Télécharger
Transcription
Télécharger
T R I B U N E 8 L I B R E LE POINT DE VUE DES ÉTUDIANTS QUELLES innovations POUR DEMAIN ? Nous avons demandé à nos huit étudiants de partager avec nous leurs avis sur le monde qui se dessinE, modelé par les innovations et les nouvelles technologies. Quelles sont les tendances qui les motivent, les interpellent ou les fascinent ? ET celles qui les inquiètent, les alertent ou même les répugnent ? voici leurS points de vue, sans concession. J’en veux + Désormais, un ordinateur peut « reconnaître » une image et la rendre intelligible en l’associant à des mots-clés. La marge d’erreur reste encore importante et les modèles perfectibles, mais l’amélioration promet d’être rapide et exponentielle puisqu’il s’agit de machines programmées pour apprendre de leurs erreurs. Camille Chalons Les organisations modernes Je veux plus d’organisations qui privilégient : la recherche de sens à la poursuite du profit, l’organisation en réseau à celle en silos, une approche lean et adaptative à la tyrannie du planning et des process. Je veux que la créativité et la disponibilité soient reconnues comme facteurs de succès, plus que les procédures et la hiérarchie. Florentin Aquenin Open Data Ouvrir les données de l’État c’est l’ouvrir à l’innovation et à un modèle où le citoyen s’engage dans la société en tirant profit de données libres. On peut déjà voir les effets bénéfiques de la plateforme d’échange de données française Etalab, qui apporte de la transparence et permet à de nombreuses initiatives de voir le jour. Julien Morganti Le management 3.0 En tant qu’élève-ingénieur, j’ai un penchant naturel pour tout ce qui relève de l’innovation technologique. Mais en tant qu’élève-stagiaire ayant déjà eu affaire au monde du travail, je reste convaincu que c’est dans le domaine du management que tout rester à inventer. Comment faire converger une organisation vers un état d’intelligence et d’épanouissement collectif ? Voilà le vrai challenge de demain. Léo Jacquemin Plus de transparence dans les données Il faudrait pouvoir savoir de manière simple et transparente ce que Facebook, WhatsApp, Twitter, Google et autres services font de nos données personnelles. Cela passerait par des conditions d’utilisation plus simples à comprendre, sachant qu’aujourd’hui la plupart d’entre nous valident ces conditions sans prendre la peine de les lire. Yacine Najji Management « lean et participatif » Il est nécessaire d’arrêter de créer des positions de middle management sans fin, car cela crée une dissolution de la responsabilité qui empiète aussi sur l’efficacité et la qualité du travail. Une autre facette du management lean est qu’il faut remplacer toutes les activités de mesure par des activités d’action. Cela redonnera de la valeur au travail collaboratif. Célia Mebroukine Financer les bonnes idées Adobe a décidé de booster l’innovation en finançant toutes les idées de ses employés, quel que soit leur poste dans l’entreprise. La Kickbox contient une liste de conseils et une carte de crédit prépayée de 1 000 dollars. Vous pouvez utiliser ce budget comme bon il vous semble pour développer votre idée, sans avoir de comptes à rendre. Florian Gagnadre J’ai récemment testé les premiers exemplaires à domicile et j’ai été fasciné par la complexité des objets designés. Au regard du potentiel de ces machines, je suis persuadé que cette technologie apporte une rupture en termes de créativité et favorise un développement socio-économique plus équilibré. Emeric Dhelens Une sécurité en péril « Nous autres Français avons un attachement émotionnel aux données, les Américains ont un attachement transactionnel » (Yseult Costes, pionnier du marketing interactif). Parce qu’elles sont reliées à un numéro de téléphone, les applications ont accès à nos données personnelles d’une précision inouïe, au détriment de notre sécurité. Camille Chalons Les organes artificiels Je préfère 80 ans vécus à fond à une course aveugle à l’espérance de vie. Je suis favorable aux augmentations du corps humain qui peuvent augmenter le niveau de vie, mais sans que cela se transforme en un évitement névrosé de la mort. Bref, Ray Kurzweil et son « intelligence non-biologique » : à consommer avec modération. Florentin Aquenin Une France en retard technologique La polémique ouverte par Uber est à mon sens le signal d’un problème profond. Notre environnement économique ne nous permet pas d’intégrer facilement les changements de paradigmes. Si on ne peut pas les intégrer, comment les générer ? Je ne veux pas d’un pays où les règles incitent à l’immobilisme et les entrepreneurs à partir. Julien Morganti L’intelligence artificielle L’intelligence artificielle me rend assez sceptique, et pour être complètement honnête, me fait un peu peur. Si nous sommes capables de générer de l’intelligence, qui peut prédire ce qu’elle sera à son tour capable de générer ? De manière assez étrange, l’être humain du futur, mi-homme, mi-machine, m’apparaît comme quelque chose de fantastique. Une intelligence artificielle en revanche, me fait froid dans le dos. Léo Jacquemin La cybercriminalité Conséquence immédiate d’un réseau internet comprenant des failles, la cybercriminalité a connu une expansion exponentielle sur les vingt dernières années. Les institutions législatives sont mal équipées pour trouver les cybercriminels et les lois actuelles sont loin d’être adaptées à ce type de criminalité, qui continuera d’évoluer. Yacine Najji Le développement d’une IA sans garde-fous Développer des programmes d’intelligence artificielle qui nous permettent d’améliorer notre quotidien et de vivre mieux et plus longtemps, je suis pour ! Mais attention aux dérives, à partir du moment où nous faisons un grand saut dans l’inconnu, il faut s’assurer d’avoir défini démocratiquement des règles éthiques à respecter. Célia Mebroukine Le milk-shake du futur Manger varié est-il si important? Non, d’après des américains qui développent Soylent, une boisson permettant de couvrir tous les besoins nutritionnels quotidiens et de servir ainsi d’alimentation principale ou unique. Une boisson économique et bonne pour la santé. En revanche, adieu le plaisir de manger et la convivialité à table. Florian Gagnadre Des technologies (trop) prédictives Le Big Data ouvre un champ inimaginable de modélisations sur les comportements sociétaux et individuels avec la promesse d’anticiper le moindre de nos choix. Si je conçois l’intérêt pour une société de réduire le risque, j’aurais le sentiment de me voir déposséder de ma liberté, de mes capacités électives et surtout de perdre toute notion de hasard et de découverte. Comme si la machine me connaissait mieux que moi. Emeric Dhelens Chaque édition, l’USI réunit des speakers inspirés venus partager leur vision de nos sociétés et de l’impact des technologies sur nos vies. Cette année - grâce aux écoles Centrale et ESSEC - nous avons voulu inclure à ces échanges une génération qui aura la charge de construire le monde de demain. En start-ups, travailleurs indépendants ou dans les grandes entreprises, leur avenir se jouera dans un contexte de disruption (technologique, du travail, culturelle). Il est plus que jamais temps de leur demander leur avis sur le digital et sur son héritage ! Nelly Grellier, Directrice de la communication OCTO et USI. l’ I nnov a tion pou r tous S i l e x i d : u n m a g a z i n e , u n n e w s p a p e r , d e s c o n f é r e n c e s , u n e c o m m u n a u t é , u n e p l a t e f o r m e w e b ESSEC BUSINESS SCHOOL Le développement de l’ESSEC est guidé par la conviction que le leader moderne doit combiner les compétences de l’ingénieur et celles du manager. Si, depuis notre alliance stratégique avec Centrale-Supélec, nous avons lancé un Centre d’Excellence pour le Business Digital et développé des programmes communs, c’est parce que nous pensons que c’est en croisant les perspectives que nous pourrons mieux comprendre le monde digital. La vision d’USI va dans le même sens. Cette édition spéciale articule des regards croisés et donne à nos étudiants l’opportunité de prendre dès à présent un rôle de thought leader en s’appropriant les idées qui feront le monde de demain. Nicolas Glady, Directeur du Centre pour le Business Digital de l’ESSEC. L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE Julien Escribe, en charge de l’enseignement IT Business à l’École Centrale Paris. Silex ID Newspaper est une publication de Silex ID – Directeur de la publication : Matthieu Vetter – Directeur des contenus : Daniel Geiselhart – Directeur Artistique : Yann Taeger – Stagiaire : Anais Bozino – Community Manager : Olivia Chevallier – Rédacteurs : Florentin Aquenin, Camille Chalons, Emeric Dhelens, Florian Gagnadre, Léo Jacquemin, Célia Mebroukine, Julien Morganti, Yacine Najji – Illustrations : Sophie Delronge, Tonu – Imprimé en France par Imprimerie Léonce Deprez - Distribution MLP – Textes, illustrations et photos copyright Silex ID, 16, rue Saulnier, 75009 Paris – SAS au capital de 9 000€ – Fondateurs : Léonce Deprez et Matthieu Vetter – Contact : 06 81 83 55 07 [email protected] – [email protected] – [email protected] – Dépôt légal à parution – Commission paritaire : en cours – Abonnement : www.silex-id.com. été 2015 1 eur w w w. s i l e x - i d. c o m INTERVIEWS-FLASH 3 QUESTIONS À : « La technologie nous rend plus humain. » C éd r ic V ill a ni Salim Ismail Il va vous faire aimer les chiffres ! P A G E 2 La superstar des maths PA G E 2 D É C R Y P TA G E D E T E N D A N C E S 1 . O P E N D ATA 2. MANAGEMENT 3.0 3. GROWTH HACKING O pen D a t a Quoi ? L’Open Data rend accessible au public un grand nombre de données provenant des institutions publiques ou des entreprises. Quand ? En 2011, la France lance la plateforme de partage de données publiques data.gouv.fr. La société civile peut enrichir les données publiées par l’État et les entreprises en créant de l’information utile à l’intérêt général. La plateforme a vu naître récemment un simulateur, OpenFisca, pour prévoir ses obligations fiscales. Pourquoi ? L’Open Data renforce la démocratie, stimule l’innovation pour remédier à des inefficacités prouvées par l’analyse des données et modernise l’État en rendant plus facile la transmission des données entre les institutions. M a n a gement 3 . 0 Quoi ? Le Management 3.0 est un concept redéfinissant la notion de leadership. Pour devenir Manager 3.0, appuyez-vous sur l’intelligence collective afin d’atteindre les objectifs de votre organisation. Et surtout, faites du bonheur de vos collaborateurs une priorité ! C ent r a le S U P É L ec Les étudiants de l’École Centrale Paris sont conscients de la place qu’ils ont à jouer dans notre économie digitale, dans un monde connecté. La participation d’élèves de l’option Informatique de 3e année à l’événement USI 2015, aux côtés d’OCTO Technology, est très importante pour l’école. Éclairés par les conférences de ces deux jours, leur regard curieux et candide (mais toujours acéré et pertinent !) sur les évolutions numériques de notre société leur permettra d’apporter leur pierre à l’édifice lorsqu’ils entreront dans la vie active dans quelques mois. Nous comptons sur eux pour être des digital managers avertis dès demain ! #02 Un numéro spécial écrit par des étudiants en partenariat avec Unexpected Sources of Inspiration D U M Y T H E à l a r é a lité ? Quand ? Développé par Jurgen Appelo en 2010 dans nos partenaires O C TO T E C H N O LO GY newspaper J’en veux La reconnaissance visuelle L’impression 3D 1T 2 0 1 5 nouveau É T É newspaper ON THE ROAD AGAIN L’AVENIR DE LA MOBILITÉ La circulation des personnes et des informations semble ne connaître aucune limite dans un monde sans frontière. 5 500 ans après l’invention de la roue, il est temps pour nous de reconsidérer la manière dont nous nous déplaçons. Alors, serons-nous de pieux sédentaires ou d’illustres voyageurs ? Ou peut-être les deux en même temps ? S uite P A G E 6 sile x g r a phie Découvrez notre jeu de l’oie du futur ! PA G E S 4 - 5 l’un de ses best-sellers, le Management 3.0 est désormais adopté par des organisations de toute taille, qui essaient de l’intégrer à leurs structures. Pourquoi ? Le but du Management 3.0 est d’augmenter la productivité, d’attirer et de garder les jeunes talents au sein de son organisation, en étant soucieux plus que ses prédécesseurs de l’ambiance au travail. G r o w th H a c k ing Quoi ? Pourquoi avez-vous donné votre adresse mail à ce site que vous ne connaissiez pas il y a dix minutes? Ne cherchez pas, vous venez d’être victime de Growth Hacking, et vous n’êtes pas le seul. Une équipe a testé méthodiquement tous les outils du webmarketing pour faire en sorte de vous attirer. Quand ? Les start-ups de la Silicon Valley sont à la pointe. Airbnb a « hacké » légalement le site de petites annonces Craiglist, très populaire aux États-Unis, pour publier les siennes et gagner en visibilité. Pourquoi ? Générer de la croissance exponentielle à moindre coût grâce à l’utilisation des données. Une croissance du nombre d’utilisateurs, de clients, de followers... Les objectifs sont infinis. M i k k o H ypp ö nen Le shérif du Web Les cybercriminels n’ont qu’à bien se tenir ! PA G E 6 édito Une collaboration de passionnés Il y a quelques mois, les équipes d’OCTO Technology ont décidé de nous inviter, nous, huit étudiants de l’Essec Business School et de Centrale Supélec, aux journées de conférences USI – Unexpected Sources of Inspiration. Quelques semaines après avoir reçu cette nouvelle, nous avons rencontré l’équipe de Silex ID qui nous a proposé de collaborer pour écrire et publier notre expérience, nos impressions avec eux et nos questionnements. Le numéro que vous tenez entre vos mains est donc le résultat de quatre mois de travail et de collaboration entre étudiants et professionnels passionnés de l’innovation et des nouvelles technologies. Nous représentons une jeune génération connectée qui côtoie au quotidien des innovations en bourgeonnement, en essor pour la grande majorité mais parfois aussi sur le déclin. C’est dans cet environnement bouillonnant que notre curiosité nous pousse à toujours vouloir en savoir plus sur ce que sera le monde de demain. Et dans ce numéro, nous voulons partager avec vous ce qui nous fascine, ce qui nous fait rêver mais aussi ce qui fait peur dans ce monde de demain qui arrive à toute vitesse. Grâce à l’aide des journalistes de Silex ID, et en participant aux conférences USI les 2 et 3 juillet derniers, nous avons réussi à communiquer sous une forme simple, accessible et parfois même ludique les sujets que nous considérons comme les grandes avancées et les grands défis technologiques et éthiques des années à venir. Joli programme, non ? Célia, Florian, Yacine, Léo, Emeric, Julien, Camille et Florentin. L 12793 - 2 - F: 1,00 € - RD 2 É T É newspaper L’ intelligence a r tificielle Du my the à la réalité Texte : Célia Mebroukine & Julien Morganti L’intelligence artificielle, un thème de blockbuster américain? Déjà présente dans notre quotidien et étonnamment performante, elle représente une rupture technologique majeure qui pose de nombreuses questions éthiques. D’autant que personne n’est capable de savoir à quoi elle ressemblera demain... al, Skynet, Jarvis, GLaDOS. Qu’ont donc ces quatre noms en commun ? Ce sont des intelligences artificielles (IA) de fiction. Parfois gentilles, souvent cinglées et dénuées de sentiments, leur présence dans la littérature, le cinéma et les jeux vidéo confirment les mythes que nous créons et les questions que nous nous posons sur leur apparition dans nos vies. Ces angoisses sont-elles fondées ? Avant qu’une IA ne se retourne contre nous comme dans un film hollywoodien, le chemin à parcourir reste long… H Une idée qui ne date pas d’hier © Universal Pictures L’IA est avant tout le prolongement naturel d’une histoire qui a commencé lorsque nous avons créé les premiers outils pour nous aider dans nos tâches quotidiennes. Cette évolution de la technique s’est fortement accélérée depuis le XIXe siècle au travers des révolutions industrielles qui nous ont apporté les machines et les ordinateurs. Selon Chris Anderson, CEO de 3D Robotics et ancien rédacteur en chef de Wired, nous approchons d’une troisième révolution industrielle où il suffira de « presser un bouton pour que la machine travaille pour nous ». Le développement de l’ordinateur a permis de créer et d’imaginer des algorithmes de plus en plus complexes, qui d’après la définition de Cédric Villani, directeur de l’Institut Henri-Poincaré et lauréat de la Médaille Fields, « est une suite d’opérations élémentaires destinées à résoudre un certain problème. La multiplication, l’addition avec retenue en sont aussi ». Dans les années 60 grâce à l’apparition des premiers ordinateurs, des algorithmes de plus en plus sophistiqués ont été créés afin de résoudre des problèmes complexes. Gordon Moore a énoncé des lois stipulant que les capacités de calcul des machines doublaient tous les dix-huit mois. Cette loi s’est vérifiée lors des cinquante années suivantes et a été largement reprise par les fondateurs de la Singularity University, en particulier Raymond Kurzweil, directeur de l’innovation Dans Ex Machina, Caleb, l’un des plus brillants codeurs du monde, fait la rencontre d’Ava, une intelligence artificielle prenant la forme d’une femme-robot. Et si un jour les IA nous regardaient comme si nous étions des primates en voie d’extinction ? de Google et grand penseur de l’IA. À travers son concept de « Law of Accelerating Returns », Kurzweil considère que la loi de Moore peut en réalité s’appliquer non pas seulement à l’informatique mais à tous les domaines touchés par les technologies de l’information et atteindre une croissance de 100 % tous les dix-huit mois. Machines et algorithmes AU quotidien Aujourd’hui, il existe deux principaux types d’IA. Celle de la Google Car décrite par Yann LeCun, directeur de la recherche en IA chez Facebook, est une IA faible, comme les algorithmes de publicité en ligne, les moteurs de recherche Google ou Bing et même les programmes d’assistance à la conduite de nos voitures. Ces intelligences ont pour but de remplir des objectifs précis et sont parfois capables d’apprendre de leurs expériences pour s’améliorer. Elles ne font donc que ce pour quoi elles sont conçues et Yann LeCun le confirme : « les systèmes automatiques piloteront sans doute mieux que nous, mais ils ne feront que ça ». L’IA forte, quant à elle inexistante dans l’état actuel de la technique, est censée apprendre, évoluer et s’adapter au changement comme le ferait un humain. Deux jalons importants sont identifiés dans son évolution : l’atteinte d’une « IA générale » aux capacités intellectuelles similaires à celles de l’Homme et l’étape de la « super-IA » qui sonnerait l’heure d’une intelligence grandement supérieure à l’Homme et en constante progression. La forme la plus répandue de cette IA faible est le machine learning. Bernard Ourghanlian, CTO de Microsoft France, explique qu’ « à travers le développement du machine learning, il y a eu l’idée de croiser deux domaines qui n’avaient jusqu’à présent pas beaucoup travaillé ensemble : l’informatique et les statistiques ». Le machine learning « remplace un algorithme classique informatique par un problème d’optimisation, qui détermine la probabilité qu’un modèle élaboré à partir de données représente une réalité ». Ainsi la machine améliore sa capacité à résoudre des problèmes en collectant des données à chaque évènement pour résoudre plus 2 0 1 5 efficacement le problème suivant. La lutte contre le spam est un des premiers exemples de machine learning, qui utilise des méthodes statistiques simples, « qui datent du XVIIIe siècle », que l’on apprend « au lycée ou en début de scolarité dans le supérieur, mais qui permettent de prédire si un message est un spam ou pas ». Aujourd’hui, Google et Facebook travaillent sur des systèmes intelligents de reconnaissance d’image qui se basent sur des outils statistiques inspirés des réseaux neuronaux inspirés eux-mêmes des neurosciences. À travers ces travaux, Yann LeCun s’attend à une « révolution de l’apprentissage du langage naturel grâce aux réseaux de neurones ». Il observe ainsi que, comme pour l’Homme, une machine qui a déjà appris un langage en apprend plus facilement un second. Le principal frein à l’autonomisation complète de ce type d’intelligence réside en réalité dans le fait que l’Homme doit toujours intervenir pour aider la machine à apprendre. Aujourd’hui, sans l’Homme, « on ne sait pas faire et c’est un énorme obstacle », même s’il est vraisemblable que cette limite soit un jour dépassée. Frey et Michaël Osborne, deux chercheurs d’Oxford, de nombreux métiers sont voués à être remplacés par des machines intelligentes à moyen terme. C’est ce potentiel d’application qui encourage les entreprises à se lancer dans l’IA afin de profiter de la croissance exponentielle qu’elle permet. L’écosystème de start-ups aux États-Unis et en Europe est largement basé sur des systèmes d’IA qui proposent d’automatiser des services à la personne, tels que le diagnostic médical, ou l’analyse et la prédiction du trafic routier. Les forces se rassemblent pour développer une IA aussi puissante que l’intelligence humaine. Et cela en fait rêver plus d’un ! Depuis maintenant une vingtaine d’années, de nombreux scientifiques ont attendu l’avènement de l’IA que nous connaissons aujourd’hui et prédisent, Raymond Kurzweil le premier, que l’humanité connaîtra avant 2050 un évènement charnière inévitable : la singularité technologique. Pierre angulaire de la philosophie transhumaniste, qui prône l’usage des sciences et des technologies pour améliorer les capacités physiques et intellectuelles de l’Homme, Kurzweil la définit comme « un point où la technique progressera si vite qu’une intelligence humaine non améliorée ne sera pas capable de la suivre ». Mais pourquoi Google et Facebook sontils à la pointe de la recherche dans ce domaine ? Quel intérêt ont-ils à développer des programmes d’IA ? Aux États-Unis, Facebook identifie automatiquement ses utilisateurs et cette reconnaissance visuelle permet à la fois d’en reconnaître le visage mais aussi de comprendre le contexte d’une photo grâce à la reconnaissance des objets et de l’environnement. Facebook recueille ainsi des données sur les hobbies de ses utilisateurs. Comme le dit Mikko Hyppönen, expert en sécurité informatique finlandais, « la seule manière de payer nos services sur le web, c’est avec nos données ». Celles-ci gagnent en valeur lorsqu’elles sont fiables, et quoi de mieux qu’une IA développée pour les extraire et les comprendre ? L’évolution rapide de la technologie provoque l’enthousiasme, mais aussi l’inquiétude de nombreux intellectuels et pose la question de l’avenir de l’Homme face à des machines toujours plus intelligentes. Les premiers à s’inquiéter sont des personnalités éminentes du domaine comme Bill Gates, Elon Musk et Stephen Hawking. Ce dernier avait d’ailleurs partagé son inquiétude dans un entretien avec la BBC en expliquant que « les formes primitives d’IA que nous avons déjà se sont montrées très utiles. Mais je pense que le développement d’une IA complète pourrait mettre fin à l’humanité ». Mais pour Salim Ismail, entrepreneur et porte-parole de la Singularity University, ce scénario hollywoodien qui verrait les machines gouverner n’a pas lieu d’être car l’Homme et la machine sont incomparables. Il ajoute que « l’intelligence humaine a développé des capacités d’adaptabilité et de flexibilité, or on observe que l’IA évolue de manière complémentaire et non à l’identique ». Selon Salim Ismail, l’IA est donc avant tout complémentaire et bénéfique. « Je ne peux pas sortir de chez moi sans mes objets technologiques. Sans eux je ne pourrais pas communiquer avec mes amis ni savoir ce qu’ils font et je perdrais une partie de ma mémoire : en d’autres termes, cette technologie me rend plus humain » assure-t-il. La « super-IA » sonnerait l’heure d’une intelligence grandement supérieure à l’Homme et en constante progression. Face à l’augmentation des systèmes intelligents et des robots dans notre quotidien, certains préconisent d’acter leur existence à travers la création d’un statut juridique spécifique, nécessaire à l’encadrement des interactions entre l’Homme et les IA. C’est notamment ce que propose Alain Bensoussan, avocat spécialisé dans le droit des technologies Une intelligence capable de surpasser celle de l’Homme ? En y regardant de plus près, cette utilisation peut paraître anecdotique lorsque l’on sait que la majorité des entreprises sont intéressées par l’IA pour l’automatisation de leur processus. D’après Carl Benedict 3 A R T I C L E avancées. Sur son blog, il explique le concept de « personnalité-robot », un statut juridique qui permettrait de recenser tous les programmes d’IA en activité et de mettre en jeu une responsabilité (celle du robot lui-même, de son fabricant ou de son propriétaire) afin de donner à ceux qui interagissent avec lui des recours possibles en justice en cas de litige ou d’accident. Ce statut juridique donnerait aussi des droits aux robots et aux programmes intelligents tels que le droit à l’intimité et à la protection des données, notamment pour les robots qui interagissent avec des personnes malades et utilisent leurs données privées pour fonctionner. La disruption est à vos portes… D’autres initiatives voient le jour pour accompagner le développement de l’IA et relèvent d’un état d’esprit tout de même « La technologie nous rend plus humains. » Salim Ismail positif face au développement de l’IA. En effet, d’autres voient encore plus loin et réfléchissent à un projet de société construit autour de l’interaction entre l’Homme et la machine. C’est notamment le cas de l’Association française transhumanisteTechnoProg qui milite pour que le débat sur le transhumanisme prenne place sur la scène publique et qui cherche à « promouvoir les technologies qui permettent ces transformations tout en prônant une préservation des équilibres environnementaux, une attention aux risques sanitaires, le tout dans un souci de justice sociale ». Dans un contexte où l’Homme a de plus en plus la main sur le futur de son évolution, l’AFT-TechnoProg propose d’analyser tous les scénarios possibles de manière démocratique et de choisir un projet de société optimal afin de ne pas laisser les évènements décider à notre place. Les personnalités qui s’inquiètent de l’avenir de l’IA lancent aussi des initiatives positives, comme Elon Musk qui a investi dix millions de dollars dans le Future of Life Institute dont l’objectif est de « garder l’IA fiable et bénéfique ». Loin d’être la seule affaire des scientifiques et des experts, le débat sur le transhumanisme et la place des machines dans notre société intéresse aussi la société civile, et doit faire l’objet d’une réflexion publique large. Lorsque l’on met cette évolution en perspective, l’Histoire nous prouve que la fin de l’Humanité a souvent été prédite. Cependant, nous avons toujours réussi à intégrer le progrès dans une logique d’amélioration et non de dénaturation de nos capacités physiques, intellectuelles et émotionnelles. 3 questions à… Cédric Villani Directeur de l’Institut de recherches mathématiques Henri-Poincaré à Paris, Cédric Villani a reçu la médaille Fields (2010), récompense la plus prestigieuse en mathématiques. Accessible et compréhensible, il intrigue autant qu’il passionne. Les mathématiques vont-elles un jour réfléchir à la place de l’Homme ? Les humains ont toujours peur que la créativité leur échappe ! Mais ce n’est pas pour demain, et je ne pense pas le voir de mon vivant. On peut penser qu’on se rapproche de mécanismes comme ceux à l’œuvre dans nos cerveaux, mais même sur des tâches simples on est très loin des mêmes performances. La musique peut-elle être considérée comme une structure mathématique ? Ce qui est mathématique dans la musique, ce sont les combinaisons de hauteurs de notes, les rapports de durée, ou la théorie des gammes. Mais le lien reste relativement superficiel, le musicien ne pense pas en mathématiques. C’est vrai qu’en général, la musique est clairement l’art préféré des mathématiciens ; plus que les autres, la musique est un art abstrait par nature. En cela, ça va bien avec les mathématiques. Rejoignez la communauté Faut-il tuer les littéraires ? Vous me faites bien rigoler, le littéraire est dominant en ce qui concerne la culture scientifique et la façon de parler. Dans notre système scolaire, la voie S est une voie généraliste déguisée en filière scientifique. Il faut une vraie filière scientifique, dans laquelle même les forts en lettres seront obligés d’aller, une vraie filière littéraire, et une vraie filière techno. On les oublie toujours, ils sont méprisés mais pas moins importants. C’est un scandale qu’il n’y ait pas de filière pour ceux qui font le choix des sciences ou du travail manuel tout en laissant de côté la philosophie et l’histoire. EN VOUS ABONNANT À SILEX ID, VOUS REJOIGNEZ LA COMMUNAUTÉ DES CRO-MAGNONS, AVEC UN ACCÈS PRIVILÉGIÉ À NOS CONFÉRENCES, AUX APÉROS-ABONNÉS, AU CONTENU © Laurence Honnorat par Florentin Aquenin & Camille Chalons WEB AINSI QU’À DE NOMBREUSES SUPRISES ! Abonnement d’un an au magazine (4 numéros) : 22 € pour l’étranger et les Dom-Tom, contacter [email protected]. Achat au numéro : 6 €/numéro Silex ID #1 (Dossier sur le Sport) Silex ID #2 (Dossier sur le Transport) Silex ID #3 (Dossier sur la Santé) Silex ID #4 (Dossier sur la Ville de Demain) Silex ID #5 automne 2015 Pour commander rendez-vous sur notre site www.silex-id.com. Pour tout comprendre du monde de demain, le magazine Silex ID vous propose 100 pages (116 pages à partir du #4) de contenu premium tous les trimestres, avec un dossier de 40 pages, de nombreux articles, des chroniques, des interviews, des bêta-tests… Tout simplement indispensable ! Abonnement à notre Newspaper prévu prochainement. Plus d’infos sur www.silex-id.com. EN kiosque actuellement 4 É T É newspaper 2 0 1 5 A R T I C L E F r e a k y Te c h D a y - l e s l é g e n d e s 1. Dérèglement de ta mise en sommeil électronique, tu ouvres les yeux avec trois semaines de retard. Tu peux passer ton tour. 2. Tu te réveilles aux côtés d’un androïde rencontré sur AdopteUnRobot la veille au LinkedInPark. Avance donc de 5 cases. 3. Les e-news t’apprennent que la Société Géniale a fait faillite et été rachetée 4x en une nuit. Tu regrettes les années 2008. 4. Ton tweet de la veille a résolu le conflit en Somalie, on te décerne le prix Nobel de la paix. Respire, et avance de 5 cases. 9. Mauvaise programmation de tes chaussures de running connectées, ton jogging se transforme en marathon. Passe ton tour ! 10. Le RER-B24 est down. Tu en profites et dépasses le niveau 3000 à Tétriste. Félicitations, avance de deux cases. 11. Tu as oublié de recharger ton robot domestique qui n’a pas pu laver ton linge. Le code des robots est formel : recule d’une case. 16. Après analyse graphico-légale de tes posts Facebook, le service client d’Amazon est heureux de t’envoyer un Bescherelle. 23. Weird : Airbnb a loué ton appart à un drone Dreezer pendant ton absence sans autorisation. Tu perds le procès, recule de 3 cases. 17. Ton robogynéco a fait une segmentation fault, l’accouchement de ta cousine a lieu quatre mois plus tôt, et tu recules de 3 cases. 24. Il faut faire tes valises, mais ton imprimante 3D ne veut plus imprimer ce modèle de valise car selon elle, il est démodé. 18. Ta cigarette intelligente refuse que tu la fumes car tu risques d’avoir un cancer. Avance de 2 cases. 19. Formation Management 3.0 au dernier étage. Ton n+2,8 te croise dans un couloir et t’invite boire un verre. Avance de 5 cases. 5. Pas le temps de petit-déjeuner, heureusement qu’il te reste des apple-meal-calorigum. Te voilà au top, avance d’une case. 12. Aujourd’hui, c’est Black Friday : shopping en ligne, un drone t’aide et vient déposer tes nouvelles affaires directement chez toi. 6. Coupure d’eau pour avoir consommé plus que la dose de Nutello autorisée. Le lobby écolo martien a encore frappé. 13. Tu oublies tes clés chez toi. Ta smart-door le tweete et tu te sens con. Tu ripostes par un contre-tweet. Passe ton tour. 20. Une idée de génie te vient pendant ton repos. Tu regardes ton rêve en replay en boucle, puis tu crées ta start-up. Avance d’une case. 7. Ton compte YouTube s’est fait hacker et te filme à ton insu sous la douche. Ok le ridicule ne tue pas, mais passe ton tour ! 14. Tu tombes sur un jeu de l’oie des années 2000 et mets une heure à comprendre les règles. Tu te donnes un tour avant de reprendre. 21. Ta start-up décolle en trois heures. Google fait une offre à 5 milliards mais tu attends deux heures de plus qu’elle soit en bourse. Business is business ! 15. Tes supérieurs voient que tu joues à X-Tweetch pendant les réunions. Et en plus, tu y joues mal. Recule donc d’une case. 22. Une notif t’informe que ton robot a une indigestion. Les soins à distance, c’est galère, tu passes ton tour ! 8. Tu testes le dentifrice de Google sur un coup de tête, et te dis que le Siri-White d’Apple était quand même beaucoup mieux. 25. Enfin ! Tu postes sur Facebook que tu es enfin en vacances et que c’est bien mérité. Personne ne like, tu passes 2 tours. 26. Quelqu’un a hacké le système IT du train et vous a emmené à San Francisco au lieu de Limoges, tu recules de 5 cases. 27. Damn! Tes nouvelles jambes bioniques ne sont pas compatibles avec la dernière mise à jour de tes poumons. Recule de 3 cases. 28. Tu découvres que ton passeport interspatial est arrivé à expiration hier. Ce n’était vraiment pas ta journée. Recommence à zéro. 29. Tu commandes un Blabladrone sur ton iPhone 13.2, Schumabot aux commandes, mets ta ceinture, et profite de tes vacances ! 5 É T É newspaper 2 0 1 5 on the r o a d a g a in ils ont dit Yann Le Cun, directeur de la recherche en IA chez Facebook « Chacun d’entre-nous a dans sa poche un objet qui est plus puissant que ce qui nous a emmené sur la lune. » Aaron Dignan, CEO d’Undercurrent « Même lorsque vous avez la bonne idée, qu’elle est prête à envahir le monde, ça ne se passe pas forcément comme prévu. » Cédric Villani, mathématicien « Nous sommes designers parce que nous adorons créer, mais la création sans responsabilité, ça amène à la destruction. » Mike Monteiro, designer « Semer la pagaille, on ne dit pas ça en entreprise, on dit : il faut innover ! » Philippe Gabilliet, spécialiste de la motivation et des stratégies mentales de la réussite « Parfois j’ai l’impression qu’en connectant tous les objets que nous avons à Internet, nous sommes en train de construire un monstre ! » Mikko Hyppönen, spécialiste de la cybercriminalité qu’il contient d’exploration et de hasard ? Dirk Ahlborn, responsable du programme Hyperloop, semble paradoxalement prédire une sédentarisation des hommes : « avec le progrès des moyens de transport, les villes ont grandi et les hommes ont gravité vers les mêmes espaces. De grands changements vont encore avoir lieu dans ce sens et en termes de travail, on estime que 40 % des Américains travailleront en freelance avant 2020. De plus en plus travailleront de chez eux, pour une ou plusieurs entreprises. » e-mobilité ou (im)mobilité ? « Il n’y a aucune raison pour que des machines aient un instinct de survie ! » Texte : Florentin Aquenin & Emeric Dhelens Efficacité, sécurité et utilisation des ressources de manière responsable… tels sont les maîtres-mots de la mobilité aujourd’hui. Jamais autant d’outils n’ont été déployés dans les villes pour capter des indicateurs tels que le trafic, la pollution et l’organisation des flux. Ces données peuvent être exploitées pour nous faire passer moins de temps dans les transports et décongestionner l’espace public. ’après IBM, qui déploie dans le monde l’initiative « Smarter Cities », le coût économique des embouteillages en Union européenne ne représente pas moins de 1 % du PIB, sans parler du gaspillage en carburants. Dans les villes, IBM propose des solutions se basant sur l’utilisation massive des données pour rendre les villes plus ergonomiques. Mais alors que l’expression « Smart City » semble être utilisée à toutes les sauces, d’autres attaquent le problème de manière plus radicale. Partant du constat que le plus gros problème dans une voiture est situé quelque part entre le siège du conducteur et le volant, Chris Urmson, à la tête du programme Google Cars, nous montre de manière déconcertante comment une voiture peut prévoir le comportement de son environnement pour adapter sa trajectoire et sa vitesse. Les trois millions de miles réalisés chaque jour dans les simulateurs de Google et l’interconnexion des voitures entre elles permet un apprentissage collectif des machines. Si la voiture sans conducteur fait encore beaucoup de sceptiques – les textes de la Convention de Vienne indiquent encore qu’un être humain doit être à tout moment en mesure de contrôler son véhicule – des militants comme Salim Ismail de l’Université de la Singularité insistent sur les gains en termes de temps et de sécurité : « si vous êtes bon pour écrire des textos et mauvais au volant, vous devriez passez tout votre temps au téléphone et laisser tomber le volant ». Rationaliser la mobilité, ce n’est pas tant une affaire d’innovation technologique que d’utilisation optimale des ressources actuelles. De ce point de vue, l’enjeu devient de mettre de manière appropriée la demande en relation avec l’offre, encore plus que de rechercher à tout prix la disruption technologique. Aaron Dignan, CEO de Undercurrent, nous rappelle à ce D titre que « nous avons trop de technologies et nous ne savons pas quoi en faire. Une entreprise comme Uber n’a fait qu’intervenir sur un pourcentage infime de la chaîne de valeur de l’industrie, en s’insérant dans un interstice entre les plateformes et les réseaux déjà existants. » Les exemples similaires sont nombreux, surtout dans le domaine du transport avec la multiplication des acteurs du covoiturage. Frédéric Mazzella, fondateur de Blablacar, se félicitait, lors d’une intervention devant l’establishment de l’Automobile Club de France, des milliers de tonnes de CO2 économisées et d’autant de rencontres et d’échanges au sein de la communauté des utilisateurs. L’explosion de l’e-mobilité… Des mobilités plus écolos, plus économes et moins onéreuses seraient-elles alors porteuses de nouvelles aventures pour les grands explorateurs ? On ne peut nier que l’histoire de la modernité ait été portée par les rêves d’exploration et une quête infinie de la vitesse, renforçant l’image popularisée par Jacques Attali d’un « Homme nomade depuis ses origines ». L’exemple des première et deuxième révolutions industrielles nous montre l’impact que peuvent avoir les ruptures technologiques sur l’occupation de l’espace et nos mobilités : en substituant la vapeur et le pétrole à la force humaine et animale, le train, la voiture, l’avion ont décuplé la mobilité des hommes et des marchandises et permis de spécialiser des territoires autrefois distants en des lieux de production ou de consommation. À l’heure de la mondialisation, l’homme moderne est devenu grand voyageur, s’appropriant des territoires toujours plus lointains et consacrant jusqu’à une heure trente de son quotidien au transport. Non contents des multiples opportunités déjà existantes en termes de mobilité, de nombreux projets, entrepreneuriaux le plus souvent, ambitionnent de révolutionner à nouveau les transports pour réaliser les utopies les plus folles et offrir à l’homme nomade la possibilité de se déplacer toujours plus vite et plus loin. Dans l’aéronautique, traditionnel secteur d’innovation, malgré l’échec commercial du Concorde, les projets de supersoniques fleurissent à nouveau pour gagner la bataille de la vitesse. La compagnie américaine Aerion projette ainsi de commercialiser à l’horizon 2022 un jet privé capable d’atteindre les 2 000 km/h. Airbus travaille de son côté sur ZEHST, un hypersonique écologique capable de relier Paris à Tokyo en deux heures trente minutes. Sans oublier les projets du Pentagone visant à atteindre les 26 000 km/h avec son projet d’avion militaire Falcon Hypersonic Technology Vehicle 2. L’espace devient la nouvelle terre de conquête, alors que le tourisme spatial est déjà pour l’homme explorateur une réalité. Le fondateur de Tesla et SpaceX, Elon Musk, s’est ainsi fixé comme objectif d’« inventer des technologies capables de transporter des millions de personnes sur Mars ». Les transports terrestres ne sont d’ailleurs pas en reste avec le projet Hyperloop du même Elon Musk. Ce projet, qui projette d’envoyer des capsules hermétiques de vingt-huit personnes en lévitation sur des coussins d’air pressurisé, requiert la construction d’un long tube à basse pression pour atteindre une vitesse de pointe de 1 200 km/h. L’ingénieur Marco Villa résume en quelques mots l’impact engendré par un tel saut technologique en termes de mobilité : « si l’on peut demain aller de Los Angeles à San Francisco en trente minutes, déjeuner avec un ami avant de revenir à 15h pour un rendez vous chez le dentiste, comment définit-on les frontières d’une ville ? » « Citius, Altius, Fortius ». Plus vite, plus haut, plus fort. À l’heure des utopies quasi réelles, on ne trouverait pas meilleure métaphore que la devise olympique pour décrire la course à la performance poursuivie par l’Homme hypernomade. Mais cette recherche de l’efficacité ne signe-t-elle pas précisément la fin du nomadisme dans ce …Et de l’(Im)mobilité Les bouleversements technologiques que nous connaissons pourraient en réalité être porteurs de perspectives radicalement différentes pour l’humanité : celles d’une nouvelle forme de sédentarité. Car si les premières révolutions industrielles ont poussé l’Homme à élargir toujours plus son espace de travail, rien ne dit que ce mouvement soit éternel. Certains penseurs imaginent même désormais le contraire. Dans son ouvrage fondateur Makers, le journaliste et entrepreneur américain Chris Anderson décrit l’émergence d’une nouvelle révolution industrielle autour de la démocratisation de l’imprimante 3D à domicile et promet une rupture socioéconomique tout aussi importante que celle de l’ordinateur. Le concept n’est certes pas nouveau : Hergé en prêtait déjà l’invention au professeur Tournesol dans Tintin et le lac aux requins et les premiers prototypes remontent aux années 1980. Grâce à un procédé additif, l’objet est construit en trois dimensions par la superposition de L’enjeu devient de mettre de manière appropriée la demande en relation avec l’offre, encore plus que de rechercher à tout prix la disruption technologique. couches successives à partir de matériaux bruts fondus (plastique, résine, céramique et même métal). La vraie révolution porte néanmoins davantage sur la combinaison du procédé avec notre nouvel écosystème numérique : demain, chacun pourra télécharger sur le cloud un fichier numérique modélisant la fabrication de l’objet 3D. L’impact sur la mobilité est potentiellement considérable, chacun, en tant que « proconsommateur », étant capable de produire, travailler et consommer depuis son salon. Dans son livre La Nouvelle Société du coût marginal zéro, Jeremy Rifkin estime 3 questions à… Mikko Hyppönen Ce Finnois de 45 ans est l’un des grands spécialistes de la sécurité sur Internet. Personnage charismatique doté d’un cynisme qui fait froid dans le dos, il a accepté de répondre à nos questions. Vous dites que la cybercriminalité va continuer de progresser, pourquoi tant de pessimisme ? La cybercriminalité est le secteur informatique qui a crû le plus sur les vingt dernières années. Il y a beaucoup d’argent à gagner, et le risque de se faire attraper est faible. Même si vous vous faites attraper, le risque de vous retrouver en face d’un tribunal est faible. Même si vous vous retrouvez en face d’un tribunal, le risque que vous écopiez d’une peine est faible. Et même si vous écopiez d’une peine, celle-ci sera légère dans la plupart des pays du monde. Le seul pays prenant la cybercriminalité au sérieux et où vous risquez de finir derrière les barreaux sont les États-Unis. Pensez-vous qu’il serait possible d’avoir un réseau internet 100 % sécurisé ? Jamais. Il n’y aura jamais de réseau ou d’ordinateur sécurisé à 100 %. La raison ? Les programmes sont écrits par des êtres humains. Les Hommes ont toujours commis des erreurs et vont continuer à en commettre. Le seul moment où l’on devrait pouvoir s’approcher d’un réseau totalement sécurisé sera le moment où les programmes seront écrits par des machines. Cela pourrait être la fin de l’humanité. Les citoyens veulent que le gouvernement combatte le terrorisme tout en conservant le contrôle sur leurs données personnelles… Il faut trouver le juste milieu. Les citoyens ont besoin de savoir ce qui est fait de leurs données personnelles, et comment elles sont traitées par les services secrets, le gouvernement. Je ne dis pas que les gouvernements ne devraient pas du tout récolter nos données en ligne puisque c’est L’avenir de la mobilité passe par des moyens de transport qui nous permettront d’optimiser notre temps et de ne plus considérer les déplacements comme du temps perdu. Ils nous permettront de nous reposer aussi bien que dans un vrai lit, de travailler aussi bien qu’au bureau, de nous former et passer des diplômes, de jouer… que les « domiciles et lieux de travail ne seront plus séparés par de longs trajets. Puisque les travailleurs vont devenir progressivement propriétaires et les consommateurs, producteurs, il est même imaginable que la circulation baisse sur les réseaux routiers aujourd’hui surchargés ». Lors de la conférence USI, Chris Anderson considère que cette révolution est en marche puisque « ces technologies sont déjà présentes dans les écoles, les maisons, les entreprises » et ne requièrent aucune compétence particulière. Certaines compagnies comme le français eMotion Tech proposent ainsi des imprimantes 3D pour particuliers à partir de 400 euros et le chinois WinSun a réussi à imprimer dix villas de 6x10x40m3 en moins d’un jour, pour un prix unitaire de 5 000 dollars. En se projetant à long terme, l’Institut pour le Futur implanté dans la Silicon Valley imagine même des « cités containers » libérées des contraintes de transport car équipées d’imprimantes 3D pour subvenir aux besoins essentiels de l’individu (médical, alimentaire…). Le monde de demain à portée d’un clic Il serait pourtant vain d’imaginer que demain s’annonce comme un monde sans usine et dépourvu de tout besoin logistique. Mais là encore, les technologies existent pour organiser le monde autour de l’Homme sédentarisé, et les drones sont déjà bien partis pour rendre l’usage des transports et de l’automobile quasi exceptionnel. Si les initiatives en cours sont encore de l’ordre de l’expérimentation, plusieurs acteurs se sont d’ores et déjà positionnés sur le secteur. Depuis mars 2015, Amazon est ainsi autorisé à tester aux États-Unis la livraison par drones, ces aéronefs sans passager ni pilote. Et tandis que Google expérimente toujours de son côté des solutions, l’allemand DHL a déjà créé un service de livraison de médicaments sur des îles reculées. Un système généralisé de livraison à domicile est désormais envisageable à l’image de ce qu’entreprend la start-up californienne Matternet dans le domaine des réseaux de distribution à grande échelle. Pour Andreas Raptopoulos, son fondateur, l’entreprise serait capable de couvrir un espace de livraison de médicaments de 362 km2 avec seulement cent cinquante drones fonctionnant sur la base de la combinaison de « trois technologiesclés : des véhicules volants autonomes, des stations au sol automatisées et un système intelligent pour opérer le réseau intégral ». Libéré de toutes les contraintes matérielles et logistiques, on pourrait envisager que l’Homme dit « hypernomade » se consacre dans ces conditions davantage aux voyages, aux loisirs et à l’exploration. Cette hypothèse n’implique cependant pas nécessairement de quitter son lieu de vie domestique car un jour viendra peutêtre où le virtuel se confondra avec le réel. La réalité virtuelle, cette technologie qui permet une simulation interactive et en temps réel de la réalité, a en effet réalisé des progrès spectaculaires ces dernières années notamment par le biais des casques de simulation à 360° comme l’Oculus Rift (racheté par Facebook en 2014), Morpheus de Sony ou encore l’HoloLens de Microsoft. Au regard du potentiel d’immersion dans un environnement totalement distancié, le secteur du tourisme a commencé à développer des services permettant d’anticiper ou de prolonger son expérience de voyage. Thomas Cook offre ainsi déjà la possibilité d’explorer Manhattan en hélicoptère ou la Statue de coup de cœur par Camille Chalons e x pé r imente z l a musique soci a l E ! © DR par Léo Jacquemin & Yacine Najji 7 A R T I C L E © AIRBUS S.A.S. 6 nécessaire pour combattre la cybercriminalité et le terrorisme. Mais je ne pense pas que les citoyens considèrent le terrorisme comme une menace existentielle au point qu’ils soient prêts à abandonner tous leurs droits. Aujourd’hui, nous avons surtout besoin de transparence. é couter de la musique avec le casque rivé sur ses oreilles lorsqu’on est seul dans les transports, à la terrasse des restaurants, ou en marchant dans la rue est entré dans les nouvelles habitudes du début du XXIe siècle. Mais le partage de la musique au moment où elle se joue dans les écouteurs est resté lettre morte, à l’époque même où le partage en réseau est devenu un système de communication à part entière. Or ne vous êtes-vous jamais demandé quelle musique écoutent vos voisins alentours ? Ou quelle musique écoutent vos amis ou parents à un instant précis ? C’est le pari que relève Catch My Song, une application lancée en juin 2015 par deux étudiants de l’ESSEC. L’objectif est simplement de transformer l’expérience musicale en expérience sociale : individuelle avec les écouteurs, elle devient collective grâce à l’application. C’est qu’en effet, Catch My Song permet, entre autres, d’écouter la musique de ses amis, mais surtout celle des utilisateurs situés à proximité, de découvrir de nouveaux morceaux, d’enrichir sa liste de lecture. Plus encore, cette dimension sociale est approfondie grâce à la possibilité de communiquer avec lesdits voisins et de lancer une conversation basée sur l’intérêt musical. En somme, à l’heure où l’homme de la rue déplore une déperdition du caractère humain des relations par une préférence pour les smartphones ou autres objets connectés, voilà une application qui va nous permettre de relever la tête et de renouer le lien social, motivé par une curiosité autre que celle des photos de profil savamment bien choisies. Ergonomique, graphiquement confortable, innovante, Catch My Song est notre pari de demain ! Application disponible gratuitement sur l’Apple Store, et adaptée pour l’iPhone et l’iPad. Pour en savoir plus : www.catchmysong.com Libéré de toutes les contraintes matérielles et logistiques, on pourrait envisager que l’Homme dit hypernomade se consacre davantage aux voyages, aux loisirs et à l’exploration. la Liberté en bateau. La chaîne d’hôtels Marriott propose quant à elle de s’évader sur une plage d’Hawaï ou de tester ses chambres à Londres tandis que la Colombie Britannique vous fait découvrir la diversité de ses paysages naturels. Ces casques, combinés aux technologies d’intelligence artificielle, permettraient-ils d’imaginer de partir en voyage sans quitter sa chambre à coucher ou son salon ? Peut-on envisager qu’elle participe à l’érosion de tout désir de mobilité ? Le monde à portée d’un clic est peut-être pour demain. La facilité croissante à se déplacer et la circulation sans obstacle de l’information nous donnent l’impression d’un monde plus mobile. Mais à force de rationaliser cette mobilité et d’aller à l’efficace, nous perdons le sens de la découverte et de l’errance productrices de rencontres. Au fond, plutôt que de rechercher l’ultramobilité, la question est peut-être de chercher à injecter de la vie dans nos espaces. Suivant le conseil de Carlos Moreno afin de ne pas finir transformés en « zombies geeks », nous devons faire de nos espaces des lieux de vie et d’identité pour « reconquérir l’hyperproximité ».