La vie nocturne lyonnaise n`est plus si gay

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La vie nocturne lyonnaise n`est plus si gay
La vie nocturne lyonnaise n’est plus si gay
Vu par Jean-Claude, propriétaire et gérant de la Petite Taverne (1971-1998)
Au début des années 70, émerge une « sous-culture » homosexuelle à Lyon. Le monde de la nuit lyonnais voit
s'ouvrir de nombreux bars et boîtes de nuit mais aucun n’est spécialisé dans la culture gay. Tous les bars se
ressemblent, et les homosexuels de l'époque n'y trouvent pas leur place. Des associations lyonnaises comme
Arcadie qui prendra en 1981 le nom d’ARIS (qui soutiendront par exemple des projets et demandes de
modifications relatives aux horaires de fermeture des bars) vont s’atteler à faire changer les choses.
Les premiers bars de nuit gay ouvrent dans le quartier du 1er arrondissement. Le Cercle et La Petite Taverne qui
ouvrent leurs portes respectivement en 1969 et 1971 sont à l'origine de la naissance de cette sous-culture. Ces
deux établissements offrent et proposent jusqu’à l’aube une ambiance, une clientèle et des décors crées pour
permettre à leurs clients de vivre librement leur sexualité.
J’ai rencontré pour vous, Jean-Claude gérant de la Petite Taverne boîte de nuit lyonnaise (rue René Leynaud à
l'époque). Lors d’un entretien nous avons pris place sur son nouveau lieu de travail Le Baryton (bar de jazz rue
de l’Arbre sec, tenu par deux de ses amis gay). Il nous décrit l’époque durant laquelle il était au cœur des
mondanités.
Âgé aujourd'hui de 65 ans, Jean-Claude occupe ses soirées en travaillant comme portier dans le Bar de jazz
lyonnais, Le Baryton.
Bonjour Jean-Claude, comment, originaire de Bourgogne, vous êtes-vous retrouvé à travailler à la Petite
Taverne lyonnaise?
J'ai quitté la Bourgogne pour Paris puis je suis arrivé à Lyon à l'âge de 19 ans. J'ai été d'abord embauché par
Paulette la gérante du bar. C'était une ancienne prostituée alors je vous laisse imaginer l'ambiance. C'était un
véritable bordel. A sa mort, elle me demande de reprendre le bar. J’ai accepté et c’est comme ça que je suis devenu
gérant d’un bar à 24 ans.
A cet âge-là vous étiez déjà une figure marquante de la vie nocturne lyonnaise, est-ce encore le cas
aujourd’hui ?
Oui c'est vrai que je connais tout le monde et que tout le monde me connaît. La Petite Taverne a été l'une des
premières et l'une des dernières d'une génération. Je l'ai fermé en 1993 pour quelques mois. On a fait des travaux
et mis en place une scène. Même si j’étais réticent à cette idée au début, mes amis directeurs de casting m’ont
proposé de faire passer sur scène des artistes qu’ils connaissaient. Les spectacles ou comme j’aime les appeler, les
« shows » ont commencé à ce moment-là. Nous n’avions rien à envier à la boite parisienne de Michou. Il y avait
de tous des draqueens, des danseurs, des chanteurs,... C'était la belle époque.
En 1998 a eu lieu la fermeture définitive. J'avais eu un coup de cœur pour le Maroc et j’y ai passé 15 ans de ma
vie à diriger mon hôtel.
A votre retour, comment avez-vous retrouvé ce quartier que vous aimiez temps ? Les années 2000 ont-elles
respecté le patrimoine festif gay dont vous avez été l’un des initiateurs ?
Quand je suis revenu en 2006, ça été le choc! J'ai l'impression que les boîtes gay sont devenues des lieux où les
hétéros peuvent faire tout et n'importe quoi. Je parle du Pinks, de l'UC, du Crazy et de tous ces lieux du 1er
(arrondissement). C'est désolant.
L’ambiance de la Taverne était survoltée mais elle n'était pas vulgaire et bordélique. Je l'avoue quand j'ai
commencé dans le métier c'était autre chose. Mais quand j'ai repris le bar j'ai voulu en faire quelque chose de
nouveaux. Pour nous. Je me suis retrouvée à devoir créer un nouveau concept comme ça sur le tas. Je décide dans
un faire un bar de nuit. On s’y sentait bien. Comme les clandestins cubains à leur arrivée à New-York (rires).
Les Invisibles, le récent film documentaire réalisé par Sébastien Lifshitz (dont la sortie en salle est prévue
pour le mercredi 28 novembre) retrace par le bais de témoignages la vie des gays et lesbiennes des années
70. En avez-vous entendu parler ?
Oui bien sûr. Le réalisateur a voulu que je fasse partie du casting. Mais ce n’est pas mon truc. Par contre mon
ancienne employée Nicole y participe. Elle sait tout ce qui s’est passé à l’époque, elle a des photos des potins.
C’était la fille de Paulette la gérante et je l’avais engagé pour faire le vestiaire. Ça risque d’être un film très
intéressant. Cette époque intéresse et intrigue les curieux.
Si vous vous sentiez comme des clandestins à l’époque, quel est votre ressenti sur la société homosexuelle
d’aujourd’hui ? Que pensez-vous du projet de loi « mariage pour tous » ?
Je ne soutiens pas spécialement ce projet. Il nous met en effet en lumière mais de la plus mauvaise des manières.
Et même s’il faut avouer que l’on aime être « à part », et unique. Je pense que si le mariage ne marche déjà pas
chez les hétéros ce n’est pas chez nous qu’il fonctionnera. Qu'ils nous laissent tranquille, on vit très bien comme
nous sommes.
Mais vous ne pouvez pas nier qu'il s'agit d'une loi qui accorderait beaucoup plus de droits notamment
patrimoniaux pour les couples homosexuels ayant des enfants?
Les couples homosexuels ayant des enfants? Mais nous, nous sommes tous des fêtards. En tout cas je vous parle
de mon entourage. Je fais partie d'un milieu dans lequel nous sommes très peu à vouloir fonder une famille. Donc
oui si je vous réponds honnêtement, de manière égoïste, je ne suis pas pour cette loi. J'avoue qu'elle m'indiffère.
Que pouvons-nous vous souhaitez pour l'avenir?
Une belle retraite au Maroc.
Propos recueillis par Pascale Keingna