Cecile Sauvage - Lire à Saint
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Cecile Sauvage - Lire à Saint
Un vendredi 13 à Prague Quand je voyage à pied ou en avion, j'ai besoin de me raconter une histoire- Ce matin, je me préparais à voyager, en direction de Prague, une destination qui me fait rêver car il s'agit de la capitale de mon pays d'origine, et une ville que j'ai toujours voulu visiter. Je suis invitée pour le mariage de mon meilleur ami Milan, le vendredi 13 mai. Il m'a envoyé une enveloppe avec l’invitation que j'ai reçue le 1er avril, des billets d'avion pour la ville praguoise, ainsi qu'une réservation à l'hôtel Skoupy. Au bas de cette invitation figurait un numéro de téléphone que je m'étais empressée de composer afin de confirmer ma venue au mariage. Mais... étrange : je tombais sur le répondeur qui indiquait que le numéro demandé n'était plus en service. J'avais donc décidé d'ignorer cet obstacle, et de me rendre tout de même à Prague. Il est huit heures trente. J'ai maintenant besoin de me raconter une histoire. Mais les questions se bousculent déjà dans ma tête : Milan m'attendrait-il à l'aéroport de Prague ? Pourquoi le numéro de téléphone était-il hors service ? J'ai donc décidé de me raconter une histoire à ce sujet en m'endormant. J'arrivais à l'aéroport de Prague, à dix heures trente environ. Là-bas, un chauffeur de taxi à l’air patibulaire attendait avec une pancarte où mon nom était inscrit. Ma peur que personne ne m'accueille à l'arrivée fut donc étouffée. Le chauffeur de taxi mit mes affaires dans le coffre de son véhicule qui avait une particularité : la plaque d'immatriculation comportait le chiffre 666, ce qui retint mon attention. Le chauffeur m'interpella alors brusquement. Sans un mot, il ouvrit la porte arrière et m'invita à monter. Je l'observais sans arrêt, il bredouillait quelques mots inaudibles en tchèque. Il était très intriguant. À bord du taxi, sur le siège avant, il y avait un chat noir avec un collier rouge. C'était à la fois cocasse et curieux. Après une bonne dizaine de minutes, le taxi s'arrêta devant le fameux hôtel Skoupy, dans le joli quartier de Mala Strana. Le conducteur m'ouvrit la portière, et se refugia immédiatement dans l'habitacle de sa voiture, sans même m'adresser un mot ou m'aider à sortir mes bagages du coffre. Il était maintenant onze heures. Un garçon d'hôtel me conduisit à la réception. Il y avait bien une réservation à mon nom. Ma chambre était au premier étage, au numéro 13. Je montais et longeais le long couloir sombre, mais il y avait une échelle qui m'était impossible de contourner : je passais donc dessous afin d'atteindre ma chambre. Mais une surprise m'attendait encore : il n'y avait pas de chambre 13, mais simplement une porte sans numéro entre la 12 et la 14. Je n'eus pas le temps d'essayer la clef que 1a porte s'ouvrit comme par magie. La chambre était de style baroque, agréable, mais mon attention se porta sur ce grand lit où se trouvait une petite carte d'invitation. J'étais conviée à un vernissage à vingt-et-une heures, je pensais y retrouver Milan. Épuisée par ce voyage invraisemblable, je m'allongeais sur ce lit couvert d'une très belle fourrure de zibeline et m'endormais. À douze heures trente, on frappa à ma porte. C'était le garçon d'hôtel qui poussait une desserte remplie de plats raffinés. Cela tombait bien, mon ventre était engourdi par la faim. Après un somptueux repas, je m'allongeais de nouveau sur le lit et allumais la télévision, mais elle ne fonctionnait pas : elle ne diffusait qu'un écran noir rayé de rouge... Je finis donc par me rendormir. Mais à seize heures trente, un hurlement de bête égorgée me réveilla. Je tressaillis de peur et me levai toute tremblante. J'aperçus alors sur le rebord de la fenêtre, un chat noir. Il semblait identique à celui qui accompagnait le chauffeur de taxi, avec le même collier rouge. C'était effarant. J'essayais ensuite de trouver le sommeil, mais j'étais bien trop perturbée par les évènements. Il était dix-sept heures trente, et je n'avais qu'une envie, c'était de sortir de cette chambre. Je décidai donc de me préparer pour 1e vernissage. J'entrai dans la salle de bain, et je vis avec grande stupéfaction que le miroir était brisé. Cette succession de faits qui sortaient de l'ordinaire commençait à me troubler. Malgré ce contretemps, je finis tout de même par me préparer et sortir de ma chambre. Je descendis dans le hall à dix-neuf heures, lorsqu'un employé de l'hôtel m'invita à m'installer à une table au fond d'une somptueuse et vaste salle dînatoire. J'étais seule ; cela m'intriguait de plus en plus. Après un délicieux repas, t'employé me conduisit vers l'esplanade de l'hôtel qui dominait toute la ville : le château de Prague, le pont Charles, le parc de Letna, la Vltava, le monastère de Brevnov... La rue était magnifique. Le serveur apporta un chariot garni d'entremets et m'invita à m'asseoir pour déguster un de ces desserts. Ce lieu était si magique que toutes mes peurs semblaient disparaître. Soudain, une voix retentit, pour me dire qu'un taxi attendait en bas de l'hôtel. A était vingt heures trente. C'était l'heure. Je devais me rendre au musée Bedrich Smetana- Je sortis de l'hôtel, c'était la pleine Lune, mais il faisait pourtant extrêmement sombre, puis je vis avec effarement qu'il s'agissait du même chauffeur accompagné de son chat noir qui allait me véhiculer jusqu'au musée. J'éprouvais une certaine crainte au moment de monter, mais le taxi me conduisit en quinze minutes au lieu de rendezvous sans désagréments. Je descendis alors du véhicule, et pénétrai dans le musée. J'étais seule. J'entrais dans une grande pièce lugubre et sombre où de vastes toiles funestes étaient exposées sur les quatre murs de la salle. Les couleurs principales étaient du noir et du rouge sanglant. La peinture semblait encore fraîche, elle coulait, comme si la toile se vidait de son sang. C'était effroyable. En découvrant sur le sol des taches rouges, mon regard se posa sur ce tableau qui prenait vie : une femme allongée avec un poignard planté dans la poitrine. Était-ce son sang répandu sur le sol ? Cette pensée ne me quittait plus, un frisson de terreur m'envahit, j'étais tétanisée à l’idée de découvrir quelque chose de surnaturel et rongée par la peur et l'angoisse, je pris la fuite. Il était vingt-et-une heure et le même taxi m'attendait dehors. Je m'engouffrai aussitôt à l’intérieur. Il me reconduisit à l'hôtel. Là-bas, le réceptionniste n'était plus le même, je demandais la clef de la chambre 13. Il me regarda étrangement et me dit : « I1 n'y a pas de chambre 13 et je n'ai aucune Mademoiselle Nina Selenova inscrite sur le registre. » Je le suppliais de me suivre au premier étage. J'ouvris ma chambre, et 1à, je restai interdite : cette porte donnait sur l'extérieur. L'employé perdit patience, me poussa et referma aussitôt derrière moi, il m'avait mise dehors. L'angoisse commençait à m'envahir, mes jambes ne me tenaient plus, mon cœur battait à se rompre et des idées inimaginables défilaient dans ma tête. Un courant d'air frôla mon visage, j'étais pétrifiée par la peur. Il y eut un grand craquement dans le ciel. C'était comme une explosion. La Lune s'éteignit, laissant le quartier de Mala Strana dans le noir. Le vent se mit à souffler très fort, saupoudrant sur son passage une sorte de pluie de cendres irréelle. Il semblait que le ciel se déchaînait, comme si un règne de folie s'abattait sur Prague. Prise de panique, je me sauvai à toutes jambes lorsque soudain, le klaxon d'un taxi me fit bondir. Bouleversée, je montai dans celui-ci pour me faire reconduire à l'aéroport. Tapie au fond du taxi obscur, je ne me sentais pas rassurée. Le chauffeur me jeta un regard par-dessus son épaule, ce qui me glaça le sang et me fit grelotter de peur. Et s'il essayait de m'attirer à l'écart pour me violer ou m'assassiner ? Non, car nous venions d'arriver à l'aéroport. Je me précipitai dans le premier avion en destination de Genève, qui décolla en une poignée de secondes. Il était minuit, j'étais arrivée dans mon appartement à Lausanne. J'ouvris la boîte aux lettres. Il y avait un courrier de mon ami Milan, qui m'informait que la cérémonie avait été annulée : il s'était fait renverser par un taxi. Le mariage était reporté au 31 octobre. À l'intérieur de l'enveloppe, billets d'avion et réservation au même hôtel. Au bas de la lettre, un nouveau numéro de téléphone. La gorge nouée, je m'empressai d'appeler afin d'avoir des nouvelles de Milan. Mais à nouveau, un répondeur et un numéro hors service. À ce moment-même, les battements de mon cœur s'accélérèrent. D'horribles tremblements me saisissaient, les pensées s'insinuaient dans ma tête, cherchant à prendre le contrôle de mon corps. Prise de vertiges, je me laissai tomber à terre. La douce voix d'une hôtesse de l'air me réveille pour m'informer de l'arrivée de l'avion à Prague. Je me dirige alors vers la sortie. Mon sang ne fit qu'un tour en m'apercevant que le chauffeur de taxi était le même que celui de mon histoire onirique. Il charge mes bagages alors que je me suis déjà installée sur le siège arrière droit. Et qu'aperçois-je dans le rétroviseur ? Un chat noir portant un collier rouge sur le siège passager. Que se passe-t-il ? L'histoire prend-elle une dimension réelle ? Le chauffeur entra dans la voiture et démarra. Je suis haletante et mon corps est paralysé. Il est dix-heures trente-trois, et nous sommes le vendredi 13 mai à Prague. Marc AUBERT, Lycée Simone Weil