Les représentations L.Simmat

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Les représentations L.Simmat
LES REPRÉSENTATIONS
DE LA FEMME ET DE LA
MÈRE TOXICOMANES
LAURENCE SIMMAT-DURAND,
PROFESSEURE,UNIVERSITÉ PARIS DESCARTES
Libramont
12 mai
2014
QUELLES REPRÉSENTATIONS DES
FEMMES CONSOMMATRICES ?
• L’alcoolique est un homme, les premières études
consacrées aux femmes portent sur la « femme de
l’alcoolique »…
• Le toxicomane
• La fumeuse, seul féminin disponible, une image qui
s’impose, valorisante dans les années 50-70, de la
femme émancipée
• Quelles images sont véhiculées sur « femmes et
drogues » ?
INPES
PRÉVENTION….
Commercialisation…
RECHERCHE « RISQUE ALCOOLISATION
FEMMES »
• Majoritaires pour certaines périodes et certains
produits
• Mais également invisibles, transparentes, dans les
données institutionnelles, les images
• Une image « grand public » qui surgit dans les
années 1970 : « moi Christiane F., 13 ans, droguée,
prostituée. Image rassurante, ce n’est pas vraiment
une femme (les ados sont naturellement hors
normes), les prostituées ne sont pas des femmes
« bien » . La camée, marginale
• Le portrait dominant va se résumer en clandestinité,
interdit social et névrose (Bertelot, 1984)
UNE MALADIE DU SIÈCLE, MAIS
LEQUEL ?
• W. Lowenstein : il y a un demi siècle, « l’addiction
féminine n’existait pas ou, en tout cas, personne n’osait
l’évoquer ».
• S. Straussner, présente une perspective historique très
différente :
Selon elle : « Women’s use of and addiction to
alcohol and other drugs is closely related to their
dependence on men including their doctors »
• Dès les années 1830, les médecins prescrivent des produits à
base alcoolisée pour tous les maux féminins
• Puis les dérivés d’opium font fureur car ils sont plus doux et
féminins, l’alcool étant associé à l’ébriété masculine : le
Laudanum et d’autres produits sont prescrits pour de très
longues périodes
• Aux Etats-Unis, en 1885, la majorité des dépendants à la
morphine ou à l’opium sont des femmes, bien éduquées et
avec des moyens financiers leur permettant de s’acheter les
produits. La cocaïne se répand également,
• Elles seront ensuite stigmatisées pour donner des dérivés
d’opium aux enfants pour les calmer
• Cet usage des narcotiques ne disparaîtra qu’après le Harrison
Act en 1914
• Le marché des barbituriques prend son extension en 1950 et
les femmes seront de nouveau la clientèle privilégiée
• Dans les années 1960, s’y ajoutent les tranquillisants et autres
sédatifs. Les prescriptions majoritaires sont celles de Valium.
• La France n’a pas échappé à ces courants,
CONSOMMATIONS SUR L’ANNÉE
FEMMES
65-75 ans
Source
Somnifères
13,7 %
Baromètre santé
Au moins un psychotrope
40,6 %
EVA (Nantes)
Dont BZD
33,1 %
EVA
Tous psychotropes
36,4 %
MGEN
Tous psychotropes
17 ans
29,2 %
ESCAPAD 2003
45 % des femmes vs 28 % des hommes ont consommé des médicaments
psychotropes au cours de leur vie
• Le fossé des genres est en train de se combler pour
ce qui concerne la consommation de produits
illicites depuis les années 1990 (Measham,2002)
• Les stéréotypes concernant les femmes usagères les
montraient sad, bad or mad
• Trois sous-catégories sont seules étudiées jusqu’au
tournant du 21è siècle : les injectrices, les prostituées
et les mères
• Un changement se produit en concevant l’usage
des femmes en termes d’addiction, d’usage
problématique ou récréationnel
… DES MÈRES INSUFFISAMMENT BONNES…
REPRÉSENTATIONS ET PRÉJUGÉS
UN SITE FRANÇAIS D’INFORMATIONS
FAMILIALES…
• Les femmes enceintes qui fument du crack, perdent cet
instinct fondamental de l'espèce humaine : l'instinct
maternel.
• Une droguée, venant d'accoucher, ne s'intéresse même
pas à l'enfant qu'elle vient de mettre au monde.
• Aux Etats-Unis, on a constaté des mères qui revendent la
nourriture de leur enfant, pour acheter leur drogue
quand elles ne tuent pas purement et simplement leur
bébé.
• Les enfants nés de mères toxicomanes, sont souvent
prématurés. Ils doivent passer plusieurs semaines en soins
intensifs. Ils sont souvent porteurs d'une malformation
congénitale, infarctus cérébraux et très souvent victimes
de mort subite.
• Et s'ils survivent, ils deviennent agités, agressifs,
insociables.
LE NON RESPECT DES NORMES
• Normes pénales
• L’usage de nombreuses substances est illicite
• Normes sociales
• La « bonne mère » ne peut être délinquante, droguée,
prostituée. La femme responsable utilise une contraception.
• Normes médicales
• Risques divers d’infections, mauvais suivi des grossesses, suivi
insuffisant des enfants
• Normes de genre
• Valeurs masculines associées à l’usage de drogues, à la
délinquance. Socialisation de rue
• Une construction médicale du corps de la mère
toxique pour le fœtus
• Et une approche punitive, prévoyant des
obligations de soins, y compris sous le régime de
l’incarcération
• Des femmes décrites comme insouciantes du bien
être de l’enfant et des conséquences de leurs
consommations
• Les femmes toxicomanes interrogées (Murphy &
Rosenbaum) partagent les normes habituelles sur
les grossesses
QUELQUES RÉSULTATS
SOUVENT CONTRADICTOIRES…
REFLETS DES PRÉJUGÉS ?
ETUDE DE C. LUTTENBACHER (1998)
• Les professionnels de maternité ont en général une
position défavorable face à ces grossesses
• ils pensent que les femmes enceintes toxicomanes sont
•
•
•
•
Indisciplinées, gênantes
Immatures
Avec un désir d’enfant pour de mauvaises raisons
Irresponsables, ne modifiant pas leurs consommations
• Diabolisation du produit, responsable de toutes les
difficultés médicales plutôt que les problèmes associés
• Car ils ont une image de la maternité idéalisée, un
aboutissement de la féminité, la construction d’un projet
familial
ETUDE DE A. DUMAS SUR ALCOOL ET
GROSSESSE
• « je pense qu’on parle dans le vide… comme pour
les droguées »
• « on a toujours l’impression qu’elle nous cache
quelque chose. Y a pas de vraie relation, y a pas
de coopération. Y a une part de mensonge »
• Un petit vieux ! Pour moi, c’est un enfant, c’est un
petit vieux qui naît. Alors là, on parle d’alcoolisme
avancé. L’alcoolisme fœtal, c’est un bébé qui naît
comme un petit vieux rabougri, voilà »
• « le problème c’est qu’ici on a quand même une
clientèle privilégiée, on est pas souvent confrontés
au problème »
ETUDE DE L. GREAVES ET AL. 2002
• Les mères consommatrices mettent en danger leurs
enfants
• Les mères sont représentées dans les médias
comme représentant le risque
• La presse manifeste un forte hostilité
• La mention de la race ou de la classe, associée à la
consommation, est courante : « les femmes pauvres
et les mères seules ». Le SAF touche les défavorisés
et les autochtones
ETUDE L. SIMMAT-DURAND (2005)
UNE GROSSESSE PEU INVESTIE
• Car découverte tardivement
• « Moi, j’étais enceinte de cinq mois et
toxicomane, donc je ne m’étais même pas
aperçue que j’étais enceinte » Christine
• Avec un suivi inexistant ou insuffisant
• « La 2ème, je ne l’ai pas fait suivre du tout. Je crois
que j’avais très honte »
• Un déni ou un secret ?
• « Je ne voulais pas qu’on me dise d’avorter »
…OU UNE GROSSESSE IDÉALISÉE
• Qui sert à remplir un vide
L’enfant va remplacer la drogue : la mère ressent
un « plein » que seul lui procurait le produit
•Où l’enfant peut sauver la mère
Moi, j’ai déjà entendu çà, hein ! L’enfant salvateur
qui va arriver et qui va tout réparer, hein !
Assistante sociale
• Déclic essentiel à l’arrêt de prise du produit
DES SOINS INADÉQUATS…
• L’enfant lâché :
• La mauvaise alimentation
• « Tout petit, c’est vrai que çà peut être le risque qu’on lui
donne pas suffisamment à boire »
Sage-Femme
•
Un enfant « oublié »
• Ben le risque, c’est par exemple une maman, qu’elle part pour
aller chercher son, comment vous dire çà, ce avec quoi elle se
drogue, et çà, ce peut être tellement important pour elle,
qu’elle oublie complètement qu’elle a un bébé là…
Puéricultrice PMI
… OU UN ENFANT SURINVESTI
• L’enfant collé :
• Les retards d’acquisition
• « Il y a des retards dans tous les domaines,
l’enfant il ne peut pas évoluer dans cette
fusion ». Psychologue CSST
• L’autonomie impossible
• « des gens qui ont une pathologie de la
dépendance, çà va être compliqué sur la
question de la séparation » Psychiatre CSST
DEUX DISCOURS JUXTAPOSÉS
• Ne se superposent pas
• Dépendent du milieu
professionnel (maternité/enfance
vs CSST)
• En lien avec la proximité à la mère
des intervenants (puéricultrice à
domicile vs addictologue)
UNE DOUBLE IMPASSE : (GREAVES À
PROPOS DE LA MALADIE MENTALE)
• La maternité serait à la fois un risque
pour les enfants et un moyen de ré
adaption pour la femme
• Si la femme est trop distante, on la
considérera comme nuisible
• Si elle est trop proche, on la considéra
comme trop engagée, empêchant
l’autonomie de l’enfant
• Jamais à la bonne place
1.
Condition féminine Canada, Où se tourner ? La situation des jeunes femmes sans domicile
fixe au Canada. 2003: www.conditionfemininecanada.ca.
B
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r
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h
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e
2.
Groupe Pompidou. Pregnancy and drug misuse. in Symposium organised by the Co-operation
Group to Combat Drug Abuse and Illicite Trafficking in Drugs. 1997. Strasbourg (6-7 march): Conseil
de l'Europe.
3.
Groupe Pompidou, Grossesse et toxicomanies, état des lieux en l'an 2000. 2001, Strasbourg:
Editions du Conseil de l'Europe. 273 p.
4.
Guyon, L., et al., Toxicomanie et maternité. Un parcours difficile, de la famille d'origine à la
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5.
Lejeune, C. and L. Simmat-Durand, Grossesse et substitution. Enquête sur les femmes
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Luttenbacher, C., La mère toxicomane et l'enfant : incidence des représentations sur la prise
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Reicher, M., M. Weil, and J.-P. Lang, Prendre en soin une femme enceinte usagère de
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8.
Reichert, M. and M. Weil, "Maternité et addictions" en Alsace : exemple de prise en charge
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9.
Simmat-Durand, L., La mère toxicomane, au carrefour des normes et des sanctions. Déviance
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10.
Simmat-Durand, L., Femmes et addictions dans la littérature internationale : sexe, genre et
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11.
Simmat-Durand , L., ed. Grossesses avec drogues. Entre médecine et sciences sociales.
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12.
Simmat-Durand , L., Devenir mère en situation d'addiction : quelle trajectoire ? La Lettre de
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13.
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