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DANS L’AFFAIRE DE LA Loi sur les assurances, L.R.O. 1990, chap. I-8, en sa version modifiée ET DANS L’AFFAIRE DE LA Loi de 1991 sur l’arbitrage, L.O. 1991, chap. 17, en sa version modifiée ET DANS L’AFFAIRE d’un arbitrage ENTRE : COMPAGNIE D’ASSURANCE JEVCO Requérante et COMPAGNIE D’ASSURANCES GÉNÉRALES TD/PRIMMUM COMPAGNIE D’ASSURANCE Intimées SENTENCE Entendu le : 11 novembre 2014 Avocats : Dominic D. Nicassio pour la requérante, Compagnie d’assurance Jevco Derek Greenside, pour les intimées, Compagnie d’assurances générales TD/Primmum Compagnie d’assurance SCOTT W. DENSEM, ARBITRE 1 Introduction1 Cet arbitrage concerne un différend concernant le rang de priorité relatif à l’Annexe sur les indemnités d’accident légales (« AIAL ») entre la requérante (« Jevco ») et les intimées (« TD »). Le différend découle d’un accident survenu le 22 avril 2011. Sikander Khalid (« le réclamant ») était un passager dans un véhicule assuré par Jevco. Il a présenté une demande au titre de l’AIAL à Jevco. Jevco a payé l’indemnité de l’AIAL au réclamant. Le total de cette indemnité s’élevait à 15 825,88 $. Jevco a soumis un différend concernant le rang de priorité en vertu du Règlement 283/952 contre TD. Le respect des délais ou la forme de l’avis de différend ne sont pas en litige. Jevco allègue que TD est l'assureur prioritaire en vertu de l’article 268 de la Loi sur les assurances, puisque le réclamant était une personne à la charge de l’assurée de TD, Haseena Bano (« la mère du réclamant »), dépendant essentiellement de l’aide financière de cette dernière. Le réclamant serait donc une « personne assurée » au titre de la police d’assurance de TD, et ne relèverait pas de la police d’assurance de Jevco selon la hiérarchie de l’article 2683. TD ne conteste pas cette analyse juridique, mais elle soutient que le réclamant ne dépendait pas essentiellement de l’aide financière de sa mère. Par conséquent, le réclamant ne serait pas une « personne assurée » en vertu de la police d’assurance de TD, et Jevco demeurerait responsable du paiement de l’indemnité de l’AIAL au réclamant. 1 L’information présentée dans la présente section repose sur des faits convenus entre les parties ou qui ne sont pas contestés. 2 Pris en application de la Loi sur les assurances, L.R.O. 1990, chap. I.8, en sa version modifiée. 3 Voir les définitions de « personne assurée » et de personne à charge à l’article 3 et à l’alinéa 3(7) de l’AIAL de la Loi sur les assurances, respectivement, ainsi que les sous-alinéas 268(2)1.i. et ii de la Loi sur les assurances. 2 Les parties conviennent qu’elles ont le droit d’interjeter appel de la présente sentence sur des questions de droit ou sur des questions mixtes de fait et de droit, et ce, sans l’autorisation du tribunal. Question en litige 1. Le réclamant dépendait-il essentiellement de l’aide financière de sa mère? Les éléments de preuve L’arbitrage a procédé par voie de preuve documentaire et les observations écrites et orales des avocats. 1. Pièce 1 : Exposé d’arbitrage de la requérante, Compagnie d’assurance Jevco, volumes 1 et 2, onglets 1 à 93. Analyse Le témoignage du réclamant confirme que la seule aide financière qu’il recevait provenait de sa mère. Il ne recevait aucune autre aide externe ou d’un autre membre de sa famille. Les parties ne contestent pas cet élément de preuve. La position de Jevco peut se résumer ainsi : le réclamant dépendait essentiellement de l’aide financière de sa mère. Il n’avait pas de ressources personnelles suffisantes pour vivre de façon autonome. Il résidait dans un logement locatif payé par sa mère. De plus, la mère du réclamant lui fournissait sa nourriture et contribuait à ses dépenses nécessaires et discrétionnaires. Le réclamant avait des dettes importantes dont il n'assurait pas le service; la mère du réclamant effectuait des paiements sur ces dettes. 3 Le réclamant était un étudiant au moment de l’accident. Ses revenus provenant d’un travail à temps partiel ne suffisaient pas à assumer plus de 50 % de ses dépenses. Selon la preuve obtenue aux termes de son interrogatoire sous serment, le réclamant se percevait lui-même comme une personne à la charge de sa mère et il ne croyait pas disposer de moyens suffisants pour vivre de façon autonome. La position de TD peut se résumer ainsi : le réclamant ne dépendait pas essentiellement de l’aide financière de sa mère. Même s’il résidait dans un logement locatif payé par la mère du réclamant, ce logement était occupé par d’autres membres de la famille. C’était un logement plus grand et plus cher que ce dont le réclamant aurait eu besoin s’il avait vécu seul. Durant toute l’année précédant l’accident, le réclamant a gagné des revenus réguliers, alors qu’il était employé d’une division de Bell Canada. Au moment de l’accident, il avait pris congé de cet emploi pour une courte période, afin de terminer ses études. Il est retourné à cet emploi peu de temps après l’accident, en juin 2011. Il gagnait également d’autres revenus à temps partiel au moment de l’accident, payés en espèces; il ne payait aucun impôt sur ces revenus. La partie de la dette du réclamant relative à un prêt du Régime d’aide financière aux étudiantes et étudiants de l’Ontario (RAFEO) n’était pas exigible avant que ne soient écoulés six mois après la fin de ses études, soit longtemps après la date de l’accident. Par conséquent, il n’était pas tenu d’effectuer de paiements sur ce prêt avant l’accident. Même s’il devait de l’argent sur une ou plusieurs cartes de crédit, la mère du réclamant contribuait très peu au remboursement de cette dette. Peu de temps après l’accident, le réclamant a fait une déclaration à un représentant d’assurance, dans laquelle il a affirmé qu'il n'était pas une personne à la charge de sa mère. Le réclamant avait suffisamment de fonds pour 4 assumer au moins la moitié de ses dépenses nécessaires et discrétionnaires. Il recevait une certaine aide financière de sa mère, mais il ne dépendait pas essentiellement de cette aide financière. J’examinerai le droit pertinent aux affaires dont l’enjeu consiste à déterminer si une personne dépend essentiellement d'une autre. Le droit est sensiblement le même depuis le jugement de la Cour d’appel dans l’affaire Miller c. Safeco Insurance Co. of America4. Dans cette affaire, la Cour a déclaré que les facteurs suivants devaient être pris en compte pour déterminer si une personne dépend essentiellement d'une autre : le montant et la durée de toute dépendance financière; les besoins financiers du réclamant; la capacité du réclamant à subvenir lui-même à ses besoins. Lors de l’application de ces critères, il faut tenir compte des faits particuliers à chaque affaire. Les affaires subséquentes ont établi des notions d’interprétation pour l’analyse établie dans l’affaire Miller c. Safeco pour déterminer si une personne dépend essentiellement d'une autre. La jurisprudence a proposé depuis plusieurs années que le décideur doit examiner, dans la vie du réclamant, une période menant à l’accident qui dresse un portrait 4 (1985) CanLII 2022 ON CA (« Miller c. Safeco »). [en anglais seulement] 5 fidèle et fiable du montant et de la durée de la dépendance du réclamant, le cas échéant. Pour bien évaluer ces facteurs, cette période doit nécessairement représenter davantage qu’un simple « instantané »5. Dans l’affaire Liberty Mutual lnsurance Company c. Federation Insurance Company6, la Cour d’appel a confirmé la décision d’un arbitre et de la Cour supérieure sur le droit relatif à cette question du degré de dépendance. En première instance, l’arbitre Samis avait jugé que la dépendance signifie davantage que la réception d’un avantage financier. Selon lui, la dépendance exige l’existence d’un certain besoin chez la personne présumée être une personne à charge. L’argent fourni par une personne de soutien pour financer des améliorations au mode de vie, plutôt que des besoins essentiels, ne fait pas en sorte que la personne qui reçoit cet argent se trouve à en dépendre essentiellement. L’arbitre Samis a en outre jugé que, pour déterminer la capacité d’un réclamant de subvenir à ses propres besoins, le décideur doit examiner davantage que la [traduction] « capacité stricte » du réclamant. Il faut déterminer si le réclamant exerce raisonnablement sa capacité à subvenir à ses propres besoins dans les circonstances. Enfin, l’arbitre Samis a jugé qu’un réclamant ne peut être considéré comme dépendant essentiellement d’une aide financière que si l’aide fournie par la personne de soutien correspond à plus du double des besoins du réclamant. 5 Voir, par exemple, State Farm Mutual Automobile Insurance Co. c. Non-Marine Underwriters, Lloyds, London [1997] O.J. nº 3402 (div. gén.) et Oxford Mutual Insurance Company c. Co-operators General Insurance Company, 2006 CanLII 37956 (ON CA). 6 [2000] O.J. 1234 (ON CA) (« Liberty c. Federation »). 6 En Cour supérieure, le juge O’Leary a interprété ce dernier point en affirmant que si l’arbitre Samis voulait dire qu’un réclamant n’est pas essentiellement dépendant s’il dispose de suffisamment de ressources pour répondre à 51 % ou plus de ses besoins, il s’agit de la bonne interprétation du droit. Sans entrer dans les détails, la Cour d’appel a affirmé que l’approche adoptée par l’arbitre et par la Cour supérieure est conforme à l’analyse énoncée dans l’affaire Miller v. Safeco, et a confirmé les décisions. L’importance de l’analyse du « 51 % » réside dans le fait qu’un réclamant peut être partiellement dépendant d’une personne de soutien pour combler certains de ses besoins, mais que si le réclamant est en mesure de combler plus de la moitié de ses besoins par ses propres moyens, le réclamant n'est pas dépendant essentiellement de la personne de soutien. Cette approche a été répétée à de nombreuses reprises dans les décisions des tribunaux et les sentences arbitrales depuis l’affaire Liberty c. Federation7. En appliquant les principes juridiques discutés, ma première tâche consiste à choisir une période raisonnable pour examiner, le cas échéant, le montant de la dépendance du réclamant envers sa mère, et la durée d’une telle dépendance. Pour ce faire, il est nécessaire d’examiner l’histoire du réclamant, afin de trouver une période qui offre un portrait suffisamment fidèle de la situation du réclamant au moment de l’accident. Comme dans bon nombre de ces affaires, les éléments de preuve en l’espèce quant à la question de dépendance ne sont pas toujours cohérents. Par endroits, ils vont Voir, par exemple, Economical Mutual Insurance Company c. Insurance Corporation of British Columbia, arbitre Jones, sentence, 25 février 2002 (« Economical c. ICBC »). 7 7 de moins qu’optimal à inexistant, ce qui rend la tâche du décideur difficile. Il ne s’agit pas ici d’une critique à l’encontre des témoins, des parties ou de leur avocat. J’ai eu l’impression que tout le monde a fait de son mieux pour essayer de présenter le plus d’éléments de preuve possible, et pour rendre ces éléments de preuve aussi clairs que possible, dans les limites de ce qui était accessible et en tenant compte de la mémoire défaillante d’un témoin clé − le réclamant. En plus d’avoir rempli les divers documents de demande de l’AIAL, le réclamant a fait une déclaration8 à un représentant d’assurance et il a été interrogé sous serment dans le cadre de la présente procédure d’arbitrage9. La déclaration du réclamant a été faite le 5 juillet 2011, soit environ deux mois et demi après l’accident. Son interrogatoire sous serment a été mené le 22 janvier 2014, soit environ deux ans et neuf mois après l’accident. Il y a quelques différences entre la déclaration du réclamant et le témoignage qu'il a donné dans le cadre de son interrogatoire sous serment. Je traiterai de ces différences au fur et à mesure de mon analyse. Le réclamant est un homme célibataire, né le 4 avril 1988 au Pakistan. Il s’est établi au Canada en 2002. Au moment de l’accident, il avait 23 ans. Il résidait au 101, Franklin Boulevard, à Cambridge, en Ontario, dans la maison en rangée nº 17 (« la maison de Cambridge »). Le père du réclamant est décédé cinq ans avant la date de la déclaration, soit en 2006. Dans sa déclaration, le réclamant a indiqué qu’il habitait la maison de Cambridge avec sa mère et ses deux frères. L’interrogatoire sous serment du réclamant a permis de 8 9 Pièce 1, onglet 9. Pièce 1, onglet 91. 8 révéler certaines informations supplémentaires à propos de la sœur et du mari de la sœur du réclamant, qui ont vécu à la maison de Cambridge pendant plusieurs mois, et qui y vivaient possiblement au moment de l’accident. Le témoignage du réclamant indique qu’il ne s’en souvient pas clairement. Dans sa déclaration, le réclamant a indiqué qu’il avait vécu à la maison de Cambridge depuis les six ou sept dernières années. Dans son interrogatoire sous serment, il a affirmé qu’il vivait à la maison de Cambridge depuis environ 11 ans. Bien que ces estimations soient quelque peu différentes quant au moment depuis lequel le réclamant vit à la maison de Cambridge, je ne crois pas que cela soit suffisamment important pour avoir une incidence sur la question en litige. Dans chaque version, le réclamant a indiqué qu’il vivait à la maison de Cambridge avec plusieurs membres de sa famille depuis un certain nombre d’années avant l’accident. Dans son interrogatoire sous serment, le réclamant a indiqué que la maison de Cambridge comptait quatre chambres à coucher et qu’il y avait la sienne propre. Si sa sœur et son mari habitaient avec la famille au moment de l’accident, et si lui, sa mère, et ses frères avaient leur propre chambre, je ne vois pas comment sa sœur et le mari de sa sœur pouvaient y loger, la maison comptant quatre chambres à coucher. Ses frères ont peut-être partagé une chambre pendant ce temps, ou d’autres dispositions ont été prises. Toutefois, il ne m’est pas nécessaire de résoudre cette question aux fins de l’arbitrage. L’information pertinente qui ressort de ces éléments de preuve est que la maison de Cambridge était une habitation de quatre chambres à coucher. 9 La maison de Cambridge était un logement subventionné par l’État. Selon l’interrogatoire sous serment, le montant payé par la mère du réclamant pour louer la maison de Cambridge variait selon qu'elle travaillait ou non. Le réclamant a témoigné que sa mère était représentante dans un centre d’appels. Il croit que, au moment de l’accident, elle travaillait peut-être pour une société nommée iQor. Lorsqu’elle travaillait, le loyer était d’environ 500 $ à 600 $ par mois. Les services publics ajoutaient environ 400 $ à cette somme10. En résumé, selon la meilleure estimation du réclamant, lorsque sa mère travaillait, le coût total du loyer et des services publics de la maison de Cambridge se chiffrait entre 900 $ et 1000 $ par mois. La mère du réclamant ne travaillait pas au moment de l’interrogatoire sous serment. Elle ne travaillait pas depuis environ deux ans et demi. Au moment de l’interrogatoire sous serment, le loyer de la maison de Cambridge, selon le réclamant, était d’environ 200 $ par mois, puisque sa mère ne travaillait pas. Certains éléments de preuve documentaire concernant le coût du loyer de la maison de Cambridge ont été déposés sous la forme d’un document Internet imprimé, intitulé « Co-Op Locator », concernant les logements communautaires de la région de Waterloo11. Ce document a été imprimé le 22 janvier 2014, soit presque trois ans après l’accident. L’information sur les coûts du loyer de la maison de Cambridge ne coïncide donc pas avec le moment de l’accident. Ce document indique que le coût du loyer (services publics non compris) en janvier 2014 pour une maison de quatre chambres à coucher était 1 027 $ par mois. Je ne crois pas qu’il serait excessif de ma part de conclure Selon le réclamant, cette somme comprenait les services publics habituels, comme le chauffage et l’électricité, ainsi que la télévision par câble et Internet. 11 Pièce 1, onglet 20. 10 10 que les loyers indiqués dans ce document sont, selon toute vraisemblance, supérieurs à ce qu’ils étaient il y a un peu moins de trois ans, en 2011, lorsque l’accident est survenu. En l’absence d’éléments de preuve à l'effet contraire, j’admets d’office le fait que le coût de la vie, le coût du logement en particulier, a augmenté dans le sud de l’Ontario au cours des dernières années. Je conclus que l’estimation fournie par le réclamant en ce qui concerne le coût total du loyer et des services publics au moment de l’accident en avril 2011, pour la maison de Cambridge à quatre chambres, soit entre 900 $ et 1000 $ par mois, quoique faible, est dans le domaine du probable. En 2007, le réclamant, âgé de 19 ans, a commencé à fréquenter le Collège Mohawk comme étudiant à temps plein, de septembre 2007 à avril 2008. À 20 ans, n’aimant pas ses cours au Collège Mohawk, il s’est inscrit à un programme de comptabilité d’entreprise au Collège Conestoga en septembre 2008. Sa première année d’études a commencé en septembre 2008 et s’est poursuivie jusqu’en avril 2009. Après avoir terminé sa première année au Collège Conestoga en avril 2009, le réclamant a commencé à travailler chez Nordia Inc., une division de Bell Canada. Il y travaillait comme représentant téléphonique, recevant les appels des clients à propos de la télévision par satellite de Bell. Selon le Formulaire de confirmation de l’employeur (« FDIO-2 »)12, la date de début de l’emploi du réclamant est le 12 mai 2009, alors qu’il 12 Pièce 1, onglet 86 (Dossier d’emploi Nordia). 11 avait tout juste 21 ans. Il était un employé à temps partiel, payé à l'heure et travaillait 20 heures par semaine. Son salaire était 11,50 $ l’heure13. Aucun élément de preuve documentaire ne me permet d’établir avec exactitude les gains du réclamant en 2009. Le seul document à ma disposition qui se rapporte précisément à l’année 2009 est la Déclaration des crédits d’impôt personnels pour 2009 de l’Agence du revenu du Canada14. Cela ne m’aide pas à établir les revenus du réclamant. Ce formulaire ne fait qu’indiquer quelles sont les déductions fiscales auxquelles le réclamant avait droit, et dont il voulait que son employeur tienne compte pour établir ses retenues d’impôt à la source. Dans le cadre de son interrogatoire sous serment, le réclamant a affirmé que son travail à temps partiel chez Nordia Inc., de mai 2009 à janvier 2011, lui permettait de gagner un revenu net d’environ 300 $ à 350 $ aux deux semaines. Son dossier d’emploi indique qu’il était payé 11,50 $ l’heure. Il travaillait 20 heures par semaine, à temps partiel. Mathématiquement, cela représente un revenu brut de 460 $ aux deux semaines. En tenant compte des retenues à la source, qui seraient modestes, l’estimation du réclamant de son revenu net est raisonnable. En tenant compte d’une moyenne de 4,33 semaines par mois, le réclamant aurait gagné un revenu net d’environ 700 $ par mois (en fonction d’un revenu net de 325 $ aux deux semaines) alors qu’il travaillait à temps partiel chez Nordia Inc. 13 14 Pièce 1, onglet 86. Pièce 1, onglet 87. 12 Le réclamant a commencé sa deuxième année au Collège Conestoga en septembre 2009. D’après les éléments de preuve, il semble que le réclamant ait conservé son emploi à temps partiel chez Nordia Inc. pendant l’année scolaire. Les éléments de preuve concernant le revenu du réclamant en 2010 sont plus complets. Le réclamant a eu 22 ans en avril 2010. Il a conservé son emploi à temps partiel chez Nordia Inc. pendant sa deuxième année au Collège Conestoga, qui a pris fin en avril 2010. Il y a certains éléments de preuve découlant de son interrogatoire sous serment qui donnent à penser qu’il a peut-être travaillé à plein temps à l’été 2010, entre ses deuxième et troisième années au Collège Conestoga. Ce n’est pas tout à fait clair, cependant. En effet, le réclamant a également affirmé avoir suivi un cours d’été, soit à l’été 2010, soit à l’été 2011 (ce qui serait après l’accident), et avoir travaillé à temps partiel pendant ce temps. De toute manière, une déclaration d’impôt sur le revenu du réclamant pour l’année d’imposition 201015 confirme des revenus de 12 738 $ (feuillet T4). En septembre 2010, le réclamant a commencé sa troisième et dernière année d’études en comptabilité d’entreprise au Collège Conestoga. En décembre 2010, le réclamant a décidé de demander un congé à Nordia Inc. : il en était à sa dernière année d’études et souhaitait être certain d’avoir suffisamment de temps pour étudier. Son dossier d’emploi contient une lettre de démission, en vigueur le 8 décembre 2010, bien que le FDIO-2 au dossier indique que son congé a commencé le 15 janvier 2011. Dans 15 Pièce 1, onglet 88. 13 son formulaire de demande de congé autorisé, le réclamant affirme qu’il souhaite reprendre son poste le 15 avril 2011, après avoir terminé ses études. Le réclamant n’est retourné travailler chez Nordia qu'après l’accident. La preuve indique qu’il a est revenu chez Nordia en juin 2011. La preuve indique également que le réclamant a occupé un autre emploi à temps partiel après avoir pris congé de Nordia en janvier 2011, et ce, jusqu’au moment de l’accident. Le réclamant était employé d’une entreprise familiale connue sous le nom de Shah Caster inc., ce que confirment le FDIO-1 du réclamant et son témoignage pendant l’interrogatoire sous serment. Une fois de plus, la preuve ne permet pas d’établir avec certitude les revenus gagnés par le réclamant grâce à son emploi chez Shah Caster inc. Il a avoué candidement pendant son interrogatoire sous serment qu'il n'avait pas déclaré les gains générés par cet emploi à l’Agence du revenu du Canada, de sorte qu'aucune déclaration de revenus ne permet de confirmer ce revenu. Selon le témoignage sous serment du réclamant, il travaillait de 10 à 12 heures par semaine chez Shah Caster inc., à un salaire d’environ 15 $ l’heure. Il était payé en espèces, sans retenues légales. Le réclamant a estimé que cet emploi lui avait permis de gagner de 150 $ à 180 $ par semaine. En acceptant la véracité du témoignage du réclamant quant à son emploi chez Shah Caster inc. (et je n’ai aucune raison de conclure que le réclamant n’a pas dit la vérité à propos de cet emploi), ses gains chez Shah Caster inc. auraient effectivement 14 remplacé les revenus de son travail à temps partiel chez Nordia Inc. pendant son congé de Nordia, de janvier 2011 à la date de l’accident. Selon cet examen de l’histoire du réclamant jusqu’à l’accident du 22 avril 2011, je conclus qu’une période raisonnable pour déterminer s'il était dépendant essentiellement est la période d’un an menant à l’accident, soit environ à partir d’avril 2010. Je dirais que le portrait de la situation du réclamant est suffisamment uniforme et clair sur presque deux ans, soit à partir de mai 2009, alors qu’il a commencé à travailler chez Nordia Inc., qu'un décideur serait justifié de choisir cette période plus longue pour l’analyse du degré de dépendance. La seule raison pour laquelle j’ai choisi la période plus courte réside dans l’incertitude concernant les revenus de 2009 du réclamant et dans le fait que les éléments de preuve concernant ses dépenses pendant cette période plus longue sont incomplets. Je considère que la période approximative d’un an menant à l’accident est une période appropriée pour l’analyse du degré de dépendance : à cette époque, le réclamant avait atteint un stade de sa vie où il s’était rangé et poursuivait des objectifs d’études et d’emploi à long terme. Alors dans la vingtaine, le réclamant avait démontré son intention de faire des études sur plusieurs années, tout en faisant la démonstration d’un sens des responsabilités nécessaire pour prendre soin de lui-même, par le maintien d’un emploi pendant cette période. Bien qu’il ait choisi d’interrompre brièvement son emploi chez Nordia Inc. pour terminer la dernière partie de ses études, il ressort clairement de la preuve que son intention était de reprendre cet emploi dès que possible après ses études au Collège Conestoga. Dans tous les cas, il a continué à travailler à temps partiel chez 15 Shah Caster inc. immédiatement après avoir pris congé de chez Nordia Inc., et ce, jusqu’à la date de l’accident. Je ne crois pas qu’il soit approprié de remonter plus loin qu’à mai 2009 pour l’analyse visant à déterminer s'il était essentiellement dépendant puisqu'à mon avis, ce serait tenir compte d’un stade plus précoce de la vie du réclamant, qui n’est pas représentatif de sa situation au moment de l’accident. Avant cette période, il sortait tout juste de l’adolescence et essayait de trouver sa voie dans le monde des études postsecondaires. Il n’occupait pas d’emploi régulier et venait de vivre le deuil que représentait la perte son père. La preuve indique qu’à l’été 2008, après sa première année d’études avortée au Collège Mohawk, plutôt que de travailler, il est s’est rendu au Pakistan, son pays natal, et y est demeuré quelques mois. Dans le cadre de l’examen de l’histoire du réclamant, j’ai déjà analysé la situation du réclamant concernant ses conditions de logement et d’emploi. Je vais maintenant examiner les autres éléments pertinents à la question de savoir s'il était essentiellement dépendant. Un des éléments à évaluer est le fait que le réclamant recevait de l’aide financière gouvernementale, sous forme de prêts et bourses dans le cadre de ses études (« RAFEO »). Lors de son interrogatoire sous serment, le réclamant a affirmé qu’il a commencé à recevoir l’aide du RAFEO lorsqu’il a fréquenté le Collège Mohawk, de septembre 2007 à avril 2008. Il a reçu de 6 000 $ à 7 000 $ du RAFEO. De cette somme, il a dépensé de 5 000 $ à 5 500 $ pour ses droits de scolarité, ses livres et un espace de stationnement. Il lui restait donc entre 500 $ et 2 000 $ pour d’autres dépenses. 16 Au début de sa première année au Collège Conestoga, de septembre 2008 à avril 2009, il a reçu 6 000 $ du RAFEO. Ses droits de scolarité pour l’année se sont élevés à 4 000 $ et il estime le coût des livres et d’un espace de stationnement entre 700 $ et 1 000 $. Par conséquent, il lui restait entre 1 000 $ et 1 300 $ pour ses autres dépenses. Selon l’interrogatoire sous serment du réclamant, les sommes reçues dans le cadre du RAFEO pendant ses deuxième et troisième années au Collège Conestoga (2009-2010 et 2010-2011) n’ont couvert que ses droits de scolarité, soit environ 4 000 $ par année. Il a payé ses livres et son espace de stationnement par ses propres moyens. Le réclamant a terminé ses études avec une dette importante relative au RAFEO, soit dans les environs de 21 000 $ à 22 000 $. Cependant, il est important de souligner le fait que cette dette n’était pas exigible avant que ne se soient écoulés six mois après la fin des études du réclamant au Collège Conestoga. Par conséquent, le réclamant n’était pas tenu d’effectuer de paiements relatifs au RAFEO avant l’accident. Ni lui ni sa mère (ce qui est peut-être plus important pour l’analyse du degré de dépendance) n’avaient effectué de paiements sur ce prêt, à quelque moment que ce soit, avant l’accident du 22 avril 2011. Lors de son interrogatoire sous serment, le réclamant a précisé qu’à ce moment, il faisait des paiements de 122 $ par mois au RAFEO. La question, aux fins de l’analyse du degré de dépendance, consiste à savoir comment traiter les sommes reçues dans le cadre du RAFEO par le réclamant dans l’évaluation de ses ressources par rapport à ses dépenses. Des précédents proposent que les prêts ou l’aide aux études reçus du gouvernement par l’entremise d’un établissement d’enseignement ne doivent pas être attribués aux réclamants comme un 17 revenu ou des ressources tirées d’un emploi aux fins de l’analyse du degré de dépendance16. Toutefois, cela ne veut pas dire que leur valeur peut être ignorée aux fins de l’examen des dépenses avec lesquelles un réclamant peut devoir composer. En effet, les sommes provenant d’un prêt ou d’une bourse du gouvernement, ou d’une bourse d’études, affectées aux dépenses liées aux études sont un facteur neutre, puisqu’elles éliminent du calcul de la dépendance des dépenses qui n’ont pas à être assumées par le réclamant, ou quelqu’un au nom du réclamant dont il dépend essentiellement. En l’espèce, il serait injuste de considérer les 21 000 $ ou 22 000 $ du RAFEO reçus par le réclamant comme un revenu, sans tenir compte du fait que l’argent a été utilisé pour compenser des frais d’études qui auraient autrement été assumés par le réclamant. Je crois qu’il est cependant pertinent de tenir compte du fait que, selon le témoignage du réclamant, il restait une certaine somme d’argent sur les montants du RAFEO reçus par le réclamant, au moins dans les deux premières années de cette aide. Cette somme était à la disposition du réclamant pour payer des frais autres de ceux liés à ses études. Selon les estimations du réclamant sur lesquelles on choisit de s'appuyer, les montants disponibles supplémentaires auraient oscillé entre 1 500 $ et 3 300 $ sur deux ans. Il ne faudrait toutefois pas oublier que, dans ses deux dernières années Voir Personal Insurance Co. c. Allstate Insurance Co., [2009] O.J. nº 5021, (Cour supérieure de l’Ontario) (« Personal c. Allstate »). 16 18 d’études, le réclamant a payé ses livres et son espace de stationnement par ses propres moyens. Ultimement, les sommes reçues par le réclamant dans le cadre du RAFEO pourraient être assimilées à un rapport revenu/dépenses neutre. Aux fins de l’analyse visant à déterminer s'il était essentiellement dépendant, il est plus important de prendre note du fait que le réclamant a affirmé lors de son interrogatoire sous serment qu’il était seul responsable du paiement de la quasi-totalité de ses frais d’études, et qu’il y parvenait grâce à une combinaison du RAFEO et de ses propres moyens. L’échange suivant a eu lieu pendant l’interrogatoire sous serment du réclamant [traduction] : Q. D’accord. Avez-vous reçu de l’argent de votre mère pendant la période durant laquelle vous étiez aux études? R. Non... Q. ... À l’exception peut-être de deux cents dollars par année, vous − vous étiez responsable de payer tout ça (les dépenses d’études)? R. Oui. Aux fins de mon analyse, je n’accepte pas dans son sens littéral la suggestion voulant que la mère du réclamant ait contribué aux études du réclamant pour la somme exacte de 200 $ par année pendant chacune des quatre années durant lesquelles le réclamant a fréquenté un établissement d’enseignement postsecondaire. Cependant, il ressort clairement de ces éléments de preuve que la mère du réclamant ne contribuait pas de manière significative aux frais d’études du réclamant, et il n’y a certainement aucun élément de preuve qui suggère qu’elle ait contribué pour plus de la moitié du coût de ses dépenses d’études non couvertes par le RAFEO. 19 Cela peut être comparé avec la situation dans l’affaire Personal c. Allstate, dans laquelle les éléments de preuve indiquaient que les parents du réclamant avaient payé au moins un semestre complet des études universitaires du réclamant, soit des coûts de plus de 6 500 $. Le reste des coûts était couvert par la bourse d’études reçue par le réclamant. Je devrais également souligner, à ce stade-ci, que le réclamant a témoigné plus tard dans son interrogatoire sous serment concernant la contribution totale de sa mère à l’ensemble de ses dépenses. Ce que je retiens de ce témoignage ultérieur est que le réclamant avait l’intention d’inclure dans son estimation totale de la contribution de sa mère à ses dépenses toute estimation de ce qui avait servi à payer ses dépenses d’études. Cet élément est traité aux pages 26 et 27 de la présente sentence. Ayant examiné les propres moyens du réclamant pour subvenir à ses besoins, je me penche maintenant sur le soutien donné au réclamant par la mère du réclamant pendant la période précisée, en vue de déterminer si la mère du réclamant offrait une aide correspondant à 51 % ou plus des besoins du réclamant. En discutant de la situation du réclamant jusqu’au moment de l’accident, j’ai décrit ses conditions de logement et les détails financiers concernant les coûts du loyer et des services publics pour la maison de Cambridge. Dans l’année précédant l’accident, le réclamant ne contribuait pas uniformément ni particulièrement au coût du loyer et des services publics de la maison de Cambridge. L’interrogatoire sous serment du réclamant indique qu’il faisait des contributions périodiques à ce que j’appellerai « chambre et pension », en donnant de l’argent à sa 20 mère de temps à autre. Cet argent aidait à payer les dépenses associées à la maison de Cambridge, comme le loyer, l’épicerie et les frais de subsistance semblables. Il a estimé ses contributions de la sorte de 500 $ à 1 000 $ par année. Il ne fait aucun doute que le fait d’habiter à la maison de Cambridge avec sa famille représentait un avantage pour le réclamant. Les éléments de preuve permettant d’attribuer une valeur monétaire à cet avantage sont malheureusement rares. L’enquête est rendue encore plus difficile par le fait que les éléments de preuve concernant le coût du loyer et des services publics de la maison de Cambridge assumés par la mère du réclamant indiquent qu’il variait considérablement selon qu’elle travaillait ou non à un moment donné. En essayant de déterminer ce que vaut pour le réclamant le fait de vivre à la maison de Cambridge, il faut aussi se rappeler que le réclamant était un homme célibataire et qu’il disposait d’une seule pièce de la maison pour lui-même. Quatre ou six autres personnes habitaient à cet endroit. Vraisemblablement, le réclamant partageait l’utilisation des pièces communes du logement avec les autres résidents. Toutefois, s’il avait vécu de manière autonome, il n’aurait pas eu besoin d’une maison de quatre chambres à coucher. Une façon de déterminer ce que vaut pour le réclamant le fait de vivre avec sa mère et sa famille dans la maison de Cambridge est d’essayer de déterminer le coût raisonnable qu’aurait dû assumer le réclamant s’il avait dû vivre de façon autonome dans l’année menant à l’accident. C’est l’approche préconisée par Jevco. Une fois de plus, les éléments de preuve pouvant aider à répondre à cette question sont très limités. 21 Un document de la Société canadienne d’hypothèques et de logement, intitulé Rapport sur le marché locatif, Faits saillants − Ontario, a été déposé en preuve17. Ce document contient un tableau comparatif indiquant le coût de différents types de logements dans plusieurs régions de l’Ontario d’octobre 2010 à octobre 2011. Il semble que l’objectif du Rapport sur le marché locatif était de comparer l’évolution des taux d’inoccupation dans les différentes régions de la province au cours de cet intervalle d’un an. En d’autres termes, le document ne semble pas avoir été élaboré principalement dans le but de confirmer les coûts de location de certains logements à ces moments. Il contient néanmoins de l’information à ce sujet. Pour la région de Kitchener − Cambridge − Waterloo, le coût de location d’un studio en octobre 2010 était 589 $ par mois. En octobre 2011, le coût était 608 $ par mois. Rien n’indique si ses montants incluaient le coût des services publics. À mon avis, l’information contenue dans le Rapport sur le marché locatif est d’une valeur limitée pour résoudre la question en litige. Ce document concerne le coût du logement dans un appartement privé, et n’aborde pas le coût d’un logement subventionné par le gouvernement, comme celui qu’occupaient le réclamant et sa famille pendant la période pertinente. Le réclamant était considéré comme un étudiant à temps plein à l’époque des faits. S’il avait dû vivre de manière autonome, sa situation permet de tirer l’inférence raisonnable selon laquelle il aurait possiblement tenté de trouver et de se qualifier pour obtenir un logement subventionné. Il aurait également pu avoir la possibilité de demander 17 Pièce 1, onglet 92 (« Rapport sur le marché locatif »). 22 un logement en résidence au Collège Conestoga, ce qui, selon toute vraisemblance, aurait été moins dispendieux qu’un appartement privé. Enfin, le réclamant aurait également pu partager un logement, soit en résidence, soit dans une habitation privée, ce qui aurait été moins coûteux que de vivre seul dans un logement privé. Aucun élément de preuve ne me permet d’établir le coût de ces solutions possibles, et je ne veux pas spéculer sur ce qu’aurait représenté le coût de ces solutions pour le réclamant. De telles hypothèses ne tiendraient également pas compte de la valeur « pension » du fait de vivre à la maison, avec au moins certains repas fournis par la mère du réclamant. D’autre part, je ne suis pas prêt à conclure que le coût qu'aurait eu à assumer le réclamant, s’il avait vécu de façon autonome à l’époque des faits, aurait nécessairement été de l’ordre de 589 $ à 608 $ par mois sur la seule base du Rapport sur le marché locatif. Le réclamant vivait dans un logement partagé et il était classé comme un étudiant à temps plein à l’époque des faits. Ces facteurs auraient pu influencer ses options d’hébergement s’il avait dû vivre de façon autonome. Attribuer un coût du logement en se basant seulement sur un logement individuel privé ne tiendrait pas compte de cette situation. Dans ses observations écrites, l’avocat de TD a présenté l’argument selon lequel une allocation comprise entre 100 $ et 250 $ par mois devrait être attribuée au réclamant pour la valeur du loyer et des services publics, calculée en répartissant le coût de 600 $ à 1 000 $ par mois pour le loyer et les services publics de la maison de Cambridge entre 23 quatre ou six résidents, selon que la sœur et le mari de la sœur du réclamant vivaient ou non à la maison de Cambridge à l’époque des faits. Cette approche constitue vraiment l’envers de la médaille de la position défendue par l’avocat de Jevco. Je ne crois pas qu’une telle approche représente adéquatement la réalité des coûts probables engagés par une personne vivant seule dans une maison en rangée dans une ville de taille moyenne du sud de l’Ontario en 2010-2011. Cette approche exige des hypothèses extrêmement favorables de la probabilité que le réclamant obtienne un logement bon marché ou subventionné équivalent à ce qu’il avait en habitant avec sa famille. Cet argument ne tient également pas compte de la valeur de la « pension ». Les éléments de preuve indiquent que la mère du réclamant fournissait une certaine quantité de nourriture et de repas au réclamant. J’ai déjà mentionné le témoignage du réclamant selon lequel il contribuait de 500 $ à 1 000 $ par année aux frais généraux du logement associés à la maison de Cambridge. En supposant une contribution annuelle moyenne de 750 $, cela permettrait de générer une contribution moyenne mensuelle de 62,50 $. Ce montant permettrait de pallier en partie à la valeur de la « pension » reçue par le réclamant sous la forme de nourriture et de repas, mais, à mon avis, il resterait un déficit mensuel important entre ce qu’il en aurait probablement coûté au réclamant s’il avait vécu de façon autonome et avait acheté sa propre nourriture. Tout bien considéré, je pense que ce serait sous-estimer le coût de la vie autonome pour le réclamant que de l’évaluer entre 100 $ et 250 $ par mois. Même en tenant compte d’un modeste 150 $ pour la nourriture (à peine 5 $ par jour), et en prenant 24 la moyenne de la valeur de 100 $ à 250 $ suggérée par TD pour le loyer et les services publics (175 $), le total serait quand même 325 $ par mois. Je soupçonne que le coût de la vie autonome aurait dépassé même ce montant et qu’il aurait été difficile pour le réclamant d’y arriver sans un certain soutien d’une autre source. Je crois que ce point est reconnu par TD. L’avocat de TD, dans ses observations écrites, admet qu’il est probable que le réclamant n’aurait pas eu les moyens de vivre de façon autonome sans assistance. Un compromis entre les deux approches pour évaluer la « chambre et pension » dont bénéficiait le réclamant en vivant avec sa famille à la maison de Cambridge est à mon avis l’approche la plus raisonnable. Même en faisant cela, cependant, il est difficile d’obtenir une valeur qui ne comporte pas un certain élément de conjecture, en raison de l’absence d’éléments de preuve sur la question. Par conséquent, je vais traiter cette question en réaffirmant ce que j’ai déjà décrit comme un principe important à respecter par les décideurs qui doivent déterminer si une personne est essentiellement dépendante d'une autre. La question ne consiste pas à savoir si le réclamant pouvait ou non vivre de façon autonome sans assistance, mais de savoir si la mère du réclamant contribuait à plus de 50 % des besoins du réclamant. Comme la jurisprudence l’a établi, un réclamant peut recevoir une certaine aide d’une autre source pour combler ses besoins, mais il ne sera pas essentiellement dépendant de cette source si elle ne comble pas plus de la moitié des besoins du réclamant. En ce qui concerne la question de la chambre et pension, sans lui attribuer une valeur précise, il me semble qu’en l’espèce la mère du réclamant, en tant que locataire de la maison de Cambridge, faisait une contribution significative aux besoins du 25 réclamant, en ce sens que le réclamant pouvait profiter du logement subventionné à la disposition de sa famille grâce à cet arrangement. Je crois qu’il est peu probable que le réclamant ait été en mesure de vivre de façon autonome par ses propres moyens. Il aurait probablement eu besoin d’une aide financière d’une autre source. Cependant, c’est là un seul facteur parmi de nombreux autres dont il faut tenir compte pour décider si la mère du réclamant comblait plus de 50 % des besoins du réclamant. Pendant son interrogatoire sous serment, le réclamant a indiqué qu’il dépensait environ 100 $ à 200 $ par mois pour son habillement et des accessoires, ses articles de toilette et ses cigarettes. Le réclamant a témoigné avoir engagé des frais de téléphone cellulaire dans l’année précédant l’accident, pour une somme allant de 40 $ à 60 $ par mois. Le total annuel de ces dépenses se chiffre de 480 $ à 720 $. Des éléments de preuve indiquent qu’il recevait une aide périodique de sa mère pour payer sa facture de téléphone cellulaire. Comme dans le cas de ses dépenses d’études, le réclamant a inclus dans son estimation globale ultérieure de la contribution de sa mère à ses dépenses toutes les sommes qu’elle versait périodiquement pour le paiement de sa facture de téléphone cellulaire. En ce qui concerne ses dépenses de divertissement, comme les repas au restaurant et le cinéma, le réclamant a affirmé qu’il dépensait entre 150 $ et 200 $ par mois. Le total annuel de ces dépenses se chiffre de 1 800 $ à 2 400 $. 26 Le réclamant ne possédait pas de véhicule. Il utilisait le véhicule de sa mère. Il a témoigné avoir fourni de 150 $ à 250 $ par mois pour les frais d’essence et d’entretien de ce véhicule. Le total annuel de ces dépenses se chiffre de 1 800 $ à 2 400 $. Le réclamant a témoigné à propos de ses cartes de crédit et de la dette qu’il avait accumulée à l’égard de ces cartes de crédit. Son témoignage est difficile à suivre dans la transcription, mais il semble qu’il avait une carte de crédit de la Banque TD, obtenue plusieurs années avant l’accident, peut-être dès 2006. Il a omis d’effectuer ses paiements sur le solde en temps opportun; la Banque TD a donc annulé sa carte de crédit. Cet incident semble s’être produit en 2006 ou en 2007. La dette et les intérêts accumulés sur la carte de crédit de la Banque TD s’élevaient à environ 9 000 $ au moment de son interrogatoire sous serment. Il effectuait des paiements mensuels irréguliers d’environ 70 $ à 100 $ sur la dette de cette carte de crédit. Le réclamant recevait parfois de l’aide de sa mère pour effectuer des paiements, mais les montants versés par la mère du réclamant ont été inclus dans l’estimation du réclamant de sa contribution annuelle globale à ses dépenses. Le réclamant a témoigné qu’il avait aussi une carte de crédit MBNA. Il ne se rappelait pas à quel moment il avait obtenu cette carte. Il a estimé que les paiements mensuels sur cette carte de crédit sont d’environ 30 $ à 40 $. Au moment de l’accident, la carte était presque à sa limite de 1 000 $. Après l’accident, cette dette a augmenté à 2 500 $. En 2013, il a payé la moitié de ce montant. Pendant son interrogatoire sous serment, il a affirmé qu’il avait l’intention de payer l’autre moitié le mois prochain. 27 Lorsqu’il lui a été demandé si sa mère l’avait aidé avec des paiements sur la carte de crédit MBNA, il a déclaré qu’il ne s’en souvenait pas. Après l’examen des diverses dépenses du réclamant, la question suivante a été posée au réclamant pendant l’interrogatoire sous serment (page 39 de la transcription) [traduction]: Q. Alors, mettons tout ensemble, y compris les droits de scolarité, les livres, la subvention pour le téléphone cellulaire, tout, toutes vos dépenses; selon vous, combien maman a-t-elle contribué à vos dépenses entre avril 2010 et avril 2011? Après une légère digression à propos de la contribution de la mère du réclamant au coût des contraventions de stationnement, l’échange suivant a eu lieu (page 40) : Q. D’accord. Tenez donc compte de ces contraventions et donnez- moi une estimation de la hauteur à laquelle elle a contribué à vos dépenses... (entre avril 2010 et avril 2011). R. … toute l’année? Donc, vous me demandez le montant de sa contribution pour toute l’année, y compris tout, les contraventions de stationnement, quelque chose comme ça? Q. Oui. R. Ça pourrait être n’importe quoi − n’importe quoi à partir de mille à 2 000 $. Vous m’en demandez trop. Selon mon interprétation de cette séquence de questions et réponses du témoignage du réclamant pendant l’interrogatoire sous serment, outre la valeur de la chambre et pension dont bénéficiait le réclamant en vivant à la maison de Cambridge, la mère du réclamant a contribué pour un total de 1 000 $ à 2 000 $ à toutes les dépenses du réclamant pendant l’année menant à l’accident. 28 Dans le tableau ci-dessous, j’établis sommairement ce que je considère comme étant une interprétation raisonnable des éléments de preuve concernant les ressources du réclamant pour subvenir à ses propres besoins, les dépenses du réclamant et la contribution financière aux dépenses du réclamant faite par la mère du réclamant. Je n’ai inscrit aucun montant dans la catégorie des dépenses « chambre et pension » du réclamant, étant donné que les éléments de preuve sur la question sont incertains. J’ai traité de cette question aux pages 29 et 30. Ressources du réclamant Dépenses du réclamant Contribution de la mère du réclamant 700 $ par mois* 670 $ par mois** 125 $ par mois*** * Selon le revenu mensuel net moyen du réclamant, traité aux pages 11 à 14 de la présente sentence. ** Selon le total des estimations médianes du réclamant de ses dépenses mensuelles pour les vêtements et accessoires, les articles de toilette, les cigarettes, le téléphone cellulaire, le divertissement, l’utilisation d’un véhicule et les paiements sur les cartes de crédit, comme il est discuté aux pages 25 et 26 de la présente sentence. *** Selon une moyenne mensuelle des estimations médianes du réclamant concernant la contribution de sa mère au total de ses dépenses dans l’année précédant l’accident, comme il est discuté aux pages 26 à 27 de la présente sentence. Considérant que les éléments de preuve indiquent que le réclamant avait des dettes au moment de l’accident, et que des éléments de preuve indiquent que son compte bancaire était dans une situation de découvert d’environ 500 $, il se pourrait bien que la moyenne de l’estimation du réclamant de ses dépenses mensuelles sous-estime lesdites 29 dépenses. Il ne semblait certainement pas sur la voie du progrès financier au moment de l’accident. Même avec la contribution aux besoins financiers du réclamant attribuée à sa mère, on constate qu’il avait peine à arriver. Bien entendu, il serait possible de faire valoir que le réclamant, ayant un logement sûr avec sa famille, pouvait dépenser beaucoup plus d’argent sur des articles qui ne sont pas considérés comme des besoins essentiels. Comme il est discuté dans la jurisprudence, s’il engageait des dépenses pour améliorer son mode de vie, sachant qu’il avait des dépenses minimales pour sa chambre et pension, il ne faudrait pas inclure dans l’analyse de son degré de dépendance les dépenses qui peuvent être associées à une amélioration du mode de vie. Aucun élément de preuve particulier n’a été produit pour traiter de cette question. Une fois de plus, je refuse donc de faire des hypothèses sur la nature ou le montant des dépenses du réclamant pouvant être considérées comme des améliorations à son mode de vie plutôt que des besoins essentiels. Cependant, je crois que le fait de tenir compte de ce point justifie de prendre une moyenne des estimations du réclamant de ses dépenses, plutôt que de présumer qu’elles concernent toutes des besoins essentiels, et qu’elles sont sous-estimées en raison de son endettement. Conclusion La question primordiale aux fins de l’analyse du degré de dépendance ne consiste pas à savoir si le réclamant était en mesure d’assumer toutes ses dépenses. Il s’agit de savoir s’il était en mesure d’assumer plus de 50 % de ses dépenses par ses propres 30 moyens. S’il l’était, alors il n'était donc pas essentiellement dépendant d’une autre source d’aide. Si le réclamant n’était pas en mesure d’assumer plus de 50 % de ses dépenses par ses propres moyens, la question suivante en l’espèce est : le réclamant a-t-il reçu une aide financière de sa mère pour assumer plus de 50 % de ses dépenses? Si oui, alors le réclamant est essentiellement dépendant de l’aide de sa mère. Si le réclamant a reçu une aide financière de sa mère, mais que cette aide était inférieure à 50 % de ses dépenses, il n'est pas essentiellement dépendant de l’aide de sa mère. À mon avis, le constat est clair : même en tenant compte des fluctuations à la hausse de ses dépenses mensuelles telles qu'estimées par le réclamant, il avait suffisamment de ressources, grâce à ses revenus d’emploi chez Nordia Inc. et Shah Caster inc., pour combler plus de 50 % de ses besoins financiers pendant la période pertinente pour l’analyse du degré de dépendance. S’il fallait attribuer une valeur à la chambre et pension et l’inclure dans les dépenses du réclamant, en fonction des calculs de mon tableau, une telle valeur devrait s’élever à plus 730 $ par mois avant que les propres moyens du réclamant représentent moins de 50 % de ses dépenses (c’est-à-dire, il faudrait que les dépenses du réclamant dépassent 1 400 $ par mois pour que ses propres moyens de 700 $ représentent moins de 50 % de ses dépenses). Bien que l’on puisse faire valoir que la valeur de la chambre et pension à affecter aux dépenses du réclamant doive être supérieure au maximum de 250 $ par mois 31 suggéré par TD, aucun élément de preuve ne permet d’étayer la conclusion qu’elle devrait être supérieure à 730 $ par mois. En tenant compte de l’ensemble de la preuve pertinente à la période d’une année précédant l’accident, il est à mon avis raisonnable de conclure que même si le réclamant n’arrivait pas toujours à assumer toutes ses dépenses, il pouvait, par ses propres moyens, assumer plus de 50 % de ses dépenses tout au long de la période pertinente. Le réclamant recevait une aide financière de sa mère. Il s’appuyait sur cette aide pour assumer certaines de ses dépenses. Cependant, je considère que les éléments de preuve ne permettent pas d’établir que la mère du réclamant offrait une aide financière représentant plus de 50 % des besoins financiers du réclamant. Par conséquent, pour ces motifs, je conclus comme suit : 1) Le réclamant n'était pas essentiellement dépendant de l’aide financière de sa mère. 2) Jevco est l'assureur prioritaire et demeure responsable du paiement de l’indemnité au titre de l’AIAL au réclamant. 3) TD, à titre de partie gagnante, est en droit de recouvrer auprès de Jevco ses frais d’arbitrage, y compris sa part des honoraires et des débours de l’arbitre. Si les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord sur le montant des frais, ou si d’autres questions relatives au montant des dépens sont soulevées par les parties et qu’elles désirent faire des observations, je les invite à communiquer avec mon coordonnateur pour planifier une conférence téléphonique en vue de discuter d’arrangements possibles pour régler la question des dépens. 32 Fait à Toronto, ce 16e jour d’octobre 2015. ____________________________ Scott W. Densem, arbitre 33