Intérêt du drainage après pancréatectomie - Chirurgie

Transcription

Intérêt du drainage après pancréatectomie - Chirurgie
SOMMAIRE
Organisateurs :
C. MARIETTE (Lille)
1. Pancréatectomie
C. SABBAGH (Amiens)
2. Gastrectomie totale
M. MESSAGER (Lille)
3. Proctectomie
E. RULLIER (Bordeaux)
4. Hépatectomie
A. SA CUNHA (Villejuif)
PANCREATECTOMIE
Intérêt du drainage après pancréatectomie
Charles SABBAGH
Service de chirurgie digestive et oncologique, CHU Amiens, 80054 Amiens
Université de Picardie Jules Verne
Introduction
La chirurgie pancréatique est associée à une mortalité de 5% et une morbidité de 50%
[1]. Parmi les complications chirurgicales, la fistule pancréatique est la complication la plus
redoutée. Dans le rapport AFC 2010, le taux de fistule rapporté était de 14% après
duodénopancréactectomie céphalique (DPC) et de 26% après splénopancréatectomie
gauche. Leur incidence réelle reste néanmoins difficile à évaluer du fait de l’extrême variabilité
de leur définition [2].
Le drainage de la cavité abdominale après pancréatectomie et notamment au contact
des anastomoses est de pratique courante après chirurgie pancréatique. Il était rapporté dans
une enquête des pratiques faite auprès des centres de European–African Hepato- PancreatoBiliary Association (E-AHPBA).publiée en 2013, un taux de drainage de 93% après DPC et de
de 91%après pancréatectomie gauche [3]. Le but de ce drainage est d’une part d’évacuer le
liquide intra-abdominal afin d’éviter la confection de collections mais aussi de diagnostiquer
une fistule pancréatique [4] ou une hémorragie intra-abdominale pouvant menacer la vie du
patient.
L’intérêt du drainage a été remis en cause dans de nombreuses indications et n’est
actuellement plus recommandé après chirurgie colique, cholécystectomie en situation élective,
hépatectomie, gastrectomie ou splénectomie [5]. Le drainage abdominal peut par ailleurs avoir
ses complications propres, à type d’infection, d’hémorragie, de douleurs pouvant entrainer une
augmentation de la durée de séjour [6].
L’évaluation de l’intérêt du drainage après pancréatectomie est donc licite mais doit
prendre en compte les spécificités de la chirurgie pancréatique dans laquelle le diagnostic de
fistule, les techniques chirurgicales, les indications, la prévention du risque de fistule
pancréatique sont extrêmement variables et rendent difficile l’interprétation des données
disponibles.
Le but de cette revue de la littérature était donc d’évaluer les données disponibles quant
à la nécessité d’un drainage abdominal après pancréatectomie.
Matériels et méthodes
Une recherche systématique dans PubMed et dans la Cochrane database utilisant
séparément ou en combinaison les termes « pancreatectomy », « pancreactic resection »,
« pancreaticoduodenectomy », « Whipple procedure », « drain », « pancreatic fistula ». Les
références de chaque article ont par ailleurs étaient revus afin de ne pas méconnaitre de
données. Afin d’être inclus dans cette revue de la littérature, les articles devaient inclure des
résections pancréatiques de type DPC ou pancréatectomie gauche et devaient comparer la
présence et l’absence de drainage ou l’ablation précoce du drainage et l’ablation « classique »
du drainage. Seuls les articles pour lesquels l’accès au texte intégral était disponible ont été
intégrés.
Résultats
a/ Ablation précoce du drainage après pancréatectomie
Bassi et al. ont effectué la seule étude prospective randomisée évaluant la réalisation
d’un drainage court après pancréatectomie [4]. Les patients ayant eu une DPC ou une
pancréatectomie gauche et ayant une amylase dans les drains <5000U/l à J1 postopératoire
étaient inclus dans l’étude. En l’absence de signes de complications, les patients étaient
randomisés à J3. Dans le groupe expérimental, les modules de drainage étaient retirés à J3
et dans le groupe contrôle, les modules étaient retirés à J5 si la valeur de l’amylase dans les
drains était <200U/l, et plus tard à la convenance des investigateurs si elle était >200U/l.
L’hypothèse était que l’ablation des drains pouvait diminuer par 6 le taux de fistules
pancréatiques. Le critère de jugement principal était le taux de fistules pancréatiques. Il faut
noter qu’il s’agissait d’une étude monocentrique, la technique opératoire était standardisée,
pour les DPC, il était systématiquement réalisé une anastomose pancréatico-jéjunale, un drain
de penrose était mis au contact de la face postérieure de l’anastomose pancréatico-jéjunale
et un second au contact de l’anastomose hépatico-jéjunale. Pour les pancréatectomies
gauches, un drain de penrose était laissé au contact de la tranche de pancréatectomie. Les
auteurs ont mis en évidence une diminution significative du taux de fistule pancréatique dans
le groupe expérimental (1,8% vs 26%, p=0,0001). La seule fistule du groupe expérimental était
diagnostiquée sur la présence d’une collection péri-pancréatique drainée par voie
radiologique. Dans le groupe drainage classique, il y avait une fistule pancréatique de grade
C, 7 fistules de grade B et un 7 fistules de grade A. Le seul facteur de risque indépendant de
fistule anastomotique était l’ablation classique du drainage (p=0.0003, OR:24, IC95% : 2.672207.886). Les limites de cette étude reposent sur une sélection importante des patients
reposant sur un taux d’amylase <5000U/l à J1 post-opératoire et sur un liquide dans les
liquides de drainage n’apparaissant pas louche pour l’investigateur, ce critère pouvant induire
un biais de sélection. De la même façon, l’inclusion de patients ayant eu une DPC et une
pancréatectomie gauche ne permet pas de conclure sur l’une ou l’autre de ces interventions
pour lesquels la problématique est différente. Par chance, il n’y avait pas de déséquilibre dans
les groupes sur le type d’intervention alors que la randomisation n’était pas stratifiée sur le
type d’intervention. L’utilisation d’un drain de Penrose a par ailleurs était commenté, pour
certains celui-ci est associé à un taux plus élevé d’infections du site opératoire par
contamination rétrograde [7] alors que d’autres études suggèrent une réduction du risque de
fistules pancréatiques comparativement à l’utilisation d’un drain aspiratif [8]. Les résultats de
cet essai prospectif randomisé viennent confirmer les résultats de l’étude prospective avec
comparaison historique publiée par Kawai et al. Dans cette étude, de janvier 2000 à Janvier
2002, les modules de drainage (penrose et lame multitubulée au contact de l’anastomose
pancréatico-jéjunale et penrose au contact de l’anastomose hépatico-jéjunale) étaient retirés
à J8 et de Février 2002 à Décembre 2004, les modules étaient retirés au 4ème jour
postopératoire en l’absence de fistule pancréatique définie par la présence d’un liquide clair
dans les drains avec moins de 50 ml et un taux d’amylase dans les drains <3 fois la valeur de
l’amylase sanguine. Le critère de jugement principal de cette étude était le taux d’infections
intra abdominales, celui-ci était significativement moins élevé en cas d’ablation précoce des
modules de drainage (3,6% vs 23%, p=0,003). De même dans le groupe ablation précoce, le
taux d’infections intra abdominales (p=0,0003), le taux de collections intra abdominales étaient
significativement plus faible dans le groupe ablation précoce. Il était par ailleurs intéressant de
noter que la nécessité d’un redrainage était significativement plus faible dans le groupe
ablation précoce (3,7% vs 34,6%, p=0,0002). Dans cette étude, la durée de drainage était le
seul facteur indépendamment associé au risque d’infections intra abdominales (p=0,0024,
OR : 6,7, IC95%=1,9-22,7). La méthodologie de cette étude est bien sur discutable, afin de
minimiser l’impact du nombre de procédures (différent dans les deux groupes du fait de la
comparaison historique) sur le risque de fistules, les auteurs précisent que les deux chirurgiens
ayant opérés les patients avaient 20 ans et 25 ans d’expérience. Il faut noter que seules des
DPC étaient inclus dans cette étude [9].
Les conclusions de ces études semblent montrer qu’un drainage court est associé à une
diminution du taux d’infections du site opératoire et du risque de fistule anastomotique,
néanmoins il manque un essai prospectif randomisé étudiant spécifiquement la DPC, celui-ci
est actuellement en cours (protocole Drainage Pancréas, investigateur principal : Pr
Regimbeau, NCT01368094) et devrait permettre de répondre spécifiquement à la question de
l’intérêt d’un drainage court après DPC.
b/ Absence de drainage après pancréatectomie
Cinq études rétrospectives et deux essais prospectifs randomisés ont évalué la
faisabilité de l’absence de drainage après pancréatectomie.
En 1998, Heslin et al ont comparé rétrospectivement, 51 patients ayant eu un drainage
aspiratif à 38 patients n’ayant pas eu de drainage après DPC. Les auteurs retrouvaient une
diminution de la durée opératoire mais il n’y avait pas de différence, pour le taux de fistules
pancréatiques, d’abcès, de drainage radiologique ou de durée d’hospitalisation [10].
En 2011, Fisher et al. ont effectué une comparaison historique entre 179 patients ayant
été drainé (2004-2009) et 47 patients n’ayant pas été drainé (2009-2010). Dans cette étude,
les patients ayant eu des DPC et des pancréatectomies gauches ont été inclus, il n’y avait pas
de différence significative en terme de distribution entre les deux groupes. Il faut noter que
dans le groupe absence de drainage, il y avait significativement plus de patients dont le canal
de Wirsung était intubé par un drain (28% vs 57%, p<0,00001). Le taux de mortalité n’était pas
significativement différent entre les deux groupes (1% vs 1%, p=0,3), mais il y avait
significativement plus de fistules anastomotiques (44% vs 11%, p<0,0001) et de
gastroparésies dans le groupe drainage (24% vs 9%, p=0,02). Il faut toutefois noter que dans
le groupe absence de drainage, la nécessité d’un drainage par voie percutanée (2% vs 11%,
p=0,001) et le taux de réadmission (9% vs 17%, p=0,007) étaient significativement plus élevés
[11].
Dans une série rétrospective comparant 458 patients ayant eu une DPC sans drainage
à 251 patients ayant eu un drainage, Mehta et al. mettaient en évidence un taux plus élevé de
fistules pancréatiques (16% vs 8%, p<0,001), de complications post-opératoires (68% vs 54%,
p<0,001), et une durée de séjour plus longue (13,8j vs 11,3j, p=0 ,001) en cas de drainage. Il
faut néanmoins noter que les critères de drainage n’étaient pas précisés et que dans le groupe
drainage, il y avait significativement plus de pertes sanguines per-opératoires [12].
Dans une série rétrospective comparant 553 patients ayant eu la mise en place d’un
drainage à 569 patients n’ayant pas eu la mise en place d’un drainage, Correa-Gallego et al.
retrouvaient un taux plus élevé de fistules pancréatiques (27% vs 18%, p=0,001) et de
complications en cas de drainage (54% vs 48%, p<0,001). Il faut noter que la mise en place
d’un drain était laissée à l’appréciation du chirurgien et que dans cette étude, comme dans la
précédente, la durée opératoire et les pertes sanguines étaient significativement plus
importantes dans le groupe drainage [13].
En 2013, Adham et al. ont publié une analyse rétrospective à partir de données colligées
prospectivement et comparant 130 patients ayant été drainés et 112 patients n’ayant pas été
drainés. Les résections pancréatiques étaient des DPC et des pancréatectomies gauches
mais les résections pour pancréatite chroniques étaient exclues. Parmi les deux chirurgiens
séniors qui opérés les patients l’un drainé systématiquement les patients alors que le second
est passé d’une stratégie de drainage à une absence de drainage indépendamment de la
consistance du pancréas. Il faut noter qu’il y avait plus de pancréatectomies centrales dans le
groupe drainage (12,3% vs 3,6%, p=0,01). Les auteurs n’ont pas retrouvé de différence en
termes de taux de fistules pancréatiques (16% vs 13%, p=0,3) ou de taux de complications
globales (64% vs 67%, p=0,3). Les auteurs concluaient en l’absence de bénéfice de l’utilisation
du drainage [14].
Le premier essai prospectif randomisé a été publié par Conlon et al. en 2001 et comparé
88 patients drainés et 91 patients non drainés. Les patients ayant une DPC et une
pancréatectomie gauche étaient inclus. Le critère de jugement principal était le taux de
complications globales. Dans cet essai la fistule pancréatique était défini comme un débit de
plus de 30ml/j dans les modules de drainage associé à un taux d’amylase dans le drain e plus
de 150UI/l et/ou supérieur à trois fois la valeur de l’amylasémie au 5ème jour postopératoire.
Les auteurs se tenant à cette définition n’ont donc pas évalué le taux de fistules pancréatiques
dans le groupe absence de drainage. Les auteurs ne mettaient pas en évidence de différence
pour le taux de complications globales (63% vs 57%) ou pour le taux de mortalité (2% vs 2%)
[15].
Le dernier essai prospectif randomisé publié en 2013, relance le débat quant à la
nécessité d’un drainage. Alors que l’ensemble des études suscitées allaient dans le sens de
l’absence d’avantage au drainage, les conclusions du papier de Van Buren et al. sont
différentes. Dans cette étude, le critère de jugement principal était le taux de complications
supérieur ou égal à un grade II à 60 jours (complication nécessitant un traitement) selon la
classification du Common Terminology Criteria for adverse events. Il s’agissait d’une étude de
supériorité biliatérale. Au total, 68 patients étaient randomisés dans le groupe drainage et 69
dans le groupe absence de drainage. Le taux de complications supérieur ou égal à un grade
II à 60 jours était significativement plus élevé dans le groupe sans drainage (52% vs 68%,
p=0,047). Il y avait par ailleurs significativement plus de gastroparésies (24% vs 42%,
p=0,021), plus d’abcès intra-abdominaux (12% vs 26%, p=0,03), plus de diarrhées (3% vs
17%, p=0,005) et plus de collections intra-abdominales (2% vs 12%, p=0,03) dans le groupe
sans drainage. La durée d’hospitalisation était significativement plus longue dans le groupe
sans drainage (7j vs 8j, p=0,016). Il n’y avait pas de différences pour le taux de mortalité à 60j
(1% vs 9%, p=0,115). Il s’agit du seul essai prospectif randomisé spécifiquement dédié aux
DPC [16].
En conclusion, les données contradictoires de la littérature quant à la nécessité d’un
drainage systématique et notamment le caractère péjoratif de l’absence de drainage dans le
seul essai prospectif randomisé spécifiquement dédié aux DPC ne permettent pas de
recommander de ne pas drainer la cavité abdominale après pancréatectomie.
Conclusion
Les données actuelles de la littérature ne permettent pas de recommander un drainage
court ou l’absence de drainage abdominal après pancréatectomie, néanmoins l’ensemble des
données vont dans le sens d’un probable bénéfice à un drainage court chez des patients
sélectionnés
Références
1. Greenblatt DY, Kelly KJ, Rajamanickam V, Wan Y, Hanson T, Rettammel R et al.
Preoperative
factors
predict
perioperative
morbidity
and
mortality
after
pancreaticoduodenectomy. Ann Surg Oncol 2011;18:2126-2135.
2. Delpero JRPFBP. Cancer du pancréas. 2010.
3. Melloul E, Raptis DA, Clavien PA, Lesurtel M. Poor level of agreement on the
management of postoperative pancreatic fistula: results of an international survey. HPB
(Oxford) 2013;15:307-314.
4. Bassi C, Molinari E, Malleo G, Crippa S, Butturini G, Salvia R et al. Early versus late
drain removal after standard pancreatic resections: results of a prospective randomized trial.
Ann Surg 2010;252:207-214.
5. Mutter D, Panis Y, Escat J. [Drainage in digestive surgery. French Society of Digestive
Surgery]. J Chir (Paris) 1999;136:117-123.
6. Dougherty SH, Simmons RL. The biology and practice of surgical drains. Part 1. Curr
Probl Surg 1992;29:559-623.
7. Yeo CJ. Pancreatic surgery 101: drain, no drain, early drain removal, or late drain
removal. What are the data? Where do we go from here? Ann Surg 2010;252:215-216.
8. Schmidt CM, Choi J, Powell ES, Yiannoutsos CT, Zyromski NJ, Nakeeb A et al.
Pancreatic fistula following pancreaticoduodenectomy: clinical predictors and patient
outcomes. HPB Surg 2009;2009:404520.
9. Kawai M, Tani M, Terasawa H, Ina S, Hirono S, Nishioka R et al. Early removal of
prophylactic drains reduces the risk of intra-abdominal infections in patients with pancreatic
head resection: prospective study for 104 consecutive patients. Ann Surg 2006;244:1-7.
10. Heslin MJ, Harrison LE, Brooks AD, Hochwald SN, Coit DG, Brennan MF. Is intraabdominal drainage necessary after pancreaticoduodenectomy? J Gastrointest Surg
1998;2:373-378.
11. Fisher WE, Hodges SE, Silberfein EJ, Artinyan A, Ahern CH, Jo E et al. Pancreatic
resection without routine intraperitoneal drainage. HPB (Oxford) 2011;13:503-510.
12. Mehta VV, Fisher SB, Maithel SK, Sarmiento JM, Staley CA, Kooby DA. Is it time to
abandon routine operative drain use? A single institution assessment of 709 consecutive
pancreaticoduodenectomies. J Am Coll Surg 2013;216:635-642; discussion 642-634.
13. Correa-Gallego C, Brennan MF, D'Angelica M, Fong Y, Dematteo RP, Kingham TP
et al. Operative drainage following pancreatic resection: analysis of 1122 patients resected
over 5 years at a single institution. Ann Surg 2013;258:1051-1058.
14. Adham M, Chopin-Laly X, Lepilliez V, Gincul R, Valette PJ, Ponchon T. Pancreatic
resection: drain or no drain? Surgery 2013;154:1069-1077.
15. Conlon KC, Labow D, Leung D, Smith A, Jarnagin W, Coit DG et al. Prospective
randomized clinical trial of the value of intraperitoneal drainage after pancreatic resection. Ann
Surg 2001;234:487-493; discussion 493-484.
16. Van Buren G, 2nd, Bloomston M, Hughes SJ, Winter J, Behrman SW, Zyromski NJ
et al. A randomized prospective multicenter trial of pancreaticoduodenectomy with and without
routine intraperitoneal drainage. Ann Surg 2014;259:605-612.
GASTRECTOMIE TOTALE
Mise au point: Y-a-t-il un intérêt au drainage prophylactique après gastrectomie?
Mathieu MESSAGER
Service de Chirurgie Digestive et Générale, Centre Hospitalier Régional Universitaire de
Lille,
Hôpital
Claude
Huriez,
Place
de
Verdun
59037
Lille
Cedex
Tel: 03 20 44 44 07 - Fax: 03 20 44 43 85 [email protected]
Introduction
La sévérité des tableaux cliniques liés à une fuite anastomotique au niveau d’une
anastomose oesojéjunale après gastrectomie totale ou gastrojéjunale après gastrectomie
partielle justifie pour de nombreux chirurgiens la mise en place systématique d’un système de
drainage prophylactique à son contact. En effet, la fistule anastomotique représente la
principale complication chirurgicale observée après gastrectomie, son incidence variant de
2,7% à 10,6% selon les résultats des grandes séries publiées récemment [1,2].
Deuxièmement, dans cette situation, la mortalité est élevée et varie entre 19% et 62%. Ainsi,
à titre d’exemple, la fistule sur anastomose oesojéjunale après gastrectomie totale représente
une des premières causes de décès après gastrectomie totale [2,3].
Décrit pour la première fois par Ambroise Paré, l’utilisation d’un drainage de la cavité
abdominale est une longue tradition parmi les chirurgiens [4], dont l’intérêt serait de permettre
i) une détection précoce de la fistule, ii) un meilleur management de celle-ci, iii) d’éviter une
ré-intervention, iv) de permettre également le drainage d’autres collections postopératoires
(hématome, épanchement chyleux, abcès), v) une réduction de la durée de séjour, et vi) une
réduction de la morbi-mortalité postopératoire.
Néanmoins, cette attitude de drainage systématique après gastrectomie est
actuellement soumise à l’évaluation de la médecine factuelle, ce d’autant plus que certains
auteurs suggèrent que ces drains pourraient être à l’origine d’une augmentation du taux
d’infection de paroi et d’infection intra-abdominale, de douleurs liées au drain, d’une
répercussion négative sur la fonction ventilatoire, et au contraire d’une augmentation de la
durée d’hospitalisation [5,6]. De plus, pour de nombreuses autres procédures, l’intérêt du
drainage postopératoire a été remis en question : résections pancréatiques [7], hépatectomie
partielle [8], cholécystectomie [9], splénectomie [10], chirurgie colorectale [11], avec une
absence de bénéfice apporté par le drain dans chacune de ces indications. Enfin,
l’amélioration des techniques opératoires et des stratégies de conditionnement péri-opératoire
(nutrition, antibiotiques, etc.) a entrainé une diminution des complications postopératoires, et
il est donc nécessaire de remettre en question l’utilisation systématique des drains en cas de
gastrectomie.
Intérêt du drain vis-à-vis des suites postopératoires : morbi-mortalité / réintervention /
durée d’hospitalisation
Brièvement, avant 2004 et contrairement aux interventions de chirurgie hépatique ou
colorectale, aucune étude prospective randomisée n’était disponible sur l’intérêt du drain après
gastrectomie [12].
Cependant, depuis 2004, plusieurs essais randomisés ont été publiés dédiés à l’étude
de l’intérêt des drains après gastrectomie, avec pour certaines d’entre elles des analyses de
sous-groupe gastrectomie totale versus gastrectomie partielle (cf. Tableau I). En 2011, une
méta-analyse de la Cochrane a été publiée, regroupant ces 4 essais randomisés [13]. Les
principaux résultats de ces études pivot sont analysés ci-dessous, en différenciant chaque fois
que les données sont disponibles, gastrectomie totale versus gastrectomie partielle.
L’équipe coréenne de Kim et al a publié en 2004 un essai prospectif randomisé sur 170
patients ayant bénéficié d’une gastrectomie totale ou subtotale [14]. L’objectif primaire était
d’évaluer le taux de complications postopératoires à 30 jours. Il n’y avait pas de différence
entre le groupe drainage (n=86) et le groupe absence de drainage (n=84) sur ce critère. De
même, en analyse de sous-groupe (gastrectomie totale, n= 52), aucune différence significative
n’était retrouvée concernant le taux de complications à 30 jours.
Alvares et al. ont publié en 2005 les résultats d’un essai prospectif randomisé
comparant en cas de gastrectomie totale pour cancer 31 patients sans drain abdominal à 29
patients avec présence d’un drain mis en place en per opératoire [15]. Dans le groupe
drainage, 2 drains tubulés étaient placés de chaque côté de l’anastomose oesojéjunale. Dans
tous les cas l’anastomose oesojéjunale était une anastomose circulaire mécanique calibrée à
25mm. Le taux de complications postopératoires (dont la survenue de fistule) était plus
fréquent dans le groupe drainage (37,9 versus 9,7%, p=0,02), avec moins de ré-interventions
dans le groupe sans drain (9,7 versus 24,1%, p=0,124). La durée de séjour hospitalier était
plus court dans le groupe sans drain (12,9 versus 18,8 jours, p=0,02). Dans cette cohorte, un
patient est décédé de nécrose jéjunale dans le groupe drainage. Cependant, dans cette
publication, ni le calcul du nombre de sujets nécessaires, ni les objectifs primaires et
secondaires n’étaient clairement définis. De plus, d’autres facteurs prédictifs de survenue de
complications postopératoires (comme le score OMS, ASA, l’état nutritionnel) qui auraient pu
introduire des biais dans les résultats, à priori sur une cohorte de petit effectif n’ont pas été
analysés et doivent donc faire interpréter les résultats avec prudence.
En 2011, Wang et al. ont publié une méta-analyse de la Cochrane sur l’intérêt du
drainage pour gastrectomie pour cancer [13]. Apres avoir analysé 4 essais randomises
regroupant 438 patients, aucune différence n’était mise en évidence entre les 2 groupes
(drainage n=220 versus absence de drainage n=218) sur : la mortalité postopératoire (RR
1,73, 95% CI 0,38-7,84), le taux de ré-interventions (RR 2,49, 95% CI 0,71-8,74), le taux de
complications postopératoires (infections respiratoires: RR 1,18, 95% CI 0,55-2,54, infections
de paroi RR 1,23, 95% CI 0,47-3,23, abcès intra abdominaux: RR 1,27, 95% CI 0,29-5,51,
fistule anastomotique RR 0,93, 95% CI 0,06-14,47, ni sur le délai de reprise de l’alimentation
orale augmenté en médiane de 0,15 jours dans le groupe drain, 95% CI -0,07-0,37).
Cependant, la présence d’un drain prolongeait le temps opératoire (de 9,07 min, 95% CI 2,5615,57), la durée du séjour hospitalier (de 0,69 jours, 95% CI 0,18-1,21) et était associée à la
présence de complications spécifiques au drain (rapporté dans 2 études soit 5 patients sur un
total de 208, détail des complications possibles cf. plus bas, section complications
spécifiques).
Dans le sous-groupe gastrectomie totale, il n’y avait pas de différence entre le groupe
drain versus absence de drain concernant la mortalité à 30 jours (RR 3,20, 95% CI 0,14-75,55),
le taux de complications postopératoires telles que les infections respiratoires (RR 2,37, 95%
CI 0,39-14,23), les infections de paroi (RR 0,23, 95%CI 0,01-5,37), les abcès intra abdominaux
(RR 0,68, 95% CI 0,04-10,24), la durée d’intervention (différence médiane 2,0 min, 95% CI
12,16-16,16), la durée de séjour hospitalier (différence médiane 0,77 jours, 95% CI 2,13-3,68),
le délai avant réalimentation orale (différence médiane 0,4 jours, 95%CI 0,87-1,76). L’effectif
ne permettait pas d’analyser les résultats du sous-groupe gastrectomie totale pour des
évènements plus rares comme le taux de ré-intervention, le taux de fistule anastomotique, des
complications spécifiques au drain.
Pour le sous-groupe gastrectomie partielle, il n’y avait pas non plus de différence entre
le groupe drain versus absence de drain concernant la mortalité à 30 jours (RR 1,39, 95% CI
0,24-8,01), le taux de complications postopératoires telles que les infections respiratoires, (RR
0,95, 95% CI 0,36-2,50), les infections de paroi (RR 1,41, 95%CI 0,45-4,46), les abcès intra
abdominaux (RR 1,65, 95% CI 0,28-9,88), le délai avant réalimentation orale (différence
médiane 0,11 jours, 95%CI 0,12-0,34).
Par contre, dans ce sous-groupe gastrectomie partielle, la durée d’intervention était
augmentée dans le groupe drain (différence médiane 12,43 min, 95% CI 4,09-20,78), de même
que la durée de séjour hospitalier (différence médiane 0,64 jours, 95% CI 0,001-1,27).
L’effectif ne permettait pas d’analyser les résultats du sous-groupe gastrectomie
partielle pour des évènements plus rares comme le taux de ré-intervention, le taux de fistule
anastomotique, des complications spécifiques au drain.
Les auteurs de cette revue concluaient en l’absence de preuve supportant l’utilisation
en routine de drain après gastrectomie pour cancer. Néanmoins, ils pondèrent ces résultats
en expliquant que la qualité de cette revue était de faible qualité, signifiant que de futurs
travaux sont à même de pouvoir modifier de manière importante les conclusions de cette
analyse.
Intérêt du drain vis-à-vis du drainage des autres secrétions
Les données de la littérature ne rapportent pas de différence dans la survenue des
fuites chyleuses entre les groupes avec drain ou sans drain, même si la majorité des essais
randomisés publiés proviennent de centres asiatiques, dans lesquels les patients ont bénéficié
de curages ganglionnaires étendus de type D2. Dans l’étude de Kumar et al. analysant
exclusivement des cas de gastrectomies partielles, le volume moyen de liquide collecté par le
drain était de 325 mL (min 100, max 700ml) avec un débit moyen journalier de 60mL par jour,
l’aspect du liquide était dans la majorité des cas séro-hématique [16].
Intérêt dans l’aide au diagnostic de fistule anastomotique
Concernant l’aide au diagnostic de fistule qu’apporterait le drain, peu de données sont
disponibles concernant la gastrectomie totale. Dans l’étude publiée par Kumar et al. sur
l’intérêt du drainage en cas de gastrectomie partielle, [16], une fistule a été diagnostiquée chez
1 patient du groupe drain (n=56) et 1 patient du groupe absence de drain (n=52). Dans cette
étude, il était précisé que le diagnostic de fistule avait été porté sur la clinique et l’échographie.
Cependant, il n’était pas précisé si la présence du drain a aidé au diagnostic, ce qui suggère
donc sa faible participation au diagnostic.
De plus, dans 2 des 4 essais randomisés à l’origine de la revue de la Cochrane [13],
les patients qui ont présenté un abcès intra abdominal sans fistule anastomotique ont été
traités soit par drainage écho-guidé, soit par nouveau drainage chirurgical, mais pas par les
drains initiaux mis en place lors de la gastrectomie (1 cas sur 29 dans l’étude de Alvares et al.
[15], chiffre non précisé dans l’étude de Kim et al. [14].
Par ailleurs, la fistule anastomotique peut être diagnostiquée par d’autres moyens
d’investigations, comme le scanner multi-barrettes avec ingestion de produit de contraste, qui
permet également de mettre en évidence une collection intra-abdominale et d’en assurer un
drainage ciblé, par guidage radiologique [17]. Enfin, certains auteurs argumentent que
l’utilisation du drainage radioguidé permet de réduire le taux de ré-interventions pour
complications chirurgicales, remettant également en question la nécessité de drainage
prophylactique postopératoire [18], mais cela ne prend pas en considération la notion de coût,
de transfert du patient dans une unité de radiologie interventionnelle experte, et au total cet
argument n’est scientifiquement valable que si la présence d’un drain avait un effet délétère
démontré sur les suites postopératoires.
Complications spécifiques associées aux drains
Des complications spécifiques liées au drain ont été reportées dans la littérature
comme: douleurs, abcès sur le trajet du drain, fistule causée par l’action érosive du drain,
éventration épiploïque sur orifice de drain, occlusion digestive sur drain, emphysème sous
cutané, et greffe tumorale cutanée sur le trajet du drain [16,19].
Concernant les douleurs liées aux drains, seule l’étude de Kim et al. [14] a mis en
évidence une augmentation de l’utilisation d’antalgiques dans le bras drainage versus sans
drainage. Il n’y a pas d’autre donnée factuelle à l’heure actuelle sur la relation drain-douleur
en cas de gastrectomie. Le seul élément disponible dans la littérature sur cette notion draindouleur, est une méta-analyse de la Cochrane [20] publiée en 2009, qui a étudié l’intérêt de
différents types de drains en cas de cholécystectomie programmée par voie ouverte. Il n’y
avait pas de différence sur les paramètres des suites postopératoires, sauf sur la douleur liée
au site d’insertion du drain qui était diminuée en cas de drain aspiratif versus drain en drainage
libre (OR 0,16, 95% CI 0,04-0,61). Cependant il est difficile de transposer ces résultats sur la
cholécystectomie à une chirurgie lors de laquelle une ou plusieurs anastomoses sont
réalisées.
Cas particuliers
En cas d’ascite
Ryu et al. ont publié une série coréenne de 26 cas de patients atteints de cirrhose
hépatique classée Child A [21]. Dans cette cohorte, 21 patients ont bénéficié d’une
gastrectomie partielle et 4 d’une gastrectomie totale. Toutes les procédures étaient associées
à un curage ganglionnaire de type D2. Le drain était laissé en place tant que le débit journalier
était supérieur à 150 ml. La moyenne du débit journalier du drain était de 463 ml (+/- 315),
avec un nadir entre le 4ème et 6ème jour postopératoire, et le drain était retiré en moyenne au
11ème jour postopératoire. Près d’un tiers des patients étaient également traités en
postopératoire par furosémide et spironolactone. Les auteurs ne décrivent pas de morbidité
postopératoire dans cette série, ni de persistance d’ascite après retrait du drain. Par ailleurs,
les auteurs ne décrivent pas la présence d’ascite massive en postopératoire, même en cas de
curage extensif D2 avec dissection de la station 12a (hépatoduodénale).
Cependant, dans la revue de la littérature publiée par Mariette en 2008, la mortalité
chez les patients cirrhotiques en cas de gastrectomie était évaluée à 10%, avec un taux de
morbidité à 40% [22]. Dans cette population de patients cirrhotiques, la première cause de
complication postopératoire après gastrectomie était l’ascite (14%), cependant le taux de
survenue de fistule anastomotique ne semblait pas augmenté. Parmi les facteurs prédictifs de
complications postopératoires, la présence d’un drain aspiratif était associée à une
augmentation du risque de survenue de complications. Aux vues de ces données, les
recommandations de cette revue de la littérature étaient de i) réserver cette chirurgie pour des
patients très sélectionnés (cirrhose classée Child A, normalité du bilan hépatique
préopératoire, et pas d’antécédent de décompensation oedémato-ascitique), ii) proscrire le
drain en postopératoire, et iii) si un drain était mis en place, il est recommandé de le laisser
uniquement pour une période courte (environ 3 jours).
Plaie du parenchyme pancréatique lors du curage ganglionnaire / curage étendu avec
splénectomie et résection pancréatique
L’équipe de Tomimaru et al. a publié en 2011 une étude japonaise rétrospective sur
173 cas de gastrectomie totale pour cancer avec curage D2 et splénectomie (pour 126
patients) pour lesquels 4 drains étaient mis en place en peropératoire, avec mesure du taux
d’amylase sur drain à J1 et J3 [23]. Au total, 9,2% des patients ont présenté les critères définis
dans cette étude pour le diagnostic de fistule pancréatique, à savoir : un taux d’amylase sur
drain supérieur à 3 fois le taux sérique, la nécessité du drainage jusqu’à J14 postopératoire,
une durée de séjour hospitalier supérieure à 1 mois, et l’absence de fistule anastomotique
oesojéjunale. Cette survenue de fistule pancréatique était plus fréquente en cas de
gastrectomie totale associée à une splénectomie et résection de la queue du pancréas
(42,1%), versus en cas de gastrectomie totale sans autre résection d’organe associée (3,3%).
Les auteurs ont déterminé une valeur seuil du taux d’amylase dans les drains à 5000UI/L à J1
permettant d’avoir le meilleur couple sensitivité/spécificité (0,822 et 0,838) pour prédire la
survenue de fistule pancréatique. Les auteurs ne concluent pas quant à l’intérêt du drainage
en cas de gastrectomie totale. Cependant, il est intéressant de noter un taux de fistule
pancréatique de 42,1% en cas de curage D2 avec splénectomie et résection de la queue du
pancréas, justifiant probablement l’intérêt du drainage pancréatique et de la loge de
splénectomie dans cette situation.
Chirurgie mini-invasive
Il n’y a pas à l’heure actuelle d’étude publiée sur l’intérêt du drainage en cas de
gastrectomie totale par laparoscopie. Cependant, Ishikawa et al. rapportent leur expérience
sur l’absence de drainage en cas de gastrectomie distale par voie coelioscopique sur 21
patients : 10 avec drainage et 11 sans drainage systématique [24]. Les auteurs n’ont pas mis
en évidence de différence entre les 2 groupes sur la durée opératoire, l’utilisation
d’antalgiques, le temps de reprise du transit, la durée de séjour intra-hospitalier, ou la morbidité
postopératoire (1 cas de gastroparésie dans chaque groupe). Par contre, le délai de
réalimentation était significativement plus court dans le bras sans drainage. Les auteurs
concluent qu’en cas de gastrectomie par laparoscopie, le drainage prophylactique n’apporte
pas de bénéfice supplémentaire aux patients.
Autres cas particuliers
Dans les situations suivantes : gastrectomie palliative, contamination digestive
peropératoire, gastrectomie d’urgence pour occlusion ou traumatisme caustique, aucune
donnée dans la littérature n’est actuellement disponible quant à l’utilité du drain dans ces cas
particuliers.
En 2012, l’équipe de Cheng et al. a publié une étude monocentrique rétrospective sur
112 cas de gastrectomies en urgence pour ulcère compliqué (perforation ou hémorragie), dont
la quasi-majorité (n=111) consistait en une gastrectomie partielle [25]. L’indication principale
était une perforation (n=61), puis l’hémorragie non contrôlée (n=49). La mortalité intra
hospitalière était de 30% et en analyse univariée, la présence d’un drain aspiratif était un
facteur pronostic de mortalité (HR=6,3, 95%CI=1,1-34,3, p=0,018). Ce résultat n’était pas
retrouvé sur l’analyse multivariée.
Durée du drainage si drain mis en place
Dans les études citées précédemment, il n’y a pas de recommandation précise sur la
durée pendant laquelle le drain doit rester en place. Dans le travail d’Alvares et al [15], le drain
était laissé en place jusqu’au 8ème jour postopératoire, date à laquelle un contrôle radiologique
de l’anastomose était réalisé. Dans l’étude de Kumar et al. [16], le drain était retiré lorsque le
débit du liquide évacué était inférieur à 50mL par 24h, et avec un aspect séro-hématique.
Limites des essais randomisés et de la meta-analyse
Même si la méta-analyse publiée par la Cochrane [13] est basée sur une méthodologie
robuste, avec une recherche extensive de la littérature, certaines limites peuvent être
soulevées. Tout d’abord, l’effectif total est faible. Deuxièmement, certains événements
analysés sont trop rares (fistule, fuite chyleuse, fuite du moignon duodénal, décès) pour que
les effectifs des essais publiés, voire même d’essais randomisés à venir, puissent apporter
plus de précisions quant à l’intérêt du drainage vis à vis de ces évènements.
Ensuite, 3 des essais randomisés proviennent de séries asiatiques et un d’Amérique
du sud, ce qui peut aussi avoir entrainé des biais de publication. A ceci s’ajoute que la métaanalyse de la Cochrane n’a pas pu réaliser de funnel plot pour évaluer l’existence d’éventuels
biais de publications, aux vues du faible effectif des études inclues (n=4).
De plus, d’autres facteurs que la présence ou non d’un drain prophylactique pourraient
avoir influencé les résultats sur le taux de morbi-mortalité postopératoire, comme i) le détail
de l’utilisation d’antibiotiques en périopératoire, ii) l’état nutritionnel des patients, iii) l’état
général et le score ASA. Ces données notamment sur l’état nutritionnel, ne sont pas clairement
explicitées dans les essais randomisés suscités, et la distribution entre les deux groupes de
ces facteurs prédictifs de complications n’était pas claire. Malgré la randomisation, ces
facteurs liés aux patients pourraient potentiellement avoir entraîné des biais de sélection.
Par ailleurs, aucune donnée n’est actuellement disponible vis à vis des notions de coûtefficacité, ou de confort du patient.
Enfin, la diversité des types de drains, de leur nombre, de leur positionnement, du fait
qu’ils soient aspiratifs ou en drainage libre, du nombre de jours après l’intervention pendant
lesquels ils sont laissés en place, du fait que leur emplacement dans la cavité abdominale peut
se modifier après l’intervention, du fait qu’ils peuvent également se couder ou s’obstruer, du
type de critère de jugement choisi (taux de complications, de mortalité, de fistule oesojéjunale
ou du moignon duodénal, etc.), et enfin le type de procédure gastrectomie partielle ou totale,
rajoute un niveau de complexité supplémentaire à leur évaluation.
Synthèse / Conclusion
Même si le drainage a également une vertu psychologique pour le chirurgien,
représentant souvent une sécurité qui est ancrée dans les esprits comme le souligne un dicton
employé par les chirurgiens britanniques « when in doubt, drain » (Lawson Tait, 19ème siècle),
les données actuelles des essais randomisés ne permettent pas de mettre en évidence un
bénéfice vis à vis de l’utilisation d’un système de drainage prophylactique systématique en cas
de gastrectomie, que ce soit pour gastrectomie partielle ou totale.
De plus, ces mêmes essais suggèrent un effet bénéfique de l’absence de drain sur la
diminution de la durée opératoire, de la durée du séjour intra-hospitalier, et de la durée de
reprise du transit, sans modification du taux de morbi-mortalité.
Cependant, le niveau de preuve reste faible, et bien que fortement suggéré, l’absence
de drainage pour gastrectomie ne peut être considéré à l’heure actuelle comme une franche
recommandation, tant que d’autres essais randomisés ne sont pas publiés (3 essais sont
actuellement en cours avec l’intérêt du drain comme un des critères de jugement, selon
ClinicalTrials.gov).
En conclusion, au travers de ces données, on ne peut qu’encourager les chirurgiens à
remettre en question les pratiques systématiques et les dogmes chirurgicaux, et affirmer que
l’absence de drainage après gastrectomie totale (sauf cas particuliers cités plus haut) est une
pratique en développement, encore soumise à l’évaluation de la médecine factuelle.
Auteur
Kim14
Année
2004
Type
Nb de
d’étude
patients
Gastrectomie
totale /
partielle
résultats
Prospective 86 groupes
52
Pas de
randomisée drain
gastrectomies
différence sur le
totales
taux de
84 groupes
sans drain
118
gastrectomies
partielles
Alvares15 2005
Principaux
complications
postopératoires
à 30 jours
Prospective 29 groupes
100%
En faveur du
randomisée drain
gastrectomie
groupe drain :
partielle
diminution de la
31 groupes
durée de séjour,
sans drain
du taux de
morbidité, du
taux de réintervention, du
délai avant
réalimentation
Kumar16
2007
Prospective 56 groupes
100%
Pas de
randomisée drain
gastrectomie
différence sur le
partielle
temps
52 groupes
sans drain
opératoire,
reprise du
transit, reprise
de
l’alimentation,
durée de séjour,
taux de
mortalité et taux
de
complications
Jiang26
2008
Prospective
41
groupes Ratio
randomisée
fast
track gastrectomie
groupe
surgery
sans partielle/totale
drain : diminution
drain
49
non précisé
En
de
faveur
la
du
sans
durée
d’hospitalisation,
groupes
diminution
conventionnels
du
coût, du temps de
avec drain
reprise du transit.
Pas de différence
sur
la
morbi-
mortalité
Wang13
2011
Méta-
220
groupes 112
analyse des drain
4
essais
randomisés
218
groupes
sans drain
Pas de différence
gastrectomies
sur le taux de
totales
mortalité,
226
gastrectomies
partielles
100 non précisé
de
complications
postopératoires,
de réinterventions
Augmentation de
la
durée
opératoire et de la
durée de séjour
dans le groupe
drain
Tableau I. Descriptif des principaux résultats des 4 essais randomisés et de la métaanalyse sur l’intérêt du drain après gastrectomie
Références
1 Deguchi Y, Fukagawa T, Morita S, et al. Identification of risk factors for esophagojejunal
anastomotic leakage after gastric surgery. World J Surg. 2012; 36:1617-22
2 Lang H, Piso P, Stukenborg C, et al. Management and results of proximal anastomotic
leaks in a series of 1114 total gastrectomies for gastric carcinoma. Eur J Surg Oncol. 2000;
26:168-71
3 Lamb PJ, Griffin SM, Chandrashekar MV, et al. Prospective study of routine contrast
radiology after total gastrectomy. Br J Surg. 2004;91:1015-9
4 Jesus EC, Karliczek A, Matos D, et al. Prophylactic anastomotic drainage for colorectal
surgery. Cochrane Database Syst Rev. 2004; 4:CD002100
5 Liu CL, Fan ST, Lo CM, et al. Abdominal drainage after hepatic resection is
contraindicated in patients with chronic liver diseases. Ann Surg. 2004;239:194-201
6 Yeh CY, Changchien CR, Wang JY, et al. Pelvic drainage and other risk factors for
leakage after elective anterior resection in rectal cancer patients: a prospective study of 978
patients. Ann Surg. 2005;241:9-13
7 Conlon K, Labow D, Leung D, et al. Prospective randomized clinical trial of the value
of intraperitoneal drainage after pancreatic resection. Ann Surg. 2001;234:487–494
8 Fong Y, Brennan MF, Brown K, et al. Drainage is unnecessary after elective liver
resection. Am J Surg. 1996;171:158-62
9 Monson JR, Guillou PJ, Keane FB, et al. Cholecystectomy is safer without drainage:
the results of a prospective, randomized clinical trial. Surgery. 1991; 109:740-6
10 Cerise EJ, Pierce WA, Diamond DL. Abdominal drains: their role as a source of
infection following splenectomy. Ann Surg. 1970; 171:764-9
11 Merad F, Hay JM, Fingerhut A, et al. Is prophylactic pelvic drainage useful after
elective rectal or anal anastomosis? A multicenter controlled randomized trial. French
Association forSurgical Research. Surgery. 1999; 125:529-35
12 Petrowsky H, Demartines N, Rousson V, et al. Evidence-based value of prophylactic
drainage in gastrointestinal surgery: a systematic review and meta-analyses. Ann Surg
2004;240:1074-84
13 Wang Z, Chen J, Su K, et al. Abdominal drainage versus no drainage post
gastrectomy for gastric cancer. Cochrane Database Syst Rev. 2011; 8:CD008788
14 Kim J, Lee J, Hyung WJ, et al. Gastric cancer surgery without drains: a prospective
randomized trial. J Gastrointest Surg. 2004; 8:727-32
15 Alvarez Uslar R, Molina H, Torres O, et al. Total gastrectomy with or without
abdominal drains. A prospective randomized trial. Rev Esp Enferm Dig 2005; 97:562-569
16 Kumar M, Yang SB, Jaiswal VK, et al. Is prophylactic placement of drains necessary
after subtotal gastrectomy? World J Gastroenterol. 2007; 13:3738-41
17 Kelogrigoris M, Sotiropoulou E, Stathopoulos K, et al. CT-guided percutaneous
drainage of infected collections due to gastric leak after sleeve gastrectomy for morbid obesity:
initial experience. Cardiovasc Intervent Radiol. 2011; 34:585-9
18 van Sonnenberg E, Wittich GR, Cabrera OA, et al. Percutaneous gastrostomy and
gastroenterostomy: 2. Clinical experience. AJR Am J Roentgenol 1986;146:581-586
19 Nomura T, Shirai Y, Okamoto H, et al. Bowel perforation caused by silicone drains: a
report of two cases. Surg Today. 1998; 28:940-2
20 Gurusamy KS, Samraj K. Routine abdominal drainage for uncomplicated open
cholecystectomy. Cochrane Database Syst Rev. 2007;2:CD006003
21 Ryu K, Lee J, Kim Y, et al. Management of ascites after radical surgery in gastric
cancer patients with liver cirrhosis and minimal hepatic dysfunction. World J Surg. 2005;
29:653-656
22 Mariette C. Is there a place for esogastric cancer surgery in cirrhotic patients? Ann
Surg Oncol. 2008; 15:680-2
23 Tomimaru Y, Miyashiro I, Kishi K, et al. Is routine measurement of amylase
concentration in drainage fluid necessary after total gastrectomy for gastric cancer? J Surg
Oncol. 2011; 104:274–277
24 Ishikawa K, Matsumata T, Kishihara F, et al. Laparoscopy-assisted distal gastrectomy
for early gastric cancer with versus without prophylactic drainage. Surg Today. 2011; 41:104953
25 Cheng M, Li WH, Cheung MT. Early outcome after emergency gastrectomy
forcomplicated peptic ulcer disease. Hong Kong Med J. 2012;18:291-8
26 Jiang Z, Li J, Wang Z, et al. The safety and efficiency of fast track surgery in gastric
cancer patients undergoing D2 gastrectomy. Zhonghua Wai Ke Za Zhi. 2007;45:1314-7
PROCTECTOMIE
Y a-t-il un intérêt au drainage après chirurgie de type protectomie ?
Eric RULLIER
Service de Chirurgie colorectale, Hôpital Saint-André, CHU Bordeaux
Etat de l’art sur le drainage en chirurgie colorectale
Actuellement le traitement de référence du cancer du rectum est la résection rectale,
associée à une radiochimiothérapie pour les tumeurs localement évoluées (uT3T4 et/ou N+).
Depuis les travaux de Heald (1) sur le mésorectum il a été possible de standardiser la stratégie
chirurgicale permettant ainsi de limiter le risque de récidive loco-régionale entre 5% et 8%.
L’exérèse partielle du mésorectum avec une section du mésorectum 5 cm sous la tumeur est
suffisante pour les tumeurs du haut rectum (> 10 cm de la marge anale), alors qu’une exérèse
totale du mésorectum (TME) est nécessaire pour les tumeurs des moyens et bas rectum.
Cependant la réalisation d’une proctectomie totale avec TME suivie d’une anastomose
colorectale basse ou colo-anale expose à un risque de fistule anastomotique de l’ordre de 10%
à 20% (2-5). Ce risque élevé peut s’expliquer en partie par l’absence de capacité d’absorption
de l’espace mort non péritonisé (6,7). En effet après résection antérieure du rectum, il persiste
un large espace de dissection en avant du sacrum pouvant être à l’origine de la formation
d’hématome ou de sérome pouvant potentiellement s’infecter. C’est pourquoi le drainage
pelvien aspiratif prophylactique est régulièrement utilisé afin d’une part, de diminuer le risque
de fistule anastomotique en permettant l’évacuation rapide des épanchements péri-viscéraux
postopératoires, évitant ainsi leur accumulation et leur infection potentielle, et d’autre part de
diagnostiquer précocement une fistule et d’éviter ainsi une ré-intervention. (8). Dèjà en 1999,
la SFCD proposait des recommandations concernant le drainage chirurgical en chirurgie
digestive (9). Ces recommandations distinguaient les anastomoses colorectales intrapéritonéales de celles sous-péritonéales. Si le niveau de preuve était fort concernant la
probable inutilité du drainage prophylactique après chirurgie élective colique, les études
contrôlées concernant les anastomoses sous-péritonéales (après exérèse rectale), étaient
insuffisantes pour être aussi catégorique et un accord d’expert consensuel était plutôt en
faveur d’un drainage pelvien aspiratif. Les données factuelles de la littérature ont récemment
confirmé, avec un bon niveau de preuve, l’inutilité du drainage prophylactique après chirurgie
colique élective (10,11). Cette stratégie chirurgicale sans drainage a permis de simplifier la
prise en charge postopératoire des patients opérés d’un cancer du côlon, sans majorer le
risque de fistule anastomotique et d’abcès de paroi et en favorisant la réhabilitation précoce.
De tels résultats nous ont incités à modifier notre pratique quotidienne concernant la chirurgie
colique mais la question du drainage reste en suspens pour la chirurgie rectale. En effet la
problématique spécifique à la chirurgie rectale est que le risque de morbidité est plus élevé
qu’après chirurgie colique, avec principalement un taux plus élevé de complications septiques
pelviennes (fistule anastomotique et abcès pelvien) pouvant exposer à un sur-risque de
mortalité et de morbidité spécifique (12). Actuellement il n’existe aucune donnée dans la
littérature concernant la nécessité ou non d’un drainage pelvien après exérèse rectale pour
cancer. Ainsi, dans la métanalyse de la Cochrane group incluant 1140 patients à partir de 6
essais prospectifs randomisés, seuls 191 patients avaient eu une exérèse rectale dont
uniquement 78% pour cancer (13). Enfin, aucune des 6 études randomisées publiées n’a
concerné spécifiquement la chirurgie pour cancer du rectum et encore moins les anastomoses
sous péritonéales. De plus, dans le but de prévenir ou de traiter les complications septiques
pelviennes (fistule anastomotique, abcès pelvien), les pratiques actuelles ne sont pas
homogènes. Certains chirurgiens posent systématiquement un drain aspiratif en fin
d’intervention, d’autres décident de poser un drain uniquement selon la qualité de
l’anastomose et d’autre en revanche n’en posent jamais (14,15). Le rôle du drainage pelvien
est donc controversé d’autant plus qu’il est admis que le drainage peut aussi avoir un effet
délétère en majorant les risques d’infection (locale et à distance), d’occlusion intestinale, de
perforation du tube digestif et de douleur à l’ablation du drain (4,16-18).
Problématique spécifique de la protectomie
La problématique spécifique de la chirurgie rectale est que le risque de morbidité
chirurgicale est plus élevé qu’après chirurgie colique (12). La morbidité chirurgicale sévère
inclut les grades III, IV et V de la classification de Dindo des complications chirurgicales (19).
Les données de la littérature permettent de l’évaluer à environ 20 % pour l’exérèse rectale
(20,21). Par ailleurs, la morbidité la plus spécifique après exérèse rectale est représentée par
les complications septiques pelviennes, le plus souvent dues à une désunion anastomotique.
En se basant sur les données récentes de différents registres européens, le taux de fistule
anastomotique attendu après exérèse rectale avec conservation sphinctérienne est de l’ordre
de 9% à 12% (22-25). Si le risque de fistule anastomotique n’est pas influencée par le type de
voie d’abord utilisée (laparoscopie vs laparotomie) (26), en revanche il est associé à la hauteur
de l’anastomose (< 6 cm de la marge anale), à l’absence d’iléostomie de protection et le sexe
masculin (23,27,29). De même, après exérèse rectale, le risque de réintervention est évalué
entre 5% et 9% (21,29), et il est principalement en rapport avec une complication septique
pelvienne. Enfin, après une fistule anastomotique le risque de mortalité est de 7% à 13% et le
taux de stomie définitive est de 10% à 20% (23, 25,29).
Protectomie et drainage pelvien
Les données actuelles de la littérature concernant le drainage pelvien après exérèse
rectale avec conservation sphinctérienne, après exclusion des études rétrospectives et des
études ayant évalué les anastomoses intra-péritonéales, incluent 3 essais randomisés
comparatifs (6, 7,28), 2 études prospectives (4,23) et 3 méta analyses (10, 11,13).
Globalement les 3 méta-analyses ont montré qu’il n’y avait pas de différence significative en
terme de mortalité et d’infection de paroi, qu’il y ait eu un drainage pelvien ou non. Urbach et
al, dans une méta-analyse de 4 études randomisées incluant 414 patients avec anastomose
colorectale, remettait en question le principe de diagnostic précoce de sepsis pelvien par le
drain en démontrant que parmi les 20 patients drainés ayant une fistule anastomotique, ce
diagnostic n’avait été posée que chez un seul patient (5%) devant un écoulement fécaloïde
(10). Néanmoins dans ce travail il n’avait pas été réalisé d’étude spécifique du sous-groupe
« anastomose sous-péritonéale ». Seule la méta-analyse de Jesus et al (13) a comporté une
analyse distincte du sous-groupe des anastomoses sous-péritonéales. Il n’y avait pas de
différence significative entre les deux groupes concernant le taux de fistule anastomotique
(11.7% vs 13.4%) avec un OR = 0.85 et un IC95% = 0.36-2. Mais seuls deux essais randomisés
étaient inclus dans ce sous-groupe dont l’effectif global était faible avec seulement 191
patients : drainage n=94 vs non drainage n=97 (6,7). Pourtant, ces résultats sont à opposer à
ceux récemment publiés dans une étude multicentrique hollandaise étudiant les facteurs de
risque de fistule anastomotique, parmi 924 patients traités par excision totale du mésorectum
avec ou sans radiothérapie, qui montrait que l’absence de drainage pelvien aspiratif (RR=2,53,
P<0,001) et l’absence d’une iléostomie (RR=1,89, P=0,003) étaient associées de manière
indépendante à un risque plus élevé de fistule anastomotique. De plus, en présence d’une
fistule anastomotique, le risque de réintervention chirurgicale était moindre en cas de drainage
pelvien et de stomie (23).
Actuellement, il est donc difficile de proposer des conclusions définitives sur l’utilité ou
non d’un drainage pelvien après exérèse rectale en particulier pour cancer, car il ne s’agit que
d’analyse de sous-groupes ou d’étude non comparative. L’essai français prospectif randomisé
du Groupe de Recherche Chirurgical sur le Cancer du Rectum dont le but était d’évaluer
l’impact du drainage pelvien versus non drainage pelvien sur le risque de sepsis pelvien après
exérèse rectale pour cancer avec anastomose sous-péritonéale (GRECCAR 5) est à présent
terminé. Les résultats de cette étude devraient être communiqués en fin d’année 2014 et
permettront de répondre avec un niveau de preuve maximum à la question posée sur l’intérêt
du drainage après protectomie.
Tableau de synthèse de la littérature : données disponibles sur la morbi-mortalité avec ou sans
drainage pelvien.
Auteur
Kim14
Année
2004
Type
d’étude
Gastrectomie
Nb de patients
totale /
partielle
Principaux
résultats
Prospective
86 groupe
52
Pas de différence
randomisée
drain
gastrectomies
sur le taux de
84 groupe sans
totales
complications
drain
118
postopératoires à
gastrectomies
30 jours
partielles
Alvares15 2005
Prospective
29 groupe
100%
En faveur du
randomisée
drain
gastrectomie
groupe drain :
31 groupe sans
partielle
diminution de la
drain
durée de séjour, du
taux de morbidité,
du taux de réintervention, du
délai avant
réalimentation
Kumar16
2007
Prospective
56 groupe
100%
Pas de différence
randomisée
drain
gastrectomie
sur le temps
52 groupe sans
partielle
opératoire, reprise
drain
du transit, reprise
de l’alimentation,
durée de séjour,
taux de mortalité et
taux de
complications
Jiang26
2008
Prospective
41 groupe fast
Ratio
En faveur du
randomisée
track surgery
gastrectomie
groupe sans drain :
sans drain
partielle/totale
diminution de la
49 groupes
non précisé
durée
conventionnels
d’hospitalisation,
avec drain
diminution du coût,
du temps de reprise
du transit.
Pas de différence
sur la morbimortalité
Wang13
2011
Méta-
220 groupe
112
Pas de différence
analyse des
drain
gastrectomies
sur le taux de
4 essais
218 groupe
totales
mortalité, de
randomisés
sans drain
226
complications
gastrectomies
postopératoires, de
partielles
réinterventions
100 non
Augmentation de la
précisé
durée opératoire et
de la durée de
séjour dans le
groupe drain
Références :
1 Deguchi Y, Fukagawa T, Morita S, et al. Identification of risk factors for
esophagojejunal anastomotic leakage after gastric surgery. World J Surg. 2012;36:1617-22
2 Lang H, Piso P, Stukenborg C, et al. Management and results of proximal
anastomotic leaks in a series of 1114 total gastrectomies for gastric carcinoma. Eur J Surg
Oncol. 2000 ;26:168-71
3 Lamb PJ, Griffin SM, Chandrashekar MV, et al. Prospective study of routine contrast
radiology after total gastrectomy. Br J Surg. 2004;91:1015-9
4 Jesus EC, Karliczek A, Matos D, et al. Prophylactic anastomotic drainage for
colorectal surgery. Cochrane Database Syst Rev. 2004;4:CD002100
5 Liu CL, Fan ST, Lo CM, et al. Abdominal drainage after hepatic resection is
contraindicated in patients with chronic liver diseases. Ann Surg. 2004;239:194-201
6 Yeh CY, Changchien CR, Wang JY, et al. Pelvic drainage and other risk factors for
leakage after elective anterior resection in rectal cancer patients: a prospective study of 978
patients. Ann Surg. 2005;241:9-13
7 Conlon K, Labow D, Leung D, et al. Prospective randomized clinical trial of the value
of intraperitoneal drainage after pancreatic resection. Ann Surg. 2001;234:487–494
8 Fong Y, Brennan MF, Brown K, et al. Drainage is unnecessary after elective liver
resection. Am J Surg. 1996;171:158-62
9 Monson JR, Guillou PJ, Keane FB, et al. Cholecystectomy is safer without drainage:
the results of a prospective, randomized clinical trial. Surgery. 1991;109:740-6
10 Cerise EJ, Pierce WA, Diamond DL. Abdominal drains: their role as a source of
infection following splenectomy. Ann Surg. 1970;171:764-9
11 Merad F, Hay JM, Fingerhut A, et al. Is prophylactic pelvic drainage useful after
elective rectal or anal anastomosis? A multicenter controlled randomized trial. French
Association forSurgical Research. Surgery. 1999;125:529-35
12 Petrowsky H, Demartines N, Rousson V, et al. Evidence-based value of prophylactic
drainage in gastrointestinal surgery: a systematic review and meta-analyses. Ann Surg
2004;240:1074-84
13 Wang Z, Chen J, Su K, et al. Abdominal drainage versus no drainage post
gastrectomy for gastric cancer. Cochrane Database Syst Rev. 2011;8:CD008788
14 Kim J, Lee J, Hyung WJ, et al. Gastric cancer surgery without drains: a prospective
randomized trial. J Gastrointest Surg. 2004;8:727-32
15 Alvarez Uslar R, Molina H, Torres O, et al. Total gastrectomy with or without
abdominal drains. A prospective randomized trial. Rev Esp Enferm Dig 2005;97:562-569
16 Kumar M, Yang SB, Jaiswal VK, et al. Is prophylactic placement of drains necessary
after subtotal gastrectomy? World J Gastroenterol. 2007;13:3738-41
17 Kelogrigoris M, Sotiropoulou E, Stathopoulos K, et al. CT-guided percutaneous
drainage of infected collections due to gastric leak after sleeve gastrectomy for morbid obesity:
initial experience. Cardiovasc Intervent Radiol. 2011;34:585-9
18 van Sonnenberg E, Wittich GR, Cabrera OA, et al. Percutaneous gastrostomy and
gastroenterostomy: 2. Clinical experience. AJR Am J Roentgenol 1986;146:581-586
19 Nomura T, Shirai Y, Okamoto H, et al. Bowel perforation caused by silicone drains:
a report of two cases. Surg Today. 1998;28:940-2
20 Gurusamy KS, Samraj K. Routine abdominal drainage for uncomplicated open
cholecystectomy. Cochrane Database Syst Rev. 2007;2:CD006003
21 Ryu K, Lee J, Kim Y, et al. Management of ascites after radical surgery in gastric
cancer patients with liver cirrhosis and minimal hepatic dysfunction. World J Surg.
2005;29:653-656
22 Mariette C. Is there a place for esogastric cancer surgery in cirrhotic patients? Ann
Surg Oncol. 2008;15:680-2
23 Tomimaru Y, Miyashiro I, Kishi K, et al. Is routine measurement of amylase
concentration in drainage fluid necessary after total gastrectomy for gastric cancer? J Surg
Oncol. 2011;104:274–277
24 Ishikawa K, Matsumata T, Kishihara F, et al. Laparoscopy-assisted distal
gastrectomy for early gastric cancer with versus without prophylactic drainage. Surg Today.
2011;41:1049-53
25 Cheng M, Li WH, Cheung MT. Early outcome after emergency gastrectomy
forcomplicated peptic ulcer disease. Hong Kong Med J. 2012;18:291-8
26 Jiang Z, Li J, Wang Z, et al. The safety and efficiency of fast track surgery in gastric
cancer patients undergoing D2 gastrectomy. Zhonghua Wai Ke Za Zhi. 2007;45:1314-7
HEPATECTOMIE
Drainage abdominal et hépatectomie
Antonio SA CUNHA
Service de chirurgie digestive, Hôpital Paul Brousse, Villejuif
Après hépatectomie, la mise en place d’un drain a pour objectifs théoriques de :
i.
Prévenir la formation de collections sous hépatique et/ou sous phrénique
ii.
Diagnostiquer une hémorragie post-opératoire
iii.
Diagnostiquer et traiter une éventuelle fuite biliaire.
iv.
Drainer l’ascite post-opératoire en particulier chez les malades ayant une cirrhose
Dans la littérature 5 essais randomisés et deux méta-analyses ont comparés les
résultats des hépatectomies avec ou sans drainage.1-7
La revue de la littérature de la Cochrane7 a inclus 6 essais randomisés, publiés entre
1993 et 2006. Cinq études1-5 comparaient l’absence de drainage à un drainage par drain
tubulaire en aspiration, la sixième étude comparait un drainage par drain tubulaire en
aspiration à un drainage par drain de Penrose, celle-ci a été analysée séparément.8
Cette méta-analyse incluait en tout 465 malades, 234 malades étaient randomisés dans
le groupe drainage et 231 malades dans le groupe sans drainage. Dans toutes ces études la
réalisation d’une anastomose bilio-digestive était un facteur d’exclusion. Il n’y avait pas de
différence statistiquement significative concernant les critères de jugement suivant : mortalité
(OR 1.17, 95%CI 0.37 to 3.70), ré-interventions (OR 1.35, 95% CI 0.44 to 4.11), collections
intra-abdominales nécessitant une ré-intervention ou un drainage radiologique, abcès (OR
2.01, 95% CI 0.73 to 5.50), fistules biliaires (OR 1.60, 95% CI 0.41 to 6.29), complications
pariétales, complications pulmonaires. Il y avait par contre, significativement plus de fuite
d’ascite en présence d’un drain (OR 2.96, 95%CI 1.66 to 5.28), et une durée d’hospitalisation
significativement plus courte dans le groupe drainé (OR 2.96, 95%CI 1.66 to 5.28). Cependant
ces différences n’étaient plus significatives lorsqu’ était appliqué un modèle à effets aléatoires
(random effects model).
Une analyse de sous-groupe en fonction du type d’hépatectomie (mineure vs majeure),
de l’existence d’une hépatopathie, d’une cirrhose, de l’administration d’une antibioprophylaxie
n’a pas mis en évidence de différence statistiquement significative concernant les différents
critères. Seule la durée d’hospitalisation était significativement plus courte dans le groupe
drainé, mais cette différence disparaissait après application d’un modèle à effets aléatoires.
En conclusion, il n’y probablement pas d’intérêt au drainage systématique au cours des
hépatectomies sans anastomose bilio-digestive. (Niveau de preuve 1)
De nouveaux essais contrôlés sont souhaitables en particulier chez certaines catégories
de malades (malades avec hépatopathie chronique, cirrhose), et après hépatectomie par
laparoscopie pour confirmer ces résultats.
Références :
1) Belghiti J, Kabbej M, Sauvanet A, Vilgrain V, Panis Y, Fekete F. Drainage after
elective hepatic resection. A randomized trial. Ann Surg. 1993 Dec;218(6):748-53.
2) Fong Y, Brennan MF, Brown K, Heffernan N, Blumgart LH. Drainage is unnecessary
after elective liver resection. American Journal of Surgery 1996;171(1):158–62.
3) Liu CL, Fan ST, Lo CM, Wong Y, Ng IO, Lam CM, Poon RT, Wong J. Abdominal
drainage after hepatic resection is contraindicated in patients with chronic liver diseases. Ann
Surg. 2004 Feb;239(2):194-201
4) Fuster J, Llovet JM, Garcia-Valdecasas JC, Grande L, Fondevila C, Vilana R, et al.
Abdominal drainage after liver resection for hepatocellular carcinoma in cirrhotic
patients:a randomized controlled study. Hepato-Gastroenterology 2004;51(56):536–40.
5) Sun HC, Qin LX, Lu L, Wang L, Ye QH, Ren N, et al. Randomized clinical trial of the
effects of abdominal drainage after elective hepatectomy using the crushing clamp method.
The British Journal of Surgery 2006;93(4): 422–6.
6) Petrowsky H, Demartines N, Rousson V, Clavien PA. Evidence-basedvalue of
prophylactic drainage in gastrointestinal surgery: a systematic review and meta-analyses. Ann
Surg 2004;240:1074–84.
7) Gurusamy KS, Samraj K, Davidson BR. Routine abdominal drainage for
uncomplicated liver resection.
Cochrane Database Syst Rev. 2007 Jul18;(3)
8) Uetsuji S, Kwon AH, Komada H, Okuda Y, Imamura A, Kamiyama Y. Clinical
evaluation of closed suction drainage following hepatectomy. Surgery Today 1997;27(4):298–
301.
NOTES
NOTES