SAINT-EXUPERY, l`inventeur`

SAINT-EXUPERY, l'inventeur'
Q
UATORZE diplomates réunis en arPopage ont décerné le Prix des Ambassadeurs à Citadelle, de
Saint-Exupéry, par 9 voix contre 4 au Choix de
poèmes, de Supervielle et 1 à Mlle de Quincy,
de Robert Bourget-I'ailleron.
,
Citadelle est ll'l manuscrit auquel travaillait Saint-Exupéry au moment de sa mort. Il avait é.té .commencé_ en
19JG, abandonné en 1937 et ~;es d'un écnv'.l1:'1 qui, mame
repris en 1938. Son auteur d u~e prose prec1s~, dense, et
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'1u'lllum1nent des images nouen 1 u ' con.iptait Y cons~- velles, avait engagé toute sa vie
crer epcore dix an~ de sa v~e dans l'action. SRint-Exupéry, en
et tro1~ ou quatre a le revoir .ffet, ne servait pas les lettres .
une fois achevé.
1 la manière de ces moralistes~
:iui vantent des vertus qu'ils 011·
Comment définir une telle bl ient de pratiquer. Il n'usait
œuvre, qui n'aura existé à l'état pas des mots avec 1& m~me légè·
Cléfinitif que dans le cerveau de reté que les autres : c'est qu'il
·on créateur ? Roman, esui avait éprouvé leur réalité et leur
poème en prose r l:Jn peu d~ pOllVOir souvent en plein dantout cela à la fois. Le recours à •er. Nul intermédiaire entri: ce
la Farabole et le pittoresque de ~ u'il a vécu et pensé et le témoicrtaines descriptions font pe11· !!nage qu'il rend. De là, le pres' er aux écrivains orientaux et à tige unique de toute son œuvre!
·.arathoustro., de Nietzsche. Mais n particulier de Citadelle, qm
ci, l'affabulation èM accessoire .t pour but de nous appren_drt; à
~ t la présentation ~econdaire, Ce nous élever et dont le prmc1pe
ui compte, c'est la parole d'un fondàtn~ntal ~st .13: néc;ss!té de
homme qui a refu5é de s'aban- construire : 1 md1v1du n exist-e et
onner à la pe3anteur dans Je ne dure que parce qu'il consmonde matériel, dans le monde truit et dans ce qu'il construit.
mou! et dans le monde social.
La perte de Saint-Exupéry e!t
En dépit de ses reùites, de se~
longueurs, de ses imperfections la plus grande de celles entraiui eussent é~é supprimées, Cit11- nées par la guerre mondiale
elle n'est pas une ébauche, car dans les lettres françaises. Elle
el le contient la somme des pen- est aussi celle 'd'une des plus
hautes figures de l'bumanit~ En
Saint - Exupéry s'accomplît en
effet l'homme de notre temps :
penseur, poète, aviateur et savaut.
Cat !Î la gloire auréole son
génie d'écnvam et son héroîsme
d'aviateur, on ignore généralement ses dons extraordinaires
d'mventeur. Il avait reçu une
bonne formatton P.e1entifique de
base et en avait ~ardé Je goût
des science! physiques. Ses dons
mathématiques étaient tels qu'aucune difficulté ne le rebutait.
Au général Chassin, un profegseur de l'université d'AlS!'er dit
pendant la guerre : " Vous devriez demander à votre ami de
démontrer les théorèmes de Fermat, ce que personne n'a jamais
pu faire depuis le XVII• siècle.
li est de taille à réussir. n
Apte à poser clairement les
problèmes, à déduire trh vite et
à. calculer sans erreltt, SaintExupfr~ était aussi un constructeur dune rare habileté manuelle. li transformait vite ses
conceptions en turbines, en ctllules photoélectriques, en mi·
roirs tournants, etc ...
Il e!t l'auteur de neuf brevets
qui tous se rapportent à l'aviation. L'un d'eux, délîvr~ en septembre 193<;>, est un document
capital 1 Partant d'hypothè!es
hardies, et raisonnant plus par
spéculation philosophique que
par déduction physique, l'auteur
bàtit de toutes pièces, au moyen
de fusées, tôote une théorie tendant à créer une circulation
thermique autour d'un corps en
déplacement dans l'air et. en dé·
duit des propriétés de propul·
sion et de sustentatio~ des aéro·
nefs. Lorsqu'on lit le brevet ~•
les textes· préparés par l'ioven·
teur comme l:iase de rédaction,
on est frappé de voir que, par
intuition 1 tous les phénomène!
de réaction ont ét~ analvsés de
façon parfaitement correcte.
En lQ42, Theodor von Kar·
man, le célèbre · aérodvnamicien
améncain qui fi.t naguère à l'iD;·
titut Henry-Poincaré cinq confé·
rences retentissantes, i'crivait au
directeur du grand CP.ntre d'essais des U.S.A. la lettre soi·
vante :
11 Je vii;ns de recevoir la visite
du célèbre pilote et écrivain
français Antoine de Saint·E'l'upérv qui m'a exposé ses idées
:oncernant l'aérodynamique. ce~
idées sont susceptibles d'apporter à notre science de con~idéra·
bles bouleversements. li en est
une en particulier qui m'a semblé si int~ressante que je voU!>
demande de bien vouloir entreprendre d'ur~ence des expériences à ce sujet. "
Ainsi, au XX• siècle, un même
homme a pu créer une belle
œu vre, accroitre le sa voir, as~u·
rer l'empri~e humaine sur les
choses et servir son pays ju~­
qu'au sacrjfice suprême. Tout
cela (ses vrais amis peuvent en
témoig-ner), sans iamais perdre
le contact des cho•es humbles e1
familières ...
Rèné DELANGE.