Synthèse de actes de la conférence internationale du lundi
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Synthèse de actes de la conférence internationale du lundi
CONFÉRENCE INTERNATIONALE SUR LES RÉFORMES DES MARCHÉS DU TRAVAIL EN EUROPE LUNDI 14 MARS 2016 LES ACTES DE LA CONFÉRENCE SOMMAIRE ________________________________________ Ouverture : discours de Marie-Claire Carrère-Gée, présidente du Conseil d’orientation pour l’emploi………………………………………………………………………………………………………………………………………... 3 Première table ronde : « Les réformes des marchés du travail en Europe : entre tendances communes et spécificités nationales »……....................................................................................................................... 7 Deuxième table ronde : « Les réformes des marchés du travail en Europe : quels premiers effets ? » 14 La Conférence en images………………………………………………………………………………………………………………. 21 Annexe : programme de la Conférence……………………………………………..……………………………………………. 23 2 Discours d’ouverture de Marie-Claire Carrère-Gée, présidente du Conseil d’orientation pour l’emploi ____________________________________________________________________________________________________ Bonjour à toutes et à tous, Au nom de tous les membres du Conseil d’Orientation pour l’Emploi, je vous souhaite la bienvenue pour cet après-midi d’échanges internationaux consacrés aux réformes des marchés du travail en Europe. En introduction, quelques mots sur le Conseil d’orientation pour l’emploi et la démarche qui a inspiré nos travaux. Il rassemble l’Etat, les partenaires sociaux, le service public de l’emploi, des parlementaires, des représentants des collectivités locales –c’est-à-dire tous les acteurs de l’élaboration des normes concernant le marché du travail, les acteurs de la politique de l’emploi et des experts. Il ne vous a pas échappé que ces acteurs ne partagent pas tous, loin s’en faut, la même vision des choses. Et cela qu’il s’agisse de leur conception des causes du chômage et des façons d’y répondre, du rôle et du contenu du droit du travail ou encore des normes qui doivent régir le fonctionnement du marché du travail. Tous ont cependant décidé de travailler ensemble, dans la durée, au sein du Conseil, sur toutes ces questions, à la fois pour enrichir leur réflexion mais aussi pour favoriser l’émergence d’analyses et de solutions communes. Bien entendu, le Conseil n’est pas un lieu de négociation au sens strict du terme : nous n’avons pas vocation à produire des accords, qui seraient le résultat de la confrontation des points de vue, débouchant sur des compromis. Nous ne sommes pas, non plus, un lieu de concertation, un lieu où l’Etat consulterait les partenaires sociaux sur des projets de réforme. 3 J’insiste bien sur ce point : nous travaillons ensemble et de manière autonome. Nous sommes une institution publique, rattachée au Premier ministre auquel nous remettons nos rapports, mais une institution indépendante. C’est, je crois, cette indépendance, associée à la représentativité de nos membres, qui fait tout l’intérêt et la valeur ajoutée de nos travaux. Il y a quelques mois, nous avons décidé d’engager un travail de fond sur les réformes du marché du travail en Europe. Alors que le débat sur les réformes du marché du travail fait la « Une » depuis plusieurs années, il n’existait pas à notre connaissance, d’étude d’ensemble objective et sans parti pris, de l’ensemble des réformes entreprises depuis la crise. Ce paradoxe apparent s’explique aisément : la question des réformes du marché du travail est complexe et présente des caractéristiques qui en font un cocktail assez redoutable pour l’analyse. En effet, de quoi parle-t-on ? On parle pour l’essentiel de droit, c’est-à-dire une matière très technique : or, ce sont souvent des économistes qui animent le débat public, plus que des juristes. On parle de surcroît de droits de pays différents, chacun marqué par un contexte institutionnel et culturel spécifique : or, on fait souvent, dans les commentaires, comme si tous les pays partaient du même point, comme s’ils étaient confrontés strictement aux mêmes défis sur leurs marchés du travail, comme s’ils avaient les mêmes lois, la même jurisprudence, le même système de négociation collective. Tout cela est inexact, bien sûr. Pour couronner le tout, on parle de réformes du marché du travail qui ont fait l’objet, de la part des différents Gouvernements, de beaucoup de communication, tant à destination des opinions publiques nationales que des investisseurs et marchés financiers internationaux : cela induit naturellement beaucoup de simplifications, biais et autres parti-pris. Tout cela conduit souvent à beaucoup d’approximations et surtout à nombreuses erreurs d’analyse, la principale étant que l’on ne regarde pas toujours les éléments pertinents ou que l’on omet de prendre en compte leurs interactions. Ainsi, concernant l’Allemagne, le débat français s’est longtemps focalisé sur les seules réformes Hartz alors que c’est tout un système qui a été à l’œuvre. Et cela qu’il s’agisse de la négociation collective et de la couverture conventionnelle, du contexte de réunification et ce qu’il a induit en terme d’élargissement du marché du travail et de pression à la baisse sur les salaires, de la structure de l’économie allemande, de conditions d’emploi différenciées entre l’industrie et les services, ou encore de la place des femmes sur le marché du travail. Autre exemple : l’analyse de la situation italienne se résume bien souvent au Jobs Act et, en son sein, au nouveau contrat de travail « à protection croissante » : on oublie souvent de mentionner les puissantes aides financières à l’embauche qui ont contribué à faciliter la conclusion de ces contrats ou la transformation de CDD en CDI. 4 Comment avons-nous travaillé ? Nous avons a choisi d’analyser la situation de dix pays : Allemagne, Autriche, Danemark, Espagne, Italie, Irlande, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni et Suède. Et cela pour garantir une certaine « représentativité ». Nous nous sommes également appuyés sur les représentants des différents pays, tant dans les services économiques et sociaux des ambassades étrangères à Paris qu’auprès, parfois, des administrations nationales. Nous avons en outre bénéficié de l’éclairage et des analyses des conseillers sociaux et des services économiques dans les dix ambassades françaises dans les pays concernés qui ont bien voulu répondre à un questionnaire adressé par le Conseil. Pourquoi cette conférence ? Si nous avons choisi d’organiser cette conférence aujourd’hui, c’est d’abord parce que nous avons à cœur d’ouvrir plus encore nos travaux, et d’en faire bénéficier, en direct si j’ose dire, et au-delà de la lecture de notre rapport, plus d’acteurs et d’analystes encore. Parmi les experts qui sont présents aujourd’hui, beaucoup ont été auditionnés dans le cadre de nos travaux : Odile Chagny – économiste à l’IRES et Patrick Rémy, maître de conférences en droit à Paris 1, spécialistes de l’Allemagne ; Jose Igniacio Garcia Perez, professeur d’économie à l’Université Pable de Olavide à Séville ; Marco Leonardi, professeur d’économie à l’Université de Milan, conseiller du gouvernement italien ; Jeremias Prassl, professeur agregé de droit à l’Université d’Oxford ; et Raymond Torres, directeur du département de la recherche au BIT. Je les remercie de revenir aujourd’hui. De même, je remercie les conseillers sociaux des ambassades d’Allemagne – Stephan Schmid ; d’Espagne – Ignacio Nino Perez et d’Italie – Francesco Leone d’être dans la salle et d’avoir accepté d’exprimer leur point de vue à l’issue de chacune des tables rondes. Nous avons voulu aussi, pour cette conférence, approfondir encore et actualiser notre analyse sur les effets des réformes, avec les regards croisés de juristes et d’économistes, qui n’ont pas tous le même point de vue. Nous avons auditionné en priorité des experts ressortissant des pays sous revue et avons veillé, dans la mesure du possible, à entendre pour chaque pays, un juriste et un économiste afin de garantir une diversité d’analyses. 5 Nous avons choisi d’auditionner des personnalités connues, plus pour la rigueur de leurs analyses que pour leur parti pris. Je remercie Jean-Denis Combrexelle, président de la section sociale du Conseil d’Etat ; Pascal Lokiec, professeur de droit à Paris-Ouest Nanterre ; Pierre Cahuc, professeur à l’Ecole Polytechnique ; et Eric Heyer, directeur du département Analyse et prévisions à l’OFCE ; d’avoir accepté de nous faire partager leurs analyses. Merci aussi aux Echos, le partenaire traditionnel, et même historique, si j’ose dire, de toutes les Conférences et Colloques que nous organisons et en particulier à Derek Perotte qui, malgré une actualité sociale …chargée, a accepté d’animer la seconde table ronde, avec l’expertise, l’écoute et la vivacité qui sont les siennes. Pour ceux qui ne l’auraient pas encore lu, notre rapport (l’analyse générale et les 10 monographie) est téléchargeable sur notre site. Une synthèse vous a été distribuée. 6 Première table ronde Les réformes des marchés du travail en Europe entre tendances communes et spécificités nationales ________________________________________ Dans cette table ronde animée par Marie-Claire Carrère-Gée, sont intervenus : Odile Chagny, économiste à l’Institut de recherche économique et sociale (IRES) ; Jose Ignacio Garcia Perez, professeur d’économie, Université Pablo de Olavide, Séville Marco Leonardi, professeur d’économie, Université de Milan, conseiller du Gouvernement italien Jeremias Prassl, professeur agrégé de droit, Université d’Oxford Patrick Rémy, maître de conférences en droit à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne I) L’Allemagne Odile CHAGNY Dans un contexte de globalisation et d’accentuation de la concurrence, la question du coût du travail s’est posée de manière plus aiguë en Allemagne, d’autant que le seuil symbolique de 40 % de cotisations sociales a été franchi en 1996. A l’issue du premier gouvernement Schröder, le groupe de consultation tripartite a proposé des conclusions assez proches de préconisations mises en place en France au même moment : procéder à des allègements généraux de cotisations sociales, supprimer ou du moins fortement contraindre les « minijobs », compenser les pertes de cotisations sociales par des transferts de revenus aux assurances sociales. Toutefois, la réforme de 2010 a n’a pas suivi ces préconisations. Elle a rompu avec la garantie, fondamentale en Allemagne, d’une proportionnalité entre les indemnités de chômage et le salaire précédent, y compris en cas de chômage de longue durée. Elle est par ailleurs le produit du travail des experts et non de la négociation tripartite ni même bipartite. La réforme a misé sur le développement du secteur des bas salaires, accroissant la pression à la reprise d’un emploi pour les chômeurs de longue durée, mais aussi pour les seniors. Cette réforme s’inscrit en effet dans un cadre plus large, incluant une réforme des retraites. Ces réformes ont percuté des transformations sociales et économiques de grande ampleur. Elles ont eu pour effet d’étendre les « zones grises » du système de négociation collective et des relations professionnelles en Allemagne. Le système allemand tolère en effet des inégalités salariales et de conditions de travail très fortes, suivant que l’entreprise appartient ou non à un secteur couvert par une convention collective ou que le salarié possède ou non un emploi relevant de la protection collective. Ces traits, caractéristiques du système allemand, renvoient par ailleurs à une certaine répartition du travail au sein des couples. Ils étaient compensés par des transferts au sein du couple et par le système redistributif. 7 L’Allemagne représente un cas d’école : il est assez ardu de déboucher sur un diagnostic arrêté et consensuel de l’impact des réformes sur les différentes composantes du marché de l’emploi. Il est donc naturel que les évaluations continuent de faire débat. Le droit allemand du travail : un modèle de flexibilité pour le droit du travail français ? Patrick REMY Le droit allemand apparaît après les réformes Schröder résolument plus flexible que son homologue français. Toutefois, la période récente a vu des encadrements nouveaux, législatifs ou jurisprudentiels. Ensuite, il est impossible d’isoler des dispositifs juridiques hors de leur contexte normatif d’ensemble, mais aussi historique etc. Ainsi, la loi allemande prévoit de très nombreux cas de recours au CDD, y compris très problématiques pour certains, mais aussi des CDD sans motif de deux ans pour les nouvelles embauches pouvant être renouvelés trois fois (voire de quatre ans pour les nouvelles entreprises). Un arrêt de la CJUE de 2012 a toutefois contraint l’Allemagne à renforcer le contrôle de l’abus des CDD successifs. En matière de travail intérimaire et de sous-traitance, l’Allemagne a introduit une libéralisation très forte en 2002 : le travail intérimaire n’a plus à être temporaire et le principe d’égalité de traitement est supplétif de l’autonomie collective. Or les partenaires sociaux ont écarté le principe de l’égalité de traitement dans de nombreux cas. Toutefois, une loi de 2011 et un projet de loi en cours réinstaurent le caractère temporaire de l’intérim et lui fixent une durée maximale de 18 mois, laquelle est aussi supplétive de l’autonomie collective. Le principe d’égalité de traitement devrait s’appliquer à partir de neuf mois. Tout encadrement de l’intérim donne lieu à des stratégies de contournement, qui se sont de fait massivement développées dans l’industrie comme dans les services récemment. Les entreprises allemandes recourent désormais à la sous-traitance pour des tâches relevant de leur cœur de métier. Les juges considèrent, sur la base de critères proches du droit français, qu’il s’agit de fausse sous-traitance, c’est-à-dire de prêt de main-d’œuvre illégal. Le salarié peut donc obtenir une requalification de son contrat avec l’entreprise utilisatrice. Pour pallier l’insécurité juridique due à ces actions en requalification, le Gouvernement envisage l’adoption d’un article du code civil (nouveau § 611 a du BGB) définissant pour la première fois dans la loi le contrat de travail et le distinguant du contrat d’entreprise. Mais cette disposition est très controversée. Troisièmement, la loi de protection contre le licenciement (KSchG) ne s’applique pas lors des six premiers mois d’ancienneté, qualifiés de « période d’attente », ni aux établissements (et non entreprises) employant moins de dix salariés. Beaucoup de salariés en CDI échappent donc à cette possibilité de recours au juge pour apprécier la « justification sociale » du licenciement ce que la France appelle, toutes choses égales par ailleurs, la cause réelle et sérieuse. Cette disposition dite des « petits établissements » est probablement contraire à la convention n° 158 de l’OIT et à l’article 24 de la Charte sociale européenne, mais l’Allemagne n’a pas ratifié l’OIT et le droit européen non communautaire n’y a pas d’effet direct. 8 En outre, pour le cas où la loi sur la protection contre le licenciement s’applique, le contrôle du juge allemand sur le motif économique est résolument plus léger qu’en France et relève davantage du contrôle de l’abus de droit, voire du détournement de pouvoir. Il se limite au périmètre de l’entreprise et n’est que très rarement étendu au groupe. Mais, d’un autre côté, il faut tenir compte de ce que la protection contre le licenciement n’a pas la même finalité qu’en France. En Allemagne, le salarié qui conteste son licenciement devant le juge ne cherche pas à obtenir la réparation indemnitaire du préjudice qu’il a subi du fait de la perte de son emploi, mais à retrouver son poste (le licenciement socialement injustifié est dit « sans effet »). Le salarié ne dispose d’ailleurs que d’un délai de trois semaines à compter de la notification de son licenciement pour le contester en justice. En outre, il faut tenir compte de ce que le conseil d’établissement, quand il existe, dispose de droits très importants : ainsi, il dispose du droit de s’opposer à tout licenciement et en matière de restructuration (« modification d’établissement »), c’est à dire même en l’absence de toute compression d’effectif et de procédure de licenciement collectif pour motif économique, il dispose d’un droit de négocier sur le « si », le « quand », le « comment » de la restructuration et d’un droit de codécision sur le plan social, c'est-à-dire sur les conséquences de la restructuration. Enfin, sur les conditions de travail, la loi ne traite du temps de travail que sous l’angle de la santé et de la sécurité des travailleurs au sens de la directive européenne de 1993. En revanche, elle ne réglemente pas la durée rémunérée du travail, au sens de seuil de déclenchement des heures supplémentaires (35 heures en France). Celle-ci relève de l’autonomie collective des syndicats, essentiellement au niveau des branches. La décentralisation de la négociation collective n’a été obtenue que parce que les syndicats ont progressivement admis des « clauses d’ouverture » en direction des établissements, c'est-à-dire des employeurs et des conseils d’établissements, les syndicats étant absents institutionnellement de l’entreprise en Allemagne. Toutefois, s’il y a une autonomie collective en Allemagne, c’est parce que les syndicats doivent être « capables de négocier », c'est-à-dire « puissants » face à la partie patronale, notamment au moyen du droit de grève dont ils sont titulaires. En revanche, ils n’ont pas besoin d’être représentatifs des salariés, puisqu’ils ne représentent juridiquement que leurs adhérents. Du fait des difficultés rencontrées par l’autonomie collective dans certaines branches et certains Länder, un salaire minimum légal existe depuis le 1er janvier 2015. Et par une loi d’août 2015 (dite de l’unité conventionnelle), la loi allemande a conforté les grands syndicats du DGB par rapport aux syndicats de métiers qui sont réapparus dans certains secteurs. II) L’Italie Marco LEONARDI S’agissant des contrats de travail, la réforme a eu une double dimension. D’abord, la loi de finances pour 2015 a prévu des incitations fortes sous la forme d’exonérations sociales pour les embauches en CDI réalisées en cours d’année. Ces mesures ont été renouvelées, bien que dans des proportions plus faibles, en 2016. Avant cette loi, 70 % des recrutements se faisaient en CDD. Les CDI ont gagné depuis 10 % à 15 %. Ensuite, un train de décrets a modifié le régime juridique du contrat de travail, prévoyant une réduction des coûts de licenciement et de l’insécurité juridique. 9 En contrepartie, les allocations chômage ont été élargies à de nouveaux bénéficiaires et étendues dans le temps. Le régime du chômage partiel a également été réformé. Les contrats-types ont été simplifiés, en supprimant la possibilité de recruter dans un régime à mi-chemin entre le salariat et le statut d’indépendant (les contrats « para-subordonnés »). L’objectif principal de cette réforme était de réduire la protection des nouveaux contrats en échange d’une meilleure assurance chômage. Ces mesures incitatives doivent durer trois ans, sans possibilité de prolongation au-delà du 31 décembre 2017. L’évaluation de la réforme sur le long terme sera primordiale. Pour un licenciement individuel, la loi prévoit un coût fixe d’indemnisation. Une procédure de règlement rapide est prévue, donnant lieu à une indemnisation plafonnée à 18 mois de salaire, sans fiscalisation. Si l’employé l’accepte, il perd tout droit à contentieux. Si le licenciement est porté devant le juge, une rupture de contrat sans cause réelle et sérieuse donne lieu à une indemnité équivalant à deux ans de salaire, sans possibilité d’aménagement, et fiscalisée. En fonction de son ancienneté, il peut être plus avantageux de choisir une voie ou l’autre. Les mêmes règles s’appliquent en matière de licenciements collectifs. S’agissant des politiques actives de l’emploi, l’Italie a mis en place une agence nationale chargée de fixer les règles pour l’ensemble du pays, définissant des standards pour les services de l’emploi régionaux et vérifiant le respect de ces standards. Il résulte du « Jobs Act » plus de 700 000 CDI supplémentaires et 100 000 emplois en CDD en moins. L’accroissement des CDI s’est donc fait par transformation des CDD en CDI, ce qui était l’un des buts recherchés. La part des travailleurs indépendants connaît une chute relativement spectaculaire. En revanche, le taux de chômage reste très élevé, en particulier pour les jeunes. III) Le Royaume-Uni Jeremias PRASSL Une première réforme a concerné le licenciement abusif. Un salarié doit désormais posséder une ancienneté de deux ans avant de se prévaloir d’un licenciement abusif. Les montants auxquels il peut prétendre ont également été encadrés, même si le montant médian accordé était en réalité de 4500 livres. Une autre réforme a touché les prud’hommes. D’abord, les membres non professionnels ont été supprimés. Ensuite, deux types de frais doivent désormais être acquittés, pour lancer la procédure et au moment de l’audience. Dès la première année, le nombre de cas avait diminué de 70 % à 73 %. Une autre loi a mis en place un nouveau statut de « travailleur actionnaire », permettant l’attribution d’actions gratuites par l’employeur en échange du renoncement à la protection contre le licenciement abusif. Peu d’employeurs ont opté pour cette possibilité. Enfin, la dernière réforme porte sur le contrat dit à « zéro heure », par lequel l’employeur ne garantit aucun volume d’heures et l’employé n’est pas tenu d’accepter. Ce type de contrat pose des problèmes juridiques importants, mais il a véritablement explosé au Royaume-Uni, ce qui a poussé le législateur à prévoir en 2015 une interdiction des clauses d’exclusivité. 10 Pour autant, les problèmes sont loin d’avoir été résolus, car seuls 10 % de ces « contrats » contenaient une telle clause. En réalité, ces contrats ont aggravé la situation plus qu’ils ne l’ont améliorée. De nouvelles lois sont en préparation au sujet de l’emploi. Ainsi, le droit de grève pourrait être subordonné à l’obtention d’une majorité de 50 %, alors même qu’aucun premier ministre n’a été élu avec une telle part des voix depuis très longtemps. Un projet de loi d’avril 2016 prévoit également un salaire minimal de 7,20 livres par heure pour les travailleurs de plus de 25 ans, mais moins important pour les jeunes. Enfin, il est difficile de dire comment le référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne affectera le droit du travail. Pour conclure, le Royaume-Uni représente un bon exemple de ce qu’il ne faut pas faire. L’approche a été inefficace, parcellaire et dépourvue de coordination. Ces réformes ont accéléré le démantèlement des structures existantes en les vidant de leur substance. Le système britannique est l’un des plus flexibles au monde selon l’OCDE, mais les contrats « zéro heure » ne reviennent pas au même qu’un emploi à temps complet et le problème de la productivité reste entier. IV) L’Espagne José Ignacio GARCIA PEREZ L’Espagne et la France ont en commun un grand nombre de caractéristiques économiques et institutionnelles, mais l’Espagne a vu son taux de chômage doubler, alors que la France l’a réduit. La part des travailleurs intérimaires est relativement comparable. L’Espagne a connu dix réformes du marché du travail en 25 ans, pour un chiffre relativement équivalent en France. Le Gouvernement espagnol poursuivait deux objectifs au travers de ces réformes. Il s’agissait d’abord de promouvoir la modération salariale. A cette fin, les négociations collectives d’entreprise ont gagné en importance, cependant que les entreprises peuvent se retirer plus facilement des accords de branche. Le second objectif était d’améliorer la flexibilité et de réduire le « dualisme » de l’économie espagnole entre emploi permanent et travail temporaire. A cette fin, le régime des licenciements a été considérablement assoupli, avec notamment une réduction des indemnités en cas de licenciement abusif. Il est très difficile d’évaluer l’impact de ce train de mesures. La réforme comprend trente dispositions relatives aux salaires, à la flexibilité ou encore aux indemnités de licenciement. Elle a été mise en œuvre au beau milieu d’une récession à double creux, ce qui complique l’analyse. D’après un rapport de l’OCDE de 2014, la réforme a peu affecté le nombre de recrutements en CDI ou le nombre de licenciements. La Banque d’Espagne a montré qu’après avoir connu une baisse, les salaires remontent, tirés par une économie plus favorable. Elle a conclu que la réforme n’avait pas produit les effets escomptés, le nombre de salariés concernés par les négociations collectives d’entreprise ayant peu évolué. 11 Le niveau de protection des salariés en CDI a légèrement baissé, l’Espagne ayant rejoint la moyenne des pays de l’OCDE – la France est quant à elle légèrement au-delà. L’effet de la réforme sur la durée de protection est positif, mais faible. Au total, la réforme réduit le « dualisme » de l’économie espagnole, mais la transition du chômage à l’emploi se fait essentiellement vers le CDD et non vers le CDI. L’Espagne gagnerait sans doute à s’inspirer des réformes mises en œuvre par l’Italie. Le principal problème en Espagne est la dualité des types de contrat, c’est-à-dire l’importance des contrats temporaires, comparable à celui qui existe en Pologne. Elle est source d’inégalité, empêchant par exemple les jeunes de quitter le domicile parental et les travailleurs non qualifiés de fonder une famille. La solution ne passe pas par un contrat nouveau ou au contraire par un contrat unique, mais consiste à combler l’écart entre la protection sociale des CDI et celle des CDD. Tout salarié doit être protégé de la même manière contre le licenciement abusif et contre le chômage, indépendamment du type de contrat dont il est titulaire. L’Espagne compte 2 millions de personnes au chômage depuis plus de deux ans. Des politiques du travail actives doivent être mises en place pour y remédier. L’Italie montre ici le bon exemple, notamment avec le « bon d’emploi », qui permet aux non-salariés de se former. V) Débat Ignacio NINO PEREZ L’Espagne possède un marché du travail très spécifique. Il faut tenir compte dans l’analyse du moment où la réforme a eu lieu : elle a été adoptée en 2012, alors que sévissait un taux de chômage très élevé, en particulier pour les jeunes. L’objectif premier était d’enrayer la destruction des emplois et au contraire rétablir la capacité de l’économie espagnole à créer de l’emploi. Enfin, il s’agissait de réduire le nombre de licenciements. A cet égard, les objectifs ont été atteints, mais au prix d’une augmentation de la précarité, en particulier pour les chômeurs de longue durée. Le rapport de la Commission européenne paru il y a trois semaines a conclu en ce sens. L’Espagne doit désormais travailler sur la qualité de l’emploi et sur les populations les plus affectées. Francesco LEONE Le Jobs Act recouvre un grand nombre de dispositions : la transition vers un système d’assurance chômage unifié, l’introduction d’un CDI à protection croissante, la convergence vers des horaires de travail moins rigides, etc. Les dernières statistiques sont encourageantes : l’Italie connaît pour la première fois depuis sept ans une baisse du nombre de chômeurs. La réforme a également eu des effets qualitatifs, avec une transition significative des CDD et des anciens contrats dits de « collaboration » vers les CDI. Le projet était donc ambitieux, mené avec détermination par le Premier ministre, et commence à produire ses effets. Notamment, en 2015, les embauches CDI ont augmenté de 52 %, alors que les transformations en CDI de CDD et de contrats d'apprentissage ont augmenté de 253 000 unités (+ 63 %). Dans l'ensemble, en 2015, les CDI ont augmenté de 913 000 unités par rapport à 2014 (+ 54 %). 12 Stefan SCHMID La réforme a sensiblement amélioré le sort des « outsiders » du marché de l’emploi, même si l’on peut discuter du caractère précaire des « mini jobs ». Certains le sont, mais certains titulaires de ces contrats, notamment les jeunes ou les femmes, ne veulent pas travailler davantage. Enfin, il faut rappeler que ni l’Allemagne, ni l’Europe ne sont des marchés fermés. Il faut tenir compte du contexte international. VI) Questions-réponses De la salle La transformation de l’emploi et l’apparition de nouvelles formes de travail entre salariat, portage et indépendance a été peu abordée. Des problèmes juridiques se posent en France, à la confluence du droit du commerce du droit du travail. Qu’en est-il dans les autres pays ? Marco LEONARDI Les lignes entre travail indépendant et travail salarié sont effectivement plus floues qu’avant. Les effets de la réforme italienne sont encore difficiles à évaluer. L’objectif était de mieux définir les limites et les droits des travailleurs indépendants. Il est toujours possible de recruter une personne sous statut d’indépendant dans le cadre d’un projet, mais il est plus difficile de le faire pour un travail permanent, comme c’était le cas auparavant. Patrick REMY L’Allemagne connaît un statut générique intermédiaire entre le salariat et l’indépendance, celui de l’Arbeitnehmerähnliche Person. Il n’est pas le remède miracle que l’on décrit souvent à l’« ubérisation » de la société, comme on le dit en France. De manière générale, le Gouvernement allemand a lancé une grande réflexion, y compris auprès du grand public, sur le travail dans la quatrième révolution industrielle – celle du numérique –, qui aboutira fin 2016 sur un livre blanc ou un livret vert. Stefan SCHMID Une autre grande différence est que les autoentrepreneurs ne relèvent pas de la Sécurité sociale. De la salle Des études sur l’impact de la réforme sur l’emploi sont-elles disponibles en Italie ? Y aura-t-il une réduction du coût de l’emploi, entraînant une baisse du chômage ? José Ignacio GARCIA PEREZ Ce résultat devrait plutôt être obtenu au travers des exemptions fiscales. La réforme a affecté le nombre de contrats, mais bien 13 moins le niveau des salaires. Deuxième table ronde Les réformes des marchés du travail en Europe : quels premiers effets ? ______________________________________ Dans cette table ronde animée par Derek Perrotte, journaliste « Emploi et Social », Les Echos, sont intervenus : - Pierre Cahuc, professeur à l’Ecole Polytechnique - Jean-Denis Combrexelle, président de la section sociale du Conseil d’Etat - Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision, OFCE - Pascal Lokiec, professeur de droit à l’Université Paris Ouest-Nanterre La Défense - Raymond Torres, directeur du département de la recherche, BIT Derek PERROTTE Les réformes menées en Europe sont récentes et complexes. Il est donc difficile d’en évaluer les effets et en particulier de distinguer les effets des réformes à proprement parler de ceux de la conjoncture. Pierre CAHUC Beaucoup de pays européens ont en effet connu des réformes. Elles consistent généralement en des trains de mesures disparates. Les enjeux idéologiques sont tels que l’évaluation objective est rendue difficile, comme le montre en France l’exemple des 35 heures. J’attends donc le résultat des évaluations avec beaucoup de circonspection. Néanmoins, les mesures mises en œuvre dans ces réformes ont pour certaines été évaluées de nombreuses fois dans différents contextes. Tel est le cas du coût du travail. L’accumulation de l’évidence empirique permet de clarifier considérablement certains sujets et nous permet d’en tirer des leçons convaincantes. Plusieurs études empiriques portent ainsi sur le changement des modalités de rupture des contrats de travail dans des pays différents, dont les Etats-Unis et la Suède. Il est donc encore trop tôt pour appréhender les réformes de l’emploi récemment mises en œuvre, mais nous commençons à y voir plus clair à la lumière des expériences passées. Un bon exemple est le revirement jurisprudentiel intervenu aux Etats-Unis dans les années 1970 à 1990. La doctrine de l’employment at will veut que l’employeur puisse mettre fin à un contrat de travail quelles que soient ses raisons. Dans certains Etats, un revirement jurisprudentiel est intervenu : quand l’employeur mentionne dans le contrat de travail ou le règlement de l’entreprise qu’il propose un emploi stable, il peut être condamné s’il licencie sans raison ou pour un motif illégitime. La comparaison de la situation dans ces Etats et dans les autres a permis d’identifier un effet négatif sur l’emploi de ce revirement. 14 La France possède une réglementation très homogène, ce qui rend difficile d’isoler des effets de ce type. Toutefois, on peut penser qu’un relâchement de la protection de l’emploi aura des effets importants, car la protection de l’emploi est très forte en France, ce qui accroît le coût du travail, et elle se combine à une rigidité de la rémunération de l’emploi à la baisse, due à l’existence du salaire minimum. S’agissant de l’Italie, ce pays a proposé une très forte subvention aux emplois dont il est difficile de distinguer les effets de la réforme du contrat de travail. Des travaux empiriques ont déjà été menés, montrant des effets sur l’emploi assez faibles, mais des conséquences importantes sur la composition de l’emploi. Eric HEYER L’économie est une science sociale et non une science dure. Peut-on alors raisonner « toutes choses égales par ailleurs » lorsque l’on tente d’évaluer des réformes ? Les effets à court terme et long terme sont-ils identiques ? Les réformes allemandes ont sans doute été un succès à l’aune du taux de chômage, mais elles ont été menées dans les meilleures conditions possibles : croissance mondiale de 5 % par an, bonne culture et qualité du dialogue social, désynchronisation par rapport à ses partenaires européens lui permettant de gagner rapidement en compétitivité, possibilité de laisser filer le déficit audelà de la limite fixée par les Traités, etc. Malgré tout, le taux de chômage a crû significativement les trois premières années après la mise en œuvre de ces mesures. En effet, les réformes de flexibilisation du marché du travail ont d’abord un effet récessif par dégradation de la demande, avant de porter leurs fruits à plus long terme. Elles doivent donc être accompagnées par des politiques macroéconomiques expansionnistes, par une coordination renforcée des stratégies des pays partenaires européens et par la mise en œuvre d’éléments de sécurisation des salariés. Il existe par ailleurs d’autres faits bien établis : on sait qu’un mauvais dialogue social ou le manque de formation sont nuisibles à l’emploi. De même, le mal logement est une source d’échec scolaire et de mauvaise intégration sur le marché du travail Il faut donc viser davantage de réformes qualitatives notamment sur le logement, la formation et le dialogue social. Jean-Denis COMBREXELLE L’une des questions posées aux pays européens est le mode de régulation du travail. La négociation collective est sans doute l’un des pans du droit du travail où la culture nationale est la plus prégnante. Tous les pays européens réfléchissent aux rôles respectifs de la loi, du contrat de travail et de la négociation collective, qu’elle soit au niveau de la branche ou celui de l’entreprise. Tous s’accordent à reconnaître que la loi ne peut tout régir dans un monde de plus en plus complexe. Certains pays font même l’économie de la négociation collective en ne prévoyant que la loi et le contrat de travail. Le risque est alors celui de l’individualisation du contrat de travail, voire du contrat de prestation de service. A cet égard, je suis surpris de certains propos tenus à l’heure actuelle : « il suffit d’un accord collectif » pour supprimer certains droits des salariés, d’autant qu’il s’agirait en l’occurrence d’un accord majoritaire. Les organisations syndicales savent bien que ce n’est pas aussi simple. 15 Se pose également la question de l’articulation entre la branche et l’entreprise. Aucun pays européen, quelle que soit sa culture, ne prévoit qu’une seule source de droit, c’est-à-dire seulement l’entreprise ou la branche. Tous réfléchissent à une articulation fine entre ces deux niveaux. L’idée générale est de donner davantage de place à l’accord d’entreprise sans pour autant faire disparaître l’accord de branche. La réponse varie en revanche en fonction de la culture et de la pratique de la négociation sociale. Derek PERROTTE Les négociations portent-elles sur tous les sujets liés à l’emploi dans les pays ayant accordé une large place à la négociation collective ? Les conditions de licenciement peuvent-elles par exemple être un sujet de négociation ? Jean-Denis COMBREXELLE L’emploi n’est généralement pas distingué en tant que tel : le thème est généralement englobé dans un ensemble plus large, incluant également les conditions de travail, etc. Pascal LOKIEC Réduire la protection des salariés pour favoriser l’emploi est une fausse bonne idée selon moi. La France ne gagnera pas des parts de marché en jouant sur le coût de l’emploi, mais en améliorant la qualité de celui-ci. Je suis donc très critique sur certains éléments du projet de loi sur l’emploi, notamment ceux relatifs au licenciement. La prudence s’impose sur les inspirations prises à l’étranger. L’Italie a appliqué une politique d’exonération de charges très forte parallèlement au plafonnement des indemnités de chômage. Il est donc difficile de départager ces effets ; quant à l’Espagne, la reprise économique a coïncidé avec la baisse du chômage. La dualisation du marché de l’emploi n’a absolument pas été réduite par ces réformes, au contraire. De même, le compte personnel d’activité a deux types d’inspirations : la « flexisécurité » réduit la protection des salariés en contrepartie de protections liées à la personne et non au contrat de travail. Une autre conception considère ces éléments comme complémentaires. Nous nous acheminons vers une conception dégradée de la règle de droit. Coexistent une conception axiologique par laquelle le droit défend des valeurs et une conception instrumentale qui en fait un instrument au service de certaines fonctions. La seconde a pris le dessus ce qui est problématique lorsque les moyens (la refonte du code du travail) ne sont pas susceptibles de réaliser la fonction (réduire le taux de chômage). Le plafonnement des indemnités de licenciement en est un cas d’école. Cette mesure répond à deux logiques. D’abord, il faudrait permettre aux entreprises de connaître à l’avance le coût d’un licenciement injustifié, ce qui renvoie au concept économique de « violation efficace ». Cette pratique existe déjà pour les CDD, mais la loi n’a pas à l’encourager. Une deuxième fonction consiste à harmoniser les indemnités prud’homales d’un conseil à l’autre, problématique bien différente. Elle ne justifie pas un plafonnement mais un barème indicatif. 16 Enfin, il faut préserver l’idée de « loi commune ». Accorder trop de place à l’accord d’entreprise revient à dire que chaque entreprise pourrait être soumise à ses propres règles. Aux Etats-Unis, où l’accord d’entreprise est la règle, les règles sociales sont l’une des armes par lesquelles une entreprise peut affronter ses concurrents. Il est ainsi bien connu que l’enseigne WalMart pratique des salaires très bas et une politique anti-syndicats, en contrepartie de prix très faibles. Dumping social et low cost sont donc mis en parallèle. Attention à ne pas créer des tensions entre intérêt des salariés et intérêt des consommateurs. Derek PERROTTE Faut-il en conclure que Wal-Mart a des syndicats « jaunes » ? Pourquoi ce garde-fou ne fonctionne-t-il pas ? L’exigence d’accords majoritaires ne peut-elle être une piste intéressante ? Pascal LOKIEC L’exigence d’un accord majoritaire peut en effet être un verrou, mais le droit ne peut reposer uniquement sur la confiance. La loi doit rester un garde-fou. Que restera-il en particulier du principe de faveur, qui applique au salarié le dispositif le plus favorable ? Les rapports de force sont souvent très déséquilibrés au niveau de l’entreprise. Ils le sont moins au niveau de la branche, qui permet également d’harmoniser les conditions de la concurrence. Raymond TORRES 400 réformes ont été identifiées depuis 2008 dans l’ensemble des pays européens. Le rythme va encore en s’accélérant. Les réformes portent aux deux tiers sur un assouplissement du droit du travail, avec dans beaucoup de cas un plafonnement des indemnités de licenciement et une réduction de la période d’essai. L’accord d’entreprise prévaut désormais dans un certain nombre de pays sur les autres types d’accord. En comparaison, l’Amérique latine a évolué vers un renforcement du droit du travail. La protection sociale s’est également améliorée en Asie. En Europe, ces assouplissements n’ont en moyenne pas donné lieu à des contreparties améliorant la protection des salariés. En particulier, le nombre de chômeurs couverts par une indemnisation chômage ou bénéficiant d’une politique active est resté stable et il a eu tendance à diminuer dans la majorité des pays qui ont procédé à un assouplissement important du droit du travail. Les impacts s’avèrent très divers : on ne peut parler d’effet clair sur l’emploi. De manière générale, les pays ayant le plus assoupli le marché de l’emploi ne peuvent pas se prévaloir d’une meilleure performance en matière d’emploi que les autres – mais les résultats sont très différents entre pays. En revanche, ils ont connu une modération salariale plus poussée et une perte de pouvoir d’achat, ce qui a fait émerger la problématique des travailleurs pauvres. Elles découlent des réformes mises en œuvre, mais aussi de la substitution de certains types d’emploi par d’autres, comme l’intérim, le travail pour compte propre ou la fausse prestation de service. 17 Les réformes doivent faire l’objet d’une conception fine. Il faut d’abord respecter une certaine cohérence. Assouplir le droit du travail et aller dans le sens d’une primauté des accords d’entreprise aboutit ainsi à enlever toute protection aux salariés dans certains domaines comme la formation des salaires. Certaines mesures protègent l’emploi tout en améliorant l’efficacité du marché du travail : tel est le cas par exemple des mesures encadrant les contrats zéro heure, qui se sont développés au RoyaumeUni et ailleurs, notamment aux Pays-Bas. On a aussi pu montrer que, à court terme, les réformes ont un impact sur la demande agrégée. Dans le contexte actuel, certains types de réformes, notamment celles pesant sur les salaires et la qualité de l’emploi, ont diminué la demande des ménages sans pour autant qu’elles favorisent l’investissement des entreprises. Ce résultat est problématique lorsque de plus en plus de pays européens vont dans le même sens. Derek PERROTTE Seules 5 % des entrées mensuelles à Pôle Emploi font suite à un licenciement économique. Pourquoi réformer ce dernier ? Pierre CAHUC Précisément pour cette raison. Le nombre de licenciements économiques pendant la crise a baissé par rapport à la période précédente : le licenciement économique est devenu très compliqué pour les entreprises. L’enjeu n’est pas de réduire la protection sociale, mais de l’améliorer. Que gagne-t-on à changer le contrat de travail ? Des études microéconomiques montrent des effets positifs de certaines mesures sur l’emploi. Faciliter la rupture du CDI permet ainsi de réduire le coût du travail, car un emploi en CDD coûte plus cher qu’un emploi en CDI. Derek PERROTTE Je suis journaliste emploi depuis cinq ans ; j’ai connu quatre mois de baisse de chômage. Quelle mesure rapide prendre pour l’emploi ? Le logement et l’éducation sont des politiques de très long terme. Eric HEYER Si tout était structurel en France, comment expliquer le taux de chômage de 6,8 % en 2008, alors même que le code du travail était déjà très contraignant et que les 35 heures n’avaient pas été assouplies ? La conjoncture joue un rôle fondamental. Les entreprises affirment aujourd’hui qu’elles pourraient produire plus sans embaucher : elles sont en sureffectif. Flexibiliser le marché du travail risque donc d’avoir un effet négatif de ce seul fait. Des éléments de carnet de commandes doivent compenser la flexibilité accrue. A défaut, les entreprises se contenteront de purger leur sureffectif. Derek PERROTTE Comment dépasser cette aporie très française selon laquelle il n’est pas lieu de réformer par temps de crise et il n’est pas nécessaire de le faire par temps de croissance ? 18 Eric HEYER Les réformes de long terme sur le logement, l’éducation, la formation doivent être menées sans attendre. Si au contraire tous les pays européens se lancent ensemble dans des réformes de court terme visant à accroître leur compétitivité-prix, le risque est celui d’une déflation généralisée. Pascal LOKIEC Critiquer la réforme actuelle ne signifie pas être favorable au statu quo. Le projet veut répondre à la difficulté des dirigeants de PME à appliquer correctement le code du travail, faute de ressources juridiques en interne. Cette problématique est indéniable. Aux Etats-Unis, les petites entreprises bénéficient d’un service public de l’accès au droit. Le projet de loi comporte une disposition en ce sens, mais la réponse du Gouvernement dans son ensemble est décalée, puisqu’elle consiste à bouleverser radicalement le code du travail. Or les solutions proposées dans le cadre du projet de loi ont déjà été essayées en vain. En outre, le droit est une matière mobilisée par ses acteurs. Ces derniers seront perturbés pendant des décennies par ce nouveau droit. Attention à ne pas ouvrir la boîte de Pandore. Derek PERROTTE Le projet de loi vise par ailleurs à objectiver la notion de « difficultés économiques ». Cette piste vous semble-t-elle intéressante ? Pascal LOKIEC Non, car je ne suis pas convaincu qu’elle soit conforme à la convention 158 de l’OIT, qui exige un contrôle du juge sur le motif de licenciement. Cette objectivation de la cause m’inquiète également par les dérives qu’elle peut susciter. Raymond TORRES En tout état de cause, la convention 158 de l’OIT est compatible avec une réforme du droit du travail qui respecterait un certain nombre de principes généraux. Jean-Denis COMBREXELLE Le droit du travail est souvent une abstraction en France pour ceux qui le commentent alors que c’est une réalité concrète pour le monde du travail, les salariés et les chefs de petites entreprises. On ne peut parler du rapport entre branche et accord d’entreprise d’une façon abstraite. Les accords de branche fonctionnent bien dans certaines branches, mais non dans d’autres, d’où l’exigence de leur restructuration et de la formation des négociateurs. Dans des domaines comme l’égalité hommes/femmes, sans bien sûr oublier la situation particulière des TPE, on voit bien que ni la loi ni l’accord de branche ne sont suffisants et que seul l’accord d’entreprise, au plus proche du milieu du travail, peut aboutir à des résultats concrets. Le postulat est l’absence de confiance dans la négociation, vue comme une simple formalité, et donc dans les partenaires sociaux. 19 Pascal LOKIEC L’accord d’entreprise a toute sa place. Un accord de maintien dans l’emploi n’a par exemple aucun sens au niveau de la branche. Je suis favorable au principe de faveur. J’ai confiance dans les partenaires sociaux, mais la France ne peut bâtir son droit sur la confiance compte tenu des rapports de force et dans le contexte actuel. 20 Le colloque en images 21 Marie-Claire Carrère-Gée, Présidente du COE 1re table ronde : O. Chagny, P. Rémy, MC-. Carrère-Gée, J. Prassl, M. Leonardi, J-I. Garcia Perez 2e table ronde : E. Heyer, R. Torres, D. Perrotte, J-D. Combrexelle, P. Cahuc, P. Lokiec Derek Perrotte, Journaliste, Les Echos 22 H. Monange, SG du COE, I. Nino Perez, S. Schmid, F. Leone PROGRAMME DE LA CONFERENCE « Les réformes des marchés du travail en Europe» Lundi 14 mars 2016 de 14h00 à 18h00 Au Ministère des Affaires sociales – Salle Laroque 14, avenue Duquesne - 75007 Paris en partenariat avec avec le soutien de 23 14h00 - Ouverture par Marie-Claire Carrère-Gée, présidente du Conseil d’orientation pour l’emploi 14h30 - 1re table ronde : Les réformes des marchés du travail en Europe : entre tendances communes et spécificités nationales animée par Marie-Claire Carrère-Gée Intervenants : - Odile Chagny, économiste à l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) - Jose Ignacio Garcia Perez, professeur d’économie, Université Pablo de Olavide, Séville - Marco Leonardi, professeur d’économie, Université de Milan, conseiller du gouvernement italien - Jeremias Prassl, professeur agrégé de droit, Université d’Oxford - Patrick Rémy, maître de conférences en droit à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne 15h45 - Débat : Réaction des conseillers sociaux des ambassades : Francesco Leone (Italie), Ignacio Nino Perez (Espagne), Stephan Schmid (Allemagne) 16h15 - 2e table ronde : Les réformes des marchés du travail en Europe – quels premiers effets ? animée par Derek Perrotte, journaliste « Emploi et Social », Les Echos. Intervenants : - Pierre Cahuc, professeur à l’Ecole Polytechnique - Jean-Denis Combrexelle, président de la section sociale du Conseil d’Etat - Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision, OFCE - Pascal Lokiec, professeur de droit à l’Université Paris Ouest-Nanterre La Défense - Raymond Torres, directeur du département de la recherche, BIT 17h30 - Débat : Réaction des conseillers sociaux des ambassades 17h50 - Clôture 24