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VIVRE MIEUX
A l’école des enfants surdoués
EDUCATION. Il y aurait près de 400 000 élèves précoces en France. Mais être surdoué
n’est pas un gage de réussite scolaire. Beaucoup deviennent même des cancres. Comme François,
8 ans, qui revit dans l’école pour enfants précoces ouverte depuis la rentrée à Paris.
I
L Y A PEU, François, 8 ans, était considéré comme un cancre par l’institution
scolaire. Pourtant depuis la rentrée, le
garçon a rejoint les autres élèves de
l’école pour enfants précoces, rue Dombasle à Paris (XVe), l’un des rares établissements pour petits surdoués de l’Hexagone, qui
vient d’être inauguré. Il y a quelques jours, à
l’occasion d’une journée portes ouvertes, de
nombreux parents extérieurs à cet institut privé,
mais s’interrogeant sur les capacités de leur
progéniture, ont assailli les enseignants de
questions. Selon les spécialistes, il y aurait
400 000 enfants précoces en France, soit un à
deux par classe. Mais peu sont repérés.
I Pas un établissement pour « singes
savants ». Fondée par l’Association des enfants précoces (AEP) et parrainée par la psychologue Jeanne Siaud-Facchin (lire interview),
spécialiste des petits surdoués, l’école de la rue
Dombasle n’est pas un établissement scolaire
comme les autres. Composée de 21 élèves
âgés de 2 ans et demi à 14 ans, elle ne comporte que trois niveaux. « Elle fonctionne un
peu comme une classe rurale », explique sa directrice, Nelly Dussausse. Un élève de 8 ans
pourra ainsi suivre le niveau de CP en orthographe et le niveau de CM 2 en maths. Car,
contrairement à une idée reçue, un enfant précoce n’est pas du tout un singe savant. « Ils ont
une structure mentale qui fait d’eux des inadaptés scolaires, poursuit la directrice. La plupart du temps, ils sont considérés comme de
mauvais élèves. » Durant presque toute sa scolarité, François a, par exemple, refusé de tenir
un stylo dans sa main. Ne sachant pratiquement pas écrire, il était donc à la dérive. A la
maison, en revanche, le petit garçon passait
son temps à élaborer des formules mathématiques et à faire des expériences scientifiques
dans le garage de son père. Sans un psychologue qui a eu l’idée de tester son QI, François
n’aurait jamais su qu’il était un enfant surdoué.
I Des cours de sophrologie contre les
angoisses. Dans cette école, les enseignants
ne donnent pas de notes. Les enfants ont juste
des acquis à valider. « Nous introduisons des
notes en 3e, afin que le relais avec le lycée classique puisse se faire », poursuit la responsable.
Les cours sont structurés, mais les élèves sont
encouragés à participer et à s’exprimer, ce
qu’ils n’osaient plus faire. « C’est le genre de petit garçon à corriger les erreurs de ses instituteurs, poursuit la maman de François. Avant
d’arriver ici, tous ses profs et ses camarades de
classes l’avaient pris en grippe. » Autre particu-
RUE DOMBASLE (PARIS XVe), HIER. François (les mains levées derrière l’enseignante) et ses petits camarades de classe
apprennent l’anglais en regardant des dessins animés en version originale. (LP/MARC MENOU.)
larité, l’école propose des cours de sophrologie
et de philosophie dès 8 ans. « Les enfants précoces sont particulièrement sensibles, souligne
Nelly Dussausse. Ce sont des petits qui comprennent des notions telles que la mort parfois
dès 3 ans, alors que, normalement, cela vient
beaucoup plus tard. Lorsqu’on sait, à 3 ans,
que son papa ou sa maman peuvent mourir un
jour, on est un peu plus anxieux que les autres
gamins de son âge. » En tout cas, pour François, depuis le mois de septembre, l’école, c’est
le paradis. Ici, les profs ne le grondent plus et il
a enfin des amis.
LE MOT DU JOUR
Quotient intellectuel
L
E QUOTIENT intellectuel (QI) est le résultat d’une série de tests effectués chez
un psychologue et répondant à des normes
scientifiques très précises. Il ne permet pas
d’établir, à lui seul, le diagnostic de précocité.
Toutefois, c’est un indice. 70 % de la population a un QI compris entre 85 et 115, c’est le
QI normal moyen. 14 % possèdent un QI
compris entre 115 et 130, ce sont les brillants, les premiers de la classe. Ils sont 14 % à
se situer entre 70 et 85 : eux vont « ramer » en
cours. Et ils sont 2 % à avoir un QI inférieur
à 70. On parle alors de pathologie cognitive.
Enfin, seuls 2 % se hissent au-dessus de 130,
ceux que l’on considère comme surdoués…
à ne pas confondre avec les « brillants ».
Alexandra Echkenazi
« Trop d’élèves galèrent
faute d’avoir été identifiés »
Que deviennent-ils une fois adultes ?
JEANNE SIAUD-FACCHIN, psychologue*
Le QI suffit-il à évaluer
la précocité d’un enfant ?
I Jeanne Siaud-Facchin. Non,
c’est un indice. Certains enfants
peuvent avoir un QI très élevé,
juste parce qu’ils ont été élevés
dans un milieu favorisé, et stimulés intellectuellement. Tous les enfants brillants ne sont pas surdoués. Un enfant précoce est un
enfant qui pense et ressent les
choses différemment. Il n’a pas un
moteur qui fonctionne plus vite,
mais une mécanique totalement
différente des autres, et pas obligatoirement plus rapide.
Que fait l’Education
nationale pour eux ?
Depuis la rentrée 2007, « le Journal officiel » précise que les enseignants doivent s’efforcer de reconnaître et d’orienter les enfants
précoces. Cette reconnaissance de
la précocité est déjà une grande
amélioration. Mais il y a encore
VENDREDI 24 OCTOBRE 2008
trop d’enfants qui galèrent en
classe faute d’avoir été identifiés.
J’interviens dans certains IUFM
(instituts de formation des maîtres)
pour sensibiliser les profs à cette
question. Par ailleurs, il existe des
classes spéciales, intégrées dans
certains établissements, mais privées pour la plupart. Il y a encore
de gros progrès à faire dans ce domaine.
Sauter une classe
sert-il à quelque chose ?
Lorsque l’enseignant le juge possible, oui. Mais l’idéal serait des
classes multiniveaux, comme cela
se fait dans l’école de la rue Dombasle… et comme cela se faisait
autrefois.
Propos recueillis par A.E.
* Auteur de « l’Enfant surdoué.
L’aider à grandir, l’aider
à réussir », chez Odile Jacob.
En poche : 8 ".
Jodie Foster a fait un film sur la
précocité. (GETTY IMAGES/J. KIMURA.)
I
Fabrice Bénichou, champion du
monde de boxe. (MAXPPP/R. GABALDA.)
DENTIFIÉS et pris en charge dès l’enfance, les petits
surdoués peuvent devenir des adultes heureux, réussissant leur vie privée et professionnelle, en travaillant
dans des domaines où ils peuvent mettre en avant leur
don. C’est le cas par exemple de Jodie Foster — qui en a
fait un film, « le Petit Homme » — Sharon Stone, dont le
QI atteint les 154, l’économiste Jacques Attali, sorti major de Polytechnique, ou encore l’ex-boxeur Fabrice Bénichou, sacré trois fois champion du monde et couronné
du titre de bébé le plus intelligent du Texas, lorsqu’il vivait
aux Etats-Unis ! « Mais dans le cas contraire, ils peuvent
être très malheureux », affirme la psychologue JeanneSiaud Facchin*.
Bien que la spécialiste n’ait jamais testé son QI, pour
Amélie Nothomb, écrivain
à succès. (LP/PHILIPPE LAVIEILLE.)
elle il ne fait aucun doute : l’écrivain Amélie Nothomb est
une adulte surdouée. « Lorsque j’ai lu son roman la Métaphysique des tubes, où elle décrit sa lucidité acérée sur le
monde alors qu’elle n’est qu’une toute petite fille, j’ai reconnu les aspects cliniques de la précocité », raconte
Jeanne Siaud-Facchin.
Si vous avez un proche qui fait mille choses à la fois,
n’anticipe jamais la réaction des autres, produit dix idées
à la minute, ne sait pas rester seul ou encore qui veut sauver le monde, ce n’est peut-être ni un illuminé ni une tête
à claques, mais juste un surdoué…
A.E.
* Auteur de « Trop intelligent pour être heureux ?
L’adulte surdoué », chez Odile Jacob, 20,81 ".
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