Responsabilité de l`ambulancier SMUR et sécurité routière
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Responsabilité de l`ambulancier SMUR et sécurité routière
URGENCES Chapitre 2008 co-fondateurs 114 Responsabilité de l’ambulancier SMUR et sécurité routière A. BOURIAUD L es prémisses du sujet qu’il m’est donné de traiter apparaissent évidentes. Elles peuvent se résumer en une triple équation : efficacité des secours égale rapidité. Rapidité égale risque accru d’accident. Risque accru d’accident égale risque d’engagement de responsabilité. Que de la rapidité des secours dépende leur efficacité est un truisme ! Tout au plus peut-on ajouter que cette évidence est aujourd’hui encore plus manifeste que naguère compte tenu des immenses progrès de la réanimation, que ce soit en traumatologie ou en pathologie médicale d’urgence. De la rapidité d’une intervention dépend bien souvent aujourd’hui la survie d’une personne. Mais – deuxième équation – la rapidité de l’intervention, parce qu’elle implique de déroger parfois aux règles du code de la route, constitue un facteur de risque et peut être la cause d’un accident impliquant le véhicule de secours, à l’origine de blessures pour un tiers, pour une personne transportée ou pour le personnel embarqué dans le véhicule. Et – troisième équation – la réalisation d’un tel risque entraîne presque immanquablement une recherche en responsabilité, au moins au plan indemnitaire si ce n’est au plan pénal. Ceci explique le sentiment d’insécurité juridique que peuvent éprouver les acteurs des secours, doublé d’un sentiment d’injustice bien compréhensible compte tenu de la nature des missions d’intérêt général qu’ils accomplissent. Il nous faut donc exposer dans un premier temps les dérogations réglementaires dont bénéficient les véhicules des SMUR ; puis analyser les conditions de ces Correspondance : 43 boulevard de la Liberté 44100 Nantes. Tél. : 06 87 11 12 43. E-mail : [email protected] RESPONSABILITÉ DE L’AMBULANCIER SMUR ET SÉCURITÉ ROUTIÈRE 1063 URGENCES 2008 co-fondateurs recherches en responsabilité sous leurs trois aspects, indemnitaire que nous examinerons en premier, puis pénal et administratif que nous verrons ensuite. 1. Les dérogations accordées aux véhicules des SMUR Le Code de la route a connu, en 2001, par voie réglementaire, certaines modifications intéressant les véhicules d’intérêt général 1. Désormais, le Code n’opère plus la distinction ancienne entre les véhicules de catégorie A et les véhicules de catégorie B 2. On distingue désormais les véhicules d’intérêt général prioritaire (VIGP) et les véhicules d’intérêt général bénéficiant de facilités de passage (VIGBFP). Entrent dans la catégorie des VIGP 3 : les véhicules de police, de gendarmerie, des douanes, les SMUR et les véhicules de lutte contre l’incendie (concernant cette dernière catégorie, la question s’est posée de savoir, à plusieurs reprises, si les ambulances des sapeurs-pompiers [VSAV] faisaient ou non partie des véhicules de lutte contre l’incendie ou bien entraient dans la catégorie des ambulances de transport sanitaire. La chambre criminelle de la Cour de cassation a répondu par deux fois à cette question en assimilant légitimement les VSAV aux véhicules de lutte contre l’incendie). Depuis peu, les ambulances privées sont entrées dans la catégorie des VIGP, mais à la seule condition de leur sollicitation expresse par le SAMU 4. Entrent dans la catégorie des VIGBFP 5 : les ambulances de transport sanitaire (sauf cas de la sollicitation par le SAMU), les véhicules des associations médicales (SOS médecins) et les véhicules personnels des médecins lorsqu’ils participent à la garde départementale. Cette distinction catégorielle n’est pas neutre et implique un certain nombre de dispositions réglementaires qui s’appliquent différemment selon la catégorie de véhicule concerné. 1.1. Dispositions concernant les règles de circulation La priorité de passage n’est ainsi pas acquise de la même façon aux deux catégories. Les VIGP bénéficient en toutes circonstances de la PRIORITÉ 6 de passage (sous réserve toutefois d’une intervention urgente…) tandis que les VIGBFP bénéficient quant à eux de FACILITÉS 7 de passage dans des circonstances limitativement énumérées par le Code de la route. Il se dessine ainsi une distinction 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. Décrets n˚ 2001-250 et 2001-251 du 22 mars 2001. Art. R. 92-5 ancien CR. Article R. 311-1 alinéa 21 CR. Décret n˚ 2007-786 du 10 mai 2007. Article R. 311-1 alinéa 22 CR. Articles R. 412-12, R.414-2, R. 414-9, R.432-2 et R. 432-3 du Code de la route. Articles R. 414-2 et R. 414-9 du Code de la route. 1064 ■ PROFESSION AMBULANCIER EN SMUR URGENCES 2008 de prérogatives fondée soit sur la priorité, soit sur la facilité de passage… Il faut ici avouer que la distinction reste à ce stade opaque si l’on ne s’intéresse pas davantage aux articles qui fondent cette distinction. La facilité de passage renvoie aux croisements et dépassements des véhicules entre eux. Le Code prévoit : « Dans tous les cas où l’insuffisance de la largeur de la chaussée ne permet pas le dépassement ou le croisement avec facilité et sécurité, tout conducteur est tenu de céder le passage aux VIGBFP… ». Les VIGBFP connaissent également certains assouplissements aux règles de conduite, notamment l’absence de limitation de vitesse, l’usage autorisé des avertisseurs sonores la nuit et en agglomération, mais aussi, le demi-tour, la marche arrière, le stationnement sur autoroute et route express. Les VIGBFP ne connaissent en revanche pas l’autorisation de franchir les feux tricolores, cette faculté étant offerte aux seuls VIGP. 1.2. Dispositions concernant l’équipement en dispositifs spéciaux La distinction catégorielle entraîne également une distinction dans le type de dispositifs spéciaux dont peuvent être équipés les VIG. Les dispositifs lumineux spéciaux équipant les VIGP doivent être conformes à un arrêté du Ministère des transport 8 prescrivant des « feux spéciaux tournants ou d’une rampe de signalisation de couleur bleue ». Les VIGBFP doivent quant à eux, aux termes de ce même arrêté, être équipés de « feux spéciaux à éclats de couleur bleue ». Les dispositifs sonores spéciaux équipant les VIG répondent également à cette distinction catégorielle. Le « modèle » deux tons équipera les VIGP tandis que les VIGBFP seront eux équipés du « modèle » trois tons. 1.3. Critères de la dérogation Ces dérogations accordées aux VIGP et aux VIGBFP, même si elles diffèrent selon la catégorie du véhicule, ne sont accordées que si trois critères cumulatifs sont réunis 9 : – Une intervention urgente (ce qui suppose donc une mission, mais également que celle-ci puisse être qualifiée d’urgente). On notera ici que le critère d’une intervention « nécessaire » a disparu avec la réforme du Code de la route de 2001 par opposition à l’ancien Code qui prescrivait une « intervention urgente et nécessaire ». La distinction entre l’urgence et la nécessité n’était alors pas aisée, les deux notions étant appelées à se confondre. Le caractère urgent de la mission sera analysé a posteriori par le juge. L’urgence étant une notion subjective, n’obéissant pas seulement à la seule urgence vitale, mais visant également l’antalgie, il conviendra de rester prudent sur son application. Si l’on s’en tient à la sémantique du terme, celle-ci fait référence à tout ce qui ne peut attendre, 8. Arrêté du 30 novembre 1987, codifié aux articles. R. 313- 27, R. 313-34 CR. 9. Art. R. 432-2 et R. 432-3 CR. RESPONSABILITÉ DE L’AMBULANCIER SMUR ET SÉCURITÉ ROUTIÈRE 1065 co-fondateurs URGENCES 2008 co-fondateurs du latin, Urgare. La qualification « d’urgent » est donc à géométrie variable et ainsi intimement liée aux situations factuelles. – À condition de faire usage des dispositifs spéciaux dont est équipé le véhicule. Cette nouvelle exigence ne fait ici que donner une force réglementaire à une jurisprudence qui, de manière constante, impose ce critère pour reconnaître au véhicule concerné un droit à la priorité. Le texte évoque ici les dispositifs. Il faut donc ici comprendre qu’il s’agit d’un usage cumulatif et concomitant des avertisseurs sonores et lumineux. – Sous réserve de ne pas mettre en danger les autres usagers de la route. Il s’agit ici encore d’un nouveau critère posé par la réforme du Code de la route. Il renvoie à la qualification du délit de mise en danger de la vie d’autrui, visée au Code pénal 10. On retrouve aussi l’idée d’une affirmation réglementaire des dispositions d’origine jurisprudentielle. Les juridictions civiles et pénales ayant constamment affirmé que le droit de priorité ne dispense pas les conducteurs qui en bénéficient de l’observation des règles générales de prudence s’imposant aux usagers du Code de la route. On notera ainsi un durcissement des critères cumulatifs permettant de bénéficier, selon la catégorie de véhicule concernée, de la priorité ou de la facilité de passage. Au regard de l’ancien article R. 28 du Code de la route qui octroyait les prérogatives aux seuls motifs « d’une intervention urgente et nécessaire », les nouvelles dispositions du Code de la route renforcent sensiblement les conditions d’octroi de la priorité ou facilité de passage. 2. SMUR et responsabilité 2.1. La responsabilité indemnitaire En matière de responsabilité indemnitaire, il nous faut examiner en premier lieu la législation applicable. Il nous faudra ensuite, compte tenu de cette législation, déterminer sur qui et au profit de qui pèse la charge indemnitaire. Nous verrons que ces deux points sont profondément marqués par la nature du transport, qui utilise des véhicules terrestres à moteurs, ce qui les fait largement échapper au droit commun de la responsabilité indemnitaire en général et de la responsabilité civile en particulier. Mais, en réalité, les règles applicables n’ont rien de spécifiques aux véhicules d’intérêt général. Elles valent pour tous les véhicules terrestres à moteur. On nous pardonnera donc la nature très générale des propos qui suivent. 2.1.1. Les dispositions applicables Concernant la législation applicable, trois points ressortent : compétence judiciaire, autonomie de la loi du 5 juillet 1985 relative à l’indemnisation des victimes d’accident de la circulation et, enfin, obligation d’assurance. 10. Art. 223-1 CP. 1066 ■ PROFESSION AMBULANCIER EN SMUR URGENCES 2008 co-fondateurs 2.1.1.1. Compétence judiciaire exclusive Sur le premier point, celui de la compétence des juridictions dans le domaine considéré, la particularité découle d’une loi du 31 décembre 1957 11. Cette loi a confié tout le contentieux qui résulte des accidents automobiles à l’ordre judiciaire. Il résulte que la victime d’un accident automobile ne peut agir contre un éventuel responsable que devant les tribunaux de l’ordre judiciaire, jamais devant les juridictions de l’ordre administratif, et ce même lorsque le véhicule qui en cause est un véhicule de l’administration comme l’est le SMUR. Il en découle naturellement, et le deuxième alinéa de l’article 1er de la loi de 1957 le précise s’il en était besoin, que l’action de la victime sera jugée selon les règles du droit civil et non selon les règles que la jurisprudence administrative s’est forgée. Ainsi, au moins sur ce plan, tous les VIG, quels qu’ils soient, à quelque catégorie qu’ils appartiennent, VIGP ou VIGBFP, se trouvent sur un pied d’égalité. 2.1.1.2. Autonomie de la loi du 5 juillet 1985 La loi du 5 juillet 1985 12, votée sur l’initiative du Garde des Sceaux Robert Badinter, avait pour objet d’accélérer les procédures d’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation, mais aussi d’instituer des règles de responsabilité civile spécifiques pour ces accidents. Dans les mois qui ont suivi sa promulgation, un vif débat a eu lieu entre juristes sur le caractère « autonome » de ces règles par rapport aux règles du droit commun de la responsabilité civile. La Cour de cassation a tranché en faveur d’une application « autonomiste » de la loi, d’abord par quatre arrêts des 28 janvier et 4 février 1987 13, puis avec une particulière netteté par un arrêt du 4 mai 1987 14. Cette jurisprudence écarte, en matière d’indemnisation d’une victime d’un accident dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur, toute application des articles 1382 et suivants du Code civil qui régissent le droit commun de la responsabilité civile, la victime ne pouvant fonder son action que sur les dispositions de la loi de 1985. 2.1.1.3. Obligation d’assurance Le troisième point est celui de l’obligation d’assurance. Cette obligation existe depuis la loi du 27 février 1958 15. Elle pèse sur toute personne propriétaire d’un véhicule, y compris les personnes morales de droit public. Seul y échappe l’état qui demeure son propre assureur. Mais il convient, à ce propos, de noter que la loi du 5 janvier 1958 précitée prévoit que la responsabilité de la personne morale de droit public à l’égard des tiers est substituée à celle de son agent, auteur des dommages causés dans l’exercice de ses fonctions. Ainsi, tout véhicule automobile, quel qu’il soit, est couvert par une garantie d’assurance, ou par la garantie de l’Etat, à l’égard des victimes des accidents qu’il peut causer. 11. 12. 13. 14. 15. Loi n˚ 57-1424 du 31 décembre 1957, JO du 5 janvier 1958. Loi n˚ 85-677 du 5 juillet 1985, JO du 6 juillet 1985. Civ. 2, 28 janv. et 4 févr. 1987 (4 arrêts), D. 1987, 187, note Groutel. Civ. 2, 4 mai 1987, Gaz. Pal., 19 juillet 1987, p. 8, note Chabas. Loi n˚ 58-208 du 27 février 1958, JO du 28 février 1958. RESPONSABILITÉ DE L’AMBULANCIER SMUR ET SÉCURITÉ ROUTIÈRE 1067 URGENCES 2008 co-fondateurs 2.1.2. Les garanties offertes Compte tenu de ce qui précède, il convient de retenir, sans entrer dans le détail, que les garanties d’assurance offertes aux victimes ainsi qu’aux responsables éventuels ont un champ d’application extrêmement étendu. Il est, d’autre part, à noter particulièrement, pour répondre à une fréquente préoccupation des conducteurs impliqués, que l’éventuelle commission d’une infraction au Code de la route, dans les conditions habituelles, est sans incidence sur la couverture par l’assurance de leur responsabilité indemnitaire. 2.1.2.1. Responsables garantis En ce qui concerne les responsables d’accidents, l’obligation d’assurance combinée aux dispositions de la loi du 5 juillet 1985 relatives à l’assurance offrent une couverture de responsabilité civile quasiment sans faille. Ces garanties s’appliquent en effet non seulement au propriétaire du véhicule, à son conducteur, notamment s’il est le préposé du propriétaire et ce, même dans le cas d’une conduite non autorisée, mais aussi, et même, au passager qui par un geste imprudent serait à l’origine de l’accident. Le souci du législateur a été, bien entendu et prioritairement, de ne pas laisser une victime désarmée face à un responsable insolvable. Mais le bénéfice en rejaillit automatiquement sur les personnes civilement responsables. A cela il faut ajouter, pour dissiper toute crainte à ce sujet, que l’article L. 121-12, alinéa 3 du Code des assurances interdit à l’assureur d’exercer une action récursoire contre le préposé de l’assuré. En clair, l’assureur qui a indemnisé la victime d’un accident impliquant un véhicule d’intérêt général au titre de la police souscrite par le propriétaire du véhicule n’a pas la possibilité de se retourner contre l’employé conducteur du véhicule. La seule exception à cette règle serait la preuve d’un acte de malveillance du conducteur, c’est-à-dire la preuve qu’il a volontairement cherché à provoquer l’accident. Ainsi, dans le domaine qui nous intéresse, l’assurance obligatoire souscrite par les personnes morales de droit public propriétaires des véhicules SMUR, garantit les conséquences indemnitaires des accidents que peuvent causer ces véhicules. Certes l’Etat échappe à l’obligation d’assurance, mais sa responsabilité se substitue, aux termes de la loi du 5 janvier 1958, à celle de son agent, conducteur d’un véhicule d’intérêt général. 2.1.2.2. Victimes garanties La loi du 5 juillet 1985 avait pour objet principal d’améliorer le sort des victimes d’accident de la circulation automobile. Les garanties offertes à ces victimes sont donc également extrêmement étendues. Elles concernent les tiers piétons ou autres victimes non motorisées, les occupants d’un véhicule tiers en cas de collision, les passagers du véhicule impliqué et notamment des personnes transportées, que ce soit à titre gratuit ou onéreux. Cependant, le sort du conducteur victime est traité moins favorablement, avec des distinctions selon qu’il est, ou non, propriétaire du véhicule et que celui-ci est, ou non, seul impliqué dans l’accident. Nous ne rentrerons pas dans le débat 1068 ■ PROFESSION AMBULANCIER EN SMUR URGENCES 2008 sur ce sujet. Notons cependant que dans la situation envisagée, le conducteur victime bénéficie du régime accident de travail ou accident de service, et que de plus, la loi et la jurisprudence ont évolué vers une complémentarité de ces régimes avec celui de la loi de 1985. 2.1.2.3. Absence d’incidence d’une infraction En ce qui concerne l’éventuelle incidence de la commission d’une infraction sur l’assurance de responsabilité civile de l’auteur de cette infraction, la formulation de l’article 113-1 du Code des assurances est souvent source de confusions 16. Cet article écarte de la garantie les dommages provenant d’une faute intentionnelle. Sa lecture pourrait donc faire croire que, notamment, toute infraction pénale commise volontairement, telle que, par exemple ne pas respecter sciemment un feu de signalisation routière, permet à l’assureur de refuser sa garantie au fautif. Il n’en est rien. En effet, c’est en réalité l’intention de causer le dommage qui est ici visée, et non l’intention de commettre une faute. En d’autres termes, renverser un piéton en brûlant un feu rouge n’est exclu de la garantie d’assurance que s’il est prouvé que le conducteur avait l’intention de nuire au piéton. Ce n’est évidemment pas le cas du conducteur d’un véhicule d’intérêt général qui commet cette infraction pour un motif d’urgence. Ainsi, pour nous résumer, la responsabilité civile mise en jeu par les accidents impliquant des véhicules d’intérêt général, quelle que soit leur catégorie, qu’ils soient prioritaires ou bénéficiant de facilité de passage, qu’ils appartiennent à une personne privée ou publique, quel que soit le statut de leurs conducteurs, est entièrement garantie par les mécanismes d’assurance. La seule résurgence d’une absence de garantie opposable au responsable tiendrait à un défaut de permis de conduire régulier et adapté au véhicule, hypothèse bien peu crédible pour ce qui concerne les véhicules des SMUR. 2.2. La responsabilité pénale et administrative 2.2.1. La responsabilité pénale Le tableau qui peut être brossé pour la responsabilité pénale est plus nuancé car la responsabilité pénale est toujours une responsabilité personnelle, ce qui implique ici directement le conducteur d’un véhicule d’intérêt général qui peut se voir infliger, notamment, des peines d’amendes ou de prison, des suspensions ou des retraits de permis de conduire, avec toutes les conséquences en termes d’emploi. D’une manière générale, toutes les infractions routières commises par un véhicule du SMUR bénéficient de l’autorisation de la loi permettant ainsi de justifier l’infraction commise. Cependant, cette impunité n’est pas totale et une responsabilité pénale peut être recherchée à l’encontre du conducteur du SMUR. La mise en cause pénale d’un conducteur ambulancier de SMUR implique la violation d’un texte. Hors le cas de l’infraction délibérée avec intention de nuire (peu probable pour la thématique qui nous concerne), il s’agira ici d’une infrac16. Y. Lambert-Faivre, Droit des assurances, Précis Dalloz 10e éd., p. 261. RESPONSABILITÉ DE L’AMBULANCIER SMUR ET SÉCURITÉ ROUTIÈRE 1069 co-fondateurs URGENCES 2008 co-fondateurs tion non intentionnelle. L’art. 121-3 al. 2 du Code pénal envisage la faute d’imprudence : « lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas d’imprudence, de négligence ou de mise en danger délibérée de la personne d’autrui ». Le Code pénal utilise les termes « imprudence » et « négligence » sans les définir. C’est donc la jurisprudence qui a dû définir la faute de négligence ou d’imprudence. Cette faute doit être appréciée in concreto, c’est-à-dire en fonction des circonstances et de la personnalité de l’auteur ou de l’acte. Il reviendra ainsi au juge de déterminer si le conducteur ambulancier a outrepassé les prérogatives dérogatoires qui lui sont offertes à l’occasion de ses misions, et donc retenir une faute non intentionnelle. Il s’agit là d’une appréciation objective du juge mais qui semble subjective dans la pratique des SMUR, le risque accidentogène y étant particulièrement élevé en comparaison d’un véhicule lambda. En réalité, bien qu’autorisé à s’affranchir de certaines règles du Code de la route, le conducteur de ce type de véhicule reste soumis à une obligation générale de prudence et de vigilance 17. Il ne bénéficie pas d’une immunité ou d’une impunité générale. Son comportement sera examiné concrètement relativement à toutes les circonstances dans lesquelles un accident a pu se produire, et s’il s’avère qu’il a négligé les règles générales de prudence qu’il doit observer, il encoure une sanction pénale. 2.2.2. La responsabilité administrative Fonctionnaire de la fonction publique hospitalière, le conducteur du SMUR est, en règle générale « protégé » par la responsabilité du service au profit duquel il exerce. Mais il ne s’agit que d’une sécurité de façade qui peut s’effacer, notamment dans le cas des accidents de la circulation trouvant leur origine dans la conduite en urgence d’un véhicule dit faussement « prioritaire ». Auteur ou co-auteur de l’accident de la circulation impliquant un véhicule du SMUR, le conducteur et agent public, est en principe, responsable des conséquences dommageables de l’accident. Or, son statut d’agent public lui assure une certaine protection en fonction de la qualification fautive ou non, de son comportement et de l’intensité de cette faute. En l’absence de faute personnelle de l’agent, la personne publique assumera cette responsabilité et devra verser à la victime les dommages et intérêts alloués par le tribunal. Il s’agira alors d’une responsabilité administrative et l’agent ne sera pas inquiété, ni même par une éventuelle mesure disciplinaire et/ou récursoire de son service à son encontre. Les fautes non intentionnelles de faible importance (imprudences légères) sont qualifiées de faute de service et connaissent alors le jeu de la substitution de responsabilité au bénéfice de l’agent. En revanche, dans le cas d’une faute personnelle (il s’agira ici d’une faute personnelle non détachable du service) la victime disposera du choix de l’action en vue de voir les dommages subis indemnisés : se retourner contre l’agent ou le service. Il est à noter que l’hypothèse est ici assez rarement rencontrée. 17. Crim., 26 avr. 2000, précité. 1070 ■ PROFESSION AMBULANCIER EN SMUR URGENCES 2008 Si une action contre le service est effectuée, ce dernier devra alors indemniser la victime de ses différents chefs de préjudice, et disposera de la faculté d’exercer une action récursoire et/ou disciplinaire contre son agent fautif. L’action répressive peut être préférée au titre de la violation d’une disposition pénale. Dans le cadre d’un accident impliquant un véhicule se déplaçant en « urgence », le comportement du conducteur sera étudié. En cas de conduite disproportionnée et/ou dangereuse, l’agent pourra voir sa responsabilité pénale engagée sur le fondement, selon les cas, de l’homicide ou des blessures involontaires 18, ou bien d’une violation d’une obligation de prudence et de sécurité 19. La possibilité d’une action pénale à l’encontre d’un conducteur ambulancier de SMUR ne constitue pas une hypothèse d’école. Les dernières jurisprudences en matière de VIGP ainsi que la modification du Code de la route sont autant d’éléments qui traduisent une volonté de mettre un terme à une certaine forme d’impunité. Les conditions pour rechercher la responsabilité d’un agent à l’occasion d’un déplacement urgent sont aujourd’hui facilitées. Dans ce cadre, la protection fonctionnelle offerte aux fonctionnaires par l’administration en cas d’infraction non intentionnelle (issue de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires) ne pourra s’appliquer, et ce au regard de la nature personnelle de la faute et de la violation délibérée d’une obligation de prudence dans le cas d’une conduite disproportionnée et/ou dangereuse. L’agent sera ainsi seul à assumer les frais de justice. Les condamnations pénales prononcées par le tribunal seront également à la charge de l’agent en raison du principe de la personnalité des peines. En ce qui concerne les dommages et intérêts alloués à la victime, ceux-ci seront à la charge de l’administration si la faute personnelle est qualifiée de non détachable du service. En revanche, si elle est qualifiée de détachable du service, les dommages et intérêts seront à la charge de l’agent. Enfin, et pour conclure en quelques phrases, il ne faut pas perdre de vue lorsque l’on aborde le sujet des responsabilités encourues, en quelque domaine d’activité que ce soit, que l’important n’est pas de se demander si une responsabilité peut être recherchée, car elle peut toujours l’être. Ce qui importe est de savoir si elle peut être retenue, et si cela arrive fréquemment. Or, s’agissant des véhicules d’intérêt général intervenant dans le secours aux personnes, une évidence s’impose lorsqu’on recherche des décisions judiciaires relatives à la responsabilité civile ou pénale dans lesquelles ils sont impliqués. Il en existe certes, mais très peu nombreuses. Le contraste paraît manifeste entre le nombre de déplacements effectués par ces véhicules et le faible contentieux que cela génère. Il y a sans doute peu d’activités humaines qui offrent un tel contraste. 18. Articles 222-19 et suivants du Code pénal. 19. Article 121-3 alinéa 4 du Code pénal. RESPONSABILITÉ DE L’AMBULANCIER SMUR ET SÉCURITÉ ROUTIÈRE 1071 co-fondateurs