22 earteam - Louder Than War
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22 earteam - Louder Than War
22 EARTEAM Membranes Jaill Jerusalem In My Heart ‘Brain Cream’ Burger Records Jaill, c’est typiquement le genre de groupe qu’on rêve de croiser sur les routes d’Amérique, quelque part, dans l’arrière-salle d’un diner. Entre les guitares et le synthé, on soulèverait le goulot d’une Budweiser en digérant un bon burger, en se disant que ce groupe sonne bien mais qu’on n’aurait jamais dû commander ces rings aux oignons avant le concert. De rot en rototo, on songerait à Avi Buffalo en mal dégrossi ou à Harlem en mieux fagoté. Au bout d’un moment, on arrêterait d’y penser. On irait chercher une autre bière. Et la soirée serait super. (na) Kanaku y El Tigre Quema Quema Quema Strut Records/V2 « Tiger, tiger, burning bright /In the forests of the night /What immortal hand or eye /Could frame thy fearful symmetry? ». T’as beau leur parler de William Blake et d’harmonie gauchedroite sur leurs faciès filous, ces félins hédonistes de Lima n’y comprennent gougoutte, mais question brandons dans la futaie – ‘Quema, Quema, Quema’ en démesulage d’animaux-totems rugissants et ‘Burn Burn Burn’ en fines allumettes qui lévitent – ils s’y entendent pour te mettre la fièvre pendant des heures. Ne perdent guère leur mojo euphorique, et à mi-chemin entre la transe païenne d’Os Mutantes et la coolitude d’un Devendra Banhart en goguette pré-LVMH, embrassent des ‘Pulpos’ toutes ventouses dehors comme s’ils allaient mourir demain. On fera volontiers l’impasse sur quelques instants Tahiti-Douche pour valser collé-serré avec les ‘Bubucelas’, pour la brumisation délicate d’un ‘Hacerte Venir’, pour une ‘Fin’ de drama queens, râle languissant d’agonie compris. (alr) La Luz ’Weirdo Shrine’ Hardly Ar t Non content de nous refiler à un rythme effréné des albums qui tiennent chaud à la patate, Ty Segall trouve le temps de jouer le producteur et, comme d’hab’, le gaillard ne s’est déplacé pour rien. Aux manettes de ce ‘Weirdo Shrine’, second album du groupe de Seattle La Luz, Segall laisse libre cours au son des guitares, d’une superbe chaleur surf rock à la fois empreinte de nostalgie, de soleil et d’énergie. A moins d’être totalement allergique aux effets de fuzz, auquel cas ce disque n’est pas fait pour vous, le son mis en place par la chanteuse / guitariste Shana Cleveland et la batteuse / percussionniste Marian Li Pino a tout d’une bénédiction pour oreilles grandes ouvertes. Tout en déployant des mélodies sunshine pop d’une évidence belle et lumineuse, en témoigne l’extraordinaire ‘With Davey’, le duo de la West Coast imagine un monde enchanteur, à tel point qu’on en vient à dessiner un arc-en-ciel embrassant l’univers, depuis les Shadows jusqu’à Electrelane en passant par les Wavves. Et formidablement pop sans être neuneu, totalement cohérent d’un bout à l’autre sans tomber dans la monotonie, leur sanctuaire zarbi donne carrément envie de se prosterner. De joie. (fv) LA Priest ‘Inji’ Domino Si vous portez un culte à Late Of The Pier, lapidez-moi sur le champ : selon moi ce nom aurait du disparaître dans les oubliettes avec Clap Your Hands ou Klaxons. Et voilà que Sam Dust ‘Dark Matter/Dark Energy’ ‘If He Dies, If If If If If If’ Cherr y Red Records/Dense Constellation/Konkurrent Groupe culte de la scène (post) punk, Membranes a influencé des artistes aussi variés que Big Black, Sonic Youth, Mercury Rev et Godflesh. Étant donné que le dernier album du groupe remontait à 1989, on est un peu surpris de les voir revenir sur le devant de la scène avec ‘Dark Matter/Dark Energy’. Conçue comme un album concept traitant de l’univers depuis sa création jusqu’à sa disparition, cette œuvre tire une bonne partie de sa substance des rencontres entre les membres du groupe et le scientifique Joe Incandela. Si la musique proposée est cérébrale et relevée sur le plan des concepts, elle n’en demeure pas moins organique et viscérale au niveau des sonorités, elle qui comporte pas mal d’éruptions typiquement punk, notamment le brillant ‘21st century man’ dont le texte en guise de profession de foi est des plus prenants. Tout au long de cet ambitieux exercice, les Membranes se surpassent sur le plan musical, proposant des rythmiques ultra puissantes qui vous prennent au corps, ce qui les rapproche d’un groupe comme PIL qui savait être agressif tout en maîtrisant le sens du groove. Dans ce registre, ‘Money is duct’ est phénoménal dans sa dimension à la fois tendue et funky. Hypnotique du début à la fin, servi par des compos tellement bonnes qu’on ne se rend pas compte que l’ensemble dure plus d’une heure, ‘Dark Matter/Dark Energy’ voit une formation mythique signer un très beau retour. (pf) On se souvient, il y a cinq mois à peine, de la Genèse symbiotique concoctée par Suuns et Jerusalem In My Heart. Le québécois d’adoption Radwan Ghazi Moumneh, qu’on a vu passer aussi chez Matana Roberts, nous revient déjà, armé d’un bouzouki face à un nuage de drones sonores s’abattant sur son Beirut natal. Carnet de terrain de ce qui sonne à l’oreille comme une lutte non équitable, ‘If He Dies, If If If If If If’ s’éveille sur un chant mélismatique en quasi capella. Balayant cette quiétude, l’horizon s’encre de la menace aveugle ; ‘A Granular Bouzouk’ voit déferler les machines comme des ponctuations funestes sur fond de ciel bleu. Bravant l’attaque, le bouzouki de Moumneh se dresse dans la tempête. Trève. Une complainte masculine se transforme pas à pas en chant d’espoir à plusieurs sur ‘7ebr El 3oyoun’. Mais la suite sent la fumée, le gasoil et la mort. Le temps que retombent les débris du bruit blanc assourdissant qui ouvre ‘Qali Li Kafa Kafa Kafa Kafa Kafa Kafa’, le bouzouki revient pour pleurer les disparus et jurer vengeance. Si la face B se fait moins sombre, entre autre via le presque pop ‘Lau Ridyou Bil Hijaz ?’, elle n’est pas moins envoûtante. De par sa simplicité, ‘Ah Ya El Sham’ nous jette à genoux : la relation entre la flûte de Dave Gossage, le chant sensible de Moumneh et sa façon subtile d’intervenir sur le mix tutoie la mystique du bout des doigts. Et quand s’éteint le morceau, le silence qui reste vibre d’une rare intensité. Jerusalem in everybody’s heart. (ab) ressurgit du néant tel le messie, accompagné d’un cortège de superlatifs : « décalé », « différent », « barge »… Dude, seriously ? Bien que d’un tout autre genre, ‘Inji’ souffre des mêmes travers que ‘Fantasy Black Channel’. A commencer par l’opportunisme : après s’être collé au dance-punk en 2008, voici la synthpop en 2015. Quelle surprise. Aux commandes de sa pop narcotique, Sam Dust démontre toujours ce sens de l’arrangement bricolo qui fit son succès et qui lui permet à nouveau de camoufler les faiblesses relatives de ses compositions. Avec succès : pris isolément, les morceaux de ‘Inji’ séduisent à première écoute (impeccable ‘Lorry Park’, le french touch ‘Party Zute/Learning To Love’). Sur le long terme, c’est autre chose. Même le tube ‘Oino’ finit par lasser, une fois que Dust a grillé tous ses effets de fumée. ‘Inji’ est frappé d’une maladie moderne : c’est l’effet ProTools, la composition par les yeux plutôt qu’avec les oreilles. Dust empile les blocs, couvre les espaces, mixe et cut avec dextérité, vérifie que ses pistes renvoient une image harmonique. Il en oublie l’essentiel : l’anima, le souffle de vie, ce petit truc qui peut se glisser dans la mélodie la plus simple et qui se passe de ruse. Il faudra attendre le sensible ‘Mountain’, qui clôture l’album, pour dénicher cette sincérité. (ab) tières du jazz, de la world (on entend du oud deci delà), de la folk évidemment. Lara Leliane est libre. As a bird. Comme l’air. (lg) Lara Leliane ‘Church Of Miami’ ‘Free’ Homerecords L’affaire est sortie dans le plus grand anonymat début juin mais c’est probablement parce que ce disque appelle le silence, la poésie un peu gnangnan : ce disque est beau comme une brume matinale sur les Hautes-Fagnes, le lent écoulement d’un ruisseau qui se forme, l’éternuement grave du tétras lyre en parade nuptiale. A vrai dire, sans ses deux morceaux de trop en français, ‘Free’ serait même un de ces albums auquel on accole les trois étoiles. Dieu que c’est beau. Ces cuivres étouffés, ces flûtes, et cette harpe qui revient si souvent comme dans un songe à la Joanna Newsom. Et puis ces murmures d’enfants au loin, ces bruits d’oiseaux, de ‘Joiejos’ comme elle dit avec un accent du nord qu’on devine forcé (piste cinq, grand moment – léché comme un titre de ‘Wool’, ce très précieux album des Nits). Et ce rêve d’une Espagne, d’un Andalousie comme il ne doit plus en exister depuis longtemps (merveilleuse ‘La Prima Vez’). Lara Leliane signe donc un premier manifeste à son image – elle a grandi à Anvers, elle vit dans le Condroz – : aventureux, voyageur, multiculturel, aux fron- Mammút ‘River’s End’ Bella Union/Pias « Délivrée, libérée », la Reine des Neiges? Penses-tu ! Telle une Elizabeth Fraser lacustre, telle une huldra vengeresse, elle se ligature au limon, s’hameçonne au delta, s’harnache à l’estuaire comme pour ne jamais revenir d’un tel baptême de berges. Le hic ? Toi le mousse d’eau douce, à ton tour elle t’assaisonne, te salaisonne, te saucissonne, et te voilà empaqueté, compacté, cacheté, direction Reykjavik, pour une fastueuse bombance. Rassure-toi : en l’honneur de ta chair tendre d’harðfisku, mon petit hareng saur, on trinquera cette fois en anglais et en celle de ‘Bakkus’, on n’hésitera pas à marteler à qui mieux mieux quelques tonneaux de bois flottant. Un proverbe – nordique, sans aucun doute – prétend qu’il vaut mieux rester sur ses gardes quand un pachyderme de la montagne accouche de souris téméraires. Tu sauras désormais à quoi t’attendre. (alr) Dave McCabe & The Ramifications 1965 Records/Pias Derrière cette pochette très Sébastien Tellier se cache Dave McCabe, (ex-?) chanteur des Zutons. Ça ne vous dit rien ? Et ‘Valerie’ par Ronson et Amy Winehouse, non plus ? Ben l’originale, c’était eux. Même qu’elle était moins bien que la reprise (ce qui est souvent le cas avec Ronson). Le naufrage de son groupe étant plutôt long et chiant, Dave McCabe se fait la malle en solo en « faisant sa propre version d’une soundtrack de Grand Theft Auto ». Avec des influences comme Prince, Depeche Mode ou Human League. Nous, on pense plutôt à Fredy Mercury, Rick James et George Clinton époque Funkadelic. Tous des mecs en falzar trop moulants qu’on ne prendrait pas comme babysitter. Mais soit, Dave McCabe a aussi découvert Moroder. Le dernier Daft Punk (ils sont partout!), peutêtre ? Ces fouilles archéologiques dans les 80’s accouchent d’un étron du plus bel effet. Qu’attendre d’autre d’un album de disco/new wave réalisé par un chanteur brit-pop ? C’est quoi le prochain concept, les Gallagher dans Tribute Album aux Frères Jacques ? Attention Dave, les moules-bites ça rend stérile ! (am) Flo Morrissey ‘Tomorrow Will Be Beautiful’ Glassnote Records Au moment d’évoquer ce premier essai de la londonienne Flo Morrissey, il est d’abord difficile de résister à la tentation du name-dropping. Petite sœur de Pocahontas, héritière auto-proclamée de Joni Mitchell, Karen Dalton et de Vashti Bunyan, pendant folk de Lana del Rey, la nouvelle fée de la musique britannique n’a guère que le patronyme en commun avec l’ex-Saint Patron des Smiths. Mais bon sang que cette fille doit être énervante pour la concurrence ! A 20 ans à peine, elle s’offre une collection de chansons (presque) parfaites qui nous entraînent dans un univers hors de toute temporalité. Plus évanescente que frontale, cette sirène de la Tamise délivre des compositions comme autant de songes éveillés, dix perles rares exécutées avec toute la fébrilité, l’affectation et l’émotion des vrais romantiques. Un foutu manifeste puissant, fier et doux duquel émane une tension délicatement dissimulée par des arrangements d’une luxuriance et d’une vénusté insensées. Une volonté d’en revenir à une forme de classicisme formel qui permet d’autant mieux d’apprécier l’essence intemporelle d’une voix et d’une écriture aussi vulnérables et matures l’une que l’autre. Alors certes, ce premier LP se heurte parfois à l’écueil de la facilité (‘Why’), mais l’ingénuité, l’efficacité ou la fragilité achèvent de désarmer toute forme de méfiance. Plus qu’au cerveau ou aux oreilles, c’est aux sens qu’elle confie ses plus belles chansons. On saute dans le piège à pieds joints. Peut-être parce qu’on a plus que jamais envie de se persuader, autant pour elle que pour nous, que ‘Tomorrow Will Be Beautiful’. (gle)