[14] Enfin, le demandeur manœuvre manifestement pour gagner du
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[14] Enfin, le demandeur manœuvre manifestement pour gagner du
C A N A DA PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT DE MONTRÉAL COMITÉ DE DISCIPLINE DE LA BOURSE DE MONTRÉAL ___________________________ DOSSIER NO: 01-ENO–567-DISC BOURSE DE MONTRÉAL Requérante -etJEAN-PIERRE MORIN Intimé ___________________________ DÉCISION I. LES PROCÉDURES [1] Le 16 mai 2002, la requérante Bourse de Montréal Inc. (la «Bourse») a intenté les présentes procédures disciplinaires contre l'intimé, relativement à des gestes posés par ce dernier en qualité de personne approuvée au sens des Règles et Politiques de la Bourse (les «Règles») alors qu'il était successivement à l'emploi, comme représentant inscrit, de Tassé & Associés, Limitée et de l'acheteur subséquent de cette firme, Valeurs mobilières Banque Laurentienne Inc. (l'un et l'autre étant ci-après indistinctement désigné le «courtier»). Chacune de ces firmes était un participant agréé de la Bourse à toute époque pertinente aux présentes procédures. [2] La plainte déposée contre l'intimé (Pièce D-1) lui reproche: A. d'avoir contrevenu aux dispositions du paragraphe 3 de l'article 7411 des Règles au cours de la période de février 2000 à mars 2001, en agissant de son propre chef dans la gestion de comptes maintenus par une cliente 2 du courtier (la «cliente» ou «Madame T.») et ce, sans respecter les dispositions de l'article 7476 des Règles concernant les comptes carte blanche; B. d'avoir eu, de février 2000 à mars 2001, une conduite incompatible avec les principes de justice et d'équité du commerce lorsqu'il a multiplié de façon excessive les transactions dans les comptes de la cliente, en vue de générer des commissions; C. d'avoir eu, en novembre 2000, une conduite incompatible avec les principes de justice et d'équité du commerce en prêtant à la cliente, à l'insu du courtier qui l'employait, une somme de 3 800 $ en monnaie des États-Unis. [3] L'intimé, conformément à l'article 4152 des Règles, a produit une réponse (Pièce D-3) datée du 11 juin 2002, par laquelle il a nié tous et chacun des allégués de la plainte. II. LES DISPOSITIONS RÉGLEMENTAIRES EN CAUSE [4] Les principales dispositions des Règles sur lesquelles la Bourse fonde sa plainte sont les suivantes: «4101 Plaintes a) La Bourse (…) peut, conformément à la procédure prévue aux articles 4151 et suivants, déposer une plainte contre (…) une personne approuvée (…) lui reprochant: i) une infraction à la Réglementation de la Bourse; ii) un acte, une conduite, une pratique ou un procédé indigne (…) d'une personne approuvée (…), incompatible avec les principes de justice et d'équité du commerce, ou portant préjudice à la réputation de la Bourse ou aux intérêts et au bien-être du public ou de la Bourse; 3 que cet acte, conduite, pratique ou procédé soit ou non relié à des opérations ou des transactions en bourse. (…) c) Sans limiter la portée de ce qui précède, les agissements énumérés ci-dessous de la part (…) d'une personne approuvée (…) sont réputés des actes, conduites, pratiques ou procédés visés par le sousparagraphe a) ii) de la présente disposition: (…) ii) enfreindre toute loi ou tout règlement concernant le commerce des valeurs mobilières, (…) vi) enfreindre une disposition du Code de déontologie du représentant figurant dans le Manuel à l'usage du représentant publié par l'Institut canadien des valeurs mobilières. (…) d) Il incombe au comité de discipline (…) de décider, conformément au présent Règlement, si un acte, une conduite, une pratique ou un procédé constitue un agissement décrit au sous-paragraphe a) ii) de la présente disposition. «7411 Accords avec les clients Il est strictement interdit au représentant enregistré de: (…) 3) effectuer un ordre discrétionnaire ou agir de son propre chef dans la gestion du compte d'un client d'un membre; (…).» «7476 Définitions «Compte carte blanche» signifie un compte pour lequel le client donne des pouvoirs discrétionnaires complets ou limités à un administrateur ou un associé d'un membre quant à l'achat et à la vente de titres, d'options, et de contrats à terme et quant au choix, au moment ou au prix devant être payé ou reçu. Aucun représentant enregistré ni autre employé, autre qu'un administrateur ou associé d'un membre ne doit avoir la permission d'accepter le mandat d'administrer un compte discrétionnaire d'un client d'un membre. Aucun membre ne doit user d'un pouvoir discrétionnaire quelconque quant au compte d'un client, à moins que celui-ci n'ait antérieurement donné son autorisation écrite et à moins que ce compte n'ait été accepté par écrit par l'associé ou l'administrateur désigné en vertu de l'article 7452. Chaque 4 ordre discrétionnaire doit être identifié comme tel au moment où il est enregistré.» III. LES FAITS [5] Lors des faits reprochés, l'intimé était employé du courtier, un intermédiaire en valeurs mobilières agréé par la Bourse. En qualité de personne approuvée au sens des Règles, il agissait comme représentant auprès de quelques 40 clients, qui maintenaient des comptes chez ce courtier pour pouvoir effectuer des opérations en valeurs mobilières. [6] Madame T. faisait partie du groupe. En juillet 1999, son mari était décédé en lui laissant un héritage de plus de 150 000 $, dont elle n'avait pas un besoin immédiat et qu'elle voulait faire fructifier en prévision de sa retraite. Elle avait alors 38 ans et travaillait depuis plusieurs années dans une papeterie de la ville de Sherbrooke, où elle s'occupait du service à la clientèle. [7] À l'automne 1999, sachant que son patron avait l'expérience des transactions en bourse, elle lui demanda conseil, afin qu'il lui réfère «quelqu'un de fiable» qui l'aiderait à placer ses avoirs. Elle fit peu après la connaissance de Morin et le 8 novembre 1999, elle ouvrait trois comptes chez le courtier. Il s'agissait d'un compte sur marge en dollars canadiens, d'un compte qui recueillerait l'actif de son régime d'épargne retraite (RER) et d'un compte de retraite immobilisé (CRI). [8] Madame T. avait une formation de niveau secondaire, qu'elle avait complétée en suivant un cours de commis comptable. Sa formation ne l'avait jamais exposée au marché des valeurs mobilières et elle n'avait aucune expérience des opérations boursières. [9] Elle en fit d'ailleurs part à l'intimé. Au premier formulaire d'ouverture des comptes signé pour la cliente (Pièce B-5A), celui-ci confirma que les 5 connaissances en placement de Madame T. étaient limitées, et que sa faible tolérance au risque devrait se traduire par des objectifs de placement très conservateurs. [10] La cliente voulait «de la sécurité» (Pièce B-5H, question 5). Ainsi, 90 % du portefeuille de la cliente (les trois comptes) devraient être placés en titres à revenu (essentiellement des obligations), et 10 % en titres de capital (essentiellement, des actions), dans une perspective de rendement à long terme. De plus, il était spécifié au formulaire que les comptes ne seraient pas des comptes «carte blanche», au sens de l'article 7476 des Règles. Selon les propos qu'il tenait à l'occasion de l'enquête de la Bourse, l'intimé estimait qu'il s'agissait d'un compte carte-blanche «sans documents» (B-5G, question 12). [11] La cliente dota son portefeuille d'un capital initial de 150 000 $, par chèque tiré à l'ordre du courtier. [12] Quelques semaines plus tard, en début d'année 2000, Morin communiqua avec Madame T. pour lui proposer d'ouvrir un compte additionnel. Il s'agirait d'un compte sur marge en dollars américains («dollars É.-U.»), qui permettrait à la cliente de disposer d'une capacité d'emprunt en monnaie des États-Unis et de financer des opérations que l'intimé effectuerait pour elle sur le marché des actions américaines. Des emprunts seraient contractés à cette fin et leur capital et intérêts débités à ce compte. Le remboursement du capital et le paiement de l'intérêt seraient garantis par les valeurs et l'argent liquide apparaissant à l'actif du compte sur marge en dollars canadiens. Pour les fins de la preuve, les montants en dollars É.-U. pertinents ont été convertis en dollars canadiens à l'aide des taux de change publiés à midi par la Banque du Canada à chacune des dates concernées (Pièce B-19). 6 [13] Dans une lettre qu'elle transmettait au courtier le 2 mai 2001 (Pièce B-5C, à la page 2), Madame T. décrit comme suit les discussions tenues à ce sujet avec Morin: «M. Morin me conseille de faire des transactions du côté U.S. Il pratique déjà cette méthode avec certains clients. Il n'y a aucun risque car les transactions qu'il fait sont garanties du côté canadien. Il n'y a aucun investissement à faire et ça rapporte. Il ne me parle d'aucun côté négatif. Sur son conseil, je décide d'investir du côté U.S.» . [14] Bien que la cliente ait accepté, le 11 février 2000, d'ouvrir le compte en dollars É.-U., la preuve a révélé qu'elle ne réalisait pas les implications de cette décision. C'eût été difficile, car loin d'informer Madame T. des risques afférents à la négociation sur marge qu'il lui proposait, l'intimé lui présenta plutôt la démarche qu'il envisageait comme une stratégie éprouvée avec d'autres clients, qui ne présentait que peu de risques, qui ne nécessitait aucun capital additionnel et qui «rapportait» (Pièce B-5C, p. 2). [15] Il faut noter ici que même si très peu de temps (trois mois) s'était écoulé depuis l'ouverture des premiers comptes et qu'au cours de cette période, il n'y avait pas vraiment eu de communications entre la cliente et Morin, ce dernier estima qu'en février 2000, elle était soudainement devenue moins inexpérimentée et plus tolérante au risque. [16] Dans le formulaire d'ouverture du compte en dollars américains, il qualifia en effet de «passables» les connaissances en placement de cette dernière, et de «moyenne» sa propension à assumer des risques de placement en actions (Pièce B-5A). En ce qui concerne les comptes CRI et sur marge américain, les anciens objectifs de placement conservateurs – protection du capital pour la retraite, titres obligataires, stratégie conservatrice, long terme – passèrent alors exclusivement à croissance à court terme (80% du portefeuille) et à moyen terme (20%). 7 [17] La preuve prépondérante est à l'effet que dès l'ouverture des premiers comptes de Madame T. chez le courtier, Morin lui proposa de procéder comme suit, pour la fourniture de ses services de représentant: • il effectuerait pour elle des transactions sur le marché, lesquelles porteraient notamment sur des titres à forte capitalisation; • il n'aurait pas à appeler la cliente avant chaque transaction; • il choisirait lui-même – «de son propre chef» selon ses termes mêmes (Réponse D-2, p. 2) – le moment où il acheminerait et ferait exécuter des ordres d'achat ou de vente de valeurs; • il ferait lui-même rapport à Madame T. des opérations menées dans son compte et des gains ou pertes en résultant, dans des documents de sa propre confection qu'il lui transmettrait après coup par la poste. [18] La preuve a démontré qu'à l'exception de quelques placements en obligations venant à terme, alors qu'il communiquait avec sa cliente, l'intimé a suivi ce modus operandi durant toute la période visée par la plainte de la requérante, et pour tous ses comptes. [19] La cliente s'accommoda de cette façon de faire, qu'elle croyait usuelle de la part d'un représentant en valeurs mobilières. [20] Dans sa lettre 5-C au courtier, Madame T. raconte que dès après l'ouverture du compte sur marge en dollars É.-U., elle est allée «de surprise en surprise». En effet, elle s'étonnait du niveau d'activité de ses comptes, puisque l'intimé s'était mis à les gérer très activement, sans grand rapport avec ce qu'elle recherchait. «Ce n'était pas ce que je lui avais demandé», de déclarer Madame T. au Comité (Notes stén., p. 12). 8 [21] L'intimé achetait des actions et les revendait quelques jours plus tard, sinon le même jour. De février 2000 à mars 2001, sur une période d'à peine un an, il a négocié quelques 228 fois pour la cliente (David Desjardins, Notes stén., aux pp. 95 à 97), principalement sur le compte sur marge américain et le compte CRI. Du propre aveu écrit de Morin (Document d'enquête B-9), il n'a pas discuté une seule fois de ces opérations avec Madame T. [22] Pour l'intimé, cette gestion des comptes de Madame T. était très lucrative, proportionnellement au capital qu'elle lui avait remis pour fins de placement. De novembre 1999 à avril 2001, les opérations réalisées par Morin au nom de la cliente ont généré des revenus de commissions de plus de 61 000 $ (Pièce B-6B). Cette somme équivalait à quelques 30 % de toutes les commissions brutes perçues par lui pour la même période de l'ensemble des 40 clients dont il avait la responsabilité, lesquels représentaient un actif global sous gestion d'environ 4 millions $. [23] Pour la santé du portefeuille de la cliente, cependant, la stratégie de Morin fut proprement désastreuse. En plus de voir fondre son capital – les opérations dans les comptes sur marge canadien et américain et dans le compte CRI lui ont fait perdre approximativement 86 700 $ (Rapport d'enquête B-5, p. 13, tel que corrigé à l'audition sur ce point) – elle acquittait des commissions substantielles dont une forte proportion (70 %, selon le témoin Jacob) revenait à Morin. Elle devait également assumer des paiements d'intérêt élevés sur les avances qui lui étaient débitées au compte en dollars É.-U., afin de financer des transactions sur lesquelles elle n'était pas consultée. [24] Se basant sur les données recueillies à l'occasion de son enquête, Stéphan Jacob évalue que ces montants d'intérêts correspondent, pour les comptes CRI et sur marge (canadien et américain combinés), à 25% et 28% de la 9 valeur initiale de ces comptes, ramenés à des proportions de 20% et 18%, respectivement, sur une base annuelle (Pièce B-6, p. 2). [25] Le cumul de ce qui était prélevé sur ses comptes au titre des commissions et de cet intérêt obligeait Madame T., simplement pour protéger son capital, à obtenir un taux de rendement annuel très élevé, estimé à 45 %, sur ses placements. [26] L'effet de levier des comptes sur marge était fortement utilisé par l'intimé dans sa gestion. Au 31 octobre 2000, par exemple, le débit aux comptes de la cliente s'élevait à une somme totale de près de 313 000 $, alors que leur valeur nette n'était que d'environ 71 500 $. [27] Le 29 novembre 2000, alors que le rendement manquait justement à l'appel, Morin communiqua avec Madame T. pour lui demander de «marginer» son compte en dollars américains, i.e. d'y verser les sommes nécessaires pour ramener l'actif en dépôt dans le compte au niveau minimal requis par les Règles, eu égard aux valeurs en compte et aux positions prises dans sa gestion (voir arts 7201 et ss. des Règles). La somme requise était de 3 800 $ É.-U. [28] Ne pouvant payer ce montant à même ses revenus d'emploi – Madame T. témoignant à l'effet qu'elle avait souligné à Morin que toute l'épargne dont elle disposait, elle le lui avait confiée – l'intimé offrit d'avancer lui-même cette somme à la cliente, ce qu'elle accepta. Le même jour, Morin déposa 3 800 $ É.-U. à un compte chèque maintenu par la cliente à la Banque Laurentienne, et cette dernière tira sur ce compte un chèque de même montant à l'ordre du courtier, afin de créditer son compte en devises. [29] Dans les mois qui ont suivi, la cliente a dû répondre à d'autres appels de marge dans le compte en dollars américains: 10 000 $ le 11 décembre 2000, 10 6000 $ le 16 mars 2001, et 10 000 $ le 23 mars 2001. Tous ces montants furent empruntés par elle auprès d'un ami. Au 31 mars 2001, ce compte montrait toujours un découvert de plus de 95 000 $ É.-U. (Pièce B-13, Doc. 5936). [30] Le 2 mai 2001, la cliente s'adressa par écrit (Pièce 5-C) au supérieur de Morin, pour se plaindre de sa pénible expérience d'investissement. Elle expliqua ce qui lui arrivait et demanda un redressement de la situation. Un mois plus tard, après enquête interne, la firme mettait fin à l'emploi de l'intimé. Elle motiva cette décision à la Bourse par le fait que Morin n'avait pas respecté les objectifs de la cliente, qu'il lui avait prêté de l'argent et qu'il avait effectué des transactions discrétionnaires (Pièce B-5B). Trois jours après, Madame T. acceptait une offre de règlement du courtier, aux termes de laquelle elle verrait ses soldes de comptes sur marge canadien et américain ramenés à l'actif, à hauteur de 165 000 $ (Pièce B-5E). [31] Morin, quant à lui, intenta des procédures contre Madame T. en Cour du Québec (dossier 450-22-004481-025, district de St-François) pour lui réclamer les 3 800 $ É.-U. qu'il lui avait prêtés. Celle-ci accepta de lui verser une somme de 3 000 $ canadiens en règlement de sa réclamation, dont reçu-quittance en date du 10 janvier 2003 a été produit au dossier du Comité (Pièce B-19). On note que dans ce document, où les parties se donnent quittance mutuelle de tout recours qu'elles pourraient avoir l'une contre l'autre relativement au prêt, l'intimé s'est aussi assuré d'obtenir de sa cliente une quittance de: «tout autre recours qui pourrait résulter des relations d'affaires [qu'ils] ont eues en regard de leur qualité respective, en ce qui concerne JeanPierre Morin, de courtier en valeurs mobilières, et en ce qui concerne Madame [T.] en qualité de cliente de ce dernier.» [32] Depuis, l'intimé n'agit plus comme représentant d'un courtier agréé par la Bourse et semble avoir quitté l'industrie des valeurs mobilières. 11 [33] Madame T. se serait sans doute contentée de tourner la page sur cette pénible expérience comme investisseur qui à tout le moins, se soldait par un règlement entre elle et le courtier. Toutefois, pour les fins des procédures disciplinaires initiées devant nous, les procureurs de la requérante l'ont indirectement obligée à se remémorer cette expérience, en l'assignant à comparaître devant le Comité pour y rendre témoignage. [34] La cliente hésitait en effet à se présenter volontairement devant nous (Notes stén., Stéphan Jacob, aux pp. 52-53). On comprend mieux sa position à la lecture d'un document (Pièce B-18) intitulé «AVERTISSEMENT ET MISE EN GARDE», que Morin lui a fait parvenir par huissier en novembre 2003, quelques mois après le dépôt de la plainte de la requérante. Il est utile d'en citer le texte in extenso, afin de donner un aperçu du style auquel l'intimé nous a habitués depuis plus de deux ans. [35] Dans cette missive, l'intimé réfère au règlement hors cour de son action sur prêt, intervenu avec son ex-cliente en janvier 2003: «PAR HUISSIER Ste-Catherine-de-Hatley, le 14 novembre 2003 Madame M. T(…), Par la présente, soyez avertie et mise en garde Madame M. T. (…) que: --- advenant votre témoignage, écrit ou verbal, contre ma personne au Comité de Discipline de la Bourse de Montréal Inc. les 3 et 4 décembre 2003, ou à toute autre date ou dans toute autre circonstance dans le futur Je considérerai votre témoignage, Madame M. T. (…), comme une violation flagrante de votre part de l'entente signée entre nous le 10 janvier 2003 devant votre avocat et devant le mien. Je considérerai aussi, Madame M. T. (…), que si vous pouvez violer cette entente signée, de ma part je pourrai aussi la violer. En toute 12 logique, je considérerai, Madame Manon T(…), que ce qui est légalement bon pour vous l'est également pour moi. Soyez aussi avertie et mise en garde, Madame M. T. (…), qu'en cas de violation de votre part de l'entente signée le 10 janvier 2003, j'aurai alors toute légitimité et toute liberté d'entamer des procédures au Civil contre vous, le moment venu. Soyez aussi avertie et mise en garde, Madame M. T. (…), qu'en cas de violation de votre part de notre entente signée le 10 janvier 2003, j'examinerai aussi très sérieusement la possibilité et la pertinence de PORTER PLAINTE AU CRIMINEL CONTRE VOUS, LE MOMENT VENU. VEUILLEZ VOUS GOUVERNER EN CONSÉQUENCE (signé) Jean-Pierre Morin 60 des Rossignols Ste-Catherine-de-Hatley, Qc JOB 1W0» [36] Nous reviendrons plus loin sur le comportement de l'intimé à l'endroit de toutes les parties prenantes aux présentes procédures et notamment, de la cliente. Qu'il suffise de dire ici que par ses innombrables manifestations intempestives, dont la lettre précitée n'est peut-être que l'un des exemples les moins menaçants, ce comportement a acquis une pertinence certaine dans le présent dossier. [37] Lors de l'audition au mérite de la plainte déposée contre lui, l'intimé n'a pas jugé bon de se présenter devant le Comité pour être entendu et faire valoir ses arguments, même si toute la preuve pertinente lui avait été communiquée plus d'un an avant l'audition, afin qu'il puisse s'y préparer et présenter adéquatement sa défense. 13 IV. ANALYSE a) Les transactions discrétionnaires [38] La preuve a révélé que de février 2000 à mars 2001, alors qu'il était une personne approuvée au sens des Règles de la Bourse, l'intimé a agi de son propre chef et effectué des ordres discrétionnaires à au moins 223 reprises dans la gestion des comptes de la cliente, alors qu'aucun de ces comptes n'était un compte «carte blanche» (art. 7476 des Règles). [39] Le Manuel à l'usage du représentant publié par l'Institut canadien des valeurs mobilières (le «Manuel de l'ICVM»), à la page 91, décrit en ces termes les principes qui gouvernent ce type de comptes: «Le titulaire d'un compte donne de fait "carte blanche" à son courtier pour ce qui est des opérations qui seront effectuées sur le compte. Par autorisation écrite, il laisse au courtier le loisir de choisir les titres et d'effectuer des opérations en son nom. Cette autorisation est habituellement donnée sur une base temporaire, en cas d'absence ou de maladie, par exemple. Elle doit être approuvée par l'associé ou le dirigeant désigné de la maison de courtage, et chaque ordre "à appréciation" doit être identifié comme tel. La réglementation des OAR [organismes d'autoréglementation] réserve la gestion des comptes "carte blanche" aux conseillers en placement répondant à des exigences particulières, ou imposent une supervision spéciale. L'autorisation est habituellement valide pendant une période n'excédant pas un an et le client doit donner les raisons qui le poussent à donner cette autorisation, qui ne peut en aucun temps être sollicitée.» [40] Jamais, au cours de la période visée, la cliente n'a-t-elle spécifiquement autorisé, par écrit ou autrement, un administrateur ou un associé du courtier – ni à plus forte raison Morin, qui n'était que représentant enregistré – à exercer quelque pouvoir discrétionnaire d'agir dans ses comptes pour l'achat et la vente de titres, ou quant au choix, au moment ou au prix devant être payé ou reçu pour des titres. 14 [41] Par ailleurs, la preuve démontre que l'intimé agissait à l'insu de son employeur, sans qu'aucun dirigeant du courtier n'en soit informé, et en utilisant des rapports qu'il confectionnait lui-même, en marge de tous les mécanismes de reddition de compte généralement requis des courtiers en valeurs mobilières. [42] En agissant ainsi de son propre chef dans la gestion des comptes de Madame T. à chacune des occasions évoquées au paragraphe A de la plainte, l'intimé s'est trouvé à déroger à chaque fois aux dispositions du paragraphe 3 de l'article 7411 des Règles de la Bourse régissant les ordres discrétionnaires, sans se conformer à celles concernant l'approbation et l'identification des comptes cartes blanches (art. 7476 des Règles). [43] C'est pourquoi nous le déclarons coupable de l'infraction visée au paragraphe A de la plainte disciplinaire. b) La multiplication excessive des transactions Introduction [44] La requérante a mis en preuve, à la satisfaction du Comité, que de février 2000 à mars 2001, l'intimé a effectué 228 transactions dans les comptes dont Madame T. était titulaire. La requérante nous invite à conclure qu'en ce faisant, l'intimé a multiplié de façon excessive les transactions dans ces comptes afin de générer des commissions. Elle nous fait valoir que ce barattage – «churning» en anglais – de comptes est un agissement incompatible avec les principes de justice et d'équité du commerce des valeurs mobilières et que conséquemment, l'intimé doit être trouvé coupable d'avoir contrevenu au sousparagraphe a) ii) de l'article 4101 des Règles. [45] Cette disposition vise à favoriser le respect de standards élevés de moralité commerciale et de professionnalisme auprès des personnes approuvées par la 15 Bourse. Elle vise à protéger les clients des intermédiaires en valeurs mobilières et le public en général, et il s'impose par conséquent de lui donner une interprétation libérale (voir, par analogie, les objectifs sous-jacents à la NASD rule 2110, tels qu'exprimés par les organes disciplinaires de la National Association of Securities Dealers américaine, dans des affaires de barattage de compte: Dep't of Enforcement v. Shvarts (2000) Complaint No. CAF980029, NASD Discip. LEXIS 6, 11; et Dep't of Enforcement v. Gilmore (2003) Complaint No. C9B020037, NASD Discip. LEXIS 5, 7. La NASD rule 2110 est très similaire à l'article 4101 a) ii) des Règles. Elle oblige les courtiers et représentants en valeurs mobilières membres à observer de «high standards of commercial honor and just and equitable principles of trade».) [46] Le Comité dispose d'une latitude d'appréciation assez large afin de déterminer si la conduite d'une personne approuvée constitue, dans des circonstances données, un agissement incompatible avec les principes de justice et d'équité du commerce des valeurs mobilières (art. 4101 d) des Règles). Toutefois, les Règles identifient expressément, à l'article 4101 c), certains actes, conduites, pratiques ou procédés répréhensibles qui sont présumés être incompatibles avec ces principes. [47] Parmi ceux-ci, on en retrouve deux qui sont directement pertinents aux faits qui ont été établis devant nous: • l'infraction à une loi concernant le commerce des valeurs mobilières (art. 4101 c) ii) des Règles); et • la contravention à une disposition du Code de déontologie du représentant (le «Code de déontologie») prévu au Manuel de l'ICVM (art. 4101 c) vi) des Règles). 16 [48] C'est donc dire que s'il est démontré: (i) que l'intimé, en agissant comme il l'a fait, a effectivement baratté les comptes de sa cliente; et (ii) que cette pratique est contraire à une disposition d'une loi concernant le commerce des valeurs mobilières ou du Code de déontologie régissant la conduite de l'intimé, celui-ci sera présumé avoir commis l'infraction décrite au paragraphe B de la plainte. [49] La requérante, s'appuyant sur des autorités et précédents autant américains que canadiens, soutient que la preuve donne effectivement naissance à de telles présomptions. [50] Elle soumet d'abord que les dispositions de l'article 193 de la Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., chapitre v-1.1) énoncent qu'il est interdit au courtier «de multiplier les opérations pour le compte d'un client dans le seul but d'augmenter [sa] rémunération», ce qui est essentiellement ce qu'on reproche à l'intimé. [51] De plus, on nous fait valoir que dans les circonstances qui nous ont été démontrées, le comportement de l'intimé a été contraire aux prescriptions du Code de déontologie qui régissait sa conduite. [52] Ce Code de déontologie pose certains principes généraux à l'effet qu'une personne inscrite (comme l'était l'intimé à l'époque concernée) doit exercer une prudence raisonnable, faire preuve de discernement et d'impartialité, se comporter avec loyauté et intégrité et agir de manière honnête et équitable dans ses rapports avec le public, et notamment ses clients. Ces principes sont par la suite explicités, à l'aide de normes de conduite qui complètent le Code. [53] L'une de ces normes, la Norme C, intitulée «Professionnalisme», énonce notamment que: «le professionnel est tenu de protéger ses clients, dont les connaissances ne sont habituellement pas aussi spécialisées que les 17 siennes, et il doit veiller à faire passer les intérêts de ses clients avant les siens». [54] Le barattage des comptes de Madame T., s'il est établi, irait clairement à l'encontre de ces règles. [55] Avant de procéder à l'analyse de la question, le Comité souligne que le barattage de compte est une pratique qui ne connaît pas de frontières et qui malheureusement, depuis de nombreuses années, sévit très fréquemment dans l'industrie des valeurs mobilières de toutes les économies développées. Dans la plupart des pays, les autorités compétentes s'efforcent de la réglementer et de la réprimer de manière analogue à ce qu'on voit au Québec et au Canada, et c'est pourquoi le Comité n'a vu aucune raison de ne pas s'inspirer assez largement, comme la requérante nous y invitait, de précédents américains plus nombreux et tout aussi pertinents (voir sur ce point Lemoyne et Thibaudeau, La responsabilité du courtier en valeurs mobilières (1991) R. du B., à la p. 527). Le concept de barattage [56] Le courtier en valeurs mobilières baratte (churns) un compte lorsqu'il réalise des transactions et gère ce compte dans le but de générer des commissions, sans se soucier des intérêts du client qui en est titulaire (Donald A. Roche (1997) 53 SEC 16, 22; Hamilton, Roderick John (1993) BCVMQ 19.02.93 3, 6; Miley v. Oppenheimer & Co. (1981) 637 F.2d 318, 324 (5th Cir.)). [57] La FSA britannique décrit cette pratique encore plus simplement dans son Statement of Principles and Code of Practice for Approved Persons (Financial Services Authorithy Handbook, Chapter 7, par. 7.2.2, Octobre 2004): «Principle 6 (Customers' interest) requires a firm to pay due regard to the interests of customers and treat them fairly. A firm should therefore 18 not «churn» a customer's account, that is, enter into transactions with unnecessary frequency having regard to the customer's agreed investment strategy.» [58] Le barattage est condamnable parce qu'il implique que le courtier cède à un conflit d'intérêts qui le met en opposition à son client, lorsqu'il cherche à maximiser sa rémunération aux dépens de ce dernier en multipliant inutilement des transactions génératrices de commissions. Lorsque le courtier déloyal se livre à cette pratique, le client se retrouve privé du rendement auquel il aurait normalement eu droit sur ses placements s'il n'avait pas eu à assumer le coût des commissions générées artificiellement (Donald E. Roche (1997) 53 S.E.C. 16, 22). La preuve du barattage [59] La preuve du barattage s'établit en fonction des trois critères qui suivent, dont l'application est devenue classique en matières disciplinaires impliquant des courtiers en valeurs (voir Michael T. Studer and Castle Securities Corp. (2004) Exchange Act Rel. No. 50543 (14 octobre 2004); Sandra K. Simpson (2002) Exchange Act Rel. No. 45923, 77 S.E.C. Docket 1983, 2006 (14 mai 2002)): 1. le courtier exerçait un contrôle sur les comptes de son client; 2. les transactions réalisées sur ces comptes étaient excessives eu égard aux objectifs d'investissement du client; 3. le courtier agissait sciemment (scienter, selon le terme latin). Premier critère [60] La situation qui se trouve devant nous respecte manifestement le premier de ces critères. 19 [61] Il est en preuve que la plupart du temps et contrairement aux Règles, Morin gérait les comptes de la cliente de façon discrétionnaire. Dans les rares cas où il la contactait pour discuter à l'avance d'une transaction non visée par les présentes procédures, celle-ci s'appuyait sur ses avis et suivaient ses recommandations. [62] Dans un compte-rendu de rencontre entre Madame T. et l'enquêteur Jacob, celle-ci a rapporté avoir dit ce qui suit à Morin, lors du changement des objectifs de placement à l'occasion de l'ouverture du compte sur marge américain: «…c'est vous le spécialiste, c'est vous savez ce qui est bon pour moi.» (Pièce B-5H, question 3). Pour elle, c'était lui qui décidait (Ibid, Question 6). [63] Nous en concluons que Morin exerçait un contrôle effectif sur les comptes de Madame T. (Erdos v. S.E.C. (1984) 742 F.2d 507, 508 (9th Cir.)). Deuxième critère [64] Par ailleurs, la stratégie suivie par l'intimé a-t-elle fait en sorte qu'au cours de la période de février 2000 à mars 2001, le nombre de transactions réalisées dans les comptes de Madame T. était véritablement «excessif» ? [65] La requérante nous propose de conclure par l'affirmative en nous inspirant du «taux de roulement» des éléments d'actif dans les comptes concernés. Ce taux exprime le nombre de fois que les éléments d'actif qu'on y retrouve ont été remplacés par d'autres suite à des transactions réalisées au cours d'une période donnée. [66] La jurisprudence américaine a reconnu que même s'il n'y avait pas de test unique pour déterminer si l'on était en présence de négociation excessive, ce 20 taux de roulement, considéré conjointement avec le nombre et la fréquence des transactions dans un compte, était un instrument de mesure suffisamment objectif et indicatif pour que les autorités d'adjudication comme notre Comité puissent s'en inspirer (Harry Glicksman (1999) Exchange Act Rel. No. 42255; Clyde J. Bruff (1998) 53 S.E.C. 880, appel refusé (1999) 198 F.3d 253 (9th Cir); Hecht v. Harris, Upham & Co. (1968) 283 F Supp. 417, 435-436). [67] Ce taux est établi en appliquant aux opérations menées dans un compte, pour une période donnée, une formule qui a été reconnue par la jurisprudence et qui aide à déterminer si la négociation sur ce compte a été excessive. Cette méthode de détermination varie quelque peu, selon que l'on se réfère aux pratiques qui sont reconnues au Canada ou aux États-Unis. [68] Au Canada, le taux de roulement est obtenu pour une période donnée en divisant la valeur de tous les achats et ventes par la valeur de l'actif du compte au début de la période (Pièce B-7). [69] Aux États-Unis, on utilise la «Formule Looper», du nom de l'affaire qui a donné lieu à son énoncé par la Securities and Exchange Commission américaine (la «SEC»), dans In Re Looper and Company (1958) 38 S.E.C. 294. Le taux se roulement est alors déterminé «by dividing the aggregate amount of the purchases by the average cumulative monthly investment, the latter representing the cumulative total of the net investment in the account at the end of each month, exclusive of loans, divided by the number of months under consideration» (Frederick C. Heller (1993) 51 S.E.C. 275, aux pp. 276-277; Pièce B-7). [70] La Formule Looper a connu quelques variantes jurisprudentielles depuis la fin des années 50. Aujourd'hui, dans les causes de barattage, les tribunaux et autorités de surveillance en valeurs mobilières américains acceptent généralement de considérer un taux de roulement annualisé de l'actif d'un 21 compte-client. Celui-ci est calculé en divisant le montant global d'achats réalisés dans le compte pour la période concernée par le montant mensuel moyen d'actif investi, le ratio ainsi obtenu étant par la suite ramené sur une base annuelle (Shearson Lehman Hutton Inc. (1989) 49 SEC 1119, 1122; Stéphan Jacob, Notes stén., p. 73). [71] Même si la fréquence à laquelle les transactions boursières sont réalisées sur un compte est rarement constante et qu'elle est appelée à varier dans le temps, cette méthode d'établissement d'un taux annuel a notamment été jugée acceptable par la SEC pour évaluer s'il y a ou non négociation excessive (Laurie Jones Canaday (1999) Securities Exchange Act Rel. No. 41250, 5 avril 1999, 89 S.E.C. Docket 1468, 1476-77, appel refusé (2000) 230 F.3d 362 (D.C. Cir.)) [72] Le Comité a également noté que dans des circonstances où la gravité des dérogations du courtier était manifeste, la jurisprudence reconnaissait que la considération du taux de roulement n'était même pas un pré-requis à ce qu'une autorité d'adjudication disciplinaire puisse valablement conclure à la culpabilité d'un intimé accusé de barattage (Clyde Joseph Bruff (1997) Complaint No. C01960005, National Business Conduct Committee, NASDR, 11 août 1997). Nous nous sommes malgré tout attardés à le considérer ici. [73] Selon les paramètres établis en la matière, la détermination, relativement à un compte, d'un taux de roulement d'actif supérieur à 6 laisse peu de place à une conclusion autre que celle d'une négociation excessive sur ce compte (In Re Department of Enforcement v. Stein (2001) NASDR National Adjudicatory Council Complaint No. C07000003, 3 Déc. 2001; Peter C. Bucchieri (1996) 52 S.E.C. 800, 805; Shearson Lehman Hutton Inc., préc.; Mihara v. Dean Witter & Co., Inc. (1980) 619 F.2d 814, 821 (9th Cir.)). C'est d'autant plus vrai au Canada, où la méthode de détermination du taux est plus sévère (Stéphan Jacob, Notes stén., p. 77). 22 [74] Stéphan Jacob a témoigné à l'effet qu'il avait effectué, conformément aux principes énoncés ci-dessus, des calculs de taux de roulement relativement à certaines parties du portefeuille de Madame T., sur une période d'un an allant de janvier 2000 à janvier 2001, qu'il estimait la plus représentative de la stratégie de négociation reprochée à Morin. Les segments du portefeuille de la cliente qu'il a considérés et les taux de roulement correspondants sont les suivants: Taux de roulement Segment (Méthode canadienne) (Méthode américaine) Comptes sur marge canadien et américain 24,4 18,4 Compte CRI 22 10,1 [75] Quelle que soit la méthode utilisée, on remarque que ces taux excèdent de beaucoup le seuil de 6, c'est-à-dire le taux annualisé à partir duquel nous devrions en pratique cesser de nous questionner sur le caractère excessif du nombre de transactions, en l'absence de preuve contraire. [76] M. Jacob a également fourni au Comité les résultats de son analyse de la durée moyenne de détention des valeurs aux comptes CRI et sur marge américain (Pièce B-6, p. 2): «L'analyse de la durée moyenne de détention des titres achetés nous a dévoilé que les 53 opérations d'achat effectuées dans le compte CRI, entre le 7 février 2000 et le 19 mars 2001, ont été détenues en moyenne 23 jours. Parmi ces 53 opérations d'achat, 48 d'entre elles ont été conclues par une vente avec une durée moyenne de détention de 19 jours. En ce qui a trait au compte sur marge en devise américaine, nous avons évalué que les 80 opérations d'achat, effectuées entre le 14 février 2000 et le 13 février 2001, ont été conservées, en moyenne, 57 jours. Parmi ces 80 opérations d'achat, 23 69 d'entre elles ont été conclues par une vente avec durée moyenne de détention de 17 jours.» [77] Alors que les formulaires d'ouverture des comptes de Madame T. démontrent que la cliente demandait initialement une allocation d'actif de 90 % en titres à revenu fixe et de 10 % en actions, dans une perspective de croissance à long terme (5 ans et plus) du portefeuille, Morin l'a rapidement conviée à des placements en devises, d'un terme si court qu'il n'y avait aucune possibilité d'établir une corrélation quelconque entre leur acquisition et l'objectif de croissance qui convenait à la cliente. [78] Les taux de roulement abusifs des éléments d'actif dans les comptes de Madame T., le niveau irréaliste de rendement devant être généré par la mise en œuvre de la stratégie de Morin pour protéger le capital de la cliente, les montants de commissions qui étaient perçus pour gérer un actif global somme toute modeste en proportion, les périodes de détention très courtes des valeurs en portefeuille pour des objectifs de croissance à long terme, tous constatés dans les comptes d'un investisseur individuel peu averti et disposant de revenus limités, démontrent qu'eu égard aux principes de justice et d'équité pertinents, l'intimé a multiplié de façon excessive les transactions dans les comptes de la cliente. Troisième critère [79] Le troisième test de détermination du barattage nécessite que la requérante établisse que l'intimé a agi sciemment, en cherchant à tromper, manipuler ou frauder (Aaron V. S.E.C. (1980) 446 U.S. 680; Ernst & Ernst v. Hochfelder (1976) 425 U.S. 185)), ou qu'il a agi de façon grossièrement négligente en contrevenant gravement aux normes de conduite normalement applicables (Hollinger v. Titan Capital Corp. (1990) 914 F.2d 1564 (9th Cir.)). 24 [80] Selon nous, ce test a été respecté ici. [81] Au cours de la période concernée, il a été établi que les opérations réalisées par Morin sur les comptes de la cliente avaient été menées en nombre excessif et qu'elles avaient généré des revenus de commissions représentant environ 30 % des commissions brutes qu'il avait perçues de ses 40 clients. [82] Combiné à un taux de roulement d'actif variant de 22 à plus de 24 dans les comptes sur marge et CRI de Madame T., ce déséquilibre dans les sources de revenus de l'intimé comme représentant démontre de façon assez flagrante que son objectif de générer des commissions avait carrément pris le dessus sur l'intérêt de sa cliente. [83] De plus, le Comité estime que Morin ne pouvait faire autrement que de réaliser qu'il opérait les comptes de sa cliente de manière à en tirer des montants abusifs de commissions, proportionnellement au portefeuille qui s'y trouvait et considérant l'âge, la situation financière et les besoins de la cliente. [84] Nous avons vu que dans le formulaire d'ouverture du compte en dollars américains, théoriquement après vérification de la part de l'intimé, les connaissances en placement de Madame T. sont passées d' «aucune» à «passables», et sa tolérance au risque de placement en actions de «faible» à «moyenne». [85] La preuve contredit nettement cette évaluation. La cliente n'a jamais été invitée à décider s'il était opportun pour elle de bifurquer vers une stratégie de placement plus agressive par rapport à ses objectifs initiaux. Elle a témoigné à l'effet que ce n'est qu'à l'occasion du premier appel de marge, qui a débouché sur le prêt de 3 800 $ É.-U., que l'intimé lui avait vraiment expliqué le fonctionnement d'un compte sur marge. 25 [86] Le Comité croit plutôt que cette nouvelle évaluation des connaissances et de la tolérance au risque de Madame T. ne visait qu'à légitimer le plan d'action proposé par Morin et à le rendre plus conforme aux règles. De toutes façons, même si un véritable changement d'objectifs d'investissement était survenu sur demande de la cliente, le Comité n'y verrait pas une défense valable pour Morin, considérant le peu de sophistication de la cliente comme investisseur. Si cela avait été le cas, celui-ci aurait dû alerter la cliente et s'opposer au changement, dans l'exécution des devoirs dont un client doit normalement pouvoir s'attendre de la part d'un professionnel des valeurs mobilières. [87] Les objectifs d'investissement de Madame T., qui étaient axés sur le revenu et auraient dû le demeurer, ne cadraient pas avec la stratégie de négociation active suivie par Morin, qui visait la croissance du portefeuille de Madame T. par des revenus de négociation et des gains spéculatifs réalisés en bourse, en utilisant le levier de marges de crédit qui augmentaient son pouvoir d'achat. Amener la cliente à accepter cette stratégie pour son portefeuille équivalait à déroger aux règles de convenance qui auraient dû guider la conduite du représentant. [88] De plus, la négociation sur marge comportait des risques de perte accrus pour Madame T. (Stephen Torlief Rangen (1997) 52 S.E.C. 1304, aux pp. 13071308): «Trading on margin increases the risk of loss to a customer for two reasons. First, the customer is at risk to lose more than the amount invested if the value of the security depreciates sufficiently…Second, the client is required to pay interest on the margin loan, adding to the investor's cost of maintaining the account and increasing the amount by which the investment must appreciate before the customer realizes a net gain.» L'intimé aurait dû en informer Madame T. car il savait, depuis l'ouverture de ses premiers comptes, que celle-ci n'était pas en mesure d'en prendre conscience indépendamment de ses avis et recommandations. 26 [89] Enfin, cette stratégie, pour avoir du succès et procurer un rendement raisonnable, nécessitait qu'un nombre excessif de transactions, eu égard aux besoins de la cliente, soient réalisées. Le comité y voit ici, comme dans Michael David Sweeney (1991) 50 S.E.C. 761, une indication permettant de conclure que l'intimé agissait sciemment ou en connaissance de cause (Franks v. Cavanaugh (1989) 711 F. Supp. 1186, cité dans Churning, Financial Development Education Network Development, section 2; Simpson, préc., à la p. 2007; Studer and Castle Securities Corp., préc., p. 5). [90] La négociation sur marge et les transactions en nombre excessif dans les comptes de la cliente l'ont forcée à encourir des pertes et qui plus est, à s'endetter pour faire face aux appels de marge. Pendant ce temps, seuls l'intimé et le courtier en bénéficiaient, tant sur le plan des commissions perçues que des intérêts encaissés. [91] Lorsque cette stratégie, qui imputait régulièrement de lourds prélèvements sur l'actif en compte de Madame T., en est venue à établir à 45 % le taux de rendement nécessaire pour éviter d'entamer le capital en compte, l'intimé ne pouvait plus ignorer qu'il abusait de la confiance de sa cliente et qu'il manquait gravement à ses devoirs d'intégrité envers celle-ci (voir sur ce point le Statement of Principles and Code of Practice for Approved Persons, Financial Services Authorithy Handbook, préc., Chapter 4, par. 4.1.5). Il montrait ainsi un comportement grossièrement négligent et insouciant, équivalant à mauvaise foi et fraude. [92] Ceci nous conforte dans notre conclusion que c'est en toute connaissance de cause qu'il a baratté les comptes de la cliente, et que le troisième critère évoqué plus haut a été respecté par la requérante. 27 [93] Pour toutes ces raisons, le Comité conclut que l'intimé est également coupable de l'infraction décrite au Paragraphe B de la plainte disciplinaire. c) Le prêt à la cliente [94] La norme de conduite C, qui complète le Code de déontologie, prévoit que: «la personne inscrite devrait éviter d'avoir des rapports personnels de nature financière avec un client. Cela suppose de ne pas prêter de sommes d'argent à un client ni de lui en emprunter, ne pas régler les pertes d'un client à partir de ses propres fonds et de ne pas partager un intérêt financier dans un compte avec un client. Tout rapport personnel de nature financière (…) avec un client doit se dérouler de manière à éviter quelque conflit d'intérêts réel ou apparence d'un tel conflit et être divulgué à la firme afin que celle-ci puisse surveiller la situation». L'article 7456 des Règles fait écho à ce principe. [95] La preuve a indiscutablement établi qu'en novembre 2000, l'intimé a prêté une somme de 3 800 $ É.-U à Madame T. et ce, à l'insu du courtier qui l'employait. Morin a même poursuivi sa cliente pour être remboursé et il a reconnu, dans le reçu-quittance B-19, qu'il avait consenti un prêt à sa cliente. [96] L'intimé, en avançant ainsi des fonds à Madame T., a dérogé au Code de déontologie et il est présumé, aux termes de l'article 4101 c) vi) des Règles, avoir eu une conduite incompatible avec les principes de justice et d'équité du commerce, contrairement au sous-paragraphe a) ii) de ce même article. [97] Il n'a pas repoussé cette présomption, et le Comité le déclare coupable de l'infraction décrite au paragraphe C) de la plainte disciplinaire. V. Sanctions 28 [98] Les sanctions appropriées dépendent des faits et circonstances de chaque cas (Butz v. Glover Livestock Comm'n Co. (1973) 411 U.S. 182, à la p. 185). [99] Dans ce dossier, le Comité a pris en compte l'inexpérience de la cliente et son absence de ressources, le contrôle abusif exercé par l'intimé sur les comptes de la cliente, le grave impact des recommandations inappropriées formulées par l'intimé à l'endroit de Madame T., le taux de roulement particulièrement élevé des éléments d'actif dans ses comptes, les dommages financiers sérieux qui ont résulté pour la cliente des opérations discrétionnaires non autorisées, lesquelles ont été réalisées en nombre et fréquence excessifs et sans égard aux intérêts de la cliente, de même que l'importance des montants de commissions perçus en conséquence du barattage de ses comptes. [100] Nous avons également pris en considération les sanctions que la requérante présentait comme appropriées si nous en venions à la conclusion, ainsi que nous l'avons déterminé, que l'intimé était coupable des infractions qui lui étaient reprochées. [101] La requérante a proposé au Comité d'imposer les sanctions et de rendre les ordonnances suivantes: • des amendes au montant de 30 000 $ pour le chef A de la plainte, de 50 000 $ pour le chef B, et de 5 000 $ pour le chef C, pour un total de 85 000 $; • une interdiction d'agir pour une période d'un an à quelque titre que ce soit pour un participant agréé de la Bourse pour le chef A et d'un an pour le chef B de la plainte, le tout à compter de la présente décision; • la reprise du Manuel sur les normes de conduite des professionnels du marché des valeurs mobilières advenant un retour dans l'industrie; 29 • la surveillance des activités de l'intimé par un participant agréé de la Bourse pour une période d'un an advenant un retour dans l'industrie; • le remboursement des frais, lesquels ont été établis devant nous à une somme de 57 260,14 $, et que nous reconnaissons en totalité, parce qu'en outre de ceux qui sont directement reliés aux présentes procédures, ils ont été encourus relativement à: (i) des procédures intentées devant la Commission d'accès à l'information afin de ré-ouvrir, devant cet organisme, un débat que le Comité avait lui-même tranché par un exercice de juridiction non contesté par l'intimé; et (ii) des procédures intentées devant la Cour des petites créances dans des circonstances où la Cour a ellemême conclu qu'elles équivalaient ni plus ni moins qu'à une réponse dilatoire à la plainte de la requérante. [102] On remarque toutefois que les précédents auxquels la requérante nous a référés pour justifier du bien-fondé de ses suggestions ne visent qu'à établir des échelles de comparaison, afin d'éclairer le Comité. Mais aucun de ces précédents ne concerne un intimé dont la conduite pourrait se comparer à celle de Morin. En cela, les propositions de la requérante ignorent certains des faits qui ont été portés à notre connaissance dans le présent dossier, et que nous jugeons pourtant pertinents à la détermination des sanctions appropriées. [103] Le Comité estime qu'il n'agirait pas de façon responsable, dans l'intérêt ultime de la profession financière et du public, s'il ne s'interrogeait pas ici sur la capacité réelle de l'intimé d'agir comme personne approuvée, intègre et respectueuse de l'intérêt de ses clients et des règles et normes qui encadrent son activité. [104] Depuis le début des présentes procédures, l'intimé n'a eu de cesse que d'utiliser sa prose caractéristique à l'encontre des dirigeants de la Bourse, de 30 ses enquêteurs et procureurs dans le présent dossier, des membres du Comité personnellement, des ordres professionnels, des autorités québécoises de réglementation en valeurs mobilières et de leur personnel, de divers membres du gouvernement et autres, qu'il a littéralement inondés d'écrits fielleux et méprisants, souvent menaçants et haineux, dont il a parsemé constamment leur route pour crier à l'injustice, à l'illégitimité et à la malice face à cette attaque – inqualifiable, selon lui – de ses droits fondamentaux par le biais des présentes procédures. [105] Voici un échantillon, daté du 16 juillet 2004, des propos qu'il a si régulièrement véhiculés (voir la Pièce D-4 à ce sujet), et dont le Comité ne peut que prendre acte, considérant que l'intimé s'est assuré d'en transmettre copie à chacun de ses membres. «OBJET: VOTRE SEULE ALTERNATIVE A VOUS, ESPRITS MÉDIOCRES, INCULTES, IGNARES ET TARÉS. La seule alternative qui se présente à vous, mes enfants de chienne de criminels, est le retrait immédiat de toutes les procédures entreprises contre ma personne par la Bourse de Montréal Inc., par toutes les petites gens et par toutes les sales crapules à sa solde. Prenez bien note, mes pourris, que j'en ai plein le cul de vos nombreux crimes à mon égard, incluant votre violence et votre terrorisme. Prenez aussi bien note, mes enfants de chienne de criminels, que la moindre agression contre ma personne, venant de votre part ou de la part de vos petits amis au Ministère de la Justice, déclenchera une réplique foudroyante. Cette réplique de ma part prendra la forme d'un «churning» sur la place publique de tous vos crimes contre ma personne. Et, comme l'illustre très bien l'expression anglaise: the shit will hit the fan !!! Ce qui entraînera automatiquement, mes hosties de salauds, la perte irrémédiable de vos «réputations». 31 Et c'est avec une joie incommensurable que je m'acharnerai à les détruire, jusqu'à vous en rendre malades. Et quand j'en aurai terminé avec vous tous, mes hosties de chiens, vous allez maudire vos géniteurs de vous avoir infligé la vie. Découragés et rongés par les remords, certains d'entre vous se suicideront, d'autres mourront dans les souffrances atroces du cancer des os que je leur ai souhaitées. (…).» [106] L'intimé s'est également pourvu devant les tribunaux et les organismes professionnels encadrant l'activité des avocats impliqués dans le présent dossier, prétendant faire valoir ses droits. [107] Le 10 décembre 2003, il fut déclaré plaideur vexatoire relativement à une avalanche de procédures en dommages qu'il a intentées contre tous les acteurs impliqués de près ou de loin au présent dossier, dont la Bourse, son président, sa vice-présidente, ses procureurs internes et externes, et tous les membres du Comité personnellement. Ces procédures furent déclarées irrecevables par la Cour du Québec siégeant en division des petites créances (Jean-Pierre Morin v. Bourse de Montréal, CQM 500-32-077693-036, 5 février 2004). Voici quelques extraits du jugement rendu à cette occasion (Cahier d'autorités, onglet 12) par l'Honorable Juge Denis Charrette: «[14] Enfin, le demandeur manœuvre manifestement pour gagner du temps et retarder indûment l'audition de la plainte disciplinaire devant le Comité de discipline de la Bourse. Son but ressort nettement d'une correspondance produite par un témoin lors de l'audition du 10 décembre sur la requête visant à le faire déclarer plaideur abusif et vexatoire. Dans cette correspondance adressée à la vice-présidente de la Bourse de Montréal, il écrit ce qui suit: «Et pour vaincre des crapules et des pourris, je vais employer les armes nécessaires à convaincre des crapules et des pourris. C'est aussi simple que cela, Saint-Arnault.» 32 [15] Dans une correspondance du 6 novembre 2003 adressée à la Commission des valeurs mobilières et à la Bourse, il renchérit ainsi: «Si vous saviez COMME JE ME RÉJOUIS DE VOS MALHEURS, BANDE DE CRIMINELS! […] PAUVRES IMBÉCILES, VOTRE COMPARUTION EN COUR LE 19 DÉCEMBRE PROCHAIN N'EST PRESQUE RIEN À COMPARER À LA COUR SUPRÊME DU CANADA DEVANT LAQUELLE JE VOUS TOUS VOUS TRAÎNER, MÊME SI CELA DEVAIT ME PRENDRE 15 ANS!!! […] ET POUR Y PARVENIR, JE VAIS CONTINUER À VOUS INFLIGER LE MÊME CHÂTIMENT: L'HUMILIATION, LA HONTE ET LE DOUTE. CES TROIS ARMES QUASI-LÉTHALES VONT VENIR À BOUT, J'EN SUIS CERTAIN, DE VOS MAGOUILLES MAFIEUSES ET DE VOTRE CORRUPTION ENDÉMIQUE!!! […] ET JE VAIS VOUS FAIRE UNE PRÉDICTION: UN JOUR, RONGÉE ET GRUGÉE JUSQU'AUX OS PAR DES ANNÉES DE REMORDS, D'HUMILIATION, DE HONTE ET DE PRESSION JUDICIAIRE ET MÉDIATIQUE, UNE PERSONNE PARMI VOUS SE SUICIDERA. C'EST ALORS AVEC UNE IMMENSE SATISFACTION QUE J'IRAI CRACHER SUR SA TOMBE!!! […]» (Le tribunal reproduit ici le plus fidèlement possible la taille de la police de caractères.) [16] Enfin, dans une correspondance du 1er décembre adressée au président du Comité de discipline et à deux membres de ce Comité, il écrit: «[…] De continuer à vous faire subir le châtiment de L'HUMILIATION DE VOUS ABAISSER À COMPARAÎTRE DEVANT LA COUR DES PETITES CRÉANCES, vous qui, dans votre grande arrogance et dans votre suffisance consommée, vous vous croyiez intouchables et invincibles, alors que vous n'êtes que de minables paltoquets. […]» 33 (Le tribunal reproduit ici le plus fidèlement possible la taille de la police de caractères.) [17] Le but manifeste des manœuvres du demandeur est aussi d'humilier les dirigeants, employés, et cetera, de la Bourse de Montréal et de la Commission des valeurs mobilières du Québec, de les embêter, et de se venger ainsi pour l'enquête et la plainte disciplinaire déposée contre lui. Comme il y a des poursuites civiles contre les membres du Comité de discipline, et même une plainte logée au bureau du Syndic du Barreau du Québec contre le président de ce Comité, le Comité n'a pas jugé bon jusqu'à maintenant de procéder à l'audition de la plainte. Il se sent en quelque sorte paralysé par les agissements du demandeur. La manœuvre vise donc à continuer à paralyser le Comité de discipline, et l'empêcher ainsi de procéder à l'audition de la plainte disciplinaire. [18] Les tribunaux sont un forum où les justiciables viennent débattre de leur droit et les faire trancher par un arbitre impartial et indépendant. Ils ne doivent en aucune façon servir à l'assouvissement de la frustration et de la vengeance d'un justiciable, ou être un instrument pour lui permettre d'intimider et de paralyser le Comité de discipline qui doit entendre une plainte logée contre lui. (…) [29] On a vu le libellé de la requête dirigée contre la Bourse de Montréal. Il s'agit d'une accusation et d'une demande d'indemnisation. L'accusation est beaucoup plus de la nature d'une série d'injures qu'une énonciation de faits précis pouvant conduire aux conclusions recherchées. En ce qui concerne les autres personnes poursuivies, et ayant un lien avec la Bourse de Montréal comme dirigeants, employés, membres du Comité de discipline ou procureurs externes, le libellé est un peu différent. Il s'agit encore plus clairement d'une série d'insultes ne référant à aucun fait précis, où on fait allusion à des tentatives d'extorsion, de corruption de témoin, et même «de grand banditisme». Encore plus clairement dans ces derniers cas, le libellé d'insultes ne peut raisonnablement conduire aux conclusions recherchées, soit la condamnation à payer une somme de 7 000 $.(…) [31] De plus, comme on l'a vu sur la première question étudiée, soit celle de la demande de remise, manifestement le demandeur veut se servir des recours introduits pour paralyser le processus disciplinaire contre lui, et exposer sa frustration et son désir de vengeance à l'endroit de toutes les personnes qui ont osé enquêter et vouloir tenir une enquête disciplinaire le concernant. Comme on l'a vu également, le tribunal qu'est la division des petites créances n'est pas le forum approprié pour y déverser sa frustration et son désir de vengeance, et encore moins pour intimider le corps disciplinaire devant le juger. 34 Manifestement, le demandeur ne cherche pas à obtenir réparation pour une injustice réelle.» [108] Le Comité a fait droit en partie, par décision motivée rendue le 25 septembre 2003 (Pièce D-12), à un moyen préliminaire que l'intimé présentait devant lui relativement à la communication de la preuve, afin de lui permettre de se défendre à l'encontre des prétentions de la requérante dans le présent dossier. L'intimé nous demandait alors d'ordonner à la requérante de lui communiquer un rapport d'enquête de la Bourse concernant son ancien employeur, VMBL. Insatisfait de notre décision, l'intimé a continué des procédures qu'il avait initiées en début d'année 2003 auprès de la Commission d'accès à l'information du Québec, afin de tenter d'obtenir les passages du rapport VMBL que le Comité n'avait pas jugé pertinents à sa défense et qui par conséquent, n'avaient pas à lui être communiqués. La requérante a contesté ces procédures et le 18 décembre 2003, la Commission déboutait l'intimé de sa demande d'accès (Dossier 03 04 05). [109] Le 23 novembre 2003, nous décidions d'office de reporter la date de l'audition de la plainte, pour les raisons suivantes: «L'audition de la présente affaire doit se poursuivre les 3 et 4 décembre prochains. L'intimé a présenté une demande écrite de remise qui se fonde sur des motifs que la requérante a l'intention de contester, tel qu'en fait foi la copie d'une lettre de ses procureurs datée du 18 novembre 2003, laquelle a été transmise à l'intimé et portée à la connaissance des membres de ce Comité (le «Comité»). En marge des procédures entreprises par la requérante dans le présent dossier, l'intimé a intenté plusieurs recours administratifs ou judiciaires contre les membres du Comité personnellement, et plus particulièrement contre celui qui en préside les travaux, un membre du Barreau du Québec. Notamment, Monsieur Morin s'est plaint de la conduite de Me Martel au Syndic du Barreau et a prétendu (faut-il présumer, car les faits allégués par Monsieur Morin n'ont pas été divulgués à Me Martel) que le président du Comité de discipline de la Bourse de Montréal avait 35 manqué à ses devoirs professionnels relativement à son rôle dans les présentes procédures. Le Syndic ayant décidé de ne pas donner suite à la demande de Monsieur Morin et donc, de ne pas porter de plainte disciplinaire contre Me Martel, l'intimé s'est prévalu du droit que lui confère l'article 123.4 du Code des professions de demander l'avis du Comité de révision du Barreau du Québec relativement à cette décision du Syndic. La demande d'avis de Monsieur Morin a été confirmée au président de notre Comité le 19 novembre 2003. Que cette démarche de Monsieur Morin soit fondée ou non dans les circonstances, il n'en demeure pas moins, selon le principal intéressé, qu'on doit la présumer faite de bonne foi jusqu'à indication contraire. Saisi de la question par Me Martel, le Comité a délibéré et conclu que dans le meilleur intérêt des parties au processus disciplinaire amorcé devant lui, il importait que l'audition de la présente affaire puisse se continuer dans un cadre qui accorde à l'intimé, tant en réalité qu'en apparence, toutes les garanties de traitement équitable et surtout, de traitement impartial, auquel il a droit de la part de tous et chacun des membres du Comité.» [110] Le 15 janvier 2004, nous nous prononcions en faveur d'une nouvelle remise de l'audition, pour les mêmes raisons que celles qui ont été discutées en Cour des petites créances dans le dossier précité, i.e. parce que l'intimé était absent du pays jusqu'en avril 2004. [111] Le 26 août 2004, dans l'un des écrits qu'on lui connaît, Morin révélait ce à quoi son absence outre mer avait été consacrée: « (…) Vous avez perdu la guerre que vous m'avez déclaré [sic] le 16 mai 2001, et vous avez perdu cette guerre contre un homme qui vous est très supérieurement intelligent, rusé et fort !!! L'hiver dernier, après vous avoir humilié comme des amateurs et après vous avoir placé sous anesthésie générale par le biais des petites créances, je me suis prélassé sur le sable blond d'un paradis fiscal. Sur les lieux, j'ai soustrait mes avoirs à votre voracité criminelle de minables petits shylocks de fonds de ruelles. (…)» 36 [112] À son attitude de défi vis à vis l'autorité réglementaire, il faut ajouter l'absence totale de regret et le refus absolu de s'amender démontrés par Morin dans ses communications avec toutes les parties prenantes et surtout, sa hargne et ses tactiques d'intimidation à l'endroit d'une cliente qui a vécu une période financièrement inquiétante et qui tout à coup, par huissier, s'est vue menacée par lui de poursuites criminelles. Tout cela pour faire obstacle à la bonne marche des présentes procédures qui, doit-on le souligner, ont été menées en tout temps de manière à lui permettre de répondre aux faits que la requérante lui reprochait, ce qu'il n'a jamais véritablement fait. [113] L'attitude, les façons de faire, les moyens totalement illégitimes qu'il a déployés, la propension démontrée, sur une longue période de plus de deux ans et demie, à faire prévaloir sans vergogne et à tout prix ses intérêts personnels par rapport aux tiers, tout ceci soulève des doutes très sérieux sur l'intégrité, la probité et l'équilibre de l'intimé. [114] Dans l'exercice de sa mission, le Comité se doit d'agir dans la poursuite des objectifs sous-jacents aux Règles et aux délégations de pouvoirs disciplinaires consenties à la Bourse par l'Autorité des marchés financiers («AMF») (Loi sur l'Agence nationale d'encadrement du secteur financier (L.R.Q., chapitre A7.03), articles 60, 61 alinéa 1, 62, et 70 alinéa 2). L'un de ces objectifs les plus fondamentaux est la protection du public, et des épargnants comme la cliente, à l'encontre des pratiques déloyales, abusives et frauduleuses auxquelles peuvent ses livrer des personnes approuvées; c'est d'ailleurs l'un des objets de l'AMF, dont le Comité tient ses pouvoirs (Loi sur l'Agence nationale d'encadrement du secteur financier, arts 59 et 67 alinéa 2; Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., chapitre v-1.1), art. 276 (2º)). [115] La preuve faite devant nous, ainsi que les faits qui ont été portés à notre connaissance par l'intimé lui-même en marge des présentes procédures, 37 mettent en cause sa capacité de s'acquitter des devoirs déontologiques et réglementaires qui visent à protéger les clients des courtiers agréés. [116] Ils nous ont convaincu que l'intimé, du moins dans l'avenir prévisible, n'a plus sa place dans une industrie dont les valeurs fondamentales d'intégrité, d'équité et de loyauté envers le client lui sont devenues étrangères. [117] Il nous incombait, selon nous, de prendre ce facteur en compte pour décider des sanctions à imposer à l'intimé dans l'intérêt du public. PAR CES MOTIFS, le Comité: RÉVOQUE les droits de l'intimé d'être approuvé par la Bourse; INTERDIT, de façon permanente, à l'intimé d'agir à quelque titre que ce soit pour un participant agréé de la Bourse; CONDAMNE l'intimé au paiement d'une amende de 85 000 $; ORDONNE le remboursement par l'intimé de la totalité des déboursés et dépenses (incluant les honoraires professionnels) payés ou engagés par la Bourse relativement à la présente plainte, ses incidents et conséquences, incluant les procédures à la Commission d'accès à l'information et en Cour du Québec, Division des petites créances, dont une somme de 57 260, 14 $. Montréal, le 23 novembre 2004. /S/ Jean Martel _____________________________ Jean Martel Président /S/ Réjean Duguay /S/ Jean-Pierre Gallardo ______________________________ ___________________________ Réjean Duguay Jean-Pierre Gallardo Membre Membre