3 Le peintre Majorelle

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3 Le peintre Majorelle
Maroc’31
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COMMENTAIRE
JEAN-LUC PIERRE
Les couleurs du Maroc
n 1930, Jacques Majorelle connaît la
consécration, tant à Casablanca qu’à
Paris, par l’exposition de ses œuvres
sur les paysages du sud marocain.
C’est l’année de la publication d’un
superbe ouvrage préfacé par Lyautey et intitulé
«L’Album des Kasbahs». «La Vigie Marocaine»
se fait volontiers l’écho des productions d’un
artiste qui œuvre à promouvoir ce pays
magnifique. Ce journal lui passera d’ailleurs
commande d’une toile intitulée «Les Allamates»
pour l’Exposition Coloniale en 1931. C’est
d’ailleurs aux cimaises de l’Exposition que les
œuvres de Majorelle sont présentées. Majorelle
découvre le Maroc en 1917. Il a 31 ans. Avec l’appui
total de Lyautey, son compatriote vosgien, il
s’installe à Marrakech qui commence à devenir
une ville de séjours touristiques. Fasciné par la
capitale du sud marocain, il en transfigure les
charmes dans ses premières compositions aux
couleurs vives. Majorelle doit se faire un
prénom. Il est le fils de Louis Majorelle, le grand
artiste de «l’art nouveau» de «l’école de Nancy».
Dès 1918, une première exposition est organisée
au Maroc dans le hall du tout nouvel hôtel
Excelsior à Casablanca. S’il vit, peint et vend à
Marrakech, c’est à Casablanca, tant à la Vigie
qu’à la Galerie Derche ou à la galerie VeniseCadre, que tout au long de sa vie, Majorelle
expose ses oeuvres. Sa fascination pour le sud
marocain remonte au début des années 20. Il
entreprend alors des expéditions de plusieurs
semaines dans l’Atlas à la recherche de la lumière
incomparable des montagnes marocaines, du
mode de vie des villageois et des couleurs
flamboyantes des costumes traditionnels.
Comme tous les Européens parcourant ces
espaces à la recherche de l’authenticité,
Majorelle cède à la comparaison facile avec
l’époque féodale, comme si le Maroc était un
conservatoire de quelque passé commun. «Ici,
écrit-il, on oublie son époque et soi-même et on se
laisse vivre en plein Moyen-Age». Ces expositions
à Paris ont un énorme succès et constituent un
moyen de promotion pour le tourisme naissant
au Maroc. Avec d’autres artistes, Majorelle
consacre son talent à la composition d’affiches
orientalistes vantant la beauté d’un hiver au
Maroc. Dans les gares, les agences, les lieux où
passe une clientèle aisée, les superbes affiches
promotionnelles aux couleurs chaudes
proposent le soleil et l’exotisme du sud marocain,
le charme envoûtant de Marrakech ou le
cosmopolitisme de Tanger. A partir de 1923,
Jacques Majorelle fait construire une villa et un
atelier à la limite de la palmeraie et du Guéliz au
milieu d’un parc de 4 hectares. Son décor et ses
couleurs mêlent l’influence européenne de l’art
nouveau à l’art traditionnel marocain. La
profusion végétale des motifs des arts de l’école
de Nancy se retrouve dans le vaste jardin.
Cactées, fleurs tropicales, fougères, palmiers
disputent l’espace à des bassins répartis dans
cette sorte d’oasis luxuriante. Dans les années 50,
le bâti et le parc furent séparés, le domaine
morcelé. Cependant, une partie de la propriété a
été conservée et magnifiquement restaurée.
Aujourd’hui, un voyage à Marrakech ne se
conçoit pas sans ce passage obligé. Artiste
complet comme son père, Jacques Majorelle
applique un ton particulier à des boiseries,
meubles peints ou maroquineries qu’il présente
à l’ «Exposition des Arts décoratifs» en 1925. Il a
d’ailleurs laissé à l’histoire des couleurs le bleu
majorelle. Ses toiles et ses objets se fondent
admirablement dans les architectures art-déco
qui se construisent alors. On peut encore voir,
dans les escaliers de la wilaya de Casablanca,
deux de ses immenses toiles peintes en 1937 et
intitulées «L’Aouach» et «Le Moussem».
E
MarocSoir
10•02•2006
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Le peintre Majorelle
ARCHIVES MAROC SOIR
L’art de Majorelle
au service
du développement
touristique
du Maroc.
La «Vigie Marocaine»
Documents
Le 13 décembre 30. «Nos artistes
marocains, peintres ou sculpteurs, en vivant leur rêve
de beauté, apportent leur
pierre à l’édifice économique de
ce pays. En effet l’art constitue
un propagandiste de premier
ordre.
Pendant douze jours, le
Tout-Paris vient de défiler devant les toiles de notre peintre
marocain Jacques Majorelle.
«Emballé» par l’Atlas et ses
Kasbahs, Majorelle a révélé à la
capitale une région inconnue et
insoupçonnée. De cette architecture si originale de nos châteauxforts, il a amplifié la noblesse
comme il convient à toute œuvre
d’art.
Ces paysages du Sud, tout
vibrants de lumière, ce peintre
les a haussés d’or et d’argent et,
avec le beige, le rose et l’ocre rouge des tours féodales, il a mis devant les yeux des visiteurs des
décors qui paraissent irréels.»
Un critique d’art a jugé ainsi
la palette de Majorelle : «Le coloris varie suivant les heures du
jour et les saisons de l’année :
gris argent avec les matinées ou
les printemps, il est d’un fauve
clair sous le soleil des midis, rose, orange, violet, sombre avec
les crépuscules.
Mais alors une bande d’argent
derrière la crête d’une montagne ou sur un coin de ruisseau,
vient aviver l’ensemble, donner
de la profondeur et du relief.
Les ombres nettes tombent
au coup de hache du grand
soleil et parfois elles semblent
bleues.» Voilà de la publicité
touristique : quelle plus éloquente invitation au voyage ! Dans
les gares des grandes villes
h
Affiche de
Jacques
Majorelle.
Le grand
Atlas, vallée
de l’ounila,
1923.
d’Europe, dans les lieux les plus
fréquentés par l’élite cosmopolite, Derche, cet autre bel artiste de notre Maroc, lui aussi, par
ses belles affiches, donne le
conseil de passer «l’hiver et le
printemps au Maroc».
Ville d’hivernage. «Comme
nous l’avons précédemment
annoncé, Marrakech a eu
cette semaine la visite de M.
Fleuranceau, administrateur de
la Société chérifienne d’hivernage, accompagné de M. Chaumel,
ingénieur de la société française de salubrité. Ces messieurs
sont venus dans la capitale du
Sud pour étudier sur place diverses questions préliminaires
avant le lancement effectif de la
Cité d’hivernage.»
racle qu’il ne s’y produise pas
plus d’accidents. Nous souhaitons que leurs justes réclamations aboutissent.»
Hygiène publique. 10 octobre
1930. «Pendant le mois de
septembre, il a été procédé
à l’épouillage et à la désinfection
de 2.359 indigènes ramassés
à Marrakech au cours des rafles
de miséreux faites journellement.
L’état sanitaire de la ville est
actuellement très bon. La Société chérifienne d’hivernage qui a
investi des capitaux considérables dans sa cité de luxe ne
veut pas courir le risque de voir
ses efforts annihilés par la menace d’une épidémie. Dans peu
d’années notre cité connaîtra le
rayonnement mondial qu’elle
mérite par son site, son climat
et son ciel.»
histoire plus
Octobre 1930,
les palmes
de Marrakech
BAB-DOUKKALA. 9 octobre.
«Les habitants de l’avenue de
Bab-Doukkala et ceux du quartier du même nom qui, travaillant au Guéliz, l’empruntent
pour rentrer chez eux la nuit, seraient reconnaissants au service compétent de vouloir faire le
nécessaire pour que cette avenue très fréquentée devienne
praticable et reçoive quelques
soins d’entretien en ce qui
concerne la chaussée qui se
transforme en un nuage de
Tirailleurs
marocains
devant le
pavillon de
l’exposition
de Jacques
Majorelle à
Paris.
PHOTO J.
HILPERT, 1931
poussière, chaque fois qu’un véhicule quelconque passe ;
d’autre part, cette avenue n’est
pas éclairée la nuit et c’est mi-