RDAI 4 / 2010 Iphone et exclusivité p.395

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RDAI 4 / 2010 Iphone et exclusivité p.395
ACTUALITES
1.
Droit du commerce international et de la concurrence
International Trade and Competition Law
2.
Emergence d’un droit international/régional des affaires
Emergence of an International/Regional Business Law
3.
Droit et pratique des investissements internationaux
International Investments Law and Practice
4.
Sûretés, paiements et financements internationaux
Securities, International Payments and Financing
5.
Fiscalité internationale
International Taxation
6.
Arbitrage international et autres modes de règlement des conflits
International Arbitration and Alternative Dispute Resolution
7.
Energie et infrastructures
Energy and Infrastructures
1. D ROIT DU COMMERCE INTERNATIONAL ET DE LA CONCURRENCE
I NTERNATIONAL T RADE AND C OMPETITION L AW
IPHONE ET EXCLUSIVITE : DERNIERS REBONDISSEMENTS JUDICIAIRES
IPHONE AND EXCLUSIVITY: LATEST FRENCH LEGAL DEVELOPMENTS
Pauline LE MORE*
Abuse of dominant position; Anti-competitive practices; Exclusive distribution agreements; France;
Interim relief; Mobile telephones
Le marché de la téléphonie mobile se caractérise, aux dires
même de la Commission européenne,1 de l’Arcep2 et du
Conseil de la concurrence,3 devenu Autorité, par un déficit
de concurrence.
The French mobile phone market is considered by the
European Commission, by the French telecommunication authority (ARCEP), as well as by the
French competition authority as lacking in
competitiveness.
Les arrivées successives de l’iPhone 2G en 2007, puis 3G en
2008 ont été l’occasion en France de renouveler l’examen
The successive arrivals of the 2G iPhone in 2007, then
the 3G iPhone in 2008 provided an opportunity in
* Avocate au barreau de Paris.
RDAI/IBLJ, No4, 2010
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*
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DROIT DU COMMERCE INTERNATIONAL ET DE LA CONCURRENCE
France to renew the competition authorities’ market
study, by assessing the exclusivity rights awarded by
Apple to only one French mobile telephone operator—Orange. In accordance with the initial contracts,
Orange was appointed as the sole iPhone distributor,
as well as the unique wholesaler of said product within
the selective distribution network. Consequently,
Orange was obliged to sell iPhones under strict terms
and conditions vis-à-vis the selected distributors, by
offering for example the complete range of mobile
phone services associated with iPhones. In particular,
Orange was obliged to sign extensive co-marketing
commitments.
du marché par les autorités de concurrence sous le prisme
de l’exclusivité accordée à l’origine par le fabricant Apple au
seul opérateur de téléphonie mobile Orange. Aux termes
des accords initialement conclus en effet, Orange devenait à
la fois l’opérateur exclusif chargé par Apple de distribuer
l’iPhone en France et le grossiste exclusif de ce produit dans
le cadre d’un réseau de distribution sélective. A ces titres,
Orange se voyait imposer un certain nombre de conditions
de commercialisation contraignantes non seulement à
l’égard de ses distributeurs agréés tenus, par exemple,
d’offrir à la vente la gamme complète des services de
téléphonie mobile pour l’iPhone. Mais surtout, Orange était
obligée de souscrire à des engagements conséquents de
co-marketing.
Bouygues Telecom was not satisfied by the distribution scheme put into place in favour of its main competitor Orange. In September 2008, it initiated legal
proceedings before the French competition authority,
complaining about this marketing exclusivity while at
the same time seeking interim measures to suspend
the application of exclusivity agreements. The issues
raised were important: in addition to the global success of the iPhone, which the record sales in France
confirmed, the product was key not only to consolidate
their position with regard to existing clients, but also to
acquire new clients. Orange indicated during the proceedings before the Court of Appeal that 50 percent of
3G iPhones were sold to new customers, subscribing
to contracts of 18 months duration.
Non satisfait de cette stratégie initiale de distribution mise en
place par le fabricant au bénéfice de son principal
concurrent Orange, Bouygues Telecom a saisi en
septembre 2008 le Conseil de la concurrence d’une
plainte sur ces pratiques, tout en sollicitant en même
temps des mesures provisoires pour suspendre
l’application des accords d’exclusivité. L’enjeu était de
taille : outre le succès commercial mondial du produit, que
le nombre record des ventes en France n’a pas démenti,4
l’iPhone constitue un formidable moyen à la fois de
consolider son positionnement auprès de sa clientèle
existante et d’acquérir de nouveaux clients. Orange
indiquait, au cours de la procédure devant la Cour d’appel,
que 50 pour cent des iPhones 3G étaient vendus à de
nouveaux clients, souscrivant en moyenne un abonnement
de 18 mois.
THE PROCEEDING AGAINST INTERIM MEASURES
LA PROCEDURE DE CONTESTATION DES MESURES
PROVISOIRES
Bouygues Telecom successfully denounced the practices before the competition authority and then the
Paris Appeal Court. According to them, exclusivity
agreements might constitute anti-competitive behaviours in light of French and EC laws, justifying the
legal basis of interim measures. By a decision dated
February 16, 2010, the French Supreme Court did not
uphold these judgments. The Cour de cassation was of
the opinion that the Appeal Court did not sufficiently
assess the advantages resulting from the exclusivities
awarded to Orange. It considered that the Appeal
Court should have sufficiently substantiated whether:
S’agissant des mesures conservatoires, Bouygues Telecom
a obtenu gain de cause devant le Conseil de la concurrence,
puis devant la Cour d’appel.5 Les accords d’exclusivité
étaient, selon eux, susceptibles de constituer une entente
prohibée au regard des droits français et communautaire de
la concurrence justifiant le prononcé de mesures
conservatoires. Par arrêt du 16 février 2010, la Cour de
cassation a remis en cause l’arrêt de la Cour d’appel. La
Cour d’Appel aurait, semble-t-il, trop sommairement
apprécié les avantages acquis par Orange du fait de
l’exclusivité. L’argumentation de cette dernière n’est pas
considérée comme suffisamment étayée à défaut d’avoir
vérifié si :
.
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In terms of competition on smartphones: the
fact that concurrent terminals to iPhones might
allow other mobile phone operators to offer
mobile phone services to consumers similar to
those provided by Orange with iPhones.
. En termes de concurrence sur les Smartphones :
l’existence de terminaux concurrents de l’iPhone serait
de nature à permettre aux autres opérateurs de téléphonie mobile de proposer des offres de services
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IPHONE ET EXCLUSIVITE : DERNIERS REBONDISSEMENTS JUDICIAIRES
similaires à celles proposées par Orange avec
l’iPhone.
. En termes de chiffres d’affaires : la prise en compte de
l’intégralité du chiffre d’affaires généré par les clients
finaux d’iPhones, et non du seul revenu additionnel,
ne permettait pas d’établir qu’Orange, en l’absence de
commercialisation de l’iPhone, n’aurait pas réalisé un
chiffre d’affaires équivalent sur ce même segment de
marché.
.
In terms of turnover: taking into consideration
the entire turnover generated by mobile communications of iPhone final users, and not the
mere additional revenue, might not be suffcient to prove that Orange, in the absence of
iPhone commercialisation, would have
reached a equivalent turnover on this market
segment.
Ces investigations supplémentaires, confiées à la Cour de
renvoi, permettront sans aucun doute d’affiner l’analyse
concurrentielle du marché, sans que la solution du litige
n’en soit nécessairement modifiée. On peut toutefois se
demander si les parties auront intérêt à la saisir, compte
tenu de l’issue du contentieux au principal.
Additional and more detailed competition analysis of
the market might not necessarily change the resolution
of the case before the new jurisdiction. One may
indeed wonder whether the parties have an interest to
refer the case to the Appeal court in a renewed composition, given the issue raised in the main proceeding.
L’AFFAIRE AU PRINCIPAL
The main litigation procedure
Parallèlement aux recours devant la Cour d’appel, puis
devant la Cour suprême, l’Autorité de la concurrence a
poursuivi son enquête. Le 3 novembre 2009, elle a mis en
ligne sur son site une synthèse des préoccupations de
concurrence et les engagements proposés par Apple et
Orange afin de susciter les réactions d’autres acteurs du
marché. Outre les parties à la procédure, trois opérateurs de
téléphonie mobile, à savoir Digicel, Outremer Telecom et
SFR, ainsi que l’Association UFC-Que Choisir et deux
fabricants de terminaux, dont Samsung Electronics, ont
réagi. Tout en incitant Apple et Orange à préciser leurs
engagements afin de limiter les réserves émises, l’Autorité
de la concurrence n’a pas fait droit aux demandes
exprimées par les tiers, en particulier en termes de durée
des engagements et d’extension des engagements à
d’autres modèles de terminaux mobiles que l’iPhone. Aux
termes de la Décision du 11 janvier 20106, devenue
entretemps définitive, Apple s’engageait, pour une durée
de trois ans, à « ne conclure et/ou mettre en œuvre avec des
opérateurs de téléphonie mobile aucun accord d’exclusivité
opérateur ou grossiste portant sur la distribution sur tout ou
partie du territoire français des modèles actuels et futurs
d’iPhone », sauf pour des modèles futurs d’iPhone pour une
durée limitée pour chaque modèle à trois mois. Quant à
Orange, elle souscrivait quatre engagements réciproques
pour répercuter, entre autres, à son réseau de distributeurs
les conséquences de la perte d’exclusivité.
While the proceedings before the Appeal court and
then the Cour de cassation were pending, the competition authority continued investigating the case. On
November 3, 2009, it published on its website its
summarised competition concerns as well as the
commitment proposals from Apple and France Telecom in order to gather the observations of interested
third parties. In addition to the parties of the proceeding, three mobile phone operators, that is to say Digicel, Outremer Telecom and SFR, as well as the
consumer association UFC-Que Choisir and two
terminal manufacturers, including Samsung Electronics, reacted. After several adjustments meant to
obtain and improve the proposals submitted by Apple
and Orange, the competition authority did not satisfy
all the requests expressed by third parties, in particular
those concerning the commitment duration and the
extension of commitments to models of mobile phones
other than iPhones. In its final decision dated January
11, 2010, Apple undertook, for a period of three years,
‘‘not to conclude and/or implement, with mobile telephone operators, any operator exclusivity or wholesaler agreement relative to the distribution, throughout
all or part of French territory, of current or future
models of the iPhone’’, except for future models of the
iPhone for a limited duration of three months for each
new model. Orange agreed to pass four reciprocal
commitments in order to take into consideration its
loss of exclusivity.
On peut s’interroger sur l’opportunité d’une procédure
d’engagement pour remédier à des distorsions de
concurrence en matière de droit des ententes sur un
marché fortement oligopolistique. Mais surtout, il semble
que les opérateurs virtuels, dénommés MVNO ou mobile
virtual network operator, n’aient pas eu voix au chapitre. Ne
One may wonder whether commitments efficiently
resolve competition concerns about agreements in
high oligopolistic markets. But after all, the so-called
MVNOs—mobile virtual network operators—did not
have a voice during the market test. They only have
6.15 per cent market share and rent lines from the
three network operators, who are the exclusive
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DROIT DU COMMERCE INTERNATIONAL ET DE LA CONCURRENCE
beneficiaries of the Apple agreements. The iPhone
access of the three network operators strengthens the
market partition between mobile phone operators, on
one hand, and MVNOs, on the other hand. They may
also represent Apple’s discriminatory practices vis-àvis MVNOs. More generally, the ‘‘poor competitive
intensity’’ of the mobile phone services market, as the
Cour de cassation termed it, has not been improved by
iPhone marketing commitments. But it is true that
iPhones provided for growth for the internet mobile
market, as the new generation of smartphones proves,
and on which Google and RIM (BlackBerry) are wellplaced. In this context, Apple suggests that MVNO
might have access to iPhone 4, which would certainly
provide more competitive intensity in the sector.
représentant certes que 6,15 pour cent de parts de marché,7
ces opérateurs louent des lignes aux trois opérateurs de
réseau, qui sont seuls désormais bénéficiaires des accords
Apple. L’ouverture aux trois opérateurs de réseau accentue
par là même le cloisonnement du marché entre opérateurs
de téléphonies mobiles, d’une part, et MVNO, d’autre part.
Elles sont également susceptibles de constituer des
pratiques discriminatoires d’Apple envers les MVNO. Plus
généralement, « la faible intensité compétitive » du marché
des services de téléphonie mobile, pour reprendre la
terminologie de la Cour de cassation, n’a pas été
bouleversée par la commercialisation de l’iPhone.
Cependant, force est de reconnaı̂tre que l’iPhone a insufflé
une formidable croissance de l’internet mobile, comme en
témoigne le succès des nouvelles générations de
Smartphone, sur lesquelles Google et le canadien RIM
(BlackBerry) sont déjà bien positionnés. Dans un tel
contexte, Apple laisse entendre que les MVNO pourraient
avoir accès à l’iPhone 4, ce qui permettrait de dynamiser —
cette fois — l’ « intensité compétitive » du secteur.
Notes
1. Commission européenne, 14ème rapport sur les marchés des communications électroniques de 2008.
2. Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), Avis 2008-1175 du 4 novembre 2008.
3. Conseil de la concurrence, Avis 08-A-16 du 30 juillet 2008.
4. Selon le site Lesmobiles.com, Orange a, depuis le lancement de l’iPhone en novembre 2007, vendu plus de 1,7 millions d’iPhone, tandis
que SFR et Bouygues Telecom revendiquent respectivement 900.000 et 700.000 clients iPhone, qu’ils commercialisent depuis avril 2009.
5. Conseil de la concurrence, Décision no08-MC-01 du 17 décembre 2008 du relative à des pratiques mises en œuvre dans la distribution des
iPhones ; Cour d’appel de Paris, 1ère ch. Section H du 4 février 2009.
6. Autorité de la concurrence, Décision no10-D-01 du 11 janvier 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans la distribution des
iPhones.
7. Observatoire trimestriel des communications électroniques (services mobiles) publié par l’Arcep, 6 mai 2010.
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