Au cours du XIXe siècle, des progrès techniques considérables ont

Transcription

Au cours du XIXe siècle, des progrès techniques considérables ont
La transmission des informations
LE PETIT JOURNAL
Au cours du XIXe siècle, des progrès techniques considérables ont été
accomplis dans le domaine de la communication. Apparus à la suite de la
découverte et de l’étude de certains principes de physique et de chimie, les
télégraphes, les téléphones et les postes de radio illustrent par leur
fonctionnement différentes notions relatives à la transmission de
l’information.
Dans la vie de tous les jours, les informations que nous échangeons peuvent prendre
la forme d’une conversation, d’une image
ou d’un texte. D’un point de vue matériel,
l’information est la variation d’une grandeur physique, qui peut être transmise,
reproduite, et perçue par l’individu capable
de l’interpréter. L’invention et les progrès
de l’imprimerie offrent le premier exemple
du développement des outils et des techniques de communication: l’imprimerie
permet la reproduction à l’identique d’un
texte écrit et sa diffusion en grand nombre.
L’innovation technique porte sur la rapidité
avec laquelle est dupliquée l’information.
Ainsi, la presse à bois du XVIe siècle
permettait l’impression de 700 feuilles par
heure. La mécanisation des presses au
XIXe siècle augmente considérablement le
tirage.
envoyé par malle poste met trois jours à
parcourir la distance Paris-Lille (250 km).
Le développement du chemin de fer dans
la deuxième moitié du XIXe siècle
accélère ces déplacements, et permet par
exemple à un journal imprimé à Paris de
parvenir dès le lendemain dans la plupart
des villes de province.
Comment accélérer la vitesse de transmission de l’information? En utilisant les
phénomènes physiques de transmission de
l’information sans transport de matière:
c’est le principe de la propagation d’une
onde. L’exemple le plus simple est donné
par la transmission d’un signal lumineux.
La propagation du signal ne nécessite alors
ni transport de matière, ni même un
support matériel, puisqu’elle est possible
dans le vide, à la célérité de 300000 km/s.
Le télégraphe de Chappe
1. Presse typographique
du XVIème siècle.
CM, Inv. 12124-0001
Dans ce cas, l’information, démultipliée, se
confond avec son support matériel; la
propagation de l’information correspond à
un déplacement de ce support. La vitesse
de propagation est limitée par la vitesse de
tout déplacement humain ou animal. Au
début du XIXe siècle, un courrier ordinaire
L’invention de Claude Chappe est la première à utiliser, sur de longues distances, la
propagation lumineuse pour transmettre
une information. Chappe imagina en effet
un «télégraphe optique» constitué d’une
suite de sémaphores à ailes mobiles - sortes
de bras articulés installés sur un mât. Ces
sémaphores sont perchés sur des tours ou
des lieux élevés, et installés à des distances
régulières, de l’ordre de dix à quinze kilomètres. Auprès de chaque sémaphore
demeure en permanence un «stationnaire». Il observe à l’aide d’une lunette de
visée les mouvements du sémaphore
précédent, et manœuvre le mécanisme de
son sémaphore pour qu’il reproduise les
mouvements observés. La transmission du
signal optique relayé par des postes inter1
La transmission des informations
médiaires peut alors être assurée sur
plusieurs centaines de kilomètres.
La transmission du message repose donc
sur plusieurs principes: d’une part la
définition d’un code, lié aux différentes
positions des ailes, d’autre part la
construction du réseau de sémaphores,
enfin l’utilisation de lunettes de visée pour
faciliter l’observation.
2 . Télégraphe de
Chappe, 1794.
CM.
Inv. 14583-0000
Les stationnaires n’ont pas besoin de
connaître le code pour relayer le message.
L’interprétation du signal optique, c’est-àdire la connaissance de l’information
échangée, ne se fait qu’en début et en fin
de chaîne, à l’émission et à la réception du
message. Ces conditions sont idéales pour
la transmission d’informations intéressant
la Défense Nationale. Là réside la principale raison du succès et du développement
du système Chappe. Il est en effet mis en
œuvre en 1794, alors que la France révolutionnaire est en guerre avec les autres pays
européens. Le gouvernement révolutionnaire découvre l’importance de cet outil
qui lui permet de diriger les armées
républicaines de manière centralisée.
La réalisation du télégraphe de Chappe
doit peu au progrès scientifique, et
beaucoup à la modernité politique, c’est-àdire à l’existence d’un Etat centralisé, non
seulement ouvert aux idées neuves, mais
aussi capable de financer la construction
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du réseau de sémaphores, le recrutement,
la formation et l’entretien d’un personnel
nombreux, nécessaire à son fonctionnement. En revanche, les premiers essais de
communication utilisant les phénomènes
électriques se sont appuyés sur une science
récemment découverte.
Le XVIIe siècle s’était amusé des phénomènes d’électricité statique, et connaissait
le caractère quasi instantané de la
transmission du «fluide électrique». Un
changement considérable est initié par la
découverte de la pile par Alessandro Volta
en 1799. Cette invention est perfectionnée
dans les premières décennies du XIXe
siècle et les savants disposent alors du
premier générateur susceptible de fournir
un courant électrique permanent. L’étude
des propriétés de ce courant ouvre l’ère de
son utilisation dans de nouvelles techniques. Ainsi, le physicien danois Christian
Oersted découvre en 1819 les propriétés
magnétiques du courant électrique: un fil
conducteur parcouru par un courant dévie
une aiguille aimantée. C’est le point de
départ des recherches menées par de nombreux savants, dont les physiciens français
André-Marie Ampère et François Arago,
sur les effets magnétiques du courant.
Le télégraphe électrique
Le principe d’un télégraphe électrique est
d’une grande simplicité: pour transmettre
une information, il suffit d’un circuit composé d’une pile, d’un interrupteur et de
conducteurs électriques. Le signal électrique est défini par l’absence ou la présence
du courant. Une simple aiguille aimantée
sert à l’origine pour détecter la présence du
courant. Un système de codage associe le
signal électrique aux lettres de l’alphabet,
par des mécanismes souvent astucieux.
L’utilisation de l’électroaimant constitue
un progrès décisif. L’électroaimant, conçu
dès 1820 par Arago, mais dont l’étude et le
perfectionnement nécessiteront deux
décennies, permet d’obtenir des champs
2
La transmission des informations
magnétiques plus intenses, et d’accroître
ainsi les effets mécaniques obtenus par le
passage d’un courant. Concrètement, ce
composant, placé dans un circuit, permet
de convertir le courant électrique en un
effort capable de mettre un stylet en
mouvement, de produire un son, ou encore
d’agir sur l’interrupteur d’un autre circuit
électrique, réalisant alors un système de
relais.
3. Télégraphe à
deux aiguilles
aimantées de
Wheatstone et
Cooke, 1842.
CM, Inv. 14619-0000
La mise au point du télégraphe électrique
mobilisa de nombreux inventeurs en
Europe et aux Etats-Unis. C’est en Angleterre qu’est apparue la première génération
de télégraphes opérationnels, adaptés à une
exploitation commerciale. En juillet 1937,
les physiciens anglais William Cooke et
Charles Wheatstone font fonctionner leur
premier prototype entre Euston et Camden,
sur une ligne de deux kilomètres. C’est un
appareil à 5 aiguilles aimantées, utilisant 6
fils, dont un pour le retour. Le modèle de
1842 présenté au musée est un appareil à
deux aiguilles, qui met donc en œuvre
deux circuits électriques. Chaque circuit
est composé d’un seul fil, car le système
utilise le principe découvert en 1838 par le
physicien allemand Steinheil: le fil retour
est remplacé par la connexion à la terre. Il
est possible d’inverser le sens du courant
qui circule dans chacun de ces circuits et
par suite le sens dans lequel pivote
l’aiguille. Le message est codé par un système alphabétique, utilisant jusqu’à trois
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impulsions électriques successives. Enfin,
l’émetteur et le récepteur sont des appareils
identiques, pouvant jouer les deux rôles.
Ce type d’appareils télégraphiques rencontre rapidement le succès, d’abord en
Angleterre, puis dans les autres pays
d’Europe, auprès des compagnies de chemins de fer. Elles transmettent ainsi les
ordres de départ des convois, ce qui contribue à la sécurité des voyageurs. Des lignes
aériennes sont installées le long des voies,
et faciles à surveiller. L’un des appareils de
Wheatstone présentés au musée provient
par exemple de la compagnie des Chemins
de Fer de l’Ouest.
Aux Etats-Unis, le plus célèbre pionnier du
télégraphe électrique est Samuel Morse.
Peintre et professeur d’Art à l’Université
de New York, il s’intéresse dès 1832 au
principe du télégraphe. Aidé par Alfred
Vail, mécanicien et fils d’industriel, il met
au point une machine efficace basée sur
l’utilisation de l’électroaimant: lorsque le
courant passe dans la bobine d’un
électroaimant, un stylet est déplacé, et
imprime une bande en déroulement permanent. Le signal électrique laisse donc une
trace matérielle durable. A ce principe
s’ajoute la création d’un code que Morse
développe à partir de 1838. Ce code, qui
s’apparente à un code série, transcrit les
chiffres et les lettres de l’alphabet en une
série de points et de traits. Le point est
associé à une impulsion électrique brève et
le trait à une impulsion longue.
4. Manipulateur
morse de
Bréguet, 1848.
CM.
Inv. 14674-0002
Le télégraphe de Morse différencie
fortement l’émetteur et le récepteur.
L’émetteur est un simple interrupteur, le
«manipulateur», qu’un utilisateur expérimenté peut manier avec une grande
rapidité, permettant un débit important
3
La transmission des informations
d’informations. Le récepteur, que de
nombreux constructeurs modifièrent et
perfectionnèrent, permet d’obtenir une
trace écrite du message, qu’il faut ensuite
décoder. Autre forme de réception,
l’utilisation de «parleurs» permet l’écoute
de signaux sonores brefs ou longs, accompagnée d’un décodage «à l’oreille».
4. Le télégraphe électrique Morse. Récepteur
Morse à pointe sèche, 1848.
CM.
Inv. 14673-0001
En 1843, le Congrès des Etats-Unis
financent la construction d’une ligne expérimentale entre Baltimore et Washington.
La ligne est inaugurée avec succès le 24
mai 1844. La réussite commerciale est
cependant plus tardive. Dans les années
1850, le réseau télégraphique s’étend sur le
territoire des Etats-Unis, porté par des
compagnies qui se livrent à une concurrence acharnée. L’emploi de l’appareil
Morse est adopté sur toutes les lignes
internationales, et s’impose progressivement en Europe, du fait de sa fiabilité, sa
maniabilité et sa rapidité.
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mécanique qui se propage dans un milieu
matériel, et cette vibration peut être enregistrée sur un support matériel, ou
convertie en signal électrique. Réciproquement, la vibration peut être restituée à
partir de son enregistrement ou d’un signal
électrique.
Les recherches sur la transmission du son
sont contemporaines de celles consacrées à
sa reproduction, et menées par les mêmes
inventeurs, parmi lesquels Bell et Edison.
En 1877, l’Américain Thomas Edison met
au point le premier appareil capable d'enregistrer et de reproduire des sons qu'il
baptise phonographe. L'invention est brevetée à la fin de l'année et l'appareil,
présenté l’année suivante à l'Académie des
sciences de Paris, fait sensation.
Le premier modèle de phonographe se
compose simplement d’un cylindre, mis en
mouvement au moyen d’une manivelle et
sur lequel est enroulée une feuille de cuivre
ou d’étain. Sur cette feuille, une pointe de
métal trace un sillon qui correspond aux
vibrations sonores recueillies par une lame
vibrante (diaphragme) située à l’extrémité
d’un cornet.
Pour reproduire le son enregistré, il suffit
de faire suivre à nouveau à la pointe le
sillon qu’elle a tracée, en tournant le cylindre. La pointe répète les vibrations
d’origine, les transmet au diaphragme, et le
son ainsi restitué peut être amplifié par un
pavillon. Cette restitution peut alors avoir
lieu plusieurs fois!
Transmettre et reproduire un son
C’est une époque radicalement nouvelle
qui s’ouvre avec la possibilité de transmettre des informations sonores, et tout
particulièrement la parole humaine.
Procédé magique, qui peut entretenir chez
l’utilisateur naïf l’illusion de la présence
physique de son interlocuteur, et de
l’absence de toute conversion ou codage de
l’information. Or le son est une vibration
5. Phonographe de Thomas Alva Edison avec
cornet (appelé phonographe à feuille d'étain dans
le musée)
CM.
Inv. 08920-0000
4
La transmission des informations
Le principe du phonographe est rapidement
amélioré; des appareils distincts sont
conçus pour l’enregistrement et pour la
restitution du son. L’enregistrement
sonore, d’abord porté par un cylindre et
plus tard par un disque «microsillon»,
peut être reproduit, à l’identique, en quantités industrielles.
Le phonographe donne l’exemple de la
conversion d’un signal sonore en «signal»
d’une autre nature: la déformation d’une
surface matérielle. Convertir le signal
sonore en un signal électrique est l’étape
nécessaire pour permettre la transmission
du son quasi instantanément sur de longues
distances. Cet objectif est partagé par de
nombreux inventeurs: le télégraphe offre
un terrain d’expérimentation, car la perception des signaux morse se fait souvent
par l’écoute des sons brefs ou longs. Mais
c’est la transmission du langage articulé
qui pose problème, compte tenu de ses
propriétés acoustiques complexes et alors
mystérieuses.
6. Fac-similé du téléphone original de Graham Bell,
1912.
CM.
Inv. 14474-0000
Graham Bell, un écossais immigré aux
Etats-Unis, alors professeur de physiologie
vocale à l’université de Boston, réalise un
transmetteur - récepteur qui réussit
brillamment cette transmission. Le brevet
déposé en février 1876 lui assure la priorité
de l’invention du «téléphone», et lui
donne les moyens de poursuivre ses
recherches dans le domaine de la commu-
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nication, tout en lui offrant richesse et
puissance.
Le transmetteur de Bell est constitué d’un
aimant permanent droit, au bout duquel est
placée une petite bobine de fil conducteur,
branché au circuit électrique de transmission. A l’extrémité de l’aimant, une membrane en fer mince est mise en vibration
par les ondes sonores. Les variations du
champ magnétique, qui résultent des
vibrations de la membrane, engendrent
dans la bobine des courants d’induction.
Ceux-ci se propagent dans l’ensemble du
circuit. Le transmetteur fonctionne aussi en
récepteur: si un appareil identique est
placé dans le circuit, la bobine du récepteur
est traversée par le courant variable, et les
variations du champ magnétique qui en
résultent font vibrer la membrane, provoquant ainsi l’émission sonore.
Les liaisons téléphoniques
L’émetteur et le récepteur doivent être
branchés en série pour constituer un circuit
électrique simple. Chaque circuit constitue
un «canal» de communication.
Dans le cas des liaisons télégraphiques, le
circuit électrique est déjà établi: les
liaisons se font de poste à poste, il est
nécessaire de se rendre au bureau télégraphique le plus proche pour échanger des
communications. Avant l’avènement du
téléphone au début des années 1880, le
réseau télégraphique ne permet que très
exceptionnellement l’interconnexion des
lignes. A l’inverse, le téléphone est un
objet privé, qui se trouve au domicile des
abonnés, à l’origine un petit nombre de
privilégiés. Mettre en communication deux
abonnés implique la mise en connexion des
combinés téléphoniques – microphone et
récepteur – dans un circuit électrique
unique.
Cette connexion, appelée «commutation
téléphonique», est assurée manuellement
par les opératrices dans des centraux télé-
5
La transmission des informations
phoniques. Le nombre des opératrices et
l’importance de ces centraux augmentent
considérablement avec le développement
du réseau téléphonique, jusqu’à
l’apparition, au début du XXe siècle, de
systèmes de connexion automatisés.
7. Tableau
téléphonique à 25
directions, vers
1940. CM.
Inv.18421-0000
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mis en service pouvaient permettre, suivant
les modèles, de deux à six transmissions
simultanées pour une émission moyenne de
soixante mots à la minute. Ils ont été utilisés en France jusqu’à la fin des années
1940.
8 - Poste télégraphique imprimant du système
Baudot, 1880.
CM.
Inv. 10387-0000
Duplex et multiplexage
L’idée d’utiliser un seul circuit électrique
pour supporter plusieurs canaux
d’information est ancienne. On utilise le
terme de duplex lorsque le fil conducteur
transmet l’information dans les deux sens.
Il y a alors un émetteur et un récepteur à
chaque extrémité du fil, et qui peuvent
fonctionner simultanément. Le multiplexage désigne la possibilité de transmettre simultanément plusieurs messages ou
conversations.
Les recherches et les premières tentatives
se produisent dans le domaine de la télégraphie. Le développement de l’usage de la
télégraphie dans les années 1870 et la
limitation du nombre de lignes disponibles
favorisent la généralisation du télégraphe
de Baudot, qui permet l’utilisation d’une
ligne simultanément par plusieurs opérateurs: le débit d’information n’est plus
alors limité par la rapidité de l’opérateur.
Adoptés dans toute l’Europe, en Russie, au
Brésil, en Argentine, les appareils Baudot
Augmenter le rendement des
lignes télégraphiques (1) :
Comment évaluer la quantité d’informations
pouvant transiter par une ligne
télégraphique? Une indication est
fréquemment donnée: le nombre de mots
transmis par minute. Le calcul part du
principe qu’un mot est composé d’une
moyenne de cinq lettres, auquel on ajoute un
espace. La rapidité de transmission dépend
alors de facteurs très différents: le code
employé, la qualité de la transmission, la
manière de produire le signal. Par exemple,
l’émission par un opérateur d’un message en
morse est essentiellement limitée par la
rapidité de la main humaine. Un utilisateur
ordinaire envoie en moyenne deux signaux
électriques par seconde, et compte tenu de la
nature du code, le débit d’information est de
l’ordre de 5 à 10 mots par minute. La
première amélioration, expérimentée à la fin
des années 1840, est d’automatiser l’étape de
(1) L’approche historique adoptée ici ne distingue
pas rigoureusement deux objectifs qui diffèrent sur
le plan théorique: d’une part optimiser l’utilisation
d’un canal d’information, d’autre part établir
plusieurs canaux sur un seul circuit électrique.
6
La transmission des informations
l’émission et de la réception. Le message est
préalablement composé, par exemple sous
forme de bande perforée: ceci permet
d’éliminer les erreurs de codage. Et
l’émission est possible à une vitesse
notablement supérieure à celle de la main
humaine.
Mais c’est la conception d’appareils imprimeurs qui constitue un progrès décisif: avec
l’appareil imprimeur de Hughes, conçu en
1856, l’opérateur frappe directement sur un
clavier la lettre de son choix, et cette lettre est
imprimée par l’appareil récepteur. Pour
chaque lettre, un seul signal électrique est
émis. Comment est-ce possible? Le signal
électrique est émis à un moment très précis,
que l’appareil récepteur, parfaitement synchronisé avec l’émetteur, peut interpréter
comme un code. C’est la date d’émission du
signal, rapportée à la base de temps, qui permet l’identification de la lettre. Ce système
simplifie la composition du message et accélère notablement la rapidité de sa transmission.
La synchronisation parfaite entre émetteur et
récepteur est aussi le principe fondateur des
systèmes de multiplexage mis en œuvre dans
les années 1870. L’appareil de Meyer peut
permettre à quatre ou six opérateurs de communiquer sur la même ligne. Le temps
d’occupation de la ligne est découpé en des
intervalles de courte durée, répartis entre les
différents opérateurs. La répartition se reproduit cycliquement, suivant un mécanisme
identique et parfaitement synchronisé entre
l’émetteur et le récepteur. Les opérateurs,
soumis au rythme de ce mécanisme, émettent
pendant l’intervalle de temps qui leur est
réservé.
Ce multiplexage est qualifié de «multiplexage
temporel»: stricto sensu, ni l’émission ni la
transmission des différents messages ne sont
simultanées et les signaux ne se superposent
pas.
L’appareil de Baudot, mis au point en 1876 et
régulièrement perfectionné jusqu’au début du
XXe siècle, est la synthèse de ces évolutions.
Le temps d’occupation de la ligne est divisé en
cycles périodiques, répartis entre les différents
utilisateurs, et subdivisés en cinq moments: le
signal électrique est toujours un signal binaire
(présence ou absence de courant). Les cinq
moments permettent donc 25 = 32 combinaisons; un code très ingénieux, commandé par
un clavier à cinq touches, utilise ces combinai-
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sons pour transmettre les lettres, les chiffres et
la ponctuation. Lorsque quatre claviers composent simultanément, la vitesse d’émission
peut atteindre 110 mots à la minute.
En l’honneur d’Emile Baudot, le baud est le
nom donné à une unité de mesure du débit
d’information.
Les câbles transatlantiques
9. Collection d’échantillons de câbles sous-marins,
1876.
CM.
Inv. 08792-0000
Les premières communications télégraphiques intercontinentales se développent
dans la seconde moitié du XIXe siècle. Un
premier câble sous-marin est posé entre
Calais et Douvres en 1851. La pose d’un
câble transatlantique entre Terre-Neuve et
l’Irlande est une véritable épopée financière, technique et maritime, qui débute en
1857. La liaison transatlantique fonctionne
de manière satisfaisante à partir du 27
juillet 1866. Ces prouesses techniques sont
rendues possibles par l’utilisation de la
gutta-percha: il s’agit d’une gomme
extraite du latex d’arbres vivant dans
l’archipel malais. La gutta-percha est,
comme le caoutchouc, un polymère de
l'isoprène. La découverte de ses remarquables propriétés isolantes a permis de
concevoir des conducteurs électriques
capables de conduire le courant dans les
conditions extrêmes des grands fonds
marins. Un câble sous-marin est constitué
d’un toron de fils de cuivre, enrobé d’une
couche étanche de gutta-percha et d’une
7
La transmission des informations
enveloppe de chanvre goudronné; il est
protégé par une armature de fils d’acier
disposés en hélice qui assure la solidité de
l’ensemble.
La communication par delà les océans peut
amener à se poser une question: la transmission de l’information sur de longues
distances est-elle instantanée? Dès le
début des communications télégraphiques,
on tente d’évaluer la rapidité de la transmission du signal électrique. Les expériences menées autour de 1850 sur des câbles
télégraphiques en service donnent des
résultats très divers, variant de 4 000 km/s
à 200 00 km/s. Cette diversité des mesures
est déconcertante et donne une idée de la
complexité du phénomène. Aussi la
seconde moitié du XIXe siècle est-elle le
théâtre d’un grand effort scientifique
consacré au problème de la propagation du
signal télégraphique.
Les graves défauts des lignes transatlantiques mettent sur la piste des propriétés de
capacité et d’inductance des câbles. Par
exemple, dans le cas d’un signal morse, la
tension à l’extrémité du câble n’atteint pas
instantanément sa valeur maximale. Le
signal électrique est donc déformé par la
propagation. Cette déformation du signal
limite le débit d’information sur la ligne,
car des signaux trop peu espacés ne
seraient pas distingués à la réception.
Indépendamment des phénomènes de
déformation et d’atténuation du signal, liés
aussi à la qualité de l’isolation du câble, la
valeur effectivement atteinte pour la célérité de propagation est nécessairement
inférieure à la valeur de la célérité des
ondes électromagnétiques dans le conducteur. Cette valeur est par exemple de
273000 km/s pour le cuivre.
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théorique remarquable précise les notions
de champ électrique et de champ magnétique; elle prédit l’existence des ondes
électromagnétiques: la perturbation locale
d’une grandeur électrique ou magnétique
peut se propager. Maxwell a aussi
l’intuition que la lumière est une de ces
perturbations électromagnétiques, et
qu’elle se propage en observant les lois
qu’il a énoncées. Comment mettre en évidence, par l’expérience, l’existence de ces
ondes? Le physicien allemand Heinrich
Hertz y parvient, au cours de l’année 1887.
Son émetteur est un dispositif permettant
de produire des étincelles électriques. Ces
étincelles oscillent, car elles résultent
d’une décharge comparable à la décharge
oscillatoire d’un condensateur dans une
bobine. Ces étincelles sont à l’origine de
l’onde; à l’époque, on considère que le
milieu de propagation de l’onde est un
milieu infiniment subtil, appelé «éther»,
que l’étincelle ébranle. On s’efforce
jusqu’à la fin du XIXe siècle d’étudier les
propriétés de cet éther, pour finalement
renoncer à l’hypothèse de son existence.
Les ondes électromagnétiques n’ont pas
besoin de milieu pour se propager. Bien au
contraire, c’est dans le vide que leur célérité est la plus grande.
Les ondes hertziennes
10. Bobine de Ruhmkorff avec son éclateur utilisé
dans l’expérience de Branly.
Inv 21134-0000
CM, Pendant la décennie 1860, l’écossais James
Clerk Maxwell réalise la synthèse des lois
expérimentales relatives aux phénomènes
électriques et magnétiques. Cette œuvre
Le composant principal de «l’oscillateur
de Hertz» est une «bobine de
Rhumkorff», capable de délivrer les fortes
tensions nécessaires à la production des
8
La transmission des informations
étincelles. En 1890, le physicien français
Edouard Branly utilise ce dispositif pour
produire des étincelles lumineuses, dans le
but d’étudier l’influence de la lumière sur
la conductivité de certains métaux.
10. Cohéreur.
Inv16796-0000
CM
Branly découvre par hasard un phénomène
très curieux, qui le conduit à mettre au
point le «radioconducteur» appelé ultérieurement cohéreur de Branly. C’est un
modeste tube en verre, rempli de limaille,
qui peut détecter la présence d’une onde
électromagnétique. Quand l’émetteur de
Hertz produit une étincelle, le tube de
limaille, inséré dans un circuit électrique et
placé au voisinage de l’émetteur, devient
conducteur. Il suffit ensuite de le frapper, à
l’aide d’un petit marteau appelé «trembleur», pour que le choc lui rende son état
initial d’isolant: le tube est alors disponible pour une nouvelle détection. Branly a
ainsi conçu un récepteur d’ondes électromagnétiques, convertissant le signal radio
en signal électrique.
Marconi et la TSF
Les découvertes de Hertz et de Branly
ouvrent la voie de la transmission
d’information «sans fil», comme au
temps du télégraphe de Chappe. Mais la
référence est désormais le télégraphe
électrique, et la transmission d’un signal de
type morse. L’aventure de la TSF, la télégraphie sans fil, est marquée par la person-
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nalité de Guglielmo Marconi. Italien né en
1874, c’est encore un tout jeune homme
qui s’intéresse à partir de 1895 aux ondes
hertziennes. Il combine les différents
dispositifs conçus dans les laboratoires de
Hertz et de Branly, avec la découverte de
Popov. Ce dernier, un savant russe qui
s’interrogeait sur le caractère oscillatoire
des décharges atmosphériques – les éclairs
des orages -, a découvert l’utilité de
«l’antenne», dérivée du paratonnerre,
pour améliorer la sensibilité de la
réception.
L’entreprise de Marconi n’est pas simplement scientifique. Il poursuit avec
entêtement le projet d’une utilisation
commerciale de la TSF. C’est un homme
d’affaire, qui dispose de capitaux levés en
Angleterre, du soutien des services télégraphiques britanniques, et d’un conseil en
brevets qui lui assure la propriété de ses
inventions. Quelle est l’originalité de sa
démarche? C’est la conviction de pouvoir
transmettre, sans fil et sur de grandes
distances, des signaux morse utilitaires.
L’épopée de Marconi est rythmée par
l’augmentation de la portée des liaisons
réalisées: 1,5 km durant l'été 1895, une
quinzaine de kilomètres en 1897, en 1899
la première liaison entre les deux rives de
la Manche, et dans les premières années du
XXe siècle, les premières liaisons transatlantiques, encore très expérimentales. Ces
dernières bénéficient d’une circonstance
heureuse. En effet, les ondes électromagnétiques se propagent en ligne droite, et la
courbure de la Terre devrait interdire la
possibilité d’une liaison TSF
transatlantique. Il se trouve que les ondes
hertziennes se réfléchissent sur
l’ionosphère, dont l’existence était alors
ignorée. Pour sa part, Marconi estimait
vraisemblablement que le pouvoir de
diffraction des ondes utilisées, et donc leur
capacité à contourner les obstacles, pouvait
assurer la propagation sur des parcours
courbes.
Toutes les innovations qui améliorent
l’efficacité et la portée de la TSF n’ont pas
Marconi pour seul auteur. Mais la société
9
La transmission des informations
de Marconi veille à défendre son
monopole, et achète au besoin les brevets
nécessaires. C’est le cas du principe de la
syntonie, qui consiste à accorder le
récepteur à la fréquence de l’oscillation du
signal émis. Ceci est rendu possible par
l’utilisation d’un circuit d’accord,
comportant des bobines d’inductance
variable, et des condensateurs de capacité
variable.
Marconi crée en 1897 la société Wireless
Telegraph and Signal Company q u i
devient la Marconi Wireless Telegraph
Company en 1900. L’un de ses grands
succès est le développement de la TSF
dans les transports maritimes. Il est en effet
d’un intérêt vital pour les navires de
disposer d’un moyen de communication
sans support matériel.
LE PETIT JOURNAL
à ne laisser passer le courant que dans un
sens, peut être rempli par certains cristaux,
dit semi-conducteurs, dont l’exemple le
plus connu est le cristal de galène, un
minerai de plomb très abondant. Les postes
à galène, d’une conception très simple, se
répandent et continueront d’être utilisés à
l’ère de la radiodiffusion. Le récepteur à
galène présenté dans le musée était destiné
à recevoir les signaux horaires de la station
de la Tour Eiffel, dont l’émission régulière
avait commencé en 1910.
11 - Récepteur radio à galène, 1919
Inv. 20534-0000
10 - Boîte d'accord, 1907.
CM.
Inv. 18691-0000
Détecter, amplifier, moduler
Le cohéreur de Branly joue pendant une
décennie le rôle de détecteur des ondes
hertziennes dans les récepteurs de TSF.
D’autres détecteurs font cependant leur
apparition. Il suffit par exemple de
combiner un écouteur de téléphone et un
composant redresseur de courant pour
rendre sensible la présence d’oscillations
électriques dans le circuit de réception. Ce
rôle de redresseur de courant, qui consiste
En 1907, l’américain Lee de Forest dépose
le brevet de la triode, la première d’une
série de lampes très originales. Ces lampes
ne sont pas destinées à éclairer, pas
davantage à chauffer, même si c’est parfois
un effet indésirable de leur
fonctionnement! La triode est une
ampoule dans lequel règne le vide, et
munie de trois électrodes. Entre deux de
ces électrodes, des électrons peuvent
circuler, d’autant plus librement que le
vide est de qualité. Leur passage est
contrôlé par la troisième électrode. C’est
une invention merveilleuse, à l’origine de
l’électronique. Placée dans des circuits
adaptés, la triode permet d’agir subtilement
sur les courants électriques, de les détecter,
de les redresser, de les amplifier. Le
nombre d’électrodes est progressivement
augmenté, la forme de l’ampoule évolue
10
La transmission des informations
pour constituer la grande famille des tubes
électroniques.
Les lampes à vide sont dans un premier
temps utilisées pour détecter et amplifier
les signaux électriques captés par le
récepteur TSF.
11. Amplificateur détecteur, type L1, 1917
Inv. 18680-0001
La première guerre mondiale donne un
coup de fouet aux recherches de radiocommunication. En France, l’équipe de
radiographie militaire du colonel Gustave
Ferrié s’illustre tout particulièrement par
son dynamisme. A partir de 1916, les différents corps d’armées sont massivement
équipées de récepteurs TSF à lampes.
Le procédé d’émission d’un signal radio va
aussi connaître une transformation radicale, qui ouvre la voie à la transmission
électromagnétique de signaux complexes,
et permet enfin de diffuser «sans fil» voix
et musique. A l’origine de la Télégraphie
Sans Fil, l’émission du signal utilisait le
système à étincelles: hérité de l’expérience
initiale de Hertz, ce dernier produit des
trains d’ondes amorties, c’est-à-dire des
séries – plus ou moins longues d’oscillations très brèves. Le récepteur
détecte l’émission du train d’onde: le
signal transmis est donc de la forme «tout
ou rien», ce qui limite son application à la
communication télégraphique. Or pour
LE PETIT JOURNAL
transmettre un signal électrique analogue à
celui d’un téléphone, il est nécessaire,
d’une part, de produire des ondes entretenues, avec lesquelles il est plus facile
d’accorder le récepteur; d’autre part, de
modifier à volonté l’une des caractéristiques de l’onde porteuse, par exemple son
amplitude. C’est le principe de la
modulation.
L’utilisation d’émetteurs à arc, puis
d’alternateurs à haute fréquence – aux
dimensions imposantes – permet avant
guerre la production de ces ondes entretenues. Après la guerre, le perfectionnement
des appareils à lampes leur permet de
supplanter progressivement les autres
procédés d’émission et de réception.
Dès les années 1920 apparaissent des
«stations de radio» qui s’adressent au
grand public. La naissance de la radiodiffusion, ce nouveau mode de communication, est aussi l’apparition d’une
nouvelle forme de distraction, de culture et
d’information.
De nos jours, il est possible d’écouter la
radio par l’intermédiaire d’Internet:
comment s’imagine-t-on le cheminement
de ces informations?
12 - Récepteur
Philips type83OAS, 1934
Inv. 21344-0000
CM
Rédaction: Y. Roussel
Mise en forme: C. Aunis
Photos: © Musée des arts et métiers/ CNAM;
F. Delastre, P. Faligot, S. Pelly, J.-C. Wetzel
Sources: Cf. page suivante
11
La transmission des informations
LE PETIT JOURNAL
Sources :
Patrice Carré. Du tam-tam au satellite, Presses
Pocket ; Cité des Sciences et de l'Industrie, 1991,
127 p.
Patrice Carré, Christophe Ravaute (photographe).
Télégraphes : innovations techniques et société au
19e siècle, Éd. du Téléphone, 1996, 169 p.
Maurice Daumas (dir.), Histoire générale des
techniques [tome 5]: les techniques de la
civilisation industrielle: transformation,
communication, facteur humain, PUF, 1979, 596 p.
E. Monier, La Télégraphie sans fil et la
télémécanique à la portée de tout le monde, Dunod
/ Pinat, 1907, 142 p.
E. Montoriol, Les systèmes de télégraphie et
téléphonie : origines, évolution, état actuel,
Librairie J.B. Baillière, 1922, 709 p.
Albert Vasseur, De la TSF à l'électronique :
histoire des techniques radioélectriques, Editions
Techniques et Scientifiques Françaises, 1975, 327p.
Interferences : deux siècles de communication à
distance, Paris, Musée national des
techniques/CNAM,. 1985, 112 p.
Ouvrages numérisés sur http://gallica.bnf.fr/:
Théodore Du Moncel, Exposé des applications de
l’électricité, Paris : E. Lacroix, 1872-1878, 5 vol.
Théodore Du Moncel, Le téléphone, le microphone
et le phonographe, Hachette, 1878, 320 p.
Pages wikipédia en français :
Samuel_Morse; Multiplexage; Vitesse de
l'électricité; Marconi
Pages wikipédia en anglais :
Alexander_Graham_Bell; Morse_code;
James_Clerk_Maxwell ; Heinrich_Rudolf_Hertz
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