Femmes et droit

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Femmes et droit
Dossier
Par Camélie boucher,
étudiante en droit et stagiaire chez Inform’elle
Crédit : Martine Laprade
Femmes et droit
Dossier : Femmes et droit
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Sommaire
Première partie : Histoire et mise en perspective
Bref historique
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Acquisition de droits : Emily Murphy et les célèbres cinq
5
Le droit de vote au Québec
6
L'accès à la profession : Annie Macdonald Langstaff
7
L'arrivée des femmes dans les professions juridiques
8
Féminisation des titres
9
2e partie : Principaux enjeux des avocates en 2014
Équité salariale
9
Égalité vs équité
10
Rétention des avocates dans leur profession (conciliation travail-famille et exode)
11
Doubles standards chez les femmes de carrière
12
Préjugés face à la pratique du droit de la famille
13
Programmes visant à améliorer les conditions de travail des avocates
14
Entrevues avec des juristes
15
Saviez-vous que…
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Références
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Dossier : Femmes et droit
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« Il n'est pas nécessaire d'être avocat ou magistrat pour savoir que la légalité et la justice
sont loin d'être synonymes. » Adolphe-Basile Routhier (1839-1920), avocat, juge et
écrivain québécois, auteur des paroles de l'hymne national canadien.
Le présent dossier a pour but de dresser un portait sommaire de la position des femmes dans les
professions juridiques en couvrant des thèmes variés comme l’acquisition des droits de la
femme, l’accès à la profession, la féminisation des titres, les préjugés, etc.
Cependant, pour pouvoir discuter de la situation des femmes juristes, il faut remonter dans le
temps : elles doivent d'abord acquérir le droit d'étudier le droit, puis avoir le droit d'en faire
carrière par la suite. Bien sûr, avant de pouvoir accéder à cette profession prestigieuse, elles
doivent obtenir une certaine reconnaissance sociale. Tout cela remonte à bien loin.
Ce chemin historique est parsemé de femmes au courage exceptionnel. Il s’agit d’un parcours
fascinant, mais également complexe. En effet, l'histoire du combat des femmes vers l'égalité et
l'évolution de leur statut a constamment tangué entre percées majeures et retours en arrière
drastiques. Cette histoire nous enseigne que les avancées des dernières décennies ne devraient
pas être considérées comme des acquis. Au contraire, il faut continuer de les ancrer toujours
plus profondément dans les assises de nos sociétés si nous ne voulons pas les voir disparaître. Il
est important que la contribution de ces femmes ne s'oublie pas et demeure présente dans nos
esprits, tant dans la mémoire collective que dans la mémoire des futures pratiquantes du droit.
Premièrepartie:Histoireetmiseenperspective
Notre droit actuel québécois est un amalgame de plusieurs systèmes juridiques, dont les plus
importants sont le droit français, le droit anglais et le droit romain. Pour avoir une vision
d'ensemble et une meilleure perspective, il est intéressant d’effectuer un bref retour sur la
condition des femmes de ces milieux et différentes époques.
Source : Photo-libre.fr
Dans la Rome antique, la femme est très loin de
l'égalité juridique : elle ne peut exister seule
sans la gouverne d'un homme, soit son père, soit
son mari. Cet homme est nommé le pater
familias (père de famille) et détient la patria
potestas (puissance paternelle). Il détient ainsi
tous les droits sur elle, jusqu'à celui de vie ou de
mort. Vers la fin de la République romaine, et
pendant l'Empire, on observe cependant un
progrès étonnant dans le droit de la famille
romaine. D'abord, le pouvoir absolu du père de
famille devient de plus en plus symbolique; le
père ne peut plus se permettre d'actes de violence extrêmes, ni d'actes injustifiés. La famille
patriarcale devient peu à peu une famille conjugale, centrée autour du noyau que forme le
couple. Le divorce est permis, puis se multiplie. Les motifs de divorce deviennent de plus en
plus banals, allant même jusqu'à l'incompatibilité d'humeur. La femme peut elle-même, sous
certaines conditions, demander et obtenir le divorce! C'est là un exemple de percée
considérable qui s'effacera par la suite.
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Dossier : Femmes et droit
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Pendant le Moyen-Âge, la femme est plutôt collaboratrice : elle s'occupe des affaires de la
famille quand son mari est occupé ou absent. À partir du XVIe siècle, durant l'Ancien Régime,
nous assistons à un retour en force des inégalités matrimoniales. L'homme détient tous les
pouvoirs et la femme est frappée d'une incapacité juridique complète. L'homme de la famille
devient en quelque sorte un magistrat domestique.
À la même époque, en Nouvelle-France, les femmes ont une plus grande importance qu’en
France. Toutefois, il s’agit plus d’une nécessité que d’une volonté d’égalité des sexes. En effet,
les maris travaillant comme défricheurs, draveurs, coureurs des bois ou bucherons sont
généralement partis durant de longues périodes et délèguent donc à leurs femmes le pouvoir et
le devoir de s’occuper des affaires du ménage, de gérer les biens et de participer à la vie
politique du village.
À la suite de la Conquête de 1760, sous le régime militaire britannique, l'acte constitutionnel de
1791 établit que tous les propriétaires ont la qualité d'électeur, sans mention de sexe.
Probablement par inadvertance, les femmes propriétaires ont ainsi le droit de voter. En 1849, le
Parlement du Canada-Uni corrige cette « anomalie historique » et leur retire ce droit. Pire
encore, la promulgation du Code civil du Bas-Canada en 1866 enlève plusieurs autres droits aux
femmes. Par exemple, après leur mariage, elles ont le même statut que celui d’une mineure et
ne peuvent ni contracter, ni hériter, ni intenter de recours en justice, elles ne peuvent non plus
percevoir un salaire et n’ont aucune responsabilité civile ou financière.
Après la Première Guerre mondiale (1918), le Québec s'industrialise massivement et les femmes
commencent à entrer sur le marché du travail urbain des métropoles. Leur éventail de métiers
est cependant assez restreint; la majorité d'entre elles sont ouvrières en usine ou travaillent
dans des commerces, d'autres sont domestiques, institutrices ou encore infirmières, et quelquesunes font du travail de bureau. Elles participent ainsi au développement d'une nouvelle structure
économique et veulent prendre leur place dans la sphère publique, politique et intellectuelle.
C’est pendant cette nouvelle ère que plusieurs groupes et associations de femmes voient le jour,
portant les revendications qu'une majorité de femmes partagent en silence depuis quelques
décennies.
Malgré cette nouvelle poussée féministe, il n'y a aucune loi sur le divorce au Canada à cette
époque. Il est alors extrêmement difficile, voire presque impossible, d'obtenir un divorce. Le
divorce doit être demandé au Parlement fédéral afin qu'il adopte une loi d'intérêt privé
concernant la situation spécifique du demandeur et ensuite décrète le divorce. Le divorce était
plus accessible sous l'Empire romain d'Occident qu'au XXe siècle au Canada!
Certaines femmes ont fait des pas de géant et ont poussé de lourdes portes derrière lesquelles
se dissimulaient de nombreux préjugés et croyances discriminatoires. Elles ont débroussaillé le
chemin et ont ouvert le passage à toutes les jeunes femmes qui désiraient les suivre.
Il est important aujourd’hui de souligner leur lutte et leurs efforts.
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Dossier : Femmes et droit
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Acquisitiondedroits
Emily Murphy
Emily Ferguson Murphy, née en 1868, est devenue la première magistrate de l'Empire
britannique en 1916. Elle provient d’un milieu aisé et a grandi dans une famille d'intellectuels
réputés (deux frères avocats, un oncle juge et un autre sénateur). Grâce à sa famille, elle
s'intéresse aux lettres et au droit. Elle est autodidacte et écrit plusieurs livres. Elle fait
campagne dès 1908 pour la reconnaissance du droit de propriété pour les femmes mariées qui ne
se retrouvent avec rien à la mort de leurs maris. Elle fait également partie d’un groupe de
femmes qui militent en faveur du droit de vote des Canadiennes aux élections fédérales. Elles
obtiennent ce droit en mars 1918.
The Famous Five
Emily Murphy fait aussi partie des « célèbres cinq », ces cinq femmes qui ont porté la cause de
l'interprétation du terme « personne » de l'article 24 de l'Acte de l'Amérique du Nord Britannique
jusqu'au Conseil privé de Londres. Comme on le sait, la cause fut gagnée.
Dans sa réaction contre la proposition de nommer des femmes au Sénat canadien, le
gouvernement canadien soutient que l'intention du législateur de 1867 n'était pas d'inclure les
femmes lorsqu'il écrit que "le gouverneur général mandera [...] au Sénat [...] des personnes
ayant les qualifications voulues [...].i
Crédit : Martine Laprade - Ottawa
Emily Murphy, accompagnée d'Henrietta Edwards, de Nellie McClung, de Louise McKinney et
d'Irene Parlby intente leur recours en 1927 afin de faire établir que la définition du mot «
personne », utilisé dans les textes
constitutionnels, inclut aussi bien les
femmes que les hommes.ii La Cour
suprême du Canada répond par la
négative en 1928,
mais à
l'époque il existait encore
un
tribunal supérieur à notre Cour suprême
canadienne : le Conseil Privé de
Londres.
Celui-ci déclare finalement que notre
Constitution
canadienne
se
doit
d'évoluer avec le temps et de s'adapter
aux changements de société. Ainsi, il
est temps d'étendre l'interprétation du
mot « personne » aux femmes. Malgré
cette victoire, Emily Murphy ne sera
elle-même jamais nommée sénatrice.
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Dossier : Femmes et droit
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LedroitdevoteauQuébec:unelongueluttelaborieuse
Le Canada voit toutes ses provinces, sauf le Québec, accorder aux femmes le droit de vote entre
1916 et 1925. Dès lors, toutes sortes d'associations de femmes se forment au Québec afin de
mettre de la pression sur le gouvernement. Durant la décennie 1930-1940, on constate un grand
nombre de batailles politiques et de changements de gouvernement. En 1938, Joseph-Adélard
Godbout, chef du parti libéral, inscrit dans son programme électoral son intention de donner le
droit de vote aux femmes à la suite de sa rencontre avec le Club des femmes libérales (dont fait
partie Thérèse Forget-Casgrain) lors d'un congrès du parti.iii Lorsque Godbout devient le premier
ministre du Québec en 1939, il tient sa promesse électorale en menant à terme en 1940 son
projet de loi pour le suffrage féminin, malgré une résistance tenace de la part des autres partis
politiques et de l'Église. Plusieurs années plus tard, les femmes autochtones sont autorisées à
voter : en 1960 au fédéral et en 1969 au Québec.
Voici, en guise de comparaison, quelques dates intéressantes concernant l'avènement du
suffrage féminin dans le monde.iv
Pays
Année
Nouvelle-Zélande
1893, incluant les femmes autochtones
Australie
1902 et 1962 pour les femmes autochtones
Allemagne
1918
États-Unis
1920 pour tous les états, mais quelques états
sont précurseurs comme le Wyoming en 1869
Canada
1918 et 1960 pour les femmes autochtones
- Manitoba, Saskatchewan et Alberta
1916
- Colombie-Britannique et Ontario
1917
- Nouvelle-Écosse
1918
- Nouveau Brunswick :
1919
- Île du Prince Édouard et Terre-Neuve
1922
- Québec
1940 et 1969 pour les femmes autochtones
Royaume-Uni
1918 pour les femmes de 30 ans et plus
1928 pour les femmes de 21 ans et plus
France
1944
Italie
1945
Mexique
1947
Suisse
1971
Irak
1980
Koweït
2005
Arabie Saoudite
2011 (uniquement pour les élections
municipales, et seulement à partir de 2015)v
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L'accès à la profession :
Le Québec enraciné dans sa tradition conservatrice
Le premier Barreau du monde occidental à accepter une femme est celui de l'Iowa aux ÉtatsUnis, en 1869. Le Barreau ontarien est quant à lui le premier Barreau canadien à admettre une
femme dans ses rangs en 1897 : Clara Bret Martin devient alors la première avocate du Canada.
Le Barreau zurichois en Suisse admet les femmes dès 1898. En France, après avoir poussé sa
cause devant les tribunaux, Jeanne Chauvin assiste à l'adoption d'une loi introduisant les femmes
à la profession d'avocate en 1900. Pour la Grande-Bretagne, c'est en 1919 qu'ils ouvrent leurs
portes aux femmes à leur tour : Ivy William en sortira avocate en 1922. Finalement, durant les
années 1920, presque tous les pays d'Europe accordent aux femmes le droit à la pratique du
droit, comme la Belgique en 1922.vi
Annie Macdonald Langstaff
Pendant ce temps, Annie Macdonald Langstaff, née en 1887, devient la première femme à
obtenir un diplôme en droit au Québec, plus précisément à l'Université McGill. Le Barreau lui
refuse toutefois de passer ses examens, et donc de faire du droit sa profession. Elle se tourne
alors vers les tribunaux en 1915 pour faire entendre sa cause. Le juge de première instance, tout
comme la majorité des juges de la Cour d'appel en 1916, lui refuse l'accès au Barreau, lui
signalant qu'il revient au législateur d'adopter une nouvelle loi s'il souhaite faire admettre les
femmes aux examens du Barreau, et ainsi à la profession d'avocat.vii Afin de clarifier la situation
et d'éviter que d’autres femmes suivent le même parcours, le Barreau du Québec adopte l'article
28 des Règlements du Barreau, qui stipule que l'on doit être « sujet britannique et de sexe
masculin » pour pouvoir entrer au Barreau.
Vaincue, Annie Macdonald Langstaff doit donc attendre que le législateur québécois décide de
faire évoluer les choses. Elle effectue donc du travail de bureau en travaillant comme assistante
et recherchiste au cabinet maintenant connu sous le nom de Davies Ward Phillips & Vineberg
(elle y travaillera toute sa vie, jusqu'à ce qu'elle prenne sa retraite en 1965, à l'âge de 78 ans.)
viii
Elle continue tout de même à se battre pour l'admission des femmes à la pratique du droit. Six
projets de loi visant cet objectif sont déposés à l'Assemblée législative du Québec entre 1916 et
1931, sans succès. C'est encore une fois Joseph-Adélard Godbout, porteur des espoirs de
beaucoup de femmes à la suite de son implication dans l'octroi du droit de vote pour celles-ci,
qui écoutera les revendications des diplômées en droit et concrétisera leur rêve. Le 29 avril
1941, une loi autorisant les femmes à l'étude et à la pratique du droit est sanctionnée.ix
Annie Macdonald Langstaff a reçu plusieurs honneurs à titre posthume. En 1991, le Barreau du
Québec lui remet le Mérite du Barreau. Puis en 2006, lors d'une cérémonie honorant sa mémoire,
le Conseil des anciens bâtonniers du Barreau de Montréal lui décerne la Médaille du Barreau de
Montréal. Finalement, durant cette même commémoration, le Bâtonnier du Québec, à la suite
d’une résolution unanime du Comité administratif du Barreau du Québec, la nomme enfin
membre du Barreau du Québec à titre honorifique. Presque cent ans plus tard.x
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L'arrivée des femmes dans les professions juridiques
Les années 1940 et 1941 sont donc lourdes en émotions et en bouleversements sociaux! La porte
ainsi grande ouverte, quatre femmes deviennent les premières à être admises au Barreau en
janvier 1942 : Elizabeth Monk (toute première femme à exercer la profession d'avocate en
territoire québécois), Suzanne Raymond Filion (avocate pour la Commission des prix et du
commerce), Constance Garner Short (première à plaider devant la Cour d'Appel du Québec), et
Marcelle Hémond (plaideuse aussi et présidente pendant 15 ans de l'Hôpital Sainte-Justine).xi
Les années passent et beaucoup de femmes deviennent de grandes juristes. Plusieurs d'entre
elles sont les « premières de quelque chose ». Pour n'en nommer que quelques-unes, il y eut :
- Helen Alice Kinnear, première avocate à plaider devant la Cour suprême du Canada en 1935,
et première femme du Commonwealth à être nommée juge d'une cour de comté en 1943;
- Louise Dumoulin, première femme à prêter serment devant la chambre des notaires en 1958;
- Thérèse Lemay-Lavoie, première magistrate québécoise en 1961;
- Réjane Laberge-Colas, première Canadienne nommée à une cour supérieure de justice, soit la
Cour supérieure du Québec, en 1969;
- Claire Barette-Joncas, première femme à présider un
procès devant jury en 1975;
- Gabrielle Vallée, première femme juge en chef
associée en 1976;
- Claire L'Heureux-Dubé, première femme nommée à la
Cour d'appel du Québec;
- L'Ontarienne Bertha Wilson, première femme nommée à
la Cour suprême du Canada en 1982, et Claire
L'Heureux-Dubé, première Québécoise à l'être aussi, en
1987;
- Huguette St-Louis, première juge en chef adjointe à la
Cour du Québec en 1988,
et enfin, plus récemment, Sylviane Borenstein,
première Bâtonnière du Québec en 1990;xii
Source : Photo-libre.fr
- Thérèse Rousseau-Houle, première doyenne d'une
faculté de droit en 1984, soit celle de l'Université Laval;
Aujourd’hui…
48 % des membres du Barreau du Québec sont des femmes. On compte également :
-
3 femmes juges sur 9 à la Cour suprême du Canada, dont la juge en chef Beverley Mclachlin,
7 femmes juges sur 28 à la Cour d'appel du Québec, dont la juge en chef Nicole Duval-Hesler,
61 femmes juges sur 190 à la Cour supérieure du Québec,
118 femmes juges sur 295 à la Cour du Québec, dont la juge en chef Élizabeth Corte et la
juge en chef adjointe à la chambre criminelle et pénale Danielle Côté.xiii
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Dossier : Femmes et droit
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Féminisation des titres
Depuis les années ‘50, le Québec voit de plus en plus de femmes prêter leur serment au Barreau
et commencer leurs carrières d'avocates. Cela est venu chambouler l’univers du droit. En effet,
les traditions abondent dans le monde juridique, allant du costume aux formules protocolaires,
en passant par la terminologie. Ces traditions sont profondément ancrées dans les habitudes des
juristes et leurs origines remontent à plusieurs siècles. Avec l'arrivée des femmes dans ce
métier, il a fallu repenser quelques détails...
L’un de ces changements fut la féminisation des titres. Les premières femmes siégeant en tant
que juges se firent interpellées de biens drôles de façons. Pendant leurs premières audiences,
les avocats, désarçonnés, se crurent peut-être prudents en s'adressant à elles de la seule
manière qu'ils connaissaient jusqu'à présent : "Monsieur le juge!" Cette situation ne dura pas
longtemps; l'on dut vite juger que cette appellation était absurde et inappropriée.
Il y a eu ensuite une période d'essais et erreurs : on entendit des « Votre Excellence »,
« Votre Seigneurie », et même des « Votre Majesté »! Puis, il y eut des « Madame le juge » et
finalement des « Madame la juge ». Cette dernière désignation s'est imposée définitivement
comme titre approprié seulement à partir des années ‘80.xiv
2e partie : Les principaux enjeux des avocates en 2014
Équité salariale
Source : Photo-libre.fr
Un des plus gros obstacles à la mise en place d’une
équité et égalité salariale est la discrimination
systémique du sexe féminin. Elle est implantée
depuis longtemps dans la culture et les mœurs et
elle est parfois maintenue par des gens qui sont
pourtant contre le sexisme, à leur insu… Il faut alors
repenser et démanteler tout le système pour pouvoir
en venir à bout. Sur la question de l’équité salariale,
cette discrimination donne lieu à des écarts
significatifs entre les salaires des emplois occupés
traditionnellement par des femmes, et ceux occupés
traditionnellement par des hommes.
Trois facteurs pour expliquer le phénomène
Selon la Commission de l’Équité salarialexv, cela s’explique principalement par trois grands
facteurs.
Premièrement, le facteur le plus évident concerne les stéréotypes et les préjugés enracinés dans
notre société québécoise à longue tradition catholique. On a longtemps divisé les tâches et les
rôles sociaux selon le sexe, les femmes s’occupant de la famille et du foyer et les hommes allant
travailler pour soutenir la famille financièrement. Ainsi, même lorsque les femmes ont
commencé à intégrer le marché du travail, on considérait que les hommes devaient avoir accès à
un salaire plus important que celui des femmes, ce dernier étant perçu davantage comme un
revenu d’appoint.
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Dossier : Femmes et droit
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Deuxièmement, ces femmes qui sont sorties progressivement de leurs foyers pour aller travailler
se sont retrouvées cantonnées dans certains types de métiers spécialement attribués aux
femmes parce qu’ils sont vus comme un prolongement de leur rôle de mère, d’épouse, de
ménagère. Ces emplois nécessitent des qualités que l’on dit « féminines » comme l’écoute, la
minutie, la compassion, la patience, etc. La Commission nomme ce deuxième facteur la
ségrégation professionnelle.
Troisièmement, le salaire attribué à ces types d’emplois est sous-évalué, car les caractéristiques
et les aptitudes qu’ils requièrent sont oubliées ou largement sous-estimées. Pourquoi? Parce
qu’elles sont censées être « naturelles à la femme ». Par exemple, une secrétaire doit avoir de
bonnes capacités d’écoute, d’empathie et de minutie, mais on les oublie ou on les tient pour
acquis. Ces mêmes qualités seraient toutefois prises en compte dans le calcul du salaire d’un
agent de recouvrement.
Même lorsqu’on s’écarte des valeurs portant sur des qualités dites « féminines », la valeur des
tâches manuelles fines peut aussi être négligée, par exemple on passe sous silence la dextérité,
la motricité fine et le multitasking. Les emplois qui exigent une grande force physique, et qui
sont du même coup généralement occupés par des hommes, sont plus souvent reconnus comme
ayant une plus grande valeur monétaire. Autre exemple de sous-évaluation des efforts
physiques : on considérera qu’une caissière ne soulèvera que des poids légers alors que l’on
considèrera qu’un manutentionnaire ne soulèvera que des poids lourds. Cette mauvaise
tendance qu’a pris la société d’omettre des caractéristiques et habiletés requises dans certains
emplois parce qu’elles sont associées au travail féminin est à la source du problème de
discrimination salariale.xvi
Malgré une amélioration de la situation, dix-huit ans après que le gouvernement du Québec ait
adopté sa Loi sur l’équité salariale (deuxième province canadienne à le faire après l’Ontario), il
subsiste toujours un écart de près de 20 % entre les salaires des femmes et des hommes. Au
Québec, tous les organismes et entreprises regroupant 10 employés ou plus sont assujettis à
cette loi. Pourtant, dix ans après l’entrée en vigueur de la loi, des statistiques
gouvernementales révèlent qu’il n’y avait que la moitié de toutes les entreprises assujetties qui
avait mis en place une quelconque démarche concrète vers l’équité salariale.xvii
Égalité vs équité
Source : Photo-libre.fr
Il est important de ne pas confondre « égalité » et
« équité » salariale. L’équité salariale a pour objectif de
ÉGALITÉ
comparer équitablement les emplois à prédominance
féminine aux emplois à prédominance masculine qui sont
ÉQUITÉ
jugés équivalents afin d’accorder aux travailleurs et
travailleuses des salaires égaux, sans sous-évaluation ou
surévaluation (d’où l’adage salaire égal pour travail
équivalent). L’égalité salariale, quant à elle, s’applique
aux femmes et hommes ayant le même emploi, et consiste
à les rémunérer de façon identique (d’où l’adage salaire égal pour travail égal). C’est plutôt
l’égalité salariale qui s’applique aux femmes avocates. Selon un bilan présenté par la Fédération
des femmes du Québec en 2008, les professions nécessitant un niveau d’études et de
compétences élevé ont mieux évolué que les autres catégories d’emploi pour ce qui est de
l’égalité salariale. Plus le niveau est élevé, plus les écarts salariaux sont faibles.xviii À cet égard,
on peut se réjouir.
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Néanmoins, la lutte pour l’égalité des sexes dans le monde juridique n'est pas gagnée. Elle se
joue aussi sur d'autres aspects : par certaines possibilités d’emplois restreintes, par le manque
d’accommodation aux responsabilités familiales, par le harcèlement sexuel, par la qualité et la
répartition du travail, par la dynamique en grand et moyen cabinet et par l’accès au statut
d’associé, etc.xix
Le simple fait d’attribuer un salaire égal n’est pas suffisant pour atteindre l’égalité des sexes
dans le milieu du travail. Parfois, pour atteindre une vraie justice de fond, il ne s’agit pas
seulement d’attribuer la même chose à tout le monde, mais plutôt de personnaliser et d’adapter
selon les besoins de chacun. Parfois, l’égalité pure et simple, mathématique, n’est pas
synonyme de justice et d’égalité substantive.
Larétentiondesavocatesdansleurprofession
Conciliation travail/famille
Source : Windows – images clipart
Un enjeu majeur des femmes professionnelles, qu’elles soient
avocates ou qu’elles pratiquent un autre métier, est celui de
réussir à concilier leur carrière avec leur vie de famille et
l’éducation de leurs enfants. Souvent, bon nombre d’entre
elles en viennent à la conclusion qu’elles doivent faire un
choix, car il est trop difficile pour elles de donner leur
maximum dans les deux sphères de leur vie. Il existe pourtant
certaines femmes qui y arrivent, bien qu’elles soient assez
minoritaires.
Il y a évidemment l’enjeu de la grossesse et du départ pour le congé de maternité qui se
retrouve à l’avant-plan de cette préoccupation. Mais l’inégalité des femmes et des hommes sur
la question de la conjugaison du travail et de la famille ne se limite pas à cette différence
physiologique.
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Selon le rapport sur l’égalité des sexes dans la profession juridique de L’Association du Barreau
canadien, les avocates assument une bien plus grosse part du fardeau familial et des charges de
l’éducation des enfants que leurs homologues masculins et cela limite drastiquement leur
épanouissement professionnel. De plus, elles consacrent plus de temps que leurs confrères aux
devoirs et leçons des enfants, à leurs activités parascolaires, à leur entretien et hygiène, à
passer du temps avec eux, etc.
C’est aussi la principale raison qui pousse les avocates à quitter
la pratique privée des grands cabinets : elles veulent trouver un
juste équilibre. Les cabinets imposent trop souvent un horaire
impossible à concilier avec quoi que ce soit d'extérieur au
travail. Les avocates aux prises avec cette tyrannie des heures
facturables en viennent à négliger leur famille ou à bâcler leur
travail. Elles préfèrent donc souvent aller travailler en
entreprise, au gouvernement, dans des ONBL, dans des
institutions éducatives, ou encore elles finissent par abandonner
le droit.xx
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Dossier : Femmes et droit
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Exode des femmes de la pratique privée et des cabinets
Selon Cheryl Stephens, vice-présidente de la section de la
gestion de la pratique du droit et de la technologie de
l’Association du Barreau canadien, plusieurs femmes sont
malheureuses après quelques années de travail en cabinets.
Elles ne sentent pas qu'elles font partie du cercle d'initiés
de leur cabinet et ne se reconnaissent pas dans la culture
de ces grands cabinets, dont elles se sentent souvent
implicitement exclues. Elles ont ainsi rarement accès aux
grandes causes et aux dossiers importants. L'atmosphère ne
leur est pas chaleureuse ni accueillante.xxi
Source : Photo-libre.fr
La situation est similaire pour tout le Canada : trop d'avocates quittent la pratique privée et les
cabinets. Et il n’y a pas que la conciliation travail-famille qui pose problème.
Il survient encore aujourd'hui malheureusement du harcèlement sexuel et de la discrimination
envers les femmes avocates en cabinet. Les cas de harcèlement physique et violent se font
rarissimes, certes, mais il peut se produire tout de même du harcèlement sexuel subtil et tacite
se manifestant par des attitudes, des paroles ou des regards. Tout ceci rend inconfortable, pour
ne pas dire désagréable, la pratique dans certains cabinets.xxii
Le plus souvent, ces comportements discriminatoires passent inaperçus aux yeux de l’entourage,
mais aussi du discriminant et de la discriminée! C’est la discrimination systémique, celle qui se
perpétue par des préjugés et des idées préconçues. Ceux-ci circulent de génération en
génération et influencent sournoisement le comportement de tous les acteurs de ce système et
causent ainsi un préjudice. L’univers de la pratique du droit contient malheureusement
beaucoup de discrimination systémique envers les femmes.xxiii
Le pourcentage de membres féminins du Barreau du Québec est de 48 %, soit près de la moitié
des membres. Malgré tout, selon Fanie Pelletier, conseillère à l'équité au Barreau du Québec, les
femmes ne représentent que 30 % des avocats en pratique privée, et seulement 20 % des
associés de cabinets. Autre statistique inquiétante : le quart des démissions de l'Ordre du
Barreau du Québec depuis 2011 sont des femmes de 50 ans et moins qui comptaient en moyenne
onze ans de pratique. xxiv
Doublesstandardschezlesfemmesdecarrière
Les femmes qui ont des carrières intéressantes et importantes doivent souvent affronter plus
d’obstacles et de préjugés que leurs confrères. Les avocates font évidemment partie de cette
catégorie. Elles doivent souvent être impeccables et irréprochables puisqu’on ne leur pardonne
pas tout ce qu’on pardonne aux hommes. En effet, plusieurs stéréotypes et préjugés visent les
femmes dans le marché du travail : on dira d’un homme en train de faire un discours enflammé
à ses employés où à ses subalternes qu’il est un patron fort et en contrôle, un boss, tandis
qu’une femme paraîtra autoritaire et dominante; il est persuasif et convaincant, elle est
agressive et arriviste; un père de famille qui reste au travail tard est impliqué et investi, une
mère qui fait la même chose est égoïste; un homme qui s’habille bien et prend soin de son
apparence est soigné, une femme est superficielle; un homme qui marche la tête haute avec
une allure assurée est confiant et fier, la femme paraît arrogante, etc. xxv
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Mars 2014
Dossier : Femmes et droit
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Un cas très intéressant sur le sujet est celui de l’affaire Heidi Roizen, aux États-Unis. Un
professeur de l’Université Colombia voulut faire une expérience au sein de son groupe, et
distribua à la classe le profil d’une vraie entrepreneure de la Silicon Valley qui avait beaucoup
de succès. Il demanda à ses élèves de l’évaluer. La moitié de la classe connaissait son vrai nom,
Heidi Roizen, alors que l’autre moitié croyait évaluer un certain Howard Roizen. Les résultats en
disent long… Chaque groupe a qualifié Heidi/Howard de très compétente (évidemment,
puisqu’ils avaient le même dossier à analyser), mais celui qui étudiait Howard le trouva plus
sympathique, plus attrayant, et son agressivité en affaires était vue comme un atout, tandis que
celui qui examinait le profil d’Heidi la percevait comme froide, carriériste, dure. Les élèves de
ce groupe ajoutèrent qu’ils n’aimeraient pas travailler avec elle.xxvi Cela en dit long sur le travail
qu'il nous reste à accomplir en tant que société au niveau de l'égalité des sexes.
Lespréjugésfaceàlapratiquedudroitdelafamille
Le domaine de pratique du droit de la famille est malheureusement un domaine qui est mal coté
en popularité par les avocats québécois et canadiens. Il arrive au quatrième rang avant la fin, en
comparaison avec tous les autres domaines de droit. Il est suivi du droit de l’immigration, du
droit du logement et du droit social.xxvii
Le fait que la branche du droit dans laquelle on pratique ait un bon statut est pertinent et
important pour l’estime de soi comme avocat(e), pour le soutien de la communauté juridique et
pour le respect de ses collègues. Il peut même avoir une incidence directe sur l’attribution des
ressources judiciaires et du financement, ne prenons comme exemple que l’aide juridique! Peutêtre à cause de son statut moindre, le droit de la famille a longtemps dû combiner des
ressources limitées à une grande demande et à une procédure complexe et coûteuse. Le
nouveau Code de procédure civile, qui devrait entrer en vigueur à l’automne 2015, allègera et
simplifiera la procédure, notamment en modification de jugement en matière familiale.
Le droit de la famille est aussi considéré comme un domaine de femmes, spécialement approprié
pour les avocates. On peut y voir un parallèle avec cette idée du prolongement du rôle de mère
et d'épouse prenant soin des autres, ce concept de métiers traditionnellement féminins décrits
plus haut, ces métiers qui nécessitent des qualités dîtes féminines, comme l’empathie, l’écoute,
etc.
Source : Windows – images clipart
Est-ce uniquement par préférence personnelle que la majorité
des avocats en droit de la famille sont des femmes? Peut-être y
a-t-il d'autres raisons, comme le désintérêt des avocats
masculins en la matière, ou sa grande part d’émotions et de
contacts humains, ou encore le train de vie moins stressant que
ce droit apporte comparativement au droit des affaires par
exemple, domaine principal en grands cabinets? Quoi qu'il en
soit, le droit de la famille n'est pas le grand favori ni le plus
prestigieux. Il ne rapporte pas beaucoup, car les clients sont
des individus et non pas des grandes corporations. Il est donc
boudé par les grands bureaux. Enfin, il semble subsister un
préjugé négatif qui flotte au-dessus des emplois sollicitant une
approche humaine plutôt qu’une approche analytique et
mathématique.
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Dossier : Femmes et droit
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Lesprogrammesvisantàaméliorerlesconditionsdetravaildesavocates
Le projet Justicia
Né en 2011 à la suite de la signature d'une entente entre le Barreau du Québec et certains
cabinets participants, ce projet vise précisément à faire augmenter le taux de rétention des
avocates dans les cabinets en suggérant à ces cabinets des pratiques avantageuses pour les
femmes.
Puisque l'on sait que la raison principale du départ des avocates qui pratiquent en cabinets est la
difficulté d'accommoder leur carrière à leur vie de famille, Justicia aide les cabinets à
développer des pratiques, politiques et programmes concernant les congés parentaux (incluant
des horaires de travail flexibles et la gestion des départs et des retours), le réseautage et le
mentorat des jeunes avocates. Tout cela pour faciliter leur intégration, pour renforcer leur lien
d'appartenance et pour perfectionner leurs habiletés.
À ce jour, Justicia compte 26 cabinets signataires, dont la plupart des grands bureaux de
Montréal et ses environs (dont Norton Rose Fullbright, McCarthy Tétrault, Stikeman Elliot, Miller
Thomson, Lavery, Fasken Martineau Dumoulin, Heenan Blaikie, Gowlings Lafleur Henderson,
Davies Ward Phillips & Vineberg, BLG et plusieurs autres). Le projet doit durer 3 ans, soit de
2011 à 2014.
Young Women in Law
Source : Photo-libre.fr
Young Women in Law (YWL) est une organisation canadienne à but non lucratif, originaire
d’Ontario, qui vise à soutenir les jeunes avocates en début de carrière. YML est un lieu de
rencontre, d’échange et de soutien entre les avocates. Elle organise des événements et des
conférences pour les femmes et offre un forum de discussion ainsi qu’une plateforme pour faire
valoir leurs idées et leurs revendications.
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Mars 2014
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Dossier : Femmes et droit
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Nathalie Roy
47 ans, Directrice générale d’Éducaloi.
Pendant vos toutes premières années d’études, quelle était votre carrière
de rêve?
- Je voulais plaider! J'ai gagné le prix Pierre-Basile-Mignault quand j'étais jeune. J'aimais aussi
beaucoup le droit constitutionnel, bref, tout ce que je ne fais plus! (rires) J'ai travaillé dans un
grand cabinet au début de ma pratique, mais ce n'était pas ma carrière de rêve. En fait, je ne
crois pas avoir jamais eu de carrière de rêve en droit. J'aimais beaucoup le monde du droit, mais
avant mes études de droit je voulais faire de la politique. Quand j'étais petite, mes parents
étaient très impliqués politiquement et à l'âge de 9 ans je leur ai dit que j'allais devenir
Première Ministre du Québec. Aujourd'hui, faire carrière en politique ne m'intéresse plus, car ce
n'est pas la de vie que je voudrais faire, mais en même temps, étant à la direction d'un
organisme comme Éducaloi j'en fais beaucoup, de politique!
Avez-vous déjà vécu personnellement de la discrimination sexuelle dans le
cadre de votre travail ou de vos études, ou en avez-vous été témoin?
- Petite anecdote : quand j'ai commencé à pratiquer le droit en 1991, je portais beaucoup de
collants, des gros collants épais côtelés. Un jour on m'a demandé, dans le grand cabinet où je
travaillais, de porter des bas de nylon à la place. J'ai refusé. J'ai recherché dans le code de
déontologie et leur ai dit qu'il n'y avait rien qui m'obligeait à porter des bas de nylon. Finalement
un des associés m'a dit de ne pas m'en faire et de continuer à porter mes collants, qu'il n'y aurait
aucun problème. Ça m'avait assez traumatisé.
Sinon, étant femme et ayant l'air assez jeune pour mon âge, je pense parfois que c'aurait été
différent si j'étais aujourd'hui un homme de 47 ans. Je ne crois pas que ça m'ait nuit
personnellement, mais je sens la différence. Quand je travaillais au Barreau du Québec, il y
avait des hommes assez haut placés qui m'appelaient « Mademoiselle », alors qu'ils appelaient
mes collègues masculins « Maître ». Je me rappelle avoir exigé qu'ils m'appellent moi aussi pour
ce que j'étais, soit Nathalie Roy, l'avocate. Je me suis toujours tenue debout. Je crois aussi que
le fait que je vouvoie beaucoup entraîne le vouvoiement de retour et impose une forme de
respect, en quelque sorte.
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Mars 2014
Dossier : Femmes et droit
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Est-ce que vous pensez qu’être femme influence l’approche et la pratique
du droit?
- Certainement. Je suis cependant de l'époque de la diversité. C'est important d'avoir une
diversité sexuelle, culturelle, d'âge et d'horizon dans les milieux de travail. Moi je constate que
j'évolue dans un milieu très féminin. Le milieu des organismes communautaires,
particulièrement dans le domaine de la justice, regroupe majoritairement des femmes. Il y en a
qui vont dire que c'est à cause des salaires, mais je crois que ce n'est pas si simple, que c'est
aussi relié à une question d'intérêts, de vision de ce que peut être le droit dans la société. Il y a
toujours des nuances, on ne peut pas établir des différences définitives entre les sexes. Les
hommes qui m'entourent, dont mon mari, ont une approche plus sensible, une grande
intelligence émotionnelle dans leur travail, et j'ai connu des femmes qui elles, avaient une
approche très dure et froide, donc je ne crois pas qu'on peut catégorisé les gens que par leur
sexe, mais je crois qu'on est capable de dire que la contribution des femmes, par la diversité des
points de vue, des réalités et des sensibilités, vient enrichir la pratique du droit et la profession
d'avocat.
Nommez une personne qui vous inspire, vous a inspiré, un modèle que vous
admirez (peut être décédé, un collègue, une personne de votre famille, etc.).
- C'est très loin du monde du droit ! Je n'ai jamais dit ça publiquement, mais il y a une femme
qui a été très déterminante dans ma vie, bien que je ne l'ai malheureusement jamais
rencontrée. C'est son autobiographie qui m'a amenée à prendre certaines décisions et à faire les
choix que j'ai faits dans ma vie et dans ma carrière qui m'ont amenée où je suis présentement, à
la direction d'Éducaloi. Il s'agit de Gabrielle Roy, l'écrivaine. J'ai lu son autobiographie La
détresse et l'enchantement quand j'avais 16 ans, et j'ai vu une femme déterminée, qui a décidé
de prendre le temps de s'écouter, et d'ouvrir toutes les portes qui l'amenaient vers la découverte
et la réalisation de ses rêves. Ça a changé ma vie. C'est ce qui a fait que lorsque j'ai compris que
j'adorais le droit, mais que je n'aimais pas la pratique en cabinet, j'ai pris un temps d'arrêt pour
réfléchir à ce que j'allais faire comme avocate dans la société québécoise, comment j'allais
nourrir mon besoin de justice, comment j'allais améliorer et donner ma contribution dans ce
système que je constate malade et que je veux changer.
S’il y a une chose que vous désireriez changer dans le monde du droit, que
serait-elle?
- Pour celle-là, il faudrait que l'on ait le week-end au complet, avec une bonne bouteille de vin
pour la couvrir au complet! Premièrement, je ne dis plus qu'il faut "améliorer" le système de
justice. Je dis qu'il faut "changer" le système pour qu'il devienne réellement au service des
citoyens. J'aimerais trouver la solution pour que l'ensemble des acteurs juridiques ne travaille
plus en silo. Toute l'idéologie, la base de la justice québécoise actuelle fait en sorte que l'on
travaille en silos solides et hermétiques, par exemple par la séparation des pouvoirs,
l'indépendance judiciaire, les juridictions des différents tribunaux, nos ordres professionnels, les
tribunaux administratifs, etc. Même si les individus veulent travailler ensemble, ce n'est pas
suffisant. On a plusieurs "systèmes" de droit, et ils doivent être repensés complètement.
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Mars 2014
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Dossier : Femmes et droit
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Geneviève Ménard
31 ans, directrice principale du recrutement et des programmes
étudiants chez Norton Rose Fullbright. Elle a auparavant pratiqué le
litige fiscal chez Miller Thompson.
Pendant vos toutes premières années d’études, quelle était votre carrière
de rêve?
- Je voulais devenir associée d'un grand cabinet et pratiquer en droit corporatif.
Avez-vous déjà vécu personnellement de la discrimination sexuelle dans le
cadre de votre travail ou de vos études, ou en avez-vous été témoin?
- Non.
Est-ce que vous pensez qu’être femme influence l’approche et la pratique
du droit?
- Oui! Nous sommes différentes des hommes; nous sommes plus sensibles, plus empathiques. Ce
peut être parfois une qualité, parfois un défaut. Avoir une famille peut aussi modifier notre
pratique du droit, mais je ne crois pas que de fonder une famille doit nécessairement rimer avec
le relâchement de sa carrière. Je suis la preuve vivante qu’on peut très bien concilier conjoint,
enfants, et boulot! Quand on veut, on peut!
Nommez une personne qui vous inspire, vous a inspiré, un modèle que vous
admirez (peut être décédé, un collègue, une personne de votre famille, etc.).
- La femme d’affaires américaine Sheryl Sandberg, diplômée de la Harvard Business School. Elle
a été vice-présidente des ventes en ligne chez Google avant de devenir C.O.O. de Facebook. Elle
est aussi membre du C.A. de Facebook depuis 2012 (elle en est la seule femme) et aussi de The
Walt Disney Company depuis 2009. À 44 ans, elle est l’une des plus jeunes femmes « self-made »
milliardaires au monde. Son livre Lean in : Women, Work, and the Will to Lead (En avant toutes
: les femmes, le travail et le pouvoir) m’a beaucoup inspirée.
S’il y a une chose que vous désireriez changer dans le monde du droit, que
serait-elle?
- Rendre la justice plus accessible à tous. C’est beaucoup trop cher.
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Mars 2014
Dossier : Femmes et droit
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Jessica Renaud
24 ans, étudiante au Barreau de Montréal.
Pendant vos toutes premières années d’études, quelle était votre carrière
de rêve?
-Je rêvais (j’en rêve encore!) d’être procureure de la couronne.
Avez-vous déjà vécu personnellement de la discrimination sexuelle dans le
cadre de votre travail ou de vos études, ou en avez-vous été témoin?
- Oui. Surtout dans le cadre de mes emplois d’étudiante. Lors d’entrevues d’embauche, j’ai très
souvent réussi à obtenir les emplois simplement parce que j’étais belle, sans avoir aucune
compétence ou expérience pour l’emploi en question. Souvent, j’ai eu l’impression de subir du
favoritisme de la part de mes employeurs parce qu’ils espéraient obtenir plus que ma prestation
de travail… Je ne crois pas que ce sera comme ça dans mes futurs emplois juridiques, enfin, je
l’espère.
Est-ce que vous pensez qu’être femme influence l’approche et la pratique
du droit?
- Absolument, je pense que les femmes ont une pensée plus globale et plus émotionnelle. Je
pense que notre compassion et empathie pour les clients font que l’on a envie de pratiquer le
droit dans des domaines comme le droit de la famille.
Nommez une personne qui vous inspire, vous a inspiré, un modèle que vous
admirez (peut être décédé, un collègue, une personne de votre famille, etc.).
-Mon petit frère atteint du syndrome d’Asperger. Toujours très positif et extrêmement heureux,
malgré ses difficultés.
S’il y a une chose que vous désireriez changer dans le monde du droit, que
serait-elle?
- C’est cliché, mais je souhaiterais pouvoir aider à atteindre la paix dans le monde…
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Mars 2014
Dossier : Femmes et droit
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Pour le banquet célébrant les récentes nominations des juges à la
Cour supérieure du Québec en 1980, le juge en chef informa les
nouveaux juges, dont la nouvelle juge Louise Mailhot, que leurs
épouses étaient conviées pour 18 h. Elle lui demanda alors, hardie, si
les époux étaient également les bienvenus. À partir de ce moment, le
terme « conjoint » remplaça celui « d'épouse ».xxxii
En 1993, on dénombrait 26 % de femmes professeures en droit dans toutes les facultés de droit
canadiennes.xxxiii Pour l'année scolaire 2013-2014, toutes les facultés de droit du Québec
comptent parmi leur corps professoral régulier presque toujours environ 50 % de femmes :
• Université du Québec à Montréal = 15 femmes sur 30
• Université de Sherbrooke = 20 femmes sur 40
• Université Laval : 24 femmes sur 49
• Université de Montréal = 25 femmes sur 56
• Université McGill = 19 femmes sur 46
Le Barreau du Québec est celui qui compte le plus de membres féminins à travers toute
l'Amérique du Nord.xxxiv
Depuis quelque temps maintenant, les filles sont toujours plus nombreuses à obtenir un D.E.S. et
un D.E.C. que les garçons. Même chose pour les femmes au baccalauréat et à la maîtrise. Au
doctorat cependant, c'est plutôt près de la parité.xxxv
Suite à un examen des utilisateurs de la Cour des petites créances de Montréal, on a appris
que : « Le profil sociodémographique des demandeurs ne reflétait pas le profil de la population
en général ; les demandeurs furent disproportionnellement des hommes, francophones, blancs,
citoyens canadiens, québécois dits de souche, professionnels, bien instruits, avec un revenu
annuel largement supérieur à la moyenne, et âgés de 35 à 55 ans. Pas moins du sixième de ces
demandeurs étaient des avocats poursuivant leurs clients pour des honoraires impayés ! »xxxvi
Le pourcentage de femmes élues à l'Assemblée nationale en 2010 est de : 29,6 % au Québec,xxxvii
22,1 % au Canada,xxxviii 19,4 % au Royaume-Uni, 18,9 % en France et 47 % en Suède.xxxix
En 2011 au Québec, on recense 41,2 % de famille biparentale, 16,6 % de
famille monoparentale, et 42,2 % de famille composée de couples sans
enfants. Parmi les familles monoparentales, 76 % sont dirigées par une
femme.xl
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Dossier : Femmes et droit
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Références
i
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., R-U., c. 3, art. 24
Edwards c. Canada (procureur général), [1930] A.C. 124
iii
MAILHOT, Louise. [2013] Les premières ! : l’histoire de l’accès des femmes à la pratique du droit et de la
magistrature, Édition Yvon Blais, Cowansville, p. 27
iv
Préc., note iii, p. 32
v
ASAAD,d Abboud. « Arabie Saoudite, le droit de vote octroyé aux femmes », dans lapresse.ca, 25 septembre 2011
vi
Barreau du Québec, http://www.barreaudequebec.ca
vii
Préc., note iii, p. 33-37
viii
Préc., note iii, p. 38 à 42
ix
Préc., note iii, p. 39-41
x
Idem
xi
Préc., note iii, p. 45-50
xii
DUVAL HESLER, Nicole. [1993], « Le pouvoir et le statut des femmes dans un cabinet d’avocats », dans Femmes et
droit, 50 ans de vie commune... et tout un avenir, Les journées Maximilien-Caron, Édition Thémis.
xiii
Tribunaux judiciaires du Québec, http://www.tribunaux.qc.ca
xiv
Préc., note iii, p. 90-91
xv
Commission de l'équité salariale, Gouvernement du Québec. http://www.ces.gouv.qc.ca/apropos/equite
xvi
Idem
xvii
Solution équité, http://www.solutionsequite.com/info-equite-salariale/
xviii
La loi sur l'équité salariale : Un bilan onze années plus tard, [2008] Mémoire de la Fédération des femmes du
Québec présenté à la Commission de l’économie et du travail sur le rapport du ministre du Travail de 2006 : « La Loi
sur l’équité salariale : Un acquis à maintenir »
xix
« Le contexte social du droit dans le Québec contemporain », dans Éthique, déontologie et pratique
professionnelle : l'égalité et l'équité dans la profession, Collection de droit 2013-2014, Volume 1, Titre II.
xx
Préc., note xxi
xxi
MACAULAY, Ann. « Mettre fin à l'exode des femmes : comment votre cabinet peut fidéliser ses meilleures
avocates », http://www.cba.org
xxii
Idem
xxiii
Préc., note xiv, p. 59,
xxiv
MARQUEZ, Reynald. « Freiner l'exode des avocates », dans http://www.lesaffaires.com, mars 2012
xxv
En référence à une publicité de PANTENE PRO-V, filiale philippine, diffusée en 2013
xxvi
TOEGEL Ginka et BARSOUX Jean-louis, "Women Leaders: The Gender Trap", dans The European business review,
www.europeanbusinessreview.com
xxvii
Préc., note xxi, p. 219
xxviii
http://www.tv5.org
xxix
http://www.linternaute.com
xxx
« Le contexte social du droit dans le Québec contemporain », dans Éthique, déontologie et pratique
professionnelle : l'égalité et l'équité dans la profession, Collection de droit 2013-2014, Volume 1, Titre II.
xxxi
MERCIER, Hélène, "Madame "le" juge", dans La Gazette des Femmes, http://www.gazettedesfemmes.ca, 8
novembre 2013
xxxii
MERCIER, Hélène, "Madame "le" juge", dans La Gazette des Femmes, http://www.gazettedesfemmes.ca, 8
novembre 2013
xxxiii
« Le contexte social du droit dans le Québec contemporain », dans Éthique, déontologie et pratique
professionnelle : l'égalité et l'équité dans la profession, Collection de droit 2013-2014, Volume 1, Titre II.
xxxiv
MERCIER, Hélène, "Madame "le" juge", dans La Gazette des Femmes, http://www.gazettedesfemmes.ca, 8
novembre 2013
xxxv
Ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport, Indicateur de l'éducation - Édition 2011, p. 104-113,
www.mels.gouv.qc.ca
xxxvi
MACDONALD, Roderick. [2001], « L'hypothèse du pluralisme juridique dans les sociétés démocratiques avancées »,
dans Les transformations du droit et les théories normatives du droit, colloque tenu à l’Université Sherbrooke.
xxxvii
Statistiques du Conseil du Statut de la Femme
xxxviii
http://www.ipu.org (Union parlementaire)
xxxix
Le Figaro, lundi 7 juin 2010
xl
STATISTIQUE CANADA. Recensement de 2011, www12.statcan.gc.ca
ii
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22

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