sensorielles selon leur provenance. On ne privilégie pas une afférence par rapport aux autres pour adapter la posture, mais il y a pondération entre les différents signaux, soumise au développement et à l’expérience. La cohérence des flux sensoriels est importante dans le développement tonico-postural : les variations des entrées doivent être reliées de façon stable. 8 Selon Bullinger (2005), la sensibilité profonde signale les mouvements du capteur via l’état de tension des muscles et tendons, la position et la vitesse de déplacement des articulations. « L’ensemble de ces signaux de la sensibilité profonde vont, dans le développement, se coordonner avec les signaux issus des flux sensoriels. » C’est cette coordination qui constitue la fonction proprioceptive. La proprioception est donc une coordination susceptible de se modifier en fonction des interactions entre l’organisme et son milieu. 2. Intervention précoce : stimulations sensorielles Des stimulations tactiles, visuelles, vestibulaires, auditives et buccales sont classiquement intégrées aux séances de rééducation des bébés à risque (Levy, 1982 et SoyezPapiernik, 2005). Le regroupement est un préalable indispensable à toute sollicitation sensorielle (Cambonie et al. 2011), l’enfant étant plus présent à son environnement lorsqu’il est rassemblé, en boule (Delion et al. 2009). C. Contexte psychique/émotionnel/ cognitif 1. Contexte psychique A la naissance, la perte du regroupement et de la limitation des mouvements entraîne une sensation de morcellement. De plus, sans maintien de la tête, la posture n’est pas régulée ce qui provoque des angoisses de chute. Ces expériences du bébé constituent les « angoisses archaïques » de Klein ou les « agonies primitives » de Winnicott (Delion et Vasseur, 2011). Lors du développement normal, le nourrisson se crée progressivement un enveloppe contenante en utilisant la relation orale à la mère (sein, odeur, portage, langage). L’accrochage aux sensations transforme le psychisme en atténuant les angoisses et en favorisant l’intériorisation de la « peau psychique » (Bick). L’acquisition du « moi-peau » (Anzieu) à la fois récepteur et pare-excitations se construit grâce à l’interprétation et aux réponses du parent aux besoins du bébé (Boubli, 1999 ; Delion et Vasseur, 2011). L’intériorisation d’une « peau psychique » repose donc sur l’attachement*, le contact et l’agrippement peau à peau, qui constituent un besoin primaire. Or l’attachement se construit normalement pendant la période sensible qui suit tout juste la naissance. Toutefois, Boubli (1999) rappelle que chez les bébés à risque, le processus d’attachement et l’évolution du fonctionnement psychique se retrouvent fréquemment 9 perturbés. Côté environnement, tout d’abord, les soins médicaux néonatals produisent des contacts sensoriels intrusifs, non contenants ainsi que des privations sensorielles. Le bébé à risque peut aussi émettre des messages plus difficiles à interpréter ou être moins réactif aux stimuli. Côté mère enfin, les évènements imprévus liés à la naissance et l’éventuelle annonce d’une anomalie ou d’un risque de handicap créent une blessure narcissique. Elle se retrouve en proie à l’ambivalence de ses sentiments envers son nourrisson et de surcroît fréquemment séparée de lui au moment même où l’attachement devrait se construire. Ces trois éléments intriqués concourent au dysfonctionnement de la dyade mère/enfant, le bébé subit simultanément trop plein et carence, avec un retentissement sur son développement psychique (Delion et al. 2009). Les malaises internes des tout-petits s’expriment préférentiellement sur un mode somatique et comportemental. Delion et al. (2009) présentent le cas clinique d’une hypertonie postérieure associée à un agrippement visuel. Ils expliquent que le défaut de contenance rend impossible le regroupement actif et que les agrippements visuels jouent le rôle d’auto portage défensif. Cette organisation tonique disharmonieuse fait obstacle aux coordinations œil-mainbouche qui président à l’investissement différencié des deux côtés du corps, puis aux jonctions entre le haut et le bas. Les difficultés de construction d’une enveloppe psychique se traduisent donc sur le plan tonique, postural et moteur. En prenant ce point à contresens, Delion et al. (2009) proposent une entrée posturale pour induire un effet sur le psychisme. Reproduire l’enroulement vise donc à « fournir ces points d’appui ou prothèses physiques au bébé afin de le libérer de cette nécessité de se tenir. Ces prothèses corporelles servent de creuset à la vie psychique et permettent la rencontre psychique entre le bébé et ses partenaires ». En particulier, l’introduction d’appuis physiques concrets permet la prévention immédiate des vécus angoissants de chute, d’écrasement et de déversement. De plus, ils fondent un espace de satisfaction narcissique partagée favorisant la construction de l’attachement sur des expériences d’attention mutuelle et de plaisir respectueux plutôt que sur vécus paradoxaux. Les méthodes kinésithérapiques décrites en introduction ont à cœur de favoriser la rencontre psychique de la dyade mère-enfant. Au travers de l’observation conjointe et du partage de l’évolution des compétences motrices, le masseur-kinésithérapeute cherche à faire participer la mère et à créer des situations narcissisantes. « On agit sur les représentations parentales en mettant en lumière les compétences de l’enfant. » (Delion et al. 2009) Le risque de rivalité que peut induire une prise en charge kinésithérapique plus invasive sur le plan corporel est également nettement identifié. Pour Bernard et al. (2005), le rééducateur porte 10 écoute et attention aux parents afin de prévenir les troubles de l’attachement précoce et de favoriser l’adéquation des réponses parentales aux signaux fournis par l’enfant. 2. Contexte émotionnel Selon Jovet (2000), la régulation posturale ne dépend pas strictement de la régulation sensorielle, elle est également soumise aux émotions. En effet, les dimensions archaïques sont liées au système émotionnel, donc aux échanges avec le milieu humain dont le rôle est essentiel dans la régulation tonique (Delion et Vasseur, 2011). Le dialogue tonique, défini par Ajurriaguerra en 1962, et explicité par Bullinger (2005), qualifie les premières interactions du nourrisson avec le milieu humain. « Le contact avec l’adulte qui le porte suscite un ensemble de stimulations sensorielles, y compris tactiles, entraînant, à travers l’interaction, un recrutement et une modulation toniques. C’est une composante importante du partage émotionnel, permettant une progressive prise de sens des divers états toniques auxquels le bébé est confronté. » On se situe au niveau du troisième mode de régulation tonique, la régulation externe par le milieu humain. La répétition des situations construit la prise de sens des fluctuations toniques. C’est donc le milieu humain qui donne sens aux états tonico-émotionnels. A l’inverse, une déstabilisation sensorielle ou posturale entraîne une désorganisation tonico-émotionnelle. L’émotion partagée lors du dialogue tonique entre un enfant et son porteur favorise donc l’équilibre sensori-tonique, l’instrumentation du tonus et de la posture comme support d’expression des émotions et la construction de l’axe corporel (Vasseur, 2000). Dans ses prises en charge, le masseur-kinésithérapeute favorise le partage émotionnel entre parents et enfant. Il peut agir au niveau parental : « La composante affective et émotionnelle des parents a une importance considérable pour le développement de leur enfant. Pour optimiser ce développement, il est primordial, pour le rééducateur, d’obtenir avec eux un partenariat efficace au quotidien. » (Cambonie et al. 2011) Ainsi le masseurkinésithérapeute peut travailler à partir d’exercices ludiques, réalisés dans un partage émotionnel avec l’enfant, en les expliquant aux parents afin qu’ils les reprennent à leur tour (Bernard et al. 2005). 11 3. Contexte cognitif Levy (1982) affirme : « le retard des acquisitions motrices et posturales entraînera parallèlement un retard de l’éveil psychique et intellectuel. En effet, dans la première enfance, l’activité motrice est intimement liée à l’éveil psychique. » L’auteur explique que les acquisitions motrices, en augmentant le champ d’exploration du bébé, sont indispensables à l’enrichissement du système cognitif. Bullinger (2005) et Delion et Vasseur (2011) ajoutent que l’équilibre sensori-tonique est le garant des interactions avec l’environnement alimentant l’activité cognitive. La régulation sensori-tonique fait alors le lien entre la construction de la subjectivité et le développement moteur. De surcroît, la dimension tonico-émotionnelle est liée aux dimensions cognitives. De leur stabilité dépend la stabilité des acquisitions. Une boucle cognitive*, dont l’objet de connaissance évolue au cours du développement, guide la modification des fonctionnements*. Cette boucle permet la constitution de représentations stables du corps, des objets et de l’espace (Bullinger, 2005 ; Delion et Vasseur, 2011). En prenant les interactions sensori-motrices entre l’organisme et le milieu comme objet, la boucle cognitive génère d’abord des habituations. En se fondant ensuite sur les coordinations sensori-motrices présentes pendant l’action, elle forme des habitudes (c’est « l’espace des gestes »). En établissant enfin la permanence des moyens instrumentaux indépendamment de l’action, la boucle cognitive conçoit le geste au service de projets. Cette boucle aboutit alors à la construction d’un schéma corporel stable garantissant l’effet spatial des gestes. En définitive, chez les bébés à risque de handicap d’origine périnatale, l’enjeu est à la fois postural, sensoriel et psychique/émotionnel/cognitif et l’intervention précoce kinésithérapique doit se positionner à ces trois niveaux. Nous posons alors les hypothèses suivantes : - Le portage physiologique, par des apports postural, sensoriel, psychique, émotionnel et cognitif, répond aux objectifs de l’intervention précoce. - Le masseur-kinésithérapeute peut utiliser le portage en écharpe en tant qu’outil de l’intervention précoce. 12 III. Partie II : Méthodes, résultats, discussion A. Méthode La littérature scientifique est pauvre à propos du portage physiologique et elle n’autorise aucun positionnement direct. C’est pourquoi la méthode a consisté, dans un premier temps, à dégager une réponse à la problématique posée par déduction, à partir de la synthèse d’écrits théoriques qui n’abordent pas concrètement le recours au portage. Les résultats portent non seulement sur la manière dont le portage traditionnel peut répondre aux objectifs de l’intervention précoce mais également sur les limites et les indications de cet outil. Dans un deuxième temps, la méthode a consisté à recueillir l’avis d’experts, en l’occurrence des kinésithérapeutes intervenant auprès de nourrissons à risque de handicap d’origine périnatale, sur plusieurs points de questionnement soulevés par ce travail. Cela a été réalisé sous forme d’entretiens de vive voix ou téléphoniques. Les points à aborder ont été définis à l’avance mais la discussion était libre. Pour que les avis soient représentatifs, un minimum de cinq entretiens a été souhaité ainsi que l’hétérogénéité des secteurs d’intervention des professionnels questionnés. B. Résultats 1. Résultats déduits de la revue de littérature a. Apports du portage physiologique dans le cadre l’intervention précoce Apport postural Tout d’abord, l’écharpe de portage est, à l’instar des outils présentés précédemment, un outil assurant le regroupement. En effet, l’enfant se retrouve positionné les hanches à 45° d’abduction, les genoux fléchis plus hauts que les hanches, avec une rétroversion du bassin. Le plan antérieur du bébé est placé contre le porteur (cf. annexe 4). Tout comme le portage manuel, le portage physiologique engage le plan antérieur et pourrait être adapté en fonction des déficiences toniques et posturales. Le portage sur le ventre répondrait aux clivages avant/arrière tandis que le portage sur la hanche serait indiqué en cas de clivage gauche/droite. L’intérêt du portage traditionnel serait de prolonger le temps de portage, en libérant les mains du porteur et en allégeant le poids du bébé, celui-ci étant mieux réparti. 13 Le portage physiologique serait donc un outil garantissant le maintien d’une posture fonctionnelle. Or, le maintien de postures fonctionnelles est un moyen kinésithérapique permettant de répondre à deux objectifs de l’intervention précoce tels que définis par Marret (2004): d’une part la prévention des effets secondaires des déficiences motrices, et notamment le risque de troubles orthopédiques, d’autre part l’automatisation de réponses motrices adaptées, au travers de la construction de l’axe corporel qui sous-tend la motricité. Le masseur-kinésithérapeute pourrait par conséquent, dans le cadre de l’intervention précoce, recourir au portage en écharpe en visant l’apport postural de cet outil. La Société française d’orthopédie pédiatrique recommande d’ailleurs le portage traditionnel, sur le dos ou la hanche, en prévention et pour le traitement des hanches instables simples (Seringe et al. 2006). En dehors de cette indication directe, la littérature ne mentionne pas de preuves du bénéfice du portage en écharpe sur d’autres déformations orthopédiques (Guillouet, 2010). Apport sensoriel Le portage physiologique permettrait également de prodiguer à l’enfant, en position de regroupement, des stimulations sensorielles. Il perçoit en effet des flux tactiles : le dos, les fesses et les cuisses sont en contact avec l’écharpe, le plan antérieur se retrouve contre le porteur, la main de l’enfant peut explorer le buste du porteur (tissu, peau) ou encore son autre main ou son propre visage. Les déplacements du porteur soumettent l’enfant à des flux vestibulaires. L’enfant capte aussi des flux visuels, auditifs et olfactifs. Bullinger (2005) distingue les situations passives, lorsque la source émettrice du flux est en mouvement et des situations actives, dans lesquelles c’est le capteur du flux qui est mobile. L’enfant porté en écharpe se retrouverait en situation mixte ce qui entraînerait un enrichissement des afférences sensorielles à traiter, concourant au travail de la différentiation. De plus, tous les flux sensoriels décrits sont perçus simultanément. Cette covariation stimulerait l’intégration sensorielle. En particulier, la covariation entre les flux somatosensoriels et les flux visuels, vestibulaires et tactiles permettrait le développement de la proprioception. Par exemple, si le porteur se penche en avant, l’enfant en accompagnant le mouvement va capter une variation des flux visuel et vestibulaire. De plus, la pression du contact tactile postérieur va légèrement s’accroître tandis que celle du contact antérieur va quelque peu diminuer. Enfin, le serrage de l’écharpe ne provoquant pas une contention rigide, une variation du flux somato-sensoriel sera perçue : la tension des muscles et des tendons sera finement modifiée, l’angulation des articulations changera de quelques degrés. 14 Le portage en écharpe procurerait également au nourrisson des flux sensoriels ayant une fonction contenante : l’odeur et la voix maternelle (Bullinger, 2005 et Boubli, 1999). La mise en forme du corps offrirait également un ensemble de sensations tactiles et proprioceptives qui participent à la contenance de l’enfant (Bullinger, 2005). Boubli (1999) affirme que le bébé sain dispose d’une capacité à mettre en place sa propre barrière de pare-excitations pour se protéger de stimuli modérément gênants, il sait donc s’adapter à l’environnement. Chez le bébé à risque en revanche, les stimulations sont vite débordantes et il est difficile pour la mère « suffisamment bonne »* de Winnicott d’évaluer le niveau de stimulation appropriée et de répondre adéquatement. Martinet (2010) met également en garde contre les dystimulations, dans le cadre du nouveau-né prématuré : les « sollicitations sensorielles brusques et discordantes sont source de déstabilisation sensori-motrice. L’enfant se place alors en retrait ou en hypertonicité. » Porté en écharpe, l’enfant regroupé contre sa mère et enveloppé par le tissu serait protégé des sur-stimulations et, dans le même temps, il recevrait un apport continu de stimuli stables et cohérents qui le préserveraient d’une sous-stimulation. Le portage physiologique serait donc un outil garantissant l’apport de flux sensoriels covariants, bénéfiques en quantité et en qualité : les stimulations seraient appropriées. Ces entrées sensorielles génèreraient alors un frayage neuro-moteur. Elles obligeraient à un recrutement tonique et postural. L’intégration et la différentiation sensorielle, et particulièrement le développement de la proprioception, seraient progressivement rendues possibles. Les afférences sensorielles permettraient au fur et à mesure l’instrumentation leurs systèmes de traitement, impliquant une prise de contrôle corticale, éventuellement grâce au recours à des structures cérébrales accessoires. Au final, les stimulations sensorielles fonderaient les bases sur lesquelles la motricité pourrait s’étayer. Le masseur-kinésithérapeute pourrait donc recourir au portage en écharpe, en visant l’apport sensoriel de cet outil, afin de répondre à deux objectifs de l’intervention précoce donnés par Marret (2004) : le recrutement de structures cérébrales accessoires et l’automatisation de réponses motrices adaptées aux stimulations. Apport psychique/émotionnel/cognitif Le portage traditionnel permettrait encore un apport psychique. L’écharpe enveloppe le bébé. Par l’apport sensoriel précédemment décrit, elle rendrait possible un accrochage aux sensations, qui plus est proches de celles perçues dans la matrice utérine. L’outil pourrait alors jouer le rôle d’un contenant atténuant l’angoisse de morcellement et favorisant la mise en place d’une « peau psychique ». De plus, l’écharpe assure une proximité mère/enfant et 15 facilite les interactions tactiles sans mise en jeu de compétences maternelles. Le portage physiologique est utilisé dans le cas clinique présenté par Delion et al. (2009), qui disent de l’outil qu’il « a le mérite d’offrir une contenance sur le corps de la mère sans que celle-ci ait besoin de beaucoup s’ajuster ». Le bébé est apaisé et il s’ensuit une valorisation parentale. Ce processus favoriserait l’attachement mis à mal par événements périnatals. Enfin, le portage en écharpe pourrait être considéré comme une « prothèse physique » car il assure à l’enfant une position regroupée, des appuis physiques et simultanément une expérience d’interaction avec le porteur. Le portage physiologique, par ses apports postural, sensoriel et la proximité mère/enfant qu’il assure, favoriserait donc l’attachement au sein de cette dyade et le bon développement psychique du nourrisson. L’outil répondrait alors à l’objectif d’accompagnement parental de l’intervention précoce et favoriserait bien « un développement cérébral optimal pendant la première année de vie » (Marret, 2004). Le portage physiologique favoriserait le partage émotionnel entre l’enfant et son porteur, en impliquant des contacts et des interactions. Bullinger (2005) note que la régulation tonique par le milieu humain suppose que l’enfant soit équipé pour susciter et recevoir les signaux propres aux interactions avec le milieu et que milieu soit susceptible d’accueillir et de produire les signaux ajustés. Or, il a précédemment été proposé que le portage physiologique, en assurant le regroupement, prédisposerait l’enfant à capter des flux sensoriels qui sont lors du portage adaptés en quantité et qualité. Le portage en écharpe pourrait alors représenter une aide au partage émotionnel quand les interactions entre les parents et l’enfant connaissent des difficultés d’ajustement. L’outil servirait alors à l’accompagnement parental. Par cet apport émotionnel, il concourrait également à l’équilibre sensori-tonique et à la construction de l’axe corporel. L’apport cognitif du portage physiologique s’étayerait sur ses apports postural, sensoriel et émotionnel déjà décrits. Le recours au portage en écharpe dans le cadre de l’intervention précoce favoriserait alors les acquisitions, notamment celles de représentations stables du corps et de l’espace, indispensables à l’objectif d’automatisation des réponses motrices adaptées aux stimulations. L’utilisation du portage physiologique en kinésithérapie s’inscrirait alors bien dans le souci de l’optimisation du développement cérébral. En définitive, la prise en charge des bébés à risque dans le contexte de l’intervention précoce est globale et justement le portage physiologique, en tant qu’outil kinésithérapique, agirait à plusieurs niveaux : postural, sensoriel et psychique/émotionnel/cognitif. Le portage 16 pourrait donc être utilisé quel que soit le niveau de dysfonctionnement du bébé à risque (Bullinger repris par Delion et al. 2009). Qu’un handicap soit susceptible d’émerger à cause de troubles de l’équipement neurosensoriel du bébé (niveau biologique), de troubles de la quantité et de la qualité des flux sensoriels et des stimulations (niveau physique) ou de l’impact de ces troubles sur la relation et l’adaptation du/au bébé (niveau relationnel), le portage physiologique constituerait un outil de rééducation pertinent pour prévenir sa survenue. Si, d’après la littérature, le portage physiologique répondrait aux objectifs de l’intervention précoce, elle dispose également d’éléments qui viendraient poser les limites de cet outil par rapport aux attendus d’une prise en charge kinésithérapique et déterminer la place que pourrait tenir le portage en écharpe dans les programmes d’intervention précoce. b. Limites Dans le cadre de l’éducation sensori-motrice Manque de flux visuel et d’activité de poursuite Les flux visuels (Bullinger, 2005) et les activités de poursuite oculaire (Bernard et al. 2005) jouent un rôle fondamental dans la régulation tonico-posturale, les mises en forme et l’orientation du corps. Vasseur (2000) confirme la place primordiale du système visuel et l’importance de la coordination entre fonction périphérique et focale. Or, le portage physiologique ne paraît pas dispenser des entrées visuelles particulièrement riches. Au contraire, l’enfant se retrouve le front contre le sternum du porteur : les afférences visuelles sont alors figées. La tête peut se tourner sur le côté, mais alors l’enfant n’accède qu’à un demi-espace. En ce qui concerne les poursuites visuelles, l’enfant peut changer la tête de côté en prenant appui sur les avant-bras. Mais lors de ce mouvement, le porteur entrave l’union entre les deux hémi champs droit et gauche. De plus, des variations toniques peuvent toujours s’opérer, mais comme l’écharpe maintient le regroupement, des mobilisations globales avec passage d’une posture asymétrique à une autre sont impossibles. Il semble donc difficile que l’enfant, quand il est porté en écharpe, puisse s’adonner à des activités de poursuite de qualité. 17 Non-adaptation aux acquis posturaux Bullinger (2005) préconise, dans les appuis et les mises en forme, de toujours respecter le niveau postural automatique atteint par l’enfant. Or le portage physiologique, tel qu’il est enseigné par l’Association française de portage des bébés par exemple, ne comprend pas d’adaptation des nouages au fur et à mesure de la progression céphalo-caudale du redressement. Quels que soient les acquis posturaux de l’enfant, l’écharpe donne des appuis à toute la colonne vertébrale et positionne l’enfant en regroupement. Pas d’engagement de la motricité Finnie (1979) préconise de porter l’enfant paralysé cérébral au minimum, uniquement à la maison, car le gain de temps se fait au détriment de la possibilité pour l’enfant de se mobiliser par lui-même. Il s’agit de préserver la possibilité d’explorer l’environnement qui est indispensable à l’acquisition de connaissances. Pêcheux (1990) défend l’idée que le mouvement a un rôle structurant dans l’appréhension de l’espace, à la condition qu’il soit actif. Pour Delion et al. (2009), « rendre l’enfant acteur de sa motricité et de la découverte sensorielle de son corps est la meilleure façon de permettre [l’] engrammation [du regroupement] ». Or, il est évident qu’un enfant, lorsqu’il est porté en écharpe, ne produit pas de mouvements actifs amples, en dehors éventuellement des membres supérieurs et de la tête, et qu’il ne se déplace pas non plus de son propre chef. L’utilisation du portage physiologique en kinésithérapie, pour répondre aux objectifs de l’intervention précoce, se heurterait donc à trois insuffisances : le manque de stimulations visuelles et de situations de poursuite visuelle, le manque de progression suivant le développement postural et le manque de sollicitation de la motricité active. L’éducation sensori-motrice du bébé à risque de troubles du développement neuro-moteur doit cependant impérativement inclure ces éléments. Dès lors, le recours au portage en écharpe ne saurait en aucun cas se substituer aux méthodes kinésithérapiques décrites en introduction. 18 Relation mère-enfant et son évolution Défaut d’appropriation Le recours au portage en écharpe, dans le cadre de l’intervention précoce des troubles du développement neuro-moteur, ne peut se faire que si les parents s’approprient cet outil. Dans le cas clinique présenté par Delion et al. (2009), la mère n’a pas investi le portage ce qui en a réduit l’utilisation aux seules séances d’initiation, quand elle était accompagnée. Pour les auteurs, qui proposent d’expliquer ce rejet, peut-être que la surface corporelle en contact avec son propre corps a été vécue comme excessive par la mère. Elle a peut-être ressenti des sentiments d’angoisse, de rejet, d’inquiétude et d’insécurité, procuré par son bébé trop tendu qui se raidit dans les bras. De manière plus générale, le kinésithérapeute ne pourrait proposer le portage physiologique qu’aux parents motivés, disposant des ressources cognitives et psychiques pour le mettre en place avec leur enfant. Certes le portage en écharpe favoriserait l’attachement, toutefois si la relation est trop fuyante, la mère risquerait de le vivre d’emblée comme une intrusion. Interaction à prédominance corporelle A propos des mères qui sont amenées à négliger leur enfant, Dayan et al. (2001) rapporte que « pendant plusieurs mois, l’interaction mère-nourrisson empruntera des modalités à prédominance corporelle (enfant tenu dans les bras, bercement) au détriment des premiers échanges à distance ou utilisant le regard, les gestes, la voix, les mots, le jeu avec des objets ». Les auteurs rapportent que ces conditions pourraient accroître les retentissements du risque de handicap. Si tant est qu’une mère puisse pratiquer le portage en écharpe sur un mode de maternage opératoire – c’est-à-dire sans autres interactions que celles du contact physique imposé par le tissu – cette mère pourrait alors recourir à cette technique pour répondre indifféremment à tous les besoins de son bébé, augmentant ainsi sa détresse et au final aggravant son pronostic développemental. Quand bien même le portage se réaliserait dans un dialogue tonico-émotionnel structurant, sa pratique prolongée suggèrerait un risque d’entrave à l’évolution des relations mère-nourrisson de la proximité vers la distance. 19 c. Indications Durée L’évolution des acquis posturaux et des modalités relationnelles pose la question de la durée d’indication du portage physiologique. D’après Jovet (2000), l’intégration sensorielle n’est pas linéaire. La posture est contrôlée par les systèmes somato-sensoriels uniquement jusqu’à deux mois puis le contrôle visuel devient prépondérant. Bernard et al. (2005) ont réalisé une étude rétrospective sur 56 enfants suspects d’évolution vers la diplégie spastique et ayant bénéficié d’une prise en charge spécialisée sur la période de 1991 à 1997 avec un recul de trois ans minimum pour le suivi. Au final, 22% des enfants pris en charge avant 6 mois ont développé une symptomatologie diplégique, contre 80% des enfants traités après 6 mois. Même si la portée de l’étude est limitée par le faible échantillon et la non-prise en compte du milieu familial, les auteurs considèrent qu’en dehors des atteintes sévères révélées avant trois mois et sources de séquelles massives, une intervention pendant le premier semestre préserve ou rétablit les coordinations axiales nécessaires à la locomotion tandis qu’après six mois, les schémas moteurs pathologiques sont engrammés et la rééducation a moins d’effet. Dans un cadre plus général que celui de la diplégie spastique, chez le nourrisson à risque de handicap d’origine périnatale, le premier semestre – qui est celui de la construction de l’axe corporel - apparaît alors comme une période sensible. Il s’agit d’un intervalle de temps durant lequel des conditions anormales de développement peuvent induire des changements fonctionnels qui n’appartiennent pas au répertoire adulte normal. Pendant cette période, il y a compétition entre des schémas moteurs normaux et anormaux, d’où l’intérêt de favoriser le regroupement pendant la période sensible (Delion et Vasseur, 2011). Le portage en écharpe serait donc particulièrement indiqué dès la naissance, pour recruter pleinement les systèmes somato-sensoriels, et jusqu’à 6 mois en âge corrigé, c’est-àdire pendant la période sensible, pour favoriser l’engramme du schéma de regroupement. La période sensible englobe de nombreuses acquisitions posturales ainsi qu’une évolution des modalités relationnelles et de l’intégration sensorielle. Cela amène une contradiction vis-à-vis de l’indication préférentielle de durée et soulève également des questions. Dans le cas d’enfants victimes de lésion ou de morbidité périnatales, doit-on limiter l’indication à des périodes standards ou s’adapter à l’âge fonctionnel de chacun ? Enfin, quels seraient les effets, positifs ou négatifs, d’une prolongation de la durée du portage physiologique ? 20 Posologie D’une part, la boucle cognitive extrait des invariants des régularités afin de modifier les fonctionnements (Bullinger, 2005). Pour que les interactions sensori-motrices permettent la formation d’habituations, puis que les coordinations sensori-motrices présentes pendant l’action génèrent des habitudes, la notion de répétition se révèle donc importante. D’autre part, les séances hebdomadaires chez le kinésithérapeute sont insuffisantes pour induire des effets positifs sur le développement neuro-moteur si les stimulations ne sont pas poursuivies ensuite par les familles (Levy, 1982 ; Inserm, 2004). Par ailleurs, dans le cadre d’un portage culturel, l’observation d’enfants bambaras indique que l’enfant est porté au maximum 40 à 45% de la journée à deux mois, puis la dose diminue pour ne plus représenter que 20% de la journée à 1 an (Bril, 1997). Les temps de portage traditionnel dans la journée du bébé à risque seraient à définir de manière à garantir les effets souhaités. Le volume horaire devrait être suffisamment important pour que la répétition des apports favorise l’engramme des ajustements toniques et posturaux, de l’intégration sensorielle et de l’enveloppe psychique. Dans la semaine, le portage physiologique prendrait place en tant que relai parental quotidien aux séances de kinésithérapie. La revue de littérature amène aussi des questions. Peut-on indiquer une dose supérieure à celle qui est pratiquée, pour raisons culturelles, chez l’enfant sain ? Cette indication d’une posologie élevée entre en contradiction avec la nécessité de préserver des temps de stimulations visuelles et de motricité. En outre, une heure de portage dans le but de libérer les mains du porteur et de transporter l’enfant équivaut-elle, en termes d’effets, à une heure de portage consciemment pensée à des fins rééducatives ? Au regard des résultats de l’intervention précoce En ce qui concerne la prise en charge des enfants à risque de handicap, la littérature ne montre pas la supériorité d’une méthode par rapport aux autres. L’efficacité de la kinésithérapie fonctionnelle n’est pas démontrée (Amiel-Tison, 2004). L’intérêt des stimulations précoces et multimodales est souligné par la plupart des auteurs, sans qu’il soit possible d’affirmer un retentissement sur le développement neurologique ultérieur. Il ressort de la littérature qu’il faut privilégier les prises en charge pluridisciplinaires, globales et à domicile. L’efficacité des programmes d’intervention précoce est proportionnelle à l’investissement des parents et à la précocité de la prise en charge. Au final, l’intervention précoce améliore la relation des parents avec leur enfant même si à ce jour son efficacité n’est pas prouvée sur la réduction des incapacités. La prise en charge globale porte ses effets positifs sur le développement général de l’enfant beaucoup plus que sur des améliorations 21 spécifiques de la motricité. La kinésithérapie seule a des effets moins favorables que la prise en charge globale (Inserm, 2004). Les programmes d’intervention précoce montrent davantage d’effets positifs sur le développement cognitif et les interactions parents-enfants que sur la motricité. Leur efficacité est renforcée quand l’action porte de manière combinée au niveau parental et infantile, particulièrement quand les risques médicaux et sociaux sont cumulés (Bonnier, 2007). Les effets de l’intervention précoce sont difficiles à évaluer à cause de la disparité des populations ciblées ou de contenu des programmes. De plus, la motivation des soignants et des familles passe par la démonstration d’effets qui dépassent le support de la prise en charge (Truffert, 2004). Puisqu’aucune technique n’a fait preuve de sa supériorité, le recours au portage physiologique dans l’intervention précoce est envisageable d’un point de vue éthique. Justement, comme ses apports ne se cantonneraient pas à l’appareil locomoteur et qu’au contraire, il agirait globalement au niveau parental, infantile et relationnel, le portage traditionnel - pratiqué à domicile et sollicitant l’investissement des parents - s’inscrirait possiblement dans la veine des programmes qui favorisent le développement cognitif de l’enfant et l’attachement au sein de la dyade parent-enfant. Rôle du masseur-kinésithérapeute C’est quand il est bien positionné, en posture regroupée, que le nourrisson peut communiquer et exprimer sa motricité (Grenier, 2000 ; Cambonie et al. 2011). Le portage en écharpe pourrait alors représenter un préalable aux séances d’éducation sensori-motrice, destiné à les optimiser. De plus, Haouari (2001) prône le suivi régulier sans intervention particulière des enfants à risque de handicap d’origine périnatale qui progressent à leur rythme avec des schémas de développement normaux. La proposition du portage en écharpe lors des consultations de suivi du kinésithérapeute se placerait alors dans cette perspective non interventionniste. Elle s’inscrirait dans le cadre de la prévention tertiaire des troubles moteurs, cognitifs ou de l’attachement en amont de prises en charge plus invasives que seules des anomalies de suivi justifieraient. Enfin, le kinésithérapeute est souvent le premier praticien concerné par l’accompagnement de rééducation et c’est le professionnel le plus représenté dans les équipes rééducatives (Amiel-Tison, 2004 ; Inserm, 2004). Certes, le portage physiologique se situe à la croisée des compétences psychomotriciennes et kinésithérapiques, toutefois quand la kinésithérapie est la première ou la seule prescrite, le kinésithérapeute pourrait prendre l’initiative de proposer le portage traditionnel aux familles. 22 2. Résultats des entretiens Neuf kinésithérapeutes (deux hommes et sept femmes) ont été interrogés. Ils sont cités par des numéros de 1 à 9 dans la synthèse de leurs réponses. Leurs formations et pratiques professionnelles sont présentées en annexe 5. a. A propos des flux visuels Seul un des kinésithérapeutes (3) soutient que la faiblesse des interactions visuelles lors du portage en écharpe constitue une limite majeure de cet outil. Pour cinq autres (4, 5, 7, 8, 9), ce n’est pas un problème car les temps de portage sont limités dans la journée et que le système visuel se trouve sollicité lors d’autres activités. Au contraire, trois kinésithérapeutes (1, 3, 4) pensent que le portage traditionnel permet de préserver l’enfant des sur stimulations visuelles. Si les experts s’accordent à dire que le portage sur le ventre limite le champ visuel du nourrisson, quatre d’entre eux (2, 6, 7, 8) rappellent la possibilité de l’élargir au fur et à mesure du développement de l’enfant en passant au portage sur la hanche ou sur le dos. Selon un kinésithérapeute (6), ces adaptations du portage présentent l’avantage que porteur et enfant voient la même chose. Enfin, un kinésithérapeute (1) avance que l’enfant porté en écharpe perçoit avec son système visuel périphérique le buste du porteur ou des pans de tissu qui se retrouvent très proches dans le champ visuel du bébé. Or, c’est d’après lui la stabilité des entrées visuelles périphériques qui contribue à réguler la posture. b. A propos du temps de sommeil pendant le portage Bril (1997) rapporte que les enfants bambaras dorment 80% de leur temps de portage, quel que soit leur âge. A partir de cette donnée, il a été demandé aux experts interrogés si l’état de veille du bébé porté modifiait les apports du portage traditionnel dans le cadre de l’intervention précoce et comment. Pour un kinésithérapeute (4), le sommeil implique catégoriquement une perte d’effet du portage physiologique à des fins kinésithérapiques. Un autre (1) modère en expliquant que ces temps de sommeil sont par ailleurs compensés par un éveil très actif. A l’inverse, les bénéfices orthopédiques sont maintenus quand l’enfant dort et les flux sensoriels sont tout de même perçus (5, 6, 8). Deux experts (4, 5) soulignent les capacités d’intégration des apports 23 du portage par le nourrisson pendant son sommeil. Certes, deux kinésithérapeutes (2, 7) rappellent qu’un enfant endormi ne produira pas d’ajustement sensori-tonique, néanmoins ils sont cinq (2, 3, 7, 8, 9) à affirmer que l’endormissement est la preuve que l’enfant porté en écharpe est contenu et rassuré, dans un état de bien-être psycho-affectif. c. A propos de l’indication de durée L’indication commence dès la naissance pour tous les experts sauf un (4) qui n’envisage le recours au portage traditionnel à des fins posturales qu’à partir de l’acquisition de la station assise, préférant laisser l’enfant se développer au sol avant. En ce qui concerne les autres apports de l’outil, cet expert estime qu’il faut parfois laisser la motricité du toutpetit de côté pour prendre en charge la souffrance familiale et dans ce cas il reconnaît l’utilité d’un portage en écharpe plus précoce. Trois kinésithérapeutes (7, 8, 9) précisent que le portage physiologique peut encore être instauré tout au long de la première année, ensuite l’enfant l’acceptera plus difficilement (8). Parfois, l’acceptation arrive tardivement après avoir expérimenté l’enroulement en séances (5). Seul un expert (3) pose une limite franche à l’indication du portage en écharpe : l’acquisition des retournements. Les autres distinguent l’utilisation à des fins posturales qui doit être poursuivie jusqu’à la constitution de l’espace du buste de Bullinger avec obtention d’un équilibre avant-arrière et droite-gauche (1, 2, 6, 8, 9) ou en fonction des déformations orthopédiques (2, 8), de l’utilisation à des fins sensorielles ou psycho-affectives qui peut être prolongée au-delà (1, 2, 8). Quatre kinésithérapeutes (1, 6, 7, 8) affirment que le portage traditionnel prolongé n’est aucunement délétère pour le développement psychomoteur. Pour trois autres (4, 5, 9) toutefois, un processus de détachement doit se mettre en place dans un second temps pour éviter que la relation évolue de manière pathologique. Quatre experts (1, 5, 7, 9) soulignent les possibilités d’adaptation des positions et des contenances du portage physiologique en fonction de l’évolution de l’enfant - du portage en diagonale pour le prématuré au portage sur le dos - de sorte que l’indication reste pertinente à tous les stades de développement de l’enfant. C’est l’envie des parents et de l’enfant qui déterminera la durée du portage (6, 7) ou tout simplement la limite du poids de l’enfant (1, 3, 4, 8, 9). 24 d. A propos de la posologie Il n’y a pas de posologie minimum pour garantir les effets du portage traditionnel (5, 7). La quantité de portage pratiquée est essentiellement déterminée par les envies, les besoins et les possibilités des parents et de l’enfant (5, 6, 7, 9). C’est pourquoi le thérapeute ne doit surtout pas imposer de dose précise (5, 9). Quatre kinésithérapeutes (3, 4, 6, 8) recommandent cependant des temps de portage courts (une heure d’affilée maximum) répartis sur la journée, quand l’enfant a besoin d’apaisement (4, 8), mais pour un expert (6) cette règle peut être contournée pour rattraper du temps de contact au sortir de néonatologie ou pour soulager un reflux gastro-œsophagien. Ce sont les objectifs visés qui influencent les conseils de posologie : pour un objectif postural il est davantage souhaité de multiplier ou allonger les temps de portage (3, 5, 8). Les temps de portage en écharpe diminuent ensuite avec le développement de la motricité et la régulation du rythme veille-sommeil (6). Pour un kinésithérapeute (2), le portage traditionnel n’a de place qu’en remplacement des temps de portage manuel, afin de préserver des moments d’expression motrice et de permettre le détachement, avec l’avantage que le positionnement dans l’écharpe rétablit la symétrie tandis qu’un portage manuel répété du côté dominant du porteur peut contribuer aux déformations. Pour un autre kinésithérapeute (1), le portage physiologique est toujours à privilégier au cosy ou à la poussette. L’essentiel réside dans l’alternance entre temps de portage en écharpe et temps d’expériences motrices autonomes ou guidées (1, 5, 7, 8). La richesse de l’intervention précoce repose sur la variation des propositions faites à l’enfant, l’écharpe de portage n’étant qu’un outil d’adaptation posturale parmi d’autres (1). e. A propos de l’utilisation que fait le porteur du portage traditionnel Un portage traditionnel effectué dans le but de libérer les mains du porteur et de transporter l’enfant équivaut-il, en termes d’effets, à un portage consciemment pensé à des fins rééducatives ? Pour un kinésithérapeute (4), la manière dont le porteur appréhende le portage en écharpe ne modifie pas ses effets posturaux mais influe sur ses effets psycho-affectifs. Pour d’autres, l’explication des effets recherchés dans le portage physiologique rendra le parent plus attentif à l’installation de son enfant dans l’écharpe (5) et la relation porteur-bébé sera plus dense (2, 9), au risque de provoquer par excès une accoutumance (3). A l’inverse, deux experts (1, 8) soutiennent que le portage traditionnel instaure nécessairement une relation 25 porteur-enfant plus communicante (par rapport à la poussette), même si le parent l’utilise en mode de transport ou pour se rendre disponible aux aînés. Un kinésithérapeute (6) remarque que dans le cadre de l’intervention précoce, le portage n’est non pas prescrit mais uniquement proposé aux familles a priori intéressées et désireuses de s’y investir. Ce préalable implique selon lui l’inscription obligatoire du portage en écharpe dans une perspective rééducative. Néanmoins, un autre kinésithérapeute (7) considère que si lui est conscient des objectifs kinésithérapiques visés, il ne doit pas proposer le portage physiologique directement à ces fins mais plutôt permettre aux parents de s’approprier l’outil et de rester dans leur rôle de parent, voire d’oublier les difficultés de leur enfant, lors des moments de portage. f. A propos de la place du portage physiologique dans un programme d’intervention précoce Pour tous les kinésithérapeutes interrogés, le portage physiologique prend place dans l’axe éducatif de l’intervention précoce, parmi d’autres conseils d’aménagement de l’environnement et de guidance parentale, l’important étant de varier les propositions faites à l’enfant (7). Il prolonge les conseils de portage manuel (1,5). Pour un expert (3), il n’est pertinent que pour lutter contre une spasticité des adducteurs. Pour un autre (4), cet outil ne présente un intérêt que pour renforcer le lien parent-enfant ou en cas de dorsalgie du parent. Un expert (5) insiste sur la nécessité de faire un bilan des parents (fratrie, acquisition d’une poussette, surcharge d’informations au sortir de néonatologie ou d’hospitalisation) avant de proposer le portage en écharpe en étant vigilant sur sa faisabilité (motivation, culture, acceptation de la distance intime). Il est donc proposé au cas par cas (6, 9). g. A propos du rôle du kinésithérapeute par rapport à cet outil Tous les experts interrogés s’accordent à dire que le kinésithérapeute a un rôle de conseil à jouer vis-à-vis du portage traditionnel. Pour quatre d’entre eux (2, 4, 6, 8), cette compétence est partagée avec d’autres professions : psychomotricien, infirmière puéricultrice, orthophoniste, ergothérapeute, éducateur de jeunes enfants et sage-femme. Deux kinésithérapeutes (5, 7) ajoutent qu’il est nécessaire d’être convaincu des bienfaits du portage en écharpe par une pratique personnelle. Selon un expert (1), le kinésithérapeute peut faire appel à une instructrice en portage qui intervient soit en cabinet libéral soit en hôpital pour installer l’enfant (1). Un autre (5) 26 pense au contraire qu’il n’y a pas d’intérêt à orienter les parents vers des formations qui propagent parfois des discours sur le maternage culpabilisants, alors que l’apprentissage autodidacte est selon ce même expert accessible. La démonstration des nœuds peut tout à fait s’inclure dans les séances de kinésithérapie (5). En séances, un kinésithérapeute (8) utilise le portage en écharpe chez des bébés très hypotoniques afin de travailler les transferts d’appui des membres inférieurs. Un autre (7) estime au contraire qu’il faut privilégier d’autres moyens lors des prises en charge et laisser le portage physiologique aux parents. C. Discussion La discussion porte d’abord sur la validité interne de l’étude puis sur sa cohérence externe et enfin sur sa pertinence clinique. 1. Validité interne Cette étude comporte de nombreux biais. Tout d’abord, les résultats déduits de la revue de littérature ne peuvent prétendre à aucune force de preuve. D’une part, la littérature compilée est elle-même d’un faible niveau de preuve. Il s’agit essentiellement d’avis d’experts (niveau le plus faible), auxquels s’ajoutent une revue systématique portant sur des essais comparatifs (niveau de preuve 2), une expertise collective (accord professionnel) et une étude rétrospective (niveau de preuve 4). D’autre part, la littérature trouvée n’abordant que rarement de façon concrète le portage en écharpe, les éléments de réponse à la problématique posée sont obtenus par déduction et non directement. Ce biais amenuise encore le niveau de preuve des résultats. L’avis d’experts sollicité dans un second temps ne saurait renforcer la portée des résultats. Il s’agit du niveau de preuve le plus faible et le faible échantillon de kinésithérapeutes interrogés ne permet pas de généraliser les résultats comme représentatifs de l’ensemble de la profession spécialisée dans la prise en charge du tout-petit. Les kinésithérapeutes n’ont pas été recrutés au hasard ce qui crée un biais supplémentaire. 2. Cohérence externe Il existe des limites à l’utilisation de l’écharpe de portage en tant qu’outil kinésithérapique, non retrouvées dans la littérature scientifique mais à mentionner cependant. 27 Certains parents pourraient en effet refuser de s’investir dans le portage en écharpe à cause de l’image que cet outil renvoie. Le parent doit en effet assumer la référence à des coutumes étrangères, anciennes. A l’inverse, on pourrait concevoir qu’une famille préfère prolonger le portage physiologique plutôt que de passer précocement à un appareillage qui rend visible le handicap. De plus, le portage physiologique est fréquemment associé au concept de maternage proximal qui prône, entre autres, l’allaitement prolongé, le « co-dodo » ou encore l’usage de couches lavables. Le kinésithérapeute qui souhaiterait proposer le portage en écharpe devrait alors bien démarquer son indication de cette tendance. Le portage traditionnel connaît aujourd’hui un effet de mode. Les écharpes se procurent très facilement et les ouvrages et sites internet décrivant des techniques de nouages et vantant les mérites universels du portage physiologique sont pléthore. Le matériel est toutefois de qualité variable et certains tutoriaux de nœuds ne respectent pas l’enroulement de l’enfant. La réalisation d’un portage optimal nécessite un apprentissage. Il existe donc un risque à ce que des parents d’enfants à risque de handicap d’origine périnatale investissent mal cet outil et rendent le portage inconfortable pour l’enfant, jusqu’à être iatrogène en termes de posture. Il se dégage une certaine cohérence de la revue de littérature. Les déductions effectuées, dans une approche résolument sensori-motrice, tendent à confirmer les hypothèses de travail : le portage traditionnel répond bien aux objectifs de l’intervention précoce et le kinésithérapeute peut donc recourir à cet outil. Les limites du portage en écharpe à visée thérapeutique apparaissent également clairement dans la littérature, et à partir des mêmes auteurs. La réponse à la problématique obtenue par déduction de la revue de la littérature est alors d’autant plus cohérente qu’elle est globale et non pas obtenue par franche opposition de courants de rééducation. En ce qui concerne les indications de durée et de posologie, la littérature est bien plus divergente et par déduction on dégage davantage de questions que de réponses. L’avis d’experts conforte quelque peu les hypothèses de travail : tous s’accordent à dire que le portage physiologique prend place dans l’axe éducatif de l’intervention précoce et que le kinésithérapeute a un rôle de conseil à jouer vis-à-vis de cet outil. Très disparate sur d’autres points comme les indications de durée ou de posologie, il ne permet donc pas de répondre aux questions amenées par l’étude de la littérature. 28 De surcroît, les réponses données semblent souvent fondées sur l’empirisme et les croyances. Les réponses favorables au portage sont fréquemment corrélées à un usage professionnel, personnel ou à une formation dans le cadre professionnel à cet outil. On note aussi que les professionnels libéraux posent davantage de réserves à l’utilisation du portage en écharpe chez les bébés à risque de handicap périnatal, sur des considérations d’autonomie motrice et de risques de relation fusionnelle, que les kinésithérapeutes intervenant en CAMSP ou à l’hôpital. La diversité des formations, et notamment la réalisation de formations spécifiques aux troubles du développement neuro-moteur du nourrisson, est également corrélée à un enthousiasme quant à l’utilisation du portage physiologique dans le cadre de l’intervention précoce tandis que les kinésithérapeutes de formation unique (Le Métayer ou Vojta) sont plus réticents. 3. Pertinence clinique Au final, les résultats sont mitigés. Les résultats de l’étude indiquent que le portage physiologique répondrait en partie aux objectifs de l’intervention précoce. Cependant cet outil présenterait également des insuffisances. L’obligation de moyens interdit de recourir exclusivement au portage en écharpe mais l’intérêt de cet outil résiderait plutôt dans son utilisation en tant qu’adjonction thérapeutique. Le kinésithérapeute y aurait recours dans le cadre de l’accompagnement parental, dans l’axe éducatif de l’intervention précoce. Cependant, ces résultats sont non significatifs et ont de surcroît un très faible niveau de preuve, de sorte que l’étude ne peut ni confirmer ni infirmer les hypothèses de travail qui ont été posées. 29 IV. Conclusion En définitive, dans une approche sensori-motrice, la littérature indique qu’un maintien du nourrisson à risque de handicap d’origine périnatale en position de regroupement et à proximité physique de son parent entraîne des effets posturaux, sensoriels, psychiques, émotionnels et cognitifs positifs. Cette étude propose que le portage physiologique constitue un outil de rééducation pertinent au sein d’un programme d’intervention précoce des troubles du développement neuro-moteur dans la mesure où il garantit le regroupement et la proximité et donc des effets bénéfiques tels qu’il répond aux objectifs de l’intervention précoce. La littérature amène également des limites par rapport à l’éducation sensori-motrice et à l’évolution de la relation mère-enfant qui restreignent la pertinence du recours au portage traditionnel dans le cadre de l’intervention précoce. La revue de littérature permet enfin de déduire que l’utilisation du portage en écharpe, dans l’axe éducatif de l’intervention précoce, en tant qu’adjonction thérapeutique, s’inscrit dans le champ de compétence du masseurkinésithérapeute. L’avis d’experts converge vers cette réponse pondérée à la problématique : le portage physiologique est pertinent chez le bébé à risque de handicap d’origine périnatale en tant qu’accompagnement parental et à condition qu’il soit inclus dans une prise en charge globale. Le kinésithérapeute a un rôle de conseil vis-à-vis de cet outil. On retrouve donc une cohérence externe entre l’extrapolation de la revue de littérature et l’avis d’experts tendant vers une validation des hypothèses. En revanche, en ce qui concerne les modalités concrètes d’application du portage en écharpe dans un programme d’intervention précoce, l’exploitation de la littérature n’amène que des questions, notamment sur les indications de durée et de dose. L’avis d’experts, très divergent, ne peut apporter de réponse unanime sur ces points. A cause de la faible validité interne de cette étude, la réponse donnée à la problématique n’est pas significative. Les résultats obtenus dans cette étude laissent entrevoir que la pertinence clinique du portage traditionnel, bien que fortement dépendante de la conviction du kinésithérapeute et de sa pratique professionnelle et personnelle, pourrait être étendue à d’autres pathologies que le suivi du bébé à risque de handicap neuro-moteur. On pourrait également considérer son applicabilité dans le cadre de la prise en charge des hanches instables, des déficits sensoriels ou encore des troubles autistiques. 30 V. Bibliographie AMIEL-TISON C. 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Enfance, 2000, tome 53, n° 3, p. 221-233 33 Glossaire Attachement : Bowlby (1969) décrit l’attachement comme étant le produit des comportements qui ont pour objet la recherche et le maintien de la proximité d’une personne spécifique. C’est un besoin social primaire et inné d’entrer en relation avec autrui. La fonction de l’attachement est pour une fonction adaptative à la fois de protection et d’exploration. La mère, ou son substitut, constitue une base de sécurité pour son enfant. Le nouveau-né dispose d’un répertoire de comportements instinctifs, tels que s’accrocher, sucer, pleurer, sourire, qui vont pouvoir être utilisés au profit de l’attachement. Après 7 mois, une relation d’attachement, franche et sélective, à une personne privilégiée, s’établit. Bowlby (1969) parle alors de monotropisme, c’est-à-dire d’une seule et unique relation. Boucle cognitive : Le psychisme extrait les invariants des fonctionnements pour guider, modifier, faire évoluer ces fonctionnements. (Delion et Vasseur, 2011) Déficience : « toute perte de substance ou altération d’une fonction, d’une structure physiologique ou anatomique. » (Wood, classification internationale du handicap de 1980, cité par Berard, 2008) Dépistage : « recherche, chez des sujets apparemment normaux, d’une pathologie inapparente ou, plus précisément, qui ne s’exprime pas sur le plan fonctionnel de manière évidente. Le dépistage se situe au stade de l’incapacité, avant le stade du handicap. Il est compliqué chez l’enfant. » (Haouari, 2001) Flux sensoriel : « un flux est constitué par une source qui émet de manière continue et orientée un agent susceptible d’irriter une surface, le capteur. » (Bullinger, 2005) Fonctionnement : « relève des interactions matérielles que l’organisme entretient avec son milieu […] observables par des moyens techniques variés. » (Bullinger, 2005) Handicap : « Désigne un préjudice qui résulte de la ou des incapacités et qui limite ou interdit l’accomplissement d’un rôle considéré comme normal compte tenu de l’âge, du sexe et des facteurs socioculturels. » (Wood, classification internationale du handicap de 1980, cité par Berard, 2008) Incapacité : « Correspond à une réduction (résultant d’une déficience) partielle ou totale de la capacité à accomplir une tâche d’une façon ou dans les limites considérées comme normales pour un individu. » (Wood, classification internationale du handicap de 1980, cité par Berard, 2008) Instrumentation : « décrit la progressive constitution d’une subjectivité, la façon dont un individu s’approprie son organisme et les objets de son milieu, qu’ils soient physiques ou sociaux. » « L’organisme, des objets matériels du milieu, des savoir-faire sociaux prennent ainsi le statut d’outils ». L’individu doit tenter de les maîtriser pour les mettre au service de ses finalités. (Bullinger, 2005) Mère « suffisamment bonne » : Le concept de mère « suffisamment bonne » de Winnicott se définit par trois actes nécessaires: le holding, le handling et l'object presenting. Le holding (ou portage) désigne la façon de porter l'enfant, plus ou moins serré contre soi, et possède une valeur affective. Le handling de l'enfant (ou manipulation) correspond à la façon d'agir sur lui dans le cadre du soin (nourrissage, toilette, soin du cordon). Ces soins sont investis de différentes manières par les parents et comprennent de nombreuses sensations tactiles et auditives pour le bébé. C'est par le handling que l'enfant peut dissocier son corps de l'environnement. L'object presenting (ou présentation de l'objet) aide à découvrir le monde par petits bouts d'information sur l'environnement. L'enfant préfère des présentations simples d'objets ayant une connotation affective. Opisthotonos : contractures généralisées prédominant sur les muscles extenseurs, le corps se retrouve incurvé en arrière, les membres en extension. (Saint-Anne Dargassies, 1979) Origine périnatale : L’événement causal a eu lieu entre 22 semaines d’aménorrhée et 8 jours postnatals (Cans et al. 2001). Posture : Définie comme le « maintien du corps dans une position donnée grâce à une activité musculaire permanente et qui s’oppose au jeu des articulations. […] La posture prépare, soutient et assure l’efficacité du mouvement. » (Jovet, 2000) Schéma corporel : « Une représentation plus ou moins consciente de notre corps, agissant ou immobile, de sa position dans l’espace, de la posture respective de ses différents segments, du revêtement cutané par lequel il est en contact avec le monde ». Cette représentation nous permet d’avoir « la connaissance et l’orientation de notre corps dans l’espace pour nous permettre d’y agir avec efficacité ». (Ajuriaguerra, 1968) Tonus : Jovet (2000) définit le tonus comme un « état de légère tension des muscles au repos, résultant d’une stimulation continue réflexe de leur nerf moteur. Cette contraction isométrique […] est permanente et involontaire. […] Le tonus maintient ainsi les stations, les postures et les attitudes. Il est la toile de fond des activités motrices et posturales. » L’auteur différencie le tonus passif, qui est la tension permanente du muscle, du tonus actif correspondant aux variations de tension musculaire permettant les réactions posturales. Tronc en cor de chasse : projection de tête en arrière avec incurvation latérale du tronc. (SaintAnne Dargassies, 1979) Sommaire des annexes Annexe 1 : Critères d’inclusion pour le suivi des enfants à risque de handicap (d’après François, 2007) Annexe 2 : Etapes de la construction de l’axe corporel (d’après Vasseur, 2000 et l’axe de développement de Bullinger, Delion et al. 2009) Annexe 3 : Outils reproduisant passivement le regroupement pendant les premiers mois de vie Annexe 4 : Positionnement du bébé porté en écharpe Annexe 5 : Données sur les kinésithérapeutes interrogés Annexe 1 : Critères d’inclusion pour le suivi des enfants à risque de handicap (d’après François, 2007) Facteurs de risque de paralysie cérébrale : Prénatal Périnatal Postnatal (0-2 ans) Prématurité Travail prolongé Méningite Poids de naissance<2500g Rupture prématurée de la Encéphalite Infections poche des eaux Hypoxie Grossesse multiple Anomalies de présentation Hypotension Age maternel Bradycardie Convulsions Eclampsie sévère Hypoxie Coagulopathies Toxicomanie Ictère Métrorrhagies Traumatisme crânio-cérébral Hyperthyroïdie Déficit en iode Très haut risque de trouble du développement : Grands prématurés (<32 semaines, en particulier <28 semaines) Pathologie néonatale avec risque vital (choc, sepsis, ventilation,…) Encéphalopathie ou autre accident neurologique survenu dans les premières semaines de vie Lésions cérébrales dépistées en période néonatale Malformations crânio faciales Cardiopathies congénitales sévères Ictère sévère Pathologie associée ou milieu psycho-social défavorisé : Prématurés (33 à 36 semaines) Retard de croissance intra utérin Macrosomes Jumeaux Affections materno-fœtales Addictions prénatales Annexe 2 : Etapes de la construction de l’axe corporel (d’après Vasseur, 2000 et l’axe de développement de Bullinger, Delion et al., 2009) Annexe 3 : Outils reproduisant passivement le regroupement pendant les premiers mois de vie Conseils de portage manuels1 Positionnements préalables à la motricité libérée2 1 2 Pinol et Romieu, 2007 Grenier, 2000 Regroupement assuré par des langes roulés1 Coconou®2 1 2 Grenier, 2000 Vaivre-Douret et al. 2009 Siège moulé en plâtre1 Siège assis tailleur2 1 2 Toullet, 2007 Toullet, 2007 Annexe 4 : Positionnement du bébé porté en écharpe1 Portage dos Portage sur le côté Portage ventre 1 Cortet et Guerrand-Frénais, 2009 M* M F* F F F F F F 1 2 3 4 5 6 7 8 9 Sexe - service de rééducation enfant - CAMSP CAMSP Bobath Portage (Peau à peau) Dépistage précoce des handicaps Développpement neuromoteur chez l’enfant dans la première année Formations courtes Le Métayer - service hospitalier de pédiatrie - pouponnière, IEM - CAMSP CAMSP + activité libérale pédiatrique Troubles du développement de l’enfant de 0 à 1 an (APF) Détection précoce des enfants IMC (Institut motricité cérébrale) Dépistage et traitement précoce du nourrisson IMC Examen de la motricité spontanée du tout petit Le Métayer, Bobath, troubles sensori-moteurs Portage (Peau à peau) - IEM - Activité libérale dont une part de pédiatrie Niveaux d’évolution motrice 1 et 2 Vojta - IEM - CAMSP Activité libérale (80% de pédiatrie dont 20% de 0-4 ans) Le Métayer Dépistage et prévention des troubles moteurs chez le petit de 0 à 1 an Lien entre posture et sensorialité Initiation au portage pour toute l’équipe du CAMSP (Peau à peau) - IEM - Activité libérale (40% de pédiatrie en relais du CAMSP*) - IEM* - Activité libérale exclusivement neuropédiatrique + salariée en centre de référence de maladies neuromusculaires (neuropédiatrie) Pratique professionnelle DU IMC* et polyhandicap DU* de pédiatrie Niveaux d’évolution motrice 1 et 2 (Le Métayer) Dépistage précoce des troubles moteurs du nourrisson (Le Métayer) Troubles du développement de l’enfant de moins d’un an (APF*) DU bilan et prise en charge sensori-motrice Formations Oui Non Proposition démonstration conseils + en rééducation Proposition démonstration conseils Non Oui Oui Non Non Oui Oui Pratique personnelle du portage Proposition démonstration conseils Proposition démonstration conseils Proposition démonstration conseils Non Non Non Proposition démonstration conseils Pratique en séances du portage Annexe 5 : Données sur les kinésithérapeutes interrogés APF : Association des Paralysés de France CAMSP : Centre d’Action Médico-Sociale Précoce DU : Diplôme Universitaire F : Féminin IEM : Institut d’éducation motrice IMC : Infirme Moteur Cérébral (terme remplacé par celui de paralysé cérébral) M : Masculin