Origine et évolutions de l`écrit en occident - CRDP Basse

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Origine et évolutions de l`écrit en occident - CRDP Basse
Service des Musées et du Patrimoine – Ville d’Avranches
Service éducatif du Scriptorial
Origine et évolutions
de l’écrit en occident
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Service des Musées et du Patrimoine – Ville d’Avranches
Service éducatif du Scriptorial
Dossier Documentaire n°5
ORIGINE ET EVOLUTIONS DE L’ECRIT EN OCCIDENT
Correspondances : travée A2, ateliers thématiques Th5, Th6, Th7, Th8.
Thèmes abordés : alphabet, Antiquité, codex, débuts du Christianisme, écritures, Humanisme, imprimerie,
Moyen Âge, parchemin, supports.
Introduction.
I. La génèse de l’écriture occidentale.
II. Le rôle du Christianisme.
III. L’écrit au Moyen Âge : techniques et modes de production.
Conclusion.
INTRODUCTION
Ce dossier traite d’une question vaste : l’évolution de l’écriture de sa naissance en Mésopotamie au IVe
millénaire avant notre ère jusqu’à l’apparition de l’imprimerie au milieu du XVe siècle, peut être la plus
marquante des ruptures dans l’histoire de l’écrit.
Trois questions guident la reflexion : dans quel contexte se met en place l’écriture? Quel est son but?
De quels moyens profite-t-elle?
Pour les premières écritures, le contexte est celui de la formation des cités, de la sociabilité et du
commerce. Elles sont l’instrument indispensable à la gestion de ces phénomènes : on les retrouve dans les
comptes en écriture linéaire (A et B), dans les textes de loi de la vallée du Danube ou dans les textes sacrés
de l’Egypte pharaonique. L’alphabet grec se fixe vers le milieu du VIIIe siècle avant notre ère, et marque
le passage des alphabets syllabiques à un alphabet phonétique, plus souple et témoin de l’enrichissement
du langage.
La période romaine est une période d’essor et de développement de l’écrit qui profite des acquis
grecs notamment, mais aussi égyptiens dont elle récupère le support papyrus. C’est la constitution
d’une identité à partir de la civilisation étrusque durant la période royale, le développement des grandes
idées inspirées des philosophies grecques durant la période républiquaine, et enfin l’affirmation d’une
civilisation puissante et bigarrée qui voit apparaître et s’imposer en son sein une nouvelle religion du
livre : le Christianisme. De nouveaux enjeux dirigent l’évolution de l’écriture : plus qu’un outil, elle
devient une arme dont les chrêtiens seront les plus habiles porteurs. La civilisation romaine conditionne
l’ensemble de la pensée occidentale, et y impose son alphabet et sa langue : ceux-ci seront au coeur de
l’écriture jusqu’à la fin du Moyen Âge. Les supports évoluent eux aussi : du volumen, le rouleau, de
papyrus, fragile et encombrant, on passe progressivement entre les IIIe et IVe siècle de notre ère au codex,
le livre tel que nous le connaissons aujourd’hui, de parchemin. Cette révolution de l’écriture qui permet
la manipulation et le transport des textes, mais aussi leur indexation, permet la diffusion de la nouvelle
religion, et conditionne encore une fois durablement la production intellectuelle. Les grands textes des
Pères de l’Eglise se mettent en place dans ce contexte et annoncent la société médiévale d’inspiration
divine.
Au coeur de cette dernière, l’écriture se développe en même temps que les modes de production,
permettant l’invention de l’imprimerie et la diffusion de l’information à grande échelle, prémice de
notre civilisation occidentale. Dans cette étude, la principale problématique est l’évolution de l’écriture
occidentale, de ses sources à l’invention de l’imprimerie, et les influences qu’elle reçoit ou, au contraire,
qu’elle exerce sur la société dans laquelle elle évolue sans cesse.
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I. LA GENESE DE L’ECRITURE OCCIDENTALE.
1. Les premières codifications du langage écrit.
C’est autour du bassin méditerranéen que se développent les premières écritures, dans le berceau des
premières civilisations sédentaires. Ces dernières, développant l’élevage et l’agriculture, puis organisant
le commerce afin de se procurer les denrées qu’elles ne peuvent trouver sur place, sont confrontées à une
nouvelle nécessité : celle de prévoir sur le long terme, donc de compter, et de noter. Au VIIe millénaire,
on trouve en mésopotamie les premiers sceaux destinés à sanctionner une transaction : on marque de
ces sceaux des contenants indiquant le nombre de bêtes vendues par exemple. Dans la même région, on
trouve 3500 ans avant Jesus Christ la première écriture, destinée à la gestion des domaines ruraux : le but
est le même, et l’écriture semble s’inscrire en tout premier lieu dans un souci économique et purement
comptable au sein d’une société qui s’organise en villages, eux-mêmes créant des réseaux. Petit à petit,
on commence à inscrire ces comptes sur des tablettes de cire ; enfin, vers 3300 avant Jesus Christ, un
style d’écriture schématisé se stabilise : il s’agit de l’écriture pictographique sumérienne. Mille ans plus
tard, peut être moins, cette écriture va permettre les premières productions littéraires, témoins d’une
véritable culture de la communication qui ne se limite pas aux échanges commerciaux. C’est parce que
ces civilisations ont pu nous laisser les traces de leur culture et de leur vie que l’on considère généralement
l’apparition de l’écriture comme le début de l’Histoire.
Parallèlement se développe en Egypte un phénomène similaire, avec un siècle de décalage, sans que
l’on puisse affirmer si il y a eu une influence entre les deux peuples. Les premiers hiéroglyphes nous
sont en effet parvenus dans un état d’aboutissement, et les premières productions, peut être largement
antèrieures, de cette écriture ont probablement disparu.
a. Les écritures cunéiformes
Elles dérivent du sumérien, première écriture connue et datée du 4e millénaire avant notre ère. Cette
écriture est codifiée : un dessin simplifié, un « pictogramme » représente une image qui, associée avec
d’autres, forment un « idéogramme ». Par exemple, les signes « main » et « bouche » désignaient la notion
« prière ». Ce système se perfectionna en un système mixte alliant les syllabes aux idéogrammes.
L’écriture est dite cunéiforme pour sa graphie en cuneus, c’est-à-dire en coins. Les dessins linéaires
du sumérien pivotent à angle droit, et évoluent jusqu’à devenir un ensemble plus ou moins complexe de
lignes droites parallèles ou croisées. Son expansion est attestée sur toute la Mésopotamie. Il existe ainsi
différentes écritures cunéiformes réadaptées à chaque langue étrangère : akkadien, hittite…
Elle commencera à décliner vers le premier millénaire pour s’éteindre définitivement au début de l’ère
chrétienne.
b. Les hiéroglyphes
Vers 3000 avant JC, une nouvelle écriture fait son apparition en Égypte. Les hiéroglyphes sont des
signes figuratifs dans laquelle l’écriture est véhiculée par l’image et subit ainsi des contraintes telles que
le calibrage et l’orientation : la taille du signe ne dépend pas de ce qu’il représente et les regards indiquent
le sens de la lecture. Chaque signe peut correspondre à une idée, un son ou un déterminant, c’est-à-dire
une précision pour permettre le classement de l’objet décrit.
Cette écriture reste avant tout phonétique malgré l’utilisation de signes figuratifs.
Après la chute de l’État pharaonique, les hiéroglyphes, liés à la vie religieuse, perdurèrent et ne
s’éteignirent qu’après l’interdiction des cultes païens en 392.
Pour les usages courants, d’autres écritures simplifiées et de style cursif existaient : d’abord le hiératique
qui fut remplacé par le démotique, institué langue officielle au VIIe siècle avant JC.
2. Le passage des écritures syllabiques aux alphabets phonétiques.
Les premières écritures sont des écritures symboliques, puis syllabiques : elles transcrivent des idées,
des phrases, des mots et enfin des syllabes. Même cette dernière division de l’écriture implique un
nombre de possibilités quasiment illimités ; la conséquence est la restriction de son usage, et la limite
qu’elle impose au langage et donc aux idées qu’il permet d’exprimer.
La révolution va être l’écriture phonétique, annoncée mais incomplète dans les écritures hiératique,
démotique et cunéiforme. Ce type d’écriture reconnaît la plus petite division du langage : le phonème. Nous
pouvons aisément le comparer à nos lettres d’aujourd’hui, puisqu’il s’agit exactement du même principe ;
ces écritures, les premiers « alphabets » (de alpha et beta : les deux premières lettres de l’alphabet grec),
facilitent grandement la communication entre les différents peuples autour de la Méditerranée qui, dans
ce deuxième millénaire avant notre ère, est un grand carrefour commercial. L’alphabet phénicien, apparu
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vers 1300 avant Jesus Christ, va ainsi être le berceau de presque tous les alphabets développés dans le
monde.
L’alphabet phénicien est le premier alphabet purement phonétique, c’est-à-dire qu’il a exclu tout signe
qui ne correspondait pas à un son mais à une idée : déterminants, indicateurs grammaticaux, etc... Les
22 lettres qui le composent doivent donc permettre de communiquer l’ensemble des langues du bassin
méditerranéen. On s’accorde à considérer le peuple phénicien, nom donné par les Grecs à ces habitants
de la région du Liban actuel (la Phénicie dans l’ancienne région de Canaan) dont les principales villes
étaient Tyr, Biblos et Sidon, comme une civilisation maritime de commerçants. Ils établirent dès le IIIe
millénaire des comptoirs sur tout le pourtour méditerranéen, dont le plus célèbre est Carthage, fondée en
814, point de départ pour le commerce avec l’Europe Occidentale et Septentrionale. Une telle expansion
commerciale suffit largement à justifier le développement dans cette civilisation d’un alphabet à vocation
universelle facilitant le commerce et la communication. La richesse des cités états de Phénicie et de leurs
comptoirs leur ont permis une certaine stabilité dans des régions convoitées, non grâce à la force militaire
mais par le paiement de tributs, jusqu’aux invasions d’Alexandre le Grand.
Adapté aux langues orientales et influencé par les écritures égyptiennes, la faiblesse de l’alphabet
phénicien est de n’être composé que de consonnes1 ; son atout par contre est d’utiliser des lettres
répondant non à une symbolique mais à une convention : lorsque les Hellènes, installés depuis peu dans
la région des Balkans, l’adoptent vers le Xe siècle, ils n’ont qu’à adapter les signes pour transcrire les sons
vocaliques de leur langue : c’est l’invention des voyelles, indispensable à la transcription des langues
indo-européennes.
Parti de Tyr à la recherche de sa soeur Europe enlevée par Zeus, le fondateur de Thèbes Cadmos,
apporte selon la légende l’écriture phénicienne au peuple grec. Cette transmission, résultant probablement
dans un premier temps des échanges commerciaux, semble avoir rapidement aboutit à la naissance de
l’alphabet grec, composé de 24 symboles phonétiques2. La plus ancienne trace conservée de cette écriture
est le code juridique de la cité de Dréros, au VIIe siècle avant Jesus Christ. Il faut attendre toutefois le IVe
siècle pour que les alphabets grecs se fixent définitivement autour de celui d’Athènes : l’alphabet ionien.
Plus adapté aux langues de la partie septentrional du bassin méditerranéen, l’alphabet grec va être à la
base de toutes les langues vocaliques, dont celle qui aura le plus de succès : le latin.
En Italie règne au VIIIe siècle le peuple étrusque, dont les rois dominent entre autres la ville latine de
Rome, fondée selon la légende en 753 avant Jesus Christ. Bien que ce peuple ne nous ait laissé que très
peu de traces écrites3, nous savons qu’il avait adopté l’alphabet grec, et l’avait adapté vers la fin du VIIIe
siècle. En 509 est chassé le dernier roi étrusque de Rome, Tarquin le Superbe. Ralliant les peuples latins,
la nouvelle République romaine s’impose rapidement en Italie, avec le destin qu’on lui connaît ; c’est
probablement dans cette dynamique que se met en place l’alphabet latin, adapté de celui de leurs anciens
maîtres. Au IIIe siècle, il compte 19 lettres, auxquelles sont ajoutés deux cents ans plus tard le G, variante
du C étrusque lui même tiré du g grec (gamma), et les X, Y et Z que l’on emprunte directement à l’écriture
grecque, et d’ailleurs pour la transcription des seuls mots d’étymologie hellènistique. L’expansion de la
puissance de Rome, et la profonde influence qu’elle exerce dans toutes les provinces dominées, promet
un bel avenir à l’alphabet latin : c’est ainsi par lui que de nombreuses civilisations découvrent l’écriture,
et il est probablement un facteur important de la diffusion de la langue latine et de l’unité de l’empire qui
serviront de base à l’expansion du christianisme et, plus récemment, à la constitution de l’Europe.
Une fois l’alphabet latin défini, la graphie des caractères évolua encore durant des siècles. Deux
modèles-types, la capitale et la cursive, ont été relevés durant l’Antiquité. Le premier était destiné aux
inscriptions solennelles, dédicatoires ou funéraires. Le deuxième modèle, la cursive, était attribué à la fois
aux actes officiels et privés. Plus libre, l’écriture était aussi plus serrée. Évoluant au fil des siècles, deux
cursives romaines ont été identifiées : une appelée « ancienne » jusqu’au IIIe siècle de notre ère qui se
modifia ultérieurement en une cursive « récente ». Cette dernière utilise des lettres dont la structure perdure
encore aujourd’hui. De même, le rapport majuscule et minuscule était déjà établi. Notons également la
stabilisation du sens de lecture gauche-droite qui, à Rome comme en Grêce, est passé par une période
bâtarde, le boustrophédon, durant laquelle la lecture se faisait alternativement de droite à gauche puis de
gauche à droite, à la manière du parcours d’un boeuf labourant un champ.
3. Les premiers supports.
Les supports des premières écritures sont très variés ; encore ne peut-on pas tous les connaître puisque
1 C’est encore le cas des différents alphabets arabes.
2 Dont 4 voyelles sont dérivées des symboles phéniciens : a, e, o, u. Deux autres sont inventées plus tardivement :
i et w. Trois consonnes enfin ne découlent pas de l’alphabet phénitien : f, c, y.
3 Paradoxalement, c’est également le cas des Phéniciens.
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certains, comme le bois, ne résistent guère au temps, sans compter les supports éphémères comme le sol
sableux du désert utilisé par les Touaregs par exemple. D’autres au contraire ont vocation d’éternité :
les frises hiéroglyphiques gravées dans les pierres des grandes pyramides par exemple ; l’étude de ces
écritures gravées sur des supports durables pour lesquelles les civilisations antiques sont particulièrement
prolifiques s’appelle l’épigraphie.
D’une manière générale, l’homme a probablement commencé à écrire sur des supports improvisés :
bois, pierre et sable paraissant les plus évident, ainsi que le cuir. Les supports argileux, dont l’utilisation
est bien connue dans à peu près toutes les civilisations, et dont la malléabilité se prète particulièrement
au traçage des symbole, font également partie des supports rapidement utilisés. Nous avons déjà évoqué
plus haut les boules marquées d’un sceau utilisées en Mésopotamie vers 3500 avant Jesus Christ pour
valider une transaction : ces boules d’argile dans lesquelles on enferme les calculi, des jetons symbolisant
les marchandises échangées, s’aplatissent avec le temps pour devenir des tablettes ; sur ces tablettes,
des symboles remplacent les calculi. Finalement, les symboles deviennent une écriture : les écritures
sumèrienne puis cunéiforme naissent de l’utilisation de l’argile ; il est en effet plus facile et surtout
plus rapide d’apposer des traits et des coins avec un calame4 sur de l’argile molle que d’y tracer des
symboles figurant l’objet évoqué. Il suffit pour s’en convaincre d’observer l’évolution de ces écritures,
les signes perdant toute ressemblance avec le tracé figuratif primitif pour devenir des conventions vers
3000 avant Jesus Christ. Ces conventions, qui vont devenir des lettres, vont permettre d’étendre le champ
d’expression de l’écriture en ne se limitant plus à la représentation graphique du terme, mais en permettant
la transcription des différents sons qui le composent.
On remarque alors une évolution des supports et des outils d’écriture : son utilisation plus large implique
la recherche d’un plus grand confort. La plus grande révolution en matière de support de l’écriture dans
l’Antiquité est l’utilisation du papyrus par les Egyptiens dès le IIIe millénaire avant Jesus Christ, et qui
va perdurer sur les rives du Nil jusqu’au XIIe siècle après Jesus Christ. Ce support est fabriqué à partir de
la tige de la plante du même nom : le papyrus, qui ne pousse pour ainsi dire que sur les rives du Nil, est
également utilisé par les égyptiens dans les cordages, les navires et les sandales par exemple ; on apprécie
sa souplesse et sa solidité lorsqu’il est convenablement travaillé. Pour en faire un support d’écriture, ses
tiges sont coupées en lamelles que l’on superpose en deux couches perpendiculaires ; ces couches sont
applaties et séchées afin de les coller naturellement entre elles. Il ne reste alors plus qu’à polir la page
pour en faire un support d’écriture convenable. Le scribe égyptien trace ses caractères avec un pinceau
de roseau grâce à deux encres noire et rouge dont la densité protège des effets du temps. Ces encres sont
composées l’une de poudre de suie, l’autre de poudre d’oxydes de minéraux, mélangées à de l’eau et à un
fixateur (de la résine par exemple).
Si l’écriture égyptienne, qui évolue finalement très peu malgré une utilisation s’étalant sur plusieurs
millénaires, est dépassée par les autres civilisations (notamment les peuples sémites axés sur le commerce),
sa technique n’est pas égalée avant la diffusion du parchemin. Le papyrus, ressource exclusive des rois
dès l’origine, s’impose dans toutes les civilisations lettrées du bassin méditerranéen comme le support par
excellence de l’écrit. La matière première ne se trouvant que sur les rives du Nil, il contribue grandement
à la richesse du royaume de Pharaon qui le vend et l’utilise sous forme de volumen (rouleau) d’une
vingtaine de pages. Les Grecs reprennent également ce support et perfectionnent les outils d’écriture
en diffusant la plume de roseau, dont la tige creuse est taillée en biseau puis fendue à la pointe pour
retenir l’encre. La possession du delta du Nil devient alors un enjeu prépondérant : Alexandre le Grand,
puis Octave (futur Auguste), permettront à leurs empires d’être fournis à peu de frais en cette ressource
essentielle. Cette contrainte géographique va amener peu à peu les différentes civilisations à adopter le
parchemin, inventé dès 170 avant Jesus Christ à Pergame, en Asie mineure, et qui peut partout être produit
localement.
4 Roseau taillé dont un côté effilé appose un trait tandis que l’autre, en triangle, appose un coin.
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II. LE RÔLE DU CHRISTIANISME.
1. Le passage du volumen au codex.
Histoire socio-culturelle
L’empire romain et le Christianisme
La tradition catholique retient les Romains et leurs empereurs
comme les persécuteurs du premier christianisme : ces
païens auraient, avant de finalement se plier à l’évidence
au IVe siècle, martyrisé les disciples des préceptes du Christ
autant par convictions polythéistes que par distraction. La
réalité est bien sûr tout à fait différente, et le christianisme
s’est imposé progressivement dans tout l’Empire, d’abord
comme une entité religieuse sans grande conséquence,
ensuite comme un mouvement de premier ordre en
opposition avec des traditions déjà éculées.
L’une des grandes caractéristiques de l’empire romain,
peut être une des causes de sa réussite, est le syncrétisme
religieux : dans l’empire, chaque peuple conserve ses
croyances, ses dieux et ses traditions ; il n’est même pas rare
que les légionnaires, lorsqu’ils rentrent à Rome, ramènent la
religion à laquelle ils se sont convertis. Ainsi se construisent
sur le Champ de Mars des temples à la déesse égyptienne
Isis, à l’asiatique Cybèle ou à Mythra, le dieu solaire perse.
Affirmer que les Romains ont rejeter le Christianisme,
ou même le monothéisme, serait par conséquent un
contresens.
Les persécutions envers les Chrêtiens ont toutefois bien
existé, comme ce fut le cas pour de nombreuses sectes : elles
prennent les formes variées que nous leur connaissons, et
ont pour motif en général l’obstinatio, c’est-à-dire le refus,
l’entêtement. L’accusation n’est donc pas une accusation
religieuse, mais celle d’un trouble à l’ordre public lorsque
les Chrêtiens refusent de sacrifier au nom de l’empereur
divinisé. De même, la tendance de la communauté chrêtienne
à ne pas se mêler à la vie de la cité explique la méfiance
qu’elle suscite (la communauté juive a déjà été taxée de la
même amixia à l’époque hellénistique). Les persécutions
n’ont toutefois rien de systématiques, et correspondent à des
périodes de troubles : Néron (54-68) par exemple semble les
avoir utilisés comme boucs émissaires après l’incendie de
63. Les persécutions de Dioclétien (284-305), les dernières
mais aussi les plus violentes, prennent par contre un tour
religieux puisque Dioclétien revendique l’unique divinité
solaire Sol Invictus instaurée par l’empereur Aurélien.
Constantin Ier (306-337), fondateur de la nouvelle capitale
chrêtienne de l’empire, Constantinople, officialise enfin
la religion catholique et permet un compromis entre
paganisme et christianisme, tout à l’avantage d’ailleurs de
la nouvelle religion. Cet état dure jusqu’à l’année 392 où
Théodose Ier (378-395) fait du Christianisme la religion
d’Etat. En position de force, les autorités ecclésiastiques
vont s’efforcer de faire disparaître de l’Empire toute trace
de paganisme.
Il est admis que quatre moments marquants bouleversent l’histoire
graphique des civilisations humaines5 : l’apparition de l’écriture dans
l’Antiquité, le passage du rouleau (ou volumen) au codex (le livre
organisé en cahiers reliés entre eux) durant la période médiévale,
l’invention de l’imprimerie à l’époque moderne et enfin l’écriture
numérique dans ces dernières décennies.
Léger et pratique, le volumen, issu du savoir-faire égyptien,
s’impose dans de nombreuses civilisations, et notamment à Rome dès
le IIIe siècle avant J.-C. Bien que peu de vestiges des textes latins sur
volumen nous soient parvenus, on sait qu’à partir de 31 avant J.-C.,
Rome contrôle la production de papyrus en Egypte et impose à sa
nouvelle province la fourniture annuelle d’une certaine quantité de la
précieuse ressource. Si l’on ne dispose pas de représentation de scribe
romain ou grec, contrairement aux scribes égyptiens6, les quelques
représentations de personnages en pleine lecture nous les présentent
manipulant un rouleau. Le livre à cette époque est donc bien dans
les provinces romaines le volumen de papyrus qui représenterait
plus de 98% des manuscrits grecs et 90% des manuscrits latins des
Ier et IIe siècles7. L’organisation en plusieurs cahiers reliés entre eux
pour former le codex est déjà connue dans le monde romain, mais ne
représente qu’une part infime de la production manuscrite jusqu’au
IIIe siècle où il commence à se développer. Ce n’est qu’au IVe siècle
qu’il devient majoritaire, en même temps que le développement des
centres monastiques ; il s’impose finalement largement au Ve siècle où
il représente plus de 96% des ouvrages qui nous sont parvenus.
Que l’essor du christianisme corresponde exactement avec le
développement du codex ne peut en effet pas être un hasard, car cette
nouvelle religion se base justement sur un écrit : la Bible. L’écriture est
à la fois gardienne de vérité, preuve d’authenticité historique et garante
de la pérènité des propos ; elle va garder ces trois rôles durant toute
l’histoire du christianisme. L’Eglise chrêtienne, dès ses prémices, se
fit promoteur du codex : cette religion du livre aura peut être voulu se
démarquer des autres religions – la religion juive notamment qui reste
attachée au volumen – mais aura aussi sans doute compris l’intérêt
d’un support de l’écriture permettant la sélection de ses chapitres,
et ne cantonnant plus le lecteur à une lecture continue et publique ;
les références constantes aux passages des textes des évangélistes,
ainsi que le travail d’éxégèse amorcé très tôt, trouvent dans le codex
un parfait outil d’organisation qui permet le travail individuel, mais
aussi la tenue des offices : l’obtention et la bonne utilisation des
livres liturgiques font partie des préoccupations premières d’une
communauté bénédictine. C’est enfin un objet de taille, plus propice
à la décoration que le rouleau, ainsi qu’un objet de transport par son
format et sa résistance.
Le parchemin semble également avoir été un acteur majeur de
la victoire du codex sur le volumen antique. Notons en effet que
l’appellation membranae, « tablette de peau, parchemin », fait son
apparition en l’an 67 de notre ère, dans la Seconde Epître de Paul à
Timothée, IV, 13 ; il désigne alors un carnet de note personnel. Le
5 SIRAT C., « Du rouleau au codex », Le livre au Moyen Âge, Paris, 1988, p.14-22.
6 Dans l’Egypte antique, l’écriture est un rapprochement avec les dieux, et un haut personnage n’hésitera pas à se
faire représenter en scribe ; dans les civilisations gréco-romaine, cette tâche est laissée aux esclaves.
7 MARICHAL R., ibid. Ces chiffres doivent toutefois être pris avec prudence car ils se basent principalement sur
ce qui nous est parvenu des bibliothèques égyptiennes, tant les bibliothèques ecclésiastiques du IVe siècle écartent les
volumina et même les codices antérieurs de leur collection.
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parchemin ne connaît donc pas d’emblée un usage noble, mais est plutôt dévolu à un usage courant : plus
solide que le papyrus, plus clair que la cire et plus léger que le bois, il se prête en effet à une utilisation
quotidienne. Allié à la mise en cahier, il peut alors être transporté et manipulé en toutes circonstances. À
partir de 133 après J.-C., le royaume de Pergame devient la province d’Asie, et le parchemin peut affluer
en Italie. Il reste toutefois cantonné, comme le codex, à un usage courant, les grands textes restant copiés
sur papyrus jusqu’aux IVe-Ve siècles.
Codex et parchemin semblent donc bien se développer vers la même date, et il est difficile de penser que
cette nouvelle façon d’appréhender, de conserver et de présenter l’écriture est étrangère au développement
du christiannisme. Les premiers missionnaires auront sûrement apprécié la résistance et la praticité du
parchemin, ainsi que la possible indexation du codex. Il est donc naturel que ce fut sous cette forme que
s’imposa l’écrit dans toute la chrétienté dès le début du Moyen Âge.
2. Les scriptoria monastiques et le travail du moine copiste.
Le développement des ateliers monastiques
C’est aux alentours du Ve siècle qu’est lancé en Occident le grand mouvement de fondations
monastiques et que sont posées les bases du mode de vie cénobitique. Dans la première moitié du VIe
siècle, Benoît de Nursie établira pour son abbaye du Mont Cassin à Rome un règlement qui deviendra
sous le règne de l’empereur Louis le Pieux la règle de toutes les abbayes de l’empire carolingien. Dans
cette règle de saint Benoît, le livre occupe une place prépondérante : chaque abbaye doit inclure dans ses
murs une bibliothèque afin de disposer des livres nécessaires à la liturgie (sacramentaires, lectionnaires,
évangéliaires, missels...), ainsi que des livres d’études (textes des Pères, évangiles, textes des auteurs
antiques...) qui permettront aux moines de recevoir une éducation religieuse, mais aussi générale. Chaque
moine reçoit selon la règle, le jour du carême, un livre qu’il est chargé d’étudier durant l’année. Pour
assurer la possession de ces ouvrages, le moyen le plus sûr pour une communauté est de les produire par
elle-même : c’est ainsi que l’atelier de copie, le scriptorium, fait partie dès les premiers monastères des
composantes indispensables à la vie religieuse.
Les fondations italiennes et insulaires sont les principaux acteurs de ce développement : par la diffusion
de leurs productions dans les régions encore païennes, elles imposent dans toute l’Europe leurs traditions
écrites et, par là, une certaine vision du christianisme. Dans ces VIe-IXe siècles, le temps est à la conversion :
en Grande-Bretagne d’abord, puis sur le Continent, notamment en Germanie. Menée par les grands
missionnaires, à la fois prêcheurs auprès des rois et organisateurs des nouveaux diocèses, cette conversion
connaît principalement deux mouvements : l’Eglise irlandaise d’un côté, fondée par saint Patrick dans
la première moitié du Ve siècle, regroupe en son sein des moines voyageurs très actifs. Emportant avec
eux de beaux évangéliaires issus de leurs scriptoria, ils fondent nombre de monastères dans le nord de
l’île de Bretagne (Lindisfarne, Wearmouth-Jarrow...) et sur le continent (Luxueil et Bobbio fondés par
saint Colomban), chacun donnant naissance à d’autres fondations, et d’autres scriptoria perpétuant la
tradition irlandaise, notamment sa belle écriture en majuscules onciales. De l’autre côté, le pape Grégoire
le Grand envoie de Rome un certain nombre de missionaires, avec le même but d’évangélisation ; saint
Augustin est envoyé dans le Kent, au sud de l’Angleterre, fonder la métropole de Canterbury au VIe
siècle ; un siècle plus tard, au nord, la metropole d’York impose le christianisme romain en Angleterre, et
de ce berceau anglais sortent des hommes comme saint Boniface, grand évangélisateur de Germanie. Les
conséquences de cette conversion massive entre les Ve et VIIIe siècles sont durables sur les production de
manuscrits : les influences irlandaises, anglaises et italiennes se mêlent à divers degrés dans les scriptoria
de tout l’Occident (on les trouvent d’ailleurs toutes les trois en Normandie), et certains monastères
comme Corbie (d’où sortira la minuscule caroline au VIIIe siècle), les grands monastères germaniques ou
le Mont Saint-Michel au Xe siècle, développent des styles qui leur sont propres. Cette période d’émulation
spirituelle et intellectuelle, durant laquelle s’affrontent au cours de nombreux synodes8 deux courants de
pensée aux bases culturelles radicalement différentes, correspond à la fois conception des grands textes
théologiques du haut Moyen Âge et à la première organisation structurelle de l’Occident chrêtien.
La nécessité matérielle de posséder les ouvrages permettant la vie cénobitique a donc été à la base
du développement des scriptoria monastiques : après la disparition de l’Empire romain durant lequel
les copies étaient assurées par les commandes d’individus soucieux de se constituer une bibliothèque
d’étude ou d’apparat, les bibliothèques monastiques deviennent le refuge de l’écrit. Celui-ci, accaparé par
la religion, conserve une place centrale dans la vie religieuse, et, même si il est réservée à une élite, son
évolution ne freine pas : elle entame au contraire une nouvelle étape dont les monastères et les échanges
entre leurs communautés de toutes les régions sont le point de départ. Les envahisseurs scandinaves
8 Réunion des ecclésiastiques durant laquelle sont résolus les problèmes théologiques et prises les grandes décisions
qui concernent l’organisation et la conduite de l’Eglise.
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stoppent cette dynamique, avant de participer activement à sa remise en marche à la fin du Xe siècle : en
témoigne l’installation des Bénédictins et de leur scriptorium au Mont Saint-Michel en 966 sur l’ordre du
duc Richard Ier9.
Le travail de copie
Le travail de copiste, de même que celui d’enlumineur, est un travail long et minutieux. Il prend peu
à peu le pas sur les travaux manuels prévus par la règle de saint Benoît au cours de la période romane.
On considère qu’en de bonnes conditions – c’est-à-dire s’il ne fait ni trop chaud ne trop froid pour les
encres, que le parchemin et les outils sont de bonne qualité, et que le scribe est en bonne santé et installé
confortablement – sur un manuscrit de taille moyenne, un bon copiste devait copier deux à trois pages par
jour environ. La copie d’un manuscrit devait ainsi lui prendre plusieurs mois, et parfois même plusieurs
années.
Ce travail de copie est essentiel pour la communauté, car il va lui permettre d’enrichir sa bibliothèque
des principaux ouvrages nécessaires à l’étude et à la pratique liturgique. Il est aussi essentiel pour le
moine, dont le rôle est de servir le divin en accomplissant des tâches terrestres. Dans le colophon, la
signature, du moine Fromond, ce dernier présente son travail comme une œuvre pieuse pour laquelle les
hommes doivent lui être reconnaissants. Il se trouve dans le ms 72, et est composé de 10 vers en latin dont
voici la transcription :
« Ipsa manus vivat,
Quae tam bene curat.
Siquis sit scriptor,
Quaeris cognoscere lector,
Hunc studuit totum,
Frotmundus scribere librum.
Maxima conscripsit,
Quam plurima sancta peregit.
Felix Frotmundus,
Per secula frater amandus.10 »
Fromond se félicite donc grandement de son propre travail qu’il qualifie de « plurima sancta ». Ce
colophon pourrait donc aussi se rapporter aux autres travaux de copie qu’il aurait déjà réalisés, ce qui
en ferait un copiste habile et prolifique de la période dorée du scriptorium montois. Si le colophon ne
s’applique qu’à cet ouvrage, ce qui est tout à fait envisageable, voire probable, car le manuscrit 72 fait
partie des plus beaux ouvrages de la collection, alors la portée du travail de copiste n’en est que grandie,
puisque la copie d’un ouvrage comme celui-ci aurait alors la valeur de plusieurs œuvres pieuses. Dans
la comptabilité des actes de piétés vers le salut, déjà en œuvre au XIe siècle bien qu’elle connaitra son
apogée à la fin du Moyen Âge, la copie serait alors un acte majeur. Fromond doit d’ailleurs être aimé à
travers les siècles, car, en tant que membre d’une communauté religieuse, cet acte majeur de piété profite à
l’ensemble des hommes. Ce colophon nous fournit un bon aperçu de la place centrale occupée par le travail
de copie dans les monastères bénédictins à l’époque romane. Conservation et transmission du savoir sont,
certes, les motivations du mouvement général de copie des œuvres des auteurs antiques et chrétiens, mais
au sein des scriptoria, la copie devient acte de piété, fidèle à la règle de saint Benoît, au même titre que
la tenue des offices. La copie des textes sacrés relève de la lutte du bien contre le mal : tandis que saint
Michel et ses anges utilisent l’épée dans le monde céleste, les moines font reculer l’emprise des démons
sur le monde terrestre. Il s’agit d’une véritable spiritualisation du travail de copiste, d’où les enlumineurs
de l’époque romane tirent sans aucun doute l’inspiration de leurs lettrines fantastiques et abstraites. Avec
l’apparition des ateliers de copie laïcs autour des universités et le développement des modèles fournis
par l’université, il est douteux de pouvoir encore parler d’acte de piété. La copie comme l’enluminure
deviennent alors le fait d’artisans dont la motivation première reste la rémunération.
3. L’essor des ateliers laïcs : les prémices d’une banalisation de l’écrit.
9 Duc de Normandie de 942 à 996.
10 Voici la traduction qu’en donne Monique DOSDAT dans DOSDAT M., L’enluminure romane au Mont SaintMichel : Xe-XIIe siècle, Rennes, 1991 (rév. 2006) : « Vive la main qui s’applique à si bien écrire! Lecteur, si tu souhaite
savoir le nom du copiste, sache que c’est Fromond qui, avec zèle, écrivit ce livre de bout en bout. Ce qu’il a transcrit
est très considérable. Que d’œuvres pies il a ainsi accomplies! Bienheureux Fromond! Voilà un frère à qui l’on doit
vouer un amour éternel! »
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À partir du milieu du XIIe siècle, et principalement à partir du XIIIe siècle, dans un Moyen Âge accordant
à la fois plus de place à l’individu et à l’organisation de la vie sociale, le phénomène littéraire sort des
monastères pour rejoindre les grands centres urbains en plein essor. À l’origine de ce déplacement : le
développement des universités dans les capitales européennes ; celle de Paris notamment joue un rôle
capitale dans le nouveau système éducatif : alors que les écoles épiscopales dépendant directement du
chapitre cathédrale assuraient jusqu’ici l’éducation des clercs, en 1229 se détache un certain nombre
d’entre eux, accompagnés de professeur, quittent brusquement celle de Notre-Dame de Paris pour
rejoindre le quartier latin sur la rive gauche de la Seine. Depuis 1200 déjà, Philippe Auguste avait accordé
à ces étudiants un statut privilégié ; avec cette scission suivie en 1231 d’une bulle pontificale ratifiant la
création d’une université indépendante du chapitre, c’est un nouveau corps qui apparaît au coeur de la
ville. Les clercs, envoyés par leur abbaye pour étudier le Trivium et le Quadrivium, vivent aux abords de
l’université. Ils participent ainsi à créer une micro-société à la fois dissipée et studieuse si l’on en croit les
témoignages de l’époque, à l’image du monde étudiant de notre époque.
Pour ces jeunes gens, et pour leurs professeurs, la nécessité de se procurer des ouvrages d’étude
personnels conduit la production du livre à s’organiser différemment : il n’est plus question de s’en
remettre aux seuls moines dont la productivité est réduite. Le livre entre dans la dynamique commerciale
de l’offre et de la demande. Enlumineurs, copistes, relieurs et parcheminiers s’installent autour des
quartiers intellectuels, se regroupent parfois en ateliers et proposent des ouvrages pour différentes bourses
et différents usages. Dans le royaume de France, la production se concentre dans la capitale de Philippe
Auguste : Paris. Ces manuscrits produits aux XIIIe et XIVe siècles se retrouvent dans toutes les abbayes
du nord de la France, souvent ramenés par les étudiants à la fin de leurs études. Parmi eux, de nombreux
manuscrits d’études sont abondamment annotés par l’étudiant, ou les moines qui ont ensuite pu consulter
l’ouvrage ; d’autres encore sont des manuscrits d’apparat, sans commentaires mais riches en enluminures.
La production parisienne se reconnaît aisément par ses enluminures, ses couleurs pastels, et son écriture
gothique très serrée, encadrée d’une marge importante pour accueillir la glose. Elle donne naissance aux
grands textes de la théologie catholique, dont les maîtres de l’université fournissent l’exemplar, la version
définitive et immuable d’un texte que le copiste – qui probablement ne connaît pas le latin – doit respecter
à la lettre. Le copiste reçoit le texte à copier cahier par cahier, chacun étant loué et connu sous le nom de
pecia. Les nouvelles conditions de travail, si elles aboutissent à des productions d’excellente qualité –
bien meilleure que celle des rares ouvrages encore copiés au Mont Saint-Michel par exemple à la même
époque – ne permettent donc pas la même spontanéité que les copies monastiques de l’époque romane.
L’existence des modèles, également dans l’enluminure, uniformise la production, et favorisent ainsi la
réflexion collective : nulle doute que la production en série qui accompagne la formation des universités
joue un rôle dans l’élaboration et la diffusion des grands courants de pensée du bas Moyen Âge, tels la
philosophie thomiste, car elle permet une relative démocratisation du savoir. Les bibliothèques privées
se reforment justement dans le même temps, après une longue disparition depuis la chute de l’Empire
romain : les bibles et les livres d’heures servant à la piété personnelle fleurissent chez les privilégiés qui
ont les moyens de se procurer ces nouveaux objets de luxe. Certaines initiatives, comme la volonté de
Charles V de faire traduire en langue française certains ouvrages majeurs, vont dans le sens de la fin de la
mainmise exclusive des ecclésiastiques sur l’écriture. Depuis la même époque d’ailleurs, les aristocrates
ont pris l’habitude de coucher par écrit transactions, possessions et testaments.
À la veille du grand mouvement de la Renaissance et de l’invention de l’imprimerie, l’écriture n’a pas
perdu le rôle majeur qu’elle a toujours joué dans l’élaboration et la transmission de la connaissance. Le
Moyen Âge a même été une période faste pour ce mode de communication : conservant les techniques et
les textes hérités de l’Antiquité dans ses monastères, il en a développé la reflexion et la diffusion autour
de ses universités. C’est dans la continuité de ce développement, et non dans le seul retour à l’Antiquité,
que va se déployer l’humanisme de la Renaissance, malgré le dénigrement total de l’héritage intellectuel
de cette période qu’il taxera d’« obscurantiste ».
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III. EVOLUTION DES TECHNIQUES ET MODES DE PRODUCTION AU
MOYEN ÂGE.
1. Outils et supports.
Le parchemin
Le terme de « parchemin » vient de Pergamia, Pergame, la ville où il est créé dans la forme que nous
connaissons : une peau de bête traitée de manière à recevoir l’encre des deux côtés. L’utilisation de peaux
de bête comme support de l’écrit est un phénomène aussi vieux que le papyrus, mais il était inscriptible
d’un côté seulement, le côté « poil », et ne possédait alors ni la légèreté ni le confort développé par les
artisans de Pergame entre les IIe et Ier siècles avant notre ère.
La fabrication du parchemin au Moyen Âge conditionne le travail
des copistes et des enlumineurs par sa qualité ou, au contraire, sa
médiocrité ; C’est la première opération de conception du livre
Histoire du Livre
L’invention du Parchemin à Pergame
médiéval, et elle influe sur l’ensemble des opérations qui suivront, il
La tradition antique accorde la paternité du parchemin
est important de noter tout d’abord qu’elle n’est pas le fait des moines,
aux habitants de la ville de Pergame, en Asie mineure. Les
mais celui d’artisans, les parcheminiers, dont les religieux sont les
artisans de la ville l’auraient élaboré au IIe siècle avant Jesus
premiers, voire les seuls, clients. Le coût de cette matière première était
Christ afin de supplanter le papyrus, trop onéreux et dont
assez élevé, en raison notamment de la quantité de peaux nécessaire
l’importation d’Egypte est trop incertain, et le simple cuir
à la fabrication d’un codex (en format in-quarto, il faut compter huit
tanné dont seul un côté (le côté fleur, celui de l’implantation
pages par peau de mouton, et quatre en in-folio). On comprend alors
des poils) est inscriptible. Selon Pline, l’invention eut lieu
bien la nécessité du remploi, les fameux palimpsestes : des feuillets de
alors que le roi d’Egypte Ptolémée V Epiphane interdit
parchemin dont l’encre a été grattée, et que les moines ont réutilisés
l’exportation de papyrus vers Pergame, dont la bibliothèque
aurait rivalisé avec celle d’Alexandrie. À partir de l’an 133
parfois plusieurs siècles plus tard. Ces palimpsestes font bien sûr le
de notre ère, Pergame devient la province d’Asie et les
bonheur des historiens car ils ont permis la conservation de copies
Romains peuvent disposer de la technique de fabrication
parfois vieilles de plusieurs siècles lors de leur grattage.
du parchemin ; son emploi reste toutefois cantonné aux
Le principe de la fabrication du parchemin est une bonne épuration
usages courants, et en Occident il ne rivalise que très peu
de la peau de l’animal, afin de la rendre apte à recevoir l’encre. Elle
le papyrus tant que l’Egypte reste une province abordable.
doit, pour ce faire, être le plus mince possible, souple, claire, lisse et
Il faut attendre l’invasion musulmane au VIIe siècle pour
imperméabilisée. Le travail de préparation est donc long et fastidieux.
que le papyrus soit abandonné dans l’administration
Il s’agit tout d’abord de racler la peau, mise à tremper et lavée au
mérovingienne. La chancellerie pontificale va d’ailleurs
préalable, et de la dégraisser, avant de l’enduire de chaux vive pour
conserver majoritairement le papyrus comme support
normal de l’écrit, se fournissant alors en Sicile. Le nom de
éliminer la majeure partie de la chair. Elle est tendue et séchée une
pergamenum, ou membrana pergamena, en référence à la
dizaine de jours, avant d’être relavée et débarassée de ses poils ou
ville de Pergame, semble s’être rapidement généralisé.
de sa laine. Passée dans des bains de forces différentes, la peau est
à nouveau tendue sur une herse pour l’écharnage, l’opération qui la
débarasse des derniers résidus de chair, de poil et de graisse. Cette
opération est effectuée à l’aide d’une hachette d’écharnage en demi-lune et se fait des deux côtés de la
peau. Le but est de ne plus conserver que le derme, qui formera ensuite le parchemin. Après avoir été
saupoudrée de craie, afin d’éviter que l’encre ne soit absorbée et ne s’étale, la peau est lissée avec une
pierre ponce. L’étirement durant le séchage, qui ne doit pas être trop rapide, finit de rendre le parchemin
apte à recevoir l’encre des copistes ou des enlumineurs. Il ne reste alors plus qu’à découper dans cette
peau travaillée un rectangle du format désiré qui sera plié en deux (in-folio), en quatre (in-quarto) ou, plus
rarement, en huit (in-octavo). Il semble que ce soit sous cette forme que les moines achètent le produit
au parcheminier, la mise en cahier ne s’effectuant qu’une fois que l’écriture et les décorations ont été
couchées sur les pages.
Un des atouts majeurs du parchemin sur le papyrus, outre sa solidité, est de pouvoir être produit
localement quelle que soit la région, contrairement au papyrus, produit exclusivement en Egypte et par
conséquent en quantité plus réduite. Ainsi les animaux utilisés dépendent des élevages locaux. La qualité
la plus fine de parchemin est sans conteste le vélin (le veau mort-né), mais on en trouve très peu au Mont
Saint-Michel, où domine largement le mouton.
L’autre atout du parchemin est de permettre aisément l’écriture sur ses deux faces, contrairement au
papyrus. Cela facilite largement la mise sous forme de codex, et va dans le sens d’une corrélation dans le
développement des deux phénomènes. Les deux côtés, côté croûte (ou côté chair) et côté fleur (ou côté
poil), ne sont pas mis l’un en face de l’autre lors de la formation des cahiers qui constitueront le codex
afin de former un ensemble homogène, car le côté fleur jaunira légèrement avec le temps. Les cahiers
sont donc organisés de façon à mettre face à face deux côtés poil, puis deux côtés croûte, sachant qu’il
sera toujours plus agréable pour le copiste d’avoir à travailler sur le côté fleur. Pour ce dernier, disposer
d’un bon parchemin est un facteur essentiel à la qualité de son travail, car la copie est un travail long et
minutieux, dans lequel le confort – de l’assise comme de la plume – est primordial.
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Outils et préparation
Lorsque le copiste reçoit ses feuillets de parchemin, ils sont vierges de toute trace. Pour pouvoir organiser
sa mise en page, le copiste va donc devoir lui appliquer une réglure. Celle-ci est l’ensemble des lignes
qui vont organiser sa page. À l’aide de petits trous percés sur les bords des pages (généralement réglées
en même temps pour obtenir des cahiers uniformes), le copiste obtient une réglure droite et régulière sur
laquelle viendra se poser l’écriture. Dans cette réglure sont également prévues les éventuelles décorations
et lettrines qu’auront à produire l’enlumineur. Encore visible sur de nombreux manuscrits, souvent tracée
à la mine de plomb ou à la pointe sèche, ces réglures sont aujourd’hui bien connues des chercheurs qui ont
même pu les catégoriser11. Toutes ces réglures prévoient un espace marginal, pour les gloses à partir du
XIIe siècle, ainsi que pour les éventuelles notes des lecteurs à venir. Diverses annotations courent encore
sur les pages : indications pour l’enlumineur, pour l’organisation des cahiers, pour le relieur ou encore
le copiste. Ces indications sont peut être le fait de l’armarius, le bibliothécaire qui fait office de chef
d’atelier dans le scriptorium.
Avant l’écriture, une autre étape est celle de la préparation des encres.
Technique
Pour la copie, l’encre utilisée est en général une encre noire, souvent
Une recette de fabrication d’encre
légèrement brune (c’est le cas de l’encre utilisée communément par
A la fin du XIe ou au début du XIIe siècle le moine
les copistes du Mont)12. Cette encre est obtenue, au Moyen Âge, à
germanique Théophile a écrit un traité dont on peut retenir
l’aide de noir de fumée ; l’encre sépia, elle, est obtenue à partir
la recette suivante pour obtenir de l’encre d’épine, qui est
de l’encre de seiche. Pour l’enlumineur, de nombreuses encres
une encre allant du brun clair au brun foncé. Il s’agit d’une
encre métallo-gallique :
sont à disposition. Il s’agit pour cela d’y mettre le prix : ainsi le bleu,
• Couper en avril ou mai les rameaux épineux d’un
généralement obtenu grâce au lapis lazuli importé d’Orient, est le
prunellier, avant qu’ils ne bourgeonnent ; ne plus s’en
pigment le plus onéreux. D’autres encres en revanche peuvent être
occuper pendant quelques jours (l’aubépine peut être
fabriquées localement : c’est sans doute le cas du rouge minium, le
utilisée).
pigment le plus utilisé par les artistes du Mont, obtenu à base d’oxyde
• Puis, détacher l’écorce en la battant et la laisser
de plomb.
tremper pendant quelques jours dans l’eau
Le procédé de fabrication nous est, encore une fois, bien connu.
• Prélever l’eau, que entre temps s’est colorée en
Nous pouvons imaginer que chaque moine concoctait sa propre
brun-rougeâtre, la faire bouillir en la mélangeant de
encre, ou que la production était organisée pour tout le scriptorium
nouveau avec l’écorce. Ce procédé doit être répété
plusieurs fois, jusqu’à ce que l’écorce soit totalement
par le chef d’atelier. Les recettes sont diverses, mais allient toujours 2
décolorée.
choses : le colorant et le liant. Les colorants sont d’origines diverses :
• Finalement, concentrer la décoction en la faisant
végétales, animales, minérales et même chimiques. Les couleurs sont
bouillir avec du vin, puis en l’exposant au soleil dans
parfois obtenues en mélangeant certains pigments. Pour les rendre
un petit sac en parchemin, afin qu’elle sèche.
utilisables, le copiste ou l’enlumineur broie le pigment et le mêle à un
• Pour utiliser cette encre il faut ensuite la dissoudre
liant qui permettra, en jouant avec sa nature et sa quantité, d’obtenir
dans du vin (l’alcool contenu dans le vin a pour but
certaines nuances de couleur et de texture. On trouve parmi ces liants
d’accélérer la redissolution des extraits végétaux
le blanc d’œuf, la colle de parchemin produite à partir des chutes lors
concentrés issus du bois de prunellier, ou d’aubépine,
de la découpe de la peau, ou la colle de poisson. Certains ingrédients,
lesquels contiennent un pourcentage de tannin).
On peut obtenir des nuances de coloration en plongeant
parfois étonnants, sont aussi utilisés afin de produire des réactions
un petit morceau de fer porté au rouge dans cette encre, ou
chimiques intéressantes : c’est le cas de l’urine, par exemple, souvent
alors en y ajoutant un peu de sulfate de cuivre, la réaction
employée, du vinaigre ou du vin. Enfin certains ingrédients permettent
donnant alors naissance à un complexe ferro-tannique noir.
la conservation des encres, notamment pour les encres végétales.
Cette encre ne contient pas de liant.
Une fois sa page et ses encres préparées, il ne reste plus au copiste,
ou à l’enlumineur, qu’à rassembler et à préparer ses outils :
Techniques
La trousse d’un copiste
- pupitre (contrairement au scribe antique qui écrivait sur sa cuisse).
- diptyque, deux tablettes de bois reliées entre elles et couvertes de cire pour les prises de notes. Le copiste peut écrire à sa surface grâce au
style, en bois ou en métal, possédant un côté arrondi grâce auquel il va pouvoir effacer les erreurs en polissant la cire.
- les outils d’écriture : le calame est le roseau taillé utilisé durant toute l’Antiquité et le moyen âge ; la plume d’oiseau, de préférence d’oie,
est utilisée à partir du Ve siècle. Elle est taillée de façon à retenir l’encre nécessaire au tracé de plusieurs lettres et à permettre les pleins et les
déliés inhérents à l’écriture manuscrite jusqu’à la fin du XXe siècle. Des pinceaux en poils de bœuf ou de vair, mais aussi la plume de bécasse,
aujourd’hui encore appelée « la plume du peintre », servira d’outil à l’enlumineur.
- le couteau qui permettra au copiste à la fois de tailler sa plume et de gratter l’encre du parchemin pour corriger ses fautes de copie.
- diverses fioles et coquillages pour contenir et mélanger les différents pigments.
Ces outils sont les principaux, ceux que l’on trouve en général sur les enluminures médiévales représentant des scribes. De nombreux autres
ustensiles sont quotidiennement utilisés par les scribes : patte de lièvre pour lisser le travail d’enluminure achevé, filtres en tissus, dent de
sanglier, brosse en poils d’écureuil utilisée pour appliquer l’or grâce à l’électricité statique qu’elle dégage, style en mine de plomb à partir du
XIIe siècle pour les annotations.
11 MUZERELLE D., « La facture du livre médiéval », le livre au Moyen Âge, 1988, p.64-69.
12 Au sujet des encres, la plupart des ouvrages sur l’histoire du livre fournissent des informations assez complètes.
Une assez bonne synthèse nous est fournie dans GARRIGOU G., Naissance et splendeurs du manuscrit monastique
(du VIIe au XIIe siècle), Nancy, 1992. Plus complet, MEDIAVILLA C., Calligraphie, Paris, 1993, p. 57-73.
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2. Les écritures médiévales.
Le Moyen Âge est le lieu de nombreuses évolutions dans le domaine de l’écriture, de la calligraphie.
Les multiples héritages qui exercent leur influence sur le monde occidentale à la mort de l’Empire romain
se retrouvent dans cette évolution pressentie d’abord dans les textes sacrés. Les écriture régionales sont
nombreuses durant toute la période, preuve de l’émulation intellectuelle des moines dans les premiers
siècles, et d’une société bien plus large au bas Moyen Âge. certaines écritures vont toutefois s’imposer
comme modèles, en même temps que se normalisent les textes et les modes de production. En voici les
principales.
a. L’onciale
Écriture du sacré, l’onciale est l’écriture capitale héritée des manuscrits de tradition irlandaise. Elle est
abandonnée vers le VIIIe siècle avec l’apparition de la caroline mais elle perdure tout au long de l’époque
romane dans les inscriptions importantes (pages de titres, indication des chapitres...), ainsi même que
dans l’écriture courante de certains moines. Cette longévité est un des indicateurs de l’influence directe
de l’Église irlandaise sur la spiritualité médiévale dont fait partie le travail de copie à l’époque romane,
bien que les réformes de l’Église de Rome aient cherché à l’effacer.
L’écriture onciale est souvent jumelée avec la capitale romaine encore pratiquée au XIIe siècle dans un
but esthétique. Inspirée de cette écriture antique aux formes adaptés aux inscriptions en pierre, l’onciale
possède une graphie lisible et aérée mais dont le tracé prend à la fois énormément de temps et de place
sur le parchemin.
b. La caroline
Dans la deuxième moitié du VIIIe siècle, alors que la nouvelle dynastie carolingienne réorganise le
royaume franc, la production de livres s’intensifie. Charlemagne13 bien sûr, mais avant lui Pépin le Bref14
son père, font partie des grands instigateurs de ce renouveau : ces deux rois, fins hommes politiques,
comprennent rapidement la force unificatrice que représente l’Église, dernier lien avec la puissance de
l’empire romain d’Occident. Si ce dernier a disparu du jeu politique, sa culture se retrouve dans toute la
pensée patristique notamment (saint Augustin, saint Grégoire...), mais aussi dans le symbole impérial :
lorsque Charlemagne est couronné empereur en 800, c’est bien le modèle romain qu’il reproduit ; et
lorsqu’il publie le capitulaire admonitio generalis en 789 qui appelle à la copie et à la correction des textes
de l’Église, il place la religion au coeur de son empire, lui donnant ainsi unité et légitimité.
C’est dans ce contexte que se forme à partir de la deuxième moitié du VIIIe siècle l’écriture caroline.
Celle-ci, dont le nom rappelle celui de l’empereur, semble avoir joué un rôle important dans ‘’unité de
l’empire : on la retrouve en effet dans tous les manuscrits des provinces conquises par Charlemagne à
cette époque, et ce jusqu’à l’apparition de l’écriture gothique vers le XIIIe siècle. Si l’impulsion donnée
par Charlemagne a probablement contribué au succès de cette nouvelle écriture, il semble aujourd’hui que
ses origines soient antérieures, et qu’elle résulte plus du besoin de créer une écriture lisible et syncrétique,
reprenant les éléments des écritures devenues illisibles à l’époque mérovingienne, et facilitant ainsi le prêt
entre abbayes.
L’écriture caroline est caractérisée par une grande lisibilité, et une séparation nette des lettres dont
le ductus (le tracé) est clairement déterminé. C’est cette écriture qui est reprise par les hommes de la
Renaissance, persuadés d’avoir affaire à une belle écriture antique, par opposition à l’écriture gothique
qu’ils catégorisent de barbare à l’image de l’« obscurantisme » médiéval. Elle servit par conséquent de
modèle à la conception de la nouvelle écriture destinée à la typographie, et que nous utilisons encore
aujourd’hui autant dans l’écriture manuscrite qu’électronique.
c. La gothique
Les origines de cette écriture qui naît au XIe siècle dans une forme primitive dans les Flandres, mais qui
ne se répand qu’au XIIe siècle pour s’imposer réellement à toute l’Europe au XIIIe siècle, sont incertaines.
Il est tentant d’y voir dans le resserrement de ses lettres et l’utilisation systématique de ses abréviations
(elles concernent la moitié des mots) la volonté de gagner encore de la place sur le parchemin, alors que
la production de livre s’intensifie dans les ateliers laïcs. Il est vrai que cette écriture que l’on attache
souvent à la civilisation médiévale se développe principalement dans ces ateliers et dans les universités,
avant d’être remise en cause par les humanistes aux XVIe siècle. Son utilisation perdure toutefois sous
différentes formes (notamment la ronde et la bâtarde, moins anguleuses), la gothique textura du XIIIe
siècle devenant plus tard la Fraktur, l’écriture officielle de l’Allemagne jusqu’en 1941.
13 Roi des Francs (768-814), empereur d’Occident (800-814).
14 Roi des Francs (751-768).
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Le ductus caractéristique de cette écriture reprend assurément les nouvelles formes de l’architecture
gothique : les angles se brisent, le vide tend à disparaître. L’humanisme relèguera la graphie gothique
comme son architecture au rang d’art barbare (le terme de gothique est d’ailleurs une référence très
péjorative aux Goths, les destructeurs de Rome).
d. L’humanistique
Au XVe siècle, apparaît la « bâtarde », elle apporte la lisibilité qui faisait défaut à l’écriture gothique :
la graphie brisée est conservée et légèrement inclinée à droite. En Italie, les intellectuels humanistes
donnent naissance à une nouvelle écriture qui se veut toujours plus lisible. Prenant la caroline pour
modèle, pensant qu’il s’agit d’un modèle antique, ils inventent l’écriture humanistique dont nos écritures
actuelles sont les héritières.
3. Humanisme et imprimerie : la fin du Moyen Âge.
La banalisation du livre entraîne des besoins croissants : il faut
Histoire socio-culturelle
produire plus vite et en plus grande quantité. Les commandes des
L’Humanisme
ateliers de production de manuscrits ne diminuent pas : Bibles, livres
L’humanisme est une audacieuse aventure intellectuelle née
d’heures, livres d’étude et, de plus en plus, des livres en langue
en Italie dès la fin du 14ème siècle qui tente de réconcilier
vernaculaire pour les lecteurs qui ne connaissent pas le latin ; l’écrit est
le monde antique païen et l’univers chrétien issu de la foi
sorti du sacré, annonçant la Renaissance classique et l’Humanisme.
médiévale et qui place l’homme, maître de son destin, au
Le XVe siècle est un tournant majeur : alors que les copistes et
centre de ses préoccupations.
enlumineurs italiens atteignent l’apogée de leur art, un orfèvre de
L’humaniste pense que pour avoir des bases sûres de
réflexion, il faut se confronter aux Evangiles et retourner
Mayence, Johannes Gutemberg (né vers 1390), est obsédé par le
aux textes grecs et hébreux rejetant la scolastique médiévale.
développement d’un procédé pour accélérer la production des livres.
Le but à atteindre est une forme de perfection où l’individu
Pour cela il s’inspire d’expèriences déjà menées en Europe : l’application
vertueux permet à la cité de croître en beauté : l’homme
de l’encre par pressage sur un support (papier ou parchemin) par le
idéal dans la cité idéale.
biais d’une planche de bois sur laquelle était gravé le texte. Même
L’imprimerie, événement médiéval, va donner à l’humanisme
en séparant les caractères pour les manipuler plus facilement, le
les moyens de se répandre à travers l’Europe. Dès le 14ème
gravage du bois prenait encore beaucoup de temps, et les caractères
siècle, Dante et Pétrarque ont exprimé l’humanisme chrétien.
s’abîmaient trop vite pour une netteté largement inférieure à celle
Avec Boccace, ils séduisent les intellectuels français qui les
des production manuscrites. Les compétences d’artisan du métal de
traduisent.Rabelais jongle avec la Sorbonne et dissimule
sous le couvert de la verve “ drolatique ” une condamnation
Gutemberg allaient être déterminantes dans l’élaboration du nouveau
des persécutions religieuses et des injustices. Après 1534,
procédé de production : l’imprimerie. Les caractères en alliage de
et son nouveau livre Gargantua, il est obligé de se cacher.
plomb permettaient une netteté et une résistance bien supérieures au
Il a su s’entourer de protecteurs, d’autres auront moins de
bois et leur production par la fonte en creux (le moulage) offrait une
chance et finiront sur le bûcher.
productivité sans comparaison avec le long travail du bois. Après la
Pendant que les bûchers crépitent, une bande de jeunes et
mise au point de sa première presse en 1453, Gutemberg poursuivit son
joyeux écrivains pensent retrouver la vérité en pratiquant la
travail avec l’obsession d’imiter à la perfection le travail manuscrit,
mythologie gréco-latine. Ils se regroupent sous le nom de
d’offrir à ses futurs clients une qualité de copie et d’enluminure
Pléiade. Artisans de la langue, ils cherchent un monde où
semblable aux productions des meilleurs artisans. Cela l’entraina dans
la poésie serait la clef de voûte de la culture. Bien plus que
leurs prédécesseurs, les poètes de la pléiade s’abandonnent
une quête sans fin qui lassa son principal mécène, lebanquier Johannes
à l’imaginaire. Calvin cherche, lui, la rigueur, la clarté.
Fust, qui fit saisir en 1455 tout son matériel. En 1457 était produit le
Le langage amoureux poursuit la tradition de l’amour
premier psautier imprimé à la main avec des caractères mobiles en 300
courtois, cultive la mélancolie de Pétrarque, forge un idéal
exemplaires ; il portait un double label d’imprimeur : Johannes Fust et
de perfection très platonicien.
Peter Schöffer, l’apprenti de Gutemberg qui avait témoigné contre lui
Après 1560, les polémiques religieuses marquent fortement
à son procès. L’inventeur de l’imprimerie, aujourd’hui mondialement
la littérature. Les écrivains prennent parti et la littérature
célèbre, mourut ruiné dix ans plus tard, assistant à l’enrichissement des
devient politique. A la fougue violente d’Aggripa d’Aubigné
premiers imprimeurs allemands.
le protestant s’oppose celle de Ronsard le catholique. Les
Rapidement, le phénomène gagna le reste de l’Europe :
essais de Montaigne traduisent un nouvel équilibre : longue
méditation sur la nature humaine, son œuvre est d’avant
l’Allemagne, encore très imprégnée de traditions médiévales, limitait
garde, accordant à l’individu une place de choix dans une
l’épanouissement des nouveaux artisans du livre. Ceux-ci gagnent le
nature bienveillante.
berceau de la Renaissance, l’Italie, dès 1465 avec l’installation d’une
presse dans l’abbaye bénédictine de Subiaco près de Rome. En 1467,
Johann et Wendelin de Spire installent leur presse à Venise, la première
place commerciale du Monde ; dans la même ville, dix ans plus tard, c’est le français Nicholas Jensen
qui s’installe. En France, l’atelier de la Sorbonne sort la première production française en 1470, et Lyon
accueille sa première presse en 1473. En à peine trente ans, la nouvelle technologie a traversé les frontières
et commence à déverser dans toute l’Europe les ouvrages que l’on appelle aujourd’hui les incunables.
À la sortie du XVe siècle, la seule ville de Venise compte 150 presses. L’usage du livre et de la lecture
s’est répandu comme une traînée de poudre, et de nouvelles populations, généralement bourgeoises, ont
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accès à leur contenu. Le prix d’acquisition reste élevé,
mais l’utilisation du papier, le remploi des caractères
typographiques et l’augmentation de la productivité
permettent de le réduire sensiblement. La nouvelle écriture
élaborée en Italie à partir de l’ancienne écriture caroline est
plus lisible que la gothique des incunables : les humanistes
cherchent à retrouver la clarté de l’esthétique classique (il
semble qu’ils aient pris les manuscrits carolingiens pour
des originaux antiques), et réinventent la capitale romaine
gravée au ciseau dans la pierre pour leur titre. Les livres du
XVIe siècle se détachent peu à peu des normes manuscrites,
et développent leur propre harmonie, leur propre mise
en page et leur propre écriture. Dans le même temps, les
ateliers d’imprimeurs acquièrent des caractères grecs,
hébreux ou arabes, permettant l’édition de textes étrangers,
ou de bibles multilingues.
La page de titre, quant à elle, s’élabore lentement et ne
s’impose réellement qu’à la fin du XVe siècle. A l’origine, le
recto de la première page est laissé blanc, le texte commençant au verso. Conservant la pratique médiévale
du manuscrit, le texte débute par le mot latin INCIPIT (“ ici commence ”) suivi du titre et parfois de
l’auteur et se termine par l’EXPLICIT (“ ici finit ”). L’explicit peut être suivi du colophon énonçant le nom
de l’auteur et précisant l’adresse bibliographique (lieu, imprimeur, date).
Les papetiers prennent très tôt l’habitude de marquer leur production par le filigrane, motif de laiton
introduit dans le treillis métallique de la forme lors de la fabrication de la feuille de papier et que l’on
aperçoit en transparence. Les imprimeurs, eux, individualisent leur production en apposant leur marque.
Cette marque, gravée sur bois et imprimée, est un élément à la fois informatif, décoratif et publicitaire. Elle
reprend le signe placé sur les balles de livres que les imprimeurs envoient à leurs correspondants à travers
l’Europe : à l’origine, il s’agit d’un fond noir sur lequel se découpent leurs initiales surmontées d’une croix,
puis elle devient plus élaborée, emblématique, s’inspirant du
nom de l’imprimeur, comme Bernardino Fontana à Venise
choisit une fontaine ou de l’enseigne qui est au-dessus de
Technique
sa boutique : le libraire parisien Jean Petit, par exemple, fait
Le Papier
dériver sa marque de l’enseigne “ au lion d’argent ”. Parfois,
L’utilisation du papier est attestée en Chine entre le Ier et le IIe siècle
de notre ère, probablement à la cour de l’empereur Han. Il est alors
la marque s’accompagne d’une devise, souci pour l’artisan
fabriqué à partir de chiffons de chanvre et de coton, et son secret est
de se place dans le monde de la culture humaniste, c’est
jalousement gardé : son exportation s’ajoute aux considérables revenus
le cas de l’imprimeur parisien Denis Roce : “ A l’aventure
de l’empire oriental. Il faut attendre le milieu du VIIIe siècle pour que le
tout vient à point qui peut attendre ”. Il peut arriver que
secret soit percé par les Arabes : des prisonniers chinois le livrent après
l’imprimeur soit différent du libraire, alors commanditaire
la bataille de Samarkand, et créent la première fabrique de papier du
et que deux marques ou mentions figurent sur l’ouvrage,
monde arabe dans la même ville. Le nouveau support se répand dans
celle du libraire sur la page de titre et celle de l’imprimeur
e
le Moyen-Orient pour atteindre le Caire au X siècle ; enfin, au cours
e
au colophon. Peu à peu, ces éléments d’identification
du XII siècle, 400 papeteries sont installées au Maroc. Le papier arrive
formulés en fin de texte, s’échappent pour se placer en tête
en Europe occidentale par le biais de l’Espagne : un missel mozarabe
du début du XIe siècle et et un glossaire latin du XIIe siècle, tous deux
de l’ouvrage, sur ce premier recto de page laissé vacant. Il
originaire de Silos en Castille, en sont les premiers témoignages ; l’abbé
s’agit d’abord du titre seul, une ou deux lignes, qui par la
de Cluny Pierre le Vénérable (1092-1156) dit avoir vu en Espagne un
suite s’étire parfois en réelle table de sommaire, la marque,
exemplaire du Talmud copié sur des débris de chiffons. L’introduction
ensuite, accompagnée ou non de l’adresse bibliographique,
passe aussi naturellement à la même époque par le royaume normand de
gagne la page de titre, cette adresse, énoncée dans une
Sicile, puis par l’Italie. En France, il faut attendre le XIIIe siècle pour
formule, est souvent précédée du mot latin venundantur,
trouver quelques registres comptables en papier espagnol, et le XIVe
rendant ainsi compte de l’aspect commercial qu’elle revêt.
siècle pour l’installation des premiers moulins à papier.
Une hiérarchie claire de l’information, respectant la valeur
La technique de fabrication restera sensiblement la même jusqu’au
e
sémantique de l’énoncé, ne sera définitivement adoptée
XVIII siècle : des fibres végétales (chiffons, cordes en chanvre...)
trempent dans un bain de chaux jusqu’à obtention d’une pâte que l’on
qu’au milieu du XVIe siècle.
broie ; étendue sur des treillis métalliques, puis étendue, séchée, polie
Les premiers imprimés produits entre le milieu du XVe
et couverte de colle animale, la pâte peut être utilisée comme support
siècle et le milieu du XVIe siècle sont les prémices d’un
d’écriture sous forme de papier de très bonne qualité : la résistance
nouveaux bond dans l’Histoire de l’écriture. Comme cela
de la fibre doit être égale en chaque point, contrairement au papier
fut le cas mille ans plus tôt, ce bond correspond étrangement
d’aujourd’hui, plus fragile.
à une évolution brusque des mentalités et des modes de vie ;
il marque, avec le début des grandes découvertes et la chute
Histoire du Livre
Les incunables
On appelle incunables les premiers livres imprimés par les procédés
typographiques jusqu’en l’an 1500 inclus, du mot latin incunabula qui
signifie “ berceau ” (de l’imprimerie).
L’incunable se reconnaît aisément à sa typographie très proche de
l’écriture manuscrite ; elle dérive par conséquent généralement de
l’écriture gothique: textura en Allemagne, rotunda en Italie. La raison
en est simple : pour assurer le succès du livre imprimé, il s’agit de
ne pas brusquer le lecteur, et il est donc préférable de s’adapter à ses
habitudes de lecture. Les abréviations font ainsi partie des caractères
typographiques et sont utilisées en grande quantité.
Le tournant du siècle est un choix de convention : L’utilisation d’une
écriture qui se veut antique, en fait inspirée de la caroline, et l’abandon
des abréviations, dans le mouvement général de dénigrement de la
culture médiévale, correspond à la fin des incunables. Selon les pays,
ces modifications s’opèrent entre les années 1470 et 1530.
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de Constantinople en 145315, la fin du « Moyen Âge ».
15 Qui amène, rappelons-le, nombre de grands penseurs et de textes majeurs en Occident.
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CONCLUSION
De l’écriture cunéiforme aux caractères d’imprimerie, jusqu’à l’informatique que nous utilisons
aujourd’hui, chaque époque de l’histoire a été accompagnée par son écriture : celle-ci semble avoir été à
la fois cause et conséquence de la civilisation qu’elle a portée :
Les Sumériens l’ont inventé pour le développement de leur comptabilité, et en ont fait l’outil
indispensable à la pérennité de leurs lois et de la grandeur de leurs rois.
Les Égyptiens ont inventé une écriture symbolique qu’ils ont gardé intacte durant plus d’un millénaire,
à l’image d’une société figée et traditionnaliste.
Les Grecs adoptent l’écriture lorsqu’ils entrent en contact avec les marchands phéniciens : là encore le
but premier est commercial, mais il développent en même temps que leur propre écriture une culture et
une philosophie admirable.
Les Romains font du latin, héritage de leurs anciens tyrans, l’une des armes de leur domination : sa
souplesse et sa simplicité en font la clef de voûte de l’organisation administrative de leur empire et de la
campagne d’acculturation qu’ils mènent dans chacune de leur province.
Le Christianisme, religion du livre, conserve et sacralise l’écrit : il est une arme contre le Mal, cantonné
dans les monastères mais pourtant au centre des préoccupations spirituelles de chacun. Les hommes du
haut Moyen Âge en font un facteur d’unification : un Dieu, un livre, un roi.
Le bas Moyen Âge, plus libéral, ouvre les portes des bibliothèques : les villes se développent, la
production des livres également, et avec elle la normalisation de l’écriture et des textes.
Enfin l’Humanisme naît avec l’imprimerie : la diffusion du savoir va de pair avec le développement
individuel ; l’écriture n’est plus sacrée que parce qu’elle est au coeur de la connaissance : à la fois outil de
création et vecteur de communication.
Les outils de l’écriture progressent encore vers toujours plus de productivité, de vitesse de communication
et de potentialités. Celle d’aujourd’hui, sans que l’on possède le recul nécessaire à son analyse, correspond
tout à fait à un monde de l’immédiat et du globalisme dont elle dépend et qu’elle permet à la fois. Elle
reste toutefois l’héritière de son passé, ne serait-ce que par l’utilisation de caractères très proches de la
caroline. Qui saurait alors prédire le monde qu’elle nous prépare demain?
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