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TENDANCES INTERCULTURELLES EUROMED 2010 LE RAPPORT ANNA LINDH Tendances Interculturelles Euromed 2010 Le Rapport Anna Lindh Direction Andreu Claret (Directeur Exécutif) Gemma Aubarell (Chef de l’Unité de Coordination du Programme) Contenu Eleonora Insalaco (Coordinatrice du Rapport Anna Lindh) Nagla Abed – Asmaa Freig – Sarah Zaaimi Rédaction Paul Walton (Chef de la Communication) Stefano Zucchiatti Sondage d’opinion Robert Manchin (Président et Directeur Général de Gallup Europe) Richard Burkholder – Jihad Fakhreddine – Agnes Illyes – Aurelien Renard Design Equinox Graphics Impression Imprimerie Poot Revision linguistique Fabienne Pochart (expert) Traduction Heliopolis Business Centre Publication en ligne Consult and Design International Limited Comité scientifique Sara Silvestri (Maître de conférence à l’University de London City), Mohamed Tozy (Professeur à l’University Hassan II de Casablanca et à l’Université d’Aix-en-Provence), Naomi Sakr (Directrice du Centre des médias arabes à l’Université de Westminster), Heidi Dumreicher (Directrice de Oikodrom), Said El Dakkak (Professeur à l’Université d’Alexandrie) – Antoine Messarra (Professeur à l’Université Saint Joseph) Les opinions exprimées dans cette publication ne reflètent pas nécessairement les points de vue de la Fondation Anna Lindh, de l’Union européenne ou des pays membres de l’Union pour la Méditerranée. AVANT-PROPOS André Azoulay Président de la Fondation Anna Lindh J’ai la profonde conviction que pour tous ceux, gouvernements, sociétés civiles et institutions, qui depuis des décennies rêvent d’un grand soir de l’Union des deux côtés de la Méditerranée, il y aura un avant et un après la feuille de route que la Fondation Anna Lindh avec son Rapport, vient de tracer dans cette perspective exaltante. Nous savions en nous lançant dans ce projet sans précédent par son ampleur et par son audace que notre démarche pionnière et déterminée, n’était pas sans risque par les questions qu’elle posait et éventuellement par les réponses qui allaient y être apportées. Autres questions susceptibles de fâcher : • Nos différences supposées aux plans culturel, social ou religieux, seraient-elles à ce point profondes pour que l’on renonce aux promesses d’un destin commun entre le Nord et le Sud de la Mare Nostrum ? • Ce fossé théorique devenu pour beaucoup un postulat, rend-il caduque et irréaliste toute tentative de redonner à la Méditerranée les couleurs de modernité, d’humanisme et de solidarité qui ont aussi jalonné et éclairé notre route. Pendant des décennies, cette Méditerranée, celle de Braudel et de Paul Valery, celle d’Amin Maalouf, d’Edward Saïd ou d’Edgar Morin, cette Méditerranée a subi les assauts et les outrages de tous ceux qui ont voulu habiller d’un alibi religieux et culturel les tragédies politiques que connaît notre Région, au Moyen-Orient et ailleurs, et qui imposent bien évidemment d’abord des réponses politiques. Nous avons été collectivement otages ou spectateurs passifs de ce rapt qui a connu son point d’orgue quand la communauté internationale n’a pas su résister aux mirages et aux illusions d’un prétendu choc des civilisations et des religions, devenu l’alpha et l’oméga de tous nos maux. Cette période je le crois est révolue et notre Rapport va nourrir et conforter ce retour à la raison en apportant enfin les réponses objectives et exhaustives à toutes ces questions trop longtemps installées dans la logique dominante du cliché, des idées reçues et de la stigmatisation. Avec les données que nous propose le Rapport de la Fondation Anna Lindh, il sera plus difficile désormais pour les décideurs et pour les prescripteurs d’opinion de dire «je ne savais pas…». Pour les mêmes raisons, ceux qui s’étaient installés dans les fausses certitudes de la fracture et dans le confort du repli, ceux-là auront incontestablement maintenant une vie plus compliquée. Les 200 pages du Rapport apportent en effet avec la rigueur scientifique qui s’impose les informations qui jusqu’ici nous faisaient en partie défaut. Je pense notamment aux paramètres qui déterminent au Nord comme au Sud, les fondements objectifs de la relation Islam-Occident. Je pense aussi à la place de la culture et de la religion dans nos sociétés quand sont convoquées au banquet de la pensée et du dialogue nos capacités respectives à l’altérité, à l’écoute et à une convivialité forgée par la connaissance et le respect de toutes nos histoires additionnées.Fidèle à la feuille de route qui lui a été tracée au départ et cohérente avec les objectifs que nous nous étions assignés dans notre plan triennal 2008-2011, la Fondation Anna Lindh peut ainsi sans état d’âme ou fausse pudeur proposer avec ce Rapport, un scénario alternatif, crédible et réaliste en contrepoint des théories régressives du choc des civilisations, de la fracture culturelle ou de la confrontation des religions. Libre ensuite à chacun d’entre nous de revoir son bréviaire euro-méditerranéen et de le relire à la lumière de ce qu’écrivait Paul Valery il y a fort longtemps dans son essai sur «la liberté de l’Esprit» quand il nous disait qu’en vérité et quels que soient les aléas de l’histoire «la Méditerranée a été et restera pour toujours l’espace privilégié où se fabrique et se construit la civilisation». Le Rapport Anna Lindh 2010 Le Rapport Anna Lindh 2010 AVANT-PROPOS AVANT-PROPOS 4 Est-ce que les 750 millions de personnes qui composent le bassin démographique des 43 pays fondateurs de l’Union pour la Méditerranée ont perçu ce projet comme un énième exercice diplomatique, conçu et construit par les prescripteurs habituels et conventionnels du Mediterranean Business ou au contraire, l’ont-ils intégré et préempté dans la logique d’une rupture positive? Une rupture historique pour que se mettent en place demain les institutions et les règles du jeu d’une Méditerranée recomposée dans un espace euro-méditerranéen paritaire et apaisé, décidé à tourner le dos à toutes les régressions qui ont trop longtemps embrumé et fragilisé notre Région 5 Qu’on en juge : PERSPECTIVES Catherine Ashton Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Depuis 2005, la Fondation Anna Lindh a favorisé le dialogue entre les cultures dans la région avec le soutien de tous les partenaires euroméditerranéens. Cela a conféré à la Fondation son rôle de moyeu tandis que ses Réseaux nationaux, constitués en plateforme collective, ont constitué les rayons de diffusion et de mise en œuvre de ces projets. Aujourd’hui, en 2010, je suis ravie de participer au lancement de ce Rapport qui vient en temps opportun. Cette étude montre que, malgré les perceptions négatives et l’évolution difficile du projet euro-méditerranéen, il y a des tendances positives sous-jacentes au niveau régional. La création d’un avenir commun, prospère, sûr et partagé pour les habitants de l’espace euro-méditerranéen reste l’ambition qui nous guide et un objectif que nous pouvons atteindre. Tandis que certains commentateurs et décideurs parlent volontiers d’une période de stagnation, les citoyens des deux rives de la Mer nous disent qu’ils voient des avantages réels à l’adhésion à l’Union pour la Méditerranée. Ces avantages incluent la promotion de l’innovation et de l’esprit d’entreprise, le respect des autres cultures et le dynamisme des jeunes. Les citoyens nous disent que l’Euro-Méditerranée existe non seulement comme une zone de coopération politique et géographique, mais aussi comme un espace partagé pour les sociétés euroméditerranéennes. Ce Rapport met en évidence une convergence de valeurs, mais souligne également des préoccupations sur les idées fausses qui sont souvent à la frontière des stéréotypes. La lutte contre les stéréotypes a une longue histoire. Elle doit donc être au cœur de notre travail. Ici, les médias ont un rôle crucial à jouer. Les médias sont plus que des témoins dans ce dialogue, ils sont aussi des acteurs. Les médias créent des images culturelles et les transmettent. Les médias forment les opinions et ont le pouvoir de traduire des termes abstraits et des situations en images que les gens peuvent comprendre et auxquelles ils peuvent s’identifier. Nous avons donc besoin de travailler avec les médias pour construire des messages positifs et nous assurer de leur capacité à exprimer la diversité culturelle. Je suis convaincue que ce Rapport, et ses recommandations, nous aidera, nous, décideurs, leaders d’opinion et société civile, à relever certains des défis à venir. Je suis également persuadée qu’il peut nous aider à définir de nouvelles politiques et de nouveaux instruments en matière d’éducation, d’interaction, de mobilité, d’utilisation des nouvelles technologies, et à renforcer notre engagement auprès des jeunes et des femmes. Je vous invite à lire ce Rapport et je vous encourage à le partager avec vos collègues. Je crois que c’est un guide précieux qui devrait intéresser les lecteurs de toute la région, et un outil utile pour aider à renforcer le travail de la Fondation et les liens avec les sociétés euro-méditerranéennes. Le Rapport Anna Lindh 2010 Le Rapport Anna Lindh 2010 PERSPECTIVES PERSPECTIVES 6 Les valeurs, les perceptions, les attitudes et le rôle des médias dans leur façonnement sont les concepts clés du Rapport sur les tendances interculturelles euro-méditerranéennes 2010 compilé par la Fondation Anna Lindh pour le Dialogue entre les Cultures. Cette étude novatrice est davantage qu’un rapport de terrain supplémentaire. Elle a plutôt été élaborée à partir d’une étude scientifique sur l’état des tendances interculturelles entre les peuples de la région. Pour la première fois, un sondage a interrogé 13 000 personnes de 13 pays sur ce que la notion de «Méditerranée» et d’ «Euro-Méditerranée» signifie pour eux. Ce débat, souvent réservé au monde universitaire et à la recherche, s’est désormais déplacé de l’élite vers la rue et a trouvé sa juste place – parmi les personnes directement concernées. 7 Nous vivons dans un monde de communication instantanée, avec l’Internet, les médias sociaux et un système de télévision multichaînes 24 heures sur 24. Il est parfois difficile de distinguer les nouvelles des rumeurs et les stéréotypes de la réalité. Représentations et perceptions erronées peuvent facilement succomber aux délais imposés et, parfois, à d’autres forces plus sinistres. Tout cela donne réellement matière à réflexion quand il s’agit de relations euro-méditerranéennes et de dialogue interculturel. Amre Moussa Jorge Sampaio Secrétaire Général de la Ligue arabe Haut Représentant des Nations Unies pour l’Alliance des Civilisations Je voudrais commencer par féliciter la Fondation euro-méditerranéenne Anna Lindh d’avoir publié le Rapport sur les tendances interculturelles 2010. Ce travail important entreprend de faire la lumière sur les relations culturelles dans la région euro-méditerranéenne à partir de différentes perspectives globales concernant la diversité culturelle. En qualité de représentant des Nations Unies pour l’Alliance des Civilisations, je suis très heureux d’accueillir le Rapport 2010 de la Fondation Anna Lindh sur l’état des tendances interculturelles parmi les peuples de la région euro-méditerranéenne, la première étude basée sur un sondage d’opinion effectué dans treize pays de cette région, complété par des conclusions et des propositions d’action sur le dialogue interculturel. Vue comme un espace géographique, la région «Euro-Méditerranée» a besoin de rapprocher les cultures et les civilisations existantes fondées sur la croyance en la diversité culturelle. Le rythme de rapprochement ne peut être réglé et développé que par la démocratie. Si elle est l’un des principaux constituants des sociétés européennes, la démocratie est également un objectif majeur pour le développement des autres sociétés Euro-méditerranéennes. Une mauvaise interprétation de la culture arabo-islamique est actuellement la question prédominante au niveau international, ce qui provoque des tensions et des perturbations dans les relations entre les nations. On peut dire que le conflit provoqué entre la civilisation occidentale et la civilisation arabo-islamique provient du manque de compréhension, au cœur des deux civilisations, de leur histoire et de leur capacité à se rencontrer et à vivre ensemble. Dans ce contexte, la question de l’importance de l’apprentissage et de l’éducation se pose. Percevoir le développement de l’éducation et celui de ses programmes avec une approche progressiste est également une condition nécessaire pour forger des générations capables de faire face à la mondialisation et à ses exigences fondées sur la coopération, l’interaction et l’intégration. Dans le cas de la Méditerranée, nous voyons en particulier la nécessité de mettre l’accent sur les valeurs sociales qui peuvent être partagées entre les différentes cultures et qui constituent la base d’une plus grande proximité. La Méditerranée a été un pont pour le dialogue des cultures et des civilisations entre le monde araboislamique et l’Europe et doit rester une mer libre ouverte à ce dialogue et non un obstacle entre les nations euro-méditerranéennes. Il est également important de s’occuper des problèmes d’offenses aux religions et aux cultures, et, à cet égard, le rôle joué par les médias sur l’émergence de concepts positifs ou négatifs apparaît fondamental. Les médias devraient être un organe honnête, éclairé, qui corrigerait les perceptions erronées qui nourrissent des doutes. Les médias devraient aussi être exempts d’inclinations, de préjugés, d’extrémisme et de stéréotypes sur les autres. La paix, l’homogénéité, la coexistence, la tolérance et le respect de l’autre sont autant de valeurs à développer. Les recommandations issues de ce Rapport ne devraient pas être présentées qu’à l’élite, qu’aux penseurs ou aux représentants du gouvernement. Ces recommandations doivent parvenir à l’opinion publique, aux élèves dans les écoles et les universités ainsi qu’aux organisations de la société civile et à d’autres afin d’obtenir de réels effets positifs quant à une meilleure compréhension et un dialogue plus facile. Mon message aux médias est le suivant : «Oui à la liberté d’expression, oui à la liberté d’opinion, mais non au manque de respect des autres, non à l’attaque des cultures et des civilisations». Nous pourrons ainsi aspirer à un monde de paix et de stabilité. Le Rapport Anna Lindh 2010 Ce Rapport comble une lacune et nous fournira un outil essentiel pour une meilleure compréhension des visions du monde, des attentes, des préoccupations et des valeurs des sociétés euro-méditerranéennes. En outre, il nous aidera à évaluer l’impact de la multiplication des tentatives de dialogue, à combler les écarts, à rapprocher les intersections et les chevauchements, et à développer les occasions de synergies. À une époque où l’Alliance des Civilisations des Nations Unies fait connaître sa première Stratégie régionale pour la Méditerranée visant à créer un cadre approprié pour l’action dans cette région spécifique, nous serons en mesure, grâce à ce Rapport pionnier, de concevoir le prochain Plan d’action, en mettant en oeuvre notre stratégie sur la base de ces conclusions et propositions. Jusqu’à présent, les dix domaines prioritaires interdépendants d’action et de synergies identifiés dans la Stratégie régionale de l’Alliance des Civilisations pour la Méditerranée – à savoir l’accent mis sur les jeunes et les femmes, les médias, les villes, l’éducation interculturelle, la lutte contre les préjugés, les stéréotypes et la discrimination, et la reconnaissance du rôle de la religion dans le dialogue interculturel – sont totalement en phase avec les principales conclusions de ce Rapport. Par conséquent, la prochaine étape consiste à suivre attentivement ses propositions d’action en vue de compléter, d’une manière utile, les programmes menés par la Fondation Anna Lindh et qui contribuent à la réalisation de nos objectifs communs. A cet égard, notre moteur essentiel pour relever ensemble les défis considérables auxquels cette région doit faire face devrait être le sentiment d’appartenance partagé par les personnes vivant dans la région euro-méditerranéenne, qui est l’une des principales conclusions de ce Rapport. Enfin et surtout, selon moi, les résultats du sondage d’opinion présentés dans ce Rapport sont très encourageants et montrent clairement que nous devons redoubler d’efforts pour améliorer la compréhension et les relations de coopération entre les nations et les peuples à travers les cultures et la religion dans la Région et, ce faisant, aider à contrer les forces qui alimentent la polarisation et l’extrémisme. Parce qu’en définitive, comme le montre le Rapport, ce que les peuples euro-méditerranéens veulent, c’est pouvoir compter sur un espace partagé et riche où vivre ensemble dans le respect mutuel et la paix. Le Rapport Anna Lindh 2010 9 PERSPECTIVES PERSPECTIVES 8 PERSPECTIVES PERSPECTIVES Le Rapport Anna Lindh 2010 Le Rapport Anna Lindh 2010 TABLE DES MATIERES 11 10 TABLE DES MATIERES TABLE DES MATIÈRES TABLE DES MATIÈRES PERSPECTIVES TABLE DES MATIERES 12 Catherine Ashton - Haute Représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité 7 Amre Moussa - Secrétaire Général de la Ligue des Etats arabes 8 Jorge Sampaio - Haut Représentant des Nations Unies pour l’Alliance des civilisations 9 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 L’élaboration du Rapport - Andreu Claret 16 Au cœur du sondage Anna Lindh/Gallup - Robert Manchin 18 ANALYSES DES EXPERTS ET BONNES PRATIQUES Tendances générales 36 La Méditerranée entre imaginaire et réalités - Mohamed Tozy 36 Comportements, interactions et praxis du dialogue - Sara Silvestri 43 ANALYSE THÉMATIQUE DES MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS Vue d’ensemble et perspectives 90 Médias et perceptions interculturelles dans la région euro-méditerranéenne - Naomi Sakr 90 L’empathie mutuelle contre l’ignorance et les incompréhensions - Rym Ali 96 Études par pays 98 La fiction d’une culture nationale homogène - Sabine Schiffer 98 Médias et diversité dans les pays en situation de post-conflit - Eldar Sarajlić101 Portraits dans la couverture médiatique de la vie quotidienne - Rasha Abdulla104 Les immigrés dans le paysage médiatique - Laura Navarro106 La voix des minorités et des immigrés - Isabelle Rigoni110 La couverture médiatique des minorités - Maria Kontochristou and Anna Triandafyllidou113 Priorités d’avenir à la qualité et à l’éthique de l’information - Antoine Messarra116 Nouvelles initiatives pour refléter la pluralité culturelle - Mona El Hamdani119 Le défi d’un monde de plus en plus interdépendant - Mike Jempson122 Donner un aperçu de la vie des autres - Alexa Robertson125 Des changements positifs dans les médias traditionnels - Erhan Üstündağ and Tolga Korkut128 Intérêt envers l’Autre et interactions 50 Pour une citoyenneté interculturelle méditerranéenne - Katérina Stenou 50 Identité et perceptions mutuelles - Amin Maalouf 53 L’impact culturel du facteur démographique - Youssef Courbage 54 Reconstruire des ponts, rétablir la confiance - Ismail Serageldin 57 Nouvelles manières de comprendre les mobilités - Natalia Ribas-Mateos 58 La traduction : un outil de dialogue - Aïsha Kassoul 61 CONCLUSIONS ET PROPOSITIONS D’ACTION Valeurs et perceptions mutuelles 62 Différences et similarités dans la carte des valeurs - Dalia Mogahed 62 La variable religieuse dans le système de valeurs européen - Grace Davie 64 La Méditerranée, toujours recommencée - Predrag Matvejevic 67 Les valeurs liées à l’éducation des enfants dans les pays du Sud et de l’Est - Magued Osman 68 Islam, Occident et Modernité - Michele Capasso 71 ANNEXES Questionnaire du sondage d’opinion 144 Index des tableaux 150 Index des bonnes pratiques 151 Bibliographie152 Biographies164 Le Rapport Anna Lindh 2010 La Méditerranée comme un espace significatif 134 Onze domaines d’action 138 Le Rapport Anna Lindh 2010 13 André Azoulay - Président de la Fondation Anna Lindh 5 Visions pour la Méditerranée 72 La culture au cœur des relations entre Europe et Méditerranée - Thierry Fabre 74 Notre Europe partagée - Martin Rose 75 L’Euro-Méditerranée comme une carte cognitive - Anat Lapidot-Firilla 76 Espaces d’appartenance et de copropriété émotionnelles - Heidi Dumreicher and Bettina Kolb 79 Une perspective partagée vue par les pays nordiques - Tuomo Melasuo 82 Reflexions nomades sur le dialogue culturel - Bichara Khader 85 TABLE DES MATIERES AVANT-PROPOS Le Rapport Anna Lindh 2010 Le Rapport Anna Lindh 2010 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 15 14 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 16 ANDREU CLARET Avec la publication de ce Rapport, dont le point de départ est une enquête menée à terme dans 13 pays de la région euroméditerranéenne, la Fondation Anna Lindh s’affirme comme une institution centrale pour le dialogue interculturel dans les 43 pays de cette région. Cinq ans après sa création, la Fondation développe une des idées principales de ses promoteurs, à savoir que tout projet de dialogue doit être bâti sur la connaissance des mutations profondes qui ont lieu dans nos sociétés, et sur l’analyse de l’impact que ces mutations ont sur les comportements, les valeurs et les perceptions. Ce premier Rapport Anna Lindh constitue donc un instrument de connaissance scientifique des tendances interculturelles dans l’espace euro-méditerranéen et de dissection des facteurs qui peuvent en expliquer l’évolution. Il est censé apporter à la Fondation elle-même, ainsi qu’aux décideurs et prescripteurs d’opinion, un outil pour le débat et pour l’action, un logicien pour la mise en œuvre d’initiatives sociales et de politiques publiques destinées à bâtir un projet commun pour la Méditerranée. Un exercice de connaissance unique Le «Rapport Anna Lindh 2010» est à bien des égards un projet unique. Il l’est par son approche conceptuelle et par la méthode participative qui a présidé à son élaboration. Ce n’est pas la première fois, effectivement, que l’on essaye de mesurer l’écart ou la proximité qui existe entre les valeurs de sociétés qui ont des matrices culturelles différentes, ou que l’on prend la mesure de comportements significatifs par rapport à la connaissance, à l’intérêt mutuel ou à la prédisposition au dialogue avec d’autres cultures. Depuis une dizaine d’années, il y a même une inflation de ce genre d’études, souvent basées sur des sondages – comme c’est le cas pour le Rapport Anna Lindh – mais axées sur des clivages traditionnels Occident/Islam ou “Europe”/pays arabes, dont les conclusions sont souvent tributaires d’une approche manichéenne, qui répond de moins en moins à la réalité, et qui prétend qu’ «Occident», «Europe», «Islam» ou «monde arabe» sont des catégories homogènes, qui peuvent se comparer, s’opposer ou se rapprocher, sans intégrer les transformations qui les traversent et les complexifient. Notre approche est différente. Elle prétend rendre compte de la diversité culturelle que présente un ensemble social et humain dont la carte nous renvoie de Stockholm jusqu’à Rabat et de Lisbonne jusqu’à Damas. Nous avons rejeté une approche classique qui limiterait l’étude des valeurs, des perceptions et des comportements à une lecture comparée entre le Nord et le Sud de la Méditerranée, l’Europe et les pays arabes, car nous pensons qu’une telle démarche n’aurait pas valorisé notre objectif principal: Le Rapport Anna Lindh 2010 penser le futur de l’espace euro-méditerranéen. Nous avons donc préféré travailler sur des catégories plus composées capables de témoigner d’une région en plein changement, habitée par plus de 700 millions de personnes, traversée par une crise économique profonde, tiraillée par des réflexes identitaires et bouleversée par la globalisation. Nous étions conscients qu’innover comportait des risques et des difficultés méthodologiques, et nous avons assumé que la première des tâches serait de mettre à l’épreuve les concepts à partir desquels nous voulions mener à terme l’enquête et construire le Rapport. C’est bien pour cela que la première conclusion qui nous a paru porteuse de signification est le fait que l’espace méditerranéen «fasse sens», c’est–à-dire que ses habitants l’identifient avec un ensemble de valeurs positives qui ne sont pas présentées, bien sûr, selon la même hiérarchie, mais qui dessinent pour cet espace une personnalité différente de celle d’autres ensembles humains et régionaux. Cette conclusion, que les analyses du Rapport expliquent par les brassages d’êtres humains, d’idées et d’images que la globalisation provoque dans cette région, nous paraît d’une grande portée. C’est bien la première fois, depuis le lancement du Processus de Barcelone en 1995, que sa dimension humaine et culturelle est contrastée. Le Rapport prouve donc que le projet qui lui a succédé en 2008, l’Union pour la Méditerranée, a des assises dans les valeurs et les attentes avec lesquelles ses citoyens pensent l’espace méditerranéen. Il n’est pas seulement une construction politique. Il peut être pensé en termes humains, sociaux et culturels sur lesquels un programme politique peut s’enraciner s’il répond aux besoins de ceux auxquels il est destiné. C’est une conclusion majeure pour la Fondation, en ce qu’elle confirme le rôle stratégique de la dimension culturelle et humaine dans tout projet euro-méditerranéen. L’étude que nous publions est une première dans les annales euro-méditerranéennes. On connaissait jusqu’à présent quelques travaux à vocation essentiellement politique basés sur des enquêtes qualitatives parmi les élites institutionnelles ou sociales du Partenariat euro-méditerranéen. Notre propos fut dès le début tout à fait différent. Nous avons voulu que le Rapport soit basé sur une connaissance de ce qui s’exprime dans les sociétés de la région, une connaissance du quotidien et des valeurs qui l’accompagnent. Dans cette perspective, nous avons établi une collaboration très fructueuse avec Gallup Europe et son Président, Robert Manchin, avec qui nous avons travaillé de concert pendant plus d’un an pour mettre en place une méthodologie appropriée. La démarche n’était pas aisée car un même questionnaire devait servir pour sonder l’opinion publique dans 13 pays de la région. Il fallait donc trouver une formule commune capable de dépasser les approches parfois trop euro-centriques de ce genre d’exercice. L’expérience a Un vaste et pluriel panel d’experts L’expérience nous a beaucoup appris sur un sujet qui semblait épuisé, sur le rôle des valeurs culturelles, des perceptions individuelles et des comportements sociaux, ainsi que sur les relations qui s’établissent entre ce que les êtres font et ce qu’ils pensent. Le premier défi était donc celui de donner la voix aux personnes interrogées d’une manière scientifique, mesurable. Le second était de traiter les informations recueillies par le sondage à travers une grille d’analyse rigoureuse et plurielle qui mette en exergue le cadre social et historique dans lequel tout exercice démoscopique a lieu. Cette mise en contexte des résultats du sondage était essentielle étant donné, encore une fois, le but du Rapport Anna Lindh qui est de se pencher sur les opportunités et les obstacles que le dialogue culturel et le vivre ensemble rencontrent entre les sociétés de la région euro-méditerranéenne et au sein même de ces sociétés. Le panel d’experts que nous avons rassemblé est un gage de rigueur et de multiplicité des analyses. La large gamme de champs académiques auxquels ils appartiennent est volontaire, car nous avons cherché à combiner des disciplines diverses pour éviter une approche trop «culturaliste» et ouvrir l’interprétation à des domaines, comme la démographie ou l’histoire, dont toute analyse a besoin pour offrir des perspectives. L’un des résultats prévus, mais dont l’enquête donne une dimension troublante, est la confirmation que nos sociétés sont victimes du «choc des ignorances» dont parlait déjà le Groupe des Sages qui fut à l’origine de la constitution de la Fondation Anna Lindh. Effectivement, même s’il existe des valeurs communes susceptibles d’être partagées, les perceptions sur l’idée que nous nous faisons des autres, et les valeurs que nous leur attribuons faussent la donne et sont à l’origine de nombre des difficultés que rencontre toute stratégie de dialogue. Des deux cotés de la Méditerranée, nous ne voyons pas les autres tels qu’ils se voient eux-mêmes, mais tels que nous les imaginons, déformés par un prisme qui les enferme dans une vision stéréotypée. Ainsi que l’enquête elle-même le révèle, les médias jouent un rôle capital dans cette opération de mystification. C’est pour cela que nous avons voulu leur donner une place particulière dans le Rapport, dans une section spécifique où un groupe d’experts de plusieurs pays, coordonnés par Naomi Sakr, examinent leur rôle qui est aussi, bien sûr, celui de désenclaver les mentalités et de rapprocher les mondes. Etant donné la nature de la Fondation Anna Lindh, le Rapport a été conçu comme une opportunité de participation des Réseaux de la société civile qui sont l’expression de la Fondation dans les 43 pays de la région. Nous aurions voulu que cette participation soit encore plus active, mais elle est visible dans les bonnes pratiques qui accompagnent certains textes, aussi bien dans la partie générale du Rapport que dans le chapitre sur les médias. Cette appel à la pratique sociale comme source d’analyse n’est pas rhétorique : elle constitue un complément indispensable de l’apport des experts pour une organisation dont la vocation est l’ action et pour une approche qui donne la priorité au vécu, à l’expérience locale, à la dimension nationale, par rapport à une tendance à la conceptualisation que nous ne partageons pas. Cette participation est essentielle pour rendre compte des changements profonds que les migrations et la généralisation des nouveaux médias provoquent dans les comportements humains. Nous sommes convaincus qu’elle enrichit l’ensemble du Rapport et nous espérons qu’elle occupera une place plus importante dans les prochaines éditions. Pour la Fondation Anna Lindh, cet exercice n’a de sens que s’il contribue au développement de notre activité et à celle de nos Réseaux. Nous voudrions qu’il devienne un outil pour tous ceux qui s’inscrivent dans une démarche identique à la nôtre. En premier lieu nos partenaires, tous ceux qui nous ont accompagnés dans le Forum que nous avons organisé en 2010 à Barcelone, et qui travaillent pour tisser des liens entre les organisations de la société civile dans notre région. Nous espérons que le Rapport sera utile à leur activité, et nous le mettons à la disposition de tous ceux qui pensent qu’il peut contribuer à mieux identifier les défis et à cibler davantage les objectifs et les priorités du dialogue interculturel. C’est l’usage que nous allons en faire parmi nos Réseaux. Les conclusions préliminaires que nous en avons tirées, et qui constituent le dernier chapitre du Rapport, ouvrent la discussion. Elles constituent le point de départ d’une consultation et d’un débat que nous voudrions le plus large possible et que nous allons promouvoir à travers la page web du Rapport. Notre espoir et notre ambition sont que cette consultation dépasse le périmètre de la Fondation, qu’elle soit utile à nos partenaires et qu’elle contribue à la mise en place de politiques publiques favorables au dialogue entre les peuples de la région. C’est la raison d’être de cette première édition d’un Rapport que la Fondation Anna Lindh va publier tous les trois ans et qui est appelé à devenir un lieu d’observation des tendances interculturelles dans la région. ANDREU CLARET est Directeur Exécutif de la Fondation euro-méditerranéenne Anna Lindh pour le dialogue entre les cultures. Le Rapport Anna Lindh 2010 17 L’élaboration du Rapport été en elle-même fascinante car il s’agissait de poser des questions qui puissent être comprises et trouver des réponses significatives auprès de 13 000 personnes (mille par pays) dont l’origine, l’âge, la condition sociale, le niveau d’instruction et les croyances couvrent une réalité sociale et culturelle très vaste. Je crois que nous avons réussi, à travers un processus participatif qui a mis en commun l’expertise de Gallup, les orientations des membres du Conseil Consultatif de la Fondation, celles d’un groupe d’experts que nous avons mis en place, pilotés par Mohamed Tozy et Sara Silvestri, les analyses fournies par nos Réseaux dans chaque pays et, bien sûr, les considérations politiques de notre Conseil d’Administration. LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 LES PAYS QUI VOUS VIENNENT À L’ESPRIT QUAND VOUS ENTENDEZ PARLER DE LA RÉGION MÉDITERRANÉENNE Pays européens ROBERT MANCHIN Albanie 8 Algérie 14 Bosnie-Herzégovine 8 Croatie 18 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 Les indicateurs à suivre régulièrement portaient sur la diversité culturelle, la connaissance des différences culturelles, les espaces de rencontre, les appartenances à des identités multiples, la religion, les perceptions mutuelles et le dialogue interculturel. Grâce à ces indicateurs, les écarts de perceptions et les incompréhensions concernant les différences et divergences actuelles entre les peuples et les communautés des deux côtés de la Méditerranée devraient se réduire. Ces indicateurs devraient également contribuer à réduire les incompréhensions et à rétablir les liens humains et culturels dans la région méditerranéenne afin de faciliter les activités de la société civile, des décideurs et des leaders d’opinion. Le résultat attendu est le renforcement du dialogue avec la perspective à long terme de la transformation de l’espace méditerranéen en une «zone de coopération, d’échanges, de mobilité et de paix», telle qu’elle est mentionnée dans les valeurs principales ambitieuses et pourtant si humanistes de la Fondation. Dans ce Rapport, les résultats sont analysés à deux niveaux : par groupe de pays (pays européens et pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée) et par pays. Dans la majorité des cas, les différences entre les réponses touchant à des spécificités socio-démographiques font aussi l’objet d’une analyse. Une bonne image partagée mais des perceptions différentes de la région Les répondants des pays européens et des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée ont une perception bien différente les uns des Le Rapport Anna Lindh 2010 Les répondants partageaient une bonne image de la région. Quand ils ont été confrontés à différentes conceptions de la région, les répondants des deux groupes ont eu tendance à préférer les aspects positifs aux traits négatifs. Plus de trois-quarts des personnes interrogées ont déclaré que la région était plutôt ou fortement caractérisée par son hospitalité, son mode de vie et sa gastronomie, son patrimoine culturel et son histoire communs et sa créativité. Environ sept répondants sur dix lui ont associé des images négatives, telles que la résistance au changement, les problèmes environnementaux , ou ont décrit la région comme source de conflits. Malgré ces points communs, des différences apparaissent nettement dans les réponses des deux groupes. Par exemple, les Européens associent plus souvent la région méditerranéenne à un certain mode de vie et à une nourriture spécifique que ceux des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée (90% contre 75%), et perçoivent plus souvent la région comme une source de conflits (73% contre 61%) (graphique 1.2). Au niveau national, parmi les répondants européens, les Allemands, les Grecs et les Suédois ont fait preuve d’une tendance à être fortement ou plutôt d’accord avec les traits proposés, alors que les Français étaient les moins d’accord avec les caractéristiques suggérées. En effet, quand la quasi totalité des répondants allemands, grecs et suédois trouvaient que la région méditerranéenne est plutôt ou fortement caractérisée par son hospitalité (97%, 94% et 93%), les Français se distinguaient nettement des autres répondants Européens (graphique 1.3). Cependant, même en France, la grande majorité associe la Méditerranée à un mode de vie et à une cuisine particuliers (82%). Les répondants allemands (83%), suédois et grecs (tous deux 82%) considéraient la région comme une source Albanie Monaco 3 Algérie Monténégro 7 Bosnie-Herzégovine Maroc Palestine Portugal 22 France Grèce Israël 9 12 Egypte autres de la région méditerranéenne. Lorsqu’ils ont été interrogés sur les pays qui leur venaient spontanément à l’esprit en pensant à cette région, les Européens ont eu tendance à faire référence aux pays européens des rives de la Méditerranée, tandis que les répondants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée citaient davantage leurs pays voisins. Ainsi, les pays les plus fréquemment mentionnés par les répondants européens en pensant à la région méditerranéenne ont été l’Italie (72%), l’Espagne (65%), la Grèce (54%), la France (39%) et la Turquie (30%) et, pour les répondants du Sud et de l’Est méditerranéen, l’Égypte (38%), la Syrie (36%), le Liban (34%) et le Maroc (28%). Toutefois, dans les deux groupes de pays, un cinquième à un quart des répondants ont mentionné un pays de l’autre groupe. Par exemple, dans le groupe des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, une même proportion a cité l’Italie (26%), l’Espagne (24%), la France (22%) et la Turquie (21%) (graphique 1.1). En général, les Européens interrogés ont mentionné davantage de pays que ceux du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Malte 21 Chypre La société Gallup a été chargée par la Fondation Anna Lindh de mener la première enquête euro-méditerranéenne sur les tendances interculturelles. Ce sondage, unique par son ampleur, a l’objectif ambitieux d’évaluer les véritables points de convergence et de différences dans l’opinion publique et les attitudes au sein de l’Euro-Méditerranée. L’enquête euro-méditerranéenne sera renouvelée tous les trois ans, sur un échantillon prélevé au hasard parmi la population, à raison de 1000 entretiens par pays, chaque pays étant choisi sur la base d’une participation annuelle tournante. La première enquête a été menée en août et septembre 2009 dans plusieurs pays européens et des pays du littoral méditerranéen Sud et Est. Les pays européens concernés par cette première enquête étaient la France, l’Allemagne, la Grèce, l’Espagne, la Suède, le Royaume-Uni, la Hongrie et la Bosnie-Herzégovine. Parmi les pays du littoral méditerranéen figuraient la Turquie, l’Egypte, le Liban, la Syrie et le Maroc. En Turquie et dans les pays du groupe européen, les rencontres ont été menées par le système d’entretien téléphonique assisté par ordinateur (Computer Assisted Telephone Interview – CATI) et en face-à-face dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée. En Hongrie, afin d’élargir le spectre de l’enquête, 700 entrevues ont été menées par CATI et 300 en face-à-face. Pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée Slovénie 39 Syrie 11 72 Liban 6 Libye 3 1 Tunisie Malte 1 Monaco 1 1 Monténégro 2 Croatie 1 Chypre Maroc 9 Palestine France Grèce 65 Israël 3 Italie 22 Turquie 23 Egypte 16 1 Espagne 54 Italie 23 1 38 22 13 Libye 9 Slovénie 0 24 Syrie 26 Liban 30 Portugal Espagne 4 28 17 34 36 Tunisie 23 Turquie 21 0 Question du sondage: Pourriez-vous citer TOUS les pays qui vous viennent à l’esprit quand vous entendez parler de la région méditerranéenne? Base: Tous les participants, % de pays mentionnés (©Sondage Anna Lindh/Gallup 2010). CARACTÉRISTIQUES DE LA RÉGION MÉDITERRANÉENNE Fortement GRAPHIQUE 1.2 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 Au cœur du sondage Anna Lindh/Gallup GRAPHIQUE 1.1 Moyennement Mode de vie et cuisine méditerranéens Européens Méditerranéens du Sud et de l’Est Hospitalité Européens Méditerranéens du Sud et de l’Est Histoire et patrimoine culturel communs Européens Méditerranéens du Sud et de l’Est Créativité Européens Méditerranéens du Sud et de l’Est Source de conflit Européens Méditerranéens du Sud et de l’Est Défis environnementaux Européens Méditerranéens du Sud et de l’Est Résistance au changement Européens Méditerranéens du Sud et de l’Est Question du sondage:Des personnes différentes ont des idées diverses sur ce que représente la région méditerranéenne et sur leur vision de l’avenir. Je vais vous lire une série d’idées/d’images qui peuvent venir à l’esprit de personnes différentes. Veuillez me dire si vous pensez qu’elles caractérisent fortement, moyennement ou pas du tout la région méditerranéenne. Base: tous les participants, % de «fortement» et «moyennement» par pays (© Sondage Anna Lindh/Gallup 2010) potentielle de conflits, alors que seuls six répondants français sur dix pensaient ainsi (62%). La plupart des répondants grecs étaient fortement d’accord avec cette caractéristique négative, la moitié d’entre eux environ (48%) percevant la région méditerranéenne ainsi. Parmi les répondants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, les Marocains ont été les plus nombreux à exprimer le sentiment que les caractéristiques décrites s’appliquaient à la 19 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 région (graphique 1.4). Concernant la créativité, ce sont les Marocains qui ont été les plus nombreux (53%), non seulement parmi les sondés de Sud et de l’Est de la Méditerranée, mais aussi parmi l’ensemble des personnes interrogées des deux régions, à affirmer qu’elle représente une caractéristique forte de la région. Au total, 86% des Marocains Le Rapport Anna Lindh 2010 Fortement Moyennement GRAPHIQUE 1.3 Pas du tout Ne sait pas ou refuse de rép. Allemagne Moyennement Pas du tout Ne sait pas ou refuse de rép. CRÉATIVITÉ Fortement Pas du tout Ne sait pas ou refuse de rép. LIEUX PRIVILÉGIÉS POUR COMMENCER UNE NOUVELLE VIE Européens GRAPHIQUE 1.6 Médit. Sud et Est Allemagne BosnieHerzégovine 9 BosnieHerzégovine Egypte 12 Egypte Espagne 9 Espagne France 12 France France Grèce Grèce Grèce Hongrie Hongrie 3 Moyennement GRAPHIQUE 1.5 14 16 BosnieHerzégovine 12 Egypte 7 Espagne Europe Amérique 9 Afrique Asie 18 4 Pays du Sud et de l›Est de la Méditerranée Hongrie Liban Liban Maroc Maroc Maroc Royaume Uni Royaume Uni 12 Royaume Uni Suède Suède 6 Suède Syrie Syrie 5 Pays du Golfe Autres 9 Ne sait pas Turquie 14 Turquie 15 13 25 Syrie 21 20 Fortement GRAPHIQUE 1.4 Allemagne Liban LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 SOURCE DE CONFLIT Refuse de répondre Turquie Question du sondage: Des personnes différentes ont des idées diverses sur ce que représente la région méditerranéenne et sur leur vision de l’avenir. Je vais vous lire une série d’idées/d’images qui peuvent venir à l’esprit de personnes différentes. Veuillez me dire si vous pensez qu’elles caractérisent fortement, moyennement ou pas du tout la région méditerranéenne Base: tous les participants, % de ‘fortement’ et ‘quelque peu’ par pays (© Sondage Anna Lindh/Gallup 2010) Question du sondage: Des personnes différentes ont des idées diverses sur ce que représente la région méditerranéenne et sur leur vision de l’avenir. Je vais vous lire une série d’idées/d’images qui peuvent venir à l’esprit de personnes différentes. Veuillez me dire si vous pensez qu’elles caractérisent fortement, moyennement ou pas du tout la région méditerranéenne Base: tous les participants, % de ‘fortement’ et ‘quelque peu’ par pays (© Sondage Anna Lindh/Gallup 2010) Question du sondage:: Des personnes différentes ont des idées diverses sur ce que représente la région méditerranéenne et sur leur vision de l’avenir. Je vais vous lire une série d’idées/d’images qui peuvent venir à l’esprit de personnes différentes. Veuillez me dire si vous pensez qu’elles caractérisent fortement, moyennement ou pas du tout la région méditerranéenne. Base: tous les participants, % de «fortement» et «moyennement» par pays (© Sondage Anna Lindh/Gallup 2010) Question du sondage: Si vous pouviez recommencer une nouvelle vie avec votre famille, où imagineriez-vous vivre ? Base: Tous les participants, % Total (© Sondage Anna Lindh/Gallup 2010) interrogés sont d’accord avec cette caractérique. L’exception à cette tendance est le mode de vie et la cuisine méditerranénne, que les répondants turcs ont le plus décrits comme des traits représentatifs de la région du Sud et de l’Est de la Méditerranée (75% au total, dont 42% fortement d’accord), contre 72% au total, dont 32% fortement d’accord chez les Marocains (graphique 1.5). Quant aux différences entre les groupes sociodémographiques, des tendances stables ont été observées dans tous les sous-groupes. En général, les immigrés ou leurs enfants, les citadins, les diplômés, les employés et les étudiants se sont dit plutôt ou fortement d’accord sur le fait que les caractéristiques fournies dans l’enquête décrivaient bien les pays méditerranéens. A titre d’exemple, neuf répondants sur dix qui avaient immigré eux-mêmes (93%), ou dont les parents avaient immigré (90%), qui vivaient dans une ville moyenne ou grande (tous deux 89%), et qui étaient soit étudiants soit employés affirmaient que la région était caractérisée par son hospitalité. En moyenne, 86% des répondants pensaient de la sorte. Aucune différence significative basée sur le genre et l’âge n’a été remarquée. Les hommes, par exemple, étaient légèrement plus en accord que les femmes avec les différentes caractéristiques mentionnées dans l’enquête. Méditerranée comme lieu de séjour, on a demandé aux participants de l’enquête de choisir en toute liberté une destination de prédilection pour y refaire leur vie avec leurs familles. Les résultats ont indiqué l’Europe comme destination privilégiée pour s’y installer. En effet, deux tiers des répondants européens préféreraient demeurer en Europe si on leur en laissait le choix, alors que quatre répondants sur dix du Sud et de l’Est de la Méditerranée préféreraient émigrer en Europe (37%). Parmi ces derniers, 8% iraient dans un pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, 16% en Afrique, et environ 1 sur 10 dans un pays du Golfe (13%), en Asie (11%) ou en Amérique (8%), ou vers d’autres destinations (5%). Pour les Européens, l’Amérique était la deuxième destination la plus prisée (12%), suivie par des pays non compris dans l’enquête (9%), alors que 4% préféreraient un pays du Sud ou de l’Est de la Méditerranée, et 3% l’Afrique et l’Asie respectivement. Seuls 1% des répondants européens rêvaient de s’installer dans un pays du Golfe. En détaillant les destinations privilégiées, il en ressort qu’une part importante des répondants préférerait demeurer dans le pays natal (graphique 1.6). deux 33%) ont préféré leur pays natal, contre quatre répondants sur dix égyptiens (39%), marocains et français (tous deux 44%) et grecs (46%). Enfin, la moitié des répondants hongrois ont choisi la Hongrie (51%) et six répondants espagnols sur dix préféreraient l’Espagne. Au niveau national, les répondants d’Allemagne, de BosnieHerzégovine et de Syrie ont démontré un attrait particulier envers la culture, les religions et l’économie de l’autre groupe (graphique 1.8). Pour définir l’attractivité de l’Europe et de la région Sud et Est de la Le Rapport Anna Lindh 2010 Toutefois, cette part varie considérablement entre chaque rive de la Méditerranée, de 16% des répondants du Royaume-Uni à deuxtiers en Turquie (64%). Environ le tiers des répondants allemands (28%), bosniens (30%), suédois (32%), libanais et syriens (tous Un fort intérêt mutuel pour la culture et l’économie La majorité des répondants des deux groupes de pays s’est montrée intéressée par les nouvelles et l’information sur la vie culturelle, le mode de vie et la situation économique de l’autre groupe. L’intérêt porté aux croyances et pratiques religieuses et à la culture de l’autre groupe était plus marqué auprès des Européens, alors que les deux groupes ont démontré un intérêt égal pour les sujets économiques. Trois quarts des répondants européens se sont dit curieux de la vie culturelle et du mode de vie du Sud et de l’Est de la Méditerranée (61%), et 45% ont déclaré être intéressés par la religion dans cette région. Six répondants sur dix des deux groupes ont déclaré suivre les informations et les nouvelles sur la situation économique de l’autre groupe. En revanche, un peu plus de répondants du Sud et de l’Est de la Méditerranée ont déclaré être très intéressés par l’économie de l’autre groupe que l’inverse (20% contre 14%) (graphique 1.9). Parmi les pays européens, l’intérêt porté à la culture et au mode de vie des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée était particulièrement prononcé en Allemagne (84%), alors que les répondants britanniques ont fait preuve du minimum d’intérêt (66%). Mis à part l’Allemagne, plusieurs pays étaient très intéressés par les nouvelles et les informations sur la culture et le mode de vie, dont la Bosnie-Herzégovine (37%) et la Grèce (35%). Parmi les peuples du Sud et de l’Est de la Méditerranée, les répondants marocains ont fait preuve du plus vif intérêt pour la culture et le mode de vie en Europe (71%), tandis que les Syriens se sont dit très intéressés (28%) (graphique 1.8). L’intérêt porté aux croyances et pratiques religieuses variait, d’une part, entre les deux-tiers des répondants pour la Bosnie-Herzégovine (67%) et l’Allemagne (65%), la moitié des répondants pour la France (51%) et l’Espagne (50%) et, d’autre part, entre 54% en Turquie et un tiers en Egypte (35%). De même, l’enquête prouve que les participants de Bosnie-Herzégovine (30%), d’Allemagne (24%) et de Syrie (23%) étaient particulièrement nombreux à admettre qu’ils Le Rapport Anna Lindh 2010 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 HOSPITALITÉ Très interessé moyennement intéressé Ne sait pas ou refuse de rép Allemagne 17 BosnieHerzégovine Egypte Espagne 13 France 37 Maroc 23 42 37 41 49 Egypte 1 Espagne France 26 1 1 53 34 9 Maroc 23 1 Turquie 48 51 18 23 54 1 1 23 35 1 32 1 Question du sondage: En pensant aux pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée/aux pays européens, comment qualifieriez-vous votre intérêt pour les nouvelles et les informations les concernant sur les sujets suivants ? Base: tous les participants, % par pays(© Sondage Anna Lindh/Gallup 2010). étaient très intéressés par les croyances et pratiques religieuses de l’autre rive de la Méditerranée. aux différents sujets, alors que cette tendance était nettement moins marquée auprès des répondants européens. Par exemple, aucune différence n’a été notée entre les groupes socioprofessionnels vis-à-vis des questions économiques. Toutefois, les étudiants et les employés étaient quelque peu plus intéressés par les informations sur la vie culturelle et le mode de vie (79% et 78% contre 76% en moyenne), et les étudiants par les croyances et pratiques religieuses (62% contre 57% en moyenne). Le Rapport Anna Lindh 2010 OUI NON GRAPHIQUE 1.10 Ne sais pas ou Refuse de rép. Egypte Liban Situation économique Maroc Croyances et pratiques religieuses Turquie 29 Question du sondage: En pensant aux pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée/aux pays européens, comment qualifieriez-vous votre intérêt pour les nouvelles et les informations les concernant sur les sujets suivants ?... Base: tous les participants, % de ceux «très intéressés» et «moyennement intéressés» (© Sondage Anna Lindh/Gallup 2010).. Les différences d’intérêt pour l’économie européenne auprès des peuples du Sud et de l’Est de la Méditerranée étaient moins prononcées. Les Syriens apparaissaient toutefois comme les plus intéressés par ce sujet (35%). Dans les deux groupes, les participants nés dans un pays différent du pays dans lequel ils vivaient ou ceux dont les parents avaient émigré, étaient plus intéressés par les nouvelles et les informations concernant l’autre groupe de pays que ceux qui y étaient nés. Par exemple, 62% de ceux qui avaient émigré vers l’Europe et ceux dont les parents étaient des émigrés ont admis l’importance des croyances et pratiques religieuses du Sud et de l’Est de la Méditerranée, comparés à 56% de ceux qui n’avaient pas d’origine étrangère. Les répondants bénéficiant d’un niveau d’éducation plus élevé et ceux vivant dans de grandes ou moyennes villes ont démontré, en général, un niveau de curiosité plus élevé envers les peuples de l’autre groupe. Quant au genre et à la catégorie socioprofessionnelle, les tendances des réponses étaient différentes entre les deux groupes. Parmi les répondants européens, les femmes étaient les plus intéressées par les sujets de l’enquête, alors que les hommes étaient les plus intéressés parmi les répondants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Dans le groupe des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, les étudiants et les employés étaient les plus enclins à s’intéresser PARENTS OU AMIS VIVANT DANS UN PAYS EUROPÉEN Syrie 34 36 Vie culturelle et mode de vie 37 59 28 Médit. Sud et Est 22 56 40 Européens GRAPHIQUE 1.9 26 43 15 13 24 56 35 3 INTÉRÊT POUR LES AUTRES PAYS 2 49 18 23 Syrie 21 57 26 Liban 2 16 39 32 20 Royaume Uni Not interested 51 37 Hongrie Suède 37 33 Grèce 52 35 12 2 39 44 Syrie BosnieHerzégovine GRAPHIQUE 1.8 Somewhat interested Allemagne 2 42 38 4 1 38 37 9 Very interested Don’t know or Refused 42 53 21 Turquie 44 48 Liban Suède 28 49 9 Royaume Uni 22 41 20 Hongrie 28 40 10 Grèce LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 54 30 13 Pas intéressé INTÉRÊT POUR LA VIE CULTURELLE ET LE MODE DE VIE D’AUTRES PAYS Famille et amis en Europe – vacances dans le Sud et l’Est de la Méditerranée Seulement quatre sondés sur dix du Sud et de l’Est de la Méditerranée ont déclaré avoir des amis ou des parents en Europe (42%). Le lien était toutefois particulièrement prégnant en Turquie (61%), au Maroc (58%) et au Liban (55%), où plus de la moitié des répondants ont déclaré avoir des amis ou des parents en Europe. En Syrie et en Egypte, où l’émigration vers l’Europe s’est faite à plus petite échelle, une grande majorité de répondants syriens (73%) et égyptiens (88%) ont déclaré n’avoir ni parents ni amis en Europe. Les hommes, les répondants immigrants, les moins éduqués, les habitants des grandes villes et les étudiants avaient plus fréquemment des parents ou amis en Europe. L’Allemagne, la France et l’Italie constituaient les trois destinations européennes favorites des amis et des parents des répondants : dans la majorité des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, Question du sondage: En pensant aux pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée/aux pays européens, comment qualifieriez-vous votre intérêt pour les nouvelles et les informations les concernant sur les sujets suivants? Base: tous les participants, % de ceux «très intéressés» et «moyennement intéressés» (© Sondage Anna Lindh/Gallup 2010). Question du sondage: Avez-vous des parents ou amis qui vivent dans un pays européen ? Base: tous les participants, % par pays (© Sondage Anna Lindh/ Gallup 2010). ces trois pays figuraient en tête de la liste des 3 pays les plus cités. A titre d’exemple, les trois-quarts des répondants turcs ayant des parents et des amis en Europe ont indiqué que ceux-ci vivaient en Allemagne (75%), 22% en France et 18% en Hollande. L’Allemagne était le pays le plus cité en Syrie (36%), suivi par la France (14%) et l’Italie (13%). La France était la destination favorite des parents et amis des répondants marocains (43%) et libanais (42%), suivie par l’Espagne (36%), l’Allemagne (31%), l’Italie (28%) et la Suède (9%) (pour les répondants libanais). La plupart des parents et amis des répondants égyptiens se trouvaient en Italie (27%), en France (14%) et en Allemagne (7%) (graphique 1.10). L’enquête a également porté sur le nombre d’Européens ayant visité un ou plusieurs pays du Sud ou de l’Est de la Méditerranée. Environ le tiers des répondants européens ont déclaré avoir visité la région (36%), et les deux tiers ont répondu par la négative (63%). Les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée étaient des destinations privilégiées de vacances, en particulier pour les répondants Suédois, dont la moitié (51%) ont visité l’un des pays de la région, suivis par les répondants allemands et français (43%) et britanniques (42%). Les répondants d’Espagne (26%) et de Bosnie-Herzégovine (23%) étaient les moins nombreux à avoir visité la région (graphique 1.11). les plus visités par les Européens. Les 3 destinations en tête de la liste des touristes français étaient les pays du Maghreb (Tunisie, Algérie et Maroc), suivis par la Croatie pour les répondants de Bosnie-Herzégovine. La probabilité d’un voyage au Sud ou à l’Est de la Méditerranée croissait avec l’âge et le niveau d’éducation. A titre d’exemple, 41% des répondants âgés de 50 ans ou plus ont eu l’occasion de visiter l’un de ces pays, contre 30% pour ceux âgés entre 15 et 29 ans et 36% de ceux entre 30 et 49 ans (graphique 1.13). Une large proportion des Européens en visite dans la région méditerranéenne se sont rendus en Turquie : ainsi, les répondants de cinq des huit pays Européens de cette enquête ont déclaré que la Turquie était leur destination de vacances préférée. La moitié des répondants allemands, suédois et grecs, un tiers des hongrois et 27% des bosniens ayant visité la région sont allés en Turquie. Pour les Espagnols, la destination préférée était le Maroc (48%), la Tunisie pour les Français (45%) et l’Espagne pour les Britanniques participant à l’enquête (40%). Après la Turquie venaient l’Egypte, la Tunisie, l’Italie et la Grèce parmi les pays 23 GRAPHIQUE 1.7 De même, on note une plus forte proportion de personnes ayant visité la région parmi les répondants masculins, ceux dont les parents ont émigré en Europe, les citadins des grandes villes, les travailleurs indépendants, les salariés et les retraités. Par exemple, c’est le cas de la moitié (49%) de ceux dont les parents n’étaient pas nés dans leur pays de résidence actuelle, comparés au tiers (35%) seulement de ceux qui n’avaient pas un antécédent d’émigration. Un faible niveau d’interaction mais des similarités perçues Excepté en Suède et en France, seule une minorité de répondants a eu des contacts avec des personnes de l’autre groupe de pays durant l’année passée : un tiers des Européens et le quart des répondants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée ont déclaré avoir rencontré ou parlé à des personnes de l’autre groupe de pays, alors qu’une majorité respectivement de 64% et 76% n’avait eu aucun contact. Parmi les Européens, de nombreux répondants suédois (52%) et français (51%) ont déclaré avoir rencontré ou parlé à des personnes de pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, à l’opposé des Hongrois (12%). Parmi les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, ce sont les répondants libanais qui avaient eu le plus de contacts avec des personnes d’Europe Le Rapport Anna Lindh 2010 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 INTÉRÊT POUR LA SITUATION ÉCONOMIQUE D’AUTRES PAYS NON Ne sais pas ou Refuse de rép Allemagne BosnieHerzégovine 1 Espagne France 1 Grèce Hongrie Suède 2 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 24 Royaume Uni Question du sondage: Avez-vous visité des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée ? Base: tous les participants, % par pays (©Sondage Anna Lindh/ Gallup 2010) INTERACTIONS AVEC LES PEUPLES D’AUTRES PAYS OUI NON GRAPHIQUE 1.12 Ne sais pas ou Refuse de rép Allemagne 1 BosnieHerzégovine 1 Egypte Espagne France Grèce Hongrie 1 Liban Maroc 1 Royaume Uni 2 Suède 3 Syrie (41%), alors que seulement un répondant sur dix d’Egypte (9%) ou de Syrie (8%) avait parlé ou communiqué avec des Européens durant l’année écoulée (graphique 1.12). Parmi les répondants du Sud et de l’Est de la Méditerranée, les répondants masculins, les personnes âgées de 15 à 29 ans, les émigrés de première ou deuxième génération, les individus ayant suivi des études secondaires ou universitaires, les habitants d’une grande ou moyenne ville ou d’une banlieue, les salariés et les étudiants ont été les plus enclins à déclarer avoir rencontré et parlé avec des Européens. Parmi les Européens, le constat est semblable bien que, dans ce cas, ce soit particulièrement ceux âgés de 15 à 49 ans, ceux qui ont fait des études secondaires ou universitaires, les habitants de grandes villes et les travailleurs indépendants qui avaient rencontré et communiqué avec des personnes de l’autre groupe au cours des douze mois écoulés. Les Européens ont rencontré des personnes du Sud ou de l’Est de la Méditerranée pour affaires (38%) ou durant une excursion ou un voyage (23%). Les répondants du Sud et de l’Est de la Méditerranée ont communiqué avec les Européens par internet (24%), pour le travail (22%) et pour le tourisme (21%). Des parts égales de répondants des deux groupes ont déclaré avoir rencontré des personnes de l’autre groupe dans la rue ou dans des lieux publics (17% d’Européens, 18% des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée) ou dans leur voisinage (17% contre 14%). Parmi les Européens, l’Internet était rarement le lieu de rencontre des personnes du Sud ou de l’Est de la Méditerranée (4%). D’autres lieux d’interaction ont été mentionnés par les répondants européens (19%) et le dixième des répondants du Sud ou de l’Est de la Méditerranée (11%) (graphique 1.14). Les hommes, les personnes âgées de 30 à 49 ans, celles qui ont suivi des études supérieures, les travailleurs indépendants et les employés et, pour les pays du Sud ou de l’Est de la Méditerranée, les citadins, sont ceux qui ont communiqué le plus souvent avec des personnes de l’autre groupe pour affaires. Les Européens nés dans un autre pays ou dont les parents sont nés dans un autre pays ont été les plus nombreux à rencontrer des personnes du Sud ou de l’Est de la Méditerranée pour affaires durant les 12 mois écoulés. Le profil sociodémographique de ceux qui ont rencontré des personnes de l’autre groupe dans un cadre touristique était très différent entre les deux groupes. Parmi les répondants du Sud ou de l’Est de la Méditerranée, il s’agit essentiellement des personnes qui ont fait des études supérieures et des citadins et, dans le groupe européen, des étudiants et des plus de 65 ans. Dans les deux groupes, les jeunes de 15 à 29 ans et les étudiants étaient ceux qui avaient rencontré le plus souvent des personnes par Internet suivis, parmi les répondants des pays du Sud ou de l’Est de la Méditerranée, par les personnes ayant le plus haut niveau d’instruction et les citadins. D’autres différences ont été observées. Les femmes ont ainsi plus souvent rencontré des personnes d’Europe que les hommes. Turquie Question du sondage: Au cours des 12 derniers mois, avez-vous personnellement rencontré ou parlé avec une (des) personne(s) des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée/des pays européens ? Base: tous les participants, % par pays (©Sondage Anna Lindh/Gallup 2010) Le Rapport Anna Lindh 2010 Six Européens sur dix (62%) et 45% des répondants du Sud et de l’Est de la Méditerranée considéraient avoir davantage de points communs que de différences avec les peuples de l’autre groupe. Environ sept répondants sur dix anglais (71%), grecs et allemands (68%) qui avaient rencontré des personnes du Sud et de l’Est de PAYS VISITÉS DU SUD ET DE L’EST DE LA MÉDITERRANÉE Bosnie-Herzégovine Turquie France Tunisie GRAPHIQUE 1.13 Allemagne Grèce Turquie Turquie Egypte Croatie Maroc Egypte Italie Algérie Tunisie Italie Egypte Egypte Italie Chypre Monténégro Turquie Espagne Israël Slovénie Italie Grèce Tunisie Tunisie Espagne Maroc Espagne Maroc Grèce Croatie Maroc Syrie Israël France France Espagne Croatie Israël Liban Hongrie Espagne Suède Royaume-Uni Espagne Turquie Maroc Turquie Italie Tunisie Egypte Italie Grèce Grèce Egypte Grèce Espagne Italie Tunisie Turquie Croatie Turquie Maroc Egypte Tunisie France Espagne France Egypte Israël Israël Maroc France Grèce Italie Tunisie Israël Algérie Chypre Chypre Algérie Liban France Malta 25 OUI GRAPHIQUE 1.11 Question du sondage: Quel(s) pays? Base: Ceux ayant rencontré ou parlé avec des personnes de pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée %, les 10 pays en tête de liste (©Sondage Anna Lindh/Gallup 2010).. la Méditerranée ont déclaré la même chose. Dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, ce sont les Marocains qui se trouvaient le plus d’affinités avec les Européens (59%). Dans les deux groupes, les plus instruits et les étudiants ont déclaré avoir plus de points communs que de différences avec les autres. Valeurs principales partagées et différentes Parmi les répondants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, en plus de ceux-ci, les habitants des métropoles et les femmes étaient les plus proches des Européens, alors que les hommes et les habitants des zones rurales et des petites villes et les retraités en étaient le plus éloignés. Parmi les répondants européens, ceux âgés de 50 à 64 ans, les immigrés de deuxième génération et les habitants des petites ou moyennes villes pensaient que les points communs étaient plus nombreux que les différences, alors que les immigrés de première génération, ceux âgés de 64 ans ou plus et les répondants d’une profession «autre» ressentaient plus fréquemment que les personnes du Sud et de l’Est de la Méditerranée leur étaient semblables. L’un des objectifs de l’enquête était de définir les valeurs partagées ou antagonistes entre les répondants européens et ceux du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Pour mieux identifier les valeurs clés des répondants, les participants à l’enquête ont eu à choisir dans une liste, et par ordre de priorité, les deux plus importantes valeurs pour l’éducation de leurs enfants. Les résultats ont montré des différences marquées entre les valeurs clés des répondants du Sud et de l’Est de la Méditerranée et des Européens. Alors que la religion était la valeur la plus importante pour les répondants du Sud et de l’Est de la Méditerranée, les Européens ont déclaré que le respect pour les autres cultures et la solidarité familiale étaient les valeurs les plus importantes à transmettre à leurs enfants. Environ six répondants du Sud et de l’Est de la Méditerranée sur dix ont mentionné les croyances religieuses comme première et deuxième valeurs dans l’éducation de leurs enfants (62%), alors qu’un Européen sur six pensait de la même manière (14%) (graphique 1.15). Concernant le respect des autres cultures, qui était la valeur la plus citée parmi les répondants européens, l’image était opposée: alors que six Européens sur dix l’ont mentionné à la première et à la deuxième place (58%), seuls 17% des répondants du Sud et de l’Est de la Méditerranée ont répondu de la même manière. Les différences étaient moins marquées que pour les autres valeurs. Par exemple, une majorité de 56% d’Européens ont mis la solidarité familiale au cœur de l’éducation de leurs enfants, alors que quatre répondants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée sur dix (41%) pensaient de la même manière. Alors que l’indépendance était plus souvent citée par les répondants européens en première et deuxième places (24% contre 19%), les répondants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée ont souligné plus souvent l’importance de l’obéissance dans l’éducation de leurs enfants (35% contre 24%). Apprendre à leurs enfants à être curieux était plus important pour une part égale de répondants des deux Le Rapport Anna Lindh 2010 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 PAYS VISITÉS DU SUD ET DE L’EST DE LA MÉDITERRANÉE Tourisme Relations de voisinage Par hasard dans la rue/ dans un lieu public Discussion sur Internet LES VALEURS CONSIDÉRÉES PAR LES PARTICIPANTS COMME ÉTANT LES PLUS IMPORTANTES À TRANSMETTRE À LEURS ENFANTS La plus importante La deuxième plus importante Européens LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 26 Solaidarité familiale Allemagne Allemagne Allemagne Allemagne Allemagne BosnieHerzégovine BosnieHerzégovine BosnieHerzégovine BosnieHerzégovine BosnieHerzégovine Egypte Egypte Egypte Egypte Egypte Espagne Espagne Espagne Espagne Espagne France France France France France Grèce Grèce Grèce Grèce Grèce Hongrie Hongrie Hongrie Hongrie Hongrie Liban Liban Liban Liban Liban Maroc Maroc Maroc Maroc Maroc Royaume Uni Royaume Uni Royaume Uni Royaume Uni Royaume Uni Suède Suède Suède Suède Suède Syrie Syrie Syrie Syrie Syrie Turquie Turquie Turquie Turquie Turquie groupes (17% Européens, 19% habitants du Sud et de l’Est de la Méditerranée) (graphique 1.15). Les répondants ont répondu aussi sur les valeurs qu’ils considéraient comme primordiales pour leur groupe et pour l’autre. Il était plus facile pour les participants des deux groupes d’évaluer les valeurs primordiales des membres de leur groupe que celles de l’autre. Les jugements portés sur les valeurs clés de l’autre groupe n’allaient pas de pair avec les perceptions de leur propre groupe, ou les répondants étaient insuffisamment informés pour exprimer une opinion. En se concentrant d’abord sur les jugements portés par les répondants sur les personnes de leur propre groupe concernant la plupart des valeurs, la majorité des répondants ont estimé la plupart de leurs valeurs similaires à celles de leur propre groupe. Toutefois, ils ont porté des jugements erronés sur les valeurs clés de l’éducation des enfants au sein de leur propre groupe. Les Européens considéraient le respect pour les autres cultures et la solidarité entre les membres de la famille comme des valeurs clés pour ceux qui avaient des enfants. Cependant, une grande partie des répondants ont considéré ces valeurs comme plus importantes dans l’éducation leurs propres enfants que pour les autres enfants européens : seuls 46% considéraient que les Européens en général apprennent à leurs enfants comment traiter les peuples des autres cultures avec respect et la moitié Le Rapport Anna Lindh 2010 pensaient avoir inculqué à leurs enfants l’importance de la solidarité familiale, comparés à 58% et 50% respectivement qui considéraient cela comme une part importante dans l’éducation de leurs propres enfants. Comme pour l’évaluation de leurs propres valeurs, environ le quart des répondants européens ont mentionné l’indépendance et l’obéissance comme première et deuxième valeurs pour les Européens ayant des enfants, et un peu moins que le cinquième ont fait de même concernant les croyances religieuses et le septième concernant la curiosité (graphique 1.16). Comme pour leurs propres valeurs, la plupart des répondants du Sud et de l’Est de la Méditerranée ont mentionné la religion en première et deuxième places comme valeurs primordiales dans l’éducation des enfants dans leur région. Cependant, davantage de répondants ont considéré la religion comme plus importante au sein de leur famille que dans les familles du Sud et de l’Est de la Méditerranée (62% contre 55%). Seule une minorité pensait que les parents de leur région considéraient qu’il était plus important que leurs enfants apprennent à être indépendants (20%), curieux (15%) et respectueux envers les personnes d’autres cultures (14%); ces chiffres étaient semblables à ce qui avait été annoncé (19% pour l’indépendance et la curiosité, et 17% pour le respect). Plus de répondants du Sud et de l’Est de la Méditerranée pensaient que la solidarité familiale était une valeur plus primordiale dans l’éducation de leurs propres enfants que pour les autres parents de la région (41% pour leurs propres valeurs, 32% pour les valeurs des autres), alors que les répondants pensaient que l’obéissance était 32 26 Européens Respect des autres cultures Médit. Sud et Est 5 13 10 Européens 13 18 Médit. Sud et Est Indépendance 18 10 14 Médit. Sud et Est 7 11 Européens 8 9 Curiosité 12 Médit. Sud et Est Européens Crovances religieuses 26 32 Européens Obéissance 24 15 Médit. Sud et Est Médit. Sud et Est Question du sondage: par quel biais avez-vous rencontré ou parlé à cette personne ? Base: ceux ayant rencontré ou parlé avec des personnes d’autres pays, % par pays (©Sondage Anna Lindh/Gallup 2010) GRAPHIQUE 1.15 5 7 27 Affaires ou travail GRAPHIQUE 1.14 9 41 21 Question du sondage: Parmi ces six valeurs, pourriez-vous en citer deux qui vous semblent les plus importantes pour les parents qui élèvent des enfants dans les sociétés européennes ? - Je voudrais savoir laquelle de ces six valeurs vous diriez être la plus importante pour vous-même ? Et la deuxième plus importante ? Base: tous les participants, % Total (©Sondage Anna Lindh/Gallup 2010) plus importante pour les autres parents que pour eux-mêmes (40% des valeurs des autres contre 35% pour leurs propres valeurs) (graphique 1.17). De manière générale, les répondants ont largement mésestimé les valeurs primordiales mentionnées par les personnes de l’autre groupe. Les répondants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée ont clairement surestimé l’importance des valeurs individuelles telles que l’indépendance et la curiosité pour les Européens, et ont sous-estimé l’importance de la solidarité familiale, du respect des autres cultures et de l’obéissance. Les Européens ont, de leur côté, surestimé l’importance du respect des autres cultures pour les répondants du Sud et de l’Est de la Méditerranée et sous-estimé le poids de toutes les autres valeurs. Environ six répondants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée sur dix pensaient que les parents européens apprenaient en priorité à leurs enfants à être indépendants (57%), et curieux (44%) alors que seul un Européen sur cinq a mentionné l’indépendance en premier et deuxième lieu (19%) comme valeur primordiale dans l’éducation, et seulement 13% pour la curiosité (graphique 1.16). D’autre part, le quart des répondants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée pensait que les Européens veulent que leurs enfants respectent les autres cultures, 17% pensaient que la solidarité familiale était importante pour les Européens, et 14% pensaient quils attendaient de leurs enfants qu’ils soient obéissants. Par contre, 58%, 56% et 24% des répondants européens ont mentionné ces valeurs comme de première ou deuxième importance dans l’éducation de leurs enfants (graphique 1.15). Les Européens ont également mal estimé les valeurs des parents dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, et un nombre moindre pensait que les valeurs de l’enquête étaient importantes dans l’éducation des enfants de cette région. La plupart des Européens pensaient, par exemple, que la solidarité familiale était la première (ou la deuxième) valeur pour les parents des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée (48%), alors que 41% des répondants de cette région la considéraient comme importante. Les répondants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée ont jugé les croyances religieuses comme prioritaires (62%). Les Européens ont sous-estimé l’importance de la curiosité (7% contre 19%), de l’indépendance (14% contre 20%), et de l’obéissance (28% contre 35%) dans l’éducation au Sud et à l’Est de la Méditerranée. En revanche, ils ont surestimé l’importance du respect des autres cultures pour les peuples de cette région (31% contre 17%) (graphique 1.17). Les Européens ont plus volontiers reconnu leur ignorance des valeurs clés des parents du Sud et de l’Est de la Méditerranée que l’inverse. Ainsi, 16% des Européens ont déclaré ne pas pouvoir juger les valeurs des répondants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, alors que 14% des répondants de la région n’avaient pas d’avis sur les valeurs des parents européens. Le Rapport Anna Lindh 2010 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 MOYEN D’INTERACTION GRAPHIQUE 1.16 PERCEPTIONS DES PARTICIPANTS DES VALEURS CONSIDÉRÉES COMME ÉTANT LES PLUS IMPORTANTES À TRANSMETTRE À LEURS ENFANTS PAR LES PARENTS EN EUROPE La deuxième plus importante Européens Médit. Sud et Est Respect des autres cultures 27 Européens Indépendance 8 Européens 13 Croyances religieuses 13 28 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 Médit. Sud et Est 8 Européens 8 Européens Médit. Sud et Est Différences entre pays Concernant leurs propres valeurs personnelles, les Espagnols trouvaient que le respect des autres cultures était la leçon la plus importante (ou la deuxième) à enseigner à leurs enfants (68%; 41% en première et 27% en deuxième mention). Les Hongrois étaient, de loin, les plus nombreux à trouver la solidarité familiale essentielle pour l’éducation des enfants : plus de huit répondants sur dix ont mentionné cette valeur (84%), dont six sur dix en première place (61%). D’autre part, trois répondants suédois (30%) et égyptiens (29%) sur dix ont mentionné les liens familiaux. Seul un quart des répondants (26%) trouvaient que l’obéissance était une valeur primordiale parmi les valeurs de l’enquête. Les Suédois ont mentionné leur désir que leurs enfants soient curieux (48%), alors que seuls 7% des répondants turcs et grecs partageaient cette vision. Les opinions sur l’importance de l’indépendance variaient moins entre les pays; la part de ceux qui la positionnaient au premier et au deuxième rang des valeurs variait entre approximativement trois Allemands, Suédois (29%), et Britanniques (28%) sur dix à un répondant sur dix en Egypte. En étudiant les résultats des attitudes des répondants sur les Le Rapport Anna Lindh 2010 Européens Médit. Sud et Est Européens Obéissance Médit. Sud et Est Européens Indépendance 10 9 Médit. Sud et Est Européens Curiosité 8 23 21 Question du sondage: Parmi ces six valeurs, pourriez-vous en citer deux qui vous semblent les plus importantes pour les parents qui élèvent des enfants dans les sociétés européennes ? La bande marron indique les réponses des Européens sur les valeurs les plus importantes à transmettre aux enfants en Europe. La bande orange indique les réponses des peuples du Sud et de l’Est de la Méditerranée sur les valeurs les plus importantes à transmettre aux enfants en Europe. Base: tous les participants, % Total (©Sondage Anna Lindh/Gallup 2010) Le taux de «ne sait pas» était particulièrement élevé en BosnieHerzégovine (27%) et en Turquie (44%). Respect des autres cultures 7 11 5 22 13 12 Médit. Sud et Est Curiosité Médit. Sud et Est 34 Européens Européens Solidarité familiale 20 17 Médit. Sud et Est Obéissance Médit. Sud et Est 25 Médit. Sud et Est Européens Croyances religieuses 22 11 7 La deuxième plus importante valeurs primordiales d’autres peuples d’Europe ou du Sud et de l’Est de la Méditerranée, les observations suivantes ont été faites. Les Hongrois et les Espagnols pensaient que les Européens et les peuples des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée partageaint les mêmes valeurs dans l’éducation des enfants. Par exemple, les Hongrois avaient tendance à penser que la solidarité familiale était la valeur principale ou la deuxième pour les Européens (68%) et les peuples des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée dans l’éducation des enfants (66%) – bien qu’inférieure à l’importance qu’ils lui portent eux-mêmes (84%). Les Espagnols pensaient que les parents européens (61%) et des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée (64%) accordaient plus d’importance à cette valeur qu’au respect d’autres cultures dans l’éducation de leurs enfants – mais moins qu’à celle qu’ils lui accordent (68%). Parmi les différents pays, les répondants libanais se sont démarqués dans le jugement des valeurs des autres parents. Concernant les valeurs des Européens, les Libanais ont surestimé l’importance que les Européens accordaient aux valeurs individuelles telles que la curiosité et l’indépendance. Huit répondants libanais sur dix trouvaient que les première et deuxième valeurs d’importance auprès des parents européens était d’apprendre à leurs enfants à être indépendants (77% du total, 53% en première mention), et, pour les deux-tiers, à être curieux (66% du total, 23% en première mention). Les Libanais étaient les moins portés à considérer que les Européens accordent une grande importance à l’obéissance 29 Solidarité familiale La plus importante GRAPHIQUE 1.17 Médit. Sud et Est Question du sondage: Parmi ces six valeurs, pourriez-vous en citer deux qui vous semblent les plus importantes pour les parents qui élèvent des enfants dans les sociétés du Sud et de l’est de la Méditerranée? La bande marron indique les réponses des Européens sur les valeurs les plus importantes à transmettre aux enfants dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée. La bande orange indique les réponses des habitants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée sur les valeurs les plus importantes à transmettre aux enfants de cette région. Base: tous les participants, % Total (©Sondage Anna Lindh/Gallup 2010). (5%), à la religion et à la solidarité familiale (tous deux 8%) dans l’éducation de leurs enfants. Comme les Hongrois, les Libanais pensaient que les croyances religieuses (tous deux 66%) étaient les plus importantes valeurs des peuples du Sud et de l’Est de la Méditerranée dans l’éducation des enfants. De même, comme les Hongrois (9%) et les Suédois (7%) – ils étaient les moins enclins à penser que les parents des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée voudraient apprendre à leurs enfants la curiosité (9%). Les Français (36%) et Anglais (37%) étaient moins portés à penser que l’éducation religieuse des enfants était la valeur la plus importante pour les peuples du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Les Suédois ont surestimé l’importance de l’obéissance pour les autres parents européens (36%) et étaient parmi les principaux répondants d’Europe à penser que cette valeur était importante pour les parents des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée (42% contre 28% en moyenne). Considérations socio-démographiques Concernant les propres valeurs des répondants, l’enseignement du respect des autres cultures aux enfants a été mentionné par les répondants âgés de 50 ans ou plus, par les immigrés de première et deuxième génération, les répondants ayant terminé leur études secondaires et universitaires, les citadins, les employés et les retraités. Les deux derniers groupes ont fait preuve d’une tendance à choisir la solidarité familiale comme valeur primordiale ou seconde à transmettre à leurs enfants, comme les personnes âgées de 65 ans ou plus ainsi que ceux qui avaient terminé leurs études secondaires. Les répondants entre 15 et 29 ans ont le plus souvent mentionné la religion comme valeur principale pour les enfants, tout comme les répondants d’un niveau d’éducation inférieur et les femmes au foyer. De plus, la religion a été mentionnée comme élément principal par les habitants des métropoles et des zones rurales. L’obéissance était jugée importante auprès de ceux sans éducation formelle, les sans-emplois et les répondants des zones rurales. Ceux qui ont mentionné la curiosité et l’indépendance avaient un profil sociodémographique très similaire. Les deux valeurs étaient particulièrement importantes pour les étudiants et ceux ayant reçu une éducation supérieure. Par contre, la curiosité a été aussi souvent mentionnée par ceux sans instruction que ceux ayant terminé leurs études secondaires et universitaires. L’indépendance a été beaucoup mentionnée par les hommes, les immigrés de première et deuxième génération, les citadins et les employés. La conviction d’une vérité universelle était plus répandue dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée : six répondants de cette région sur dix croyaient en une vérité universelle, alors que le tiers pensait que la vérité dépend des circonstances (34%). Une grande majorité d’Européens pensaient que cette vérité est Le Rapport Anna Lindh 2010 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 La plus importante PERCEPTIONS DES PARTICIPANTS DES VALEURS CONSIDÉRÉES PAR LES PARENTS DU SUD ET DE L’EST DE LA MÉDITERRANÉE COMME ÉTANT LES PLUS IMPORTANTES À TRANSMETTRE À LEURS ENFANTS Refuse de rép. La vérité est absolue Il n’existe pas de vérité absolue. Tout dépend des circonstances. Assurément Allemagne BosnieHerzégovine 9 Egypte Non LES MÉDIAS ONT CHANGÉ EN POSITIF LES POINTS DE VUES SUR LES AUTRES Oui Ne sait pas ou Refuse de rép. Ne sait pas ou Refuse de rép. Non Innovation et entrepreunariat 7 Allemagne Dynamisme des jeunes 9 BosnieHerzégovine GRAPHIQUE 1.20 16 80 23 Egypte 12 27 France 3 Souci de l’environnement France 13 86 Grèce 2 Égalité des genres Grèce 13 82 Liberté individuelle et primauté de la loi Attachement aux valeurs spirituelles et morales Royaume Uni Suède 6 3 23 4 1 5 6 71 Liban 40 59 Maroc 38 62 1 Royaume Uni 14 84 2 Suède 12 86 2 Syrie Syrie 77 19 Hongrie Solidarité sociale Maroc Espagne 2 71 3 9 4 65 Espagne Liban 30 Peut-être GRAPHIQUE 1.19 Respect de la diversité culturelle Hongrie LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 LA SOCIÉTÉ PROFITERAIT DU PROJET DE L’UNION POUR LA MÉDITERRANÉE Turquie 24 28 74 67 2 5 Turquie Question du sondage: Certaines personnes croient qu’il existe des règles absolues sur ce qui est bon et mauvais et ce qui est vrai. D’autres disent qu’il n’y a pas de vérité absolue, mais que les choses sont relatives et que le bien et le mal dépendent de la situation. Quel point de vue vous correspond le plus ? Base: tous les participants, % par pays (©Sondage Anna Lindh/Gallup 2010). Question du sondage: Votre pays, les pays voisins et la plupart des pays européens ont décidé d’établir des échanges politiques, économiques et culturels plus étroits au sein du projet de l’Union pour la Méditerranée. Quel intérêt aurait votre société à participer à un tel projet? Pensez-vous qu’elle en profiterait assurément, peut-être ou pas du tout ? Base: tous les participants, % Total (©Sondage Anna Lindh/Gallup 2010). Question du sondage: Vous souvenez-vous avoir entendu, lu ou regardé récemment quoi que ce soit dans les médias qui ait changé ou renforcé positivement votre point de vue sur les populations des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée/des pays européens ? Base: tous les participants, % par pays (©Sondage Anna Lindh/Gallup 2010) relative (78%), et seulement un cinquième d’entre eux croyaient en une vérité universelle (18%). Au Maroc, presque tous les répondants croyaient en une vérité universelle (88%), et seul un sur dix n’y croyait pas. Le Maroc est rejoint en tête par l’Égypte, avec sept participants sur dix (71%), et six Libanais (62%) et Syriens (61%) sur dix. Les Turcs étaient les plus sceptiques du groupe avec environ les deux-tiers des répondants qui ne croyaient pas à une vérité absolue (64%) contre approximativement le quart qui y croyait (27%) (graphique 1.18). Dans les pays européens, les répondants de Bosnie-Herzégovine et du Royaume-Uni croyaient le plus volontiers en une vérité universelle. Toutefois, ils ne représentaient qu’une minorité d’Européens (28% et 25%). Les Suédois partageaient moins cet avis : plus de huit répondants sur dix croyaient en une vérité absolue ou relative selon les circonstances (84%) et plus d’un répondant sur huit n’y croyait pas (13%). Les personnes âgées de 15 à 29 ans, les habitants de métropoles, ceux ayant un niveau inférieur d’instruction et les femmes au foyer étaient ceux qui croyaient le plus en une vérité absolue (graphique 1.18). Les bénéfices attendus de l’Union pour la Méditerranée Méditerranée soutiennent l’alliance, nous avons suggéré aux répondants plusieurs éléments qui pourraient avoir un impact sur leurs pays. Il a été demandé aux sondés des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée s’ils pensaient que ces éléments auraient assurément, peut-être ou jamais un impact, et, aux répondants européens, de mentionner trois éléments susceptibles de se concrétiser. La plupart des répondants du Sud et de l’Est de la Méditerranée étaient convaincus que l’Union pour la Méditerranée peut être profitable à leur société. En leur offrant le choix de plusieurs impacts positifs hypothétiques de l’Union, une majorité relative des répondants a estimé que ces effets pourraient assurément avoir lieu (entre 34% et 48%) et environ le tiers des répondants pensaient que l’Union pourrait peut-être produire de tels effets (entre 22% et 38%). Seule une minorité pensait que ces apports pourraient ne pas se concrétiser (entre 8% et 25%). Les répondants étaient majoritairement convaincus que l’Union encouragerait l’innovation et l’entreprenariat. Environ la moitié des répondants estimait que l’Union aurait assurément cet effet (48%), et 37% pensaient que le développement dans cette région serait possible. Seul un répondant sur dix en excluait la possibilité (8%) (graphique 1.19). Pour voir à quel point les citoyens des pays de l’Union pour la Un peu plus de 45% des répondants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée pensaient que leur région verrait assurément naître une préoccupation croissante autour des questions environnementales (47%), un dynamisme jeune et un plus grand respect pour la diversité culturelle (tous deux 46%) dès que l’Union entrerait en vigueur. Presque un tiers des répondants pensaient que ces effets pourraient peut-être avoir lieu et un peu plus d’un sur dix n’y croyait pas. Plus d’égalité des genres, de solidarité sociale et une augmentation de la liberté individuelle et de l’autorité de la loi ont été considérés comme des avancées certaines par un quart des répondants du Sud et de l’Est de la Méditerranée et vus comme résultats probables aux yeux, respectivement, de 35%, 37% et 38% d’entre eux, alors que 16% des répondants ne croyaient pas que l’Union aurait un impact dans ces domaines. Les répondants en attendent moins un impact sur l’attachement aux valeurs morales et spirituelles. Ce point a été le plus controversé (25% d’avis négatifs), un tiers seulement des répondants pensant que cet effet pourrait assurément (34%) ou peut-être (35%) avoir lieu si l’Union se formait. Les répondants du Liban pensaient que l’Union entraînerait assurément un dynamisme jeune (65%), une augmentation de la diversité culturelle (59%) et une préoccupation de l’environnement (58%), qu’elle encouragerait l’innovation et l’entreprenariat (56%), et améliorerait l’égalité des genres (52%). Les répondants du Maroc étaient les plus nombreux à penser que Le Rapport Anna Lindh 2010 l’attachement aux valeurs spirituelles et morales (50%), la liberté individuelle, l’autorité de la loi (48%) et la solidarité sociale (50%) se verraient assurément renforcés. Les répondants européens ont été interrogés sur les mêmes impacts de l’Union pour la Méditerranée et on leur a demandé s’ils pensaient qu’elle aurait le même effet dans leurs pays. On leur a également demandé de choisir les trois plus importants impacts attendus dans leur pays. Les résultats indiquent que les Européens attendaient le plus souvent de l’Union qu’elle contribue à un plus grand respect de la diversité culturelle. Un peu moins de la moitié des répondants ont attribué cet effet à l’Union pour la Méditerranée (46%). Le tiers des répondants pensaient que l’Union encouragerait l’innovation et l’entreprenariat et augmenterait la solidarité sociale (tous deux 32%) et la préoccupation autour des questions environnementales (30%). La liberté individuelle (27%) et l’égalité des genres (25%) ont été cités par le quart des Européens environ. L’attachement aux valeurs spirituelles et morales (18%) et le dynamisme jeune (16%) étaient considérés comme une résultante de l’Union. Un répondant sur dix ne pouvait pas estimer l’effet que l’Union pourrait avoir et 2% ont refusé de répondre (graphique 1.19). Aucun pays européen n’avait d’avis tranché sur le soutien ou l’opposition à l’Union. Toutefois, les Grecs, Français et Britanniques étaient en tête de liste (indiquant que les répondants de ces pays avaient le plus choisi l’élément positif respectif ) alors que la Bosnie-Herzégovine était au bas de la liste. Par exemple, quatre répondants grecs sur dix pensaient que l’Union apporterait innovation et entreprenariat (41%) et augmenterait la sensibilité aux questions environnementales (42%). Les Britanniques étaient particulièrement convaincus que la diversité culturelle profiterait de l’Union (63%), et ont mentionné la liberté individuelle et l’autorité de la loi (36%). De même, les Français pensaient que l’Union apporterait plus d’égalité des genres (36% pour les Espagnols), et de dynamisme jeune (22%). Les répondants de Bosnie-Herzégovine étaient particulièrement critiques quant à l’éventuel impact positif de l’Union sur la préoccupation autour des questions environnementales (19%), le dynamisme (12%) et la diversité culturelle (20%). L’analyse sociodémographique indique peu de variations dans les réponses entre les groupes sociodémographiques. Parmi les répondants du Sud et de l’Est de la Méditerranée, par exemple, ceux avec un niveau d’éducation moyen (niveau secondaire), les habitants de banlieues ou de grandes villes et les étudiants par exemple étaient absolument persuadés que la participation à l’Union encouragerait l’innovation et l’entreprenariat, augmenterait le respect de la diversité culturelle, le dynamisme jeune, la sensibilité aux questions environnementales et l’égalité des genres. Concernant la situation relative à l’immigration des répondants du Sud et de l’Est de la Méditerranée (soit eux ou leurs parents ayant émigré de leur pays natal), des différences majeures ont été enregistrées; les immigrés de première génération étant particulièrement convaincus des futurs impacts positifs de l’Union. Par exemple, 64% des immigrés pensaient que l’Union augmenterait la solidarité sociale dans leur pays, comparé à 39% Le Rapport Anna Lindh 2010 31 GRAPHIQUE 1.18 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 OPINION SUR L’EXISTENCE D’UNE VÉRITÉ ABSOLUE LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 32 La majorité des répondants n’avaient pas l’impression que les médias avaient amélioré l’image de l’autre groupe de pays. Cette évaluation critique était prépondérante parmi les répondants Européens. Huit participants à l’enquête sur dix en Europe ont dit que les médias dans leurs pays n’encourageaient pas les images positives des peuples du Sud et de l’Est de la Méditerranée (79%). Cette proportion variai de 71% en Hongrie à 86% en Suède, alors que la proportion de ceux qui croyaient que les médias ont changé positivement l’image des peuples des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée variait entre 23% et 12% dans ces pays (graphique 1.20). Plus de répondants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée pensaient que les médias encouragent et améliorent l’image des Européens (31%). Le quart des répondants en Syrie et quatre sur dix au Liban en ont fait une évaluation positive, alors que trois quarts (74%) en Syrie et six sur dix au Liban (59%) ont nié cet impact des médias. Parmi les participants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, ceux ayant le plus haut niveau d’éducation, les habitants de métropoles et les étudiants se rappelaient avoir lu, entendu ou vu des informations positives concernant les Européens. Dans les deux groupes, les immigrés et ceux dont les parents avaient émigré partageaient cette vision. Les répondants qui pensaient que les médias améliorent l’image de l’autre groupe de pays ont été questionnés sur les sources de cette image positive. La source d’information la plus citée dans les deux groupes de pays était la télévision (58% dans les pays européens et 55% dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée). Les opinions divergeaient quant aux autres sources. La source d’informations la plus citée ensuite était la presse écrite (27%) dans les pays européens, et les films (20%) dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Les films documentaires étaient en troisième position dans les deux groupes (20% et 13% respectivement). Environ un répondant européen sur dix a mentionné les livres (11%), Internet (11%) et les films (9%). Les émissions radios ont été mentionnées par 6%, 1% ont cité les blogs et 13% d’«autres» sources. Tout comme dans les pays européens, l’Internet (11%) et, dans une moindre mesure, les blogs (2%) ont été mentionnés dans les pays Méditerranéens, mais les livres (4%), la radio (2%) et les «autres» sources ont été moins fréquemment cités (6%). Si l’on s’attache aux différences sociodémographiques, on note, par exemple, que la télévision a été le plus souvent citée, dans les deux groupes de pays, par les répondants qui ont quitté l’école plus tôt, ceux vivant dans les villages ou les zones rurales, les retraités et les Le Rapport Anna Lindh 2010 Européens European GRAPHIQUE 1.21 Médit. Sud et Est Nouvelles / infos télévisées Nouvelles / infos dans la presse écrite Documentaires Films Autres sources sur Internet Livres 33 Une faible contribution des médias à une meilleure image mutuelle LES SOURCES D’ IMPRESSION POSITIVE SUR LES PEUPLES DES AUTRES PAYS Programmes radio LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 de ceux qui étaient nés dans leur pays de résidence. Les réponses des Européens indiquent des variations mineures selon les groupes sociodémographiques, sans tendance particulière. Par exemple, ceux entre 30 et 49 ans, les immigrés et les travailleurs indépendants ont exprimé plus souvent leur conviction que l’Union encouragerait l’entreprenariat et l’innovation.. Blogs Autres Question du sondage: uelle(s) source(s) véhicule(nt) cette impression positive sur les habitants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée/des pays européens ? Base: participants dont les points de vue ont changé d’une manière positive, % Total (©Sondage Anna Lindh/Gallup 2010). sans-emplois. Parmi les répondants européens, les femmes au foyer ont cité la télévision plus souvent que les autres groupes socioprofessionnels. ROBERT MANCHIN est Président et Directeur Exécutif de Gallup Europe et Professeur au Collège d’Europe de Bruges. Le Rapport Anna Lindh 2010 Le Rapport Anna Lindh 2010 Le Rapport Anna Lindh 2010 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 35 34 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 ANALYSES DES EXPERTS ET BONNES PRATIQUES GRAPHIQUE 2.1 Oui La Méditerranée entre imaginaire et réalité Non/ne sait pas 1 Oui 1 1.9 Non/ne sait pas 2 31 MOHAMED TOZY LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 36 Le travail empirique réalisé pour le sondage Anna Lindh/Gallup révèle que la Méditerranée est une réalité tangible et complexe. Mohamed Tozy explore les multiples redéploiements culturels et spatiaux des interactions entre les peuples des deux rives de la Méditerranée et examine les valeurs portées par ses habitants et par leurs voisins. Il met en exergue l’importance d’une mise en perspective historique et sociale et réfute l’habituelle dichotomie entre Nord et Sud. La construction d’un champ de comparaison Euro-Med est arbitraire dans la mesure où elle met ensemble Méditerranée et Europe en pensant que la familiarité qu’on a avec l’une ou l’autre catégorie nous dispenserait d’un travail de déconstruction salutaire à l’aboutissement de cette recherche. Nous n’insisterons pas assez sur le caractère risqué de cette entreprise dès qu’on a pris la décision de penser Euro-Med en se donnant les moyens d’investiguer un espace promu au rang d’objet de science sociale. Décider d’un échantillon de 13 126 personnes représentatif d’une population euro-méditerranéenne est davantage un acte de foi qu’un acte scientifique. Ce parti pris – tout arbitraire qu’il soit – est doté d’une intentionnalité rationnelle qui se donne des limites et des moyens pour se penser en train de penser. Une telle réflexivité s’appuie sur les acquis d’un historicisme scientifique qui fonde sa démarche sur une déconstruction des objets les plus évidents et une définition argumentée de sa démarche. Il va sans dire que nos propres résistances sont nombreuses et que les débusquer pour les neutraliser est un travail de longue haleine. Les discussions qui ont précédé l’enquête pour gérer des problèmes d’items ou de formulation des questions ont abordé rapidement ou pas du tout la question cruciale du traitement des données et des catégories et des échelles de comparaisons. Il aurait été prématuré de faire un choix définitif entre trois possibilités d’organisation des informations recueillies : un traitement des données à partir d’un échantillon unique, à partir d’échantillons nationaux ou d’un échantillon intermédiaire (groupe européen/groupe des pays du Sud et de l’Est de la Méditerrannée). C’est une question qu’on ne peut pas régler uniquement par des arguments sociologiques. La question des typologies et des angles de lectures est cruciale dans ce travail et aucun choix n’est légitime en soi. Si on prend par exemple la constitution de deux catégories proposées par le questionnaire – les pays européens et les pays du Sud et de l’Est de la Méditerrannée –, on voit bien que la première est une catégorie institutionnelle regroupant les pays de l’Union européenne et que la seconde est définie en principe par déduction. Ce choix nous donne une catégorie hétérogène alors même qu’elle cache un parti pris honteux qui présuppose une homogénéité culturelle et géographique qu’on n’ose pas revendiquer. Au contraire, on parvient Le Rapport Anna Lindh 2010 aisément à conforter sa spécificité en recourant à des moyennes qui atténuent les écarts au sein de chaque catégorie et éclipsent les similitudes ponctuelles ou régulières entre, par exemple, le Liban et la Suède, la Grèce et la Turquie, la Hongrie, l’Egypte et la France. Confrontés au choix entre une typologie prescriptive et une typologie qui résulterait des affinités et des régularités dégagées des données empiriques, nous avons retenu l’option de les confronter, ce qui demande un travail plus artisanal qui conjugue une intuition contrôlée par une ouverture sur une sensibilité historiciste. Il fallait, avec ce choix, accepter une sociologie de la complexité qui ne serait pas déstabilisée par le fait que les types puissent se faire et se défaire en fonction des congruences. Avant de revenir sur une analyse des parties de l’enquête dont j’ai la charge, notamment la signification de la Méditerrannée pour les populations d’Europe et de la Méditerranée du Sud et de l’Est, la réalité des interactions entre les populations et les valeurs et représentations qu’ils ont sur eux-mêmes et sur leurs voisins proches et lointains, je vais essayer de cerner les multiples redéploiements culturels et spatiaux du concept de «Méditerranée», pointer les arrangements qui cherchent à intégrer ou exclure en fonction des enjeux du moment. Cette déconstruction de la catégorie permet de cerner la question de l’autre et de la frontière. Dans ce cadre, l’anthropologie culturelle (Tozy et Albera, 2005) qui est l’une des disciplines les plus proches de ce débat sur les identités et les différences et qui a été aussi la plus compromise dans les enjeux méditerranéens, va nous servir de paradigme. Elle nous fournira un bon exemple de projets de déconstruction, reconstruction des catégories aussi bien européennes que méditerranéennes. La crise de la Méditerranée comme «lieu» adéquat pose un problème de délimitation des catégories régionales de comparaison. A ce propos, on ne peut s’empêcher de remarquer que certains auteurs associent le rejet de la notion de «Méditerranée» à des propositions qui font preuve d’un certain flottement. Il n’est pas impossible de voir le même chercheur défendre successivement trois perspectives comparatives différentes rejetant la «Méditerranée». Plus généralement, les unités de comparaison trouvées en remplacement (que ce soit le Moyen-Orient, l’Europe, les nations 8 Mode de vie 8 8 Hospitalité Patrimoine commun GRAPHIQUE 2.2 SOURCES D’INQUIÉTUDE 33 69 67 7 Créativite Enjeux environnemetaux Source de conflit Base: tous les répondants, % des données agrégées. Graphique conçu par M. Tozy à partir de l’enquête Anna Lindh/Gallup 2010. Base: tous les répondants, % des données agrégées. Graphique conçu par M. Tozy à partir de l’enquête Anna Lindh/Gallup 2010. ou les ethno-nations) sont frappées des mêmes maux que ceux que l’on reproche à la notion de Méditerranée. A quelque échelle que l’on se situe, on court le risque d’être métaphysique, atomiste, ethnocentrique et essentialiste. De plus, dans la discussion sur les conditions requises d’une unité comparative on a lourdement mis l’accent sur la continuité et l’uniformité culturelle. La catégorie «Méditerranée» est rejetée parce que cette zone ne réunit pas ces caractéristiques qui seraient présentes dans des unités homogènes plus petites. Je prétends, au contraire, qu’une concentration sur le pourtour méditerranéen pourrait donner des comparaisons très fructueuses, justement à cause d’une interaction complexe entre ressemblances et différences. C’est dans cette perspective qu’on a choisi d’analyser les données de l’enquête en nous tenant à bonne distance des typologies préconçues et de certains ouvrages qui accentuent artificiellement le contraste entre Europe du Nord et Méditerranée au risque de générer un néo-orientalisme. la constitution d’un lien ou à sa normalisation. En moyenne, 80% des répondants associent la Méditerranée à une vertu positive comme la curiosité et le désir d’aller vers l’autre et de le connaître et la conviction d’une proximité qui tirerait sa légitimité de sa profondeur historique. Plus de 80,5% des répondants pensent que la Méditerranée est un héritage commun (Graphique 2.1). La Méditerranée est aussi objet et source d’inquiétude, et les répondants ont montré un certain réalisme quant au risque de basculement de cette image positive. En moyenne 68% des répondants pensent que la Méditerranée peut constituer une source de conflit pour la région. Les liens entre les enjeux environnementaux et l’idée d’une tension potentielle ne sont pas explicites, des recherches qualitatives devraient nous permettre de creuser cette hypothèse, à plus forte raison si l’on convoque dans ce débat les questions des changements climatiques et les questions relatives aux enjeux hydriques (graphique 2.2). Une perception significative de la Méditerranée Au-delà de ces résultats agrégés qui montrent que la Méditerranée fait sens et ne laisse pas indifférent, des nuances apparaissent et dessinent des affinités qui peuvent paraître paradoxales mais qui peuvent une fois conceptualisées devenir intelligibles ou du moins permettre de faire des hypothèses fiables. L’un des premiers apports de cette enquête est sans aucun doute le parti pris de construire un échantillon d’une population euroméditerranéenne. Cette démarche ouvre plusieurs possibilités de traitement des données. Elle permet de faire intervenir dans l’explication des résultats aussi bien des variables spatiales ou géopolitiques (Nord /Sud, Est/Ouest) que des variables socioéconomiques ou démographiques (PIB par ha, IHD, etc.). Les concepteurs de l’enquête redoutaient beaucoup cette question relative au concept braudélien de «la Méditerranée acteur». Il était important de savoir si la mare nostrum fait sens pour les populations interrogées. L’enquête révèle que la Méditerranée fait sens chez quatre répondants sur cinq. Les écarts ne sont pas très importants entre les personnes les plus indifférentes et celles qui sont les plus impliquées. Le jeu des associations a globalement bien fonctionné autant pour les projections optimistes que pessimistes. L’évocation positive de la Méditerranée montre que les images stéréotypées véhiculées par la publicité et les médias comme le mode de vie, le régime alimentaire, la réputation d’un espace accueillant et hospitalier fonctionnent autant que des caractéristiques inédites qui se projettent sur l’avenir comme des matériaux nécessaires à Pour rendre compte de cette complexité qui ne remet pas en cause une réalité qui fait presque consensus, nous avons choisi deux images/valeurs pour faire un exercice d’analyse de la complexité. Il s’agit de deux valeurs stéréotypées mais peu polysémiques : l’hospitalité et le conflit. Nous avons écarté la créativité qui ne constitue pas un trait de caractère reconnu et qui suggère des contenus contrastés même si elle est consacrée par les répondants. Les possibilités d’interprétation butent sur son caractère polysémique. La créativité peut signifier aussi bien inventivité, ingéniosité, innovation que débrouillardise, bricolage et aptitude à contourner les obstacles en recourant à l’informel. Elle peut suggérer aussi bien Leonard de Vinci que le commerce de la valise ou la contrebande. L’hospitalité est une valeur/image très utilisée par le marketing du tourisme. Dans le même temps, elle fait partie de l’ethos oriental Le Rapport Anna Lindh 2010 37 LES SIGNIFICATIONS DE LA MÉDITERRANÉE LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 TENDANCES GÉNÉRALES EN PERSPECTIVE Moyennement Pas du tout Ne sait pas ou refuse de rép. Allemagne 38 Fortement Moyennement GRAPHIQUE 1.4 Pas du tout Ne sait pas ou refuse de rép. Allemagne BosnieHerzégovine 9 BosnieHerzégovine Egypte 12 Egypte Espagne 9 Espagne France 12 France Grèce Grèce Hongrie Hongrie 3 Liban LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 SOURCE DE CONFLIT 14 16 7 18 Liban Maroc Maroc Royaume Uni Royaume Uni 12 Suède Suède 6 Syrie Syrie Turquie 14 Turquie 15 13 25 Question du sondage: Des personnes différentes ont des idées diverses sur ce que représente la région méditerranéenne et sur leur vision de l’avenir. Je vais vous lire une série d’idées/d’images qui peuvent venir à l’esprit de personnes différentes. Veuillez me dire si vous pensez qu’elles caractérisent fortement, moyennement ou pas du tout la région méditerranéenne Base: tous les participants, % de ‘fortement’ et ‘quelque peu’ par pays (© Sondage Anna Lindh/Gallup 2010) Question du sondage: Des personnes différentes ont des idées diverses sur ce que représente la région méditerranéenne et sur leur vision de l’avenir. Je vais vous lire une série d’idées/d’images qui peuvent venir à l’esprit de personnes différentes. Veuillez me dire si vous pensez qu’elles caractérisent fortement, moyennement ou pas du tout la région méditerranéenne Base: tous les participants, % de ‘fortement’ et ‘quelque peu’ par pays (© Sondage Anna Lindh/Gallup 2010) revendiqué par les populations du Sud mais aussi reconnu par les autres. Les résultats consacrent massivement cette association hospitalité-Méditerranée, puisque 63% des personnes interrogées sont fortement d’accord avec cette assertion, le pourcentage atteignant 85% si on ajoute les personnes qui jugent cette association plausible. Paradoxalement, sur les quatre pays les plus enclins à considérer que la Méditerranée évoque l’hospitalité (68%), trois appartiennent à l’Europe du Nord (Allemagne, Suède et Royaume-Uni) tandis que les quatre pays les plus sceptiques (42,5%) sont situés dans le pourtour méditerranéen (Turquie, Syrie, France et Egypte) (graphique 2.3). la Syrie –, on peut penser à une concurrence des ethos national et méditerranéen. Les répondants de ces pays fortement socialisés dans cette valeur ont tendance à considérer que l’hospitalité est une vertu nationale plus forte chez soi que chez les voisins. Le jeu des différences est brouillé par la proximité mais consolidé au contraire par la distance géographique et culturelle. Quant à la Méditerranée comme source de conflit, plusieurs facteurs peuvent être convoqués pour rendre compte du comportement de cette variable : le plus important à notre sens est l’expérience historique de chaque pays mais celle-ci peut agir différemment en fonction de la représentation que les répondants peuvent avoir de la nature des conflits, s’agit-il d’un conflit ou d’un risque de conflit local ou sous régionale ou d’un conflit associable à la Méditerranée. Ainsi le conflit israélo-palestinien qui aurait pu inciter des parties prenantes d’un conflit à l’associer à la Méditerranée considèrent ce conflit comme faisant partie de la donne moyenorientale. Ainsi, seulement 27% des Syriens et 21% des Egyptiens considèrent que la Méditerranée constitue une grande source de conflit. C’est le cas aussi des Turcs qui ne sont que 13% à l’envisager de la sorte alors qu’ils ont eu à gérer le conflit chypriote qu’ils considèrent comme un conflit local qui ne menacer la sécurité ni en Méditerranée ni en Europe, ce qui n’est pas le cas des répondants grecs (48%) qui ont tout intérêt à associer leur expérience du conflit à un cadre géopolitique plus grand. Par ailleurs on peut expliquer l’inquiétude relative des pays du Nord – respectivement 41% des Comment expliquer ce paradoxe ? Une première explication nous renvoie à l’expérience qu’on a de l’autre. La combinaison de la distance spatiale et culturelle favorable au dépaysement et du type d’expérience fondée sur les vacances explique pourquoi les Britanniques, les Suédois et les Allemands sont enclins plus que les autres à considérer que la Méditerranée s’associe bien à l’hospitalité. En effet, les trois pays du Nord sont des pays pourvoyeurs de touristes et on voit ici la grande influence de l’image commercialisée par les tours opérateurs. Pour le groupe des pays les plus sceptiques, on peut faire deux hypothèses. La première renvoie à la proximité. En France par exemple, la Méditerranée est symbolisée par le Midi et la Corse qui ne sont pas fortement synonymes d’hospitalité pour les Français du Nord. Pour les autres pays – l’Egypte, la Turquie et Le Rapport Anna Lindh 2010 répondants allemands et 33% des Suédois – par la combinaison de l’éloignement et de l’expérience historique. Les deux pays sont très impliqués dans la gestion de certains conflits, et l’effet de distance permet le rattachement de ces conflits à des ensembles géopolitiques larges (graphique 2.4). Les interactions en Méditerranée La partie la plus importante de cette enquête est celle qui s’attache à l’évaluation du volume et de la nature des interactions entre les différentes populations. Il va sans dire que cette interaction est forte. Ses principaux acteurs sont les migrants qu’ils soient touristes ou émigrés et les hommes d’affaire. C’est une interaction concrète, elle génère des contacts interpersonnels concrets mais aussi virtuels, Internet devenant un substitut pour aller vers l’autre, en particulier dans les pays qui connaissent des restrictions de circulation. Quatre répondants sur dix des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée avaient ou ont des amis ou des parents en Europe (42%). Les résultats sont contrastés entre les pays d’émigration vers l’Europe, notamment entre ceux qui sont en situation d’interaction intense, tels la Turquie (61%), le Maroc (58%) et le Liban (55%) où plus de la moitié des répondants ont dit qu’ils avaient des amis ou des parents vivant sur le vieux continent, et les pays du ProcheOrient où les itinéraires migratoires sont autres. Les répondants de Syrie (73%) qui sont des pays d’émigration ancienne vers l’Amérique latine et les USA et les répondant d’Egypte (88%), davantage orientée vers les pays du Golfe, ont déclaré qu’ils n’ont pas d’amis ou de famille en Europe En Europe, l’Allemagne, la France et l’Italie sont les trois premières destinations pour les amis des répondants et les proches des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Ces résultats corroborent les données sur l’émigration et les naturalisations dans ces pays. Le fait que les trois quarts des répondants turcs qui avaient des amis ou des parents en Europe aient dit qu’ils vivaient en Allemagne (75%), 22% en France et 18% aux Pays-Bas trouve une explication dans les chiffres de l’émigration. Entre 1998 et 2007, 444 800 ressortissants turcs se sont installés en Allemagne et 584 248 ont pris la nationalité allemande. La même observation peut être faite pour les Marocains en France. Entre 1998 et 2006, 190 600 se sont installés en France, en grande partie dans le cadre du regroupement familial (OCDE, 2009). Les Marocains sont aussi la première population naturalisée en Belgique, en Italie, au PaysBas et en France et la seconde en Espagne, soit un total de 641 990 personnes naturalisées entre 1998 et 2006. L’autre figure de la mobilité dans cette enquête est le touriste. Il s’agit essentiellement d’une population européenne. Un Européen sur trois a visité un pays de la rive Sud ou Est de la Méditerranée soit 36% des répondants. Curieusement, ce sont les Suédois qui se sont déplacés le plus sur les rives de la Méditerranée (51%), suivis des Allemands et des Français (43%) et des Britanniques (42%). Les Espagnols qui sont arrivés tardivement sur le marché du tourisme ne représentent que 26%. Leur destination privilégiée est la Turquie qui arrive en premier dans les réponses de cinq des huit pays d’Europe. La moitié des répondants allemands, suédois et grecs qui s’étaient rendus sur les rives de la méditerranée sont allés en Turquie. En revanche, un Espagnol sur deux, soit 48% des répondants, préfère le Maroc en raison de la proximité. Les Français vont plutôt en Tunisie (45%) et les Britanniques en Espagne (40%). Le tourisme et l’émigration créent probablement le contact mais pas nécessairement le lien. Nous avons voulu savoir s’il y existe une relation au-delà de la présence physique. Les contacts interpersonnels sont beaucoup moins importants que le rythme des déplacements sur l’une ou l’autre rive. Un Européen sur trois (64%) et un ressortissant sur quatre (76%) du Sud et de l’Est de la Méditerranée a déclaré avoir rencontré ou avoir parlé avec une personne de l’ l’autre groupe de pays. Les Suédois (52%) et les Français (51%) pour les pays d’Europe et les Libanais (41%) pour les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée arrivent en tête des personnes ayant eu des contacts. Les Hongrois (12% ), les Egyptiens (9%) et les Syriens ont eu moins d’occasions d’être en contact avec les ressortissants des autres pays Les raisons et les modalités de cette interaction diffèrent d’une sous-région à l’autre en plus des motivations de base qui sont le tourisme pour les Européens et l’émigration pour la rive Sud. Il faut noter que 38% des déplacements des Européens ont été faits pour des raisons de travail. Les répondants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée ont déclaré utiliser plutôt l’Internet pour nouer des contacts (24%), alors que seuls 4% des Européens le font. Valeurs et différences représentations, entre similarités et Il était indispensable dans une étude sur l’aire euroméditerranéenne de prendre le risque de s’intéresser aux questions des valeurs et des représentations. Les discussions en amont de l’enquête ont été très intenses dans la mesure où la problématique des valeurs ne pouvait pas se départir des présupposés portés par les uns et les autres. Il y est question de la définition du concept lui-même sur laquelle je vais revenir plus loin, mais aussi de la manière d’introduire ce type d’interrogations auprès d’un échantillon large. Le risque était aussi important de dessiner une frontière imaginaire que pourraient suggérer les hypothèses qui portent le libellé même des questions et le choix des réponses précodées. En effet, il était difficile de ne pas faire des hypothèses sur l’état des représentations par rapport à des thèmes comme le déclin des liens familiaux, la diffusion des processus de sécularisation, le rapport à la tradition et l’autorité, sachant que ce qui sous-tend implicitement nos hypothèses est une conception particulièrement linéaire du changement qui fait de la modernité diffusée à partir de l’Europe des Lumières un modèle incontournable. Les valeurs sont des préférences collectives qui réfèrent à des manières d’être, de penser ou d’agir collectivement reconnues comme idéales. Parler de valeurs c’est parler d’évaluation, d’une comparaison explicite ou implicite consistant le plus souvent à établir des préférences entre des pratiques et des croyances. On part du principe général que les valeurs ont des fonctions pratiques : elles inspirent, guident, légitiment, rationalisent, orientent et hiérarchisent les actions pratiques individuelles et collectives. Les valeurs se situent dans l’ordre idéal mais elles s’expriment dans des pratiques, des opinions, et des normes. C’est Le Rapport Anna Lindh 2010 39 Fortement GRAPHIQUE 1.3 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 HOSPITALITÉ Solidarité familiale Religion Curiosité Solidarité familiale Religion Curiosité Solidarité familiale Religion Curiosité Allemagne 44,4 2,6 8,5 32,4 10 5 33,1 34,4 2,5 BosnieHerzégovine 20,3 6,9 6 17,4 9,2 6,5 18,8 16 8,1 Egypte 3,1 50,6 16,4 4,5 12,8 39,8 6,9 38 17,4 Espagne 29,9 6,5 4,6 26,2 5,9 3,6 18,4 29,8 2,9 France 28 5,9 7,6 22,7 4,9 9,7 25,7 23,3 5 Grèce 35,1 6,9 2,4 27,2 8 3 19,9 34,2 2 Hongrie 61,8 6,9 3,5 51,2 10,2 5,2 34,6 45,7 1,5 Liban 21,3 39,6 11,5 4,2 4,8 24,7 15,3 45 5,4 Maroc 7,8 46,4 13,8 1,8 10,2 28 8,1 46,6 8,3 Suède 13 1,6 26,4 28,4 12,5 9,3 30,4 33,6 5,3 Syrie 9,9 23,3 16,6 10,6 14,3 24,8 8 38,2 8,5 Turquie 35 40 2,5 17,5 21,2 6,9 15,2 49,7 4,2 Royaume Uni 29,9 5,9 4,6 36,5 7,6 2,7 34,7 20,1 2,2 Base: tous les répondants, % total. Le graphique établit une comparaison parmi les 13 pays sondés en prenant en considération trois valeurs : solidarité familiale, la curiosité et les croyances religieuses. Il présent aussi les perceptions que les répondants ont à propos des valeurs prioritaires dans les autres pays sondés. Graphique conçu par M. Tozy à partir de l’enquête Anna Lindh/Gallup 2010. à partir de manifestations verbales ou non verbales qu’elles sont observables. Croire dans l’égalité entre les hommes et les femmes, dans la tolérance, dans la prévalence de la collectivité, la liberté de l’individu, etc., peut orienter les pratiques, les opinions, etc. On part du principe que les gens font des choix, adoptent des pratiques et en rejettent d’autres en fonction des valeurs auxquelles ils adhèrent. Une même valeur peut inspirer une multitude de pratiques religieuses ou sociales. Etre convaincu par exemple de la nécessité d’appliquer la religion dans sa pureté initiale conduit à plusieurs pratiques et attitudes positives et négatives. Les valeurs peuvent aussi conduire à des pratiques en contradiction avec les valeurs déclarées. Il faut bien préciser que les valeurs sont des préférences collectives qui réfèrent à des manières d’être ou d’agir que des personnes ou des groupes sociaux reconnaissent comme idéales (Firth, 1971). La curiosité, la solidarité, la liberté, l’autonomie de l’individu, la patrie, l’obéissance, la religion, etc., sont des exemples de valeurs. Dans la vie, les gens préfèrent maintes choses : le cinéma au théâtre, la mer à la montagne, le printemps à l’hiver ou inversement. Dans le domaine des valeurs, l’idée de préférence est normative : ce n’est pas ce qu’on préfère qui prime mais ce qu’on doit préférer. La notion de valeur implique ainsi une distinction entre le préféré et le préférable, entre le désiré et le désirable (Parsons, in Joas et Kluckhohn, 1959). Préférer le cinéma au théâtre serait un jugement de goût qui n’est pas forcément lié à une Le Rapport Anna Lindh 2010 obligation normative. On n’est pas obligé d’aimer le cinéma. On ne peut dire autant des valeurs. Dans les pays où la patrie constitue une valeur, on doit aimer sa patrie, on doit la faire passer avant ses biens, sa famille voire sa propre vie. La lecture de l’enquête devrait tenir compte de toutes ces précisions pour éviter toute assignation identitaire en se basant uniquement sur des résultats qui restent largement discutables mais qui n’en gardent pas moins leur vertu suggestive. Prendre les résultats à la lettre en dehors de toute contextualisation historique risque d’enfermer des sociétés et des individus dans un système de valeurs qui déterminerait définitivement leur mode d’action. Nous avons demandé aux populations enquêtées dans un premier temps de se déterminer par rapport à six valeurs : l’obéissance, la solidarité familiale, la curiosité et l’indépendance individuelle, le respect d’autrui et le respect de la religion. Les répondants devaient dire quelles sont les valeurs qu’ils considéraient comme importantes dans l’éducation de leurs enfants. Dans un deuxième temps nous avons demandé quelles sont les valeurs qu’ils pensent que les pays européens considèrent comme importantes et quelles sont les valeurs qu’ils pensent que les pays du sud et de l’Est méditerranéens privilégient. A chaque fois on leur a demandé de nous donner un premier et un second choix. Avant d’aller plus loin, nous proposons au lecteur un tableau synthétique qui rend compte de trois valeurs sûres. Cet exemple nous permet de dépasser une analyse sous forme de groupes homogènes, la Les résultats sont parfois cohérents c’est-à-dire que la représentation qu’on a de soi correspond à celle que les autres ont de nous, mais la valeur dont il est question n’a pas la même signification. C’est le cas de la religion, qui peut référer à une vertu qui n’est pas incompatible avec la modernité, la liberté individuelle ou la lutte contre l’injustice, qui peut aussi être considérée comme un archaïsme, un opium (tableau 2.5). Parfois les résultats sont moins évidents. Les répondants européens, par exemple, pensent que la solidarité familiale est aussi importante dans les pays du Sud que chez eux alors que les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée pensent tout le contraire A la nostalgie pour une fraternité perdue répond un désir de sortie de la communauté. En réalité, les réponses nous interpellent par rapport au parcours historique de chaque pays et du regard qu’il porte sur l’autre. Ce regard n’est pas uniforme il est nourri par l’’expérience de chaque société mais il n’est ni inamovible ni naturel. Il est toujours le fruit d’une histoire. Des affinités inattendues, à l’exception de la religion Globalement les résultats de l’enquête sont très surprenants si l’on excepte la question de la religion qui dessine un clivage attendu entre pays européens et pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée. L’importance accordée par la majorité des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée à la socialisation religieuse s’explique par des différences sur la place qu’occupe la religion dans le système normatif et son caractère stratégique dans la définition des légitimités politiques. A ce propos on peut distinguer trois groupes. Le premier est constitué de pays de l’Europe du Nord comme la Suède et l’Allemagne qui laissent très peu de place à la religion dans l’éducation de leurs enfants – respectivement 1,6% et 2,6% des répondants. Les pays où la religion était sociologiquement importante mais n’était pas une affaire d’Etat comme la BosnieHerzégovine et d’autres pays européens comme l’Espagne, la France, la Hongrie, et la Grande Bretagne, forment le deuxième groupe. Dans ces derniers pays, les églises catholique, anglicane ou orthodoxe occupaient une position importante mais leur influence avait tendance à baisser. Ces pays qui ont connu des processus de sécularisation très différents partagent cette constante, leurs élites ont assumé et porté le processus de séparation du religieux et du politique. L’incorporation de la religion dans le socle des valeurs à transmettre n’est pas prioritaire mais reste relativement significative, entre 6 et 7%. Le troisième groupe est constitué des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Les réponses oscillent entre 32% pour la Syrie et 50% pour l’Egypte. Ces résultats ne sont pas surprenants et ne se prêtent pas à une comparaison Nord-Sud. Une mise en contexte permettrait de les relativiser. Il ne faut pas oublier qu’on est en présence de systèmes politiques qui ont construit leur référentiel normatif sur une utilisation massive de la religion et que la socialisation religieuse est un objectif en soi. Même dans des pays qui avaient connu un moment de décléricalisation comme la Turquie kémaliste et la Syrie baathiste, la religion n’a jamais été vraiment marginalisée. Dans cette perspective, il est, surprenant de voir qu’un Marocain et un Egyptien sur deux, et deux Libanais, deux Turcs et deux Syriens sur trois considèrent que la religion n’est pas la valeur la plus importante à transmettre. Ce résultat relativise le mythe de la religion comme solution à tout et pour tout, donnée confirmée d’ailleurs par des enquêtes plus pointues sur la religion vécue au quotidien (Tozy, El Ayadi et Rachik, 2007). Pour les autres valeurs (curiosité, indépendance, obéissance et solidarité familiale et respect de l’autre) la distribution des réponses dessine des affinités imprévisibles. La distance entre une conception de soi, c’est-à-dire les valeurs que des répondants présentent comme étant les leurs, et celles qu’ils pensent être celles des autres est abyssale. Les répondants sont souvent piégés par les stéréotypes quand il s’agit de formuler un point de vue sur l’autre. L’autre, ici, ne correspond pas aux catégories qu’on a nousmêmes conçues pour cette enquête (Europe/pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée), sa présence comme indicateur de l’altérité commence au seuil de l’espace de l’Etat/de la nation. D’ailleurs la principale conclusion à tirer de ce travail est la force et la pérennité de ce principe identitaire, y compris au sein d’une entité comme l’Union Européenne. Pour expliciter ce constat nous traiterons de la question de la solidarité familiale. La solidarité familiale, un révélateur des fausses perceptions Il est très courant, dans le prolongement des travaux sur la modernisation, (Giddens, 1987 et 1994; Goody, 1985; de Singly, 1988; Taylor, 1992 et 1998) de penser que l’une des tendances lourdes de la modernisation est l’émergence de l’individu comme acteur et de l’individualisme comme valeur. Le corollaire de cette évolution est une crise de la famille traditionnelle et un relâchement des liens de solidarité intrafamiliaux. Ce mouvement observé dans la plupart des sociétés industrielles serait consolidé par le passage d’une famille élargie à une famille nucléaire et l’importance que prend le «welfare state» pour pallier les besoins d’une solidarité horizontale. La famille élargie et la solidarité familiale sont ainsi associées dans notre imaginaire à la société traditionnelle et aux formes de solidarité mécaniques considérées comme archaïques. Il était par conséquent normal de croire que les répondants des pays qui ont connu précocement la transition démographique et la révolution industrielle seraient les moins attachés à la valeur «solidarité familiale». Les résultats de l’enquête sont venus démentir un sens commun partagé aussi bien par les profanes que par la communauté savante. Paradoxalement, le groupe des pays où les répondants pensent que la solidarité familiale occupe une place marginale dans le corpus des valeurs à transmettre aux enfants est hétérogène. La majorité d’entre eux appartiennent à la zone du Sud et de l’Est de la Méditerranée (Maroc, Egypte et Syrie avec 7% de moyenne). La Suède fait partie de ce groupe composé majoritairement de sociétés en transition vers la modernisation. Le groupe des répondants qui accordent une grande importance à la solidarité familiale n’est pas plus homogène puisqu’y cohabitent des pays comme la Hongrie (61%), l’Allemagne (44,4%), la Turquie Le Rapport Anna Lindh 2010 41 Perceptions sur les valeurs dans les pays de la Méditerranée du sud et de l’est liste des valeurs proposées ne permettant pas d’établir un indice de tolérance, d’ouverture ou de modernité. Nous analyserons plus loin le paradoxe de l’attachement des pays musulmans du Sud à la religion et aussi à des valeurs comme la curiosité tout en marquant leur distance par rapport à la famille. Nous examinerons également le fait que les pays les plus développés sont moins enclins à favoriser la curiosité dans l’éducation de leur enfants mais tiennent beaucoup à la solidarité familiale. LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 Valeurs prioritaires pour les répondants Perceptions sur les valeurs dans les pays dans leur pays européens 40 GRAPHIQUE 2.5 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 VALEURS CONSIDÉRÉES IMPORTANTES PAR LES RÉPONDANTS DANS L’ÉDUCATION DES ENFANTS SARA SILVESTRI Le dialogue interculturel n’est pas seulement une question de perceptions et d’attitudes, il concerne aussi les comportements et la façon dont les personnes agissent au quotidien. Dans cette perspective, Sara Silvestri explore les interactions réelles ou souhaitées entre les habitants de la région euro-méditerranéenne à partir de l’analyse des motivations, de la curiosité, des modes de contact et des types d’information échangés. En se concentrant sur le dynamisme de ces relations, l’auteur souligne l’importance de la dimension humaine et éthique dans la création d’un réel sentiment d’appartenance à l’espace euro-méditerranéen. «L’interaction sociale existe dans un contexte culturel» disait Argyle (1972). La culture a été définie par les psychologues sociaux et les anthropologues comme un système de transmission d’informations déterminant les modes de vie, de perception, de catégorisation, et de pensée d’un certain groupe de personnes. Elle comprend la prescription de la communication verbale et non verbale, les règles et les conventions de comportement, les valeurs morales et les idéaux, la technologie et la culture matérielle, l’art, l’histoire... (Argyle, 1972). En conséquence, le souci de l’interaction sociale est au cœur de l’engagement dans le dialogue interculturel. Une réalité tangible et complexe La Méditerranée s’est toujours imposée comme une donnée géographique, mais rarement comme un ensemble culturel. Son sort se joue le plus souvent entre deux représentations diamétralement opposées : une frontière infranchissable qui délimite deux espaces civilisationnels incompatibles ou une mare nostrum idéalisée dont la conception est puisée dans une histoire pensée sans référence à l’autre. Le Rapport Anna Lindh 2010 Comportements, interactions et praxis du dialogue Le comportement peut nous en apprendre beaucoup plus que ce que nous pouvons exprimer et comprendre à partir de mots écrits et dits. Observer et comparer les modes réels et les niveaux d’interaction, et écouter comment les autres conceptualisent un espace commun peut être très bénéfique. Une telle analyse dévoile les similitudes et les différences qui peuvent déconstruire des perceptions erronées et de fausses connaissances, sur ceux que nous ne connaissons pas ou que nous croyons connaître – par le biais indirect d’informations reçues – mais qu’on n’a jamais vraiment rencontrés ou auxquels on n’a jamais parlé. Concernant l’opinion des répondants sur les valeurs qu’ils considèrent comme importantes dans les pays européens, les résultats sont le plus souvent conformes aux stéréotypes et à l’idée que se fait chaque pays de son particularisme national. Les écarts les plus importants entre valeurs nationales et valeurs des autres sont enregistrées chez les répondants suédois qui pensent qu’ils valorisent davantage la curiosité que le reste des pays d’Europe (26,6% contre 9,3%) alors que l’obéissance est moins implorante (9,6 en Suède et 20,3% en Europe). Les répondants suédois considèrent aussi que les valeurs religieuses prennent moins de place chez eux qu’en Europe (1,6% contre 11,4 %). Les préjugés inverses sont portés par les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée envers l’Europe. Les Marocains déclarent que la religion est moins importante en Europe que chez eux (9,6% contre 46%). L’un des enjeux de ce travail auquel contribue cette analyse est de penser la Méditerranée en devenir comme un référentiel qui habite notre imaginaire et un projet qui traduit un parti pris politique qui se fonde sur une réalité historique complexe mais prometteuse. Notre souci est de rendre audible un discours de la complexité en incitant à se méfier d’une connaissance de l’urgence. Construire la Méditerranée comme un objet d’étude et comme un champ de comparaison est un premier pas dans cette entreprise qui vise à décrire la Méditerranée, en empruntant les termes de Wittgenstein, comme un réseau de ressemblances de famille qui se chevauchent et s’entrecroisent : tantôt similitudes globales, tantôt similitudes de détail. TENDANCES GÉNÉRALES EN PERSPECTIVE Grâce à cette première enquête réellement interculturelle menée dans l’espace euro-méditerranéen par la Fondation Anna Lindh, et présentée au début du présent Rapport, il est enfin possible d’avoir une vision précise de la pratique réelle du dialogue interculturel, rompant ainsi avec les discours officiels répétitifs et souvent improductifs ou les multiples conférences sur la beauté et la richesse de nos cultures distinctes. En observant les comportements et les attitudes, on peut aller à l’essence-même de la dynamique entourant la rencontre entre personnes de cultures différentes. Cela nous permet également de lutter contre les stéréotypes et les préjugés sur nos voisins proches ou lointains, mais aussi – et surtout – sur nous-mêmes.. MOHAMED TOZY est professeur de Sciences Politiques à l’Université Hassan II de Casablanca et à l’Université d’Aix-en-Provence Comportement contre perceptions Les idées développées dans ce chapitre portent sur deux aspects étroitement liés de l’interaction interculturelle «réelle» : l’écart – ainsi que les liens – entre les perceptions et la réalité. Perceptions et réalité sont deux dimensions essentielles, bien qu’évidentes, de toute forme de communication entre les êtres humains, et leur observation est fondamentale pour apprendre à maîtriser les questions interculturelles au niveau politique. Notre perception des autres ne renseigne pas seulement sur ce que nous pensons des autres, mais détermine aussi la façon dont nous pensons, la façon dont nous nous engageons avec eux, ainsi que nos attentes et notre satisfaction d’une réelle, ou potentielle interaction. Notre perception des autres nous en apprend également beaucoup sur la façon dont nous nous positionnons dans le monde et sur nos aspirations. Sur ce point, le dramaturge sicilien Pirandello a écrit de façon très juste sur tous les «masques» que les êtres humains mettent, consciemment ou non, et que les autres voient, ou veulent voir. Mais toutes ces perceptions se rapportent à une réalité, qui peut être comprise de la même manière – ou pas – par les individus qui la vivent. La zone euro-méditerranéenne est l’une de ces réalités à multiples facettes. Les historiens, anthropologues et archéologues ont produit des quantités de recherche et de publications démontrant la fréquence et les échanges des mouvements de population et des transactions socio-économico-culturelles à travers la Méditerranée pendant des siècles, en faisant valoir que la culture croisée méditerranéenne a toujours existé, malgré des fractures et des continuités (voir par exemple Accame, 1966; Hourani, 1992; Arbel et Jacoby, 1996; Braudel, 1999; Bono, 2001; Albera et Tozy, 2005). La préoccupation urgente pour nous, citoyens du XXIe siècle, est d’essayer de comprendre une même histoire vue avec des yeux différents, avec des contributions multiples du même espace géographique en évolution et des expériences humaines. La question qui en découle est donc de savoir si nous sommes capables, et désireux, d’écrire une histoire euro-méditerranéenne «interculturelle» partagée, à travers nos attitudes, nos comportements et nos actions actuels et à venir. Cela dépend des progrès réalisés, de l’état des relations interculturelles, ou, plus exactement, de ce qui se passe sur le terrain, dans nos esprits, dans nos gestes quotidiens, et pas seulement au niveau diplomatique. Le Rapport Anna Lindh 2010 43 On peut faire plusieurs hypothèses pour expliquer ce paradoxe. Pourquoi les répondants des pays les moins développés pensent que la solidarité familiale n’est pas importante, alors que l’observation empirique de leur réalité atteste du contraire ? L’allongement de la scolarité, le chômage des jeunes, la crise du logement, l’absence de filets sociaux due à la faiblesse des politiques sociales montrent que le recours au soutien familial est indispensable aux équilibres sociaux. Cette réalité qui caractérise ces sociétés de débrouille est probablement mal vécue parce qu’elle n’est pas valorisée par le discours sur la modernisation. La famille est souvent perçue comme un fardeau voire un obstacle à l’émergence et à l’émancipation de l’individu acteur. Le cas de la Suède ne rentre pas dans ce schéma explicatif. Je pense que la Suède qui se considère et est reconnue comme un cas exemplaire de la gestion des solidarités au niveau du système global valorise son modèle. Ce n’est pas le cas des autres pays européens qui nourrissent un certain scepticisme envers leur Etats en reportant leur espoir sur la solidarité familiale, d’autant plus que l’hyperindividualisme nourrit une certaine nostalgie envers les valeurs communautaires. L’empirisme dont il est question dans ce travail conforte notre hypothèse que la Méditerranée est une réalité tangible et complexe. Elle confirme aussi que des populations diverses se sont côtoyées dans cet espace, observées, connues et fréquentées. Ces populations continuent à le faire au-delà de toute prévision, en dépit des obstacles et des préjugés. Cette cohabitation étroite a engendré un éventail de situations : du conflit à la confrontation pacifique, jusqu’à l’interpénétration et le syncrétisme. Ce travail est un premier pas, il nous interpelle à plus d’un titre, notamment à propos de nos méthodes d’interprétation et de conception des enquêtes. Il nous invite à l’humilité et à la prudence. Pour parvenir à une plus large perception de nos atouts et de nos limites, nous avons besoin de temps, de recherche patiente et sceptique, soutenue par une croyance dans la solidarité des interprétations, et nourrie par une forme d’humanisme centré sur l’agencement de l’individualité et de l’intuition subjective de l’humain, plutôt que sur des idées reçues. LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 42 (35%), l’Espagne et la Grande-Bretagne (29,9%), la France (28%), le Liban (21,3%) et la Bosnie (20,3%). Médit. Sud et Est Vie culturelle et mode de vie Situation économique Pour essayer de comprendre cela, il convient de se concentrer sur quelques composants essentiels de la relation entre la réalité et les perceptions. Certains composants du lien réalité-perception ont été indirectement saisis par le sondage Anna Lindh/Gallup. Dans ce chapitre, nous allons donc essayer de mettre en évidence les parties de l’enquête qui nous informent sur les différentes dimensions de l’interaction réelle ou désirée dans l’espace euro-méditerranéen. En analysant la motivation, la curiosité, les modes de contact, et le type d’informations échangées, nous pouvons établir les niveaux actuels d’interaction ainsi que l’opportunité et les avantages d’une collaboration accrue dans la région. La curiosité de l’Autre LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 44 Croyances et pratiques religieuses Question du sondage: En pensant aux pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée/aux pays européens, comment qualifieriez-vous votre intérêt pour les nouvelles et les informations les concernant sur les sujets suivants? Base: tous les participants, % de ceux «très intéressés» et «moyennement intéressés» (© Sondage Anna Lindh/Gallup 2010). LIEUX PRIVILÉGIÉS POUR COMMENCER UNE NOUVELLE VIE Européens GRAPHIQUE 3.2 Médit. Sud et Est Europe Amérique L’intérêt pour la situation économique des autres pays, qu’ils soient proches voisins ou non, est régulièrement et équitablement partagé entre tous les pays qui ont participé à l’enquête, avec une moyenne d’environ 60% (graphique 3.1). L’importance de l’intérêt pour la dimension économique n’est pas du tout surprenante en temps de crise économique mondiale et si l’on pense que, du point de vue des économistes, l’un des principaux moteurs de l’interaction humaine est la possibilité de «gagner» quelque chose. L’enquête révèle que la culture et le style de vie d’autres pays attirent un peu plus la curiosité des habitants des pays du Nord (76%), alors que le même groupe est moins intéressé par les croyances et les pratiques religieuses (57%). Néanmoins, ce dernier chiffre est, en comparaison, plus élevé que les 45% d’intérêt manifestés par les pays des rives Est et Sud de la Méditerranée pour les croyances et pratiques religieuses de l’autre groupe. Toutefois, il est difficile, voire impossible, de rationaliser ces différences, de tenter de déterminer des tendances concernant les attitudes à l’égard de la culture, du mode de vie et de la religion des autres pays. C’est parce que, comme les sociologues et les anthropologues le soulignent inexorablement, les notions d’identité, de culture et de religion sont très fluides, ont tendance à résister aux catégorisations, sont très dépendantes du contexte, et sont façonnées par une batterie de beaucoup d’autres facteurs. Afrique Asie Pays du Sud et de l›Est de la Méditerranée Pays du Golfe Autres Ne sait pas Refuse de répondre Question du sondage: Si vous pouviez recommencer une nouvelle vie avec votre famille, où imagineriez-vous vivre ? Base: Tous les participants, % Total (© Sondage Anna Lindh/Gallup 2010) Le Rapport Anna Lindh 2010 A partir des données de l’enquête, il est possible de formuler quelques observations générales et de noter certaines contradictions apparentes, que nous allons tenter d’expliquer au moins en partie. Prenons par exemple les différents niveaux de curiosité. Intuitivement, il est compréhensible que les gens qui sont particulièrement satisfaits et fiers de leur propre culture et/ou système de croyance puissent ne pas être très curieux des autres. Dans le même temps, on pourrait s’attendre à ce que les personnes vivant dans les pays où la religion joue un rôle social important et qui, en général, sont sensibles au fait religieux, souhaitent en apprendre davantage sur les religions des autres. On pourrait spéculer sur l’attrait des individus pour des pays où leur religion est la plus représentée... Rien de tout cela n’est démontré par l’enquête. En réalité, le facteur «intérêt pour d’autres» se décompose par pays et par groupe de pays en fonction des conditions économiques, de la culture, du style de vie et des croyances religieuses (voir les données par pays du sondage Anna Lindh/Gallup). Les relations vers les pays de l’autre groupe changent et s’inversent presque sur certains points. Cela devient évident quand, au lieu LES VALEURS CONSIDÉRÉES PAR LES PARTICIPANTS COMME ÉTANT LES PLUS IMPORTANTES À TRANSMETTRE À LEURS ENFANTS La plus importante GRAPHIQUE 3.3 La deuxième plus importante Européens Solaidarité familiale 32 15 Médit. Sud et Est 26 Européens Respect des autres cultures Médit. Sud et Est 5 13 10 Européens 13 18 Médit. Sud et Est Indépendance 18 10 14 Médit. Sud et Est 7 11 Européens 8 9 Curiosité 12 Médit. Sud et Est Européens Crovances religieuses Médit. Sud et Est 26 32 Européens Obéissance 24 5 7 45 Européens GRAPHIQUE 3.1 9 41 21 Question du sondage: Parmi ces six valeurs, pourriez-vous en citer deux qui vous semblent les plus importantes pour les parents qui élèvent des enfants dans les sociétés européennes ? - Je voudrais savoir laquelle de ces six valeurs vous diriez être la plus importante pour vous-même ? Et la deuxième plus importante ? Base: tous les participants, % Total (©Sondage Anna Lindh/Gallup 2010) de curiosité théorique, nous essayons de mesurer les niveaux de contact souhaités ou d’interaction réelle. Nous avons demandé aux interrogés de s’identifier, d’une certaine façon, avec l’autre groupe de pays, par exemple en formulant l’hypothèse d’un déménagement dans un de ces pays. L’enquête révèle que plus d’un tiers (37%) des répondants du Sud et de l’Est de la Méditerranée aimeraient vivre en Europe, dans l’hypothèse d’avoir à commencer une nouvelle vie. En comparaison, les Européens, qui ont montré un niveau plus élevé de curiosité envers l’autre groupe de pays, sont de facto moins intéressés par un éventuel déménagement dans un pays du Sud ou de l’Est de la Méditerranée. La majorité des répondants des pays du Nord se sont montrés plutôt enclins à rester en Europe (65%), bien qu’ils ne souhaitent pas nécessairement continuer à vivre dans leur pays de résidence actuel. En comparaison, parmi les répondants du Sud et de l’Est de la Méditerranée (exactement le même groupe qui dans l’ensemble, en réponse à une autre question, a exprimé un grand intérêt pour déménager en Europe), de nombreuses personnes ont également déclaré souhaiter rester là où elles vivent actuellement (graphique 3.2). Ecart entre la perception de l’Autre et la perception de soi Après avoir traité de la curiosité envers l’Autre, la section suivante portera sur les modes de contact avec l’Autre. Relier les deux dimensions de la curiosité et du contact, c’est poser la question de la perception. L’enquête Anna Lindh/Gallup a mis en évidence des résultats assez surprenants, qui révèlent un fossé entre la perception de soi et la perception des autres dans la section consacrée aux valeurs. Ne pas poser une question directe abstraite telle que «Croyez-vous en la valeur x ou y ?», mais proposer un scénario crédible dans lequel les valeurs deviennent applicables est une pratique courante en sciences sociales pour étudier les positions des individus sur des valeurs. Élever des enfants est un scénario typique grâce auquel on peut mesurer les valeurs parce que cette expérience représente un moment clé dans la vie d’une personne, lorsque des décisions clés sont prises qui, consciemment ou inconsciemment, se connectent avec les valeurs profondes de l’individu en question. Par conséquent, l’enquête Anna Lindh/Gallup a cherché à examiner les valeurs de la population vivant sur les deux rives euro-méditerranéennes en fournissant aux personnes interrogées une liste de valeurs particulières et en leur demandant s’ils les considèrent comme fondamentales dans l’éducation a) de leurs propres enfants, b) des enfants des personnes vivant dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, et c) des enfants des habitants des pays européens. Les trois séries de questions ont ensuite été comparées et contrastées afin d’établir quelles valeurs ont été considérées comme les plus importantes pour chaque groupe et quelles valeurs ils croyaient être les plus importantes pour l’autre groupe. Les réponses des pays européens sont en marron, ceux du Sud et de l’Est de la Méditerranée sont en orange (graphique 3.3). Les résultats sont surprenants, car ils soulignent l’inadéquation Le Rapport Anna Lindh 2010 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 INTÉRÊT POUR LES AUTRES PAYS Pays européens Pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée Relations de travail ou d’affaires 38 22 Tourisme 23 21 Relations de voisinage 18 14 Rencontres dans la rue/dans un lieu public 17 18 Internet 4 24 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 46 Question de l’enquête: Par quel biais avez-vous rencontré ou parlé avec cette personne ? Base: les répondants qui ont rencontré ou parlé avec des personnes d’autres pays, % par groupe de pays. (tableau conçu par Sara silvestri à partir du sondage Anna Lindh/Gallup 2010) entre la perception des autres et la perception de soi. Par exemple, les parents européens pensent que les deux valeurs les plus importantes pour eux sont la solidarité familiale et le respect des autres cultures. Lorsqu’ils ont été interrogés sur les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, ils ont déclaré qu’ils pensaient que le respect des autres cultures y jouait aussi un rôle fondamental. Il n’est pas dit si c’est parce qu’ils croient sincèrement que c’est central dans l’éducation des enfants dans cette région ou s’ils espèrent que ça le soit. Une dynamique similaire est observable de l’autre côté de la Méditerranée. Les répondants du Sud et de l’Est de la Méditerranée indiquent que les deux valeurs essentielles pour eux-mêmes sont les croyances religieuses et l’obéissance. Toutefois, lorsqu’on les interroge sur les valeurs principales des parents européens, ils donnent l’indépendance et la curiosité, qui ne sont pas les mêmes valeurs que celles mentionnées par les répondants européens. En résumé, nous pouvons identifier trois modèles : 1) un décalage entre la perception des autres et la perception de soi, en ce que les valeurs attribuées à l’autre groupe ne coïncident pas avec les valeurs réelles que les groupes disent être au centre du leur; 2) une tendance, dans chaque groupe, à attribuer à l’autre des qualités qui ont probablement disparu dans leur propre groupe; 3) dans les parties de l’enquête où les répondants étaient invités à commenter leur propre position par rapport à une valeur particulière, il reste difficile de savoir s’ils ont parlé de ce qu’ils ont fait avec leurs enfants ou de ce qu’ils pensaient devoir faire pour élever leurs enfants. Le contact personnel indispensable au changement des comportements Jusqu’à présent, nous avons analysé l’intérêt ou le manque d’intérêt général – théorique, pourrions-nous dire – que la population euro-méditerranéenne exprime envers d’autres pays que celui dans lequel elle vit. A ce stade, il est particulièrement intéressant de comparer les niveaux réels, ou plutôt les modes de mobilité et de communication. En pratique, cela comprend les voyages à Le Rapport Anna Lindh 2010 l’étranger, les amitiés, et d’autres exemples d’interactions concrètes telles que des rencontres occasionnelles dans la rue avec des personnes qui proviennent d’un pays de l’autre groupe. Chez l’homme, l’expérience personnelle directe est essentielle pour produire du sens. La recherche a prouvé que, avec le temps, la communication répétée et prolongée entre individus de différents groupes culturels placés dans des conditions particulières telles qu’une situation d’égalité et d’intérêts partagés, peut mener à des attitudes plus positives envers l’interlocuteur et envers le groupe auquel il appartient. Bien que cela soit encourageant, nous devons avoir conscience de l’envers du décor : ces rencontres superficielles uniques ou occasionnelles, déséquilibrées dans les relations de pouvoir, sans enjeu clair et génératrices de communication interpersonnelle ne sont pas productives en terme de dialogue interculturel. Nous savons, grâce aux recherches en psychologie, que les individus développent des opinions, des attitudes et des points de vue sur la société par le biais d’une combinaison de processus cognitifs perceptuels et conceptuels. Nous recevons des informations par nos sens, mais nous cherchons également un consensus social, à savoir la validation par la société de notre interprétation de ces informations. Une multiplicité de facteurs interdépendants façonnent nos opinions, nos attitudes et nos comportements. Les attitudes sont «un résidu de l’expérience acquise qui est conservé par la personne sous la forme d’une disposition ou d’une réponse implicite et qui, en tant que tel, affecte le comportement» (Jaspers, 1978). Pour comprendre le fonctionnement des attitudes, nous devons être conscients du «système de valeurs et de normes auquel elles sont intégrées» (Tajfel et Fraser, 1978). Dans la pratique, les psychologues sociaux expliquent que les attitudes ne peuvent pas être analysées de manière indépendante, mais doivent être observées à travers le prisme de l’environnement et du groupe social dans lequel elles sont produites. Cette approche nous permet de comprendre pourquoi notre étude a produit des données montrant que les attitudes diffèrent notamment selon les groupes sociaux – généralement définis par l’âge, le sexe, le niveau d’éducation, et le lieu de résidence. Ces groupes affichent des attitudes parfois si divergentes des autres groupes et de la moyenne de la population dans leur pays qu’ils nous empêchent de faire des généralisations sur les attitudes particulières par pays, malgré la possibilité de produire des moyennes numériques. Dans le sondage, 42%, en moyenne, des habitants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée ont déclaré avoir des amis et des parents dans le Nord, et 36% des Européens avoir visité la région du Sud (tableaux 1.10 et 1.13). Bien que les chiffres des deux groupes sur la mobilité géographique et la sensibilité à l’Autre soient assez semblables, il est important de remarquer que les motivations et les modes d’interaction sont différents. L’expérience de l’immigration (qu’elle soit personnelle ou indirecte, par exemple en étant né de parents immigrés) facilite le contact direct et la curiosité envers les membres de l’autre groupe, dans les deux groupes de pays. Dans le graphique 3.4, il apparaît que les relations d’affaires (38%) et le tourisme (23%) constituent les facteurs de contact principaux pour les pays européens. Les mêmes activités sont également d’importants vecteurs de communication pour le groupe des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, représentant respectivement 22% et 21%. Les habitants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée ont davantage d’occasions (42%) de contacts avec le Nord que l’inverse (36%). Néanmoins, si l’on s’attache au type de rencontres – et plus particulièrement aux interactions personnelles – les chiffres changent. Dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, 24% des répondants ont déclaré avoir parlé avec des Européens tandis que 35% de ces derniers ont discuté avec des membres de l’autre groupe. Nous avons également éclaté les données, afin d’établir des typologies d’interaction dans chacun des pays sondés. Il apparaît que l’outil privilégié pour la communication interculturelle dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée est l’Internet, utilisé par 24% de la population. Ce résultat est à la fois prévisible et étonnant. Prévisible, parce que, dans cette ère de mondialisation, la domination de l’Internet était attendue. Etonnant, parce que ce chiffre contraste fortement avec celui de l’Europe. Seulement 4% des répondants du Nord de la Méditerranée utilisent spécifiquement Internet pour engager un contact virtuel avec des habitants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Ce chiffre est particulièrement faible si l’on considère que le taux de pénétration d’Internet en Europe (53% de la population) est environ deux fois supérieur à celui du MoyenOrient et six fois supérieur à celui de l’Afrique (Miniwatts Marketing Group, 2010) et que les Européens passent de nombreuses heures sur l’Internet, pour le travail ou et pour les loisirs. Les modes de contact dominants Les résultats de l’enquête présentés ci-dessus indiquent une fréquence des contacts plutôt inégale dans l’ensemble des pays étudiés, ainsi que des niveaux élevés de divergence dans les comportements, même parmi les personnes vivant dans une même région. Néanmoins, les formes prédominantes de contact ont été faciles à détecter : affaires, tourisme, communication par Internet et aussi immigration, bien qu’aucun tableau spécifique n’ait mis ce point en évidence.Tous ces réseaux génèrent des contacts directs, qui produisent alors des informations de première main – et, finalement, des images et des attitudes – à propos de ce qui se passe et de ceux qui vivent dans l’espace commun euro-méditerranéen. L’enquête Anna Lindh/Gallup n’a pas recueilli d’informations supplémentaires susceptibles de nous permettre d’établir d’autres corrélations entre les modes d’interaction et les types d’image (positive/négative) développés à propos de nos voisins euro-méditerranéens. Des psychologues mettent en garde sur le fait que les attitudes ne préjugent pas nécessairement des comportements et qu’il existe souvent un écart entre ce que les gens disent et ce qu’ils font (Jaspers, 1978). Néanmoins, nous savons, grâce à la «théorie du contact», que le contact optimal intergroupes nécessite un «changement de comportement» qui «est souvent le précurseur d’un changement d’attitude» (Pettigrew, 1998). Un contact intergroupes idéal a lieu lorsque cinq conditions sont remplies (statut d’égalité au sein du groupe dans la situation donnée, objectifs communs, coopération intergroupes, soutien des autorités, amitié potentielle) et quand un processus à long terme impliquant des liens affectifs et une recatégorisation des groupes internes/externes est déclenché (Pettigrew, 1998). En outre, comme mentionné ci-dessus, l’enquête Anna Lindh/Gallup indique que les personnes qui ont d’une façon ou d’une autre l’expérience de l’immigration semblent bénéficier d’un point de vue privilégié dans le processus de dialogue interculturel. Cela semble confirmer les études démontrant que les immigrés et les minorités ethniques sont favorisés pour s’engager dans le dialogue interculturel. Une fois que les immigrés ont réussi à surmonter les problèmes initiaux de l’apprentissage d’une nouvelle langue, de l’adhésion aux normes et aux valeurs du nouveau pays, et de la tentation de les rejeter, ils parviennent à une position de «pluriculturalisme». Eux et leurs enfants acquièrent «la capacité de s’identifier et de participer à plusieurs cultures» (Conseil de l’Europe, 2009). L’Internet comme instrument privilégié de l’expérience interculturelle Les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée semblent se lier avec les personnes de l’autre groupe beaucoup plus intensément grâce à la communication en ligne (24%) que par des contacts réels tels que les rencontres occasionnelles avec les voisins (14%) ou dans la rue (18%). À première vue, cela paraît étonnant car on pourrait s’attendre à des niveaux plus élevés d’interaction via la rencontre physique réelle, et non pas les contacts virtuels. En réalité, l’enquête montre que les contacts occasionnels dans les lieux publics ne sont pas non plus particulièrement importants pour les Européens soit, respectivement, de 18% et 17%. Comme nous le verrons ci-dessous, la psychologie sociale et les études sur les médias peuvent aider à interpréter le mystère du succès de l’Internet comme outil de la communication interculturelle dans l’espace euro-méditerranéen. L’argument principal de la présente analyse du sondage Anna Lindh/Gallup est donc que l’Internet est un instrument privilégié de la rencontre interculturelle. A première vue, cette affirmation peut sembler contradictoire avec ce qui a été dit précédemment, à savoir que réel, direct, le contact personnel avec un interlocuteur est la voie à suivre pour parvenir au dialogue interculturel. La communication sur Internet, pourrait-on objecter, est médiatisée, filtrée et froide. Si nous suivons notre préoccupation initiale du lien réalité-perception, nous pouvons nous demander si l’Internet est un moyen efficace de découvrir la réalité, ou peut-être un outil qui contribue à renforcer les perceptions existantes en raison de la façon dont il fonctionne. Bien que l’Internet soit potentiellement une source infinie d’informations de toutes sortes, la production de ses contenus dépend de la motivation et de la discrétion des utilisateurs. Les internautes sont libres de choisir, en fonction de leurs goûts personnels, sur quels sites naviguer, et d’accéder à tel ou tel blog, liste de diffusion, page Facebook ou fil Twitter. On pourrait ne pas trop s’attarder sur l’importance de l’Internet : après tout, il y a moins d’utilisateurs d’Internet que de téléspectateurs dans le monde, et les blogueurs représentent une fraction encore plus faible (Lynch, 2007). On pourrait en outre faire valoir que la communication par Internet peut renforcer les perceptions existantes, parce que celui qui navigue aura tendance à établir des liens avec des personnes aux points de vue et aux origines similaires... Et, c’est vrai, l’Internet pourrait finir par être un simple instrument pour rester en contact avec des amis et des parents qui auraient déménagé loin, et pas nécessairement pour faire de nouvelles connaissances ou apprendre de nouvelles choses à propos des espaces lointains. Toutefois, il ne s’agit que d’un aspect de l’histoire. Selon Hiller et Franz (2004), la situation de la diaspora, de la migration, Le Rapport Anna Lindh 2010 47 GRAPHIQUE 3.4 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 MODES D’INTERACTION Les aspects positifs de la communication en ligne Nous sommes souvent mis en garde contre les pièges de la communication en ligne et les dangereux types d’associations qu’elle peut cacher. Toutefois, dans cet article, je tiens à souligner aussi ses côtés positifs. Par exemple, le courrier électronique et les blogs sont des moyens de communication «immédiats» qui favorisent une sorte de socialisation «abstraite» avec des individus et des idées dans laquelle les divisions nationales ou géographiques ou nationales n’ont pas cours ou, plutôt, prennent une position différente dans l’élaboration de la signification. Dans la communication en ligne, les identités personnelles et collectives sont simultanément idéalisées, renforcées et cachées; cependant Le Rapport Anna Lindh 2010 Une pratique du dialogue partagée Si le dialogue interculturel, c’est apprendre à raconter une histoire partagée, promouvoir une vue équilibrée de l’autre, une sensibilité aux besoins des autres, la critique de soi, et l’élimination des préjugés, il devrait alors en quelque sorte l’emporter sur la dé/ reconstruction des catégories qui sous-tendent nos attitudes et nos comportements. Cela signifie que le dialogue interculturel n’a de sens que dans la praxis, l’action, que dans son engagement avec les autres formé par et conduisant à une forma mentis qui s’éloigne des stéréotypes (des accentuations des attributs que nos processus cognitifs associent à des «groupes externes», les groupes de personnes avec lesquels le sujet ne s’identifie pas) et des préjugés (catégorisations sociales guidées massivement par la référence à soi). Le dialogue interculturel a souvent été critiqué comme un slogan vague et vide adopté par les décideurs afin de remplacer les termes discrédités comme le multiculturalisme ou de distraire le public des politiques de sécurité intransigeantes. Toutefois, si le terme est conçu comme un mode de pensée qui produit certaines actions, et vice versa, il n’est plus statique et inutile, mais a le potentiel de devenir une force dynamique. Beaucoup de mots ont été utilisés pour essayer de donner une définition du dialogue interculturel, tentatives qui se terminent souvent par des déclarations politiquement correctes suaves et superficielles. Ce que l’enquête Anna Lindh/Gallup et les auteurs de ce rapport ont essayé de faire, c’est de déplacer l’attention non plus sur des mots mais sur des actions, un comportement. En empruntant à la psychologie sociale, nous nous sommes intéressés à des schémas d’interaction qui indiquent que les gens sont capables d’aller au-delà de leurs limites cognitives, d’interpréter le comportement de l’autre pour ce qu’il est, d’une manière non conflictuelle ou sans crainte. Une rencontre n’est pas «interculturelle» simplement parce qu’elle porte l’étiquette «interculturel». Avec ce projet de la Fondation Anna Lindh, nous voulons voir s’il existe dans l’espace euro-méditerranéen des attitudes et des comportements qui sont ou ont le potentiel d’être un processus intrinsèquement interculturel conduisant à l’acquisition d’un nouvel état d’esprit, sans dévaloriser les identités et les origines culturelles, philosophiques ou religieuses. En ce sens, nous évitons les attributs prescripteurs du dialogue interculturel et abordons la question essentiellement comme quelque chose en formation. Cette approche exige une perspective à très long terme. Elle montre que le dialogue interculturel est bien plus qu’un simple mécanisme politique pour échanger des produits culturels et des programmes d’éducation, ou pour développer des relations publiques, nationales et internationales, en exprimant la neutralité et le respect de la diversité culturelle et religieuse. Le dialogue interculturel nécessite un effort plus large dans tous les domaines et à tous les niveaux de la société parce qu’il n’est pas quelque chose de tangible, limitable à une discipline universitaire ou à un domaine politique, ni juste une théorie abstraite. Il est à la fois un état d’esprit et un processus, qui commence d’abord et avant tout par la découverte de soi. En conséquence, sa réalisation directe doit être des actes concrets, des comportements. Il requiert un changement de philosophie réorientée vers la sensibilité, vers la capacité et la volonté d’écouter l’interlocuteur et d’être autocritique, vers un sentiment commun de justice, de responsabilité (Maritain, 1948; Dallmayr, 2002; Smock, 2002; Abu Nimer et coll., 2007; le Conseil de l’Europe, 2008; Mernissi, 2008). L’enquête montre qu’il est possible que ces changements se produisent et que, dans plusieurs cas, cette transformation est déjà en cours. Salvatore a déclaré qu’«une pratique partagée du dialogue doit veiller à ce que ces valeurs ne deviennent pas un carcan politique et des chevaux de Troie» (Salvatore, 2009). En effet, un sentiment trop développé d’identité et d’appartenance et les barrières de défense que nous construisons autour de nous peuvent être si forts qu’ils deviennent un handicap pour comprendre. Dans le même temps, le dialogue ne doit pas rejeter la «différence» ou des éléments tels que la religion, parce qu’ils se révèlent trop difficiles à gérer, qu’ils sont trop controversés (Sacks, 2000; Jamouchi, 2004). Faire preuve de respect envers ceux qui ont des conceptions différentes de la nôtre est une première étape importante. Peut-être que pour nous engager dans un dialogue efficace, nous devrions nous inspirer de la notion de Braudel de «perméabilité» des espaces et de la culture, à travers des voyages et des échanges de biens commerciaux et culturels, en dépit de leurs frontières politiques et géographiques fixes (Braudel, 1993). Entrer dans le dialogue ne menace pas les identités (au contraire, il en a besoin !), ne signifie pas corriger vos vérités, vous départir de vos croyances, ou surpasser votre adversaire et imposer votre vérité. En fin de compte, le dialogue, c’est la volonté d’écouter, le dialogue n’implique pas une «modification de la vérité», mais un changement de l’esprit et des processus cognitifs égocentriques. En ce sens, le dialogue interculturel est guidé par un pragmatisme éthique, a lieu et ne peut réussir que s’il favorise une dimension «plus humaine» ou éthique de la politique orientée vers le «bien commun», au-delà des préoccupations à court terme de pouvoir, d’intérêts économiques et de sécurité. Comme le sens de «propriété» de l’espace euro-méditerranéen se développe, nous espérons que les gens vont progressivement partager leurs préoccupations et les responsabilités de leur bien commun et automatiquement s’engager dans des formes vécues de dialogue afin de trouver des solutions communes. Avec le dialogue interculturel, nous pouvons découvrir un sens partagé de l’humanité, un sentiment commun de justice. 49 Un certain nombre de facteurs importants nous permettent d’évaluer le poids croissant d’Internet comme nouvelle forme de dialogue interculturel, comme quelque chose qui ouvre à un nouveau monde d’expériences et de pensées et qui encourage les individus à engager des conversations qui peuvent mettre un terme aux fausses perceptions. Par exemple, «les utilisateurs d’Internet ont un accès véritablement mondial par rapport aux programmes plus locaux ou régionaux reçus à travers la télévision»(Isherwood, 2008; Chadwick, 2006). La dimension «multicentrique» de l’interactivité d’Internet est également très importante (Haugbolle, 2007). Cette technologie donne accès à une variété de nouvelles et de contenus savants en ligne, qui exposent les utilisateurs à ce qui se passe dans le monde entier et à des interprétations critiques. En outre, bien que les producteurs de contenus tendent à être une élite, la multiplication des blogs mérite l’attention. Il s’agit d’une nouvelle forme de communication semi-anonyme et déterritorialisée à travers laquelle des questions sont soulevées, la puissance des nouvelles et des structures de production sont contestées, et des débats contradictoires peuvent surgir, tout en protégeant les identités (Khan et Kellner, 2004; Wall, 2005; Reese et Dai, 2007). On peut aussi émettre l’hypothèse que la distance physique de communication en ligne permet une atténuation, une rupture, ou la reconstitution des notions d’«intragroupe» et de «hors groupe» à savoir ces processus cognitifs de catégorisation qui génèrent des perceptions stéréotypées (Hogg et Abrams, 1988). la recherche a montré que l’Internet permet de développer des relations personnelles «normales» (Bargh et McKenna, 2004). En outre, l’Internet semble être propice à des contacts personnels et à l’amitié (plus que les autres formes d’interaction occasionnelles avec les autres mentionnées ci-dessus), parce que celui qui s’engage dans une correspondance par courriel ou en bloggant le fait explicitement parce que il/elle est à la recherche de possibilités de communication. Un autre facteur important expliquant le succès de l’Internet comme un instrument de dialogue interculturel, c’est qu’il permet le contact prolongé entre des interlocuteurs qui peuvent s’exprimer et être leur «vrai moi», tout en se sentant protégé par l’anonymat du système (Bargh et McKenna, 2004). Une interaction fréquente soutenue et l’amitié sont des éléments clés pour la transformation des attitudes préconisée par les théoriciens du contact. Même si l’Internet est utilisé comme un simple moyen pour maintenir le contact avec la famille et les amis qui ont émigré, il peut, en fait, indirectement, générer un accès à l’information (et donc à l’élaboration d’opinions et d’attitudes) sur les autres pays. Les interlocuteurs écoutent volontiers les avis de leurs amis personnels et de leurs proches sur la vie ailleurs, sur les expériences positives et négatives qu’ils ont eues, les caractéristiques et coutumes du pays dans lequel ils se sont installés. Enfin, et surtout, l’Internet est clairement la langue des jeunes du XIXe siècle, partout dans le monde. Étant donné que les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée ont une population beaucoup plus jeune que l’Europe, nous pouvons expliquer – et cela devient moins surprenant – les pourcentages différents qui sont apparus dans l’enquête sur les deux régions. Selon les statistiques des Nations Unies, le pourcentage de la population de moins de 15 ans dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée est proche d’une moyenne de 30, alors que la taille de la population correspondante est environ de la moitié en Europe (Nations Unies, 2009). De chaque côté des rives de la Méditerranée, les jeunes sont les plus impliqués dans l’Internet et, inconsciemment, ils explorent grâce à lui de nouvelles possibilités de dialogue interculturel. Mais, dans la rive Sud, l’espace virtuel représente un formidable réseau pour recueillir des informations, pour communiquer à travers les frontières, et pour exprimer sa conscience civique (Mouawad, 2007; Isherwood, 2008). LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 48 conduit à utiliser l’Internet afin de (re)créer trois types d’attaches personnelles : nouvelle, ancienne et perdue. Les mêmes auteurs ont également souligné qu’il y a deux grandes écoles de pensée expliquant l’engagement dans la communication médiatisée par l’ordinateur. Selon la première, les gens interagissent en ligne après avoir vécu une proximité géographique et de fréquentes rencontres en face à face. L’autre école soutient que l’espace n’a pas d’importance et que la principale raison pour laquelle les gens interagissent en ligne est qu’ils ont des intérêts partagés. Les échanges intenses sur Internet de la part des habitants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée vers ceux du Nord qui ont été identifiés par l’enquête Anna Lindh/Gallup pourraient donc être compris à la fois comme une tentative de maintenir vivant le sens de la communauté ancienne ou perdue, de recréer une proximité physique avec des parents et des amis partis à l’étranger, ou encore comme une vraie motivation à rechercher les choses et les discussions dans leur propre zone d’intérêt quels que soient la distance géographique et les contacts personnels préexistants. SARA SILVESTRI est chargée de cours en Politique Internationale à la City University de Londres, et responsable de programmes de recherche à l’Université de Cambridge. Le Rapport Anna Lindh 2010 KATÉRINA STENOU LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 50 Dans un monde marqué par la multiplication des contacts et des réseaux sociaux, la communication interculturelle est plus nécessaire que jamais pour comprendre notre propre culture aussi bien que celle des «autres». Selon Katérina Stenou, la Méditerranée est un laboratoire pour la compréhension de cette nouvelle réalité, une région caractérisée par la circulation entre les cultures et dans laquelle tout le monde peut trouver des soources de ses origines, réelles ou symboliques. Pourtant, cette représentation ne peut rester immuable, ni se renouveler complètement. Elle doir être adaptée et s’enrichir sans se renier. La compression de l’espace et du temps rend le monde actuel de plus en plus interconnecté et interdépendant dans tous les domaines de l’activité humaine, à l’échelle planétaire. La nouvelle géopolitique culturelle qui en découle crée une cartographie inédite qui brouille les «aires culturelles» classiques et les anciennes frontières – culturelles, linguistiques, religieuses et autres – en composant un paysage inconnu, aux lignes mouvantes et aux formes contrastées. De surcroît, le flux culturel, c’est-à-dire le cortège des œuvres dématérialisées, mis en circulation à l’aide des nouveaux réseaux sociaux tels que YouTube, FaceBook, MySpace, etc., sans parler de Google, qui n’est pas proportionnel aux ressources ni aux besoins de l’humanité, appelle à des formes différentes de positionnement des individus et des groupes. Cet appel mobilise les capacités cognitives et émotionnelles de chacun et permet de «flotter» entre son propre univers culturel et celui d’autrui. Il appelle, par excellence, à la communication interculturelle, une communication qui nous arrache à notre propre culture pour nous confronter à une autre en nous plongeant dans de nouveaux milieux de la connaissance et de la sensibilité. Ce faisant, elle crée de nouveaux besoins de territoire d’identification fictive. Dans ce nouveau contexte globalisé, coexister, c’est-à-dire raisonner et sentir à l’unisson, ne signifie pas vivre sur un module universel étriqué mais participer pleinement à l’infinie richesse des cultures du monde qui deviennent de véritables «soft powers» s’attelant à «persuader les autres de désirer ce que veut le prescripteur à travers des icônes symboliques et les images et valeurs positives qui leur sont associées». Cette prise de conscience ne doit induire ni l’autarcie culturelle, ni le négationnisme culturel, ni le darwinisme culturel mais la compréhension du mécanisme du passage de la différence à la diversité qui suggère une profonde évolution des perspectives. L’idée de diversité, à l’opposé de celle de différence, repose moins sur l’analyse des cultures en termes de structures, d’invariants et de variables, que sur une analyse en termes de processus, de dynamique, de métissage, bref de dialogues. La différence, d’après Derrida, peut être conçue comme une «différance». (Différance est un terme français inventé par Jacques Derrida, homonyme du mot «différence». La «différance» joue sur Le Rapport Anna Lindh 2010 le fait qu’en français, le mot «différer» a la double signification de «retarder» et de «se distinguer». Derrida a utilisé ce terme pour la première fois en 1963 dans un article intitulé Cogito et histoire de la folie. Dans sa contribution à un colloque intitulée «Différance», Derrida indique que différance rassemble un certain nombre de caractéristiques hétérogènes qui régissent la production du sens. La première (en lien avec la notion de report) est que les mots et les symboles ne peuvent jamais complètement être compris à partir de leur signification, mais qu’ils peuvent seulement être définis en référence à d’autre mots, dont ils diffèrent. Par conséquent, la signification est continuellement «retardée» ou reportée via une chaîne infinie de signifiants. La seconde caractéristique (relative à la différence, souvent citée en référence à l’espacement) concerne la force qui différencie les éléments les uns des autres et, ce faisant, engendre des oppositions binaires et des hiérarchies qui étayent le sens. ). Elle offre des stratégies de retard, de sursis, d’élision, de détour, d’ajournement et de réserve; elle empêche donc tout système de se stabiliser en tant que totalité close; elle vient combler les failles et les apories qui constituent les lieux potentiels de résistance, d’intervention et de traduction. Cet art de la compréhension et de la gestion de la différence à plusieurs niveaux, local, national et international, est difficile à pratiquer car les mutations et les métissages culturels devancent plus que jamais la capacité de réponse des institutions politiques, prises de court par leur rapidité. L’exercice n’est pas sans danger : en défendant les particularismes culturels, la différence peut se rendre irréductible à une vie collective commune. On aboutirait alors à un monde fragmenté, où chaque entité culturelle, dans un rapport de force permanent avec les autres, revendiquerait davantage d’espace, de reconnaissance ou de profit en utilisant sa spécificité comme prétexte. On devine quelles seraient les conséquences de cette surenchère : oublier, en insistant de manière unilatérale sur la diversité, qu’une condition nécessaire à la survie de l’humanité réside dans la reconnaissance de ce qui nous rend semblables les uns aux autres, et que «chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition», selon le constat de Montaigne. patrimoine naturel et culturel, matériel et immatériel. Qu’entend-on par mémoire, histoire et éducation ? La mémoire est la vie, toujours portée par des groupes vivants et, à ce titre, elle est en évolution permanente, ouverte à la dialectique du souvenir et de l’amnésie, inconsciente de ses déformations successives, vulnérable à toutes les utilisations et manipulations, susceptible de longues latences et de soudaines revitalisations. L’histoire est la reconstruction toujours problématique et incomplète de ce qui n’est plus. La mémoire est un phénomène toujours actuel, un lien vécu au présent éternel. «Parce qu’elle est affective et magique, la mémoire ne s’accommode que des détails qui la confortent; elle se nourrit de souvenirs flous, télescopants, globaux ou flottants, particuliers ou symboliques, sensibles à tous les transferts, écrans, censures ou projections. L’histoire, parce que opération intellectuelle et laïcisante, appelle analyse et discours critiques… L’histoire ne s’attache qu’aux continuités temporelles, aux évolutions et aux rapports des choses. La mémoire est un absolu et l’histoire ne connaît que le relatif…» (Pierre Nora). Ces phénomènes circulatoires reflètent les dynamiques qui, en temps de prospérité et en temps de crise, ont commandé ces interactions, aidant ainsi, au terme d’une analyse diachronique, à mieux évaluer les chances et les modalités d’un véritable dialogue interculturel dans les sociétés plurielles d’aujourd’hui – tout en évitant de reprendre les débats du passé et de s’y perdre. En d’autres termes, les «Routes» n’offrent pas seulement un historique et une géographie du dialogue interculturel à travers les siècles; elles contribuent également à une réflexion prospective : les rencontres et les interactions qui, aujourd’hui, ont été quelque peu oubliées, illustrent finalement l’antériorité des processus interculturels sur le discours qui lui est actuellement consacré. Nous voici au cœur du sujet : la Méditerranée comme métaphore de cette idée, la Méditerranée comme laboratoire, la Méditerranée comme vivier des identités culturelles, plurielles et dynamiques, la Méditerranée comme palimpseste, la Méditerranée comme environnement historique ouvert, accueillant et évolutif, où chacun y retrouve les sources de ses origines, réelles ou symboliques. La définition de l’éducation, d’après Dewey, correspond mieux au caractère interculturel de celle-ci, en redéfinition constante, à condition qu’elle soit centrée sur l’apprenant : «l’éducation est la reconstruction ou la réorganisation de l’expérience qui développe la capacité à changer le cours de l’expérience suivante». Ainsi, le concept du développement en termes éducatifs signifie «que l’éducation est un processus sans fin, et qu’elle est perpétuellement en réorganisation, en reconstruction, en transformation». «Educare» : nourrir et élever, et «Educere» : tirer hors de, conduire vers. Deux conceptions, qui devaient être complémentaires, sont en réalité contradictoires. (Qui sait et d’où sait-on ? Que et comment sait-on ? Sur quoi sait-on et avec quel effet ?) Nous retenons de ce qui précède la dimension symbolique puisqu’elle caractérise, par un événement ou une expérience vécue par un petit nombre, une majorité qui n’y a pas participé, conduisant à un raisonnement identificatoire, circulaire du collectif et de l’individuel. Notre approche retiendra ces phénomènes de circulation qui reflètent les cheminements et les errances, la complexité des va-et-vient et la complicité du regard. Fondée sur le constat des effets bénéfiques de la rencontre entre les peuples et entre les cultures, l’idée de circulation met en évidence les échanges, au niveau des savoirs et des savoir-faire, des idées, des croyances, des représentations, en intégrant les données fondamentales du Mais de quel espace méditerranéen s’agit-il ? La Méditerranée n’est plus une mer intérieure limitée par une frange littorale; elle immerge profondément trois continents, sinon toute la planète. Je me borne à quelques rappels de faits déjà inscrits dans toutes les mémoires : les récentes fouilles de Bourges, en France, qui révèlent des céramiques grecques du Ve siècle, mêlées à des poteries locales de la Tène, celles d’Aï-Khanoun, en Afghanistan, où l’on a découvert, dans les steppes de l’Asie centrale, loin de toute mer, des fontaines en forme de dauphin. Je rappellerai de même que les marbres de Carrare étaient exportés jusqu’à Marrakech au XVIe siècle et que les cuirs et les étoffes du Maghreb et du Machrek pénétraient le monde baltique en compagnie de ces verreries syriennes que l’on a récemment retrouvées à Lübeck. Dans un monde élargi où les mouvements de population ont depuis longtemps acquis une amplitude planétaire, l’espace méditerranéen s’est considérablement dilaté et diversifié. Echappant aux confinements de la géographie, il touche aujourd’hui la Colombie avec Carthagène, ce dernier avatar de Carthage. Cette migration constante du savoir, des mythes ou des formes artistiques, qu’elle soit conséquence de conquête ou du négoce, n’est pourtant ellemême que l’aspect le plus ostensible d’une intense et presque Autriche - Forum de l’École interculturelle En mettant l’accent sur les échanges éducatifs, le «Forum de l’Ecole euro-méditerranéenne pour le dialogue interculturel» s’est attelé à développer les aptitudes et les compétences des étudiants et des enseignants pour la communication interculturelle. Grâce à ce projet, un réseau de dix-sept écoles secondaires a été mis en place, réunissant des établissements d’enseignement basés en Autriche, au Danemark, en Hongrie, en Israël, en Jordanie, au Liban, aux Pays-Bas et en Turquie. Outre l’accent mis sur le développement des compétences, le Réseau s’est consacré aux échanges d’approches pédagogiques et aux bonnes pratiques en matière d’éducation culturelle et politique. Cette initiative de «Interkulturelles Zentrum» bénéficie d’un large éventail de partenaires, y compris la Fondation Anna Lindh, le ministère fédéral autrichien de l’Education, des Sciences et des Arts et la Commission nationale de l’UNESCO. Le Forum a également conduit à initier des discussions avec des étudiants venant d’horizons différents sur des sujets comme l’identité et la diversité culturelle, et le Réseau national de la Fondation Anna Lindh en Autriche a été un outil efficace pour élargir et promouvoir le débat au niveau national. www.iz.or.at Le Rapport Anna Lindh 2010 51 Pour une citoyenneté interculturelle méditerranéenne Quelques précisions terminologiques LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 INTÉRÊT ENVERS L’AUTRE ET INTERACTION De ce mythe, commenté par le chercheur japonais Toshiaki Kozakai, je voudrais faire, comme Tzvetan Todorov, une représentation symbolique de l’identité culturelle. Celle-ci ne peut être ni figée de façon pérenne, comme le voudraient des politiques fondamentalistes, ni intégralement renouvelée à chaque génération. Elle doit s’adapter sans se perdre, s’enrichir sans se renier. Les identités méditerranéennes interactives et évolutives à la fois dans leur grande diversité et dans leur extrême similitude réalisent peut-être l’idéal mythique de la nef Argo, celui d’une perpétuelle jeunesse qui ne renie aucune mémoire. Mais ce constat optimiste débouche immédiatement sur une autre question : comment pouvons-nous tous, venus d’ici ou d’ailleurs, faire nôtre le nouvel univers culturel, en déchiffrer les messages et y adhérer? Apprendre, d’après Gilles Deleuze, c’est d’abord considérer une matière, un objet, un être comme s’l émettait des signes à déchiffrer, à interpréter. Cette philosophie a fait irruption dans les programmes de l’UNESCO : tout en restant fidèle à l’éducation pour tous, à l’acquisition et à la diffusion des savoirs, à la mise à disposition des ressources culturelles variées et à l’accès aux nouveaux moyens de communication et d’information, l’Organisation prend conscience de l’urgente nécessité de développer des «compétences interculturelles». L’objectif de partage reste inchangé mais le but ultime est de rendre chaque individu, ainsi émancipé, capable de participer pleinement au nouvel environnement symbolique Le Rapport Anna Lindh 2010 Il résulte également de leur faculté d’analyse critique afin de «décoloniser» l’esprit, les valeurs et les systèmes de connaissances qui perpétuent les motifs de supériorité. La compétence interculturelle s’attache donc à nous sortir de notre propre logique et de nos systèmes culturels afin de nous engager vers les autres et d’entendre leurs conceptions. Celles-ci peuvent porter sur l’appartenance à un ou plusieurs groupes sociaux, en particulier si ceux-ci ne sont pas valorisés ou reconnus dans un contexte culturel donné. L’aptitude à exprimer nos aspirations pour un meilleur avenir de l’humanité et de la planète est une compétence d’autant plus importante qu’elle vise à promouvoir la pérennité de la vie sous toutes ses formes. Les compétences interculturelles sont donc liées à deux dimensions majeures : la mémoire et la créativité. L’acquisition d’une compétence interculturelle constitue un défi exaltant dans la mesure où nous ne sommes pas appelés, naturellement, à comprendre les valeurs des autres au même titre que les nôtres, celles que nous rencontrons dans le contexte de la famille, le cercle des amis, l’école, la religion ou encore la société. Ce défi constitue une chance unique dans l’histoire de la Méditerranée comme dans celle de l’humanité. Il nous invite à éviter tout phénomène de confinement ou de ghettoïsation en offrant aux nouvelles populations l’opportunité de lectures multiples, de découvertes inattendues qui sont parfois la redécouverte de leur propre identité sous les formes décryptées de l’Autre le rendant ainsi tantôt notre allié tantôt notre contradicteur culturel. Un dernier mot : Héraclite a dit que l’oracle «ne dit, ni ne cache, mais (il) signifie (donne des signes)». Nous pouvons transposer cette expression à la culture puisqu’elle «ne dit, ni ne cache, mais (elle) signifie (donne des signes)» ! Notre tâche est de cultiver les compétences interculturelles nécessaires afin d’acquérir une ou plusieurs citoyennetés culturelles, notamment «la citoyenneté interculturelle méditerranéenne». KATÉRINA STENOU est Directrice de la Division des politiques culturelles et du dialogue interculturel à l’UNESCO Identité et perceptions mutuelles AMIN MAALOUF De mon point de vue, il est important que chaque personne puisse assumer les diverses composantes de son identité. Je n’ai pas le sentiment que l’évolution au cours des dernières années soit allée dans cette direction. Dans un monde où l’on côtoie sans cesse des cultures différentes, gérer la diversité culturelle, gérer le côtoiement des identités est une question majeure, qui nécessite une attention sans relâche, une réflexion approfondie, et des solutions ingénieuses. Il me paraît prématuré de parler d’identité méditerranéenne. Les gens se définissent en fonction de leur nationalité, de leur religion, de leur langue, de leur appartenance sociale. La notion d’identité méditerranéenne demeure une vision politique, une construction intellectuelle, qui ne se traduit pas au niveau de la perception réelle des individus et des groupes. Gérer la question de l’immigration doit être un prêche prioritaire pour ceux qui s’intéressent à l’avenir de l’aire méditerranéenne. La difficulté de gérer ce dossier est en train d’affecter négativement l’atmosphère intellectuelle et politique des pays riverains. Alors qu’une bonne gestion de la coexistence serait un facteur bénéfique majeur. C’est en encourageant les migrants à assumer leur double appartenance qu’on leur permet de jouer le rôle de traits d’union entre pays d’origine et pays d’accueil. Il existe, entre le Nord et le Sud de la Méditerranée, un problème de confiance qui n’a cessé de s’aggraver au cours des dernières décennies. Il est lié à la fois à des problèmes réels qui nécessitent des solutions, et aussi à une perception négative de l’Autre. Pour pouvoir espérer une amélioration significative dans les prochaines années et décennies, il faudrait à la fois agir sur les problèmes – notamment trouver une solution équilibrée et durable au problème du Proche-Orient – et agir également sur la perception, sur les mentalités, ce qui est la responsabilité des leaders d’opinion, des médias, des intellectuels, des enseignants, etc. En ce qui concerne les médias, nous devons continuer, notamment par des initiatives telles que le Prix méditerranéen du journalisme Anna Lindh, à soutenir la qualité professionnelle et la qualité éthique. Cette dernière notion, à l’aune de laquelle on juge le Prix, ne signifie pas qu’il faille s’installer dans le politiquement correct au niveau de la réalité des affrontements, elle signifie qu’il faut trouver les mots justes, les images justes, les approches adéquates, afin de faire reculer l’incompréhension et la haine. De mon point de vue, il est trop tôt encore pour juger de la validité d’un cadre comme celui de l’Union pour la Méditerranée. La saine approche, me semble-t-il, consiste à miser sur l’aspiration profonde des peuples à la dignité, au bien-être, à la liberté, à la démocratie. Il faut montrer en permanence un attachement à ces valeurs essentielles; c’est à ce prix qu’on peut bâtir la confiance sur des fondements solides et durables. AMIN MAALOUF est libanais. Romancier et journaliste, il a été Président du Jury international pour le Prix méditerranéen du journalisme Anna Lindh. Le Rapport Anna Lindh 2010 53 Au terme de ce rapide tour d’horizon, on pourrait conclure que la dynamique du voyage est un trait essentiel de l’identité méditerranéenne. Je ne voudrais pas m’arrêter à ce constat d’évidence, mais souligner au contraire que le mouvement, au sens physique et premier du terme, n’est pas indispensable à la dynamique identitaire. Comme nous voyons à Rome, dans les basiliques chrétiennes, des bas-reliefs empruntés aux monuments antiques, comme nous voyons à Kairouan, dans la grande mosquée, des chapiteaux corinthiens provenant d’édifices païens ou chrétiens, nous pouvons admirer, à Istanbul, la Mosquée bleue, librement inspirée de l’architecture de son vis-à-vis byzantin, Sainte-Sophie de Constantinople. Ces exemples, et bien d’autres, illustrent l’étonnante capacité des cultures les plus diverses à se construire sans faire table rase d’un patrimoine commun, en évitant l’amnésie comme la sclérose. Cet inventaire, forcément hétéroclite, comprend une exigence d’humilité dans la pratique des relations interculturelles, une recherche d’empathie et d’hospitalité, voire le désir de connaître et d’accueillir l’altérité, accepter de se mettre sous sa surveillance. L’image qui me vient à l’esprit pour illustrer cette dynamique interne – une dynamique compatible avec la plus grande sédentarité – est celle d’un mythe grec : le mythe des Argonautes et de la nef Argo. Au cours de son interminable périple à la quête de la toison d’or, le bateau a subi d’innombrables avaries; pièce par pièce, sa coque, son bastingage, son gréement ont été refaits par les charpentiers, en sorte qu’il ne subsiste plus aucun élément d’origine. Pourtant, ces modifications qui affectent la substance – et peut-être la forme – de la nef Argo ne menacent en rien son identité : l’équipage de Jason n’a jamais le sentiment de voguer sur un autre navire. mondial; en d’autres termes, lui accorder les moyens d’acquérir une ou plusieurs citoyennetés culturelles, voire interculturelles . Cette idée de citoyenneté culturelle présuppose des compétences spécifiques pour de nouveaux apprentissages, enjeux majeurs de l’UNESCO aujourd’hui, pour faire barrage aux amalgames nés des ignorances, des préjugés, des humiliations, des frustrations, des ressentiments, des peurs et des exclusions, qui engendrent la spirale des tensions, de l’insécurité, de la violence et des conflits à tous les niveaux, local, régional et international. Le dialogue interculturel peut être considéré comme un moyen d’acquérir une «compétence interculturelle». Cependant, le succès d’une telle acquisition dépend de l’aptitude des différents partenaires à redécouvrir le passé et le présent à partir d’une perspective culturelle différente de la nôtre. EXPERT ANALYSIS AND GOOD PRACTICE LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 52 incessante circulation interculturelle qui a multiplié les brassages et ouvert la voie aux métissages. La révolution démographique dans les pays du sud et de l’Est de la Méditerranée, 1970-2010 L’impact culturel du facteur démographique YOUSSEF COURBAGE LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 54 Le rôle de la démographie est essentielpour analyser l’évolution des relations interculturelles comme un vecteur puissant de connexions entre les cultures, et comme un moyen vital de révéler les mentalités. Youssef Courbageétudie l’impact culturel de la transition démographique en cours sur les deux rives de la Méditerranée, une source de nombreux processus de modernisation, et un défi à la théorie du «Choc des civilisations». Du «youth buldg e» à «l’immigration», il fait des prospectives et montre à quel point les ressemblances l’emportent largement sur les divergences. En Méditerranée, la méconnaissance de l’autre est avérée. L’enquête de la Fondation Anna Lindh en témoigne. En interrogeant un échantillon des deux rives, on est saisi par le manque d’intérêt porté à l’autre, comme si les deux rives se tournaient le dos. L’économie, la culture, le mode de vie, les croyances et les pratiques religieuses de l’Autre laissent indifférents. Un Européen sur trois ne s’intéresse pas à la rive Sud, son économie et sa religion surtout (43%). De la Turquie au Maroc, les pays du Sud manifestent un manque d’intérêt semblable pour les choses du Nord (45%), en particulier pour sa religion (55%) (graphique 1.9). Réalité déroutante mais guère uniforme. Repérer les pays méditerranéens s’avère plus ardu que ce que l’on imagine, jusqu’à 17% d’erreurs au Royaume-Uni, 25% en Turquie. Même quand elle est moins fausse, la perception est tronquée. Mais, si les deux rives se tournent largement le dos, il suffirait que le contact s’établisse pour des raisons de travail, de tourisme, de connexion par internet, de voisinage, etc., pour que le courant puisse passer (graphique 1.14). Les contacts qui ont pu s’établir avec des gens du Sud ont convaincu les Européens que les ressemblances entre les deux rives l’emportaient sur les dissemblances. La démographie utilisée comme prétexte au conflit des civilisations Si l’Europe et le Sud jouissaient d’une culture démographique conséquente et ne se contentaient pas seulement des slogans médiatiques qui leur sont assénés quotidiennement, ils seraient encore plus convaincus de ce rapprochement qui s’opère sous nos yeux. La démographie – c’est bien malheureux – est trop souvent perçue comme scolaire, didactique, ennuyeuse. Mais, sous la plume d’écrivains talentueux, elle peut prendre vie, exciter les passions, devenir polémique, voire incendiaire. Ce qui est encore plus malheureux. Samuel Huntington, qui a immortalisé le concept de conflit des civilisations, en est un exemple fameux. Très médiatisé, son Choc des civilisations (Huntington, 1996) continue à frapper les esprits à coups de millions d’exemplaires. Nous autres Méditerranéens sommes aux premières loges de ce conflit, qui se déroule comme une tragédie grecque, avec la confrontation de deux civilisations antagonistes : chrétienne et musulmane. Et la Le Rapport Anna Lindh 2010 démographie dans tout cela ? Elle est, nous dit-on, amorphe d’un côté, explosive de l’autre. Le nombre est la pierre de touche du conflit pour Huntington. Et quelle ligne de fracture plus idéaltypique que cette Méditerranée, de Gibraltar au Bosphore ? 2010 BosnieHerzégovine LIban Albanie Turquie Tunisie Egypte Israël Algérie Maroc Libye 55 1970 8.5 8 7.5 7 6.5 6 5.5 5 4.5 4 3.5 3 2.5 2 1.5 1 0.5 0 GRAPHIQUE 4.1 Syrie Palestine Graphique developé par Y. Courbage, 2010 «La croissance démographique dans les pays musulmans, en particulier l’augmentation de la part des jeunes de quinze à vingtquatre ans dans la population totale, fournit des recrues en grand nombre au fondamentalisme, au terrorisme, aux mouvements de révolte et aux migrations. La croissance démographique rend plus forts les gouvernements asiatiques; la croissance démographique menace les gouvernements et les sociétés non musulmanes. […] La Résurgence de l’islam, quant à elle, a été alimentée par des taux de croissance démographique tout aussi spectaculaires.» (Huntington, 1996) Jamais depuis l’aube de cette discipline, peu portée à l’émotion, on n’a donné autant dans le pathos en prêtant le rôle du vilain à la démographie. Le youth bulge – l’explosion des jeunes –, est à la genèse du fondamentalisme, du terrorisme, des insurrections et des migrations, menaces qui planent à la fois sur les gouvernements des pays musulmans et des sociétés nonmusulmanes. Le Choc fut écrit en 1996, l’expression forgée en 1990 par Bernard Lewis (Lewis, 1990). Huntington a été bien entendu, à telle enseigne qu’un rapport écrit par des officiers à la retraite de l’OTAN (Gen. Naumann et al., 2007) a hiérarchisé les 6 défis clés qui menacent la communauté globale, en mettant au premier chef la démographie, en liaison avec la montée de l’irrationnel et du fondamentalisme religieux, couramment l’islamisme radical. Récemment, Christopher Caldwell (2009), journaliste au Financial Times, a repris la même antienne «démographico-civilisationnelle», nous mettant d’emblée dans le bain, en exhumant les projections démographiques catastrophistes d’Enoch Powell sur le RoyaumeUni. Déconstruire le paradigme d’Huntington Il ne peut y avoir de relations interculturelles saines et paisibles dans l’espace méditerranéen sans une déconstruction du discours de Huntington. Au plan démographique, en premier lieu. Une démographie bien comprise, non-démagogique, permet de sortir du bruit et de la fureur de la chronique médiatique. A rebours du paradigme huntingtonien, elle montre l’inanité du fantasme du choc des civilisations étayé sur une vision démographique du monde qui nourrit les peurs, à l’instar de celles des Occidentaux de la rive Nord face aux Arabes et aux musulmans de la rive Sud. Car la démographie peut démontrer l’inverse. Le paradoxe est que durant ces deux décennies, qui ont vu naître et prospérer ce paradigme néfaste, le rapprochement entre les deux rives n’aura jamais été aussi fort, porté par la lame de fond de la convergence démographique. On nous permettra d’insister sur la démographie, car elle est un puissant vecteur d’interculturalité. La variable démographique n’est pas un banal indicateur de l’«état des lieux» d’un pays. Elle est aussi et surtout un révélateur des mentalités. Les indicateurs démographiques vont au plus profond dans l’ordre de l’intime la sexualité, l’union entre hommes et femmes, la reproduction, les relations parents-enfants, la mésentente, etc., la mort enfin. La démographie est une psychanalyse collective, ses tableaux et graphiques, les tests de Rorschach des sociétés. La démographie couvre un vaste champ. Les migrations internationales, le youth bulge ou son antithèse, le vieillissement, ont une portée considérable sur les relations interculturelles en Méditerranée et sont tous reliés entre eux par l’indicateur fétiche des démographes, celui que nous avons choisi de développer, la fécondité, qui est en amont des autres phénomènes. La transition démographique au Sud de la Méditerranée Malgré la globalisation, le nombre d’enfants par femme conserve toujours une amplitude considérable dans le monde, de 8 enfants pour les populations les plus fécondes, à 1 enfant pour les plus malthusiennes. Les populations européennes se situent à des niveaux très bas : 1,5 enfants seulement. Le «beau modèle», celui à qui il conviendrait de ressembler, se place plus haut : en France notamment où la fécondité de 2,02 enfants assure mieux la reproduction de la population (graphique 4.1). L’Europe avait pris une grande avance. Au milieu du XVIIIe siècle, une formidable révolution culturelle a balayé le continent, dont le résultat peutêtre le plus profond fut la généralisation du contrôle des naissances par la contraception. C’est la conséquence ultime de la marche vers l’alphabétisation des hommes, tôt suivis par les femmes, puis de la sécularisation des mentalités; le phénomène de la procréation devenait un calcul rationnel, détaché de la volonté divine. Ce qui se déroule sous nos yeux dans le Sud méditerranéen est une réédition de cette formidable révolution culturelle. Ici, cette transition démographique qui démarra avec retard fut aussi plus fulgurante. Sauf de rares exceptions, la fécondité vers 1970 atteignait encore des sommets : 7-8 enfants, rarement audessous de 6 (sauf en Israël, dont la population était surtout d’extraction européenne). En contrepartie, on est frappé par son raccourcissement. Il aura fallu deux siècles pour que l’Europe passe d’une fécondité d’Ancien Régime à la fécondité moderne, quatre décennies seulement au Sud de la Méditerranée, pour passer de 7,26 enfants en 1970 à 2,58 en 2010. Ces populations qui s’alphabétisent sont en route vers la modernité qui ouvre la voie à la baisse de la fécondité, condition sine qua non du développement économique général. Il s’agit d’une histoire universelle d’accession à la modernité dont le moteur est la sortie de l’analphabétisme. Pour n’avoir conquis que récemment le Sud de la Méditerranée, elle n’en a pas moins un allant remarquable (Courbage et Todd, 2007). Mais, outre des degrés différents d’alphabétisation qui expliquent pourquoi certains pays sont plus Le Rapport Anna Lindh 2010 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 INTERET ENVERS L’AUTRE ET INTERACTIONS Le coup de fouet qui sera accordé aux investissements économiques par rapport aux investissements dits démographiques, moins astreignants du fait du ralentissement de la croissance de la population, permettra d’élargir la sphère productive et la création d’emplois. Le taux d’épargne – et donc d’investissement – sera stimulé par des structures par âge plus favorables. La transition démographique se traduira aussi par une diminution des inégalités de répartition du revenu national entre catégories sociales, condition nécessaire même si elle n’est pas suffisante pour l’émergence de démocraties représentatives au Sud (Courbage 2001). Raconter aux uns et aux autres l’histoire de la révolution démographique de part et d’autre de la Méditerranée est essentiel pour diminuer l’ignorance commune et mettre en exergue les ressemblances entre les peuples. Les démographes ne sont malheureusement pas outillés pour narrer cette simple histoire avec les mots qu’il faut, imbus comme ils le sont de leur mathématique et de leurs modèles. Pour élever les relations interculturelles méditerranéennes, il faudrait pouvoir raconter cette simple histoire avec l’élégance du conteur. Perspectives et leçons La convergence démographique des deux rives est riche d’enseignement. De part et d’autre de la Méditerranée, les ressemblances l’emportent largement sur les divergences, car la démographie incarne les comportements humains dans ce qu’ils ont de plus profond. Cette convergence a notamment été rendue possible par les interactions multiformes entre les rives Nord et Sud qui se perpétuent jusqu’aujourd’hui grâce à la diffusion de l’instruction et à l’action des émigrés, ces passeurs de culture, Le Rapport Anna Lindh 2010 YOUSSEF COURBAGE est Directeur de recherches à l’Institut National d’Etudes démographiques, Paris Reconstruire des ponts, restaurer la confiance ISMAIL SERAGELDIN La région euro-méditerranéenne a été bénie par la nature de plusieurs façons. Son climat, sa situation géographique, ses ressources naturelles et humaines ont fait d’elle le berceau de grandes civilisations, et son bassin, qui a vu la naissance des trois religions monothéistes, a eu un impact extraordinaire sur l’histoire et le développement culturel de l’humanité. Toutefois, cette diversité culturelle, qui devrait être considérée comme une source d’enrichissement et de progrès, a souvent, à travers les siècles, été malmenée par des troubles politiques, des conflits et des confrontations. Pourtant, certains sages ont pris sur eux d’encourager les peuples de la région à construire des ponts et à surmonter les différences religieuses, ethniques et culturelles en mettant l’accent sur ce qui les rassemble plutôt que ce qui les sépare. Ces ponts ne peuvent être construits sans dialogue interculturel, un dialogue qui favorise une meilleure compréhension de l’autre, une acceptation de ceux qui sont différents, et la conviction que la diversité peut être une source d’enrichissement mutuel et créer les conditions nécessaires qui permettront aux sociétés d’en tirer parti et d’évoluer, de se développer et de prospérer dans un climat de paix et de stabilité. En effet, c’est l’absence de dialogue interculturel qui est à l’origine des malentendus et de la méfiance. Les individus ont souvent peur de ce qu’ils ne connaissent pas et ont souvent des idées fausses sur l’autre, une attitude qui suscite des tensions, des confrontations, et parfois même des guerres. A partir de ce constat, et afin de contrecarrer l’idée erronée que les civilisations vont à l’affrontement, une série d’initiatives a été lancée avec pour objectif une alliance, plutôt qu’un choc des civilisations. Par conséquent, le partenariat euro-méditerranéen et la Fondation Anna Lindh promeuvent activement ce dialogue interculturel sur les deux rives de la Méditerranée. Je suis intimement convaincu que la seule façon de faire face aux défis de notre région est de promouvoir et d’approfondir ce dialogue en vue de tirer parti de toutes ces initiatives, et de créer un sentiment de partenariat entre tous les hommes et les femmes de notre région, indépendamment de la couleur, de la croyance ou du sexe, afin d’aider à changer la philosophie de la politique, et de faire en sorte que dans notre monde, nous puissions collaborer les uns avec les autres, même si le passé a été conflictuel, afin de promouvoir la justice, l’inclusion et la participation, et donc de construire un avenir meilleur pour nous et nos enfants. Par conséquent, je crois que nous devons tous nous engager dans cette voie, non seulement parce qu’elle correspond à des principes et à des idéaux auxquels nous croyons, mais aussi parce qu’elle est dans l’intérêt des peuples de la région. Nous devons, à travers le dialogue culturel, contribuer à créer une atmosphère pacifique qui puisse mettre fin aux conflits dans la région, et encourager le développement économique, social et culturel dans toute la région. Nous avons besoin de prendre des initiatives concrètes dans un cadre stratégique et structurel et de donner la priorité à la mise en place, avec la Fondation Anna Lindh, l’Alliance des civilisations, l’Union pour la Méditerranée et l’UNESCO, d’un plan pour le dialogue interculturel fort d’une nouvelle vision et d’un nouvel élan. ISMAIL SARAGELDIN est Directeur de la Bibliotheca Alexandrina Le Rapport Anna Lindh 2010 57 En outre, dans les pays à population composite tels IsraëlPalestine, Syrie, Liban, etc., il arrivait que la compétition entre groupes joue en faveur de la hausse de la fécondité. L’exemple d’Israël est symptomatique à cet égard. Les pays du Maghreb quant à eux sont plus éloignés de cet épicentre sismique. Pour des raisons de proximité géographique, du poids de l’histoire aussi, le Maghreb a reçu les influences de l’Europe plus fortement que le Machrek. L’émigration maghrébine depuis les indépendances s’est presque exclusivement tournée vers l’Europe, alors que l’émigration du Proche-Orient a recherché la péninsule Arabique et le Golfe. Les émigrés, ces passeurs de culture, sont en contact permanent avec leurs proches restés au pays. Ils ont pu directement ou indirectement influencer leurs attitudes sur la famille, la femme, le nombre d’enfants. Les familles maghrébines sont par exemple moins réticentes que celles du Proche-Orient à accepter une descendance sans héritier mâle. Avec un indice de fécondité de 2 enfants par femme, le quart environ des Maghrébins acceptent une lignée exclusivement féminine. En revanche, au Proche-Orient, où l’on est plus soucieux d’avoir un garçon, la fécondité est spontanément plus élevée. Le graphique 4.1 montre bien comment de part et d’autre de la Libye se rangent les pays de la rive Sud de la Méditerranée : Maghreb, Liban et Turquie à gauche où la révolution démographique est achevée ou en phase de l’être autour de deux enfants par femme; Egypte, Israël-Palestine, Syrie où l’on semble s’être fixé à trois enfants. Une interaction complexe entre l’histoire, la géographie, la destination des migrants internationaux, le poids de la politique, des conflits et des rivalités internes rend compte des différences intra-méditerranéennes. En aucun cas, la démographie ne peut être essentialisée par une appartenance religieuse ou nationale, qui reviendrait à stigmatiser les populations du Sud et à aviver le conflit de civilisations. La baisse de la fécondité en terre chrétienne puis en terre musulmane, ou encore dans la rive Nord puis dans la rive Sud de la Méditerranée, réduit à néant l’idée manichéenne d’un fossé infranchissable entre l’Occident et l’Orient, et l’idée qu’il existe des racines religieuses intangibles aux mentalités et aux comportements même s’ils le font en silence. Les exceptions que nous avons soulignées ne relèvent pas d’une essence culturelle, mais de situations politiques complexes. Les prochaines décennies seront prometteuses. Le youth bulge, à supposer qu’il fut à l’origine des violences dans les pays du Sud, a déjà amorcé une rapide décrue, surtout au Maghreb. Une conséquence de taille dans les interrelations est le ralentissement de l’émigration internationale du Sud vers le Nord, du fait de la décélération de la pression démographique des jeunes demandeurs d’emploi et de la vraisemblable mutation du Sud de la Méditerranée de pays de départ en pays d’accueil (Afrique subsaharienne, Asie). En contrepartie, le vieillissement que l’on croyait être l’apanage du Nord connaîtra une croissance tellement fulgurante que le doublement de la proportion des personnes âgées (65 ans et plus) qui a pris plus d’un siècle en Europe (114 ans en France) ne prendra que 20 ans au Sud de la Méditerranée. Cette révolution en marche que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier de «miracle démographique» et d’autres plus modestement de «bonus» ou de «dividende démographique», sera sans hésitation possible à l’origine de nombreux processus de modernisation: participation plus massive des femmes à la main-d’oeuvre permise par la limitation des naissances, amélioration des systèmes d’enseignement en raison du tradeoff entre quantité et qualité. LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 56 en retard que d’autres, il y a des «pannes de transitions» que l’on peut superficiellement imputer à la culture arabe ou à l’islam. Des résistances délibérées à la transition existent, qui n’ont rien à voir avec la religion musulmane. Elles sont d’essence politique avec un habillage religieux. Par exemple au Proche-Orient. Les conflits, notamment le conflit de Palestine, ont stimulé ici, contrairement au Maghreb, les attitudes populationnistes et pro-natalistes dans la population et chez les gouvernants; le nombre d’habitants et le taux d’accroissement démographique furent considérés comme des atouts stratégiques. NATALIA RIBAS-MATEOS LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 58 Dans le contexte actuel de mondialisation, l’un des enjeux majeur est la définition de «nouveaux espaces de mobilité». Natalia Ribas-Mateos affirme que ces mobilités ne peuvent plus se résumer à la mobilité physique des individus, mais qu’elles sont davantage liées aux flux croissants d’informations entre les habitants de la région méditerranéenne et les communautés immigrées dispersées dans le monde entier. Des interrelations dans un parc public à l’expérience des routes culturelles touristiques, l’auteur explore différents exemples et redéfinit notre compréhension des mobilités humaines. La Méditerranée peut être considérée comme un espace de circulation et un lieu d’échange dans une période caractérisée par un fort impact des technologies de communication. Les habitants de la région méditerranéenne mentionnent dans le Rapport différents moyens pour interagir avec des personnes de l’autre rive. Ils identifient des modes d’interaction qui vont au-delà des migrations : les relations d’affaires, le tourisme, les relations de voisinage, Internet – considéré comme l’outil le plus commun de communication en particulier chez les jeunes – et les rencontres dans les espaces publics, qui peuvent ou non avoir un impact positif sur la qualité des perceptions mutuelles. Malgré l’impact considérable des changements liés à la migration globale dans la région, la question culturelle est toujours une question complexe. C’est une région particulière, avec une présence historique de diversité des cultures, de diversité à l’intérieur des cultures, de formes de domination des cultures (colonialisme, orientalisme, etc.). Néanmoins, cela configure un espace où l’on peut penser à l’idée de cultures à partir d’un sens relationnel, et c’est sous cet angle spécifique que nous comprenons l’idée du dialogue méditerranéen, même si les perspectives exotique et coloniale n’ont pas encore disparu. Mais cet espace construit dans notre Rapport comme un espace interculturel est particulièrement complexe, en particulier si l’on prend en considération l’augmentation des échanges humains à travers la Méditerranée, où l’on détecte de nombreux circuits mondiaux qui permettent l’interaction, mais ferment aussi beaucoup de portes et créent de nombreux conflits. Nous tenterons, dans cet article, de répondre à une partie de ce scénario interculturel en nous intéressant directement à la question de la mobilité à l’ère de la mondialisation, en essayant de donner une définition opérationnelle mieux adaptée aux nouvelles mobilités de la migration circulaire, des réseaux transnationaux et des migrations de retour qui sont aujourd’hui les caractéristiques de la dynamique de la mobilité humaine dans notre région Mobilités et circularité La plupart de ces complexités ont été démontrées ily a longtemps par le travail de Tarrius sur les mobilités en Méditerranée. Il a été en mesure de mettre en lumière que les identités des migrants Le Rapport Anna Lindh 2010 ne sont pas réaffirmées comme intrinsèquement stables, mais comme des populations caractérisées par leurs mouvements; elles fonctionnent par combinaison du territoire et des mouvements. Tarrius forge le terme «territoires circulaires» pour désigner certains groupes de population qui sont caractérisés par les mouvements, les allées et venues, le type d’entrée et de sortie entre les mondes étant présentés comme différents (Tarrius, 2000). Nonobstant, ces circularités ne peuvent pas être traduites par la seule mobilité physique des personnes, elles sont aussi liées aux circuits d’information qui lient les communautés transnationales, aux flux d’informations qui, avec l’aide des technologies d’aujourd’hui, créent des liens dans la vie sociale des individus entre différents sites méditerranéens, étant donné la dispersion des migrants dans le monde entier. L’importance des réseaux migratoires et des stratégies de survie, le rôle des migrants en tant qu’entrepreneurs répondant aux conditions structurelles des migrations de travail, le rôle des investisseurs et des envois de fonds dans le développement social des pays d’origine, les nouvelles formes de déterritorialisation politique des migrants en sont quelques exemples. La mobilité des migrants contemporains serait caractérisée par l’intensité des mouvements – même des mouvements de circulation –, une culture intensifiée de la migration, l’utilisation du réseau de la diaspora et les références développées par les identités renforcées des diasporas. En outre, ces mobilités fonctionnent également en liaison avec d’autres types d’interactions sociales. Ces dernières années, j’ai fait des recherches de fond sur les circuits mondiaux qui peuvent être identifiés dans la région méditerranéenne. Dans cette région, je me suis attachée à la façon dont on pouvait étudier, dans les villes frontalières (telles que Tanger et Durrës, voir Ribas-Mateos, 2005), les nombreux types de circuits entre le Nord et le Sud, tels que les circuits textiles (qui sont un bon exemple des tendances de délocalisation industrielle). Toutefois, de nombreux autres circuits pourraient être décrits comme l’internationalisation des Organisations Non Gouvernementales, les circuits affectant les acteurs vulnérables du passage des frontières et étant aussi affectés par, notamment, la marchandisation du corps ou les mariages arrangés. L’impact du tourisme culturel Parmi ces différences de mobilités, je voudrais donner quelques exemples sur les mobilités et le tourisme (Ribas-Mateos, 2008). Je pense ici à l’idée d’un caravansérail, comme un lieu nodal sur une route de la Méditerranée, comme une route où les marchés (produits), les mobilités (personnes) sont connectés et où des informations sur les itinéraires sont échangées. Les mobilités des personnes sont très diverses : les nomades, les passagers, les touristes, les pèlerins, les migrants temporaires, les migrants à long terme, les réfugiés temporaires, les réfugiés définitifs, etc. Elles peuvent également être liées à d’autres processus, telle l’attraction causée par les sites archéologiques et historiques, comme en Syrie. Nous avons rencontré dans notre recherche des touristes assoiffés de connaissances historiques sur le berceau du Moyen-Orient, de la vieille civilisation, de l’espace de carrefour culturel entre les continents. A ces héritages historiques, nous pouvons également ajouter la gentillesse syrienne et l’intérêt pour la gastronomie du Levant. Ce sont des gens assez courageux pour venir, sans tenir compte de la liste des pays interdits. Ce sont des touristes qui, à bien des égards, cherchent encore les images intactes de l’Orient du XIXe siècle : la paresse de l’atmosphère, le narguilé, les images du Vieux Damas et sa vie quotidienne, les citadelles, les chevaux et les chameaux, et plus particulièrement l’icône du désert qui a de tout temps attiré les voyageurs. En d’autres termes, les images qui sont encore intactes dans l’imaginaire de nombreuses personnes, et surtout dans l’imaginaire du touriste et du touriste culturel. Dans un contexte de changements globaux caractérisés par un processus de libéralisation économique intense, processus très évident depuis les sept dernières années en Syrie, et plus particulièrement dans sa capitale, nous analyserons l’augmentation du tourisme espagnol sur le site urbain de Damas intra-muros, reconnu comme une zone protégée par l’Unesco en 1979. Les mobilités et le cosmopolitisme de cette ville habitée depuis plus de 5 000 ans, nous offrent une perspective d’analyse appropriée pour observer les changements actuels de la situation en Méditerranée, qui dans un tel cas sont spécifiquement liés à une position très particulière dans la structure migratoire du Moyen-Orient. Exclusion et cosmopolitisme dans l’espace public Les places publiques et les marchés nous offrent d’autres exemples d’interactions publiques. Ces dix dernières années, de nombreuses études ont été menées sur les différentes relations entre les migrants, les communautés ethniques et les autochtones dans différentes régions – en particulier les villes – du Nord de la Méditerranée. Néanmoins, la plupart d’entre elles ont mis l’accent sur l’interaction sociale conflictuelle entre les communautés qui Allemagne - Exposition sur l’immigration urbaine Le projet d’exposition d’investigation «Au carrefour de Munich» est le résultat d’une coopération unique et novatrice entre des scientifiques internationaux, des universitaires et des étudiants en histoire et en études culturelles. La recherche à la base de l’initiative est axée sur treize thèmes liés à la migration dans le milieu urbain de Munich. Elle a été réalisée en 2008 et 2009, avec l’objectif principal d’examiner les images répandues, les opinions et les politiques liées à l’immigration. En s’appuyant sur les informations provenant des archives de la ville, ainsi que sur des exemples de travaux dans le domaine, il a été possible d’élargir la perspective sur les questions liées à la société pluraliste de Munich. Au total, treize installations sont visibles dans l’exposition finale, qui présente la ville dans son contexte comme un lieu d’immigration depuis 1955, l’année où l’Allemagne a signé avec l’Italie le premier accord de travail pour les «travailleurs étrangers». L’exposition a abordé une série de sujets, notamment la mondialisation, la transnationalisation et l’hybridation des sociétés européennes en milieu urbain. www.crossingmunich.org Le Rapport Anna Lindh 2010 59 Nouvelles manières de comprendre les mobilités Par conséquent, les mobilités contemporaines peuvent être considérées comme un capteur des changements interculturels selon une conception post-fordiste de la flexibilité, par opposition à la conception fordiste des migrations organisées. Aujourd’hui, ces mobilités peuvent être présentées à travers divers concepts : l’ancien réseau communautaire, la complexité des catégories, la circularité et l’impact des nouvelles technologies. Concernant l’ancien réseau communautaire, la base de ces mobilités repose sur l’expérience consolidée au cours des temps fordistes, qui a construit le modèle de migration du travail ainsi que les bases d’un réseau social pour ces mobilités. Aujourd’hui, ces réseaux en ont bien sûr intégré d’autres, y compris les réseaux de voisinage, les groupes de pairs basés sur les relations, comme j’ai pu le constater dans une de mes études consacrée aux jeunes dans la ville de Tanger (Ribas-Mateos, 2005). Actuellement, les familles du Sud utilisent très souvent ces ressources entre les relations construites dans l’espace euro-méditerranéen et élaborent de nouvelles stratégies tenant compte des facteurs structurels tels que les questions politiques liées à l’accès restreint aux frontières et les questions économiques corrélées à la crise économique et au chômage. Au sujet de la complexité des catégories, ces dernières se sont construites autour de la migration mondiale et sont beaucoup plus diffuses et plus hétérogènes que dans les temps fordistes, mais le modèle fordiste est encore souvent la référence pour les projets de mobilité sociale des migrants et de leurs familles. La féminisation des flux de migrants et la diversité des stratégies féminines devraient également être examinées en fonction de cette complexité des catégories illustrée à un stade ultérieur à travers quelques exemples concernant le tourisme culturel. Une autre nouveauté dans les projets des migrants est l’idée de circularité entre les différents espaces de la Méditerranée. Cela est lié aux idées exposées ci-dessus par les travaux de Tarrius. Dans cet article, nous l’examinerons à travers l’exemple des immigrés marocains dans les marchés aux puces catalans. Enfin, en ce qui concerne les nouvelles technologies, elles sont en principe utilisées pour répondre aux besoins du réseau de la diaspora. Mais cet usage est très inégal, à l’image de la région de Jebala du Nord Maroc, où pratiquement aucun village n’a accès à Internet et où le réseau téléphonique mobile fonctionne mal en hiver (Ribas-Mateos, 2009). LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 INTERET ENVERS L’AUTRE ET INTERACTIONS Un projet méditerranéen partagé ? NATALIA RIBAS-MATEOS est chercheur Ramón y Cajal à l’Université de A Coruña Jordanie - Voyages pour la compréhension interculturelle Une initiative de tourisme culturel, «Le Chemin d’Abraham» a pour but de promouvoir la compréhension mutuelle en mettant l’accent sur l’histoire unique et commune de la région. Depuis 2008, un circuit touristique qui suit les traces d’Abraham dans la région d’Ajloun en Jordanie a été mis au point, retraçant un voyage effectué par plus de trois milliards de personnes dans le monde et qui a perduré pendant quatre mille ans. En 2009, plus d’un millier de marcheurs ont organisé des voyages et ont pris part à la route, et, la collaboration avec les médias a permis à environ 150 millions de lecteurs de suivre l’histoire. Grâce à cette initiative, les organisateurs – «Idéal pour le développement de Routes culturelles et touristiques – ont aussi l’objectif de promouvoir le développement économique par le tourisme durable et de protéger l’environnement naturel et les lieux historiques de la région, le projet étant d’apporter un revenu dans les zones rurales en encourageant les populations locales à transformer des maisons abandonnées du village en maisons d’hôtes et à proposer aux touristes les produits de leurs jardins. www.abrahampath.org Le Rapport Anna Lindh 2010 La traduction : un outil de dialogue AÏSHA KASSOUL L’espagnol, l’arabe, l’italien… Langues «mineures» par rapport à l’anglais, décrété officiellement langue internationale, apparemment consensuelle, distançant quelque peu l’autre langue, le français… Adieu la tour de Babel et le volontarisme différentiel et rassembleur. Si notre projet reste celui de l’élaboration communautaire brassant des populations suédoises et tunisiennes, slovènes et espagnoles, point de salut sans la traduction qui se trouve au centre de la «créativité pour le dialogue». Donc la traduction et ses problèmes. Au premier chef, celui de la lecture qui régresse au profit de l’image un peu partout dans notre monde, mettant à égalité (une fois n’est pas coutume) le Nord et le Sud. A quoi servirait de traduire des livres qui ne seraient pas lus par un destinataire immédiatement séduit au quotidien par le télévisuel ? L’enjeu est de taille. Il s’agit d’intervenir très tôt dans l’éducation citoyenne des populations euro-méditerranéennes de demain, en faisant valoir une pensée et une réflexion qui soient à même de se jouer un jour des clivages et des clichés. Encore faut-il accepter de sortir de sa paresse quasi innée à force d’habitudes rassurantes. Encore faut-il s’efforcer d’aller vers cet Autre qui ne me ressemble pas, supporter les doutes et les questionnements toujours déstabilisateurs, trouver au final que le risque en vaut pour soi son pesant d’humanité. Cette aventure est celle que les traducteurs engagent et vivent à chaque fois, ne ménageant pas leur peine pour notre plaisir… et le leur. Nul doute en effet que la remise en cause perpétuelle de soi ne constitue la plus vivifiante des épreuves, éminemment formatrice en ce qu’elle nous évite l’encrassement et la grasse certitude de ceux que Bachelard appelle la «masse visqueuse». En franchissant allègrement et sérieusement les limites géographiques qui morcellent la carte du monde réel, le traducteur qui libère le passage d’un territoire à un autre choisit une posture peu réconfortante en ce qu’elle est un perpétuel déséquilibre pour lui mais aussi pour son destinataire qu’il entraîne dans une incessante confrontation avec soi, aussi vraie que la lecture et l’écriture sont indissociables et qu’une langue n’est rien sans les référents culturels qui l’ont faite et continuent de la faire vivre. On comprendra dès lors la pertinence d’une cible jeune qui grandit dans un espace ouvert à la réjouissante contamination, se riant des stéréotypes et des étiquettes mortifères. Elevée dans l’ignorance des identités meurtrières, notre jeunesse méditerranéenne se jouera de la différence comme celui qui joue avec son image devant un miroir florentin où se nichent dans chacune des alvéoles quelque chose qui lui ressemble sans être vraiment lui. Dans cette dynamique d’un rêve en marche, les traducteurs ont un rôle prédominant de pontiers mais aussi de tisserands. Confiée à leurs mains habiles, notre belle étoffe humaine serait de la meilleure qualité qui soit. Confectionnée dans la patience et le labeur qui sans cesse nous rajeunit, Pénélope elle-même n’aurait aucune raison de la défaire dans l’équilibre de nos jours et de nos nuits. AÏSHA KASSOUL est écrivain et professeur à l’Institut Diplomatique et des Relations internationales (IDRI). Le Rapport Anna Lindh 2010 61 Le projet méditerranéen partagé est, bien sûr, un échange humain, mais un tel échange ne doit pas être compris d’une façon totalement abstraite. Il est le résultat de la construction historique de la Méditerranée comme un espace de points communs, d’interactions mais aussi de conflits sévères. Certains des cas évoqués dans cet article nous ont montré une partie de cette complexité. De tels échanges humains sont également fortement conditionnés par la conjoncture socio-économique, par l’évolution socio-politique interne de chacun des pays de la Méditerranée et par l’impact du processus d’européanisation des pays d’Europe du Sud. Les mobilités sont au cœur de ces échanges et montrent l’expérience réelle des contradictions structurelles mondiales entre, d’une part, la fermeture des frontières européennes et, d’autre part, la volonté des personnes de se déplacer. Quelle sera la définition finale de ces endroits précis à partir desquels on a analysé les mobilités au Sud de la Méditerranée à l’époque de la mondialisation ? Seront-ils simplement une production des périphéries, des espaces de transit, ou des lieux où les images et les désirs de mobilité – sociale ou géographique –, jouent un rôle important ? En un mot, les difficultés rencontrées, les contradictions et les paradoxes sur la question du rapport inégal aux mobilités en Méditerranée sont un des plus grands handicaps à la construction sur des fondations solides d’un projet méditerranéen partagé. LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 60 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 ont abouti à des situations catastrophiques tel que l’épisode de El Ejido en 2000. On pourrait citer de nombreux autres exemples, notamment concernant la construction de mosquées, ou d’autres populations immigrées affectées par les mobilisations pro-sécurité qui se sont développées ces dernières années en Espagne et qui trouvent un fort écho en Italie depuis les années 80. Nous comptons également sur la recherche ethnographique menée par exemple sur les interrelations qui peuvent se produire dans un espace public tel que le parc. A cet égard, je tiens à mentionner les résultats des travaux de Díaz-Cortes (2009). L’auteur, par ses recherches sur les pratiques de vie dans les espaces publics des quartiers urbains populaires catalans a trouvé un terreau favorable à l’analyse des pratiques interculturelles. Dans ces quartiers, identité et appartenance s’expliquent par les constructions sociales et matérielles, où les espaces publics sont intimement liés à une histoire récente, celle de l’activisme visant à améliorer les conditions de vie et celle de la lutte politique contre le régime de Franco. Une telle identité peut aujourd’hui être utilisée comme un outil d’exclusion contre les étrangers et contre une interaction harmonieuse entre les différentes communautés (pas seulement en fonction des différences ethniques, mais aussi sur la base de l’âge et du sexe). Le problème est souvent transposé dans les espaces de vie. Nous nous référons en particulier aux tensions provoquées par l’utilisation des places emblématiques, où les inégalités et les conflits ethniques ont donné lieu à des champs de bataille réels. Un autre exemple est l’espace cosmopolite du marché des Encants de Barcelone (Ribas-Mateos, 2004). Ce marché est un marché aux puces de Barcelone différent des magasins traditionnels et développé par les Marocains sous la forme de commerces ethniques. Les marchés hebdomadaires, les vendeurs et les acheteurs suivent l’insertion du Maroc dans la géographie catalane. Les marchés sont une expression géographique claire des espaces relationnels des Marocains en Catalogne. Ce qui est ici plus intéressant, c’est qu’ils se rapportent constamment dans les relations cosmopolites à la négociation en tant que stratégie commerciale. Certains d’entre eux vont même à Perpignan, en France, une fois par semaine. Les relations de réciprocité sont ici entretenues par l’appartenance ethnique, une appartenance ethnique qui sert de moyen d’adaptation au marché et à la société. Néanmoins, ces relations nécessiteraient un plus large champ d’application pour permettre de parler et d’être en relation avec les autochtones, avec les Équatoriens et avec d’autres Africains. Différences et similarités dans la carte des valeurs DALIA MOGAHED LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 62 Dalia Mogahed souligne l’importance des valeurs partagées dans la construction d’un projet commun dans la région. De l’esquisse d’objectifs communs à l’exposé de lignes directrices en faveur d’une interaction positive entre les peuples, l’auteur illustre la façon dont les valeurs communes peuvent être utilisées comme fondations d’une vision politique définie. Toutefois, dans le même temps, Dalia Mogahed insiste sur l’importance du fait de ne pas ignorer les différences de valeurs afin de clarifier les défis auxquels faire face ainsi que les opportunités d’apprentissage mutuel entre les cultures et de compréhension des atouts des différentes communautés. Dans la première étude complète de ce genre, la Fondation Anna Lindh, en partenariat avec Gallup, a évalué les attitudes des Européens et des habitants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée en fonction d’une pléthore de questions, y compris sur des valeurs personnelles. Si l’objectif des deux organismes partenaires est d’explorer la viabilité d’une nouvelle union des pays méditerranéens, pourquoi une étude de l’opinion publique au sujet des valeurs est-elle importante ? Une analyse des avantages stratégiques économiques et géopolitiques d’une telle union ne serait-elle pas suffisante ? Il y a en fait plusieurs raisons qui rendent l’étude des valeurs d’une société essentielle pour évaluer la viabilité d’une union d’Etats. En premier lieu, les valeurs aident à anticiper les priorités. Toute structure de coopération débutera avec des objectifs communs qui seront régis, à leur tour, par ce que les parties jugent important. Un état des lieux des valeurs de chaque communauté, et une reconnaissance à la fois des points communs et des différences, donne des informations utiles au processus de création d’objectifs communs pour l’Union. Deuxièmement, les valeurs révèlent ce que les sociétés considèrent comme leurs plus grands atouts, ce que chacun espère protéger et de quoi chacun tire sa force. Cela permet de guider une interaction où chaque groupe de pays comprend la réaction probable de l’autre à des programmes et des initiatives qui vont à l’encontre de ses principes les plus chers. Enfin, une étude des valeurs des communautés contribue à identifier les opportunités de domaines d’apprentissage croisé. Un groupe de pays peut donner de la valeur à un ensemble de normes que l’autre groupe apprécie au prix d’un petit effort. Ces aires d’échange mutuel peuvent renforcer le sentiment de cohésion au sein d’une union et bénéficier à ses États membres. Pour toutes ces raisons, on peut trouver de la valeur non seulement dans les points communs mais aussi dans les différences. Les points communs dans les valeurs méditerranéennes Les valeurs communes sont des bases de travail et de construction. Toutefois, les différences présentent le défi d’évaluer la diversité, mais aussi la possibilité d’apprendre et peut-être de comprendre plus profondément sa propre communauté. C’est là aussi que les Le Rapport Anna Lindh 2010 sociétés peuvent compléter leurs points forts respectifs en créant des liens plus étroits, les reproductions signifiant souvent que l’un des partenaires n’est pas nécessaire. Le point commun prééminent entre les Européens et les habitants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée est la “ solidarité familiale ” (Graphique 1.5). Les deux groupes de pays la classent comme la valeur la plus importante ou la deuxième plus importante à transmettre à leurs enfants. Une appréciation similaire de l’importance de la famille est une base solide pour la coopération pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la “ solidarité familiale ” est probablement liée au fait d’élever des enfants en bonne santé, lesquels représentent l’avenir de toute communauté. Une même attention portée aux enfants et à leur bien-être peut représenter la fondation la plus solide pour la création d’organismes de coopération. Deuxièmement, la famille, contrairement, peut-être, au progrès économique, est l’élément d’humanité partagée le plus fondamental. Il s’agit d’un domaine où aucune société ne peut prétendre être supérieure. Enfin, l’importance de la famille est un enseignement central de l’Islam. Alors que la religion n’est pas importante pour la plupart des Européens, et est la valeur clé pour les résidents des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, il convient de noter que cette valeur reconnue de l’Islam est toutefois partagée avec les Européens, comblant ainsi l’écart entre le croyant et le laïc. D’autres valeurs comme la curiosité, l’indépendance et l’obéissance sont considérées comme mineures dans les deux groupes de pays. Il est intéressant de noter qu’une minorité seulement des répondants dans les deux groupes de pays porte du crédit aux deux valeurs individualistes que sont la curiosité et l’indépendance et à leur quasi opposé, l’obéissance, une valeur de conformité communautaire. Cela contribue à dissiper l’idée que “ l’Occident ” a une haute estime de l’individualisme, tandis que “ l’Orient ” lui préfère des valeurs de conformité. En réalité, les répondants européens contrent cette idée, en mettant en haut de leur liste de valeurs prioritaires la “ solidarité familiale ”, une valeur que l’on peut considérer comme la modération de l’individualité extrême. La différence dans les valeurs la plus marquée entre l’Europe et les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée est l’importance accordée à la foi. La majorité des habitants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée considèrent la religion comme la valeur la plus importante ou comme deuxième valeur la plus importante à transmettre à leurs enfants, plus que toute autre valeur étudiée. D’autres recherches Gallup montrent qu’une large majorité des habitants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, y compris la Turquie, disent que la religion occupe une place importante dans leur vie quotidienne et citent les valeurs religieuses comme le plus grand atout de leur société (Esposito et Mogahed, 2008). À l’opposé, les Européens considèrent la religion comme la valeur la moins importante à transmettre à leurs enfants parmi toutes celles qui leur étaient proposées. Cette différence frappante représente probablement le plus grand défi auquel ce groupe de pays est confronté. Si un groupe juge la religion comme un élément central, tandis que l’autre le considère comme sans importance ou même nuisible, la relation comporte alors des risques de malentendus et d’offenses mutuels. Il faudra reconnaître pro-activement ce défi et tâcher d’y faire face dès le début. Puisque les Européens sont attachés au respect des cultures différentes, les dirigeants devraient utiliser cette valeur comme un levier qui pourrait les aider à comprendre l’importance que les habitants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée accordent à la religion, même si elle est très différente du point de vue dominant en Europe. Dans le même temps, les habitants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée doivent comprendre que, même si la religion n’est pas une valeur en soi pour les Européens, ces derniers accordent toutefois une grande valeur à quelques-uns des enseignements centraux des religions, la solidarité familiale notamment. Un éminent savant musulman égyptien du XIXe siècle en visite en France a dit ces mots désormais célèbres : “ En Occident, j’ai trouvé l’Islam et pas de musulmans. En Orient, j’ai trouvé des musulmans et pas l’Islam ”, se référant à sa perception que l’Occident parvenait mieux à mettre en œuvre les valeurs de l’Islam que sa société d’origine (Noakes, 1991). L’autre différence majeure est la valeur accordée au respect des autres cultures. Cette valeur est importante pour les Européens alors qu’elle l’est moins pour la plupart des habitants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Il convient de noter qu’il existe une plus grande diversité culturelle dans les pays européens que dans la plupart des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Bien que des Européens vivent dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, ils sont souvent mal intégrés, restent au sein de communautés isolées d’expatriés, et sont rarement en interaction avec la population locale. En revanche, la plupart des personnes qui ont émigré dans les pays européens vivent dans des communautés mixtes (Coexist Index, Gallup, 2009). Et s’il existe une grande diversité dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, en particulier au Liban, celle-ci est davantage de nature religieuse que culturelle. En conclusion, les pays européens et les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée ont un socle de valeurs communes sur lesquelles il est possible de construire. Dans le même temps, il existe des différences importantes entre les deux groupes, qui représentent à la fois des défis et des opportunités pour la coopération naissante. 63 Des différences à l’égard de la valeur “religion ” LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 VALEURS ET PERCEPTIONS MUTUELLES DALIA MOGAHED est analyste et Directrice exécutive du Centre Gallup d’Etudes musulmanes. Albanie - Réseau de recherche sur la religion Dans le but de développer un projet de recherche commune axée sur la compréhension des principes religieux, l’initiative «Femmes et Religion» a réuni des représentants de femmes de trois groupes de croyance en Albanie : musulmans, catholiques et orthodoxes. Organisé sur six mois par le Forum de l’Alliance des Civilisations, chef du Réseau Anna Lindh en Albanie, les participants ont attiré l’attention sur l’importance des zones communes pour leurs communautés de foi, et ont identifié la «compréhension» et «la maîtrise de soi» comme valeurs dominantes d’une femme croyante, malgré les différentes doctrines sur lesquelles la pratique est basée. Les représentants ont également conclu qu’il existe un besoin particulier de reconnaître et d’encourager l’alphabétisation des femmes croyantes et que leurs croyances peuvent jouer un rôle central dans la promotion du goût des autres cultures, des autres religions, et favoriser l’harmonie entre elles. Un des principaux résultats de l’initiative a été la création et le renforcement d’un réseau entre les femmes dédié à développer une plus large discussion sur le rôle de la foi dans la compréhension interculturelle. www.afalc.org Le Rapport Anna Lindh 2010 La variable religieuse dans le système de valeurs européen 6. Une progressive, mais croissante prise de conscience que les tendances de la vie religieuse dans l’Europe moderne doivent être considérées comme un «cas exceptionnel» – elles ne sont pas un prototype mondial. Ce point apparaît de façon très évidente dans les données recueillies par la Fondation. Les Européens pensent clairement que la religion est une variable plus importante pour l’éducation des enfants dans les pays riverains des rives Sud et Est de la Méditerranée que pour l’éducation des enfants en Europe. GRACE DAVIE LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 64 Dans le but d’explorer et d’expliquer la réalité du système actuel de valeurs en Europe, Grace Davie dresse un panorama de la façon dont la religion a été présente dans les sociétés européennes à travers l’histoire du siècle dernier. L’un des sujets majeurs que soulève l’auteur est que, d’une part, la laïcité est assez importante dans la majorité des pays du continent alors que, d’autre part, on assiste à une résurgence notable de la religion dans le débat public, un facteur qui a un impact significatif sur la formation des perceptions dans la région. Il existe deux façons de regarder la situation religieuse en Europe: la première considère les caractéristiques qui sont communes à l’ensemble du continent, la seconde s’attache aux spécificités des différentes régions et des différents pays. Ces deux aspects sont importants au vu des données recueillies par la Fondation Anna Lindh, qui révèlent à la fois des points communs et des différences. Nous commencerons cet article en décrivant une série de facteurs qui doivent être pris en compte quand on regarde l’Europe dans son ensemble, le principal point à retenir étant qu’ils poussent et tirent dans des directions différentes. La deuxième partie développera une série de variations en Europe fondées sur (a) les différents blocs confessionnels (orthodoxes, catholiques et protestants), (b) les contrastes entre l’Europe de l’Ouest et les parties du continent qui ont été sous la domination communiste de 1948 à 1989, et (c) un certain nombre de variables démographiques. Les six facteurs sont les suivants : La conclusion de l’article souligne le paradoxe actuel : d’une part, les niveaux relativement élevés de la laïcité dans la plupart sinon la totalité des pays européens, d’autre part la résurgence notable de la religion dans le débat public. L’explication des raisons de ce paradoxe nécessite une réflexion approfondie, car elles concernent en particulier la présence croissante de l’Islam en Europe. Un point préliminaire est important. La manière dont ces tendances se traduisent par des valeurs n’est pas simple. Ce serait une erreur de simplement relever des valeurs à partir des profils religieux. En effet, il est très clair, à la lecture des données recueillies pour ce projet, que les relations entre ces variables sont complexes, et dépendent, entre autres, des trajectoires à long terme de chaque pays. 3. Un changement observable chez les pratiquants du continent, qui opèrent de plus en plus sur un modèle de choix, plutôt que sur un modèle d’obligation ou de devoir. En conséquence, l’appartenance à des Eglises historiques change de nature; elle est de plus en plus choisie plutôt qu’héritée, et plus encore dans certains endroits que dans d’autres. Clés pour la compréhension de la place de la religion en Europe Il y a six facteurs très différents qui – une fois combinés – contribuent à une meilleure compréhension de la place de la religion dans l’Europe moderne. Ces facteurs changent et s’adaptent au fil du temps. Actuellement, ils interagissent de façon inédite, produisant ainsi des formulations distinctes, dont certaines sont inattendues. Le Rapport Anna Lindh 2010 1. Le rôle des Eglises historiques dans la construction culturelle européenne. Il est très facile à illustrer, la tradition chrétienne ayant eu un effet irréversible sur le temps (calendriers, saisons, fêtes, vacances, semaines et week-ends) et sur l’espace (le système paroissial et la domination des édifices chrétiens) dans cette partie du monde. 2. Une prise de conscience que les Eglises historiques ont toujours leur place à des moments particuliers de la vie des Européens modernes, mais qu’elles ne sont plus en mesure de discipliner les croyances et les comportements de la grande majorité de la population. En dépit de leur relative laïcité, les Européens retournent souvent dans leurs églises pour les cérémonies ou dans des moments de douleur (qu’elle soit individuelle ou collective). 4. L’arrivée en Europe de groupes de personnes venues de différentes parties du monde. Bien que les motivations soient à l’origine principalement économiques, les implications pour la vie religieuse du continent sont immenses. La présence croissante des chrétiens du Sud et d’importantes communautés d’autres confessions a modifié le profil religieux de l’Europe. Indépendamment de cela, certaines de ces communautés ont – par leur simple présence – remis en cause certains postulats européens profondément ancrés, notamment l’idée que la religion devrait être considérée comme une affaire privée. Dans ce contexte, l’affirmation forte de respect des autres cultures que l’on retrouve dans cette enquête est tout à fait bienvenue. 5. Plutôt différentes sont les réactions parfois violentes des élites laïques de l’Europe à cette évolution, à savoir l’importance croissante Différences régionales et variables démographiques La première rupture importante dans le monde chrétien s’est produite au XIe siècle, lorsque les tensions qui persistaient entre les chrétiens d’Europe occidentale (catholiques) et orientale (orthodoxes), n’ont plus été contenues. Les raisons de ces tensions étaient à la fois doctrinales et ecclésiales. Cette division résonne encore dans ce sens que l’Europe orthodoxe (Est) et l’Europe catholique (Ouest) ont suivi des chemins distincts pendant la majeure partie d’un millénaire. Ces différences ne sont pas faciles à surmonter. La deuxième rupture concerne seulement l’Europe occidentale et s’est produite beaucoup plus tard, au moment de la Réforme. En conséquence, l’Ouest de l’Europe se divisa (plus ou moins) en un Sud catholique et un Nord protestant, avec, entre eux, une gamme de «pays mixtes». Le point crucial est le suivant : des frontières sont peu à peu apparues dans toute l’Europe, séparant une nation d’une autre, une région d’une autre et une forme de christianisme de l’autre. Les frontières impliquent une position dominante et des différences. Des majorités et des minorités ont été, et sont encore, créées en fonction de l’emplacement précis de la ligne de frontière en question. Il est évident, par ailleurs, que les majorités et les minorités se comportent différemment à l’égard de leurs systèmes de valeurs : les premières ont fortement tendance à considérer leur héritage religieux pour acquis, les dernières savent qu’elles devront travailler dur pour le conserver. Ce contraste est largement confirmé par les données qui m’ont été envoyées. Un autre point est également important. D’une manière générale, à la fois les pays catholiques et les pays orthodoxes maintiennent des niveaux plus élevés de pratique religieuse que les parties protestantes du continent, bien qu’il existe d’importantes exceptions à cette règle. En terme d’activité religieuse, par exemple, la France ressemble davantage à ses voisins protestants qu’à ses homologues latins, quoique l’Espagne rattrape rapidement son retard. Fait intéressant, la Suède (le pays le plus souvent cité comme le plus laïque du monde, sans parler de l’Europe) attache plus d’importance que les autres pays européens du panel aux croyances religieuses dans l’éducation des enfants, mais pas au plan personnel. Cela est particulièrement vrai chez les jeunes. L’Europe a été divisée différemment après la Seconde Guerre mondiale, chacune des parties victorieuses ayant revendiqué son butin. Les Etats baltes, la Pologne, l’Allemagne de l’Est, la Hongrie, la Tchécoslovaquie, l’Albanie, la Bulgarie, la Roumanie et (jusqu’en 1948) la Yougoslavie sont tombés sous contrôle soviétique. Les conséquences sur la religion ont été considérables. L’idéologie qui régnait dans le bloc soviétique était agressivement laïque. Les manifestations publiques de religiosité étaient considérées comme une menace pour le régime et ont été supprimées, plus brutalement dans certains cas que dans d’autres. Ce qui s’est passé précisément dans chacun des pays énumérés ci-dessus varie d’un pays à l’autre; les effets de la politique soviétique sur la vitalité religieuse ont également été différents. Un débat intéressant à cet égard concerne l’importance relative des facteurs à long terme (la longue durée) vis-à-vis du court terme, mais parfois dévastatrice de l’expérience communiste. Le genre est généralement considéré comme une variable cruciale dans la cartographie des comportements religieux - en termes de pratique, de croyance et de comportement. Il apparaît comme dominant dans un large éventail de recherches empiriques (par exemple celles menées sous les auspices de l’Etude des Valeurs Européennes). Fait intéressant, dans les données recueillies par la Fondation Anna Lindh, ces différences ne se traduisent pas par la reconnaissance de la croyance religieuse comme quelque chose d’important pour l’individu ou pour l’éducation des enfants. Il n’est pas non plus possible de trouver un lien cohérent entre l’importance des croyances religieuses et ceux qui travaillent à domicile ou dans d’autres catégories socio-professionnelles. L’âge est un autre facteur à prendre en compte, qu’il soit considéré comme une variable du cycle de vie ou comme une variable de groupe. La plupart des données présentées ici affirment que les jeunes/les plus jeunes générations sont moins attachés aux Maroc - Débats sur la religion et le pouvoir Sous le titre d’«Ibn Rochd», en référence au philosophe arabe à l’influence considérable en Occident, une série de rencontres et de débats ont été organisés sur l’interrelation entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux. Intellectuels, universitaires, artistes, étudiants et grand public étaient invités à réfléchir sur différentes questions clés sur le sujet, notamment : comment ces deux sphères en arrivent à être irrémédiablement enchevêtrées dans l’espace public ? Peut-on se moderniser sans se séculariser ? Comment gérer les fondamentalismes ? Pendant ces Rencontres, des textes littéraires et philosophiques ont également été lus au public et, le soir, des films ou des pièces de théâtre apportant un autre éclairage sur le thème étaient présentés. Des «jeunes penseurs», sélectionnés parmi les élèves de dix lycées qui avaient participé à un concours sur le thème «Raison et Liberté» assistaient aussi à ces rencontres, et l’objectif est de répéter cet événement tous les deux ans, en partenariat avec l’Association de recherche en communication interculturelle (ARCI), la Bibliothèque nationale du Royaume du Maroc, l’Institut Français de Rabat, l’Institut des hautes études en Management. www.espaceculture.net Le Rapport Anna Lindh 2010 65 de la religion dans la vie publique et dans la sphère privée. Ces élites ne s’attendaient pas à un changement de cette nature. LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 VALEURS ET PERCEPTIONS MUTUELLES LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 Gardant tous ces points à l’esprit, c’est l’imprévisibilité de la situation actuelle qui est la plus frappante. Dans une grande partie de l’Europe occidentale, deux choses se produisent à la fois. D’une part on trouve des niveaux plus élevés de laïcité que dans d’autres parties du monde – une situation qui conduit inévitablement à une baisse de la connaissance religieuse, ainsi que de la croyance religieuse. Dès lors, il n’est plus possible de partir du principe qu’il existe un certain degré d’éducation religieuse de base à travers le continent, les jeunes générations en particulier opposant une résistance à la foi de leurs parents et grands-parents. Précisément au même moment, la religion est entrée à nouveau dans l’espace public – suscitant des débats considérables, tant sur le continent dans son ensemble que dans les nations qui le constituent. Et en dépit du respect des autres cultures témoigné dans cette enquête, la discussion qui en résulte est, trop souvent, à la fois mal informée et mal élevée. Tout aussi importante est cependant la prise de conscience croissante chez les Européens que leur propre situation n’est peutêtre pas caractéristique du monde dans son ensemble. Ce point se reflète clairement dans cette enquête. En termes de perceptions, les personnes interrogées en Europe ont convenu que les convictions religieuses sont plus importantes pour les habitants des pays de l’Est et du Sud de la Méditerranée que pour elles-mêmes. En bref, les Européens commencent à comprendre que l’Europe est laïque non pas parce qu’elle est moderne, mais parce qu’elle est européenne. Il est également vrai que certains Européens se réjouissent à cette idée, et que d’autres sont déconcertés. Pourquoi cela ? Il est difficile d’éviter la conclusion que le débat public sur la religion en Europe est disproportionnellement lié à la présence des musulmans dans la plupart des sociétés européennes. Les statistiques concernant ce phénomène sont difficiles à établir, mais la plupart des commentateurs s’accordent à dire qu’à l’heure actuelle environ 5% de la population européenne est musulmane – et rappellent que ce chiffre varie considérablement d’un pays à l’autre. Ce n’est pas un pourcentage élevé, mais les communautés musulmanes en Europe sont relativement visibles à la fois par leur provenance et par leur mode de vie, qui comprend la pratique à la fois publique et privée de leur religion. La nécessité d’un respect mutuel est évidente : d’un côté les populations européennes doivent apprendre à accueillir les minorités qui font des demandes nouvelles et différentes à leurs sociétés hôtes; de l’autre, les musulmans doivent trouver des PREDRAG MATVEJEVIC Ce titre est dû à une invocation du «Cimetière marin» de Valéry : «Mer, toujours recommencée». La suite renvoie à Fernand Braudel : «Qu’est-ce que la Méditerranée? Mille choses à la fois. Non pas un paysage, mais d’innombrables paysages. Non pas une mer, mais une succession de mers. Non pas une civilisation, mais des civilisations entassées les unes sur les autres. [...] La Méditerranée est un très vieux carrefour. Depuis des millénaires tout a conflué vers elle, brouillant, enrichissant son histoire. «Tant de choses ont été dites et redites sur Mare nostrum et malgré tout, heureusement, il reste toujours quelque chose à ajouter sur son unité ou sa division, ses transparences ou ses ténèbres. Nous savons depuis longtemps qu’elle n’est ni «réalité en soin» ni une «constante». L’ensemble méditerranéen est composé de plusieurs sous-ensembles qui défient ou réfutent nombre d’idées reçues. Percevoir la Méditerranée à partir de son seul passé reste une habitude tenace, tant sur le littoral que dans l’arrière-pays. Elle finit parfois par devenir néfaste. Notre mer, et nous avec elle, souhaitons avoir aussi un nouveau présent. Il serait utile d’apprendre à nous débarrasser de certains répertoires invétérés. La tendance à confondre la représentation de la réalité avec cette réalité nuit souvent au discours sur cette mer, à sa poétisation : l’image de la Méditerranée et la Méditerranée elle-même n’arrivent pas toujours à s’accorder. Une «identité de l’être», très forte dans notre «bassin “ et sa manière de vivre, ne trouve pas toujours une «identité du faire» correspondante – cette dernière reste sans emploi ni projet. La rétrospective finit ainsi par l’emporter sur la prospective. La Méditerranée a affronté la modernité avec du retard. Elle n’a pas connu la laïcité sur toutes ses rives. Chacune de ses côtes connaît ses propres contradictions qui ne cessent de se refléter sur le reste du bassin ou sur d’autres espaces, parfois lointains. La réalisation d’une «convivance» (ce terme d’ancien français me semble en l’occurrence plus approprié que celui de convivialité) au sein des territoires multiethniques ou plurinationaux, là où se croisent et s’entremêlent des cultures variées et des religions diverses, subit sous nos yeux tant d’épreuves : la Méditerranée mérite un meilleur destin. Peut-on d’ailleurs considérer cette mer comme un ensemble sans tenir compte en même temps des fractures qui la divisent, des conflits qui la déchirent : Palestine, Liban, Chypre, Maghreb, Balkans, ex-Yougoslavie, etc. ? «La Méditerranée existe-t-elle autrement que dans notre imaginaire ?» – se demande-t-on au Sud comme au Nord, au Ponant et au Levant. Et pourtant il existe des manières de vivre communes ou proches, en dépit des scissions et des conflits. GRACE DAVIE est Professeur de sociologie dans le Département de sociologie de l’Université d’Exeter. République tchèque - Conférence sur la perception de l’islam Organisée à l’Université de Brno, la conférence «L’Islam en République tchèque» visait à promouvoir les liens entre les étudiants locaux et soixante-dix groupes religieux du pays. L’événement, une première en son genre, était organisé conjointement avec les différentes associations des communautés islamiques du pays, et associait aux séances d’ouverture des experts venus présenter un aperçu des perceptions nationales envers l’Islam. Le débat a également puisé dans les expériences des musulmans tchèques qui ont grandi dans des familles mixtes, ainsi que chez les musulmans tchèques nouvellement convertis, et les discussions ont également porté sur les perspectives partagées de développement de l’Islam dans le pays. Parmi les points soulevés au cours de de la conférence, on peut notamment retenir la nécessité de lutter contre les stéréotypes réputés être «renforcés dans les médias nationaux» et le rôle des communautés islamiques dans l’élaboration d’une stratégie globale pour le dialogue interculturel. Afin de renforcer la portée et l’impact de l’initiative, la société arabo-tchèque a diffusé ses conclusions aux bibliothèques, aux universités et au grand public, et a appuyé des projets d’évaluation. www.iir.cz Le Rapport Anna Lindh 2010 La méditerranée, toujours recommencée Bien des définitions qui font partie de notre patrimoine sont sujettes à caution. Il n’existe pas qu’une seule culture méditerranéenne : il y en a plusieurs au sein d’une Méditerranée unique. Elles sont caractérisées par des traits à la fois semblables et différents, rarement unis et jamais identiques. Leurs similitudes sont dues à la proximité d’une mer commune et à la rencontre, sur ses rives, de nations et de formes d’expression voisines. Leurs différences sont marquées par des faits d’origine et d’histoire, de croyances et de coutumes, parfois irréconciliables. Ni les similitudes ni les différences n’y sont absolues ou constantes. Ce sont tantôt les premières, tantôt les dernières qui l’emportent. «Elaborer une culture interméditerranéenne alternative» : la mise en œuvre d’un tel projet ne semble pas imminente. «Partager une vision différenciée» : c’est plus modeste, sans être toujours facile à réaliser. PREDRAG MATVEJEVIC est Professeur au Département de littérature et de langues slaves à l’Université la Sapienza de Rome. Il est aussi l’auteur de nombreux livres. Le Rapport Anna Lindh 2010 67 66 La religion fait une nouvelle entrée dans l’espace public moyens de vivre dans une diaspora. Ce n’est facile pour aucun des deux. Beaucoup d’Européens, par exemple, ont du mal à accepter que les débats sur les minorités doivent être engagés sur les différences ethniques et religieuses. Les musulmans, à l’inverse, ont besoin d’établir précisément ce que signifie être musulman en Europe – la religion, en d’autres termes, doit être séparée de la culture. Quoi qu’il en soit, l’Europe doit être replacée dans son contexte global. De nouvelles formes arrivent de l’extérieur – cela est clair. LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 croyances religieuses que leurs aînés, mais il existe quelques exceptions intéressantes, en particulier en ce qui concerne l’importance des croyances religieuses dans l’éducation des enfants (voir la référence à la Suède, ci-dessus). Les niveaux d’éducation peuvent également avoir un effet sur les attitudes à l’égard des croyances religieuses, mais les modèles ne sont pas uniformes dans tous les pays. La même chose est vraie en ce qui concerne le lieu de résidence.. VALEURS ET PERCEPTIONS MUTUELLES DISTRIBUTION RELATIVE DE SIX VALEURS DANS L’ÉDUCATION DES ENFANTS C O CR I GRAPHIQUE 5.2 SF GRAPHIQUE 5.3 Écart entre l’Europe et les pays du sud et de l’est de la mÉditerranÉe RAC Les valeurs liées à l’éducation des enfants dans les pays du Sud et l’Est de la Méditerranée MAGUED OSMAN Valeurs dans l’éducation des enfants GRAPHIQUE 5.1 dans le Sud et l’Est de la Méditerranée Selon les données recueillies dans les cinq pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, les parents mettent davantage l’accent, dans l’éducation de leurs enfants, sur les croyances religieuses (tableau 1). Cela est plus évident en Egypte et au Maroc où 51% et 46% des répondants ont déclaré que la croyance religieuse est, à titre personnel, la valeur la plus importante à mettre en valeur dans l’éducation de leurs enfants. Même si les croyances religieuses représentent également la valeur la plus importante dans les trois autres pays, le pourcentage est moindre au Liban (40%), en Turquie (40%) et en Syrie (32%). En deuxième position des valeurs les plus importantes ont été citées l’obéissance en Egypte, au Maroc et en Syrie, et la solidarité familiale au Liban et en Turquie. La troisième position est occupée en Egypte, au Liban, au Maroc et en Syrie par la curiosité et en Turquie par le respect d’autres cultures. Comme l’illustre le tableau 1, les trois valeurs considérées comme les moins importantes ont recueilli seulement 7 % en Egypte, 15% en Turquie, 19% au Maroc, 22% en Syrie et 28% au Liban (pourcentages cumulés des valeurs «respect des autres cultures», «indépendance» et «solidarité familiale»), ce qui suggère un niveau différent dans l’homogénéité de la carte des valeurs de chacune des sociétés du Sud et de l’Est de la Méditerranée. En combinant les réponses sur la valeur la plus importante et la deuxième plus importante dans l’éducation des enfants, on constate qu’une proportion significative supplémentaire dans les cinq pays a identifié les croyances religieuses comme la deuxième valeur la plus importante. La proportion la plus élevée apparaît en Egypte (73%), suivie par la Turquie (67%), le Maroc (65%), le Liban (62%) CR: Croyances Religieuses, O: Obéissance, C: Curiosité, SF: Solidarité Familiale, I: Indépendance, et RAC: Respect des Autres Cultures. % de répondants décrivant la valeur comme la plus importante pour eux à titre personnel. Base: % de l’ensemble des répondants. Tableau conçu par M. Osman sur la base de l’enquête Anna Lindh/Gallup 2010. Le Rapport Anna Lindh 2010 Egypte Syrie Maroc Liban Turquie CR (51) CR (32) CR (46) CR (40) CR (40) O (26) O (30) O (21) SF (21) SF (35) C (16) C (17) C (14) C (12) RAC (10) SF (3) SF (10) I (8) I (11) I (9) I (3) I (8) SF (8) O (11) O (3) RAC (1) RAC (4) RAC (3) RAC (6) C (3) et la Syrie (53%). L’obéissance et la solidarité familiale viennent à la deuxième et à la troisième place dans les sociétés du Sud et de l’Est de la Méditerranée, l’obéissance étant davantage mise en avant en Egypte (57%) et au Maroc (de 41%) alors que la solidarité familiale est comparativement plus importante en Turquie (64%), en Syrie (49%) et au Liban (34%). Les trois autres valeurs, à savoir la curiosité, l’indépendance et le respect des autres cultures, sont considérées comme moins importantes dans l’éducation des enfants. Le respect d’autres cultures vient en dernier dans la liste des valeurs les plus importantes dans l’éducation des enfants en Egypte, au Liban, au Maroc et en Syrie tandis que la curiosité arrive dernière en Turquie (graphique 2). Le modèle de disparité en fonction des variables démographiques (âge, sexe, lieu de résidence, niveau d’éducation et catégorie socioprofessionnelle) diffère selon les pays. Les croyances religieuses sont considérées comme la valeur la plus importante sur laquelle les parents insistent dans tous les groupes sociaux en Egypte, au Liban et au Maroc. En Syrie, l’obéissance apparaît comme la valeur la plus importante chez les hommes, les répondants les plus âgés Egypte Liban Maroc Syrie Turquie CR O SF RAC C I C: Curiosité, O: Obéissance, CR: Croyances Religieuses, I: Indépendance, SF: Solidarité Familiale et RAC: Respect des Autres Cultures. Base: % de l’ensemble des répondants. Tableau conçu par M. Osman sur la base de l’enquête Anna Lindh/Gallup 2010. CR: Croyances Religieuses, O: Obéissance, SF: Solidarité Familiale, RAC: Respect des Autres Cultures, C: Curiosité et I: Indépendance. Ecart de valeurs concernant l’éducation des enfants entre les parents européens et la parents des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Base: % de l’ensemble des répondants. Tableau conçu par M. Osman sur la base de l’enquête Anna Lindh/Gallup 2010. qui travaillent comme employés et les habitants de banlieues de grandes villes. En Turquie, les répondants les plus instruits et les étudiants ont mis davantage l’accent sur la solidarité familiale. Lorsque les sondés des cinq pays ont été interrogés sur les valeurs importantes pour les parents qui élèvent des enfants dans les sociétés du Sud et de l’Est de la Méditerranée, ils ont unanimement positionné les croyances religieuses en tête. L’obéissance suit les croyances religieuses en Egypte, au Liban, au Maroc et en Syrie. En Turquie, la deuxième valeur la plus répandue est la solidarité familiale. Une comparaison entre les résultats de la valeur considérée comme la plus importante pour le répondant lui-même et celle qu’il croit être la plus importante dans les sociétés du Sud et de l’Est de la Méditerranée indique que la valeur primordiale est la croyance religieuse dans les deux cas. Toutefois, l’importance de cette valeur à titre personnel est significativement plus faible pour les répondants de Turquie (40% contre 50%), de Syrie (32% contre 38%) et du Liban (40% contre 45 %). Une tendance inverse a été constatée en Egypte. Le pourcentage des Egyptiens qui ont déclaré que les croyances religieuses étaient la valeur la plus importante dans l’éducation de leurs propres enfants était plus élevé que le pourcentage de ceux qui ont affirmé qu’elles représentaient la valeur la plus importante dans les sociétés du Sud et de l’Est de la Méditerranée (51% contre 38%). Cette différence, inexistante au Maroc, suggère que les Egyptiens se perçoivent comme plus attachés aux croyances religieuses dans l’éducation de leurs enfants que les membres d’autres sociétés voisines. Cet état d’esprit est inverse au Liban, en Syrie et en Turquie. Lorsqu’on les a interrogés sur la valeur que les parents européens considèrent comme la plus importante dans l’éducation de leurs enfants, la plus grande partie des répondants du Liban, du Maroc et de Syrie ont identifié l’indépendance (57%, 37% et 35% respectivement). Un quart de plus des répondants des trois pays ont cité la curiosité comme la Suède - Publication pour l’apprentissage de la langue arabe Basée sur une collecte de matériaux de cours, la publication «Elifboken» encourage les jeunes non-arabophones à apprendre la langue arabe. Le livre est une initiative de l’ONG suédoise Mekteb qui vise à aider la deuxième génération d’immigrés à développer leur propre identité suédoise musulmane à travers l’organisation de cours de langue arabe et de lecture du Coran avec des groupes mixtes d’étudiants suédois et internationaux. En utilisant différents exercices didactiques, ils enseignent aux jeunes dans leurs collectivités des règles de grammaire générale et, grâce à la publication Elifboken, les étudiants accroissent également leur compréhension des autres langues ce qui peut être un avantage pour leur parcours professionnel. En outre, le module de formation lié à l’écriture arabe est destiné à élargir les perspectives des participants sur le monde extérieur et sur d’autres cultures, et à développer leur capacité globale de communication. L’initiative ayant été développée dans le cadre de l’initiative «Restaurer la confiance, Reconstruire des ponts», les organisateurs ont étudié la possibilité que l’approche méthodologique de l’ouvrage puisse être mise en œuvre au niveau européen. www.swedishmekteb.se Le Rapport Anna Lindh 2010 69 Le présent article analyse une série de questions liées à la perception d’un échantillon de personnes interrogées provenant de cinq pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, à savoir l’Egypte, le Liban, le Maroc, la Syrie et la Turquie. Les questions sont liées aux valeurs sur lesquelles les parents insistent dans l’éducation de leurs enfants. Six valeurs (curiosité, obéissance, croyances religieuses, indépendance, respect des autres cultures et solidarité familiale) sont énumérées et les sondés ont été invités à identifier la plus importante et la deuxième plus importante pour eux personnellement, pour les sociétés des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée et pour les sociétés européennes. 1ère 2ème 1ère 2ème 1ère 2ème 1ère 2ème 1ère 2ème LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 68 L’enquête Anna Lindh/Gallup pointe les différences de perceptions entre les populations des deux rives de la Méditerranée au sujet des valeurs fondamentales dans l’éducation des enfants. Magued Osman analyse de plus près le rapport des sociétés du Sud et de l’Est de la Méditerranée à cette question, en particulier s’agissant des croyances religieuses, de la solidarité familiale et de l’obéissance. Dans cette perspective, il cherche à comprendre s’il existe une vérité absolue sur ce qui est bon ou mal, ou si les choses sont relatives, en fonction des circonstances. Une autre question a été posée sur l’opinion des répondants concernant l’existence d’une vérité absolue sur ce qui est bon ou mauvais ou si les choses sont relatives et dépendent des circonstances. Une grande majorité de Marocains (90%) dit que la vérité est absolue. On assiste à la même tendance en Egypte, où 74% des interrogés sont d’accord pour dire que la vérité est absolue. Un pourcentage plus faible d’absolutisme a été observé en Syrie (65%) et au Liban (62%). Les opinions des répondants turcs envers une vérité absolue sont très différentes. Une majorité des Turcs interrogés (71%) croient que la vérité est relative et que décider de ce qui est bon ou mauvais dépend des circonstances. La conviction d’une vérité absolue diffère selon les caractéristiques démographiques, notamment l’âge et le lieu de résidence. Le pourcentage des répondants qui déclarent que la vérité est absolue augmente avec l’âge. En Syrie, le pourcentage était, chez les plus La valeur de l’absolutisme peut être un facteur déterminant pour les valeurs adoptées pour élever des enfants. Une association négative est suggérée entre la croyance en une vérité absolue et la valeur «respect des autres cultures». Considérer la croyance en une vérité absolue comme une variable dans l’explication du respect des autres cultures peut avoir une implication dans la politique de modification des attitudes à travers l’éducation et les programmes médiatiques. MICHELE CAPASSO Dans le dialogue entre les cultures, la relation entre Islam et Occident est fondamentale. L’Islam est un dénominateur commun par lequel on entend représenter tout le monde musulman malgré sa diversité : un concept générique, dans lequel l’imaginaire historique occidental fait converger plusieurs inconscients sous-entendus. Ce terme indique une «société dans laquelle l’Etat est l’autorité et où la vie civile est réglée par les normes religieuses dictées par le Coran». Mais la Modernité aussi est un dénominateur commun, indiquant une «société fondée sur le droit humain et non pas sur le droit divin, sur l’égalité juridique et sur l’égalité d’accès aux positions de représentation politique». Tout comme l’Islam est la représentation statique d’une réalité différenciée et dynamique, de même la Modernité est l’abstraction statique de réalités diversifiées et en devenir. Voilà pourquoi la Modernité ne s’identifie pas avec l’Occident et avec l’Europe d’aujourd’hui. C’est un projet de société qui est né en Europe à l’époque des Lumières et s’est développé pendant la période du Positivisme, et ses principes basilaires sont indispensables pour la complexité de la vie moderne, qui a apporté partout des changements aux structures qui étaient appropriées aux manières de vivre du passé. Si le monde de l’Islam doit faire face aux problèmes découlant de l’absence de Modernité – entendue comme affirmation du droit individuel et de la démocratie – l’Occident souffre d’un excès de modernité. Vitesse, rationalité, délocalisation de la production, absence de solidarité, anomie des contextes collectifs, manque d’un «sens de vie» chez les jeunes : voilà les nouveaux problèmes d’une société qui se définit comme post-moderne. MAGUED OSMAN est Président du Centre d’information et d’aide à la décision du Cabinet des ministres égyptiens. Espagne - Publication trimestrielle sur les cultures méditerranéennes Dans le but de contribuer à la recherche et aux études sur la Méditerranée, «Quaderns de la Mediterrània» est une publication dont le but est de donner un aperçu des questions contemporaines dans toute la région. Publiée sur une base trimestrielle par l’Institut de la Méditerranée (IEMed), basé à Barcelone, la revue aborde les sujets d’actualité des deux rives de la Méditerranée tels que les perceptions mutuelles, les médias, les migrations, les valeurs en mouvement et les fonctionnements sociologique, économique et politique des peuples. Chaque numéro de «Quaderns» contient un dossier central qui aborde un sujet clé, ainsi qu’une série d’articles sur l’actualité, un recueil de documentations sur les aspects culturels, anthropologiques et sociologiques, une sélection de ressources Internet et une section de critique littéraire. De cette façon, la publication, qui a fonctionné avec succès depuis son lancement en 2000, contribue au débat et à la discussion sur les questions de dialogue interculturel et sur l’avenir des sociétés méditerranéennes. www.iemed.org Le Rapport Anna Lindh 2010 Islam, Occident et Modernité Le problème «Islam et Modernité» n’est donc pas l’opposition de deux antagonismes mais un problème à trois termes : l’Islam, l’Occident et la Modernité. Deux réalités historiques et une aire critique commune; une situation problématique où chacun voit l’expression de son propre défaut dans l’œil de l’autre; un univers partagé où les logiques du grand capital mondial rendent l’Occident européen et la Méditerranée périphériques par rapport aux lieux de gouvernement. Si cette question est posée en deux termes, elle mène à une politique d’opposition, mais si les termes sont trois, elle demande une politique de solidarité pour avancer ensemble dans une évolution parallèle et d’un commun accord vers un but partagé, même si le point de départ est différent, comme sont différentes les distances jusqu’au but et les objectifs. La Méditerranée, l’Europe et les pays de culture arabo-musulmane ont un intérêt vital à suivre un chemin autre que celui suivi jusqu’à présent. Il ne faut pas oublier que la civilisation européenne a une grande dette à l’égard de l’Islam, car l’Europe occidentale doit, en large partie, son réveil à la civilisation islamique. Le moment est arrivé de payer cette dette, mais souvent la Modernité n’est pas offerte à l’Islam dans des formes promouvant son égalité, mais plutôt à travers des structures visant à exprimer sa soumission. Le défi qui nous attend est de construire une «coalition de valeurs et d’intérêts partagés» en évitant que la modernité homologue et aplatisse les différentes identités culturelles : une grande ressource pour l’Islam et pour l’Occident. MICHELE CAPASSO est Président de la Fondazione Mediterraneo. Le Rapport Anna Lindh 2010 71 L’écart entre la carte des valeurs des sociétés européennes et des sociétés du Sud et de l’Est de la Méditerranée est évident en ce qui concerne l’éducation des enfants. Cet écart est calculé, pour chacune des six valeurs, par la différence entre la part des répondants qui déclarent que cette valeur est la plus importante dans les sociétés des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée et la part des répondants qui considèrent cette valeur comme la plus importante dans les sociétés européennes. On trouve les écarts les plus nets pour les valeurs «croyances religieuses» et «indépendance», les croyances religieuses étant perçues comme moins fondamentales en Europe, à l’opposé de l’indépendance. Pour comparer l’ampleur de l’écart culturel dans chaque pays, la somme des différences absolues a été calculée. Les résultats montrent un écart plus significatif au Liban (149) suivi par le Maroc (106), la Syrie (97), l’Egypte (72) et la Turquie (61). Les résultats des données recueillies dans les sociétés européennes indiquent que les parents vivant en Europe ont une préférence pour des valeurs comme la solidarité familiale et le respect des autres cultures dans l’éducation de leurs enfants. L’avis des personnes interrogées dans les cinq pays ne reflète pas une carte similaire des valeurs des sociétés européennes. Cette discordance illustre l’écart de perception entre les pays européens et les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée (graphique 3). jeunes (15 à 29 ans), de 58,9%, mais de 83% chez les plus âgés (65ans et plus). Les répondants retraités au Liban et en Turquie sont les plus enclins à affirmer que la vérité est absolue. Les habitants des zones rurales au Liban et en Syrie ainsi que les résidents des banlieues des grandes villes au Maroc et en Turquie sont en faveur de la vérité absolue. En Egypte, l’écart se situe entre les habitants des petites ou moyennes villes et les habitants des grandes villes, où 57% contre 79% des personnes interrogées considèrent la vérité comme absolue. Les étudiants du Liban, de Syrie et de Turquie sont moins conservateurs que la population générale avec un pourcentage moindre de réponses déclarant la vérité comme absolue. Le pourcentage est près de six points inférieur au pourcentage relatif à la société dans son ensemble (56,5% au Liban, 58,2% en Syrie et 22,9% en Turquie). Une autre preuve de l’impact de l’éducation est illustrée par le pourcentage significativement plus élevé de répondants turcs n’ayant reçu aucune instruction qui disent que la vérité est absolue. LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 70 valeur la plus importante. En Turquie, la plus forte proportion des personnes interrogées a identifié l’indépendance (38%), suivie par les croyances religieuses (21%) tandis qu’en Égypte la curiosité était la plus mentionnée (40%), suivie par l’indépendance (23%). THIERRY FABRE LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 72 Pour Thierry Fabre, la dimension culturelle des relations euro-méditerranéennes a été singulièrement marginalisée, et on ne lui a pas accordé la place qu’elle mérite. Il reste nécessaire de reconnaître les héritages communs à partir desquels la région s’est construite et de promouvoir et défendre la culture dans la vie quotidienne, à travers la gastronomie, le design ou l’architecture. L’auteur encourage la circulation des œuvres et des artistes pour favoriser l’interconnaissance entre les peuples et les sociétés. Comme le soulignait si justement Camus dans ses Carnets : «Poser la question du monde absurde, c’est demander : “ Allons-nous accepter le désespoir, sans rien faire ? ” Je suppose que personne d’honnête ne peut répondre oui.» Nous en sommes toujours là aujourd’hui. Un élan reste possible et nous pouvons inventer un avenir commun entre Méditerranée et Europe. Au vu des résultats produits par l’enquête Gallup auprès des sociétés européennes et méditerranéennes sur leurs représentations mutuelles, il serait absurde et vraiment pas «honnête», comme le soulignait Camus, de désespérer. Il reste un avenir à inventer et à construire dans les relations entre Méditerranée et Europe, et singulièrement au plan des relations culturelles, là où peut être institué un monde de significations communes. Il s’agit justement de leur donner forme, de leur donner sens et consistance. Là est la véritable raison d’être de la Fondation Anna Lindh : placer la culture au cœur des relations entre Méditerranée et Europe. Nous en sommes toutefois encore bien loin aujourd’hui, quinze ans après le lancement du processus de Barcelone et deux ans après le sommet de Paris qui a fait naître l’Union pour la Méditerranée. La dimension culturelle a été jusqu’alors réellement marginalisée dans les relations euroméditerranéennes. La Fondation Anna Lindh peut être et veut être un acteur qui compte sur la scène des relations culturelles internationales. C’est en essayant d’imaginer ce qu’elle sera qu’elle pourra devenir pleinement ce qu’elle est, ou doit être ! A partir de quels terrains, selon quelles priorités et au nom de quel projet ? Comment peutelle contribuer à mettre la culture au coeur des relations entre Méditerranée et Europe ? Il existe trois strates, au moins, qui peuvent être distinguées dans le champ culturel : les mémoires, les manières de faire et les œuvres (ou produits de la création intellectuelle et artistique). Ces trois strates ne sont pas isolées, elles sont poreuses, en interactions permanentes les unes avec les autres, mais elles peuvent néanmoins être distinguées pour tenter d’imaginer un horizon, esquisser une stratégie à l’échelle des relations culturelles entre Méditerranée et Europe et ainsi tenter de définir un projet d’avenir dont la Fondation Anna Lindh pourrait être le moteur.. Le Rapport Anna Lindh 2010 Vers une politique de la reconnaissance «En Méditerranée, on n’oublie rien...» Cet adage pourrait servir de boussole pour imaginer l’avenir. Il ne s’agit pas, ici, de recenser la multiplicité des conflits de mémoires qui travaillent le monde méditerranéen, la liste serait trop longue et l’exercice vain. L’idée est d’esquisser plutôt deux grandes orientations stratégiques autour desquelles bâtir une politique de la reconnaissance. Longtemps le monde méditerranéen a été profondément divisé par des discours qui opposaient les grands héritages culturels : gréco-latin contre judéo-arabe, Athènes et Rome contre Jérusalem et Cordoue. Ce vieil antagonisme se perpétue et il continue à légitimer des oppositions frontales. Au nom de ces discours exclusifs il n’existerait pas de monde commun en Méditerranée. Il y a «Eux» et «Nous» et rien entre... Les sources grecques et latines, juives et arabes ne seraient pas susceptibles de s’entremêler, comme pourtant cela n’a pas cessé de s’accomplir à travers l’histoire. Une reconnaissance de ces généalogies plurielles, de ces liens tissés entre ces grands héritages du passé est une base indispensable pour construire l’avenir. Loin des dénis qui sont volontiers pratiqués pour séparer et opposer, véritables ruptures dans la transmission, il s’agit d’encourager des initiatives et des projets fondés sur cette reconnaissance. C’est un premier travail de mémoire indispensable, un fondement à partir duquel il est possible d’assembler les fragments qui composent la diversité du monde méditerranéen. De la reconnaissance des généalogies et des filiations entre les grands héritages culturels dépend la sortie du face à face entre «Eux» et «Nous». Il s’agit de se donner les moyens d’associer les grandes capitales symboliques, Athènes et Rome, Jérusalem et Cordoue, qui fondent les relations entre les ensembles méditerranéen et européen. La deuxième grande priorité est de ne plus se détourner des «nœuds de mémoire», là où le passé ne passe pas, mais au contraire de s’y pencher avec la plus grande attention. Le déni des mémoires blessées fomente les conflits à venir. «On ne se débarrasse pas des morts, on n’en a jamais fini avec eux» observait le philosophe Paul Ricœur qui opposait fort justement au «devoir de mémoire» un «devoir d’histoire». Il existe en effet un immense besoin de Vers un style de vie méditerranéen Le terrain de la culture au quotidien, des manières de faire, des lieux et des formes à partir desquels se dessinent un style de vie méditerranéen du XXIe siècle, est sans doute un autre champ d’intervention prioritaire, notamment pour la Fondation Anna Lindh. Ce terrain culturel est d’autant plus significatif qu’il est susceptible de toucher en profondeur de très larges couches de populations et donc de ne pas simplement s’adresser aux élites. Il existe une alternative à l’american way of life, dont la planète ne pourra d’ailleurs pas supporter bien longtemps les conséquences. Au lieu d’être sur la défensive, dans une logique perpétuelle de rattrapage et comme pris en défaut par la modernité occidentale, le monde méditerranéen devrait bien tranquillement défendre ses valeurs et son style de vie. Le terrain alimentaire en est un excellent exemple. Le «régime méditerranéen» a fait ses preuves, jusqu’aux Etats-Unis d’ailleurs, sur la santé publique. Alors que dans les sociétés occidentales les phénomènes d’obésité ne cessent de progresser, notamment parmi les jeunes générations, il est possible de trouver un tout autre équilibre alimentaire. Le fast food, désastreux pour les corps et pour le mode de vivre ensemble, pourrait très bien être supplanté par le slow food. Ce mouvement, lancé en Italie par Carlo Petrini, donne une idée de ce qui pourrait être entrepris à l’échelle de la Méditerranée et de l’Europe, du Nord comme du Sud. Prendre toute la dimension culturelle de ces questions alimentaires, et donc de mode de vie, serait un champ d’action original et porteur d’avenir pour la Fondation Anna Lindh . Cela permettrait, en fin de compte, de renouer avec une grande tradition philosophique, venue du monde méditerranéen, la philosophie comme savoir vivre, comme inspiratrice d’une manière de vivre. Il y a tant à faire à ce sujet dans les relations entre sociétés d’Europe et de Méditerranée. L’accélération est sans doute le phénomène qui caractérise le mieux la modernité occidentale «Nous n’avons pas le temps, alors même que nous en gagnons toujours plus.» (Rosa, 2010) Un savoir vivre méditerranéen du XXIe siècle pourrait être, dans les gestes du quotidien, une façon de reprendre en main notre rapport au temps. «La condition urbaine», soit l’art d’habiter des lieux et de ne pas simplement se laisser traverser par des flux – flux de la mondialisation, flux d’information, flux financiers, flux commerciaux, etc. – est un autre terrain fertile dans lequel le monde méditerranéen, héritier de l’art de faire Cité, la polis, a toujours beaucoup à nous apprendre pour aujourd’hui et pour demain. Le design et l’architecture sont des terrains majeurs de la culture où se fabriquent nos manières de faire et de vivre du XXIe siècle. Pourquoi ne pas investir ce terrain-là ? Coaliser des acteurs de l’urbain et des créateurs pour tenter de donner un autre visage aux villes et aux cités, de plus en plus défigurées par un urbanisme irresponsable. La tâche est immense bien sûr, mais il s’agit de commencer par donner une impulsion, de pensée et de culture, pour faire se rencontrer ceux qui ne se rencontrent pas car tous ces métiers sont dispersés et ces savoirs parcellisés. La Fondation Anna Lindh pourrait être un ensemblier, un dispositif qui encourage des rencontres fertiles entre des acteurs de l’urbain et des artistes, des designers et des architectes, tous ceux qui sont amenés à imaginer la ville de demain. La Fondation Anna Lindh pourrait ainsi devenir un lieu qui encourage l’affirmation d’un style de vie méditerranéen du XXIe siècle. Il ne s’agit bien entendu pas de s’enfermer dans un monde exclusif et encore moins de se replier sur une entité géographique, fût-elle méditerranéenne ! L’horizon est plutôt d’encourager des valeurs, des manières de faire ou de vivre que chacun pourrait s’approprier et qui d’ailleurs vagabondent volontiers sur les routes du monde, dans le sillage des diasporas et de l’internationale des imaginaires... Vers une politique de l’interconnaissance La strate des œuvres, des produits de la création intellectuelle et artistique, est celle qui semble la plus évidente pour une grande institution culturelle internationale. Autour de quelles priorités ? L’objectif premier, me semble t-il, est d’encourager la circulation des œuvres, et donc des auteurs, des artistes, entre Méditerranée et Europe. Les terrains pourraient être très nombreux et diversifiés, Palestine - Étude sur les communautés en situation de post-conflit Le projet qui a duré de novembre 2009 à juillet 2010 a consisté en une recherche conjointe entre l’Autriche et la Palestine sur la mitigation post-conflit à travers une étude comparative, suivie par une grande conférence organisée à Gaza sur les résultats de la recherche. L’objectif de cette initiative de l’Institut Civitas était d’enrichir l’expérience palestinienne dans le domaine de la réponse humaine à la transformation sociale dans les zones de conflit par la production d’une importante étude de recherche pionnière, en concevant un programme de formation sur la résolution et la transformation des conflits, et sur la consolidation de la paix au sein de la communauté. Un cours de formation a été réalisé pour 20 étudiants de l’Université islamique et de l’Université Al-Azhar incluant des ateliers techniques. En même temps, 1 500 exemplaires du livret du projet ont été publiés contenant les résultats de la recherche. Les élèves ont tenu 40 débats et des cercles de discussions chez les Palestiniens de 40 organisations non-gouvernementales dans la bande de Gaza. En outre, deux émissions de radio ont été réalisées sur le sujet. En raison du succès de ce modèle, des coopérations avec de nouveaux partenaires sont prévues. www.annalindhreport.org/goodpractice/postoconflictstudies Le Rapport Anna Lindh 2010 73 La culture au cœur des relations entre Méditerranée et Europe savoir, face à tous les silences volontiers entretenus. Une politique active de reconnaissance de ce qui est advenu et un travail de mémoire, encouragé par de grands lieux culturels tout autour de la Méditerranée, en lien avec la Fondation Anna Lindh, est une priorité, notamment pour les jeunes générations qui ont besoin de repères et qui aspirent à sortir des conflits du passé pour inventer l’avenir. S’orienter vers une politique de reconnaissance, sur le terrain des mémoires, est sans doute une des priorités pour mettre la culture au cœur des relations entre Méditerranée et Europe. LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 VISION POUR LA MÉDITERRANÉE On assiste à l’émergence de scènes musicales urbaines contemporaines, à Istanbul comme à Casablanca, à Beyrouth, à Marseille, à Essaouira ou à Berlin. Ces nouveaux lieux comme ces nouvelles expressions musicales touchent l’immense public des jeunes générations qui composent la majorité des populations du pourtour de la Méditerranée. Ces scènes musicales urbaines contemporaines sont d’ores et déjà en contact, mais il serait plus fertile de mieux les connecter, d’encourager les dispositifs qui leur permettraient de mieux travailler ensemble. «Les inventions d’inconnu réclament des formes nouvelles», l’esprit frappeur d’Arthur Rimbaud ouvre le chemin aux jeunes artistes du monde méditerranéen, en quête d’une vie nouvelle. Il s’agit de rendre possibles ces recherches et d’accompagner l’avènement de ces formes nouvelles, notamment sur le plan musical. Favoriser une Méditerranée du XXIe siècle qui choisit le goût de la vie contre le goût de la mort, une Méditerranée vivante et créatrice face à tous les immobilismes. C’est cette Méditerranée-là, volontiers reliée à l’Europe, qu’il s’agit d’encourager. Les scènes musicales urbaines contemporaines en sont le théâtre, il convient désormais de mieux relier les acteurs. MARTIN ROSE L’écart parfois sulfureux qui s’ouvre entre les Européens musulmans et les Européens d’autres religions et cultures est un défi sérieux pour les praticiens des relations culturelles. Nourrie de l’impact des événements politiques, économiques et internationaux et de la volonté délibérée d’activistes cyniques de l’attiser de part et d’autre, la tension croissante (dont le référendum suisse est l’exemple le plus récent) devient plus vive. Ce n’est pas une situation qu’un continent civilisé peut, ou devrait tolérer. Après une vaste consultation auprès de musulmans d’Europe, et des rives Nord et Sud de la Méditerranée, le British Council a lancé son projet Our Shared Europe – «Notre Europe partagée». Il s’agit d’une tentative sur un large front de démontrer que «les musulmans sont une partie intégrante du passé, de présent et de l’avenir de l’Europe». Il vise à développer et à défendre le sens imaginatif et généreux des mots «nous», «à nous» et «notre», qui sont vitaux pour la société civilisée. Surtout, il reconnaît que ce n’est pas seulement une question de justice, d’équité et de décence. L’incapacité à bien gérer les attaques souvent délibérées et méchantes (bien que quelquefois simplement dues à la négligence et à l’ignorance) contre la culture et les peuples de l’Europe d’aujourd’hui, met en danger l’ensemble de la société libérale occidentale. Les attaques viennent de la droite nativiste tout autant que des côtes plus sauvages de l’Islamisme. Ainsi, le British Council a réuni un certain nombre de domaines dans lesquels il a une grande expérience – l’éducation, les arts, les échanges de jeunes, les expositions, le web et l’organisation de débats sérieux – pour toucher un large public sur cette question cruciale. Un programme de débats a commencé au sein du Parlement européen et se déplace vers d’autres villes européennes, incluant un débat diffusé dans le monde entier en mars 2010. Une recherche sur la consommation des médias des Européens musulmans et sur les obstacles à la participation des musulmans dans les échanges de jeunes est déjà en cours; de même que la première étape d’un travail éducatif multi-pays et la production de matériel audiovisuel. De nombreuses autres réalisations sont à venir. THIERRY FABRE est chercheur et auteur de nombreux essais. Il est chargé de la programmation du Musée des Civilisations d’Europe et de Méditerranée à Marseille. Portugal - Livre sur des idées pour le dialogue Paru pour la première fois en mai 2007, le concept de la publication est de fournir «quarante-quatre idées» pour que le dialogue et la diversité puissent être appliqués et encouragés dans la vie quotidienne des gens. Que ce soit pour les citoyens ou les professionnels, pour les mères ou les pères, une série d’idées simples sont présentées qui pourraient être recréées et adaptées à la réalité des gens dans leurs communautés. La publication, une initiative d’ACIDI, contient également une section pédagogique intitulée «Le saviez-vous ?», qui fournit des informations sur les 174 nationalités qui coexistent au Portugal et des données de base sur un certain nombre de communautés religieuses et les dates importantes pour elles. De plus, il y a des informations sur les services d’aide aux immigrants, les institutions offrant des cours de langue et de culture gratuits pour les étrangers, et sur les accords spécifiques adoptés au sein de l’Union européenne concernant la protection des droits des immigrants et des minorités ethniques. L’approche globale consiste à s’assurer que les idées et les ressources sont présentées d’une manière intéressante pour le lecteur et la plus simple possible à mettre en pratique. www.entreculturas.pt Le Rapport Anna Lindh 2010 Notre Europe partagée Il s’agit d’un projet de partenariat, et il ne fonctionnera bien que s’il agit comme un aimant pour les nombreuses organisations et personnes qui travaillent dans le même secteur. Nous cherchons des partenariats de tout genre avec ceux qui sont engagés dans le même projet d’une Europe civilisée dans laquelle on ne doit faire sentir à aucune foi et à aucun groupe ethnique qu’il n’en fait pas partie. Avant tout, Our Shared Europe signifie ce qu’il indique : l’Europe ne doit pas être le terrain de jeu des politiciens nativistes, des commentateurs américains, et des musulmans culturellement introvertis. Elle est la maison commune des peuples des deux côtés de la Méditerranée, et de beaucoup plus loin. Nous la partageons, et nous sommes fiers de la partager. Le passé de l’Europe n’est pas le passé à court terme de la tradition téléologique européenne: il est une partie de l’histoire de l’humanité, et il doit le rester. La même chose est encore plus vraie de notre avenir commun. MARTIN ROSE est Directeur national du British Council au Maroc. Il est l’ancien responsable du projet Our Shared Europe du British Council. Le Rapport Anna Lindh 2010 75 Umberto Eco, dans une belle formule, avait souligné que «la langue de l’Europe, c’est la traduction». On peut dire, tout aussi clairement, «la langue de la Méditerranée, c’est la traduction !», c’est une possible langue commune, un nouveau type de lingua franca dans les relations entre Méditerranée et Europe. Faire circuler de la pensée et de la littérature, à partir d’une vaste et raisonnée initiative de traduction, fondée sur la réciprocité et inscrite dans une perspective multilatérale, est un enjeu capital. On touche là aux fondements, aux références partagées qui peuvent faire trace et qui ne sont pas dans le simple flux de relations culturelles éphémères. Une politique de l’interconnaissance, fondée sur la traduction, est une priorité stratégique. Cela va de la littérature pour enfants à de la pensée philosophique et critique, l’éventail est très large et les priorités des œuvres à traduire sont à définir en commun, à partir d’une bonne connaissance de l’existant. Une sorte d’Internationale de la traduction pourrait ainsi voir le jour, impulsée par la Fondation Anna Lindh . Une pollinisation de la culture et de la pensée, loin des replis identitaires, des rejets et des peurs qui prolifèrent aujourd’hui, pourrait naître à partir d’une telle initiative, qui a d’ailleurs commencé avec le projet «Traduire en Méditerranée». La circulation des œuvres ne peut pas simplement être virtuelle. Elle suppose la circulation des hommes et des femmes de la Méditerranée, la circulation des artistes pour inventer des projets communs. Les dispositifs numériques permettent, il est vrai, de réelles connexions et favorisent des hybridations culturelles. Mais rien ne vaut la rencontre, de personne à personne. Rien ne vaut l’art vivant, l’interconnaissance qui naît d’un travail en commun, ce qui suppose que les artistes puissent se déplacer. Nous en sommes très loin aujourd’hui, de plus en plus enfermés dans la «citadelle Europe», qui a peur de ses voisins du Sud et qui donc entrave la circulation des personnes. La Fondation Anna Lindh a un rôle majeur à jouer pour favoriser notamment la mobilité des artistes, pour rendre possible des rencontres intellectuelles et artistiques, pour aider à la traversée des frontières, du Sud vers le Nord, sans doute, mais aussi entre pays du Sud, où les frontières sont également dressées. Une politique de l’interconnaissance, qui favorise la circulation des œuvres et des artistes, est une priorité pour un projet d’avenir de la Fondation Anna Lindh . Sa crédibilité tiendra, pour une large part, dans sa capacité à rendre possibles de telles mobilités. LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 74 je n’en indiquerai ici que trois qui me semblent prioritaires pour l’avenir. ANAT LAPIDOT-FIRILLA LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 76 Ces quinze dernières années ont été marquées par un intérêt croissant pour la Méditerranée, à travers des tentatives politives de coopération régionale. Pourtant, selon Anat Lapidot, il n’y a a pas de consensus sur le fait qu’une «catégorie Méditerranée» soit nécessaire, et les cartes cognitives sont fabriquées, elles ne sont ni inhérentes ni naturelles. Anat Lapidot analyse l’évolution historique de cette identité régionale, avançant que les images coloniales du passé doivent désormais laisser la place à une vision partagée qui permette aux peuples des rives Sud et Est de se représenter eux-mêmes. Après des années de déclin culturel et politique, la Méditerranée, longtemps ignorée en tant que centre unificateur, est, une fois de plus, l’objet de discussions et de projets culturels et politiques. Le processus de Barcelone de 1995, la coopération entre l’Europe et la Méditerranée, et la création récente de l’Union pour la Méditerranée, ont adopté et redéfini la Méditerranée comme un concept historiographique, un ciment idéologique fédérateur et un programme économique, politique et culturel. Comme souligné par les chercheurs, il est difficile de déterminer avec certitude si la région méditerranéenne a jamais eu une histoire commune et une même culture au fil du temps. Les nations qui bordent ses rives ne partagent pas des traditions similaires, la même langue ou la même structure de gouvernance. Ce sont les Européens qui, au cours des XVIIIe et XIXe siècles, ont formé l’idée d’une Méditerranée vue comme une image romantique et idéale d’un lieu où des personnes de différentes religions peuvent vivre côte à côte, un lieu de tolérance, d’échanges commerciaux sûrs et de multiculturalisme. Une serre pour la symbiose culturelle entre les religions et les cultures le long de la rive méditerranéenne, de l’Andalousie à Istanbul dans le Nord-Est et à Alexandrie dans le Sud-Est. La Méditerranée dans les études historiques Des travaux géographiques et historiques écrits en Europe, principalement en Allemagne et en France, mais aussi de l’autre côté de l’océan Atlantique, ont placé la Méditerranée à la pointe de la recherche historique et géographique en soulignant les points communs entre les sociétés et les cultures dans la région. Les approches ethno-géographiques en Europe qui ont reçu une validation à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle aux États-Unis, ont rapidement été mondialement placées au centre des connaissances académiques avec des idées déterministes développées par des géographes tels que Ellen Churchill Semple (1863-1932) et le climatologue Huntington Ellsworth (1876-1947). Il n’y avait pas de distinction entre Espagnols, Grecs ou Turcs. Les gens de la Méditerranée étaient considérés comme ayant des institutions sociales primitives et féodales. Ils étaient une menace – comme les Wisigoths l’étaient pour les Romains. Ces conceptions se sont reflétées dans les attitudes historiques, dans les images formatives, dans les Le Rapport Anna Lindh 2010 visions du monde religieux et le travail missionnaire, dans les salons du tourisme et même dans les politiques de reboisement. En outre, l’image de la Méditerranée a été constamment façonnée et diffusée par la puissante industrie du film d’Hollywood. De Cléopâtre et Ben Hur à Shirley Valentine et Midnight Express, des films percutants ont réinventé la romantique mais primitive Méditerranée. Aux attitudes géographiques et sociologiques des deux côtés de l’Atlantique, nous devons également ajouter la contribution des historiens européens à la création de la conscience de la Méditerranée. Les plus éminents d’entre eux ont été Henri Pirenne (1862-1935), l’historien allemand Shelomo Dov Goitein et l’historien français Fernand Braudel (1902-1985), de l’école des Annales, qui a créé un modèle global total qui lie la société de l’homme à son espace physique géographique. Malgré les nombreuses critiques de leur travail, personne ne conteste que leurs publications ont contribué à positionner la Méditerranée comme une unité distincte historique et géographique imaginaire. Les autres personnes qui ont contribué à la création de la Méditerranée en tant que concept organisateur étaient des intellectuels de ses côtes Nord et Sud. Parmi eux, Albert Camus (1913-1960), l’auteur franco-algérien qui a tenté de décrire un espace méditerranéen distinct cosmopolite laïc, un lieu de rencontre pour les commerçants, les artistes et les touristes du monde entier. Toutefois, Camus était une exception dans le paysage intellectuel régional. Le concept de Méditerranée n’a pas reçu beaucoup de soutien le long des côtes orientales et méridionales – ni au Liban ni en Syrie, en Turquie, en Egypte ni même en Israël. Dans ces pays, l’idée a été marginalisée, traitée comme un simple cadre régional et non comme une partie des forces qui façonnent l’identité culturelle. La plupart des intellectuels d’Egypte se considéraient comme faisant partie d’autres cercles identitaires : africain, musulman et arabe. L’écrivain juif tunisien Albert Memmi, a fait valoir que la Méditerranée est toujours décrite avec de généreuses poignées de clichés et a mis en garde les rêveurs de méditerranéisme, menacés de devenir des piliers de sel. Une exception peut être trouvée dans les écrits de Taha Hussein et son célèbre essai intitulé L’Avenir de la culture en Egypte (Mustaqbal Al-Thaqafa fi Masr, 1938), dans lequel il tentait de lier les Egyptiens Associations avec la région dans la deuxième partie du XXe siècle Après la Seconde Guerre mondiale, il y a eu des tentatives pour relancer le discours sur la Méditerranée comme un espace stratégique, peut-être en réponse au défi américain. Cependant, la mer est rapidement devenue rien de plus qu’un lac américain dans plus d’un sens. Tout au long de la guerre froide, l’Est et l’Ouest ont été considérés comme correspondant à des valeurs différentes. La Méditerranée n’était pas reconnue comme un lieu unique, ni stratégiquement, ni culturellement. De plus, la recherche de la généralisation et des modèles a succédé à l’étude des régions. Toutefois, l’effondrement de l’URSS a alimenté des processus mondiaux et régionaux socio-culturels et économiques, qui ont ravivé l’intérêt politique et social dans la région, ainsi que l’intérêt pour la culture, en tant que sous-produit. La Méditerranée, après des années de discours nationaliste hégémonique, est redevenue un centre d’intérêt. Bien que les raisons motivant ce nouveau discours aient principalement été politiques et souvent accompagnées de craintes, ce dernier a conduit à un nouveau débat sur les concepts de base tels que l’existence de traditions judéo-chrétienne ou judéoislamique. La démonstration claire de l’intérêt nouveau pour la Méditerranée a été la création de programmes d’études dans diverses universités à travers l’Europe ainsi que dans les instituts de recherche qui se concentrent sur la région méditerranéenne en Jordanie, Israël, Turquie et en Afrique du Nord. L’intérêt et les études concernant la Méditerranée se sont déplacés du domaine des agences de tourisme et des biologistes marins vers les centres de recherche stratégique et les diplomates spécialisés en affaires étrangères. Même en Turquie, il existe une tendance à discuter la Pax Ottomanica, devenue un symbole de l’option politique marquée par la nostalgie d’un monde prénational, méditerranéen, précolonial; une fois de plus, un espace imaginé, voire utopique, où les mondes musulmans et chrétiens ne soient pas en conflit constant, mais coopèrent et s’influencent mutuellement et utilement. Les défis actuels 77 L’Euro-Méditerranée comme une carte cognitive à l’héritage des pharaons et à l’arène méditerranéenne. Au Liban, l’idée a été mieux accueillie que dans tout autre endroit de la région. Toutefois, comme l’influence des chrétiens, les plus fervents partisans de l’idée, a diminué, le charme de la mer s’est dissipé. Des personnages importants dans la culture arabe, tels que Michel Chiha, Georges Naccache, Amin Maalouf, Nizar Qabbani et Adonis, ont tous contribué à des époques différentes et de diverses façons au maintien de l’idée méditerranéenne, et constituaient un lobby culturel pour une vision d’une unité arabo-occidentale. En Israël, pays qui a lutté pour créer une idéologie nationale locale qui pourrait facilement relier les nouveaux immigrants venus du monde entier, la vision méditerranéenne a rencontré de nombreux obstacles. Beaucoup y ont vu une tentative d’organiser et de manipuler la société israélienne, tout en ignorant ses véritables problèmes – le conflit avec les Palestiniens et les pays arabes. D’autres ont vu le projet méditerranéen comme un compromis infructueux entre les identités de l’Est et de l’Ouest – un fond agréable, mais peu réaliste de la vie quotidienne dynamique et stressante d’Israël. Il y avait aussi ceux qui considéraient (et qui considèrent toujours) la Méditerranée comme l’antithèse de la culture occidentale progressive, et l’identifient avec les pratiques sociales des immigrants nord-africains qui ont été marginalisés dans la société israélienne. A ces obstacles, pourrait être ajoutée la religion comme une idéologie politique, sociale et culturelle, qui, depuis les années 1980, est revenue dans la sphère publique dans la plupart des pays. En effet, ces dernières années, la religion est devenue un outil de division, de classification qui menace de scinder davantage les communautés des rives de la Méditerranée. Malgré l’intérêt croissant dans la région, également en termes d’initiatives politiques, il n’existe aucun accord quant à la question de savoir si une catégorie «Méditerranée» est nécessaire et ce qu’elle refléterait exactement. De vieilles images peuvent-elles être reprises et devenir une partie intégrante de notre modèle cognitif, après avoir été pendant de nombreuses années une simple catégorie de référence, pas une métaphore ou une unité de l’identité idéologique? Sommes-nous, dans l’ère post-moderne, revenus à la pensée moderne basée sur des dichotomies qui créent des catégories pures de la nature contre la culture, de l’Est contre l’Ouest, du rationnel contre l’émotion ? Cette façon de penser, après tout, ne laissait aucune place à la symbiose culturelle que représentait la Méditerranée. La Méditérranée peut-elle être extraite du discours eurocentrique et envisagée comme une nouvelle option politique culturelle ? Sommes-nous disposés à contester des principes culturels majeurs et des normes acceptables en interrogeant les grandes théories de la paix démocratique et en reconnaissant le lien entre, d’une part, le long processus de laïcisation et de formation des nationalismes européens et, d’autre part, la purification ethnique d’el-Andalus et la suppression de la co-existence ? En réalité, le plus grand défi aujourd’hui est de savoir comment créer un Méditerranéisme qui ne renie pas ses liens Souk de la recherche interculturelle Se déroulant simultanément dans différents endroits, le «Souk euro-méditerranéen de la recherche» a offert une plate-forme aux jeunes chercheurs de la région pour qu’ils puissent présenter leurs projets liés au dialogue interculturel et aux priorités de l’Union pour la Méditerranée., La deuxième édition du Souk de la recherche, une initiative de l’Université euro-méditerranéenne (EMUNI), a été organisée à la Bibliotheca Alexandrina en partenariat avec la Fondation Anna Lindh, sur le thème «vivre ensemble dans une société multiculturelle» et a rassemblé environ 150 étudiants qui ont réfléchi sur les défis et les opportunités, et développé des projets susceptibles de favoriser la coexistence dans et entre les sociétés. Grâce à l’utilisation des outils en ligne et à la diffusion sur le Web, il a été possible d’élargir le débat aux chercheurs et experts universitaires dans les pays participants, c’est-à-dire la République tchèque, l’Egypte, la Grèce, l’Italie, le Liban, le Maroc, le Palestine, le Portugal, la Roumanie, la Slovénie, l’Espagne, la Tunisie et la Turquie. www.emuni.si Le Rapport Anna Lindh 2010 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 VISIONS POUR LA MEDITERRANEE Le respect des immigrés et des nouvelles communautés à l’intérieur de l’Europe est une exigence fondamentale. Il est important, cependant, de garder à l’esprit que la reconnaissance des droits collectifs des communautés et de leur patrimoine ne constitue pas un accord catégorique pour accepter toutes les traditions socioculturelles du passé et du présent et les appliquer. N’oublions pas que la tradition a été écrite par des hommes, et que l’un de ses objectifs est de maintenir l’équilibre du genre patriarcal. Une nouvelle vision de la Méditerranée doit rejeter les restes du patriarcat, ainsi que les pratiques de discrimination et d’intolérance envers les minorités politiques, ethniques, de genre, religieuses et de préférence sexuelle. Au grand dam de beaucoup, ces dernières décennies, il semble que la géographie régionale soit revenue au centre de la scène. A la lumière de la reprise des études de secteur et au vu des changements ANAT LAPIDOT-FIRILLA est chercheur et directeur d’études de l’Unité sur les voisins méditerranéens à l’Institut Van Leer de Jérusalem. Israël - L’Orchestre des jeunes judéo-arabes Espaces d’appartenance et de copropriété émotionnelle HEIDI DUMREICHER ET BETTINA KOLB La quête d’identité est importante pour les êtres et les communautés de toute la région euro-méditerranéenne, et elle continue à jouer un rôle central dans la construction d’une région commune. Heidi Dumreicher et Bettina Kolb soulignent l’importance de la perspective locale lorsqu’on dresse le contexte socioculturel dans lequel l’identité évolue, de la maison et de la rue aux membres de la famille et aux voisins. A partir de ce point de vue, les auteurs affirment qu’une copropriété affective peut être développée comme base d’un avenir partagé dans la région méditerranéenne. Oui, je veux avoir un sentiment d’appartenance, savoir d’où je viens, sentir que je fais partie d’un lieu et avoir un contexte social qui prend en charge mon image de moi, comment je pense et comment je me sens. Mais, oui, je veux aussi me sentir différent des lieux et des gens autour de moi; je rêve et je cherche un sens différent à la réalité. Les êtres humains ont besoin de ces deux qualités de la conception de soi - des rôles d’appartenance socialement et spatialement établis qui fournissent la base et la confiance en soi nécessaires à la recherche de nouveaux endroits et de nouvelles activités capables de nous porter vers l’avenir. La quête d’identité joue un rôle majeur dans l’identification du concept ancien mais toujours valable d’une région méditerranéenne commune et dans la construction d’un nouveau; ceci concerne les personnes et les nations, les individus et les groupes sociaux, le Machrek et le Maghreb, la vieille Europe et les nouveaux Etats membres. En recherchant un concept commun d’identité culturelle et politique, il est conseillé à l’Utopie méditerranéenne de commencer par un concept pluraliste d’identité. Suivant un concept d’unité dans la diversité, les identités se chevauchent, elles apparaissent comme une mosaïque d’histoires communes mais différenciées, de situations politiques controversées, de modes de socialisation et de racines culturelles et religieuses qui apparaissent dans ce processus. Dans la quête d’une identité commune entre les deux rives de la Méditerranée, deux sortes de desiderata émergent, à savoir l’aspiration à l’uniformité et à la continuité d’une part, et la nostalgie d’une identité locale, d’autre part. Foyer et appartenance Dans le but de favoriser l’amitié et la compréhension, l’Orchestre des jeunes judéo-arabes se compose d’environ vingt-quatre jeunes musiciens âgés de 15 à 28 ans – douze Arabes et douze Juifs – en provenance de différentes régions d’Israël. La direction musicale est assurée par Taiseer Elias, qui est réputé en Israël et dans d’autres pays pour ses talents artistiques et sa connaissance approfondie de la musique arabe. L’initiative vise à promouvoir la compréhension mutuelle du public dans toute la région. Des concerts ont été joués dans des lieux juifs et arabes, et à travers l’Europe, et le projet est considéré comme un succès en termes de développement musical et d’impact social. L’une des réalisations artistiques majeures est la création d’un nouveau son et la composition d’œuvres originales en plus des œuvres issues des traditions juives ou arabes d’Orient, un mélange d’Orient et d’Occident, qui se reflète également dans les instruments utilisés, oud, kanoon, violoncelle et violon. Lorsque les musiciens jouent ensemble sur scène, c’est une parfaite illustration du fait que l’harmonie et la coexistence sont une réalité et une possibilité pour tous. www.youth-music.org.il Le Rapport Anna Lindh 2010 VISIONS POUR LA MEDITERRANEE Pour nous, l’équipe de recherche, les photos des différents lieux de la Méditerranée ne sont pas exceptionnelles et elles pourraient avoir été prises dans de nombreux pays du monde. D’autres partenaires essaient d’y découvrir un certain style architectural et voudraient s’assurer qu’ils font partie d’un territoire national donné. Pour son habitant, la maison, dont il montre les photos, est très bien définie, elle représente tout simplement son chez lui : «C’est ma belle maison et ici vit ma femme chérie». C’est la manière dont un habitant interrogé présente ses photos d’une maison et d’une cour. Pour lui, la maison est une combinaison d’éléments physiques et sociaux, un endroit sûr avec des personnes familières mais exceptionnelles. Notre foyer – le lieu et ses habitants – la maison, la rue, les membres de la famille et les voisins – tous ces éléments constituent la base de la situation socioculturelle spécifique grâce à laquelle l’identité se développe. La combinaison de l’identité individuelle et collective est la base des traditions culturelles, des activités sociales, avec des éléments personnels et sociaux. A partir de la maison, qui représente l’espace de l’individu, des membres de sa famille les plus proches et de ses amis, l’espace identitaire se développe en cercles concentriques, en domaines de rencontre spatiale et sociale (Dumreicher et Kolb, 2006 et 2008). Plusieurs de ces domaines peuvent être liés à la familiarité et contribuer à la socialisation d’une construction identitaire. C’est une combinaison d’éléments spatiaux et sociaux qui construit le sentiment d’appartenance et d’affiliation sociale : la famille fait de la maison un foyer, la communauté des habitants de la rue et du quartier transforment un espace ouvert anonyme en un quartier familier auquel j’appartiens. Ces champs offrent une synthèse des identités fondées sur l’empathie, le domaine social et spatial où l’être humain trouve une place pour exprimer l’intimité et les liens d’affection. A la lisière du village ou du quartier, la construction de l’«identité» et de l’«altérité» gagne de plus en plus d’influence. Le processus de construction d’une identité commune commence à cette étape : le village devient «mon» et/ou «notre» village, la ville devient «mon» et/ou «notre» ville et ils sont différents du village voisin ou de la ville voisine. Les objets façonnés et les biens culturels sont un peu différents à l’intérieur et en dehors de ces domaines spatiaux, les formes des maisons combinent des caractéristiques locales et, en même temps, des éléments intrinsèques de la région, et le folklore commun trouve une expression particulière. Même la langue porte des formes particulières, que ce soit l’accent ou la formulation. L’Etat-nation fixe la frontière géopolitique pour ce que nous considérons comme notre peuple. Le monde donne le plus large cadre spatial possible – l’espace de l’homme dans la limite de la nature, où les cultures et les religions dans leur diversité, créent une identité humaine à multiples facettes. Audelà de ce domaine spatial commence le champ de la philosophie Le Rapport Anna Lindh 2010 79 L’histoire de la région suggère un lieu où l’homme peut simultanément faire partie d’un certain nombre de communautés et de réseaux. Actuellement, la langue sociologique de l’Occident ne peut concilier cette complexité. Le défi est de créer un nouveau langage qui permettra la conceptualisation appropriée à la nouvelle réalité des Turcs à Berlin, des Marocains à Paris et des Russes en Israël. Les rives de la Méditerranée ne sont plus une attraction supplémentaire, mais une partie de la fusion par traits d’union de la région. L’Euro-Méditerranée est une région, mais aussi un cadre conceptuel et une image. Cette catégorie d’analyse requiert une cohérence et un nouveau point de vue original. Les opposants à l’Euro-Méditerranée en tant qu’idéologie unificatrice prétendent que c’est artificiel. Ce qui est vrai à bien des égards, mais ne fait aucune différence. Des modèles cognitifs sont créés – ils ne sont pas inhérents ou naturels. En outre, la même chose peut être dite au sujet d’autres ciments sociaux. Après tout, les élites du Caire, d’Istanbul ou d’Athènes ont peu en commun avec leurs compatriotes vivant dans la périphérie économique, écologique et culturelle. De plus, au cours des deux dernières décennies, la carte des migrations démontre que la symbiose culturelle et une société constituée par nature en réseau ne sont pas seulement l’apanage des minorités chrétiennes ou juives. La réalité des centaines de milliers de personnes se déplaçant d’un continent à un autre a créé une nouvelle dynamique. Une dynamique qui conteste même les définitions fondamentales de qui est européen, pas seulement de qui est méditerranéen. globaux, s’est développé le besoin de revenir aux termes régionaux et à la recherche, ainsi que la nécessité de définir et de re-conceptualiser les régions et leur relation avec d’autres disciplines. A l’aversion de discuter de la nécessité d’études régionales en général, il faut ajouter l’aversion de discuter de la Méditerranée en particulier, provenant d’une histoire complexe, chargée d’émotion et nourrie de sentiments anticoloniaux. Les peuples de la Méditerranée, qui ont été désignés comme «du Sud», se sont sentis considérés comme la périphérie de l’Europe et les options méditerranéennes n’ont fait que souligner leur statut subalterne. Toutefois, les tendances actuelles des études universitaires portant sur les périphéries ont favorisé le développement de discours internes qui commencent dans ces soi-disant marges et qui se définissent selon leurs propres termes culturels. Dans le même temps, les spécialistes dont la recherche porte sur une théorie subalterne et postcoloniale ont également suggéré de renverser le discours dominant et de provincialiser l’Europe ellemême. Un tel décalage peut conduire la recherche universitaire à voir la Méditerranée comme un centre et aidera à reconceptualiser l’Europe et d’autres régions elles-mêmes. Le défi est de savoir comment y parvenir sans revenir aux descriptions orientalistes qui orientent la discussion vers une nostalgie romantique sans fondement, qui ne voit que les branches d’olivier et des citronniers, un coucher de soleil romantique et de belles plages où les amoureux flânent. La mer et ses rives sont parsemées de dizaines de cadavres d’immigrants et de pêcheurs qui travaillent dur. Les images coloniales qui ont créé la Méditerranée devraient être remplacées par d’autres qui permettront aux peuples de la rive Sud de se représenter euxmêmes, de devenir des agents actifs du changement dans l’économie, l’histoire, la politique et la société. LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 78 avec l’Est – les cultures arabe, turque ou israélienne –, mais définit plutôt des frontières souples, fluides, conceptuelles et physiques qui permettent une relation symbiotique avec l’Occident. CARACTÉRISTIQUES DE LA RÉGION MÉDITERRANÉENNE Fortement GRAPHIQUE 6.1 Moyennement Mode de vie et cuisine méditerranéens Tendre la main à environ cinq cents personnes à travers la ville de Zagreb : l’initiative a consisté en une série de conférences, de présentations, de débats et d’ateliers sur le thème du multiculturalisme. A l’initiative de l’organisation Veselkoleutar, les discussions ont traité des politiques et des pratiques menées dans différentes parties du monde. Le but du programme était de mettre la question des «différences culturelles» au cœur du débat public, en tenant compte que Zagreb n’a pas une politique officielle en matière d’immigration, de ségrégation et de diversité culturelle. La façon dont les gens de la ville perçoivent et traitent les différences des «autres» a également été abordée, en mettant en perspective la réalité multiculturelle de la Croatie et de Zagreb, tout en explorant les moyens d’appliquer les idées et les pratiques multiculturelles à l’intérieur des frontières du pays. En conséquence, des politiques interculturelles ont été établies pour être mises en œuvre avec les associations non gouvernementales de l’Est de la Slovénie, et l’initiative a conduit à l’organisation et à la promotion de la «Journée internationale de la tolérance». Européens Méditerranéens du Sud et de l’Est Hospitalité Européens Méditerranéens du Sud et de l’Est Histoire et patrimoine culturel communs Croatie - Débats sur le multiculturalisme Européens Méditerranéens du Sud et de l’Est Créativité www.cekate.hr Européens Méditerranéens du Sud et de l’Est Méditerranéens du Sud et de l’Est LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 80 Défis environnementaux Européens Méditerranéens du Sud et de l’Est Résistance au changement Européens Méditerranéens du Sud et de l’Est Question du sondage:Des personnes différentes ont des idées diverses sur ce que représente la région méditerranéenne et sur leur vision de l’avenir. Je vais vous lire une série d’idées/d’images qui peuvent venir à l’esprit de personnes différentes. Veuillez me dire si vous pensez qu’elles caractérisent fortement, moyennement ou pas du tout la région méditerranéenne. Base: tous les participants, % de «fortement» et «moyennement» par pays (© Sondage Anna Lindh/Gallup 2010) et de la spiritualité; ce sont des concepts qui peuvent trouver leur ancrage indépendamment du lieu géographique. Tous ces domaines spatiaux et sociaux contribuent à créer les identités à multiples facettes qui constituent l’être humain. Grâce à son activité sociale, l’individu se construit une relation à un domaine spatial spécifique. Dans plusieurs études empiriques sociales et spatiales, nous avons trouvé la preuve que même les activités de résidents qui semblent être en elles-mêmes assez insignifiantes contribuent au processus d’appropriation où «l’usage crée le sens», dans un sens emphatique et non abstrait. A partir de nombreuses déclarations similaires de villageois ou de citadins, il est apparu clairement que «si les habitants utilisent le potentiel de la ville et de ce qu’elle a à offrir (y compris les aménagements de l’espace public), ils seront alors capables de s’identifier parfaitement avec le lieu, le faisant sortir de l’abstraction» (Dumreicher et Kolb, 2003). Ceci a fondé notre thèse sur la copropriété émotionnelle que nous avons découverte à travers différentes situations locales dans des territoires humains, mais qui peut aussi s’appliquer à un champ plus large – dans notre cas, la région méditerranéenne qui est une réalité, mais aussi une vision humaine et politique. La copropriété émotionnelle décrit un attachement fort à un lieu et à sa signification sociale, à l’architecture et aux activités socioculturelles qui ont lieu dans cet environnement urbain. Sous réserve de copropriété affective, cet intérêt incite les citoyens à apprécier les qualités du lieu et à se sentir responsables de son présent et de son avenir. Cette implication crée des espaces de possibles et des champs d’action pour un citoyen autorisé qui Pologne - Des ateliers éducatifs sur l’islam Lancé dans les écoles de vingt villes de Pologne, «Dans le monde de l’Islam» a visé à utiliser l’éducation comme un moyen de modifier les stéréotypes négatifs culturels et religieux liés aux communautés arabes et musulmanes. Grâce à une série d’ateliers de dialogue organisés sur une période de trois ans, de 2005 à 2008, plus de neuf cents élèves ont participé activement à des séances comprenant des aspects théoriques, des informations de base sur les pays arabes et islamiques, des discussions, et une dimension pratique, telle que l’apprentissage de la calligraphie arabe. Selon l’évaluation réalisée auprès des participants, l’initiative a eu un impact significatif non seulement sur les connaissances des élèves et leur attitude envers les Arabes et les musulmans, mais aussi sur leurs visions d’autres cultures – y compris les Roms et les Hindous –, qui ont changé de manière positive. À la suite du projet, un atelier a été organisé en 2009 avec des enseignants et des éducateurs des pays de la mer Baltique, ainsi que d’Ukraine et de Biélorussie, et le matériel d’étude a été diffusé à travers une série de nouvelles publications destinées aux écoles. www.unesco.pl Le Rapport Anna Lindh 2010 prend part au processus de décision au sein de sa localité. Tous les champs spatiaux ont besoin d’une combinaison de l’individu – je – et du collectif – nous –, d’espaces d’identité pour les personnes et leurs capacités individuelles. Notre recherche dans les villes méditerranéennes islamiques montre que le «hara» – le petit chemin étroit qui représente le modèle urbain de la Médina à sa plus petite échelle – fonctionne comme un premier espace collectif pour la création d’une copropriété affective. Le lieu de naissance de mes grands-parents dans mon hara est plus important que l’endroit où j’habite aujourd’hui. «Nous avons vécu ici dans le hara, là où mon frère et moi avons grandi, et nous sommes maintenant prêts pour le mariage.» L’origine, tout comme l’avenir de l’individu et de sa famille est ancrée dans un hara spécifique. La qualité du hara est déterminée par des éléments spatiaux et sociaux qui, ensemble, forment l’histoire de la vie dans le quartier (Dumreicher et Kolb, 2010). La tradition culturelle islamique est vivante à travers la boulangerie commune assurant les besoins physiques, l’école coranique et la bibliothèque pour les besoins de l’éducation, la mosquée du vendredi pour établir le rythme religieux hebdomadaire et annuel, et le hammam comme un lieu de bien-être personnel, de luxe et de convivialité. Lorsque nos interlocuteurs parlent si tendrement de leur hara, ils se réfèrent à leur expérience de la vie quotidienne qui les ancre au contexte local. Cet ancrage social et culturel contribue à la perception d’appartenance et d’identité, résultat de ce processus de socialisation locale. Dans ses similitudes et ses différences, les éléments perçus dans le hara, ses pratiques sociales et ses structures culturelles forment une mémoire collective commune, cette petite ruelle devenant partie intégrante du cadre historique et politique de la ville islamique. Comment des personnes qui ont une relation si intense avec l’endroit de leur socialisation primaire établissent-elles un concept pour un avenir commun de la région méditerranéenne ? Est-ce que le concept d’identités multiples et multiformes est une hypothèse qui aide à comprendre la construction d’une utopie d’un espace commun entre la rive Nord et la rive Sud ? Le hara comme expérience essentielle de socialisation correspond à l’origine, à la base, alors que la rive de l’autre côté de la Méditerranée représente l’altérité, la curiosité de la «différence». La conception pluraliste de «l’unité dans la diversité» offre plus d’une identité. Le hara est le point de départ d’une culture commune, mais sera élargi à un concept plus large d’identité du territoire. L’espace culturel de la mer Méditerranée représente l’altérité, en dépit de sa longue histoire de contacts et de relations, de ses échanges de biens culturels, de ses histoires et de ses traditions – et, en même temps, de ses affrontements tout au long de l’histoire et à l’époque actuelle. La Méditerranée comme espace commun L’espace commun de la mer Méditerranée peut être considéré comme un champ spatial spécifique – une région constituée de villages, de villes, de monuments, de paysages et de nations : une région présentant une diversité de conditions économiques et culturelles, répondant à différents défis de l’histoire. Bien qu’il y ait un accord sur la perception commune d’un lieu social et spatial constitutif d’une région méditerranéenne, les dernières études quantitatives montrent qu’il y a aussi un consensus sur les principaux éléments d’une culture méditerranéenne. Qu’ils remportent «fortement» ou «moyennement» l’adhésion des sondés, plusieurs éléments sont majoritairement considérés comme caractéristiques de cet espace commun : le mode de vie et la nourriture (84%), l’hospitalité (81%) et un patrimoine culturel et historique commun (81%) (Tableau 6.1). Notre approche, qui part du principe que l’identité a besoin à la fois de la proximité et de l’altérité, est soutenue par une série d’autres questions qui vont au-delà de la reconnaissance de la compréhension commune du «projet Méditerranée». Les résultats quantitatifs montrent une demande pour le respect de la diversité culturelle : 46% des personnes interrogées pensent que leur propre société peut gagner en respect de la diversité culturelle grâce à des échanges politiques, économiques et culturels plus étroits entre les pays méditerranéens. En conclusion, le concept d’identités multiples devrait tenir compte du fait que la diversité culturelle est fondée sur une copropriété émotionnelle exprimée au niveau local et une participation active au sein de la société locale, incluant un concept plus large d’espace et de temps : l’avenir va au-delà des identités spatiales et culturelles, contribuant ainsi à l’apparition d’une identité citoyenne locale et mondiale. HEIDI DUMREICHER est fondatrice et directrice de Oikodrom. Bettina Kolb est chargée de cours à l’Institut de Sociologie de l’Université de Vienne. Le Rapport Anna Lindh 2010 81 Européens LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 Source de conflit TUOMO MELASUO LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 82 De la sociologie à l’exploration, au commerce et aux échanges littéraires, les pays nordiques ont, tout au long de leur histoire, développé des relations avec les pays de la rive Sud de la Méditerranée. Comme Tuomo Melasuo le souligne, ces liens restent vivants à travers le tourisme et l’immigration, ainsi qu’à travers le rôle joué par des pays comme la Finlande et la Suède dans la politique étrangère de l’Union européenne. Pourtant, ce sont la société civile et la culture populaire qui offrent les champs de coopération les plus prometteurs. Le monde méditerranéen est une sorte de berceau culturel dont les frontières sont presque impossibles à définir. Son rayonnement politique mais aussi culturel n’a pas de limites, et concerne tous les continents. En ce sens, il est devenu la propriété de toute l’humanité. L’Europe du Nord est composée des pays scandinaves, de la Finlande et des pays baltes ainsi que d’autres pays riverains de la mer Baltique qui sont tous des nations maritimes. Pour cette raison, ces pays ont toujours eu beaucoup d’échanges culturels et commerciaux avec les régions lointaines, ainsi qu’avec le monde méditerranéen, qui a été pendant des siècles, depuis même plus de deux millénaires, la principale source d’inspiration pour le Nord de l’Europe. Ces longues relations historiques ont été multiformes, qualitativement très importantes et tenaces, mais, en même temps, fines et étroites. Une grande partie de la vie sociale et culturelle des pays nordiques est basée sur des éléments méditerranéens, qu’il s’agisse des lettres latines, des chiffres arabes ou des religions moyen-orientales. Echanges historiques Le premier contact connu est l’expédition de Pythéas de Marseille vers le Nord au IVe siècle avant J.-C. Plus d’un millénaire plus tard, au IXe siècle, les Vikings ont navigué en Méditerranée où ils ont rencontré les Arabes, et aussi sur les fleuves de Russie, comme Ibn Fadlan le rapporte dans son livre de bord environ cent ans plus tard. De même, Idrisi, le géographe marocain, a donné une description de l’Europe du Nord dans son manuel de géographie du XIIe siècle tout comme Ibn Khaldun, l’historien d’Afrique du Nord et fondateur de la sociologie, dans son histoire célèbre du XIVe siècle. Au cours du Moyen Age, les pèlerins nordiques allaient à SaintJacques-de-Compostelle et en Terre Sainte et certains membres de familles royales des pays nordiques se sont rendus en Méditerranée et au Moyen-Orient pour passer du temps dans le Sud. De leur côté, les Templiers et les chevaliers de Malte ont réussi à s’établir dans îles de la Baltique. Mais de façon générale, les Nordiques ont bien plus voyagé vers le Sud que les Méditerranéens n’ont voyagé vers le Nord. Certains mythes prétendaient aussi qu’au XVIIe siècle la Suède était une réincarnation de l’Atlantide perdue et que les origines des Le Rapport Anna Lindh 2010 Finlandais se trouvaient dans les îles méditerranéennes. Au XVIIe siècle, l’arabe était enseigné et étudié dans au moins trois universités scandinaves et au siècle suivant, le roi de Danemark a envoyé une expédition scientifique – Arabia Felix – dans la péninsule Arabique et au Yémen. Depuis ce temps, les activités scientifiques nordiques concernant la Méditerranée et le monde du Moyen-Orient se sont maintenues, et elles ont eu un impact sur l’évolution des sciences dans le Nord. Par exemple, il y a plus d’une centaine d’années, la sociologie finlandaise est née au Maroc avec les travaux d’Edward Westermarck et quelques-uns des meilleurs écrivains de renommée internationale scandinaves, tels que Axel Munthe ou Mika Waltari, ont développé la plus grande partie de leurs œuvres autour du monde méditerranéen. Aujourd’hui, la compréhension des relations entre les pays nordiques et le monde méditerranéen devrait être fondée sur ce vaste patrimoine, et non sur des conjonctures politiques ou commerciales à court terme. Dimensions politiques et économiques La compréhension nordique de l’Union européenne et de son rôle détermine généralement l’approche des pays nordiques vis-à-vis du Partenariat euro-méditerranéen dans ses différentes formes. Dans leurs relations avec le monde méditerranéen, les Nordiques soulignent parfois qu’ ils n’ont pas de passé colonial comme beaucoup d’autres nations européennes. Ils rappellent également qu’ils avaient des relations diplomatiques avec la rive Sud de la Méditerranée avant le colonialisme, qu’ils ont été critiques à l’égard de l’aventure coloniale, et qu’ils ont soutenu activement le processus de décolonisation à la fois directement et au sein de l’ONU. Ce n’est que partiellement vrai. Les pays nordiques ont tout de même pris une part active dans les performances économiques de l’ordre colonial. Quoi qu’il en soit, l’idée que les pays nordiques forment un ensemble avec les pays méditerranéens du Sud, une sorte de périphérie par rapport au centre de l’Europe, aux membres fondateurs de l’Union européenne, n’a pas vraiment pris, même s’il y a eu des tentatives Au début des années 1990, les perspectives d’adhésion à l’Union européenne ont modifié les approches envers la Méditerranée de façon importante dans des pays comme la Finlande et la Suède. Une fois membres de l’Union européenne, ces deux pays voulaient assumer leur nouvelle adhésion entièrement, en s’investissant dans tous les domaines, dans les enjeux et les questions qu’ils jugeaient essentiels pour la performance de l’Union et pour son avenir. Ils ont aussi compris que s’ils voulaient que les pays membres d’Europe centrale et méridionale appuient leurs propres objectifs et ambitions dans le Nord, en particulier la «Dimension nordique» et plus récemment la stratégie de l’Union européenne pour la région de la mer Baltique, ils devaient montrer leur intérêt, leur engagement et leur responsabilité envers les questions méditerranéennes et envers les objectifs de ces pays. En outre, pour les pays nordiques, le Partenariat euro-méditerranéen est un élément essentiel des relations de l’Union européenne avec les régions voisines et, en tant que tel, une préoccupation partagée par l’ensemble des pays membres. suédoise 2009 de l’Union européenne a permis de présenter la stratégie de l’Union européenne pour la région de la mer Baltique qui, à long terme, pourrait jouer un rôle important dans le renforcement du partenariat euro-méditerranéen par la production de différentes options et d’outils mettant en évidence l’importance des zones maritimes en général et de celles à proximité de l’Union européenne en particulier. Il est évident que dans le domaine de l’énergie, de l’environnement, des secours d’urgence et du transport maritime, ils pourraient même créer des institutions communes afin de relever des défis partagés. La concrétisation de tels projets dépend en réalité de la volonté politique. Les approches et l’attitude des pays nordiques envers l’Union pour la Méditerranée, créée en 2008, a jusqu’alors été pragmatique. Lorsque les premières propositions préliminaires ont été faites en 2007, qui proposaient d’exclure les pays non côtiers, la déception ressentie par les pays nordiques a été nette et claire, mais discrète. Les cercles qui, dans ces pays, avaient lutté au cours des deux décennies précédentes pour rendre leurs pays actifs dans les politiques euro-méditerranéennes se sont sentis très découragés. Les Nordiques appréciaient que la nouvelle Union renforce le Processus de Barcelone et, en cela, ils l’ont soutenue. Mais ils étaient aussi persuadés que cette nouvelle Union devrait concerner l’ensemble des pays membres de l’Union européenne. Ainsi, ils ont beaucoup appuyé l’Allemagne, quand la chancelière Angela Merkel a exigé publiquement que le partenariat euro-méditerranéen de coopération appartienne à tous les Européens. Aujourd’hui, on sent, dans les pays nordiques, une certaine déception en raison des résultats modestes de l’Union pour la Méditerranée. Dans le même temps, ils estiment que les réalisations du Processus de Barcelone devraient être développées et mieux intégrées dans l’exercice de l’Union pour la Méditerranée. Plus généralement, le partenariat euro-méditerranéen est fortement ressenti comme une question concernant l’Union européenne, trop importante pour ne pas être traitée avec tous les pays membres. L’enquête Anna Lindh/ Gallup indique que, par exemple en Suède, le respect de la diversité culturelle sera renforcé par l’Union pour la Méditerranée. La Finlande et la Suède avaient déjà initié leurs politiques officielles méditerranéennes avant leur adhésion à l’Union européenne en 1995, quand elles ont également signé la Déclaration de Barcelone. Elles ont toutes deux pris une part active dans le Processus de Barcelone. A titre d’exemple, la Finlande a organisé la première conférence ministérielle sur l’environnement et la Suède a présenté avec l’Espagne la première initiative pour le dialogue entre les cultures bien avant l’événement tragique de 2001 à New York et le plan d’action de Valence en 2002. La Finlande a créé son propre réseau euro-méditerranéen des principaux acteurs internes qui regroupe près de quarante personnes, fonctionnaires, représentants d’instituts de recherche et d’ONG. Les sociétés civiles, les migrations et les cultures La présidence finlandaise de l’Union européenne en 2006 a été considérée par plusieurs spécialistes comme sans doute la meilleure jusqu’alors pour le Processus de Barcelone. La présidence Les attitudes et les approches des sociétés civiles nordiques et de l’opinion publique envers la Méditerranée ont été, au cours des dernières décennies, principalement influencées par les évolutions Finlande - Conférence «mer Baltique et mer Méditerranée» S’appuyant sur un précédent Forum de 2002 sur la coopération «des pays baltes et méditerranéens», la conférence de 2008 a été préparée par TAPRI, l’Institut Balte de Finlande et Tamk dans le contexte de la création de nouveaux cadres de coopération régionale, y compris la stratégie de l’Union européenne pour la mer Baltique et l’Union pour la Méditerranée. L’objectif principal de l’événement était d’accroître la compréhension mutuelle et la reconnaissance de l’axe mer Baltique-Méditerranée, avec des discussions sur la coopération scientifique et scolaire, sociale, politique et culturelle, et sur la coopération économique à la fois au niveau macro et micro économique. Cette manifestation a rassemblé environ soixante-dix experts et militants de la société civile de vingt pays différents bordant la mer Baltique et la mer Méditerranée. Une des principales conclusions de la conférence a souligné la nécessité d’une cohérence accrue et d’une meilleure coordination entre les réseaux, partenariats et programmes en vue de renforcer les activités de coopération globale et les initiatives de dialogue entre les régions de la mer Baltique et de la Méditerranée. www.annalindhreport.org/goodpractice/balticmedconference Le Rapport Anna Lindh 2010 83 Une perspective partagée vue par les pays nordiques avant la Première Guerre mondiale de développer ce concept. Dans les années 1980 et au début des années 1990 se sont tenues plusieurs conférences scientifiques internationales du Maghreb et des pays nordiques, et au moins une à Madrid qui a réuni toutes les périphéries, ibérique, maghrébine et nordique. Après la Seconde Guerre mondiale, les sociétés nordiques se sont lentement tournées vers l’Atlantique et ce genre de sensibilités méditerranéennes ont perdu au moins une partie de leur charme. LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 VISIONS POUR LA MEDITERRANEE Le seul pays d’Europe du Sud méditerranéen étant du côté positif de la moyenne européenne est l’Espagne. Le tourisme nordique et les migrations méditerranéennes ont tous deux un impact sur les dimensions culturelles dans le monde nordique. Avant d’aller plus loin, notons que les tout premiers instituts culturels nordiques ont été créés dans la région méditerranéenne. Et ce n’est pas une coïncidence si les plus récents sont implantés sur les rives Sud et Est de la Mare nostrum tels que l’Institut danois au Caire et l’Institut finlandais à Damas. Le nombre de ce genre d’instituts nordiques en Méditerranée est considérable, et leur rôle dans le dialogue culturel encore plus. En ce qui concerne la société civile et les cultures populaires, le rôle de la cuisine est très visible et peut-être le plus prometteur. En Finlande, la «pizza nationale» (jambon et ananas) a été développée dès les années 1980, quand les maisons Kebab ont supplanté les kiosques à saucisse traditionnels qui ont quasiment disparu. Les nouveaux phénomènes sont les «couscous au renne», les falafels locaux, et le dernier en date, le «sapas», les tapas originaux finlandais. Tout cela pour dire que le mélange des cultures est un phénomène très complexe et très riche, mais aussi très créatif et très novateur; il aboutit à la création d’un «art de vivre» qui ne connaît pas de frontières. TUOMO MELASUO est Professeur de recherche sur la résolution des conflits armés et le rétablissement de la paix et directeur de recherches à l’Institut de recherche sur la paix de Tampere, à l’Université de Tampere. Lettonie - Semaine interculturelle Prenant place dans neuf villes de Lettonie, une «Semaine interculturelle» a été organisée en novembre 2009 avec le soutien de la Fondation Anna Lindh, par son Réseau national letton de la société civile. Partant du constat que les données sur la région euroméditerranéenne ne sont pas facilement accessibles pour le grand public, l’objectif principal du projet était d’accroître la compréhension des gens sur la diversité actuelle des pays de la zone Sud et Est de la Méditerranée. Le programme de la semaine comprenait 24 activités différentes, telles que des cours de langue, des lectures de poésie, des rencontres avec des chefs religieux ainsi que des discussions avec les représentants de toute la région euro-méditerranéenne. Environ mille cinq cents personnes ont participé à l’initiative, la «soirée interculturelle» réunissant 400 personnes dans un café chic à Riga avec des salles de danse, des espaces d’exposition, des projections de films et une salle pour des entretiens et des discussions informelles. En plus des répercussions sur la sensibilisation du public, l’événement a également été l’occasion de consolider et de promouvoir le travail du Réseau Anna Lindh en Lettonie. www.euromedalex.org/networks/latvia Le Rapport Anna Lindh 2010 VISIONS POUR LA MEDITERRANEE Réflexions nomades sur le dialogue culturel BICHARA KHADER Selon Bichara Khader, les perceptions et les stéréotypes qui existent actuellement parmi les peuples des deux rives de la Méditerranée sont le résultat de siècles de frictions entre musulmans et occidentaux. Pour Bichara khader, c’est en comprenant mieux l’intense histoire de la région qu’on parviendra à construire une vnouvelle vision pour l’avenir. A cet égard, l’auteur affirme que le dialogue interculturel doit jouer un rôle central pour aider la nouvelle génération à changer le point de vue que les peuples ont sur eux-mêmes et sur les autres. D’emblée, quelques évidences : la Méditerranée n’est ni barrière, ni frontière, elle est lien et milieu. Les Arabes l’appellent «la Mer blanche du Milieu». Elle unit plus qu’elle ne sépare. Mer nourricière des mémoires fertiles, matrice des identités multiples, berceau des religions du «Dieu unique», mais tombeau des empires qui ont prétendu en faire leur «mer éternelle». Telle est la vocation de la Méditerranée, mais telle est aussi sa particularité puisque constamment tiraillée entre existence, sens et puissance. Porteuse de modèles aspirant à l’universel, de synthèses conjuguant foi et raison, elle a été, depuis l’Antiquité, le lieu de production d’une pensée inquiète et innovante, alliant sagesse philosophique, interrogation métaphysique, et art de vivre. C’est cette vocation de la Méditerranée qui est aujourd’hui menacée par les «délires identitaires» des uns et les «dérives meurtrières» des autres. A la confrontation intellectuelle succède l’affrontement idéologique : jadis entre religions monothéistes et à l’intérieur des religions, hier entre colonisateurs et colonisés, et aujourd’hui entre «identité» et «altérité». Autant de polarités traumatisantes qui expliquent pourquoi le dialogue culturel en Méditerranée est actuellement sérieusement ébréché, voire rompu. Le constat est amer et pour moi, homme des deux rives, douloureux. Les racines des relations historiques en Méditerranée Pourquoi en est-on arrivé là ? Il est malaisé de situer historiquement le point d’inflexion, voire de rupture culturelle, parce que cela suppose un avant et un après. En réalité, quatorze siècles de frottement permanent entre musulmans et Occidentaux ont façonné des imaginaires collectifs nourris par des stéréotypes et des lieux communs et irrigués par des souvenirs douloureux qui puisent leurs racines dans les conquêtes musulmanes de l’espace européen entre le VIIe et le XVe siècle, les croisades chrétiennes en Orient entre 1099 et 1290, la colonisation européenne de l’espace arabe aux XIXe et XXe siècles, la poursuite de la domination occidentale, sous des formes diverses, allant de l’implantation de l’Etat d’Israël au cœur du monde arabe en 1948, jusqu’à l’invasion américaine de l’Irak en 2004. Il y a eu à l’évidence, malgré de longues périodes d’apaisement, des contentieux historiques entre les deux rives de la Méditerranée qui continuent, jusqu’à nos jours, à hanter les esprits, à modeler les imaginaires, et à vicier les regards, au point que les événements du passé acquièrent aujourd’hui une «fonction instrumentale» et agissent comme «mythes politiques» cristallisant l’hostilité contre l’Autre, voire la légitimant. La dénonciation par certains musulmans radicaux de la «nouvelle croisade de l’Occident» contre l’Islam n’est qu’une des formes de l’instrumentalisation du passé dans des stratégies d’opposition. De même, la référence à l’immigration clandestine en Espagne comme «el retorno del moro», ou les propos incendiaires de certains polémistes occidentaux contre «l’islamisation rampante de l’Europe», «le péril vert», ou «la violence islamique» ne font que réactiver les vieux mythes de l’ennemi «essentiel» et «incurable», et du «mal absolu». Vivant en Europe depuis plus de quarante ans, j’ai pu constater combien les opinions publiques demeuraient sous l’emprise des préjugés concernant les Arabes et les musulmans. J’attribuais cela à l’ignorance des faits historiques et des réalités sociales, et sans doute aussi à une certaine conception selon laquelle l’Occident n’avait rien à apprendre des autres. Venant de Palestine où j’étudiais à l’école cinq langues, déclamais les poètes arabes et occidentaux à l’âge de 15 ans, apprenais l’histoire de l’Europe et celle du monde arabe, j’étais consterné par le peu d’intérêt porté, dans les écoles et les universités européennes, aux problèmes du monde arabe contemporain. Bref, il y avait de l’ignorance, mais pas de mépris. Le monde arabe n’était pas perçu comme «une menace» et l’Islam était rarement mis sur la sellette. Depuis la fin du système bipolaire, avec la chute du Mur de Berlin le 9 novembre 1989, et surtout depuis les attentats du 11 septembre 2001, j’assiste, attristé et désarmé, aux déchaînements des passions. L’impact néfaste sur les relations entre Occident et Islam L’implosion de l’Union soviétique a enclenché une série d’élaborations intellectuelles autour de trois idées-forces qui, rapidement, allaient acquérir le statut de théories. La première est celle de Francis Fukuyama qui postule qu’avec l’effondrement du système soviétique rien ne paraît plus interrompre la marche triomphale de l’Occident démocratique et capitaliste. La deuxième Le Rapport Anna Lindh 2010 85 L’immigration des Méditerranéens, en particulier issus des rives Sud et Est, est un élément très important dans l’élaboration de l’image de la Méditerranée et des relations euro-méditerranéennes dans les pays nordiques. Là encore, les données de l’enquête montrent que les Suédois ont plus de contacts avec les gens du Sud que les autres Européens. Si, dans les années 1960, quelques milliers de personnes seulement venant de pays de la Méditerranée vivaient dans le Nord de l’Europe, nous pouvons aujourd’hui parler de centaines de milliers. Cela est extrêmement important à plusieurs égards. Ils forment une sorte de pont humain vers la Méditerranée méridionale et orientale. Une partie d’entre eux sont venus aussi parce qu’ils se sont mariés avec des Nordiques. Et le nombre de ces couples transméditerranéens ne cesse de croître de façon importante. Donc, aujourd’hui, avec la deuxième génération, le nombre de jeunes Nordiques ayant la moitié de leurs grandsparents de l’autre côté de la Méditerranée est des dizaines de fois supérieur aux chiffres des années 1970. Nous ne pouvons pas sous-estimer l’importance de ce type de relations familiales. Elles rapprochent le monde méditerranéen et la Scandinavie bien plus que n’importe quel type d’échange officiel ou semi-officiel ou que n’importe quel programme de dialogue culturel ne pourra jamais le faire. Selon l’Enquête sociale européenne de 2006, la Finlande et la Suède sont les pays dont la population a l’attitude la plus positive envers les migrants étrangers. LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 84 dans trois domaines différents : le tourisme, les migrations et les cultures. Le tourisme de masse des pays nordiques en Méditerranée a commencé dans les années 1950. Aujourd’hui, plus d’un demisiècle plus tard, le nombre de Nordiques qui passent tous les ans une quinzaine de jours sous le soleil de la Méditerranée s’élève à au moins deux millions. La signification de ce phénomène pour un tel nombre de personnes ayant une expérience directe, mais restreinte, du Sud n’est pas vraiment connue. Pourtant, il est évident qu’il a une importance. Et l’on peut présumer que cela rend le monde méditerranéen plus familier et joue ainsi un rôle positif en rapprochant ces deux régions. Il a certainement un impact sur la façon dont les flux migratoires en Méditerranée sont ressentis par les Nordiques, et il fait la promotion de la cuisine méditerranéenne, deux éléments importants du dialogue culturel. Pour vraiment juger de la signification du tourisme nordique en Méditerranée, nous avons besoin de plus d’études et d’enquêtes. L’enquête Anna Lindh/Gallup fournit quelques éléments démontrant que les Suédois voyagent davantage dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée que les autres Européens, y compris ceux des pays côtiers. Dans leur livre Notre route commence à Bagdad (Saint-Simon, 2003), William Kristol et Laurence Kaplan écrivent sans détour : «le régime de Saddam Hussein c’est la quintessence des régimes brutaux du Proche-Orient; si on ne commençait pas par là, on renoncerait à changer quoi que ce soit dans la région.» On connait la suite : l’invasion américaine de 2004 et l’appui de certains pays européens à cette invasion, comme l’Espagne d’Aznar et l’Angleterre de Blair. Le dialogue culturel entre les musulmans et les Occidentaux, entre les Arabes et les Européens, a été la première victime collatérale des thèses de Fukuyama et de Samuel Huntington. La colère des musulmans a été telle que les attentats du 11 septembre, commis par des terroristes fascinés par l’apocalypse, ont été sinon applaudis, C’est dire la dégradation du climat de confiance et du dialogue des cultures. Tous les projets échafaudés dans les années 2000 pour retisser le dialogue, renouer le contact, appeler au dialogue des civilisations, rapprocher les peuples, apaiser les esprits se sont révélés, jusqu’ici, insuffisants pour endiguer les dérives identitaires, les replis communautaires et les amalgames insensés. Le chemin qui mène au dialogue Faut-il, pour autant, rester les bras croisés ? Non, a répondu Romano Prodi, avant de quitter son poste. «On ne peut pas laisser le champ libre aux crispations identitaires et aux peurs réciproques : la Méditerranée ne doit pas devenir un front où chaque rive se retranche sur elle-même» se plaisait-il à répéter en s’adressant au Groupe des Sages pour le Dialogue Culturel en Méditerranée qu’il venait de mettre en place. Parmi les propositions du Groupe, figurait la création d’une «grande Fondation» dont l’objectif serait de lancer des actions concrètes destinées à promouvoir le dialogue culturel en Méditerranée. La création d’une Fondation, de préférence située au Sud, répondait à plusieurs souhaits exprimés par le Groupe des Sages : donner de la visibilité au volet culturel du Partenariat euro-méditerranéen, accroître le caractère opérationnel pour rompre avec les discours répétitifs et finalement lassants des grandes rencontres célébrées à grands frais, mais sans impact réel sur les opinions publiques, impliquer la rive Sud dans la sélection et la concrétisation des projets, pour casser l’asymétrie de l’échange culturel qui a longtemps prévalu dans les relations entre le Nord et le Sud de la Méditerranée. C’est cela le sens de la création de la Fondation Anna Lindh dont les activités polyvalentes ne visent qu’un objectif : changer le regard sur nous-mêmes et sur les autres. Je reconnais que c’est une tâche titanesque, qui nécessite du souffle, de la patience et des moyens. Mais elle est primordiale si on veut en finir avec la culture de la peur et du ressentiment. Changer le regard du Sud sur lui-même passe par le pardon généreux et l’oubli assumé, la cicatrisation des blessures du passé, la libération des rets d’une mémoire instrumentale, l’utilisation de l’histoire comme réservoir d’enseignements et non comme une idole qu’on glorifie, et donc, le développement d’une vision futuro-centrée, qui s’irrigue d’une identité confiante et d’une culture de l’espérance. Changer le regard du Nord sur lui- Luxembourg - Fête du dialogue A l’occasion de la Journée internationale du Travail, la «Grande fête des Cultures et du Dialogue» a attiré des milliers de personnes venues célébrer la diversité culturelle. L’événement, accueilli au Centre Culturel de Rencontre Abbaye de Neumünster, propose de la musique et des ateliers créatifs, des spectacles, des expositions et un village gastronomique. Des stands d’informations et un espace dédié aux jeunes artistes en herbe complètent le riche programme d’animations préparé pour cette célébration des temps nouveaux d’un jour férié de tradition. Grâce à la contribution des nombreuses ONG et associations, les valeurs sociales et de solidarité font partie intégrante de cette grande fête. La Confédération Syndicale Indépendante du Luxembourg ne veut pas limiter sa fête populaire du 1er Mai au seul aspect festif et souhaite impliquer davantage le grand public à travers des activités interculturelles. www.annalindhreport.org/goodpractice/celebratingdialogueday même passe par une culture de l’humilité et du respect. Il faut une grande dose d’amnésie historique pour oublier que l’Occident doit beaucoup aux fécondations des autres cultures, notamment la culture arabo-musulmane. Il faut une grande dose d’humilité pour reconnaître que le parcours historique de l’Occident et des Etats qui le composent n’a jamais été un chemin semé de pétales de roses et que son parcours a été jalonné de luttes, de conflits, et de violences dont la barbarie hitlérienne n’a été que le point culminant. Mais on existe aussi dans le regard des autres. C’est parce que le Sud méditerranéen, surtout arabe, ne se sent pas reconnu comme producteur de sens qu’il éprouve un sentiment d’aliénation et de frustration qui débouche sur le repli et le refus. Lucio Guerrato, ex-directeur exécutif de la Fondation Anna Lindh, ne dit pas autre chose. L’Occident, surtout européen, existe bel et bien dans le regard des Arabes et des musulmans : il fascine et rebute à la fois. Il fascine par ses prouesses économiques et technologiques, ses percées démocratiques, la sécurité et la protection qu’il offre à ses citoyens : cet Occident-là s’est insinué dans les cœurs et les esprits arabes. Mais il rebute par la perception d’un comportement jugé hautain et arrogant, pas suffisamment à l’écoute, quelquefois indifférent à la détresse des Arabes, et souvent incohérent dans ses pratiques ou malhabile dans ses discours. Souvent les Arabes ont le sentiment que les pays occidentaux, notamment européens, tendent à projeter leurs phantasmes et leurs peurs sur ses étrangers les plus proches et les plus intimes, érigeant les différences en barrières infranchissables. Dans le but de stimuler la réflexion sur l’échange interculturel parmi les jeunes étudiants, une série d’ateliers et de débats ont eu lieu pendant cinq mois à Malte avec le soutien de «Projets d’Atelier Culture». Une cinquantaine de jeunes créateurs ont produit des formes écrites de poésie ou de prose qui ont été transformées en deux installations publiques utilisant des projections et des conseils. L’un des principaux thèmes de discussion suscités par les œuvres des artistes a été de s’interroger sur ce que le dialogue représente pour les étudiants dans leur vie quotidienne, puis de transmettre ces réflexions au plus large public sous la forme de poésie ou d’autres types d’écriture. La première exposition a été lancée à l’occasion de «La Nuit du dialogue euro-méditerranéen», organisée le 22 mai 2008 par la Fondation Anna Lindh et Réseau qui réunit plus de 3000 organisations de la société civile dans toute la région. Cet événement a été suivi par l’organisation d’une projection de photos à Birgu et l’installation Norbert Attard «Où êtes-vous?» qui s’est tenue sur la Place de la Liberté à La Valette. Changer le regard sur soi et sur les autres, c’est une affaire de générations. C’est passer d’une identité-prison à une identitépasserelle. C’est une tâche rude qui requiert des mobilisations collectives, des médias responsables, des institutions éducatives ouvertes sur le monde, des hommes politiques affranchis des échéances électorales, et des élites intellectuelles qui distribuent et transmettent le savoir. L’Europe et le monde arabe et musulman sont comme les chats siamois : inséparables. Plus on cherche à arracher l’un à l’autre, plus il lui colle à la peau. Peut-on séparer les rives de la Méditerranée alors qu’elles sont, sans cesse, caressées par les mêmes vagues ? www.annalindhreport.org/goodpractice/maltaexhibition Qu’on soit disciple de Henri Pirenne qui, dans Mahomet et Malte - Exposition sur le dialogue dans la vie quotidienne Le Rapport Anna Lindh 2010 Charlemagne voit la résurgence de l’Islam comme une rupture entre l’Antiquité et le Moyen Age, ou disciple de Maurice Lombard qui, dans L’Islam dans sa première grandeur présente l’Islam comme le messager et l’interprète de l’héritage grec, une évidence demeure : dans l’intimité historique et la connivence intellectuelle, l’Europe et le monde arabe et musulman s’interpellent, se questionnent, se posent, s’opposent, comme si l’existence de l’un définissait et déterminait celle de l’autre. Il n’y a donc pas deux camps retranchés qui s’affrontent : il y a un seul camp qui peine à définir son identité multiple. Je récuse par conséquent la séparation arbitraire et historiquement fausse entre culture judéo-chrétienne et culture arabo-musulmane. La frontière n’est pas telle par vocation, écrit Joseph Maila, mais par création. Si je rappelle cette question de la frontière «inventée» c’est parce que celle-ci tend à séparer le dedans et le dehors, ce côté-ci de ce côté-là, le semblable et le différent. Or, au vu des processus circulatoires en Méditerranée, comment peut-on ériger des frontières là où il n’y a que mouvement ? La Fondation Anna Lindh doit contribuer à inventer de nouvelles modalités d’une connivence méditerranéenne fondée non sur la notion hégémonique de «Mare nostrum» mais sur celle, beaucoup plus belle, que j’emprunte à Edgar Morin, de «Mater nostra» qui renvoie à la référence commune, à l’attachement solidaire et à la fraternité spontanée. BICHARA KHADER est Professeur en sciences économiques, politiques et sociales et Directeur du Centre d’Etudes et de Recherches sur le Monde Arabe Contemporain à l’Université Catholique de Louvain, en Belgique Le Rapport Anna Lindh 2010 87 Toutes ces théories ont eu un effet très néfaste sur les rapports Islam-Occident et cela pour trois raisons. La première tient au fait que l’effondrement du modèle soviétique renforce l’idée selon laquelle l’Amérique, par la singularité de son histoire, s’offre désormais comme un exemple, voire comme le modèle pour tout le monde. Bill Clinton est allé jusqu’à parler de «nation indispensable» (indispensable nation), Hagan a forgé le concept d’«empire bienveillant» (benevolent empire). Cette vision choque beaucoup de personnes, y compris les mondes de l’Islam. La deuxième raison tient à la thèse, de plus en plus brandie, de l’ennemi de remplacement. Pour Huntington, les nouvelles confrontations sont culturelles et identitaires et pour lui l’Islam apparaît comme «l’ennemi de remplacement». Il l’écrit noir sur blanc : «[…] Il y a du sang aux frontières de l’Islam […] par conséquent, le problème central pour l’Occident n’est pas le fondamentalisme islamique. C’est l’Islam.» (Huntington, Odile Jacob, 1996). Quand on sait que le livre de Huntington a été une des meilleures ventes aux Etats-Unis et en Europe, on peut saisir l’immensité des dégâts produits sur les esprits et la brèche qu’il a ouverte dans les relations Islam-Occident. La troisième raison de l’effet néfaste des théories qui ont fleuri après la fin du système bipolaire sur les opinions arabes et musulmanes tient au nouveau dispositif idéologique américain avec des notions telles que l’exportation des valeurs démocratiques que représentait le projet du Grand Moyen-Orient. du moins approuvés par une majorité de personnes sondées dans de nombreux pays. LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 86 est celle du «choc des civilisations» de Samuel Huntington qui divise le monde en sept aires civilisationnelles, mais dont les plus menaçantes pour l’Occident sont l’Islam et la Chine. Quant à la troisième thèse, prônée par les néoconservateurs américains, elle découle de la théorie de la Fin de l’Histoire et est appelée tantôt la «destruction créative» (creative destruction) et tantôt «théorie du domino démocratique». ANALYSE THÉMATIQUE DES MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS NAOMI SAKR ANALYSE THÉMATIQUE DES MÉDIAS 90 Les medias ont été choisis comme cible thématique du premier Rapport Anna Lindh sur les tendances interculturelles en fonction de la grande importance qu’ils revêtent dans la promotion du dialogue interculturel et de la diversité culturelle dans la région euro-méditerranéenne. Naomi Sakr, coordinatrice de la section medias, présente un aperçu du travail dans le secteur des medias aujourd’hui, des politiques éditoriales à la pratique journalistique et introduit les articles par pays qui abordent des enjeux clé et des pratiques émergeantes positives dans la couverture médiatique entre les cultures. Toute analyse écrite de la manière dont les divers voisins de la région euro-méditerranéenne parlent les uns les autres par le biais de leurs médias est confrontée à un défi immédiat : si l’on veut aborder le sujet d’une manière intéressante, on risque d’adopter exactement les mêmes pratiques que les médias, pratiques qui devraient être l’objetmême de notre étude. La tentation existe, par exemple pour attirer l’attention du lecteur dès le début, de citer une statistique choquante du sondage d’opinion que la Fondation Anna Lindh a commandé sur le type d’images que les gens des deux groupes de pays composant l’Union pour la Méditerranée voient les uns des autres dans les médias. Il ressort du sondage que près de quatre cinquièmes des personnes interrogées dans huit pays européens et les deux tiers des personnes interrogées dans cinq pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée ont été incapables de se rappeler avoir récemment trouvé quoi que ce soit dans les médias qui ait amélioré leur point de vue sur les personnes de l’ «autre» groupe. La statistique est saisissante et justifie sans aucun doute l’examen qui en sera fait dans le présent article. Mais jusqu’à quel point est-il légitime de mettre en évidence la dimension négative de cette information ? Le faire, c’est risquer de perpétuer le cycle de la négativité que la Fondation Anna Lindh, par son objectif de dialogue interculturel au sein des pays de l’Union pour la Méditerranée, vise à contrer. Si les gens sont plus habitués à entendre des nouvelles négatives plutôt que positives au sujet de leurs homologues d’un autre groupe de pays de l’Union pour la Méditerranée, il est logique, du point de vue des médias, de commencer par les informations négatives, parce qu’elles sont les plus faciles à assimiler, puisqu’elles s’inscrivent dans un cadre négatif existant. Il est tout aussi logique, du point de vue des médias, de présenter l’information en termes de «côtés» – ici, le «côté européen» et le «côté du Sud et de l’Est de la Méditerranée» – parce que, comme pour les statistiques saisissantes, toute référence à des adversaires dans une histoire donne une impulsion au récit qui pousse le lecteur à lire. Pour mettre fin à de telles pratiques susceptibles de diviser, nous devons prendre du recul par rapport aux statistiques et aux habitudes pour avoir une vue plus holistique de la manière dont les médias sont utilisés pour représenter les habitants des régions euro-méditerranéennes les uns par rapport aux autres. C’est ce que cette partie du Rapport Anna Lindh 2010, Le Rapport Anna Lindh 2010 avec ses chapitres par pays sur l’ouverture des médias au dialogue interculturel et la mise en lumière des initiatives prometteuses, vise à fournir. Chevauchements culturels et niveaux multiples d’analyse L’une des caractéristiques importantes de l’Union pour la Méditerranée, qui forme une toile de fond indispensable à toute étude du traitement médiatique des questions interculturelles dans la région euro-méditerranéenne, est sa longue histoire de migrations et, par conséquent, de chevauchements dans les cultures et les religions. Ce phénomène rend caduque toute notion de groupes culturels distincts entre Européens et habitants du Sud et de l’Est de la Méditerranée, même si leur statut en tant qu’entités politiques peut être différencié de façon relativement claire. Dans une étude récente menée dans cinq pays et portant sur la manière dont l’Europe est représentée dans les médias des pays «à majorité musulmane» et comment les pays musulmans et l’islam sont représentés dans les médias européens, un chercheur de l’Université d’Oxford a conclu que les termes «européen» et «majorité musulmane» étaient inappropriés pour la France, l’Allemagne, la Bosnie-Herzégovine, l’Egypte et la Turquie. Il a suggéré qu’il serait plus adéquat de les décrire comme «deux pays de l’Union européenne avec des populations musulmanes minoritaires, deux pays à majorité musulmane et un pays européen avec une importante communauté musulmane» (Abou-ElFadl, 2009). Aujourd’hui, après un demi-siècle d’immigration en Allemagne à partir de l’Italie, de l’Espagne, du Portugal, de la Grèce, de la Turquie, de l’ex-Yougoslavie, du Maroc et d’ailleurs (Nötzold et Dilli, 2009), les immigrés et leurs descendants – dont beaucoup ont la nationalité allemande – représentent quelque vingt pour cent de la population allemande. En France, où la collecte de données sur les origines ethniques a toujours été subordonnée à une politique d’assimilation, la population n’est pas moins diverse. Déjà, dans le milieu des années 70, Mosaïque, un programme pionnier de télévision pour les téléspectateurs français d’origines diverses, a attiré un public d’environ 4,5 millions de personnes (Frachon et Sassoon, 2008). Comme le sondage Anna Lindh/Gallup l’a révélé, plus de la moitié des personnes interrogées en Turquie, au Maroc et au Liban Évaluation du potentiel de divertissement des médias Les pratiques éditoriales varient évidemment selon les différents types de médias, de la radiodiffusion et de la presse aux films, et de l’information et de l’actualité aux divertissements. Ces dernières années, un certain nombre d’études ont attiré l’attention sur le potentiel des formats autres que les actualités ainsi que des divertissements comme les drames télévisés ou les longs métrages pour accroître la compréhension interculturelle, en raison de leur capacité à explorer des questions de fond et des histoires personnelles de façon plus intime (Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes, 2002). Cette suggestion semble convaincante, si l’on se base, par exemple, sur les articles de ce Rapport sur la Grèce et l’Allemagne qui citent des exemples de fictions télévisées qui reflètent des questions de diversité culturelle comme les migrations, les mariages mixtes et la religion. D’un autre côté, il y a clairement des limites à l’impact actuel des divertissements, si l’on considère les conclusions du sondage Anna Lindh/Gallup comme un bon indicateur. La minorité des répondants qui a déclaré qu’un élément des médias avait amélioré sa perception de l’autre groupe de pays (pas en tant qu’immigrés, mais dans leur pays d’origine) a ensuite été interrogée sur la source grâce à laquelle elle avait reçu l’image positive. Les sources les plus citées par cette minorité sont les nouvelles et les informations à la télévision ou dans la presse écrite. Les chiffres pour la télévision étaient respectivement de 58% et 55% pour les personnes vivant en Europe et dans le Sud et l’Est de la Méditerranée et, pour la presse écrite, de, respectivement, 27% et 12%. Pour les documentaires, les chiffres correspondants étaient de 20% et 13%. Pour les longs métrages, cependant, ces ratios étaient inversés : 20% des personnes vivant en Egypte, au Liban, au Maroc, en Syrie et en Turquie ont cité les films comme une source de perception positive des personnes vivant dans les pays européens, alors que seulement 9% des personnes interrogées en Europe se sont référées au film comme un vecteur d’image positive des personnes vivant dans le Sud et l’Est de la Méditerranée. En attendant une enquête plus approfondie sur les raisons de ce constat, quelques pistes peuvent être tirées de la recherche existante. Une possibilité est que les usagers des médias trouvent juste autant de représentations négatives et insatisfaisantes dans les médias de divertissement que dans les nouvelles et les actualités. Les films traitant équitablement des problèmes de l’incompréhension mutuelle entre les différentes communautés dans l’Union pour la Méditerranée ou exorcisant le souvenir amer d’une injustice historique sont rares, notamment parce que le jugement quant à «l’impartialité» d’un film dépend en définitive des prédispositions de celui qui le regarde et de la façon dont il interprète les détails du récit et l’incarnation des personnages. Une personne qui n’a pas connu de discrimination ou de marginalisation particulières peut trouver un film favorable et progressiste, mais une victime verra les nuances qui peuvent sembler perpétuer un sentiment d’inégalité. Les preuves suggèrent que, même sur le petit écran, des représentations fictives apparemment positives des minorités dans la société peuvent créer un mécontentement parmi les groupes que Prix du journalisme Anna Lindh Ce prix a été créé en 2006 par la Fondation Anna Lindh et la Fédération internationale des journalistes. Il est le plus prestigieux prix de la région en ce qui concerne les rapports entre les cultures et les questions de diversité culturelle. Ce prix a été conçu comme une réponse aux défis auxquels les journalistes spécialisés dans ce domaine sont confrontés pour rendre compte de la transformation rapide qui s’opère dans toute la région, où les sociétés largement homogènes ont fait place à des communautés multiculturelles et multireligieuses dynamiques, ainsi que des conflits et des guerres de plus en plus complexes. Le jury du prix est composé d’experts des médias internationaux, d’anciens présidents, dont des personnalités de Méditerranée renommées, notamment Amin Maalouf et Edgar Morin. Les lauréats des prix annuels sont invités à travailler à titre d’ambassadeurs pour le dialogue culturel à travers des événements organisés dans les 43 Réseaux nationaux Anna Lindh de la société civile . Les partenaires de cette initiative sont notamment la plate-forme audiovisuelle COPEAM, la Commission européenne, l’Organisation des Nations Unies, l’Alliance des civilisations et la Fondation Méditerranéenne de Monaco. www.euromedalex.org Le Rapport Anna Lindh 2010 91 Médias et perceptions interculturelles dans la région euro-méditerranéenne ont dit qu’ils avaient des amis ou des parents vivant en Europe. Pourtant, l’exemple allemand montre également que l’immigration est plus diversifiée que les flux à travers la mer Méditerranée. Si, donc, nous voulons évaluer l’ouverture des médias au dialogue interculturel, de multiples volets du contenu des médias doivent être examinés. D’une part il existe un traitement médiatique des personnes qui traversent les frontières en quête de travail et de sécurité, et, sur ce point, il y a beaucoup à dire, tant sur l’image qui est donnée d’eux dans le pays qu’ils quittent que sur celle qui est montrée dans le pays où ils arrivent. Ainsi, la couverture médiatique britannique des communautés polonaises au Royaume-Uni ou la couverture médiatique suédoise des Bosniaques en Suède (et vice versa, en termes de couverture médiatique polonaise ou bosnienne de ces mêmes communautés) est aussi pertinente que la couverture médiatique libanaise des Syriens au Liban ou la couverture médiatique marocaine des expatriés marocains en Allemagne ou en France. Sur un autre plan, se pose la question de l’espace disponible, pour les groupes ethniques minoritaires de différentes parties de l’Union pour la Méditerranée, afin de créer et de profiter de leurs propres médias, et la question de savoir s’ils regardent vers l’intérieur ou vers l’extérieur. À un troisième niveau, on peut s’interroger sur la façon dont les différentes populations et régions de l’Union pour la Méditerranée sont représentées les unes par rapport aux autres. Sommes-nous seulement informés sur nos partenaires de l’Union pour la Méditerranée quand ils sont touchés par des crises, et, si oui, est-ce pour cela que si peu de répondants du sondage Anna Lindh/Gallup se sont rappelés avoir trouvé, dans les médias, des sujets qui leur ont laissé une impression favorable sur les personnes du groupe des «autres» pays ? Des questions comme celles-ci sont abordées dans les études par pays qui suivent. Le but du présent chapitre est d’étudier le terrain pour analyser les aspects des pratiques des médias réputés être les plus et les moins propices à la conduite efficace du dialogue interculturel à travers l’Union pour la Méditerranée. ANALYSE THÉMATIQUE DES MÉDIAS VUE D’ENSEMBLE ANALYSE THÉMATIQUE DES MÉDIAS 92 www.journalismnetwork.net les scénaristes et les producteurs tentent de dépeindre (Dhoest, 2009). Plusieurs chercheurs attribuent cette insatisfaction à une tendance à la symbolique dans ces productions, due au fait qu’en l’absence d’une plus grande diversité des rôles et des fonctions, un seul personnage doit «porter le fardeau de la représentation» au nom d’un groupe entier. Pour des raisons similaires, peut-être, des jugements divers sont apparus sur l’aptitude de la télé-réalité à lutter contre les préjugés. La télé-réalité, ou le divertissement factuel populaire capable de transformer instantanément des nonprofessionnels en célébrités, a décollé dans les années 2000, lorsque des chaînes de télévision du Nord et du Sud de la Méditerranée ont acheté des formats de spectacles d’expériences sociales comme Big Brother (Loft Story en France) et des concours de chant comme Fame Academy (Star Academy en France). Etant donné l’intérêt des chaînes commerciales à accroître leurs recettes publicitaires en puisant dans de nouveaux publics (Tsagarousianou, 1999), les formats de télé-réalité ont donné aux producteurs une occasion de réunir à l’écran des types de téléspectateurs de composantes ethniques et culturelles de plus en plus larges, sans avoir à chercher des artistes interprètes professionnels qualifiés issus des groupes ethniques concernés. La tendance était si marquée qu’en 2005, Trevor Phillips, alors président de la Commission britannique pour l’égalité raciale, a déclaré que la télé-réalité avait offert à de nombreux Britanniques l’occasion de «rencontrer des gens d’autres groupes ethniques d’une manière dont ils ne le feraient jamais dans leur propre vie quotidienne». Cependant, tout le monde n’était pas d’accord,. Les réponses du public tant de Big Brother que de sa version française, Loft Story, pouvaient tout autant réfuter la thèse de Phillips selon laquelle le programme avait réussi à faire disparaître les stéréotypes (Fayard, 2003). d’autres termes, il ne s’agit pas d’essayer de renverser les stéréotypes pour créer des images positives, mais plutôt de créer une multitude d’images et de révéler les pratiques qui intègrent certaines représentations et excluent les autres. Il semble y avoir, ici, un argument pour repenser la façon de promouvoir la communication interculturelle à travers la fiction, avec, comme éléments clés, l’éducation aux médias du côté du public et l’auto-questionnement du côté des producteurs. Par exemple, les interviews, dans les médias, pourraient davantage demander aux réalisateurs ou aux directeurs de chaînes de télévision de s’expliquer sur leurs choix de récits et sur leurs décisions de casting. Il s’agit d’une alternative au fait de leur demander de produire des divertissements selon une sorte de recette interculturelle, grâce à laquelle le public comprend plus rapidement. Les spectateurs n’apprécient généralement pas la propagande ou la didactique, ils veulent des divertissements véritablement créatifs. Dans le même temps, plus leur situation immédiate est difficile, plus ils comptent sur les divertissements pour échapper provisoirement à la réalité de la vie quotidienne. Ce constat a été établi à partir d’une série télévisée en dix parties faite par et pour les Palestiniens en 2008, avec un financement de l’Allemagne et de l’Union européenne, sous le nom Matabb (qui signifie dos d’âne). Calquée sur une combinaison de feuilletons populaires turcs et allemands, mais produite avec une fraction de leur budget, Matabb a été saluée par les critiques en Europe, qui ont vu dans la série une fenêtre ouverte sur le monde des Palestiniens vivant sous occupation israélienne. Mais ils ont aussi noté que les téléspectateurs européens auraient besoin de la connaissance locale de la Cisjordanie pour comprendre les plaisanteries, tandis que d’autres prédisaient que le public local palestinien, qui fait face aux problèmes sans fin représentés dans Matabb, ne choisirait pas de regarder ces problèmes reproduits à l’écran (Frenkel, 2008). De la même façon, comme il est souligné dans le chapitre de ce rapport sur l’Allemagne, les éloges sur la série humoristique primée Türkish für Anfänger (Le Turc pour débutants), pour son traitement du conflit dans un foyer mixte, ont été contrebalancées par les critiques portant sur le fait qu’elle avait effectivement renforcé les stéréotypes. Pour trouver une réponse au problème de la symbolique dans la représentation des minorités et des groupes marginalisés, de nombreux spécialistes des questions de genre, de classe et d’origine ethnique dans les médias se tournent vers le théoricien culturel d’origine jamaïcaine Stuart Hall. Il conseille d’occuper le terrain qui a été «saturé par une représentation fixe et fermée» dans le but d’ «ouvrir les stéréotypes de telle sorte qu’ils deviennent inhabitables pour très longtemps» (Hall, 1997). En De sympathiques critiques de Matabb ont fait part d’un autre défi fondamental qui se pose à toute tentative de communication interculturelle à travers la fiction et la comédie. Ce défi, connu sous le nom de «discount culturel», réside dans le fait que les téléspectateurs, au sein d’une communauté spécifique, ont en commun des histoires, des croyances, un humour, un environnement physique, etc. Ainsi, des programmes réalisés du point de vue d’autres communautés avec d’autres blocs de connaissances partagées ont beaucoup moins d’intérêt pour eux, surtout lorsque s’y ajoute une barrière linguistique à surmonter. C’est précisément ce phénomène qui donne un de ses plus grands avantages concurrentiels aux films d’Hollywood et à l’industrie de la télévision. Le Rapport Anna Lindh 2010 Pour surmonter ces restrictions, les cinéastes, dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, ont la possibilité de demander le parrainage européen pour faire des films sur les questions sociales. Mais ceux qui prennent cette option en arrivent, après des pressions subtiles, à modifier leur scénario et leurs convictions afin de satisfaire les goûts et les préjugés européens, ce qui limite le film à la distribution européenne et empêche les cinéastes de réinvestir avec des bénéfices auto-produits (Menicucci, 2005 ). En Cohésion de la nation et culture : médias d’information et construction de la nation En vertu des normes de professionnalisme journalistique développées dans certaines parties de l’Europe et des EtatsUnis, la mort et les blessures font la une des nouvelles. Il y a donc une raison structurelle à ce que les reportages sur les guerres et les conflits violents voyagent plus rapidement sur de longues distances dans l’Union pour la Méditerranée que les autres types de nouvelles, bien que les autres types de nouvelles soient susceptibles de modifier fondamentalement le socle de connaissances auquel les utilisateurs des médias se réfèrent lorsqu’ils essaient de donner un sens à des conflits sans avoir d’expérience de première main ou historique (Sakr, 2008). On a beaucoup écrit sur les modes de couverture des conflits qui classent les victimes en fonction de leur relation avec l’auditoire du journaliste, ou offrent des explications simplistes, sousdocumentées comme celle qui se réfère à «de vieilles haines» sans examiner les inégalités contemporaines tangibles. Il existe également une riche littérature sur «le journalisme de paix» qui peut encadrer les conflits de façon à aider à le transformer et à le résoudre (Lynch et McGoldrick, 2005). On a moins parlé de la façon dont les médias ont toujours été impliqués dans les processus de construction des nations dans la plupart des régions de l’Union pour la Méditerranée, de sorte que la communauté nationale imaginée reste ancrée dans les pratiques des médias, malgré les mouvements de population à travers les frontières et en dépit de l’augmentation des espaces médiatiques transnationaux grâce à la télévision par satellite et à l’Internet. En tant que cadre pour la participation politique et véhicule pour la pratique démocratique, l’Etat peut offrir des mécanismes pratiques à ses communautés culturelles constitutives pour favoriser la compréhension et la Mécanisme de réponse rapide des médias Dans le cadre d’une stratégie commune pour répondre aux crises interculturelles dans la région méditerranéenne, la Fondation Anna Lindh, la Commission européenne et l’Alliance des Civilisations des Nations Unies ont élaboré un programme visant à soutenir le travail des journalistes sur les sujets interculturels. L’une des principales propositions à cet égard a été de fournir aux professionnels des médias travaillant dans la région méditerranéenne un accès rapide, libre et direct à certains des principaux analystes, universitaires et commentateurs du monde entier. Cet accès est rendu possible par la promotion des ressources en ligne ainsi que par l’organisation de forums «de réponses rapides» avec des journalistes, des experts universitaires et des dirigeants de la société civile, comme cela a été le cas du «Forum des médias de Londres» organisé à la suite du déclenchement de la guerre de Gaza. Grâce à cette stratégie commune, la Fondation, la Commission et l’Alliance contribuent à faciliter les projets de reportages conjoints entre les journalistes des deux rives de la Méditerranée en vue de traiter des questions d’intérêt commun y compris les migrations, la mondialisation et la culture. www.globalexpertfinder.org Le Rapport Anna Lindh 2010 93 Réunissant des journalistes et des rédacteurs en chef des deux rives de la Méditerranée, le Groupe de travail des médias euro-méditerranéens est un réseau de professionnels des médias impliqués dans l’analyse des enjeux du secteur des médias, dans le développement d’initiatives conjointes et dans la formulation de recommandations politiques pour les décideurs. L’initiative a débuté en septembre 2005, près de la mer Morte en Jordanie dans le cadre de la conférence «L’Euro-Méditerranée et les médias» de la Commission européenne qui vise à donner une voix aux journalistes engagés dans une coopération régionale. Depuis lors, la participation a augmenté, atteignant plus de 500 professionnels des médias, et a abouti à un large éventail de manifestations sur des questions diverses, y compris la couverture des conflits, la liberté de la presse, les reportages sur le terrorisme, les médias et les migrations. Dans le cadre de ce réseau régional, un «groupe de travail» de journalistes a été sollicité pour donner des avis sur les développements politiques dans le cadre du Partenariat euroméditerranéen, pour conseiller la Commission, et pour formuler des recommandations dans des forums liés aux relations interculturelles. d’autres termes, l’image des personnes que le public, en Europe, voit dans des films «arabes» pourrait bien être celle qui a été conçue sous l’influence européenne. Paradise Now (2005, dir. Hany AbuAssad), un film réalisé par un Palestinien qui a été nominé aux Oscars en 2006, était une co-production palestinienne, israélienne, française, allemande et néerlandaise. Caramel (2007, dir. Nadine Labaki, titre arabe Soukkar Banat), une co-production libanofrançaise annoncée en Europe comme contrecarrant les préjugés en ce qu’elle représentait une tranche paisible de la vie quotidienne libanaise, a été diffusé en France pendant la guerre entre Israël et le Hezbollah qui a provoqué des pertes massives et des destructions au Liban en juillet 2006. ANALYSE THÉMATIQUE DES MÉDIAS Groupe de travail des médias euro-méditerranéens Parce que les États-Unis ont le plus grand marché intérieur au monde, d’importants bénéfices peuvent être faits dans le pays par des films à gros budget avant que le «discount culturel» n’entre en jeu (Hoskins, McFadyen et Finn, 2004). De la même façon, les petits pays font face à des obstacles majeurs pour le financement de films ou de séries télévisées pourtant assez remarquables pour être vus dans des régions très diverses de l’Union pour la Méditerranée. D’autre part, comme le montrent les statistiques du sondage Anna Lindh/Gallup sur le cinéma comme source d’impressions positives, les habitants de la région ne font pas face aux obstacles de la même façon : beaucoup plus de personnes vivant dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée semblaient avoir reçu une impression positive de leurs homologues en Europe à travers le cinéma que l’inverse. Ce déséquilibre indique qu’il doit y avoir des obstacles supplémentaires qui freinent la circulation des films du sud vers le nord. Un facteur possible pourrait être les lourdes contraintes qui pèsent sur la distribution dont font l’expérience les réalisateurs de films et de programmes de télévision, même dans des pays du Sud et de l’Est méditerranéen dont le marché intérieur est assez vaste pour encourager l’investissement dans les films et où, en conséquence, l’exportation des films est plus probable. La production indépendante de films est en plein essor en Turquie et les cinéastes turcs ont remporté des prix prestigieux à l’étranger. Mais chez eux ils se plaignent du nombre limité de projections, tandis que leur succès en Europe semble être principalement attribuable au bouche-à-oreille parmi les résidents de langue turque en Europe. Il reste à voir si d’autres Européens développeront un goût pour le cinéma turc. En Egypte, un pays très peuplé, dont l’industrie du cinéma a une histoire à succès, de multiples couches de censure directe et indirecte garantissent actuellement que seulement une fraction de la créativité du pays se reflète sur l’écran (Farid, 2006). Il existe en particulier des restrictions, en Egypte et ailleurs, sur la représentation des divisions sociales dans la fiction, de peur que cette représentation aggrave une discorde plutôt que de stimuler un débat public rationnel et bien intentionné qui puisse finalement aboutir à un consensus. En Europe, après la Seconde Guerre mondiale, le modèle de la radiodiffusion de service public a en partie été élaboré pour forger un sentiment d’unité nationale. Dans de nombreux pays les radiodiffuseurs d’Etat ont conservé une position dominante pendant plusieurs décennies. Dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, les médias audiovisuels ont été déployés pour mobiliser et unifier des nations après leur accession à l’indépendance. Aujourd’hui, l’héritage de ces approches est parfois considéré comme un problème, l’identification culturelle nationale ne pouvant être «pensée en dehors du carcan [national]».. Une recherche faite à partir de sources non-européennes sur les communautés qui, en Europe, consomment des médias révèle qu’elles développent de nouvelles pratiques plurielles d’utilisation des médias – des pratiques qui «les font participer à une mobilité imaginative et intellectuelle à travers les espaces culturels» (Robins, 2009). Pourtant, parfois, l’imagination omniprésente et homogénéisante de la communauté nationale crée une perception initiée par les groupes de la diaspora qui consomment les médias dans leur propre langue et qui prend la forme d’un «nationalisme de longue distance», d’une «communauté unie, connectée dans un espace culturel unifié» (Robins, 2009). Les commentateurs qui appellent à une reconnaissance alternative – à savoir que les groupes de la diaspora «rassemblent des éléments des cultures de l’ancienne et de la nouvelle patrie ainsi que des perceptions culturelles propres» (Browne, 2005) – trouvent un écho sur le côté Sud de la Méditerranée auprès de ceux qui sont impatients de voir un mouvement intellectuel se démarquer d’une situation «où il y a toujours eu un équilibre social qui lissait systématiquement toutes les différences, au prétexte de la cohésion après l’indépendance», et aller vers une situation où parler de «pluralisme et représentativité» est traduit en propositions concrètes (Naji, 2009). Inévitablement, l’ouverture au pluralisme et au dialogue à travers les médias d’information est influencée, tout comme elle l’est dans le cas des médias de divertissement, par l’expérience concrète de ceux qui Le Rapport Anna Lindh 2010 Construire sur des pratiques positives : des indicateurs pour de futures actions Plusieurs perspectives d’action se dégagent des facteurs mentionnés ci-dessus. Si, par exemple, on part du principe que la vraie diversité interculturelle dans le contenu et le recrutement des médias diffère intrinsèquement du simple geste symbolique, il devient alors impératif de faire pression en faveur de la multiplication d’images et de représentations ouvertes qui reconnaissent le même degré de complexité aux identités individuelles et communes des autres qu’à celle que les producteurs médiatiques revendiquent comme la leur. S’il est reconnu que le phénomène du «discount culturel» et de l’inégalité des flux de médias donnent à des médias produits localement un avantage sur les importations en terme de capacité à communiquer efficacement sur la diversité culturelle, ceci fait porter une énorme responsabilité sur les médias locaux et leur devoir d’aborder des sujets pertinents pour la coexistence dans l’espace euro-méditerranéen. Cela signifie également qu’ils doivent sauvegarder le nombre et la qualité des reportages étrangers et empêcher qu’ils soient considérablement réduits à cause des compressions budgétaires. Cela signifie établir des critères d’intégration dans le recrutement et la couverture médiatique et mesurer régulièrement leur mise en oeuvre, sur la base du «ce qui est mesuré est fait». Cela signifie aussi faire en sorte que les professionnels des médias d’information et de divertissement soient invités à chaque étape à réfléchir de manière critique sur ce qu’ils font. Selon la publication l’«Agenda pour une pratique responsable des médias», l’acquisition d’une «compétence [de communication] interculturelle» exige que tous les professionnels des médias soient aidés pour acquérir une «compréhension critique réflexive sur les structures de croyance et les sentiments qu’ils intègrent dans leurs relations avec la diversité ethnique», ainsi que la possibilité de «réfléchir sur la pertinence de leur propre répertoire comportemental» (Downing et Mari, 2005). Ce n’est pas un exercice abstrait. Il peut être concrétisé par le biais d’initiatives telles que le partenariat entre des journalistes de médias minoritaires et grand public, ou par le Mécanisme Média de Réponse Rapide (voir les «Bonnes pratiques des médias»), et soumis au regard du public par des séances de questions-réponses avec des directeurs et des rédacteurs en chef. A l’ère du numérique, on ne manque pas de canaux de communication pour partager une telle réflexion et un tel examen minutieux. Quant à savoir qui est bien placé pour promouvoir le dialogue interculturel à travers les médias, on remarque que les actions réussies ont été entreprises tant au niveau «micro» des individus et des petits groupes qu’au niveau «macro» des organismes intergouvernementaux. On trouve une liste d’exemples recommandés dans une publication de la Commission européenne de 2009. Intitulée Prendre le pouls de la diversité des médias, l’étude a couvert les 27 pays de l’Union européenne plus l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège. Elle a recensé 472 propositions pertinentes d’exemples de projets qui visent à promouvoir la diversité et l’égalité à travers les médias. Après en avoir présélectionné 150, l’équipe de recherche a finalement choisi 30 projets lancés par les médias, les organisations de la société civile et les gouvernements, dans des domaines tels que la formation, le recrutement, l’encadrement, la sensibilisation, l’évaluation, la production de contenu et le refus de la désinformation. Plusieurs caractéristiques de cet exercice sont pertinentes pour l’action en faveur du dialogue interculturel. La première est que, même si les initiatives médiatiques faisaient référence à de nombreux aspects de la diversité, y compris l’âge, le sexe et le handicap, les propositions les plus nombreuses avaient trait aux origines nationales, ethniques ou «raciales» et à la diversité des religions et des convictions (Commission européenne, Unité G4, 2009). L’autre caractéristique est que les 30 initiatives ont été choisies en partie parce que leurs méthodes ont été jugées faciles à imiter. Toutefois, il reste beaucoup de champ pour une action non axée sur les projets. Elle correspond à la nécessaire prise de conscience et à l’utilisation active des instruments existants, sous la forme d’institutions transfrontalières et de traités – une prise de conscience et un engagement dont les professionnels des médias devraient disposer (peut-être par les réseaux de la Fondation Anna Lindh) pour en faire la promotion. Parmi les institutions de médias existants qui couvrent la Méditerranée, on peut citer la Conférence Permanente de l’Audiovisuel Méditerranéen (COPEAM). Créée au Caire en 1996, elle regroupe les grands groupes audiovisuels de service public comme l’Union européenne de radio-télévision et l’Union de radio-télévision des Etats arabes, et vise à fournir une plateforme de coopération à tous les intervenants des médias audiovisuels, publics et privés. La Charte de Séville COPEAM de mai 2005, signée à ce jour par 26 diffuseurs euro-méditerranéens, a appelé à considérer le «nouveau modèle multiethnique et multiculturel» induit par les migrations dans les sociétés méditerranéennes comme un «élément fondamental du développement social et culturel». Ces diffuseurs ont appelé les médias à étendre les connaissances d’une manière novatrice, «sans stéréotypes», à privilégier «la programmation ouverte et pluraliste à la télévision» et à accorder une attention particulière aux «sujets se rapportant au dialogue interculturel et au partenariat euro-méditerranéen» grâce à de nouveaux genres de programmes et à des outils technologiques qui conviennent aux jeunes et à «la nouvelle génération». Les principes exprimés dans la Charte ont été mis en application dans des projets comme le Festival «Plural Plus» ( Alliance des Civilisations des Nations Unies), qui invite des responsables médiatiques de moins de 25 ans à envoyer des vidéos sur des questions communautaires touchant à la migration, à l’intégration, à l’identité, à la diversité, aux droits de l’Homme et à la cohésion sociale. Mais les engagements pris dans la Charte de Séville sont fondés sur le volontarisme de chacun et il n’y a aucun mécanisme coercitif pour leur application. Cela signifie qu’il est possible, pour les publics des pays représentés dans la COPEAM, de rappeler aux journalistes leurs promesses, comme ce fut le cas, en Espagne, lorsque les critiques de la Loi Générale de mars 2010 sur la Communication Audiovisuelle ont souligné les contradictions avec les engagements pris au sein de la COPEAM. La Convention UNESCO sur la Diversité Culturelle D’autres modalités de suivi des engagements existants à l’égard du dialogue interculturel dans les médias sont prévues par la Convention UNESCO sur la Diversité Culturelle de 2005. Dans son titre complet, la convention vise à la protection et à la promotion de la diversité des expressions culturelles; ses objectifs et principes directeurs visent notamment à encourager le «dialogue entre les cultures en vue d’assurer des échanges culturels plus larges et équilibrés dans le monde», et de favoriser «l’interculturalité afin de développer l’interaction culturelle dans l’esprit de bâtir des passerelles entre les peuples». La Convention est un traité international, qui est juridiquement contraignant pour les pays qui l’ont ratifiée ou qui y ont adhéré. Il y a donc des mesures à prendre à l’échelle nationale non seulement dans des pays comme la Turquie, le Liban et le Maroc qui n’ont pas encore signé ou ratifié la Convention, mais aussi dans l’ensemble de l’Union pour la Méditerranée, afin de s’assurer que ses objectifs sont largement diffusés et tenus. De même, les 47 membres du Conseil de l’Europe ont développé une politique qui considère le dialogue interculturel comme un moyen de construire une «société européenne dynamique et ouverte, sans discrimination». Elle recommande que les compétences interculturelles soient enseignées et apprises, que des espaces pour le dialogue interculturel soient créés et développés, et que le dialogue interculturel soit porté au niveau international (Conseil de l’Europe, 2008). Le Rapport Anna Lindh 2010, spécialisé dans l’ouverture des médias au dialogue interculturel, aspire aux mêmes objectifs. NAOMI SAKR est Professeur de politique des medias et directrice du centre des médias arabes, Université de Westminster, Royaume Uni Le Rapport Anna Lindh 2010 95 y participent. Le dialogue interculturel n’est guère susceptible d’apparaître comme une priorité immédiate pour les personnes en état de siège ou victimes d’attaques physiques. Les médias ne fabriquent pas les événements; dans les situations de conflits violents et d’insécurité, les secours et la résolution des problèmes sont de la responsabilité des politiciens et des militaires, pas des médias. On peut raisonnablement attendre des professionnels des médias qu’ils rapportent les faits fidèlement et de manière constructive, mais, finalement, ils ne peuvent rapporter que ce qui se passe. À la lumière des agressions commises à l’encontre des Palestiniens, des Afghans, des Irakiens et des Libanais, il n’est pas surprenant que l’analyse de trois mois de contenu de trois séries différentes de talk-shows politiques, sur une chaîne de nouvelles panarabe appartenant à un entrepreneur pro-américain d’Arabie Saoudite, ne révèle presque aucune image positive des Etats-Unis ou des politiques européennes (Hroub, 2009). Les rares exceptions sont un programme qui mentionnait des prêts au Liban et un autre consacré à un entretien avec Ahmed Aboutaleb, un citoyen néerlandais d’origine marocaine et premier maire musulman de Rotterdam, qui venait d’être nommé secrétaire d’Etat au ministère néerlandais des Affaires sociales et de l’Emploi. Sachant que les populations qui vivent au milieu des conflits et de l’insécurité sont obligées de s’appuyer davantage sur les médias d’information que celles qui en sont préservées, il y a un déséquilibre structurel dans les possibilités d’accroître la compréhension interculturelle à travers les médias d’information, en ce sens que toutes les parties prenantes du dialogue souhaité ne partagent pas le même appétit pour les nouvelles. Ceci crée un cycle (souligné dans le chapitre de ce Rapport consacré au Royaume-Uni) dans lequel le manque d’intérêt du public dissuade les rédacteurs en chef des pays politiquement stables de commander la collecte des nouvelles des pays instables. Le déséquilibre est encore aggravé par le fait que les collecteurs de nouvelles ou metteurs en scène de documentaires de Méditerranée méridionale et orientale font face à plus de restrictions à l’entrée de l’Europe que leurs homologues européens voyageant dans la direction opposée. ANALYSE THÉMATIQUE DES MÉDIAS 94 ANALYSE THÉMATIQUE DES MÉDIAS confiance mutuelles. Dans son travail sur le multiculturalisme, Bhikhu Parekh identifie la confiance comme une clé du dialogue, parce que le fait de s’engager réciproquement à s’auto-questionner et à travailler ensemble sur un pied d’égalité est nécessaire pour modifier le contexte d’un conflit interculturel, et le désamorcer (Parekh, 2006). Il apparaît dans l’analyse de ces pays de l’Union pour la Méditerranée où la production et la consommation des médias sont alignées sur les divisions ethniques dans la société, que les médias nationaux interculturels pourraient offrir des plateformes plus efficaces que celles qui existent actuellement pour instaurer la confiance entre communautés et le dialogue interculturel. En revanche, les médias nationaux de certains autres pays de l’Union pour la Méditerranée sont utilisés pour diffuser des versions exclusives et homogénéisantes de l’identité nationale. Le risque est alors de «pathologiser l’hétérogénéité comme une condition» et de présenter le changement comme «un héritage subverti» (Georgiou, 2005). Là où les médias sont complices de l’«invention de la tradition», par exemple dans le traitement rituel des discours des dirigeants de la nation ou de grands événements sportifs, ils contribuent à perpétuer une vision d’un Etat-nation continu et invariable, de sorte que les possibilités de cohésion sociale soient considérées comme liées à un sentiment de continuité avec le passé (Hobsbawm et Ranger, 1992). ANALYSE THÉMATIQUE DES MÉDIAS 96 Des perceptions qui changent sur le terrain Nous tenons comme une vérité que cette Mare est vraiment «nostrum». Certains Européens du Nord, possèdent des «riyadhs» à la mode à Marrakech, d’autres achètent des maisons d’été sur la côte croate; dans certaines régions d’Afrique du Nord, nombreux sont ceux qui quittent leur famille et leurs proches, pour une part de la richesse économique qu’ils voient en l’Europe occidentale. Al Hambra et les nombreux forts croisés témoignent de cette longue et souvent tumultueuse histoire d’interaction et nous apprécions tous les recettes que la diffusion des ingrédients comme l’huile d’olive a rendu réalisables au-delà des limites géographiques de l’endroit où poussent des oliviers ! Notre culture commune nous rassemble malgré les déséquilibres complets entre le Nord et le Sud de la Méditerranée. Est-il donc trop naïf de poser la question : pourquoi ne pouvons-nous pas simplement nous entendre ? Que savons-nous réellement les uns des autres ? Et quel rôle peuvent jouer les médias ? Le sondage d’opinion Anna Lindh/Gallup jette une lumière précieuse sur certaines réalités : par exemple, ceux qui ont effectivement vu l’autre côté de la Méditerranée, ou ont été directement en contact avec des gens de l’autre côté de la Méditerranée sont en fait une étonnante minorité. C’est ce qui explique dans une large mesure le manque réel de connaissance de l’autre, qui conduit à un recours accru aux médias pour acquérir ce savoir, ce qui pointe à son tour les potentiels manques dans les médias.. Le paysage médiatique Il peut sembler étonnant qu’il y ait si peu de compréhension mutuelle si l’on considère l’afflux d’informations dû à l’avènement des nouveaux médias sociaux, dont une grande partie pourrait jouer un rôle constructif. En Jordanie par exemple, la plupart des blogueurs jouent un tel rôle, et sont définis comme des «constructeurs de ponts», essentiellement composés de jeunes éduqués et anglophones qui écrivent pour communiquer sur ce qu’ils sont et sur les valeurs auxquelles ils croient. Mais paradoxalement, la vitesse de propagation et la quantité des contenus médiatiques peuvent amplifier les idées et les perceptions erronées. Comme presque partout dans le monde, sur toutes les rives de la Méditerranée, les médias se concentrent sur les événements les plus tragiques ou sensationnels. À certains moments, comme pour l’épisode des caricatures danoises, on attise souvent les flammes du conflit et des tensions et on ignore les éclaircies qui existent – ou même le simple fait que nous sommes tous connectés : combien d’Européens se rendent compte que l’essentiel du gaz naturel qu’ils consomment provient d’Afrique du Nord ?George Terzis, en écrivant sur le rapport à «l’autre» (Terzis, 2008) explique comment les préjugés se forment : les médias utilisent ces oppositions «binaires» (nous contre les autres, le bien Le Rapport Anna Lindh 2010 contre le mal, le moral contre l’immoral, etc.) dans la construction de ces préjugés. Au départ, «les médias font de ces oppositions une partie intégrante des politiques de recherche, de collecte, d’évaluation, d’écriture, d’édition, de distribution/programmation et de reportage, dans tous les domaines politiques, économiques et sociétaux.» Un cercle vicieux se dégage de l’ignorance de «l’autre» : les médias ne se contentent pas de refléter ces perceptions, ils les perpétuent ou les renforcent. Récemment, un article d’une source de nouvelles européennes respectée faisait allusion encore une fois à des crimes dits d’honneur comme une pratique «islamique», ce qu’elle n’est pas, même si elle est parfois réelle, malheureusement, dans la majorité des pays musulmans. C’est une idée fausse assez répandue, mais inattendue de la part de journalistes chevronnés européens. Le fait que tant d’incompréhension prévaut en dépit de tous les avantages potentiels des médias témoigne de la valeur du contact en face-à-face et d’une présence physique dans la culture de «l’autre» pour favoriser l’empathie mutuelle et la coopération. Ainsi, alors que nous entendons beaucoup parler les uns des autres dans les médias, la quantité de reportages masque leur qualité ou leur exactitude, et nous sommes en quelque sorte amenés à croire que nous savons beaucoup plus les uns sur les autres que ce n’est réellement le cas. Enfin, bien que peu d’efforts de communication existent, ils sont généralement unidirectionnels. Les médias d’Europe occidentale qui communiquent vers le monde arabe sont très nombreux (par exemple BBC World Service, Radio Monte-Carlo, Doualiya, Deutsche Welle, Euronews en arabe, etc.), tandis que le seul média arabe qui communique à la même échelle avec le reste du monde est Al Jazeera International – et malgré son poids financier, le réseau rencontre des obstacles pour être diffusé en Occident. Un autre facteur qui alimente les perceptions erronées est l’image de l’Europe du Nord telle qu’elle est véhiculée : les films et les journaux télévisés montrent un continent riche et relativement puissant, où il n’y a pas seulement moins de pauvreté mais aussi plus de liberté politique que dans la plupart des pays du Sud. Les gouvernements ainsi que leurs peuples sont considérés comme n’étant pas dans le besoin impérieux de biens, ce qui conduit à l’hypothèse que si l’Europe n’ouvre pas ses portes à davantage d’immigrés et si elle ne fait pas pression sur Israël – financièrement ou politiquement – ce n’est pas parce qu’elle ne peut pas, mais simplement parce qu’elle ne veut pas. Cette perception suffit à elle seule, et pour longtemps, à expliquer les multiples théories de conspiration et les mythes qui abondent dans notre partie du monde au sujet de «l’Occident». Quelques images diffusées occultent la bonne foi ou les efforts consentis : celles des immigrés qui risquent leur vie pour traverser la Méditerranée pour arriver en Italie ou en Espagne, ou qui sont parqués dans des camps de rétention entourés de grillage éclipsent tous les efforts moins médiatisés faits par certaines villes espagnoles Le racisme, les attitudes isolationnistes, l’étroitesse d’esprit, le nationalisme, les tensions religieuses et les extrémismes existent sur tous les rivages de la Méditerranée. Et bien sûr, il y a le processus de paix au point mort en Palestine. Ses causes et ses conséquences sont souvent timidement évoquées par de nombreux médias occidentaux européens; beaucoup d’entre eux hésitent à utiliser des mots comme occupation, colonies, ségrégation, crimes de guerre et violations flagrantes des droits de l’Homme, sans les qualifier. En vertu du droit international, les colonies sont illégales. Pourtant, même si c’est un fait, il est couvert comme si c’était juste une question de perception – «les colonies, considérées comme légales par les Israéliens, mais pas par de nombreux autres pays» est une tournure de phrase commune – introduisant un doute dans l’esprit du spectateur ou du lecteur quant à leur réelle illégitimité. Dans ce cas, la représentation médiatique des événements ne reflète pas seulement, mais atteste aussi du refus de la communauté internationale à traiter impartialement la question. Pour que la perception bouge vraiment, il faut que les réalités sur le terrain changent. Inonder les ondes pendant des mois avec des images montrant des Palestiniens ensanglantés et démembrés pris sous les bombardements à Gaza peut donner l’impression que les histoires de mort et de destruction laissent peu de place pour autre chose dans les médias arabes. Mais une guerre dans laquelle des femmes et des enfants sont tués en toute impunité ne peut pas paraître moins réelle en «équilibrant» ce qui est diffusé sur les ondes avec d’autres images de «success stories», inventées ou avérées. Ces histoires ne suffiront pas à distraire un public dont les familles ont assisté à la dépossession de générations entières, à l’humiliation et à la violence, en particulier aujourd’hui, à l’ère d’Internet, où les nouvelles circulent si vite et où les réalités, bonnes ou mauvaises, transmises par des caméras de téléphone mobile, sont difficiles à contester. Cela peut expliquer pourquoi tant d’initiatives concernant les médias pour établir des liens entre les Palestiniens et les Israéliens ne donnent pas les résultats positifs escomptés : dans l’ex-Yougoslavie, quels que soient les efforts de consolidation de la paix qui aient pu être tentés, ils n’ont jamais été tentés quand les réfugiés étaient expulsés de leurs maisons. Alors, quand il s’agit du Moyen-Orient, on ne peut guère s’attendre à ce que des journalistes des deux côtés tentent une formation commune sur les médias alors que le processus de paix est entaché par la poursuite des assassinats, l’occupation, la construction continue de colonies de peuplement. Cela ne signifie pas que rien ne doit être fait ou tenté quand il s’agit de travailler sur l’évolution des perceptions qui pourraient engendrer un risque pour la paix et l’acceptation de l’autre, au contraire, il devrait y avoir un sentiment d’urgence à le faire. Un des résultats marquants de l’enquête Anna Lindh/Gallup a été l’importance et l’influence positive de la culture pour mobiliser la population et favoriser la compréhension commune. Les festivals devraient recevoir autant de soutien que possible, qu’il s’agisse de musique, de films ou d’autres événements culturels. Des festivals qui courent d’un théâtre romain à l’autre dans les différents pays pourraient déboucher sur un sens du patrimoine historique commun. Faciliter l’accès aux films – dont les droits sont extrêmement coûteux – dans toute la région serait d’une grande aide. Mais ces efforts, pour avoir plus d’impact, doivent être combinés simultanément à des initiatives plus ciblées et plus efficaces dans une variété de domaines dont l’éducation, la recherche et la formation. Noha Mellor estime que les professionnels des médias occidentaux ont tendance à se pencher superficiellement sur les problèmes arabes (Mellor, 2007). «Le résultat est que la grande majorité des productions journalistiques, et même la majorité des contributions universitaires, affligent tous les Arabes d’une identité stéréotypée. Les travaux des savants arabes devraient être mis à la disposition des chercheurs et des étudiants de l’Ouest, et devraient servir de base pour des études ultérieures. Nous avons également besoin d’enquêtes plus approfondies auprès des journalistes arabes et du public.» Il est intéressant de noter à cet égard que, lorsque Amin Maalouf a écrit Les Croisades vues par les Arabes, par exemple, aucun autre auteur arabe n’apparaissait sur les listes de lecture des étudiants pour l’époque des Croisades. En amont, on devrait porter une plus grande attention à la qualité de la formation aux médias et à sa continuité. Une des nombreuses interventions de consolidation de la paix dans les médias pourrait consister en un échange de journalistes, où les professionnels des médias des pays du Sud seraient invités à travailler dans les rédactions des médias occidentaux et inversement. Toutefois, pour être efficace et transformer véritablement la situation, il faudrait faire des efforts à long terme pour y inclure des échanges entre les reporters qui travaillent dans les salles de rédaction de «l’autre côté» pour au moins un an (les effets des ateliers de deux semaines disparaissent généralement rapidement). Ils ne devraient pas être limités à l’enseignement du journalisme, mais s’adresser aussi à d’autres domaines incluant l’environnement juridique et social. L’éducation généralisée aux médias est également importante. En Jordanie, par exemple, la présence de centres de savoirs qui dispensent une formation à ceux qui voudraient en savoir plus sur l’Internet dans les régions éloignées du Royaume montre une détermination, avec peu de moyens, de faire partie de cette équation. Enfin, on pourrait imaginer plusieurs capitales méditerranéennes hébergeant des salles de rédaction rassemblant les journalistes de tous les pays de la région pour diffuser, dans diverses langues, une télévision méditerranéenne, et des publications (y compris un magazine féminin et un magazine pour enfants mettant en valeur notre patrimoine commun par exemple) qui pourraient servir de mise en œuvre concrète de programmes de formation. La Fondation Anna Lindh, avec son vaste réseau participatif rassemblant des ONG de presque tous les pays du pourtour méditerranéen, a déjà contribué à la prise de conscience croissante de la population dans cette vaste région. D’autres, nous l’espérons, l’imiteront, en redoublant d’efforts pour promouvoir, à travers une plus approche «holistique», la compréhension et la coopération autour de «notre mer». SAR LA PRINCESSE RYM ALI est la fondatrice du Jordan Media Institute. Elle a été productrice et correspondante pour CNN et de nombreuses organisations nouvelles. Le Rapport Anna Lindh 2010 97 L’empathie mutuelle contre l’ignorance et les incompréhensions RYM ALI pour intégrer les immigrants d’une manière constructive et digne. Mais il y a une limite au-delà de laquelle on ne peut plus accuser les seuls médias d’être responsables de perceptions erronées qui conduisent à des conflits ou à des tensions. Il existe d’autres obstacles, réels et sérieux, sur le chemin vers la compréhension, la coopération et la paix réelle – de la même nature que celle que les Français et les Allemands ont connue après la Seconde Guerre mondiale. On ne peut pas espérer voir ces obstacles disparaître grâce à la seule recrudescence d’images positives. ANALYSE THÉMATIQUE DES MÉDIAS PERSPECTIVES SABINE SCHIFFER MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS 98 Selon l’Enquête Anna Lindh/Gallup, les Allemands ont manifesté un intérêt particulièrement important pour en apprendre davantage sur les «autres», même si une majorité d’entre eux ne pense pas que les médias encouragent une image plus positive des autres groupes de pays. Sabine Schiffer souligne un certain nombre de limites de ce format médiatique quant à l’impact positif sur la perception interculturelle, avec des exemples de stéréotypes ayant été renforcés plutôt que contestés. À cet égard, Schiffer souligne un certain nombre de bonnes pratiques qui peuvent soutenir une nouvelle tendance de la diversité dans les médias. Le Plan national d’Intégration de 2007 du gouvernement allemand cite explicitement les médias comme un facteur pour soutenir le «processus d’intégration» (ALM, 2003). Dans la «Section 4.8» qui comprend 13 des 202 pages du plan, le slogan «Bénéficier de la diversité» expose l’idée principale qui sous-tend le concept de diversité. Ses recommandations sont «de présenter la diversité culturelle dans le cadre de la réalité courante, d’encourager davantage de migrants à postuler à des emplois dans les médias, de réduire les carences dans la recherche sur les médias et l’éducation aux médias pour les migrants, et d’offrir des programmes spéciaux pour les migrants, afin d’attirer leur attention». Outre le fait que les propositions ne soient pas contraignantes, le manque de compréhension concernant la notion d’intégration de la diversité semble être le premier obstacle à une amélioration effective. L’accent mis sur l’immigration est aussi trop limité pour conduire à des représentations de la diversité, qui couvre également le sexe, l’âge, le handicap, l’orientation sexuelle, etc. (Commission européenne, 2009; Paulus, 2007), et, en effet, le marquage de la culture et de la migration porte déjà le risque de renforcer l’idée de «l’autre». Une perspective comparative Par rapport aux Etats-Unis, au Canada et au Royaume-Uni, les ambitions en Allemagne sont à la traîne (Geisler, 2007; DLM, 2003). Le fait qu’il y ait eu des efforts pour améliorer la diversité culturelle dans les médias allemands montre que la formulation de principes n’est pas suffisante (Zambonini, 2007; Maier-Braun, 2007; WDR, 2007; Medien Monitor, 2007) : «à peine 3% des effectifs des médias sont issus de l’immigration, bien que les immigrés représentent près d’un cinquième de la société allemande»(Oulios, 2007; Bohmer, 2007). Au moins, davantage de formations professionnelles sont offertes aux «nouveaux Allemands» (Linder, 2007). Cependant, l’Union des Journalistes Allemands indique que les immigrés sont très souvent des pigistes et ne font pas partie de la corporation des médias (Nghi Ha, 2007; , voir aussi CEDAR). En outre, leur classification en catégories est apparente et la demande croissante pour les membres des minorités marginales, qui remplissent un Le Rapport Anna Lindh 2010 certain rôle dans le discours d’une part majoritaire de la société (par exemple, Ayaan Hirsi Ali/Magan), est extrêmement contreproductive pour la cohésion sociale (ibid.). Cela montre que l’éducation des décideurs (BAMF) est plus importante que celle de ceux qui cherchent à y accéder. La comparaison avec la stagnation relative du taux de participation des femmes (Gallagher, 2006) montre qu’il existe une déconnexion entre les déclarations, d’une part, et la volonté d’accepter le changement et le manque de prise de conscience des limites structurelles, d’autre part. Les deux questions doivent être abordées (Roben, 2007 et 2008; Iglesias, 2005; Berliner Beiträge, 2006; Hartmann, 2002). Le «biais systématique» concernant le personnel semble avoir été entendu plus tôt par les télédiffuseurs privés. Face à la concurrence des «ethno-médias», les radiodiffuseurs de service public ont tardé à reconnaître l’avantage d’inclure des gens de couleur dans leur personnel, y compris de façon visible à l’écran – aussi pour attirer ces groupes dans la société (Zambonini et Simon, 2008). La crainte d’un effet de ségrégation des «ethno-médias», d’autre part, s’est révélée sans fondement (Weber-Menges, 2007; Windgasse, 2007). Mais la lutte contre la discrimination est un problème vaste et très souvent sous-estimé. Alors que, durant les années 1980, l’accent était mis sur la délinquance des étrangers, les migrants, ces dernières années, sont de plus en plus représentés dans le cadre de la terreur dite «islamiste» et de la différence culturelle (Ruhrmann, 2007; Jager et Halm, 2007; van Dijk, 2006; Hafez et Richter, 2007). Les «étrangers» semblent être devenus des «musulmans» et l’islamophobie est désormais un frein important à l’intégration (Schiffer, 2005; Jager et Halm, 2007). La fiction d’une culture nationale homogène se perpétue. Par conséquent, la couverture médiatique dominante soutient l’agenda politique au lieu d’agir comme un organe de contrôle à son égard (van Rossum, 2007; Becker et Flatz, 2005; Trebbe, 2009). Plusieurs analyses de la couverture des nouvelles concluent que les immigrés font l’objet d’un intérêt moindre et sont très souvent présentés de manière négative, bien qu’on note une certaine amélioration au La recherche qualitative menée sur l’une des séries policières les plus populaires (ARD, Tatort), montre que les rôles dépeints n’invitent toujours pas certains groupes à les regarder (Ortner, 2007). Bien que certaines améliorations puissent être ressenties, les propositions de la conférence de l’EUMC sur «le racisme, la xénophobie et les médias» en 2006 sont toujours d’actualité : «une meilleure présentation par une meilleure représentation des minorités, plus de diversité dans les non fictions grand public, la connaissance interculturelle inscrite dans le cadre de l’enseignement, une motivation grâce à de meilleures pratiques, plus de dialogue entre les différents groupes ethniques, religieux et culturels, une meilleure maîtrise de soi et au moins un forum de discussions sur le racisme». Suivant le modèle canadien, l’UER ou l’Eurovision interculturelle et le Groupe de Diversité ont recommandé l’accompagnement de tous les efforts de recherche, parce que «ce qui est mesuré est fait» (Linder, 2007a; Screening Gender, 1998). Cela répond au fait que les sociétés audiovisuelles et les journaux allemands refusent un «comptage ethnique» et toute discussion sur un quota (Linder, 2007b). Certaines organisations non gouvernementales tentent de soutenir la diversité en faisant campagne pour «Plus de couleurs dans les Médias» (Institut Adolf Grimme), en accueillant des colloques comme «Médias et diversité» (Loccum Academy) ou en mettant en place des bourses «Jeunes migrants dans le journalisme» (Fondation Heinrich Böll). Les médias créent des programmes comme l’atelier de talent «Grenzenlos WDR», qui prévoit souvent l’accès à des niches comme Cosmo TV sur le canal Funkhaus Europa, DW-World et son partenaire qantara.de tout en offrant l’accès à d’autres formules et à d’autres sujets. Le site qantara/pont permet aux visiteurs de rencontrer le monde islamique en dehors des cadres habituels de la couverture des nouvelles quotidiennes. Pour proposer des formats similaires au programme chrétien (ARD) ou juif (RBB), ZDF et SWR ont lancé des programmes en ligne faits par et pour les musulmans, où différents acteurs et points de vue sont représentés (SWR Islamisches Wort, ZDF Forum am Freitag). On trouve d’autres exemples dans le magazine interculturel de Eleni Iliadou diffusé par BR5, la nouvelle formule TV Puzzle produite par Özlem Sarikaya, ou encore la recherche IZI d’Elke Schlote et sa Televizion imprimée. Bien que le concept de «l’autre» soit encore souligné ici, ces initiatives peuvent être considérées comme des étapes importantes. D’un autre côté, il y a aussi des revers, comme la fermeture de Radio Multi-Kulti à Berlin (remplacée par Funkhaus Europa) ou, pire encore, les séminaires sur la prétendue «islamisation de l’Europe» proposés, par exemple, par l’École Axel Springer de journalisme (Nghi Ha, 2007). En ce qui concerne les impressions sur l’Islam, la couverture médiatique des affaires étrangères est cruciale (Hafez, 2002). Compte tenu du fait que de nombreux membres des groupes marqués ne se sentent pas bien représentés, ils lancent leurs propres médias : canaux ouverts (www.bok.de), blogs (par exemple www. theinder.net), imprimés comme Migazin, Gazelle, journaux en russe, comme Jewropazentr, Russkij Berlin, Nowaja Berlinskaja Gazeta ou même des festivals de cinéma comme l’événement annuel turcoallemand à Nuremberg (www.fftd.net). Représenter «l’autre» La surveillance des médias repose principalement sur l’autocontrôle en Allemagne, mais la diversité n’est pas un sujet d’un intérêt particulier (par exemple, Presse du Conseil, FSF/TV). La même chose s’applique aux organismes de veille sur les blogs comme bildblog.de ou nachdenkseiten.de. Presque une fois tous les deux ans, la WDR mène une auto-évaluation et des artistes de cabaret, comme Hagen Rether, sont devenus une sorte de chien de garde des médias en réprimandant différents magazines pour leur acharnement contre l’islam (par exemple ARD Scheibenwischer 29.12.1007). Les exemples suivants peuvent donner une idée des problèmes auxquels nous sommes encore confrontés : une analyse des documentaires pour la télévision montre que leur point de vue Allemagne - La série «Lindenstrasse» Bien avant que tous les programmes d’intégration et que les concepts sur la diversité aient été mis au centre des débats en Allemagne, la chaîne de télévision publique WDR a lancé la série télévisée hebdomadaire «Lindenstrasse» qui a eu une énorme importance sur le plan culturel en ce qu’elle reflétait la diversité sociale, ethnique et culturelle de la société allemande des vingt dernières années. Cette série, basée sur un thème communautaire et qui a pour décor un quartier de Munich, est directement dérivée de la série britannique «Coronation Street». Le premier épisode a été diffusé en 1985 et la série est rapidement devenue l’un des plus grands succès hebdomadaire de la télévision allemande. «Lindenstrasse» retrace la vie de différentes familles et de leurs voisins dans un quartier et offre un vaste terrain d’étude des relations familiales et interpersonnelles. Les gens de différentes origines ethniques, comme les Grecs et les Turcs, font partie de cette série depuis le premier épisode. Outre les traditionnelles histoires d’amour, de mariage et de mort, le feuilleton est connu pour aborder les questions sociales difficiles : le SIDA, l’homosexualité, les questions d’immigration, le cancer, la xénophobie et la violence familiale. www.media.ba www.lindenstrasse.de Le Rapport Anna Lindh 2010 99 La fiction d’une culture nationale homogène cours des dernières années (Ruhrmann, 2006; Müller, 2005). En ce qui concerne la couverture d’événements locaux dans les journaux, une tendance positive peut être observée (Fick, 2006; comparer à Pollak, 2010). Le potentiel d’intégration semble être davantage présent dans les formules de divertissement télévisé, où l’on perçoit une plus grande sensibilité envers le sort des réfugiés, etc., (Thiele, 2005). La télévision, en particulier, s’est révélée être un support de premier plan pour atteindre des personnes très différentes (Oehmichen, 2007). Chaque jour, environ 80% des Allemands et des migrants vivant en Allemagne regardent la télévision. Dans 98% des ménages ayant une origine ethnique, il y a au moins un poste de télévision. En fait, les immigrants sont également exposés à des radiodiffuseurs allemands comme le révèle l’étude ARD/ZDF «Médias et migrants» (2007). MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS ALLEMAGNE MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS Ces exemples d’aliénation ou d’«altérité» semblent souvent être dus au fait de ne pas avoir envisagé de mettre l’accent sur «l’autre» (ZDF Migrationsbroschüre). Les résultats de mes analyses d’une formule «Islam» (SWR) souligne ceci et peut se résumer par les mots de Riepe : «Le bien-pensant est à l’opposé du «bon», la définition enracinée de l’Islam comme «violent», «oppressant» et «arriéré» a été tellement dominante que le résultat ne fut pas seulement l’aliénation de nos citoyens musulmans, mais aussi la détérioration de leur image.» SWR a ensuite lancé le programme mensuel en ligne «La Parole islamique» offrant des vues internes islamiques de sujets pertinents et marquant un changement important dans la façon dont l’islam est présenté. Il est bien entendu que les responsables des programmes euxmêmes «soulignent nos bons côtés, et leurs mauvais côtés; atténuent nos mauvais côtés, et leurs bons côtés», – pour citer approximativement Teun van Dijk à propos de la presse européenne. En effet, la presse manque de concepts sur la diversité et l’intégration comparables à ceux des sociétés d’audiovisuel. Dans le Code de la presse (article 12), le Conseil de Presse allemand a défini comme mineure sa volonté de ne pas discriminer les minorités dans le traitement des nouvelles. En outre, l’organe de contrôle Presserat ne prend de mesures que suite à des plaintes officielles, dont seulement un très petit nombre sont suivies d’effet (Desgranges, 2007). Les journaux conservateurs comme Die Welt sont sur le point de devenir des porte-parole néo-conservateurs, tandis que Daniel Pipes et d’autres renforcent la couverture islamophobe. Cependant, le journaliste Andrea Dernbach (Tagesspiegel) atteste qu’un «contexte de l’immigration» n’est pas indispensable pour la couverture des questions liées à la diversité. Pour atteindre l’objectif d’une plus grande diversité, différentes mesures devront être prises. Des méthodes de surveillance pourraient être imposées. De bonnes méthodes de travail contre les idées racistes sont disponibles, par exemple, au Centre d’information et de documentation contre le racisme (www.idaev. de). La formation pour les décideurs est assurée par l’Institut de la diversité des médias et des formations sur la diversité et un cadre de réflexion pourraient être introduites dans toutes les écoles de journalisme et être rendues obligatoires pour chaque élève. De plus, les immigrés devraient être inclus dans la recherche de l’institut de sondage GfK pour qu’ils apparaissent dans les statistiques sur le public, le lectorat et les clients afin que leurs souhaits puissent être pris en compte. Pour mettre un terme ou du moins réduire la discrimination, le Conseil de la presse doit ajouter un chapitre au Code de la presse portant sur l’utilisation des images dans les journaux et magazines. Sur la base de l’article 12.1 du Code de la presse, un article 12.2 doit être inclus indiquant que l’utilisation des images dans la couverture médiatique des nouvelles qui ne sont pas du tout pertinentes pour le sujet est un sujet de préoccupation, tels qu’un vêtement juif dans la couverture de la guerre du Liban en 2006, ou des mosquées ou la prière dans la couverture des attentats de Londres en 2005. Rendre possible une plus grande diversité doit commencer par des améliorations dans le système éducatif allemand, qui a eu tendance à exclure cette dimension. L’importance de ceci est révélée par une citation de la jeune journaliste Ferda Ataman (Tagesspiegel): «Ma présence ici n’était pas prévue – si ma mère avait suivi les recommandations pour mon orientation scolaire, je ne serais jamais devenue journaliste.» Concepts contre la pensée raciste Mis à part quelques exemples d’auto-idéalisation par les responsables des médias, il existe quelques bonnes pratiques dont on peut s’inspirer. Birand Bingül, par exemple, est l’un des commentateurs de l’émission d’actualités ARDtagesthemen, Brigitte Pavetc et Pinar Abut sont présentateurs d’une émission de nouvelles locales. Till Nassif a pris la suite pour présenter le programme des Affaires étrangères de l’ARD/ZDF-Morgenmagazin. Son collègue Dunja Hayali n’est pas seulement d’origine arabe, Le Rapport Anna Lindh 2010 SABINE SCHIFFER est à la tête de l’Institut für Medienverantwortung (IMV) en Allemagne BOSNIE - HERZÉGOVINE Médias et diversité dans les pays en situation de post-conflit ELDAR SARAJLIĆ Malgré un cadre législatif garantissant la liberté d’expression et le respect des minorités, les médias de BosnieHerzégovine continuent à être profondément divisés selon des lignes ethniques. C’est particulièrement le cas des nouvelles à la télévision, un média qui représente la principale source d’information sur les autres cultures de la Méditerranée. Eldar Sarajlić analyse l’influence et l’impact des politiques sur le secteur médiatique, les tendances actuelles dans le reportage interculturel et la capacité des nouveaux formats de médias à promouvoir la diversité culturelle au niveau national. Le paysage médiatique en Bosnie-Herzégovine est profondément divisé selon des lignes ethniques, tant en termes de politique éditoriale que de public. A part quelques exceptions dans les médias en ligne et la presse écrite, la plupart des radios et des chaînes de télévision, des quotidiens et des magazines suivent une stricte allégeance ethno-politique et s’adressent à des intérêts ethniques particuliers. La sphère médiatique, dans le pays, peut être considérée comme un très bon indicateur des clivages sociaux et politiques existants, car, dans la plupart des cas, elle reflète fidèlement toutes les nuances de la politique ethnique. Mais, dans le même temps, ce sont les médias qui renforcent nombre de ces clivages, à travers des processus discursifs, en définissant, en promouvant et en insistant sur les questions sujettes à la production systémique de conflits sociaux et politiques. En outre, les médias jouent parfois un rôle de premier plan dans la production de clivages et de conflits, agissant en tant que réseau d’influence dominant et dédaignant les institutions et les organisations officielles. Législation et contexte médiatique contemporain Étant donné le rôle très sensible des médias dans les pays en transition post-conflit, tels que la Bosnie-Herzégovine, la réglementation juridique du secteur des médias est fondamentale. En Bosnie-Herzégovine, il existe plusieurs lois, codes et institutions qui déterminent les règles de jeu des médias, dont la liberté d’expression, règle de base pour tout système médiatique, qui est garantie par la Constitution du pays, et est conforme à l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, à la Convention européenne des droits de l’Homme et est précisée dans la Loi sur les communications et la Loi sur la liberté d’accès à l’information. En outre, l’accès à l’information, la liberté d’expression et la liberté d’ingérence sont garantis par le Code de conduite de l’audiovisuel défini par l’Agence de régulation des communications (ARC), un organisme d’Etat chargé de la réglementation du secteur des communications du pays. D’autres lois de moindre portée politique fournissent des garanties pour la liberté de la presse : la Loi sur l’information publique, la Loi sur les médias dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine, la Loi sur l’information publique et La loi sur la protection de la diffamation en République Srpska. L’indépendance formelle des médias électroniques est protégée depuis la création de l’Agence nationale de réglementation, l’ARC. Toutefois, de nombreux rapports font état de fréquentes interférences des politiques dans le fonctionnement des médias, principalement par des pressions économiques et financières et par l’incitation à l’autocensure. D’autre part, il n’existe aucune réglementation pour la presse écrite. A sa place, des principes éthiques sont établis par le Code de la presse, un document du Conseil de la presse de BosnieHerzégovine, une association non gouvernementale de journalistes, qui n’a pas de pouvoir d’imposer des sanctions aux médias. Par rapport à la taille de sa population, la scène médiatique de BosnieHerzégovine est très développée. l’ARC ayant comptabilisé, dans son rapport public de 2009, 45 chaînes de télévision, 144 stations de radio et 6 stations de radio publiques en Bosnie-Herzégovine, dans un pays de moins de quatre millions d’habitants. Le marché de la presse écrite est également considérable, avec 8 journaux quotidiens et près de 50 hebdomadaires et bihebdomadaires, publiés plus ou moins régulièrement. Le paysage audiovisuel public en Bosnie-Herzégovine se compose, quant à lui, de différentes branches distinctes dominées par trois principaux diffuseurs de radiotélévision : la BHRT (la chaîne nationale commune), la RTRS (la radiotélévision de la République Srpska, à dominante serbe) et la FTV (télévision fédérale, à dominante croato-bosniaque). L’espace public est divisé en trois parties clairement délimitées dans lesquelles les médias ethniques jouent un rôle prépondérant. On trouve quelques exceptions à cette règle dans la presse écrite (principalement des magazines hebdomadaires, comme BH Dani, Slobodna Bosna et un journal quotidien, Oslobodjenje) et dans certaines composantes du système audiovisuel public. Mais, en général, la division ethnique dans la sphère publique reste la règle. Diversité et différence: l’«autre» méditerranéen dans le miroir des médias Divers groupes de médias sont dominés par les différentes priorités Le Rapport Anna Lindh 2010 101 100 Une certaine pratique d’illustration renvoie l’impression que – dans ce cas – les femmes musulmanes sont opprimées, symbole d’un Islam dangereux ou prototype de l’étranger. De plus, la série félicitée à grands cris «Le Turc pour débutants» a renforcé énormément les stéréotypes (Henning et al., 2007) tandis que le programme de la ZDF – une semaine spéciale – sur la «Migration» n’a pas reçu l’attention que ses responsables avaient souhaité (Schiffer, 2008; voir aussi Yildis, 2006). mais aussi chrétien – déjouant ainsi les attentes stéréotypées. Aujourd’hui, le Galileo d’Aiman Abdallah sur Pro7 n’est plus une exception. Pourtant, il n’existe pas de présentatrices d’un certain âge alors que leurs collègues masculins peuvent être plus âgés. Le marché du livre est aussi de plus en plus diversifié et comprend depuis longtemps de célèbres auteurs anglais, mais seulement quelques noms turcs. La Fondation Bosch a donc mis en place une «Bibliothèque turque» pour élargir l’accès aux traductions des auteurs turcs. Les prix existent et valorisent encore la focalisation sur les migrants et les sujets liés à l’immigration, l’intégration et les images de «l’autre». Ils dévient donc de leur objectif réel et ne parviennent pas à l’idée globale de l’intégration de la diversité : par exemple, le Prix CIVIS Media (www.civis.ard.de). MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS est répandu, ce qui suppose un public particulier, à qui s’adresser, tout en excluant l’autre. Des titres comme «Voisins étrangers : les musulmans entre l’intégration et l’isolement» (Chiara Sambucci, 2004) ou «Les Turcs : pourquoi Faruk conduit une Mercedes verte» (Rita Knobel-Ulrich, 2000) révèlent que les Turcs/musulmans sont perçus comme ne faisant pas partie de la société allemande, qui est présupposée chrétienne ou majoritairement chrétienne laïque (Paulus, 2007). La majorité des informations relatives à la diversité culturelle dans la région viennent de la forme journalistique la plus sujette à l’influence politique : les nouvelles. Ayant à faire face aux problèmes de transition relatifs aux luttes économiques, financières et pour la propriété, les médias bosniaques ont peu développé les programmes éducatifs, les documentaires, ou des émissions similaires. La plupart des programmes de télévision et des pages de journaux sont réservés aux thèmes explicitement politiques ou aux nouvelles qui font la une de l’ensemble des médias. Cela est attesté par les indicateurs des principales sources d’information sur les peuples et les cultures sur les rives de la Méditerranée, qui sont, dans la plupart des cas, les nouvelles (environ 64% des personnes interrogées les ont mentionnées comme une source d’information positive sur d’autres cultures, alors que seulement 27 % ont cité les films documentaires). Ces données indiquent également une autre chose intéressante décrite précédemment sur la nature La conclusion la plus frappante de cette enquête est que ces sources qui véhiculent le plus de connaissances sur les «autres» ont tendance à avoir une influence négative sur l’image des autres cultures. Plus de 80% des personnes interrogées n’ont en effet pas du tout mentionné les nouvelles à la télévision comme une source d’informations positive sur les cultures de la Méditerranée. La représentation de la différence culturelle se rapportant aux «autres» peuples et groupes culturels se fait plutôt en marge que comme une représentation directe de caractéristiques négatives supposées. Par exemple, les membres d’autres groupes culturels sont rarement considérés comme des sources sérieuses et fiables d’information. Dans certains cas, les «autres» sont même explicitement étiquetés comme des arbitres indésirables de certains différends. En général, les individus et les groupes venant d’autres cultures sont rarement présentés dans des contextes qui seraient équivalents dans la culture locale et ses valeurs. La différence culturelle constitue donc un outil de cadrage pour faire passer des messages implicites sur l’inadéquation entre les valeurs morales, sociales et politiques des «autres» et celles de la population locale. En raison de la nature particulière des différences ethnoculturelles au sein de la population de Bosnie, ce trait est, dans la plupart des cas, la religion. Ainsi, les descriptions et les présentations d’autres cultures et d’autres peuples de Méditerranée dépendent également de la dimension religieuse de l’idéologie ethnique particulière qui exerce son influence notamment sur les médias. Par exemple, les médias influencés par l’idéologie ethnique des musulmans de Bosnie présenteront la culture turque de manière résolument positive; les médias ethniques serbes feront la même chose avec la culture Bosnie-Herzégovine - Le Centre des médias de Sarajevo Fondé en 1995 par la Fondation Open Society, le Centre des médias de Sarajevo est une organisation soutenant le développement d’un journalisme professionnel et indépendant en Bosnie-Herzégovine. Elle a été créée pour aider à la démocratisation de la société bosniaque par le développement d’un contenu médiatique équilibré. La tâche est particulièrement importante étant donné le rôle crucial des médias dans la mobilisation ethnique et dans les conflits dans la région. Le Centre des médias assure la formation des journalistes, prépare diverses publications et produit des contenus. Toutefois, le Centre apporte sa contribution la plus importante à la meilleure compréhension interculturelle par le biais de ses activités de recherche visant à approfondir les connaissances sur divers sujets présents quotidiennement dans les médias. Les études, telles que celles sur le discours des médias et des conflits ethniques, l’exclusion sociale ou les radiodiffuseurs publics dans les sociétés divisées aident à comprendre comment les médias aggravent ou apaisent les dispositions des uns et des autres aux conflits sociaux et culturels dans un pays comme la Bosnie-Herzégovine et, ce faisant, fournissent une base pour la création d’une politique des médias inclusive. Le Rapport Anna Lindh 2010 Tahqiq Sahafi - Reportage d’investigation «Tahqiq Sahafi» est une expérience originale de journalisme comparatif réunissant des jeunes professionnels des médias venus d’Algérie, d’Égypte, de France, d’Italie, du Liban, de Malte, du Maroc, de Palestine, d’Espagne, de Tunisie et de Turquie. Lancé en 2009 avec le soutien financier de la Fondation Anna Lindh, l’objectif du projet est de soutenir la production de sources d’information alternatives et indépendantes sur des questions culturellement sensibles qui sont d’intérêt commun pour la coopération euro-méditerranéenne, y compris «l’immigration» et le «défi auxquels font face les communautés de jeunes». Pendant la première phase de l’opération, douze jeunes journalistes, avec l’aide de praticiens chevronnés, ont conçu plus de quatre-vingts articles sur les thèmes de «Portrait d’une génération» et «Guerre et paix : les jeunes face à leur avenir». Cette première série de travaux est devenue une source de débat, plus de 15 000 utilisateurs ayant consulté les articles publiés sur le site Web de Babelmed qui anime et coordonne l’initiative. De cette façon, «Tahqiq Sahafi» vise également à stimuler la discussion sur les questions qui reçoivent souvent un écho limité dans les médias traditionnels. www.babelmed.net grecque, tout en présentant en filigrane la culture turque ou arabe sous une forme négative; les médias majoritairement croates feront, par exemple, un portrait positif de la culture italienne et, implicitement, donneront une image faussée des cultures et des peuples méditerranéens non-catholiques. Dans tous les cas, la représentation des autres cultures méditerranéennes se fera dans un contexte fortement filtré en conformité avec les valeurs et les normes établies par la politique ethnique dominante. Investir dans des programmes documentaires interculturels En guise de conclusion pour cet article, on peut dire qu’il existe une interrelation étroite entre les médias, la politique et la diversité en Bosnie-Herzégovine. Cette réalité résulte de la constitution ethnique particulière du domaine public de Bosnie, avec trois sphères publiques et médiatiques distinctes créées au fil du temps. Ces domaines servent de filtres pour tous les contenus des médias, y compris l’information sur les cultures et les peuples euroméditerranéens. être utilisés comme un outil valable, intergénérationnel, capable de modifier les perceptions, de faire avancer et de maintenir une vision positive de la diversité culturelle. La plus grande contrainte structurelle dans ce domaine est de nature financière : étant aux prises avec des luttes financières incessantes aggravées par la crise mondiale actuelle, les médias bosniaques sont réticents à investir dans des films documentaires et dans des programmes similaires, en particulier pour ceux liés à des cultures et à des peuples de Méditerranée. En conséquence, le développement de programmes de coopération au-delà des frontières nationales visant à promouvoir les films documentaires pourrait avoir une influence positive sur la région et contribuer à la rupture du cercle ethnique où nombre de ces pays sont pris au piège. Il serait particulièrement important de cibler les jeunes avec ces programmes de coopération et des longs métrages documentaires et d’essayer de développer un nouveau sentiment d’appartenance à l’Euro-Méditerranée, libéré de l’exclusion culturelle et des préjugés ethniques. La télévision, parce qu’elle a la plus grande influence sur la population bosniaque, représente le plus puissant pourvoyeur d’informations sur la diversité. Les résultats du sondage Anna Lindh/Gallup, cependant, suggèrent que la télévision est rarement une source d’information positive sur les autres cultures, bien qu’elle soit l’un des médias les plus influents. Une des raisons d’explication pourrait être le fait que la majorité des informations sur les cultures et les peuples de la Méditerranée est présentée dans des programmes d’information ou des shows, qui sont les plus exposés à l’influence politique et, ainsi, à la distorsion en fonction des clivages ethniques et culturels dominants dans le pays. Néanmoins, les données indiquent aussi quelque chose qui peut tracer une voie à suivre pour les institutions et organisations concernées par la coopération culturelle dans la région euroméditerranéenne. Comme le montre le sondage, les documentaires diffusés à la télévision sont rarement mentionnés comme une source d’information positive sur la diversité culturelle (seulement 27% des personnes interrogées ont déclaré avoir reçu des informations positives sur d’autres cultures à travers des films documentaires). Pourtant, étant donné la nature de ces programmes et leur potentiel artistique pour prendre de la distance avec la politique au jour le jour qui affecte d’autres formes de médias, ils pourraient ELDAR SARAJLIĆ est éditeur pour les journaux Pulse of Democracy et Status. Il est l’auteur d’articles sur la politique, la culture et la société de Bosnie-Herzégovine. Le Rapport Anna Lindh 2010 103 orale traditionnelle des cultures balkaniques : c’est la télévision qui détermine la perception du public beaucoup plus que tout autre média. La presse n’est citée que par 19% des répondants, contre 64% pour la télévision. Les livres comme source de connaissance des «autres» sont presque en fin de liste - seuls 9% des personnes ayant affirmé avoir lu quelque chose qui a modifié positivement leur perception des autres cultures de la Méditerranée de façon positive les citent. Les blogs et Internet semblent avoir un rôle peu pertinent dans le transfert de connaissances positives sur la diversité culturelle de la Méditerranée – respectivement 0,5% et 9% des personnes interrogées ayant reçu des impressions positives sur la diversité culturelle en ligne. Cela en dit beaucoup plus sur les canaux de communication et les modèles de perception de la population de Bosnie que sur la sensibilité de chacun des médias à la diversité culturelle. MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS 102 MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS ethniques à l’aune desquelles l’ensemble des informations et des productions sont filtrées. L’allégeance ethnique, qui n’est pas nécessairement explicite dans le nom du média (bien qu’ il y ait beaucoup de télévisions, de radios et de journaux portant une étiquette ethnique évidente), sert de référence clé pour l’ensemble du contenu des médias, y compris pour la présentation de «l’altérité» et de la diversité culturelle dans le bassin méditerranéen. Toutefois, dans les textes, les médias de Bosnie (au moins les radiodiffuseurs publics) sont tenus de respecter la diversité culturelle et de lui fournir un espace de visibilité. La Constitution du pays, à travers l’article 2, garantit à tous les citoyens les droits individuels et culturels. En outre, la Loi sur la protection des droits des minorités stipule que les radiodiffuseurs publics doivent fournir un espace pour l’expression publique des cultures minoritaires. Il existe donc un terreau favorable à une plus grande ouverture sur la diversité culturelle. Bien qu’aucune loi ne prescrive la manière dont les cultures étrangères doivent être présentées, certains principes éthiques pourraient être tirés de ces documents, ainsi que de leur conformité formelle avec les normes européennes et mondiales du respect de la diversité culturelle. Néanmoins, les données statistiques recueillies pour le sondage Anna Lindh/Gallup au cours du deuxième semestre 2009 semblent indiquer que, dans les médias, les programmes susceptibles de changer positivement la perception de la population sur les peuples et les cultures de la région méditerranéenne sont très rares en Bosnie-Herzégovine, un quart seulement (25,9 %) du total des répondants ayant affirmé se rappeler de tels programmes sur la diversité culturelle. Portraits dans la couverture médiatique de la vie quotidienne RASHA ABDULLA MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS 104 Avec l’émergence des chaînes satellitaires privées et la diffusion des outils d’information en ligne, le secteur des médias égyptien est en cours de diversification. Pourtant, comme le montre Rasha Abdulla, il manque toujours aussi cruellement de directives sur le traitement des questions relatives à la diversité culturelle, et d’un traitement minimum des sujets concernant l’autre rive de la Méditerranée. Rasha Abdulla analyse cette situation et propose des pistes afin que les médias puissent jouer un rôle éducatif pour donner un aperçu de la vie quotidienne de «l’autre». Pour le monde arabe, la diversité culturelle est aujourd’hui plus que jamais une question essentielle. Depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, le monde arabe, en particulier les musulmans mais aussi les arabes non-musulmans, a déploré l’image fausse et inexacte des Arabes en Occident, et le manque de compréhension de la culture et des religions de cette partie du monde. La crise a atteint son paroxysme avec la publication de douze caricatures danoises décrivant l’islam comme une religion terroriste et le Prophète Mahomet comme un terroriste, et a déclenché une colère massive dans l’ensemble du monde arabe et musulman. Il n’a jamais été plus important, donc, pour le monde arabe, que les Arabes aient suffisamment d’information sur le monde extérieur et qu’ils fournissent au monde des informations précises sur leur culture. Dans le même temps, la diversité culturelle semble être mise à mal dans le monde arabe. Le paradigme dominant semble être une dualité des extrêmes, qui donne à voir le très religieux ou le très non-religieux, le trop conservateur ou le trop libéral, le trop dogmatique ou le trop conciliant. Les entre-deux et la modération semblent perdus sur de nombreux fronts. N’oublions pas, toutefois, que l’islam, la religion dominante dans le monde arabe, encourage la diversité culturelle. «O hommes! Nous vous avons tous créés d’un mâle et d’une femelle, et nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous connaissiez les uns les autres» (Le Coran, Al Hujrat, 49, # 13). Cet article analysera certains aspects de la diversité culturelle dans les médias égyptiens, avec une attention particulière pour les pays de la région euro-méditerranéenne. Il est à noter, cependant, que la plupart des images de l’«autre» ou de l’Occident dans les médias arabes se réfèrent principalement aux États-Unis ou aux Américains. Cela est dû à la position dominante des États-Unis à travers sa politique étrangère au Moyen-Orient ainsi qu’à la grande quantité de programmes des médias américains régulièrement diffusés sur les chaînes satellitaires arabes. Ces programmes ont réussi à rallier un large public, en particulier parmi les jeunes du monde arabe. Le Rapport Anna Lindh 2010 Directives sur la diversité culturelle Il y a un manque énorme de directives sur la diversité culturelle dans le monde arabe en général, et l’Egypte ne fait pas exception. Malgré son importance capitale, le concept de diversité culturelle ne fait pas partie de la langue quotidienne des individus dans cette partie du monde. Récemment, l’auteur du présent article a participé à une formation à destination de professeurs d’université spécialisés dans la communication et les médias sur l’importance de la diversité culturelle et la façon de l’intégrer dans leurs programmes scolaires et dans leurs cours. Il a été frappé par le peu d’intérêt porté à cette notion importante, même chez les personnes les plus instruites. Les lois sur les médias dans le monde arabe ne mentionnent pas la diversité culturelle, pas plus que les codes de déontologie des journalistes ou des professionnels des médias. Même la très controversée Charte arabe de radiodiffusion par satellite qui a été approuvée par les ministres arabes de l’information (sauf par ceux du Qatar et du Liban) lors d’une réunion de la Ligue arabe ne comprend pas une seule référence à la diversité culturelle ou des médias. Le monde arabe manque aussi d’organisations qui agissent comme des organismes de surveillance des médias. La plupart des efforts faits dans ce sens sont minimes, et prennent généralement la forme de projets financés par des organismes internationaux et des fondations, plutôt que d’efforts de suivi continus menés par des organisations locales non gouvernementales. Au cours des dernières années, l’une des avancées les plus importantes sur la scène médiatique a été l’introduction de quelques chaînes satellitaires privées qui tentent de rivaliser avec le nombre pléthorique de chaînes appartenant au gouvernement ou contrôlées par l’Etat. Ceci, par définition, a conduit à une plus grande diversité dans les médias. L’utilisation d’Internet et l’introduction de sites web interactifs (web 2.0) ont également beaucoup profité à la diversité, chaque individu ayant désormais le potentiel d’être un éditeur (Abdulla, 2010). Toutefois, la pénétration d’Internet est relativement faible dans le monde arabe, et la diversité reste un phénomène aléatoire, et non réglementée ou officiellement Les recherches scientifiques sérieuses sont une denrée rare dans le monde arabe, et, par conséquent, les études sur la diversité des médias ou de l’image de l’Autre en général sont très peu nombreuses, à l’exception de quelques travaux sur l’image des Arabes dans les médias occidentaux (en particulier américains) et celle des Etats-Unis dans les médias arabes. Ce phénomène s’explique par les quantités massives de programmes américains sur les écrans de télévision arabes, où plusieurs chaînes satellitaires populaires diffusent exclusivement des films ou des feuilletons américains. A titre d’exemple, une thèse de doctorat non publiée soutenue à l’Université du Caire a comparé la couverture médiatique des États-Unis, de la France et de l’Angleterre dans le journal Al Ahram de septembre 2001 à 2003. L’étude a révélé que les États-Unis constituaient le sujet de 66% des articles analysés, tandis que la couverture de la France représentait 10%, et le Royaume-Uni 7% seulement. Compte tenu de la période de l’étude, les papiers concernant les Etats-Unis étaient centrés sur le 11 septembre et sur les événements ayant conduit à la guerre en Irak. La couverture de la France a été positive en raison de son opposition à la politique américaine, tandis que la couverture du Royaume-Uni a été négative, décrivant le pays comme un simple suiveur de la politique étrangère américaine (El Said, 2008). Les représentations dans les médias arabes Actuellement, la couverture médiatique de l’Europe est plus importante dans les journaux qu’à la télévision. Toutefois, dans un pays où le fléau de l’analphabétisme touche toujours un tiers de la population (PNUD, 2009), les journaux sont lus majoritairement par l’élite. Malgré cela, les papiers sur l’Europe dans les journaux égyptiens se concentrent principalement sur les aspects politiques ou économiques, plutôt que sur les aspects de la vie quotidienne ou de la culture, et est donc tributaire du climat politique général et des relations économiques entre l’Egypte ou le monde arabe et quelques pays européens. Certaines périodes ont été propices à la diffusion d’une image plus positive de l’Europe, ou de pays européens particuliers dans les médias égyptiens. Par exemple, les positions pacifistes française et allemande au début de la guerre de 2003 en Irak ont été perçues très favorablement par les citoyens égyptiens, contrairement à la position britannique sur la même question. Le modèle économique de l’Union européenne est également généralement positivement véhiculé par les médias égyptiens, et présenté comme un modèle à suivre pour les pays arabes. Ces dernières années cependant, lorsque l’Europe a eu une place importante à la télévision et dans les journaux, elle l’a surtout eue par rapport à un traitement négatif de l’islam dans les pays européens, qui, naturellement, n’est que négativement décrit dans les médias égyptiens. Ironie du sort, la France et l’Allemagne ont occupé une place de choix dans ce traitement médiatique : la France, à cause de sa position contre le foulard islamique, et l’Allemagne pour la tristement célèbre affaire Marwa El Sherbini, le médecin égyptien musulman qui a été poignardé à mort dix-huit fois par un homme russe à l’intérieur d’un tribunal allemand. Le Danemark a aussi eu une couverture importante, suite à la crise des caricatures danoises, tout comme le Pape Benoît XVI en raison de ses propos controversés sur l’islam qui ont été très mal perçus dans tout le monde arabe, ou encore le référendum suisse qui a abouti à une interdiction de la construction de minarets dans les mosquées. Le cas de Marwa El Sherbini est le seul sujet à avoir bénéficié d’une couverture télévisuelle importante en 2009. Surnommée «la martyre du foulard» par les médias locaux et internationaux, son assassinat brutal a porté l’islamophobie en Europe au premier rang des préoccupations de la presse, de la télévision et des médias en ligne égyptiens. Cela n’a fait qu’empirer les choses quand, selon le Guardian, l’Allemagne a réagi «froidement» à l’affaire, la considérant davantage comme un problème de manque de sécurité à l’intérieur d’une salle de tribunal plutôt que comme un crime raciste contre l’islam (Connolly et Shenker, 2009). Lorsqu’ils traitent d’un sujet majeur, les médias égyptiens, en particulier la télévision, intègrent des sources européennes. Par exemple, El A’ashera Masa’an (22 heures), l’un des talk-shows du soir les plus populaires en Egypte, a envoyé une équipe de journalistes en Allemagne pour couvrir le cas Marwa El Sherbini, dirigée par son présentateur vedette, Mona El Shazly. Les journalistes ont réalisé plusieurs interviews avec des dirigeants allemands et des citoyens, dont certains étaient contre le crime, d’autres n’en avaient jamais entendu parler ou, au mieux, l’avaient vu comme un simple incident dû à l’absence de sécurité à l’intérieur de la salle d’audience. Le manque de programmes européens sur les écrans de télévision arabes ne laisse de la place qu’à un traitement de l’Europe très dépendant de l’actualité dans les médias égyptiens. Ces médias ont mis l’accent ces dernières années sur les réactions de l’Europe envers les Arabes et les musulmans, qui ont été largement négatives. Egypte - Le service européen de Radio Cairo Le Service local européen de Radio Cairo assure la retransmission en six langues, à savoir l’anglais, le français, l’allemand, l’arménien, le grec et l’italien, répondant ainsi aux attentes des expatriés étrangers et des communautés parlant des langues étrangères à travers l’Égypte. Le Service a toujours bénéficié d’une large audience parmi la jeunesse égyptienne, bien qu’il ait été concurrencé récemment par l’introduction de stations de radio privées. La raison principale qui explique ce succès du Service local européen de Radio Cairo est qu’il diffuse beaucoup de musique occidentale, qui est en fait plutôt américaine qu’européenne – mais cette distinction est rarement faite. Outre de la musique, la station présente également des nouvelles, du sport et une grande variété de spectacles. Même si le contenu global de la station ne dit presque rien au sujet de la vie européenne, il offre la possibilité à ceux qui ne parlent pas arabe de se tenir informés de l’actualité nationale égyptienne, les bulletins d’information présentés sur le Service local européen étant généralement composés de nouvelles diffusées sur d’autres stations radio du Caire traduites dans différentes langues. www.annalindhreport.org/goodpractice/radiocairo Le Rapport Anna Lindh 2010 105 encouragée par des entités médiatiques ou des documents. MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS ÉGYPTE Les médias comme agents de connaissance Concernant la culture, des financements devraient être mis à disposition des musiciens indépendants, des peintres, des acteurs, des producteurs et des artistes de toutes les disciplines pour qu’ils puissent exprimer leur talent hors des frontières de leur propre pays. Enfin, dans le domaine des nouveaux médias, les technologies de l’information et de la communication devraient être utilisées pour éduquer chacun à la culture et au milieu de l’autre. L’Internet est un merveilleux outil pour créer des amitiés entre les différentes cultures et les différents peuples. Pour les Arabes, il pourrait être un lieu idéal de diffusion de leur culture dans le monde et, pour les musulmans, un lieu d’enseignement aux non-musulmans de la véritable essence de l’islam, une religion pacifique et accueillante. Les réseaux sociaux tels que Facebook, MySpace, etc., pourraient jouer un rôle important dans le rapprochement des cœurs et des esprits des jeunesses égyptienne et européenne, et dans la diffusion d’un esprit de compréhension et de respect mutuel. Le dialogue interculturel est d’une importance capitale pour le bien-être des sociétés. Pour favoriser la diversité et l’image de l’autre, des efforts devraient être faits par les deux parties prenantes du dialogue. Dans le cas de l’image des Européens auprès des Egyptiens, les Egyptiens et les Européens ont chacun un travail à fournir. Dans les «4 P» du marketing, le premier «P» est le «produit». L’image n’est que le reflet du produit réel. Il sera difficile d’améliorer l’image des Européens aussi longtemps que les Egyptiens les percevront comme des islamophobes, et il sera également compliqué d’éliminer l’islamophobie tant que les musulmans ne feront pas assez d’efforts pour diffuser des informations précises sur leur religion. L’éducation est essentielle sur les deux fronts, et les médias, en particulier la télévision, pourraient en être un agent de poids, tout comme d’autres secteurs culturels tels que la musique, le théâtre, et toutes les formes d’art. Un certain nombre de mesures devraient être prises pour renforcer le dialogue interculturel entre l’Egypte et les pays euro-méditerranéens. La première concerne l’«édudivertissement». Les productions de divertissement doivent être utilisées pour «instruire» sur les autres les gens de différents milieux RASHA ABDULLA est Présidente du département de journalisme et de communication à l’Université américaine du Caire. Ondes méditerranéennes Lancé en janvier 2010 à Tunis avec le soutien de la Fondation Anna Lindh, le programme «Les Ondes pour la Méditerranée» a établi un partenariat entre les plus importantes radios de Méditerranée, dont la Radio nationale de Tunisie, Radio France, la Compagnie algérienne de radio-télévision, la Société nationale de radio et télévision du Maroc et la CPEAM, basée en Italie. La coopération radiophonique en Méditerranée se heurte à différents problèmes majeurs tels que la collaboration entre professionnels et l’échange et la circulation des produits. Ce manque de rencontres et d’échanges ne permet pas aux radios de développer des pratiques de réalisation standard. Dans cette perspective, le réseau de partenaires développe des coproductions innovantes liées à l’histoire, à la vie sociale et culturelle de la région sur des thèmes communs et réalise, à tour de rôle, des séries radiophoniques à travers la région euro-méditerranéenne. D’autre part, le programme fournit un appui aux professionnels du secteur radio à travers l’organisation d’ateliers et de formation à la coproduction, notamment pour les jeunes professionnels. www.copeam.org Le Rapport Anna Lindh 2010 ESPAGNE Les immigrés dans le paysage médiatique LAURA NAVARRO L’Espagne est un pays qui continue, aujourd’hui encore, à accueillir d’importantes communautés immigrées venues de l’autre rive de la Méditerranée et du monde entier. Selon Laura Navarro, les principaux médias espagnols parlent rarement des différentes communautés, mais plutôt des immigrés en général. Dans ce contexte, l’auteur souligne la nécessité d’adopter une nouvelle législation au niveau national sur le traitement de la diversité et de l’immigration dans les médias, et de favoriser les bonnes pratiques et les initiatives citoyennes, reflets d’un intérêt croissant de la société pour les immigrés. En Espagne, il n’existe pas actuellement, à l’échelle nationale, de législation concernant la mise en place de formes de discrimination positive ou de quotas envers les minorités ethniques dans les médias, ni d’institution chargée d’évaluer et de contrôler la représentation et la représentativité des minorités ethniques dans les médias. Seules quelques régions autonomes comme la Catalogne, la Navarre et l’Andalousie disposent de Conseils audiovisuels régionaux, qui ont elaboré des recommandations pour le traitement informatif de l’immigration dans les médias. On peut citer en particulier le Consell Audiovisual de Catalunya – créé en 2000 – qui publie des études sur le sujet et promeut la diversité culturelle dans les médias à travers la Mesa per a la Diversitat en l’Audiovisual. La télévision publique catalane (TV3) a également été pionnière dans ce domaine, en créant en 2006 une Comissió per a la Diversitat chargée de promouvoir des émissions sur la diversité, d’encourager la recherche chez les journalistes et les présentateurs provenant des minorités, ainsi que d’organiser des formations pour les professionnels de la télévision. Certaines initiatives citoyennes reflètent également l’intérêt de la société pour ce sujet, à l’image de l’Observatorio de la Diversidad, créé en 2000 dans les Provinces basques dans le but de promouvoir des bonnes pratiques, parmi lesquelles la création de l’Agenda de la Diversidad, qui fournit aux journalistes des contacts directs avec des experts et des sources d’information dans les communautés immigrées. Dans le même esprit, l’Observatorio Mediterráneo de la Comunicación, créé en 2004 à Barcelone par un réseau interdisciplinaire de personnes et d’institutions des deux rives de la Mediterranée travaillant dans le secteur de l’information et de la communication dans cette région, cherche à encourager le dialogue, le développement humain et le respect des droits de l’Homme. . Diversité culturelle dans les médias, valeurs et accessibilité La plupart des travaux de recherche espagnols qui ont analysé le traitement de la diversité culturelle dans les médias se sont focalisés sur les représentations des «immigrés» et de «l’immigration». La plupart de ces travaux ont constaté la (re)production d’une vision négative de l’immigré, la présentation de l’immigration comme un problème prédominant sur l’analyse des raisons des mouvements migratoires et sur leur contribution à la société espagnole. Il existe aussi des recherches plus spécialisées sur l’image des Arabes et des musulmans dans les médias espagnols ou, encore, sur le traitement médiatique d’un pays arabe précis, comme l’Algérie, la Palestine et le Maroc. La plupart d’entre elles soulignent que les Arabes et les musulmans sont constamment réduits à une série de stéréotypes et de généralisations qui contribuent à perpétuer l’image d’un Islam monolitique, porteur de menace et de danger pour l’Occident, d’une religion violente et irrationnelle. L’un des écueils des études menées sur le traitement médiatique de l’immigration est d’être le plus souvent consacrées à une description très générale des immigrés, et non à des communautés spécifiques, tels que les Pakistanais, les Chinois ou les Sénégalais. L’absence d’analyse de la production de médias par les immigrés eux-mêmes est une autre lacune importante des travaux sur la relation entre médias et immigration (Retis, 2008; Gómez-Escalonilla, 2008; Navarro, 2008). La recherche sur le traitement médiatique de l’Islam et du monde arabe en particulier, souffre également de deux faiblesses. D’une part, l’essentiel des travaux se focalise sur la presse écrite, au détriment des programmes de la radio et de la télévision; d’autre part, la recherche devrait se consacrer davantage au rôle des femmes, la presque-totalité des études ayant comme sujets les hommes arabes/musulmans, omettant les particularités des représentations des femmes arabes/musulmanes. Parmi les rares études sur la présence de ces femmes dans le champ médiatique, on peut citer celle de Gema Martín Muñoz (2005). Concernant la représentation des immigrées dans les médias, on peut se reporter aux analyses de Estela Rodriguez (2005), Faviola Calvo (2001), Clara Pérez (2003), Erika Masanet Ripoll et Carolina Ripoll Arcacia (2008) et Asunción Bernárdez Rodal (2007). En mars 2010, la première loi cadre sur l’audiovisuel – Ley General Audiovisual – a été adoptée en Espagne. Elle a conduit à la Le Rapport Anna Lindh 2010 107 culturels. Les programmes qui dépeignent la vie quotidienne des Européens sont beaucoup plus rares dans le monde arabe que ceux qui traitent de la vie des Américains. Quant aux émissions qui montrent aux Européens la vie quotidienne des Egyptiens ou des Arabes, elles sont inexistantes. Des financements devraient être alloués à la production de contenus dramatiques (sitcoms, séries, etc.) qui introduisent des éléments de «l’autre» sur les écrans de la télévision nationale. La deuxième mesure concerne le suivi de la diversité et des valeurs véhiculées par les nouvelles. Les ONG devraient agir comme des organismes de surveillance des médias chargés d’évaluer le contenu des nouvelles en termes de diversité ainsi que d’équité, d’équilibre, de crédibilité et d’objectivité. Les médias sur les deux fronts devraient être encouragés à respecter les valeurs défendues par les codes universels de déontologie. Des personnes de différentes origines culturelles devraient être intégrées dans la couverture médiatique des événements touchant à leur vie ou à leurs sociétés et à leurs cultures. De part et d’autre, les journalistes devraient être formés à prendre du recul vis-à-vis des stéréotypes dépeignant les Européens comme des islamophobes ou les Arabes et les musulmans comme des terroristes. MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS 106 MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS Des incidents tels que les caricatures danoises, les remarques controversées du Pape Benoît XVI, en France, les réactions au foulard islamique, l’interdiction, en Suisse, de la construction de minarets, et le meurtre de Marwa El Sherbini ont été très largement couverts dans les médias égyptiens. Naturellement, cette couverture a été négative. Le sentiment général est que les Arabes et les musulmans ne sont pas les bienvenus en Europe, et que l’islamophobie prévaut dans les pays européens. Le récent sondage Anna Lindh/Gallup a montré que près des trois quarts de l’échantillon (72,4%) ont dit ne rien avoir lu, vu ou entendu dans les médias qui ait eu une incidence positive sur leurs perceptions des Européens. À mon avis, le pourcentage d’interrogés qui ont déclaré l’inverse (27,6%) est surévalué, de nombreux Egyptiens étant «trop gentils» pour dire autre chose. Pour ceux qui ont affirmé avoir été positivement influencés, les nouvelles télévisées représentent leur principale source d’influence (63,1%), suivie par les films (18,9%). Il aurait aussi été intéressant de connaître la nature des médias qui ont influencé ceux qui n’ont pas été positivement influencé. Toutefois, les résultats globaux montrent l’importance de la télévision comme moyen d’affecter la perception des Egyptiens sur les Européens, et un manque général d’influence positive dans cette matière. MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS Selon les résultats du sondage Anna Lindh/Gallup en Espagne, la plupart des répondants (77.4%) «ne se souvient pas avoir regardé, lu ou ecouté quelque chose dans les médias qui les aurait fait changer ou renforcer positivement leur opinion sur les habitants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée». Bien qu’il s’agisse d’un pourcentage très élévé, il est légèrement inférieur aux 79% obtenus en moyenne dans les 8 pays européens concernés par le sondage. Toutefois, les résultats de l’enquête espagnole restent préoccupants car, d’une certaine manière, ils remettent en question le rôle des médias dans la promotion d’une société interculturelle et, en particulier, dans la lutte contre l’islamophobie. Le sondage révèle également que 19.4% des répondants ont été influencés positivement par les médias. Cette affirmation appelait une deuxième question – «dans quelles sources avez-vous trouvé ces images plus “ positives” ?» – dont les résultats sont très intéressants : la plupart des répondants (57.2%) – presque le même pourcentage que la moyenne des 8 pays européens étudiés – mentionne les journaux télévisés, suivis par les films documentaires (26.6%), la presse écrite (25.2%) et les livres (17.2%). Les sources les moins citées sont Internet (6.7%), le cinéma (4.3%) et, en dernier lieu, la radio (1.8%). Ces chiffres suscitent de nombreuses interrogations. Pourquoi les informations télévisées, spécialement critiquées dans les études Les différences de profil sociologique des personnes interrogées ont peu d’impact sur la nature des réponses, à l’exception des résultats liés à la variable «religion». Un pourcentage très élevé des répondants musulmans (81.8% contre 19.4% en moyenne), affirme avoir été influencé positivement par les médias. A première vue, cette donnée paraîtrait contradictoire, puisque l’image négative des musulmans prédominante dans le discours médiatique pourrait faire penser qu’ils se montreraient particulièrement critiques vis-àvis des mass media. Or, de nombreux facteurs permettent de mieux comprendre cette contradiction apparente. A la télévision, par exemple, un même discours peut être interprété de façon différente en fonction des trajectoires, des imaginaires et des attentes de chaque spectateur, de sorte que certaines images qui peuvent renforcer les stéréotypes négatifs de certains spectateurs peuvent être perçues de manière neutre – voire positive – par d’autres. Ces résultats pourraient également témoigner des différences dans le type des médias consommés, la population musulmane interrogée regardant davantage que le reste des sondés d’autres chaînes – comme la chaîne arabophone Al Jazeera. Conditions pour favoriser la diversité culturelle Ces dernières années, les radios et les télévisions publiques espagnoles ont inclus, dans leur programmation, des émissions avec des contenus spécifiques sur l’immigration et la promotion de la diversité culturelle, telles Tot un món de TV3 (Catalogne), Bienvenidos de Canal Sur Radio (Andalousie) et Telenoticias sin fronteras de TeleMadrid (Madrid). Ces émissions fournissent des renseignements utiles aux travailleurs immigrés, ainsi que des Espagne - Sans frontières On peut trouver de bonnes pratiques dans les médias créés par ou pour les immigrés, qui représentent un phénomène très récent en Espagne. Parmi les nombreux facteurs qui l’expliquent, on peut souligner la volonté d’offrir un visage pluriel et moins stéréotypé de l’immigration. On peut citer, par exemple, le programme Sense fronteres, créé par l’association Maghrébins sans Frontières réunissant des immigrés ressortissants du Maghreb, en particulier du Maroc, diffusé sur les ondes de la radio publique de Salt (Catalogne). Ce programme vise à encourager la persistance de liens entre Maghrébins et à maintenir les référents culturels de la Catalogne et du Maroc. Un autre facteur qui contribue à la création de ces nouveaux médias est la volonté de ces minorités ethniques et/ou religieuses de participer au débat public et de revendiquer leurs droits. La revue Attawasul, créée par l’association socio-culturelle Ibn Batuta, en est un bon exemple. L’émission Sin fronteras de Radio Almenara et le centre de production radiophonique www.masvoces.org sont également révélateurs de cette tendance. www.masvoces.org Le Rapport Anna Lindh 2010 Image du monde arabe et musulman Publié en 2010, le rapport «L’image du monde arabe et musulman dans les médias espagnols» révèle l’image de la région arabe transmise par la presse espagnole généraliste. Consciente de la grande influence des médias sur la formation de l’opinion publique et de son rôle dans le processus du dialogue interculturel, la «Fundacion Tres Culturas del Mediterraneo» a publié ce rapport, basé sur une analyse quantitative et qualitative portant sur plus de 2 100 journaux et près de 10 000 articles publiés dans six journaux espagnols (El Pais, El Mundo, La Razon, ABC, La Vanguardia et El Periodico de Catalunya). Il met l’accent sur les questions de la plus haute importance pour la formation de l’opinion publique espagnole sur ce thème : les relations entre l’Espagne et le Maroc, le conflit israélo-palestinien, l’approche journalistique du terrorisme, le choc culturel et la construction de ponts entre l’Occident et le monde arabe et musulman. A cet égard, la recherche est unique dans la sphère nationale et se situe au niveau des meilleures enquêtes internationales sur le même sujet. www.tresculturas.org informations sur leurs cultures afin de renforcer la communication et l’empathie entre les populations autochtone et immigrée. C’est dans ce genre de programmes que l’on peut trouver des présentateurs issus des minorités ethniques. En revanche, ces minorités ne sont en général pas représentées dans les équipes de direction, de production et de réalisation de ces émissions. Une autre initiative, née de la télévision publique catalane soucieuse de se rapprocher des nouveaux migrants, a été de sous-titrer en d’autres langues, comme l’arabe et l’espagnol, quelques-uns de ses programmes habituellement diffusés exclusivement en langue catalane. À l’échelle nationale, la Télévision Publique Espagnole (TVE) diffuse actuellement une seule émission avec ce genre de contenus : Babel. On peut aussi voir sur cette chaîne Azahar, une série documentaire sur le développement durable dans plusieurs pays du Sud et l’Est de la Mediterranée. TVE diffuse également, à l’attention des minorités religieuses, un programme dédié à la religion musulmane et ses croyants : Islam hoy, la seule émission des médias publics espagnols à être dirigée par un journaliste maghrébin. L’Institut des Journalistes de Catalogne a été pionnier dans la création de manuels pour les journalistes. En 1995, il a rédigé la Convention sur la protection de la culture et de l’image des minorités ethniques dans les médias. Cette convention a été adoptée en 1996 par les principaux médias catalans et est devenue le Manuel sur le traitement médiatique des minorités ethniques. Le même Institut a créé en 1995 une commission appelée «Solidarité Journalisme», au sein de laquelle les journalistes tentent d’avancer sur le chemin du multiculturel, en accord avec le Manuel. Ultérieurement, d’autres associations de journalistes, telles la Fédération d’associations de journalistes d’Andalousie et la Fédération des journalistes d’Espagne, ont à leur tour élaboré des recommandations sur le traitement médiatique des immigrés. Pour les journalistes et les responsables des médias espagnols, le premier pas à faire afin de parvenir à une vision plus juste de nos voisins du Sud et de l’Est de la Méditerranée consisterait à suivre les recommandations et les codes déontologiques déjà existants sur le traitement de l’immigration et des minorités ethniques. L’étape suivante serait de prendre en compte les dimensions politique, économique et historique dans les informations, afin de ne pas être tenté de donner des explications culturalistes à des phénomènes sociologiques aussi complexes que les islamismes ou le terrorisme de type Al-Qaeda. Il serait également bénéfique de montrer la très grande diversité culturelle et sociale de cette région, en présentant aussi les dernières transformations sociales tant dans le champ intellectuel et artistique que dans les mouvements des droits de l’Homme et, en particulier, des droits des femmes. Par rapport aux sources d’information, les professionnels de la communication devraient chercher un équilibre entre les sources institutionnelles occidentales (prédominantes dans la plupart des informations) et les sources non-occidentales (victimes des conflits, experts arabes et musulmans, etc.). Afin de construire des points de vue plus critiques et pluriels, ils pourraient faire appel à des agences de presse alternatives telles que Inter Press Service, et se servir d’outils précieux comme l’Agenda de la diversidad. Il serait également utile d’élargir le réseau restreint de correspondants espagnols qui travaillent actuellement au Sud et à l’Est de la Mediterrannée, ainsi que de consolider les réseaux entre les journalistes espagnols et les journalistes marocains qui travaillent dans la presse indépendante marocaine (dont beaucoup résident en Espagne) et dans les médias créés par/pour les immigrés maghrébins résidant dans ce pays. Il y a tellement de facteurs qui conditionnent la construction des images stigmatisantes des Autres dans les mass media espagnols que l’on ne doit pas compter uniquement sur la bonne volonté des journalistes pour parvenir à une représentation plus juste de la diversité culturelle. Dans les faits, les pratiques hégémoniques et la routine – manque de temps disponible, prévalence de l’émotion sur l’explication, etc. –empêchent les journalistes sensibles à cette question de faire leur travail.. En définitive, l’objectif n’est pas seulement de changer les discours et les pratiques journalistiques dominants dans les principaux médias, mais aussi d’établir les conditions favorables pour que les discours médiatiques en provenance d’autres secteurs sociaux –comme les mouvements citoyens et constestataires du Nord et du Sud de la Mediterrannée – aient une présence équivalente dans la sphère publique. Enfin, la lutte contre l’hégémonie des discours ethnocentriques passe également par le rééquilibrage des énormes inégalités entre Nord et Sud en matière d’information et de communication. LAURA NAVARRO est maître de conférences en communication interculturelle à l’Université de Valence et expert en médias et migrations. Le Rapport Anna Lindh 2010 109 108 Par ailleurs, cette loi fragilise le Tiers Secteur de la communication (composé des médias ni commerciaux ni publics), bien qu’elle reconnaisse son rôle dans la «promotion de la cohésion sociale et du dialogue interculturel» (cf. déclaration du Conseil de l’Europe sur le rôle des médias communutaires). En fait, bien que cette loi reconnaisse, pour la première fois en Espagne, l’existence des «médias communautaires sans but lucratif» (cf. article 32), elle ne met en place aucune mesure susceptible de garantir leur existence. Au contraire, elle tend à établir des freins économiques à leur développement. sur les médias et le racisme, apparaissent-elles en premier lieu ? Est-ce parce que la télévision reste le média le plus populaire ? Les répondants faisaient-ils référence aux journaux télévisés ou plutôt aux reportages de fond souvent difusés dans des émissions hebdomadaires (où les journalistes ont, en général, plus de temps pour l’analyse critique et la réflexion) ? Est-ce le résultat – au moins en partie - de la mise en œuvre, ces dernières années, de bonnes pratiques dans les télévisions publiques ? En outre, alors que plusieurs études ont démontré leur rôle important dans la construction d’identités culturelles plurielles et hybrides, pourquoi Internet et le cinéma sont-ils si peu mentionnés par les personnes interrogées ? Y a-t-il aussi des obstacles à la distribution de ces productions cinématographiques «alternatives» ? Les incroyables outils offerts par Internet sont-ils bien exploités ? MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS création d’un Consejo Estatal de Medios Audiovisuales (CEMA), une institution publique qui devra garantir l’application des droits établis dans cette loi, parmi lesquels «le droit à la diversité culturelle et lingüistique». Cependant, cette «diversité» ne fait pas reférence à la diversité ethnique en général, mais plutôt à «la promotion de la production audiovisuelle européenne» et à la diffusion «dans les différentes langues officielles de l’Espagne». De plus, elle n’envisage aucune mesure spécifique pour favoriser une représentation plus juste des minorités ethniques dans les médias. ISABELLE RIGONI MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS 110 La place des immigrés et des minorités dans les médias français est encore perçu comme un sujet rarement traité, selon le sondage Anna Lindh/Gallup. Isabelle Rigoni dresse un panorama de la recherche nationale et internationale des dix dernières années pour mettre en perspective l’évolution de la façon dont les questions relatives à la diversité culturelle ont été couvertes dans les médias. Outre l’émergence de bonnes pratiques dans les médias des minorités, Isabelle Rigoni identifie un certain nombre de points auquel il convient de s’intéresser dans les médias grand public pour promouvoir la diversité des voix. La place des immigrés et des minorités ethniques dans les médias est l’objet de nombreux débats en France comme dans d’autres pays européens (Rigoni, 2007a). Cette question, qui est devenue incontournable en quelques années à la fois dans les milieux politiques, bénévoles, universitaires et médiatiques doit être replacée dans le contexte du discours le plus large en faveur de la «diversité culturelle». Qu’il soit appliqué à l’ensemble de la société ou à d’autres secteurs d’activité, le discours politique en faveur de la diversité date, dans les médias, du début des années 2000 (Dagnaud, 2000) et est monté en puissance avec la cristallisation des revendications identitaires. Le rapport commandé en 2004 par le Fonds d’Action Sociale (FAS) sur la représentation et la représentativité des immigrés dans les médias (Frachon & Sassoon, 2009), retrace la genèse de cette question dans la France contemporaine. Il entend en particulier montrer que le rôle des organismes publics concernant la représentation et la présence des immigrés et des minorités dans les médias a été façonné par les priorités des gouvernements successifs, mais aussi par les exigences et les pressions de la société civile. Des politiques interventionnistes visant à donner plus de considération à ces groupes dans les médias ont été menées en France depuis plus de trente ans. A l’origine, elles ont été proposées par le FAS (devenu FASILD puis ACSE) qui a incontestablement été un chef de file dans la transformation de la représentation des immigrés et des minorités dans les médias. D’autres organismes publics tels que le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) et le Haut Conseil à l’Intégration (HCI) sont aussi devenus actifs dans le domaine, souvent après avoir été soumis à la pression des organisations de la société civile. Combattre les stéréotypes et la discrimination Depuis 1999, les organisations de la société civile ont joué un rôle crucial dans l’engagement de certaines institutions et elles ont contribué, par exemple, à développer la prise de conscience bien au-delà du FAS et à propulser le débat sur la représentation des minorités dans la sphère publique et parmi les nouveaux acteurs concernés. Outre la question du degré de visibilité de la diversité dans la société française et l’émergence ou la persistance de stéréotypes, d’autres thèmes ont été abordés, tels que la discrimination, Le Rapport Anna Lindh 2010 l’esclavage et le rôle joué par la colonisation dans la représentation de certaines minorités dans la France d’aujourd’hui. En termes de politique de lutte contre les discriminations, le CSA reste hostile aux quotas, mais il peut travailler de concert avec la Haute Autorité de Lutte Contre les Discriminations et Pour l’Egalité (HALDE) qui aborde les questions de la gestion du personnel ou encore de la visibilité à l’écran, tandis que le CSA traite les plaintes concernant les contenus diffusés à l’écran tels que l’incitation à la haine raciale. Le 7 septembre 2007, Louis Schweitzer, Président de la HALDE a déclaré que la HALDE n’avait jamais, jusque-là, trouvé un organe de presse coupable de pratiques discriminatoires, ni avoir mené d’enquêtes sur une possible discrimination dans les médias. Ces investigations sont difficiles à organiser et coûteuses. La HALDE a encouragé les organes de l’audiovisuel à leur préférer l’auto-évaluation. En outre, le CSA collabore avec d’autres organismes publics, comme le Haut Conseil à l’Intégration (HCI). Le 24 avril 2004, le CSA et le HCI ont organisé un symposium intitulé «Ecrans pâles ? Diversité culturelle et culture commune dans l’audiovisuel» réunissant les présidents des chaînes de télévision, des professionnels de l’audiovisuel et des associations et qui, pour la première fois, a porté la question de la représentation de la diversité dans les médias sur la place publique. Un an plus tard, le HCI a rendu au Premier ministre un avis intitulé «Diversité culturelle et culture commune dans l’audiovisuel» (HCI, 2005), qui a reconnu des changements réels, mais insuffisants, le retard de la France en la matière sur les autres pays européens n’ayant toujours pas été comblé. Quelques mois plus tard, les émeutes urbaines survenues en octobre-novembre 2005 dans des zones défavorisées françaises largement couvertes par les médias du monde entier ont profondément marqué la question de la représentation de l’altérité et la participation des minorités visibles dans les médias. Elles conduisirent à une implication renforcée du pouvoir politique avec un engagement particulièrement important du Président de la République Jacques Chirac, qui convoqua pour la première fois ensemble à l’Elysée les onze présidents des principales chaînes de télévision et des groupes audiovisuels, ainsi que des membres du HCI, du CSA et du Club Averroès. Le chef de l’Etat a annoncé diverses mesures, dont certaines ont donné naissance à la loi dite «pour l’égalité des chances» adoptée le 9 mars 2006. Cette initiative a eu des répercussions immédiates et concrètes avec De la diversité dans les médias à la diversité des médias Malgré les mesures politiques prises, les effets sur le contenu des médias semblent encore assez faibles. C’est parce que la plupart des actions, qu’elles soient à l’initiative des organisations de la société civile, des institutions publiques ou du pouvoir politique, se concentrent principalement sur le secteur audiovisuel et ont peu d’impact sur la presse et surtout étant donné le caractère récent, en France, de la défense de la diversité culturelle dans les médias. Des études menées par des sociologues et des historiens ont décrit les principales questions liées à l’immigration et, plus généralement, à l’altérité, couvertes par les grands médias en France (Rigoni, 2007a et b) ainsi que les difficultés auxquelles les médias sont toujours confrontés notamment pour la mise en œuvre de la politique de «diversité» (pour une analyse détaillée de la recherche universitaire depuis le milieu des années 80 jusqu’en 2006, voir la contribution de Rigoni dans Frachon et Sassoon, 2009). L’analyse des résultats du sondage Gallup/Fondation Anna Lindh réalisé en France sur les valeurs véhiculées par les médias concernant la diversité culturelle et les relations interculturelles montre que la place des immigrés et des minorités ethniques dans les médias français est encore perçue comme un sujet rarement traité. Les données ont été recueillies auprès de 1001 personnes vivant en France, dont 520 femmes (52%) et 481 hommes (48%). Un tiers ont entre 30 et 49 ans (33,7%), 23,9% entre 15 et 29 ans, 22,7% entre 50 et 64 ans et 19,6% plus de 65 ans. La plupart des personnes interrogées (90%) sont des Français nés de parents français, tandis que 4,5% ont des parents étrangers; 3,2% sont nés à l’étranger ainsi que leurs parents, et 1,92% sont nés à l’étranger. Parmi les pays d’immigration des personnes interrogées, les plus représentés sont l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, mais 65,4% ont refusé de répondre à cette question. De la même manière, 81,6% n’ont pas accepté de répondre au sujet de leur religion. Ce faisant, on présuppose que la plupart des répondants souhaitent éviter toute stigmatisation. En ce qui concerne leur situation économique, la plupart d’entre eux considèrent avoir un niveau de vie dans la norme d’une famille moyenne - sans doute parce que plus de la moitié vivent dans une région rurale ou un village (36,9%) ou dans une ville petite ou moyenne (36,1%). Le sondage montre – et c’est très intéressant - que seulement 12,7% des personnes interrogées se rappellent avoir récemment lu ou regardé quelque chose dans les médias qui ait changé ou renforcé leurs points de vue sur les habitants de la région méditerranéenne dans un sens plus positif. Parmi eux, seulement 5,5% pourraient citer un film qui leur a donné cette impression positive, 6,6% un livre, 11,4% une émission de radio, 12,5% des sources sur Internet, sauf les blogs, 15,5% un film documentaire, 29,8% la presse écrite, et 49,1% des nouvelles à la télévision. Deux raisons distinctes peuvent être avancées pour expliquer cette disparité entre la réalité sociale d’une France cosmopolite et la perception de sa représentation dans les médias : d’une part l’espace marginal réservé dans la programmation aux reportages de fond et aux documentaires, et d’autre part l’omniprésence de représentations préétablies des groupes d’immigrés (Mills-Affif, 2004). Certaines études montrent que c’est dans un contexte de représentation faussée et de sur-stigmatisation que de nombreuses personnes vivant en situation de minorisation se tournent vers des médias qu’ils considèrent comme différents ou tout au moins où ils peuvent faire entendre leur voix. Dans leur quête d’autoreprésentation, les différentes populations d’origine immigrée se sont tournées, en France comme ailleurs, vers les médias produits et diffusés depuis leur pays d’origine, en particulier pour la presse papier et en ligne et la télévision par satellite, dans l’espoir de recevoir des informations et de se divertir. Depuis le milieu des années 1990, les recherches ont principalement porté sur le phénomène de la télévision par satellite et l’augmentation concomitante des paraboles dans les banlieues françaises (Mattelart, 2007 et 2002; Guaaybess, 2005). A côté des médias traditionnels et des médias produits dans les pays d’origine, coexistent une multitude de productions culturelles gérées par des groupes ethniques ou religieux qui, à la fois dans leur existence et leurs positions, contribuent à la redéfinition de l’identité nationale, de l’identité des groupes minoritaires, et des identités individuelles - et, ce faisant, à la question de la diversité. Le prix media des diversités Le prix Media des diversités, créé par l’Institut Panos Paris (IPP), et décerné à Radio France le 31 janvier 2007, a souligné la contribution des médias des minorités ethniques (médias des diversités) dans le paysage audiovisuel français. Cette visibilité a été renforcée au cours de l’été 2007 grâce à une opération visant à la mise en place d’équipes formées d’un journaliste issu des minorités et d’un journaliste des médias grand public. Toutes les stations de Radio France y ont pris part, avec RFI, RFO, Radio Orient, Radio Rencontre, Beur FM, Radio Hauts de Rouen, Radio Mangembo, Africa N° 1, Radio Campus Dijon, Fréquences Paris Pluriel et EPRA. La presse écrite était aussi représentée. L’objectif était de produire, de distribuer et de publier conjointement des articles écrits et des reportages radio. En 2008, cette opération a été sélectionnée par l’Union européenne et la Fédération Internationale des Journalistes (FIJ) comme l’une des initiatives les plus réussies en Europe sur le thème «médias et diversité». Par ce projet, les organisateurs ont facilité la création de partenariats durables entre journalistes. www.panosparis.org Le Rapport Anna Lindh 2010 111 Les voix des minorités et des immigrés l’arrivée des présentateurs de minorités «visibles» dans quelques chaînes publiques et privées. Bien que d’autres exemples puissent être cités, il convient de mentionner la figure symbolique et très médiatisée d’Harry Roselmack, journaliste d’origine martiniquaise, qui a remplacé le très célèbre présentateur Patrick Poivre d’Arvor au Journal de 20 heures de la principale chaîne de télévision privée. Par ailleurs, le 24 janvier 2007, Rachid Arhab, un journaliste français d’origine kabyle, ancien présentateur du bulletin de la mi-journée sur la principale chaîne de télévision publique, a été nommé membre du CSA par Jean-Louis Debré, Président de Assemblée nationale, et Président du nouveau groupe de travail sur «la diversité». MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS FRANCE Dans le secteur audiovisuel ainsi que dans la presse, certains se sont eux-mêmes qualifiés de médias «de la diversité» afin de ne faire référence à aucune origine ethnique. Parmi d’autres initiatives apparues au milieu des années 2000, il convient de mentionner le programme européen Mediam’Rad coordonné de 2005 à 2008 par l’Institut Panos Paris, dans le cadre de son travail sur les médias et les migrations internationales. Grâce à diverses activités de rechercheaction, ce programme a aidé à établir, au sein des ONG, mais aussi dans le paysage médiatique français tout entier, le label «diversité» - qu’il s’agisse de la promotion de la diversité dans les médias ou de GRÈCE Il semble que deux actions principales doivent être menées de façon urgente au niveau français. Alors que la presse écrite en France a souvent contribué au débat public sur la représentation des immigrés et des minorités dans les médias, leurs propres pratiques ont rarement été analysées et semblent complètement exonérées de l’autocritique. Contrairement au secteur de l’audiovisuel, la presse écrite n’est soumise à aucun cadre réglementaire concernant la représentation des minorités. Pourtant, comme l’imprimé peut souvent jouer un rôle stratégique dans la structuration de l’ordre du jour des nouvelles pour les plates-formes d’autres médias, davantage de recherches devraient être menées sur la façon dont les minorités sont représentées dans la presse et comment, à leur tour, elles s’y expriment. En outre, l’Internet et l’ensemble du processus de convergence numérique mériteraient d’être étudiés de près, puisqu’ils sont en train de redéfinir les règles de l’industrie des médias, en particulier pour la presse écrite, et qu’ils ouvrent de nouvelles opportunités pour l’expression des minorités. Alors que les médias des minorités ethniques se sont développés avec succès dans plusieurs pays occidentaux, en particulier au RoyaumeUni, aux États-Unis et au Canada et jouent un rôle significatif dans ces paysages médiatiques nationaux, ils restent relativement peu connus en France, bien qu’ils soient environ un millier au total, selon le programme de recherche Minoritymedia. Ces médias répondent à un besoin légitime de reconnaissance et d’expression d’une partie de la population souvent stigmatisée. Nous devons leur prêter plus d’attention. MARIA KONTOCHRISTOU AND ANNA TRIANDAFYLLIDOU Ces dix dernières années, la Grèce a assisté à l’arrivée de centaines de milliers d’immigrés et de réfugiés, un phénomène qui a conduit à une évolution rapide des médias des minorités. Comme le soulignent Maria Kontochristou et Anna Triandafyllidou, ce développement offre, plus que jamais, l’occasion de mettre en place des politiques claires sur la façon dont la diversité culturelle doit être abordée dans le secteur des médias. En outre, les auteurs affirment qu’il existe un besoin urgent de voir émerger des bonnes pratiques positives, telles que la diffusion en plusieurs langues et la formation aux médias En Grèce, il n’y a pas de stratégie politique particulière en faveur des médias des minorités ou de programme important portant sur les questions des médias et de la diversité culturelle. En outre, il n’existe pas de code de bonnes pratiques inclusives relatives à la régulation de la couverture médiatique, dans la presse et à la télévision, de la diversité culturelle, des minorités ethniques, du racisme et autres sujets connexes. Les questions culturelles sont régies par des codes d’usages généraux tandis que le Conseil national de la radio et de la télévision (NCRTV), agit comme un organisme de surveillance. En particulier, le Code de déontologie des journalistes (Code de déontologie), ainsi que d’autres codes associés (par exemple le Code de déontologie de l’information et d’autres programmes rédactionnels et politiques) autorisé par NCRTV, et les codes des journalistes professionnels, ont jeté les bases pour la protection des droits de l’Homme et pour un traitement équitable. De plus, la Grèce a pris des dispositions pour transposer dans le droit national la nouvelle Directive Services de médias audiovisuels, qui approuve des règles spécifiques concernant la protection des minorités. Aperçu de la production médiatique ISABELLE RIGONI est responsable de l’équipe d’excellence du programme européen Minoritymedia hébergé par Migrinter, Université de Poitiers. Belgique - Bourses pour journalistes De 2003 à 2008, la Fondation Roi Baudoin a accordé des bourses à des journalistes qui ont réalisé des reportages, des articles ou des émissions sur l’islam et sur des communautés musulmanes au Maroc, en Turquie ou ailleurs en Europe. L’initiative est née du constat qu’une grande partie des quelque 400 000 musulmans de Belgique est originaire du Maroc et de Turquie et que la représentation des communautés de migrants que nous développons reste subordonnée à celle que les médias nous livrent. Pour contribuer à agir sur cette perception, 119 journalistes ont bénéficié des bourses de la Fondation Roi Baudouin sélectionnés par un appel à projets destiné à proposer un soutien financier à des journalistes, individuellement, et leur offrant un séjour au Maroc et en Turquie qui leur a permis de prendre le temps de mieux appréhender la société locale, à un rythme différent de leur travail quotidien. Suite à une évaluation de ce premier cycle de bourses, un élargissement à d’autres communautés d’immigrés a été conçu et un nouvel appel a été lancé en 2010. www.kbs-frb.be Le Rapport Anna Lindh 2010 La couverture médiatique des minorités Des thèmes liés aux médias et à la diversité culturelle ont fait l’objet de recherches principalement au cours des deux dernières décennies. Ces travaux ont essentiellement porté sur la couverture, dans la presse, des immigrés et des questions relatives aux minorités (par exemple Mikrakis et Triandafyllidou, 1994; Vamvakas, 1997; Koiliari, 1997; Pavlou, 2001; Konstandinidou, 2001; Lalioti, 2005 et Koundouri, 2008), alors qu’un nombre très limité d’études propose une analyse de la couverture médiatique à la fois dans la presse et à la télévision (par exemple Triandafyllidou, 2002; Gropas et Triandafyllidou, 2009) et que très peu de recherches s’intéressent au rôle des médias des minorités et des médias grecs dans les questions relatives à la diversité culturelle (par exemple Georgiou, 2002). En outre, il existe des études qui examinent l’attitude des journalistes à l’égard des étrangers (Organisation internationale des immigrants, 2004; Université Aristote de Thessalonique, 2006), des livres sur les bonnes pratiques pour les journalistes (par exemple Equal-Dream, 2004), des études comparatives sur les radios multiculturelles (par exemple Commedia.net, 2004). Cependant, il n’existe pas de travaux d’évaluation et pratiquement aucune recherche sur l’analyse des politiques des médias et de la stratégie des Etats concernant la diversité culturelle, sur le mécanisme de mise en place des programmes et la manière dont ils agissent sur le fond et la forme des reportages sur les minorités et les questions ethniques. Les études manquent également sur la politique de programmation à la radio et à la télévision, l’analyse systématique du programme et de l’audience en référence à la diversité culturelle. L’arrivée de centaines de milliers d’immigrés et de réfugiés des Balkans, de l’ex-Union soviétique, d’Asie et d’Afrique a introduit de nouvelles données dans le paysage médiatique grec. Les médias des minorités – indépendamment des médias des minorités musulmanes du Nord-Est de la Grèce – ont commencé à se développer rapidement pendant la dernière décennie, à la suite de l’afflux d’immigrés. Aujourd’hui il y a environ vingt-quatre journaux pour émigrés en Grèce qui sont distribués quotidiennement et régulièrement (par exemple, Panorama Arabic, Gazeta e Athines). La plupart d’entre eux sont bilingues et établissent leur contenu autour des questions de législation, d’emploi, de sécurité et autour de thèmes comme la culture, le social et les questions de la vie quotidienne. Dans le secteur de l’audiovisuel, quelques étapes positives ont été franchies dans le sens d’une plus grande ouverture aux populations d’immigrés et des minorités, particulièrement par l’opérateur radio public. La Voix de la Grèce, FILIA 665 ΑΜ, radio internationale d’Athènes, qui émet dans beaucoup de langues et a un contenu multiculturel, en fait partie. En ce qui concerne les programmes télévisés, l’opérateur public diffuse des émissions produites exclusivement pour les immigrés, qu’il s’agisse de sujets antiracistes, de contenus multiculturels ou d’informations sur la législation ou sur les politiques d’immigration (par exemple «Métropole du Mot», «Balkan Express EURODOC» – Europe 2013). Dans le même esprit, ces deux dernières années ont vu une augmentation des programmes d’information, à la télévision privée, qui consacrent du temps aux thèmes relatifs à l’immigration irrégulière, aux conditions de vie et aux droits des migrants (par exemple «Mega Recherche» et «La Boîte de Pandore» sur AlphaTV). De plus, les chaînes de télévision ont produit des feuilletons télévisés, qui traitent de Le Rapport Anna Lindh 2010 113 la création de «médias de la diversité». MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS 112 MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS Parmi ces productions, des recherches sur les médias des minorités ethniques ont mis en exergue leur ancrage dans l’histoire en ce qu’ils sont contemporains des premières vagues de migration - à la fois internes et externes - aussi bien en Europe qu’en Amérique du Nord (Parc, 1970, 2008). Produits de la migration mondiale et de la prolifération des cultures minoritaires, les médias analogiques et numériques des minorités ethniques sont aujourd’hui à la fois les producteurs et les réceptacles de l’identité. Le projet de l’Union européenne d’excellence Marie Curie Minoritymedia, financé pendant quatre années, 2006-2010, et accueillie par l’Université de Poitiers et Migrinter, a contribué à analyser le rôle crucial des médias des minorités ethniques dans la production de la représentation et de l’identité. Il a permis de comprendre que l’orientation et la production des médias des minorités ethniques doivent finalement être envisagé dans un champ transnational de flux d’information, d’engagement identitaire de la diaspora et d’auto-(re)présentation. De façon plus notable encore, le projet a également contribué à pointer de nouvelles tendances en matière de communication culturelle dans la sphère publique européenne. C’est-à-dire l’émergence, dans la plupart des pays d’immigration post-coloniale, de nouvelles formes de médiation et de pratiques de production culturelle traitant des questions telles que l’ethnique et le religieux, le cosmopolitisme et la diversité, la citoyenneté et la lutte contre la discrimination. Avec près d’un millier de titres, selon le programme de recherche Minoritymedia, les médias des minorités ethniques représentent un lieu d’expression, voire de pression, et contribuent pleinement au processus de renforcement de la visibilité et de l’auto-représentation collective dans l’espace public. En répondant aux besoins et en ayant une position éditoriale spécifique, ces médias agissent comme un complément à l’offre des médias grand public. Certains d’entre eux abordent les questions actuelles de la diversité culturelle qui correspondent aux préoccupations du public. MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS En conclusion, selon les résultats récents du sondage Anna Lindh/ Gallup, 14% des personnes interrogées en Grèce ont reçu une information des médias qui a changé ou renforcé positivement leur perception des personnes vivant dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée (ce qui n’était pas vrai pour 82.3%). Les sources à l’origine d’impressions positives les plus souvent citées sont la télévision (37.6%), suivie de la presse écrite (19.9%), des films documentaires (11.6%), d’Internet, et d’autres sources (8.8% respectivement). D’autre part, les livres (6.1%), les films (4.4%), la radio (2.2%) et les blogs (0.6%) sont considérés étant des sources de référence moins aptes à transmettre des notions positives sur les habitants des pays de Sud et de l’est de la Méditerranée Tendances dans la couverture médiatique interculturelle La couverture médiatique des minorités et des questions s’y rapportant dépend des événements et reste occasionnelle. Cette couverture est basée sur la fréquence, la signification et l’intérêt (attractivité, dramatisation des événements etc.) et ne fait pas partie de la programmation habituelle. Les principaux thèmes couverts sont l’entrée illégale dans le pays, la prostitution, les vols et les agressions. Les sujets se rapportant aux immigrés et aux minorités, aux activités culturelles et sportives, aux succès professionnels ou aux aspects créatifs de leurs vies sont rarement ou jamais couverts. La presse et la télévision utilisent comme sources les immigrés euxmêmes, la police et quelques avocats. Il y a très peu de journalistes de presse accrédités qui rendent compte exclusivement des immigrés, des minorités et des questions y afférant, alors que 71% des journalistes qui couvrent ces sujets n’ont pas de formation spécifique. Il est intéressant de noter que 32.3% des journalistes qui couvrent ces sujets sont spécialisés dans les crimes. La grande Selon l’étude de Triandafyllidou (2002) qui a passé en revue la presse et la couverture médiatique générale des immigrés et des groupes minoritaires en Grèce pendant les années 1990, la presse quotidienne (en majorité les tabloids et quelques journaux de droite) et les chaînes de télévision (chaînes de télévision commerciales principalement) ont adopté un point de vue nationaliste et plutôt xénophobe. Toutefois, depuis la fin des années 1990, la couverture médiatique de la diversité culturelle et ethnique a été progressivement marquée par une amélioration consécutive à une présentation plus équilibrée de l’immigration et des minorités. Les médias, au cours des dernières années, ont contribué à accroître, dans une certaine mesure, l’intérêt et la sensibilité du public (Gropas et Triandafyllidou, 2005). Les émissions ne se concentrent plus essentiellement, comme à leur habitude, sur des thèmes tels que «l’immigration et la criminalité», l’«identité grecque» et «l’altérité», mais s’attache davantage aux problèmes des minorités et des migrants. En effet, les débats relativement récents (2004-2006) dans les médias sur la construction d’une mosquée à Athènes (analysés dans Triandafyllidou et Gropas, 2009) sont révélateurs de cette ouverture progressive – même si elle reste hésitante – aux principes et aux valeurs de respect mutuel, de tolérance et de multiculturalisme. En effet, la nécessité d’établir une mosquée officielle à Athènes a été reconnue par la grande majorité des acteurs cités dans les médias (étatiques et non étatiques, y compris l’Eglise de Grèce). En réalité, deux sujets étaient dominants dans le discours des médias. Le premier était le rôle du facteur «étranger» (par exemple, les gouvernements arabes, mais aussi les groupes présumés islamistes qui offraient un financement) dans la construction et le fonctionnement d’une mosquée officielle à Athènes. Le deuxième était la valeur de base sur laquelle la construction de la mosquée devait être décidée et mise en œuvre. Plusieurs journaux à la fois du centre-droite et du centre-gauche ont appelé à un dialogue entre les religions et les cultures et ont exprimé leur volonté de reconnaître et d’accueillir la diversité religieuse et culturelle en Grèce. Cependant, il n’a pas été Grèce - Station radio interculturelle La radio multilingue et multiculturelle de la municipalité d’Athènes «Radio Internationale d’Athènes» (AIR 104,4) diffuse 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, en 16 langues, informant et divertissant les immigrés et les visiteurs. Elle a été créée initialement pour les besoins des Jeux Olympiques, en 2004, puis pour répondre aux attentes d’informations des communautés étrangères à Athènes. Les langues dans lesquelles elle émet sont les suivantes : anglais, français, allemand, espagnol, italien, russe, arabe, albanais, polonais, bulgare, roumain, tagalog, portugais, chinois, ourdou et japonais. Les émissions, produites localement, sont axées sur des sujets relatifs aux plus grandes communautés immigrées de la capitale grecque. Du lundi au vendredi, des nouvelles et toutes sortes d’informations utiles sont diffusées en 16 langues tandis que pendant le week-end, le programme est plus décontracté et porte sur la musique, le style de vie et des conseils utiles sur la façon de tirer le meilleur parti d’Athènes. La station diffuse également des contenus de la BBC World Service, de Radio France Internationale, de la Deutsche Welle et de CRI (Chine), tels que les grands événements politiques et culturels, les élections à l’étranger, et les manifestations les plus populaires du monde. www.annalindhreport.org/goodpractice/athensradio Le Rapport Anna Lindh 2010 Albanie - Le magazine Le Pont Dans le but de développer un projet de recherche commune axée sur la compréhension des principes religieux, l’initiative «Femmes et Religion» a réuni des représentants de femmes de trois groupes de croyance en Albanie : musulmans, catholiques et orthodoxes. Organisé sur six mois par le Forum de l’Alliance des Civilisations, chef du Réseau Anna Lindh en Albanie, les participants ont attiré l’attention sur l’importance des zones communes pour leurs communautés de foi, et ont identifié la «compréhension» et «la maîtrise de soi» comme valeurs dominantes d’une femme croyante, malgré les différentes doctrines sur lesquelles la pratique est basée. Les représentants ont également conclu qu’il existe un besoin particulier de reconnaître et d’encourager l’alphabétisation des femmes croyantes et que leurs croyances peuvent jouer un rôle central dans la promotion du goût des autres cultures, des autres religions, et favoriser l’harmonie entre elles. Un des principaux résultats de l’initiative a été la création et le renforcement d’un réseau entre les femmes dédié à développer une plus large discussion sur le rôle de la foi dans la compréhension interculturelle. www.acfos-albania.org tenu compte du fait que l’identité nationale grecque est également en cours de redéfinition au vu de l’augmentation de la population d’immigrés aux cultures et aux religions diverses qui s’est installée dans le pays au cours des vingt dernières années. Bonnes pratiques et domaines d’action En ce qui concerne d’autres questions connexes à la migration, des avis critiques fondés sur la présentation objective des faits et le respect des droits de l’Homme peuvent être considérés comme des exemples du bon traitement médiatique de la diversité culturelle. Il semble que de nombreux journalistes aient tendance à aborder avec sensibilité des thèmes se référant aux difficultés sociales et économiques des immigrés (principalement d’Asie), à l’exploitation sexuelle des femmes amenées illégalement en Grèce ou avec de faux contrats de travail, puis qui ont été contraintes à la prostitution (femmes d’Europe orientale et d’Afrique), aux immigrés en situation irrégulière (principalement d’Asie et d’Afrique) qui tentent d’entrer en Grèce sur des épaves et dans des conditions terribles. En outre, l’existence de stations de radio multilingues et multiculturelles, comme Athens International Radio, ou Radio communautaire, qui ont une variété de programmes multiculturels et emploient du personnel de diverses origines ethniques, constitue un bon exemple. On trouve généralement des nouvelles des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée dans les pages consacrées aux affaires étrangères (dans la presse écrite et à la télévision), ou dans la section des actualités nationales, si elles sont d’intérêt national (par exemple, les thèmes liés à la défense). La couverture médiatique est principalement déterminée par les événements (par exemple, la situation politique dans la bande de Gaza, de grosses inondations en Tunisie, la visite de Kadhafi en Italie, les tremblements de terre en Turquie, l’entrée de Chypre dans l’Union européenne, etc.) En outre, des références ont été et sont faites sur les pays méditerranéens du Sud dans de nombreux programmes de télévision spécialisés dans la culture et les voyages (par exemple «El. Culture» sur ET 1 TV, «Voyager» sur NET TV, «Images» sur Alpha TV), l’information (par exemple «Nouvelles enveloppes» sur Sky TV, «Investigations» sur ΕΤ3 TV) ou les documentaires (par exemple «Egypte : au-delà des pyramides» sur ET-1 TV). Dans le Nord-Est de la Grèce (principalement dans les préfectures de Rhodope et la Thrace), il existe des stations de radio (par exemple, Isik FM, City FM, Kral/King FM, Tele Radio) et des journaux détenus et exploités par la minorité musulmane (par exemple Triakyanin Sesi, Gundem, Dialog, Ozgur Balkan, Ileri) ainsi que quelques articles écrits en turc dans les journaux grecs (par exemple dans L’Observateur de Thrace). De plus, deux journaux en langue arabe circulent en Grèce (Al Dafatan, Panorama Arabic) et on trouve des informations et des programmes (transmis, par exemple, en arabe ou en français, qui diffusent de la musique provenant de pays méditerranéens du Sud) dans les stations de radio multiculturelles et multilingues. À la lumière des constats faits ci-dessus, on peut proposer différentes pistes en faveur d’une politique plus volontariste des médias, afin qu’ils reflètent davantage la diversité de la société grecque et favorisent le dialogue interculturel, le respect mutuel et l’acceptation des cultures minoritaires et majoritaires. En premier lieu, le ministère de la Culture devrait établir un fonds qui appuierait la mise en place et le fonctionnement des médias des minorités. Ce financement pourrait aussi – c’est une solution alternative – prendre la forme d’avantages fiscaux à destination des entreprises de médias ethniques. Dans les Départements d’étude sur les médias, il devrait également y avoir davantage de cours et une formation spécialisée sur les questions de diversité culturelle et religieuse, de racisme et de xénophobie. Ces cours devraient être rendus obligatoires également dans des établissements privés proposant des cours sur les médias (établissements d’enseignement supérieur, écoles fonctionnant au sein de grands groupes de médias). Dans le même temps, les groupes audiovisuels publics devraient inclure des programmes de télévision et de radio parlant de la diversité culturelle et ethnique à des heures de grande écoute. Une chaîne de télévision multilingue devrait être mise en place afin de diffuser des nouvelles et des programmes dans les langues des principaux groupes ethniques de Grèce (par exemple l’albanais, le russe, etc.). Enfin, le ministère de la Culture et le ministère de l’Éducation pourraient travailler ensemble à la création d’un Observatoire indépendant des médias sur la diversité culturelle. MARIA KONTOCHRISTOU est chargée de cours à la Greek Open University. Anna Triandafyllidou est chercheur à la Fondation grecque de politique européenne et internationale Le Rapport Anna Lindh 2010 115 114 D’ailleurs, ERT participe au programme européen «MIM, Immigrés dans le Projet Médiatique», qui vise à renforcer le rôle de plateforme pour le dialogue interculturel du service public de l’audiovisuel. En particulier, ET3 a l’obligation de traduire et d’intégrer dans le paysage médiatique grec le «kit de la diversité» de bonnes pratiques. majorité des journalistes (89.5%) déclarent qu’ils ne sont pas gênés par la présence des immigrés en Grèce, 66.81% reconnaissent la contribution significative des immigrés dans la croissance économique du pays et 94% soutiennent le point de vue que les immigrés devraient travailler légalement en Grèce. Bien que les journalistes, comme ils l’annoncent, ne traitent pas des questions de diversité culturelle d’une manière raciste, ils admettent que la couverture médiatique est caractérisée par l’exagération et par le parti pris (Université Aristote de Thessalonique, 2006). MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS manière significative – ou dont l’intrigue principale se réfère à – des questions liées à la diversité culturelle, telles que l’immigration, les mariages mixtes, la religion (par exemple «Les Chemins secrets» et «Ne me dis pas au revoir» sur Ant1 TV). Il est intéressant de noter qu’au cours des dernières années, les émissions télévisées populaires, les feuilletons et les émissions de télé-réalité ont inclus des migrants dans leur casting (Triandafyllidou, 2005). ANTOINE MESSARRA MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS 116 La masse d’informations disponible aujourd’hui dans le monde est plus importante que jamais, avec l’apparition des nouvelles technologies de la communication et la couverture médiatique permanente. Pourtant, pour Antoine Messarra, la question fondamentale et d’assurer la qualité et la diversité de l’information dans les médias. A partir de l’exemple libanais, l’auteur souligne le rôle éthique des journalistes, en tant que prescripteurs d’opinion et observateurs de la vérité à qui incombe la responsabilité de plus en plus lourde de communiquer sur la complexité de la région méditerranéenne. Le pluralisme des médias au Liban, l’accessibilité à l’information, les traditions de plurilinguisme, la position et la qualité du Liban en tant que carrefour d’échanges et de rencontres en font un pays à part. Selon le sondage Anna Lindh/Gallup, 40% des Libanais estiment avoir entendu ou lu dans les médias des faits et analyses qui ont changé ou renforcé positivement leur perception des peuples d’Europe. La moyenne générale dans les cinq pays non européens du panel est de 31,9 %. Au Liban, les sources d’informations positives sont les films (15%), la télévision (57,8%), la presse écrite (4,2%), les documentaires (12,8%), les blogs (1%), d’autres sources sur la toile (6,8%), et la radio. Comme on le constate, ce sont les films et la télévision qui constituent la principale source. On aurait tendance, en partant de ces données, à simplement considérer que l’information télévisuelle est privilégiée, sans se poser la question de la qualité et du contenu de l’information sur le dialogue entre les peuples diffusée par les télévisions libanaises, et par celles des pays arabes en général. Or, c’est dans la presse écrite et surtout les suppléments de quotidiens libanais, que l’on trouve des informations substantielles sur l’espace euro-méditerranéen. En outre, la projection d’une sélection de films européens au cours de l’année 2009 a permis une approche qualitative de la culture et des créations artistiques d’autres peuples. Une série de conférences sur la Suisse (Association libanaise des sciences politiques et Ambassade de Suisse au Liban, 2008) programmées dans toutes les régions du Liban ainsi qu’un programme culturel organisé par le Centre sportif, culturel et social du Collège Notre-Dame de Jamhour sous le titre : «Flânerie à travers le monde» (France, République tchèque, Suisse, Espagne…) qui consiste en une présentation d’un pays étranger assurent, par exemple, une information de qualité et à caractère culturel et pas seulement informationnel (Ateliers culturels, 2007-2008). Le public libanais Dans quelle mesure le lieu de naissance, l’émigration, les voyages, la connaissance d’autres pays influent-ils sur la connaissance mutuelle entre les peuples et la perception positive dans l’espace euroméditerranéen ? En analysant les réponses à la question : «Etesvous né, ou l’un de vos parents est-il né dans un pays autre que le vôtre ?», il ressort que le pourcentage des personnes nées hors de Le Rapport Anna Lindh 2010 leur patrie est faible (2,9%), malgré la forte tendance des Libanais à l’émigration. En comparaison, le pourcentage des personnes nées hors de la patrie est encore plus faible (1,9%) dans les 13 pays euroméditerranéens couverts par l’enquête. Le pourcentage des parents nés à l’étranger est en revanche assez élevé dans les 13 pays concernés par l’enquête (4,4%), en raison de la forte mobilité professionnelle dans les pays européens. Le pourcentage est également assez élevé au Liban (3,2%). Si on se limite aux Etats arabes méditerranéens autres que le Liban, la mobilité est relativement faible du fait que l’émigration à partir du Maroc, de l’Egypte et de la Syrie est généralement définitive. Dans quels pays étrangers sont nés les personnes interrogées ou leurs parents ? En d’autres termes, quels sont les pays étrangers qu’ils connaissent, du moins comme lieu de naissance ? La répartition des pays d’origine, disséminée sur 250 pays dans les différents continents, n’est pas significative. La longue succession des pourcentages en marge des différents pays énumérés dans le questionnaire est due au fait que l’émigration libanaise est généralement définitive et que les enfants libanais nés de parents émigrés s’établissent dans le pays d’accueil et ne rentrent pas dans la patrie d’origine. A la question : «Appartenez-vous à une religion ou à une confession religieuse ?», deux Libanais seulement sur les 1 000 répondants ont nié toute appartenance à une religion. Tous les autres ont déclaré appartenir à une communauté religieuse. Sur les 13 116 personnes interrogées dans 13 pays euro-méditerranéens, 1 431 soit 10,9% nient tout lien avec une religion, contre 0% au Liban. A la question : Etes-vous vraiment croyant ?, le pourcentage de réponses positives est très faible pour le total des 13 pays (6,9%). Au Liban, seulement 52 personnes sur les 1000 personnes interrogées (5,2%) se disent vraiment croyantes. Ce résultat est d’autant plus surprenant que l’ensemble des Libanais sondés déclarent appartenir à une croyance. Cela indique-t-il une régression de la croyance des Libanais en faveur d’une appartenance socio-politique et culturelle ou une progression des idéologies religieuses sous couvert de la foi, de religions identitaires, de religions «sans âme» ? C’est sans doute La superficie du Liban est peu importante et, malgré la faiblesse des transports publics, la proximité urbaine influe sur la perception géographique de l’espace de vie, sans que cet espace ne jouisse de tous les avantages des équipements et infrastructures urbains. Les répondants libanais sont pour plus de la moitié mariés (58,3%), vivant maritalement (4,4% contre 5,1% pour l’ensemble des 13 pays), ou divorcés (1,3% contre 6,7% pour l’ensemble des 13 pays). Ils sont des patrons ou des travailleurs indépendants (23,1%), des salariés (25,6%), des lycéens ou des étudiants (14,5%), des travailleurs à domicile (27,1%), des retraités (4,2%), ou n’ont pas de travail (3,4%). Leurs domaines d’activité sont l’agriculture (4,5%), l’industrie (12,5%), l’administration (9,7%), et les entreprises privées (58,4%). L’excès d’ouverture des Libanais – au sommet de l’échelle dans l’enquête – à des ennemis et à des frères réels ou supposés leur a coûté trop cher quant à l’indépendance et à la souveraineté de leur petit pays. Cet excès d’ouverture doit être constamment associé à une culture de légalité, d’éthique professionnelle et de prudence dans les relations extérieures. Les acquis des Libanais depuis le 14 février 2005, avec la Révolution du Cèdre, le Printemps de Beyrouth, l’Intifâda de l’Indépendance, ont été ciblés par des politiciens experts en manipulation qui se servent de médias télévisés pour propager un discours putschiste, saper les valeurs républicaines et les fondements de la légalité. Le phénomène se généralise aujourd’hui dans des démocraties consolidées comme dans des démocraties jeunes ou en transition (Sciences humaines, 2008). ) Les médias et l’avenir de la démocratie Quand l’information dans le monde d’aujourd’hui sert moins à informer qu’à faire du spectacle, l’analyse du rôle de l’information dans la promotion du dialogue et des échanges interculturels doit davantage porter sur la qualité et l’éthique de l’information, que sur le débit, les données ou le nombre et le pourcentage des récepteurs. L’avenir même de la démocratie dépend de considérations qualitatives. La Fondation Anna Lindh souhaite le «partage d’une information qualitative et plurielle» (Fondation Anna Lindh, 2009). Cependant, là où les médias sont libres et pluriels, notamment au Liban, la pollution de la vie publique se développe à travers les médias, surtout télévisés, qui propagent un discours sans boussole et servent de tribune à des polémiques stériles dont le vocabulaire est puisé dans l’arène de la lutte pour le pouvoir et de la mobilisation conflictuelle. François Mauriac écrivait à ce sujet : «La politique a vidé le langage de sa substance.» (Mauriac, 1970; Issa, 2009) Les progrès des sciences humaines et des sciences en général et les avancées réalisées dans les métiers de l’information, et même la formation d’excellence des journalistes ne s’accompagnent pas nécessairement d’une d’une amélioration de la qualité de l’information ni du travail des journalistes. Ces mêmes progrès s’accompagnent en effet d’un développement de techniques sophistiquées de manipulation par des pouvoirs hégémoniques et par des politiciens dans un débat politique réduit à un spectacle. Il ressort de l’enquête générale que la contribution des médias à la compréhension interculturelle est relativement faible, quand elle n’est pas négative en raison de la propagation à la télévision d’un discours polémique et conflictuel. Cela révèle l’importance de l’enseignement scolaire et universitaire, et surtout de la culture véhiculée de façon plus qualitative par les manuels scolaires dans Liban - Initiative d’information publique Dans une société pluraliste multicommunautaire comme celle du Liban, insister sur la diversité peut contribuer à la fragmentation. Agir sur ce qui rassemble, sur l’espace public, sur les intérêts communs et partagés, autrement dit sur les rapports au quotidien entre les citoyens et l’administration constitue une action pionnière et normative sur ce qui rassemble. Plus de cinquante articles de journaux, émissions de radio et reportages télévisés ont été élaborés par des journalistes de la jeune génération en tant qu’exemples normatifs d’une information, non plus officielle et limitée à des officiels, mais véritablement publique, destinée à des usagers de services publics. Le programme a été organisé dans le cadre du Programme de l’Assistance à la Réhabilitation de l’Administration Libanaise (ARLA), en coopération avec l’Union européenne. Les quatre thèmes suivants ont été abordés dans plus de cinquante productions médiatiques : «Entrer dans une administration publique : organisation de l’espace et accessibilité aux prestations»; «Formalités administratives : comment les usagers des services publics au Liban sont-ils aujourd’hui informés ?»; «Journalistes et attachés de presse face à l’information administrative»; «L’information locale aujourd’hui au Liban : La communication entre municipalités et citoyens locaux». www.annalindhreport.org/goodpractice/publicinformationinitiative Le Rapport Anna Lindh 2010 117 Priorités d’avenir à la qualité et à l’éthique de l’information le résultat le plus surprenant dans le volet libanais de l’enquête. Comment les personnes sondées se situent-elles quant à leur niveau de vie : pauvres, riches, dans la moyenne ? En réponse à la question : «En tenant compte de toutes les données, quel est le niveau de vie de votre famille ?», la majorité des répondants se sont classées à des niveaux variables de pauvreté, allant de 1 à 6 sur une échelle de 7, alors que seuls 360 personnes sur 13 116 (soit 0,8%) ont déclaré appartenir à la catégorie des «familles riches». Le constat est significatif du fait que les échanges interculturels euro-méditerranéens, tout en favorisant la connaissance et la compréhension mutuelles, développent ou risquent de nourrir des perceptions de privation relative en cas de clivages socioéconomiques aigus entre les peuples euro-méditerranéens. On entend par privation relative la tendance des personnes à percevoir leur niveau de vie, non en fonction de «données» exclusivement objectives, comme il leur est demandé dans le questionnaire, mais en comparaison avec les personnes et les groupes avec lesquels ils se réfèrent. Comment les répondants libanais qualifient-ils les régions où ils habitent ? Alors qu’un pourcentage élevé des personnes interrogées des 13 pays déclarent vivre dans des régions rurales (30,8%), ils sont seulement 6,3% au Liban, le reste des répondant disant vivre dans une ville petite ou moyenne (14,1%), dans la banlieue d’une grande ville (34,1%) et dans une grande ville (45,5%). MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS LIBAN MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS Dans une société libanaise qui jouit d’un patrimoine de pluralisme, de légalité et de convivialité, mais qui est fortement agressée par des tendances putschistes suite à l’opération terroriste contre le président Rafic Hariri et son convoi, le 14 février 2005, les téléspectateurs assistent à un débit verbal d’insultes, de putschisme, de fascisme, de nazisme, de non-droit, avec tout un arsenal d’argumentation artificielle. Jamais autant qu’aujourd’hui, et surtout depuis le Printemps de Beyrouth, la propension à ratiociner n’a été aussi générale et laborieuse, avec des slogans, du juridisme, du réformisme, et toujours de la surenchère. Ratiociner (du latin, ratiocinari, de ratio, raison; faire des raisonnements, se perdre en raisonnements interminables et cinis-cineris, cendre) devient le pain quotidien d’émissions télévisées qui cachent l’essentiel. Le journaliste qui se limite à reproduire des déclarations d’hommes politiques est responsable, et même complice ou coupable… Des politiques fabriquent des polémiques de toutes pièces, manipulent les références nationales les plus élémentaires, et uniformisent ainsi les esprits dans les talks-shows… Cette boutade de Woody Allen s’applique parfaitement aux émissions télévisées en question : «A Hollywood, tout est propre. Ils ne jettent pas leurs ordures, ils en font des émissions de télévision.» MAROC La parole n’est donc pas innocente. Il faut désormais, et toujours, s’en méfier, la susciter certes, mais l’appréhender avec discernement, prudence, esprit critique. Nous assistons et participons, souvent sans le savoir, à la pollution des valeurs républicaines fondatrices d’une société, avec une propension sans limite à ratiociner. Le journaliste, surtout celui des médias télévisés, dit qu’il rapporte des déclarations, couvre des faits. Mais le journaliste, observateur et témoin, est de plus en plus appelé à être un témoin lucide, prudent. Combien il est difficile, aujourd’hui, de ne pas être dupe ! Au Maroc, comme dans d’autres pays, le débat sur la diversité et sa relation aux médias se développe et suscite de plus en plus l’intérêt de différentes parties de la société. Jusqu’à maintenant, la question de la diversité n’était pas prise en compte car elle éait perçue comme un concept dangereux susceptible de créer le chaos et de briser l’unité du Royaume. Avant 1999, le concept de diversité n’était pas du tout reconnu, le postulat de l’Etat étant que tous les citoyens marocains étaient identiques et qu’ils constituaient un groupe homogène partageant les mêmes valeurs, les mêmes perceptions et les mêmes attentes. Toutefois, cette tendance a changé à la faveur d’une nouvelle volonté politique et la diversité a été reconnue dans le contexte de l’apparition de nouvelles valeurs associées à la mondialisation. Les médias marocains ont commencé à jouir d’une liberté sans précédent à l’égard d’une variété de médias et de nouvelles structures médiatiques ont vu le jour. Dépollution de l’espace médiatique Le journaliste qui croit engager un dialogue et un débat démocratique risque d’être utilisé comme une tribune pour la pollution des esprits, la diffusion de la vulgarité, la politique spectacle. Le journaliste est-il donc un robot passif face à des insultes, à des doigts pointés avec menace, à des propos putschistes, à la banalisation du crime et des attentats terroristes ? Même des émissions qui, en apparence, dénoncent la corruption et promeuvent la transparence, placent les scandales financiers dans un enjeu de pouvoir et de compétition entre politiciens, au lieu de cibler l’investigation sur les effets du détournement de fonds sur la qualité de vie des citoyens. Neutralité, objectivité, impartialité… servent malheureusement à camoufler le manque de rigueur professionnelle, le déficit d’authenticité, le manque d’engagement éthique. Le journaliste n’est pas un robot passif qui transmet des insultes, ni un appareil photographique qui capte des doigts pointés et menaçants, ni un amnésique qui dirige un débat télévisé où des politiciens contredisent leurs propres déclarations et leurs propres programmes, ni l’agitateur d’un débat où se confrontent des positions sans que soit véritablement soulevé un problème, le problème. La pollution médiatique télévisée est devenue la pire des pollutions. Il s’agit de restaurer les esprits devenus sans boussole, sans repère, dans un nouveau totalitarisme putschiste version XXIe siècle. La «Journée des dupes» n’avait autrefois duré qu’un jour, avec des conséquences durables certes ! Les soirées télévisées d’aujourd’hui Le Rapport Anna Lindh 2010 Nouvelles initiatives pour refléter la pluralité culturelle MONA EL HAMDANI On assiste, ces dernières années, au Maroc, à un intérêt grandissant pour la promotion des questions relatives à la diversité culturelle, un facteur qui a eu un impact sur le paysage médiatique national et sur la couverture des questions interculturelles dans la région euro-méditerranéenne. Mona el Hamdani souligne les récentes initiatives positives dans les médias électroniques, inspirées par la reconnaissance croissante de la diversité culturelle et linguistique. L’auteur propose également des domaines d’action pour renforcer la capacité des médias à présenter une information équilibrée de l’Autre. La question de la diversité culturelle dans les médias est un débat très récent au Maroc compte tenu du développement progressif de la presse marocaine en termes de nombre de médias, de réglementation et d’ouverture depuis 1956. La question centrale était la suivante : les médias marocains reflètent-ils vraiment la riche diversité culturelle de leur pays ? De nombreuses voix tentent d’apporter des réponses à cette question en essayant d’évaluer la situation actuelle en matière de diversité. A cette fin, de nombreuses conférences et débats nationaux ont été organisés pour discuter de cette question et essayer de trouver des approches positives pour représenter la diversité culturelle dans les médias marocains. Cependant, il y a peu de comptes rendus écrits ou de documents faisant référence à des études récentes et sérieuses menées sur cette question au Maroc. ANTOINE MESSARRA est journaliste à L’Orient-Le Jour, professeur à l’Université libanaise et à l’Université SaintJoseph et membre du Conseil constitutionnel On peut trouver des articles courts qui évoquent superficiellement cette question. Pourtant, la direction générale prise par le pays et la politique nationale incitent à la réalisation d’études de fond et de recherches qui examinent et discutent les différents aspects de la diversité et des médias au Maroc. Cependant, certains obstacles subsistent, principalement l’absence d’instituts de recherche spécialisés dans les médias capables de réaliser des études crédibles en matière de diversité. Le Maroc n’a pas besoin d’importer des politiques toutes faites dans le domaine de la diversité pour les mettre en œuvre à l’aveuglette dans la situation actuelle. Ce pays a besoin d’apprendre de différentes expériences étrangères, de prendre en compte ses propres caractéristiques et d’élaborer ensuite une approche adaptée aux attentes du Maroc. Les médias marocains et la Méditerranée Le débat d’aujourd’hui au Maroc est uniquement axé sur la diversité nationale à l’intérieur des frontières du Royaume. Les médias marocains ne traitent pas de la question de la diversité culturelle dans les pays voisins. Pour obtenir de plus amples renseignements et des faits sur cette question, la première étape a été de faire une recherche dans les programmes qui sont proposés par les chaînes de télévision et les stations de radio marocaines. Aucun programme spécifique orienté vers la découverte de la diversité culturelle des pays méditerranéens ou d’autres pays en général n’a été trouvé. Les seules nouvelles qui soient diffusées à cet égard sont celles liées aux événements internationaux et aux actualités récurrentes telles que les élections, les signatures d’accords, ou autres incidents. Il existe des documentaires, mais ils ne traitent que des questions politiques et économiques d’autres pays étrangers. En ce qui concerne les films et programmes de divertissement, qui sont des vecteurs supplémentaires de la diversité culturelle, beaucoup d’entre eux sont américains, d’autres films viennent de France ou de l’Egypte et ils donnent habituellement une image déformée de ces sociétés. Au niveau de la presse écrite et des médias électroniques, les résultats sont identiques. Dans les journaux à plus gros tirage et les publications les plus populaires, il n’existe pas de sections consacrées à la question de la diversité culturelle en dehors du Maroc. Par conséquent, pour les Marocains, les seules sources d’information pour se renseigner sur d’autres pays sont des films et des chaînes du câble. Le public marocain a accès aux informations sur la diversité culturelle dans d’autres pays grâce aux chaînes par satellite, bien que l’obstacle de la langue l’empêche généralement de comprendre la totalité du contenu, la plupart des Marocains regardant des chaînes satellites d’autres pays diffusées en français, arabe ou espagnol. Le Rapport Anna Lindh 2010 119 118 Alfred de Vigny écrivait déjà dans son Journal, vers le milieu du XIXe siècle, à propos de la presse : «La presse est une bouche forcée d’être toujours ouverte et de parler toujours. De là vient qu’elle dit mille fois plus qu’elle n’a à dire, et qu’elle divague souvent et extravague.[…] Il en serait ainsi d’un orateur, fût-ce Démosthène, forcé de parler sans interruption toute l’année.» (de Vigny, 1951) risquent de générer des vies entières de dupes. Max Weber avait beaucoup insisté sur la rupture, dite civilisée, entre sens et existence (Weber, 2003). C’est à travers les médias télévisés que le risque est maximal sous les apparences de la télé-réalité. Il faudra scruter la réalité du réel, grâce à la vertu de prudence (phronésis), pièce centrale de la philosophie d’Aristote (Aristote, 1992; Aubenque, 2004). Dans d’autres pays, notamment en Europe, des sujets fondamentaux sur l’amour, la famille… tournent à l’amusement dans un supermarché de cogitation et un non-sens généralisé. L’information télévisée se tourne-t-elle aujourd’hui davantage vers la plaisanterie, le spectacle et le divertissement, au sens de Pascal, que vers l’information ? Il faudrait au moins dire à l’interlocuteur que nous nous trouvons sur un plateau d’information et de débat, et non sur une scène pour s’exhiber, ni sur une arène de gladiateurs. Rien ne peut désormais être exécuté avec rigueur professionnelle et authenticité si, au départ, on ne se montre pas extrêmement sévère sur l’emploi qui est fait des mots. A ce propos, Talleyrand disait, avec la clairvoyance du grand diplomate : «La parole a été donnée à l’homme pour dissimuler sa pensée.» MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS l’espace euro-méditerranéen. MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS Les tendances au Maroc ces dernières années s’orientent vers la reconnaissance de la diversité culturelle d’abord à l’intérieur du pays. Beaucoup de nouvelles législations ont été adoptées par le Roi et le gouvernement afin de libérer le domaine des médias. La liberté d’expression a également augmenté, atteignant un niveau très important ce qui permet aux journalistes d’aborder de nombreux tabous. La sensibilité à l’égard de la question de la diversité conduit à l’adoption, dans les médias, de nouveaux programmes qui poussent à une plus juste représentation de tous les segments de la société. Les dialectes locaux comme le Tamazights sont reconnus comme langues à inclure et à utiliser dans les médias. Telles sont les principales tendances actuelles. Elles devraient ouvrir la porte à l’adoption de nouvelles politiques plus en faveur de la promotion et de l’illustration de la diversité de la société marocaine. Ces changements finiront sans doute par conduire à une plus grande ouverture aux cultures des pays étrangers, mais cela doit s’accompagner de travaux de recherche et être encouragée par les pouvoirs locaux et internationaux et les experts dans les domaines de la diversité et des médias. Le sondage Anna Lindh/Gallup réalisé dans un certain nombre de pays de la Méditerranée est une base fondamentale pour l’examen et l’évaluation la situation de la diversité culturelle et des relations interculturelles dans la région euro-méditerranéenne. Dans le cas du Maroc, les résultats de l’enquête ont permis de vérifier de nombreuses hypothèses Les onze questions posées à un panel de Marocains qui représentent la majorité des segments de la société exposés aux médias, ont révélé un certain nombre de faits intéressants sur les tendances concernant la perception de l’Europe. Les réponses à la plupart de ces questions ont révélé que la majorité des Marocains ne considère pas les médias comme une source d’informations positives sur les Européens, bien que, en comparaison avec les d’autres populations sondées, 38% des Marocains se souvenaient avoir écouté ou regardé quelque chose dans les médias qui avait changé dans un sens positif leur impression sur les Européens. L’enquête a en particulier montré une autre différence entre les Marocains et les autres populations de l’espace euro-méditerranéen sur les médias comme sources de connaissance. En effet, 38,6% de ceux qui ont répondu affirmativement à cette question ont déclaré que les films étaient le principal vecteur de connaissance de l’autre. Ces données sont intéressantes car, dans les autres pays étudiés, les actualités télévisées sont considérées comme la principale source d’information. Les réponses et les statistiques tendent également à prouver que les médias marocains, à travers les nouvelles à la télévision, la presse, les émissions radiophoniques, pourraient faire davantage pour véhiculer des informations non biaisées sur l’Europe ou les valeurs européennes et favoriser le dialogue interculturel. Je suis certaine qu’une situation similaire existe de l’autre côté de la Méditerranée et que les pays européens ignorent de nombreux aspects du Maroc en raison de l’absence de sources d’information précises et équilibrées. Diversité linguistique et nouveaux outils des médias La chaîne de télévision régionale Laayoun et la nouvelle chaîne de télévision amazighe constituent de bons exemples de la façon dont les médias marocains traitent positivement de la diversité et des minorités à l’intérieur de la société. Au Maroc, la langue officielle est l’arabe, mais il y a quatre principaux dialectes qui sont parlés à l’intérieur du pays par différents groupes de personnes et dans des zones géographiques spécifiques. Le Tarifit est un dialecte parlé dans le Nord du pays, le Tamazight est parlé dans le Moyen et HautAtlas, le Tachelhit dans l’Anti-Atlas et le Hassania dans le Sud du pays. La diversité de ces groupes ne porte pas seulement sur les dialectes parlés, mais aussi sur les traditions, les coutumes et la culture. Ces langues n’ont presque pas été représentées dans les médias Maroc - Libre antenne Les médias électroniques représentent de nouveaux exutoires, qui permettent à de nombreux Marocains d’exprimer ouvertement leur point de vue. Les sites Web et les forums de discussion sont devenus les médias les plus populaires dans le pays car des personnes différentes de milieux et de convictions divers s’y regroupent pour discuter et écrire sur des questions qui sont encore considérées comme tabous par la société marocaine et qui ne peuvent être évoquées ouvertement par la presse nationale. Ils représentent également un terrain idéal pour les échanges culturels entre les Marocains et les autres personnes qui partagent les mêmes intérêts. Un bon exemple d’un forum en ligne nouvellement créé, qui attire de plus en plus l’attention et sur lequel les Marocains et les non Marocains discutent d’un large éventail de sujets est «Talk Morocco» (www.talkmorocco. net). Ce site Web est un forum qui, chaque semaine, encourage les débats sur différentes questions d’importance pour le Maroc et invite les journalistes, les militants de la société civile et toute personne qui a un point vue à exprimer à débattre de ces questions en ligne. Le Forum a remporté le prix 2010 du «meilleur choix des bloggers anglais» et le prix du jury BOB. www.talkmorocco.net Le Rapport Anna Lindh 2010 Maroc - Journalisme inclusif La conférence «Les médias inclusifs pour des sociétés inclusives» s’est tenue le 17 juillet 2009 à Rabat, au Maroc. Elle a donné l’occasion aux décideurs des médias de discuter de la responsabilité du secteur des médias, ainsi que du cadre juridique, éthique et financier des reportages inclusifs. Elle a ouvert le dialogue sur les questions liées à la diversité et à la nécessité d’un code national de déontologie relatif au journalisme inclusif. Les principaux objectifs de la conférence étaient de favoriser l’inclusion sociale et culturelle par le biais de reportages responsables sur la diversité dans les médias et de faire progresser l’enseignement et des compétences du journalisme par des ateliers de production de terrain à destination des journalistes et par le développement et la mise en œuvre de cursus universitaires spécialisés portant sur le traitement journalistique responsable de la diversité culturelle en général, et de la diversité religieuse en particulier. www.media-diversity.org marocains à l’exception de quelques journaux locaux ou dans des flashs diffusés ici et là sur les télévisions nationales. Ces groupes se devaient d’être présents dans les médias car ils constituent un ensemble de 8,4 millions d’habitants sur une population totale de plus de 30 millions d’habitants (recensement de 2004). En novembre 2004, la chaîne régionale Laayoun a été lancée dans le Sud du Maroc afin de diffuser des programmes sur les questions en lien avec la population du Sud. Elle est considérée comme la première chaîne de télévision régionale du Maghreb, bien que sa diffusion soit limitée à la région du Sud et qu’elle ne puisse pas être reçue dans le reste du pays. En mars 2010, et après des mois de retard, la première chaîne amazighe a enfin été lancée. La chaîne, qui fait partie du groupe SNRT, a nécessité un budget de création de 5 millions d’euros. L’Etat a lancé ce projet pour répondre aux plaintes croissantes des communautés amazighes sur leur manque de représentation dans les médias marocains. Cette chaîne répondait à l’attente des trois groupes amazighs qui parlent le Tamazight, le Tachelhit et le Taraifit. Elle diffuse des programmes et des nouvelles dans ces trois dialectes, sous-titrés en arabe, avec le soutien d’une équipe d’environ quatre-vingt dix journalistes et techniciens (SNRT). Même si cette initiative a été très appréciée par de nombreux Marocains et Amazighs, la question demeure de savoir si une chaîne de télévision sera suffisante pour représenter trois groupes qui ont des priorités et des intérêts différents. Les médias électroniques constituent un autre type de médias de plus en plus en populaires en raison de leur capacité à représenter des minorités et des groupes sociaux marginalisés. N’étant pas soumis à l’ingérence de l’État ou à la censure, ils représentent une plateforme libre de discussion pour une grande variété de sujets. En outre, ils permettent au public de participer à des débats et d’exprimer son opinion sur les questions médiatisées, ce qui les rend très populaire. Les médias électroniques sont principalement utilisés par les jeunes Marocains qui sont considérés comme un groupe marginalisé en dépit de leur grand nombre. Les jeunes utilisent en général les sites Web d’actualités et les blogs pour exprimer leurs opinions sur la mode, le sport, la société, l’économie et même la politique. Preuve de la popularité des médias électroniques, le site le plus visité au Maroc est un site Web de nouvelles appelé www. hespress.com. Dans les pays voisins européens, le débat actuel est axé sur les minorités et en particulier sur celles qui sont composées d’immigrés. Ce débat n’existe presque pas au Maroc, mais cette situation ne devrait pas durer puisque le Maroc est un lieu de passage pour de nombreux immigrants d’Afrique subsaharienne, dont beaucoup restent au Maroc et se font une place au cœur de la société. Le besoin de représenter ces minorités se fait pressant et les médias marocains auront à en traiter tôt ou tard. Domaines d’action Un traitement adapté de la diversité culturelle par les médias marocains exige d’abord la mise en place de certains mécanismes importants qui puissent organiser le secteur et conduire à plus de professionnalisme et plus d’équilibre dans le traitement de ces questions importantes. En premier lieu, il faudrait établir une charte déontologique nationale pour les médias afin de mieux définir les libertés, les droits et les obligations des journalistes et, dans le même temps, assurer une indépendance complète des médias vis-à-vis de l’Etat et instaurer une réglementation des médias par un organisme objectif et indépendant. En outre, nous recommandons la création de plusieurs institutions professionnelles sur les médias qui puissent réaliser des études et des recherches, ainsi que renforcer et généraliser la formation des professionnels des médias. L’adoption de politiques visibles qui encouragent la diversité culturelle serait également un vaste chantier à mettre en œuvre. MONA EL HAMDANI est Responsable nationale de programme à l’Institut de la Diversité des Médias au Maroc. Le Rapport Anna Lindh 2010 121 120 Les médias comme source de connaissance de l’Autre présentées au début de l’article. MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS La perception générale des Marocains envers les pays méditerranéens peut se résumer à deux points de vue. Le premier est que certains de ces pays sont proches du Maroc, car ils partagent la particularité d’être tous Arabes, musulmans et en voie de développement, en dépit de l’existence de certains conflits politiques en particulier avec l’Algérie. Le deuxième point de vue assez répandu est que les autres pays notamment ceux du continent européen sont perçus comme des communautés chrétiennes blanches, d’anciennes puissances coloniales, une destination de rêve pour les émigrants, et des partenaires économiques et politiques stratégiques pour le gouvernement et les hommes d’affaires. Toutes ces perceptions sont très générales et elles sont fondées sur des stéréotypes et des idées préconçues. Il n’existe pas de statistiques sérieuses ou précises qui peuvent servir de preuves dans ce domaine. Il y a donc, plus que jamais, une nécessité absolue de développer la recherche professionnelle sur ce sujet afin de générer des statistiques crédibles et d’obtenir des données fiables. MIKE JEMPSON MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS 122 Au Royaume-Uni, il existe un certain nombre de cadres politiques et législatifs qui ont pour objectif de lutter contre la discrimination et la xénophobie. Pourtant, d’après Mike Jempson, de nombreux exemples illustrent l’impact négatif que certains secteurs de la presse britannique on eu sur le public concernant les questions liées à l’immigration ou à l’intégration à l’Union européenne. Dans un contexte de restrictions budgétaires, où s’accroît le risque d’une baisse de la couverture médiatique de l’«autre», Mike Jempson souligne l’importance du soutien politique à la diversification des médias nationaux. Une étude récente menée par un ancien dirigeant de la BBC a prédit que la couverture médiatique internationale pourrait disparaître de la télévision analogique au Royaume-Uni d’ici 2013, si les compressions budgétaires dans les productions et les salles de rédaction continuaient. «Au cours des trois dernières années, un cinquième de la couverture des sujets concernant les questions internationales a été déplacé des canaux traditionnels vers le numérique... (où ils sont) vus par beaucoup moins de téléspectateurs. Il est généralement admis, parmi les professionnels des médias, que les programmes traitant de l’international ont de plus faibles audiences. Les taux d’audience restant la préoccupation majeure de la plupart des commissaires et des contrôleurs, il en résulte une réticence marquée à commander de tels programmes.» (Harding, 2009) Tant la BBC que l’organisme de régulation de l’audiovisuel commercial Ofcom insistent sur l’importance de la couverture internationale ; pourtant, sa diminution progressive, qui n’a pas provoqué de tollé général, ne peut qu’avoir un impact disproportionné sur le discours public compte tenu de l’influence dominante des médias imprimés et audiovisuels au Royaume-Uni. Cela peut aussi expliquer en partie pourquoi près de 85% des personnes interrogées au Royaume-Uni pour le sondage Anna Lindh/Gallup ne se rappellent pas avoir vu, lu ou entendu quoi que ce soit dans les médias qui ait amélioré leur perception des personnes dans la région euro-méditerranéenne. La région est généralement considérée comme faisant partie du «monde arabo-musulman», et apparaît le plus souvent dans des sujets sur le conflit entre Israéliens et Palestiniens, sur les violations des droits de l’Homme, ou dans des documentaires spécialisés sur l’histoire ancienne, l’archéologie et les vacances. Xénophobie et discrimination En tant que société multiculturelle et qu’ancien empire, la Grande-Bretagne a un marché intérieur favorable aux nouvelles internationales, et s’enorgueillit de sa tolérance et de ses libertés qui ont attiré de nombreuses personnes venues d’ailleurs à la recherche d’un refuge contre l’injustice. Malheureusement, cette réputation de fair-play a été entachée par le traitement bien moins tolérant Le Rapport Anna Lindh 2010 des «étrangers» fait dans certaines branches de la presse populaire. Lors des récentes campagnes électorales, le parti d’’extrême-droite Parti Britannique National (BNP) – qui a désormais deux sièges au Parlement européen – a profité de la couverture xénophobe de certains grands journaux nationaux pour promouvoir les positions raciste, anti-immigration, anti-européenne, et anti-musulmane du parti. Bien que le lectorat soit en baisse d’année en année, près de la moitié de la population (environ 30 millions de personnes) lit encore chaque jour un quotidien national, dont le contenu est souvent repris par les radios et les télévisions. Étant donné que 75% des lecteurs prennent des journaux qui ont une vision négative de l’Union européenne, le Centre pour la Réforme Européenne a reproché à la presse sa responsabilité dans le sentiment antieuropéen du public (Grant, 2006). La ligne éditoriale du Times et du Daily Telegraph est largement «eurosceptique», tandis que quatre tabloïds (dont les ventes quotidiennes atteignent sept millions d’exemplaires), prennent plaisir à relater des histoires, parfois d’origine douteuse, qui tournent en dérision les décisions et les directives communautaires. Il n’est pas surprenant alors que, selon l’Eurobaromètre de juin 2008, seuls 30% des Britanniques voient l’Union européenne comme une bonne chose, et que seulement 24% d’entre eux aient confiance dans ses institutions. Mais le désenchantement envers l’Europe n’est qu’un aspect du problème. La xénophobie des tabloïds pendant la Coupe du monde de football 1998 en France a atteint un tel degré que la Commission des Plaintes de la Presse (PCC) a dû rappeler aux rédacteurs en chef que leur droit «de rapporter les événements de façon vigoureuse et partisane [...] doit être équilibré par le sens des responsabilités. Ils doivent donc veiller à ce que leurs reportages et leurs commentaires n’incitent pas à la violence, au désordre ou à d’autres actes illicites, ni ne favorisent toute forme de xénophobie qui pourrait contribuer directement à une telle incitation» (Wakeham, 1998). Des plaintes ultérieures concernant la couverture médiatique inexacte et hostile aux demandeurs d’asile et aux réfugiés (Finney, 2003; Jempson et Cookson, 2004; ICAR, 2004 et 2005) a forcé le PCC à rappeler aux rédacteurs en chef que : «la référence péjorative ou relative à la race, la religion ou la nationalité d’une personne Contraintes juridiques et représentations erronées La Grande-Bretagne dispose de solides cadres juridiques et institutionnels en matière de lutte contre le racisme et la discrimination et de protection de la cohésion sociale. Depuis 1936, une série de lois sur l’ordre public a interdit l’utilisation de termes menaçants, injurieux ou insultants et les comportements susceptibles d’attiser la haine raciale. La discrimination raciale a été déclarée illégale depuis la première Loi sur les relations raciales de 1965. Les médias imprimés et audiovisuels du Royaume-Uni sont liés par ces lois, mais la presse n’a pas à se conformer à l’obligation légale «des radio-diffuseurs de service public» de Grande-Bretagne (la BBC, ITV, Channel 4 et Channel 5, et les stations de radio autorisées) de fournir des informations et des actualités précises, équitables et impartiales. Les stéréotypes contemporains sur les Arabes – et, par extension, sur le monde musulman – remontent à la crise pétrolière des années 1970, selon la Commission sur les musulmans britanniques et l’islamophobie (Amelia et al, 2007). La presse a contribué à brouiller, aux yeux du public, la distinction entre culture et normes religieuses et l’Islam a progressivement été associé aux mariages forcés, aux crimes d’honneur, à l’homophobie, aux exécutions publiques et aux amputations judiciaires. La fatwa contre Salman Rushdie pour les Versets sataniques et, plus tard, les réactions à la controverse des caricatures danoises, n’ont servi qu’à renforcer la perception d’un Islam vindicatif et violent. Néanmoins la couverture médiatique des conflits en Bosnie et au Kosovo était favorable aux musulmans, et la presse britannique a été prompte à inciter les lecteurs à ne pas condamner l’Islam pour les atrocités de septembre 2001. Toutefois, «la guerre contre le terrorisme» a renforcé dans l’esprit du public l’idée que l’ennemi est «l’Islam radical». Au grand dam des diverses communautés musulmanes de Grande-Bretagne, les médias d’information populaires ont fourni une tribune à d’obscurs provocateurs islamistes, comme s’ils étaient des représentants significatifs. Les nombreux documentaires télévisés qui donnent une image plus équilibrée de l’importance culturelle, politique et historique de l’Islam, touchent un public relativement restreint. Cela peut expliquer pourquoi le sondage Anna Lindh/Gallup révèle un niveau d’impact positif minime des nouvelles télévisées (6,3%) et des documentaires (6,3%). Au moment des attentats de juillet 2005 à Londres, le bouc émissaire habituel des tabloïds – les «étrangers» – a été remplacé par l’«islamophobie» – plus insidieuse puisque le Royaume-Uni compte quelque 1,6 millions de musulmans. Selon l’Institut des relations raciales, le discours islamophobe à travers l’Europe, construit et diffusé «par les partis politiques, les médias et les “ liberati ” à la poursuite d’un programme d’assimilation, est maintenant «le principal obstacle à l’intégration» (Fekete, 2008 ). Comme le discours public sur la cohésion sociale au RoyaumeUni est passé du «multiculturalisme» reconnaissant la différence et glorifiant la diversité à «l’interculturalité», avec son message implicite d’homogénéisation dans laquelle la culture dominante prévaut, même ceux qui sont nés au Royaume-Uni ont commencé à croire qu’ils sont considérés comme «l’ennemi intérieur». Lorsque la police a, à tort, présumé fausses les déclarations contre la Mosquée clandestine (Dépêches, C4, 2007) qui dévoilaient les activités de prédicateurs extrémistes, les dommages ont été attribués aux médias, mais la controverse n’a guère contribué à réduire les tensions au sujet de ce qui se passait au sein des communautés musulmanes. En attendant, suite au souci croissant concernant la mauvaise représentation des minorités dans les médias, à l’hostilité accrue contre les musulmans et à l’augmentation de l’antisémitisme, l’Unité «Cohésion sociale et cultes» du gouvernement a demandé à la Société des rédacteurs de fournir des orientations pour une couverture médiatique juste et équitable des communautés noires et des minorités ethniques. On peut lire dans un des passages de ce texte : «Les minorités portent le fardeau d’être différentes. Ne les assimilez pas à des faits qui inquiètent tout le monde comme le terrorisme, l’assujettissement des femmes, le mariage forcé, l’immigration clandestine, les fraudes aux prestations sociales et l’abattage cruel des animaux. Ces faits sont rares. Certains clichés sont inévitables. Tout ce qui vient d’être décrit fera l’objet d’un sujet de temps à autre. Mais certaines sources en feront un mélodrame, et les journalistes avisés devront se garder de telles pratiques» (G Elliott, 2005). L’impact de ces orientations peut expliquer le taux élevé attribué à la presse britannique (34,7%) par rapport à la moyenne de l’enquête Anna Lindh/Gallup (27%) comme source de la représentation positive de la région euro-méditerranéenne. Cependant, les analystes n’ont cessé de critiquer le caractère négatif de la couverture par la presse britannique des «étrangers» et des «musulmans». Dès 1997, la Commission sur les musulmans britanniques et l’islamophobie (CBMI) a souligné les stéréotypes des médias et les défaillances du PCC (Runnymede, 1997). Sept ans plus tard, un rapport d’évaluation (CBMI, 2004) était tout aussi critique sur les médias, à travers lesquels 66% de personnes obtiennent la plupart de leurs informations sur l’Islam et les musulmans, selon un sondage YouGov effectué en 2002 cité dans le rapport. La recherche universitaire a alors systématiquement enregistré la couverture hostile se concentrant sur les extrémistes islamistes et la représentantion de l’Islam comme «étranger» (Poole & Richardson, 2002). Le Comité parlementaire multipartis sur l’antisémitisme a également noté en 2006 les liens entre la couverture médiatique et les comportements hostiles. En octobre 2000, coïncidant avec la publicité sur le début de la deuxième Intifada palestinienne, un organisme de bienfaisance offrant des conseils, une protection et une formation pour les Juifs de Grande-Bretagne a enregistré son plus haut total mensuel d’incidents antisémites (105). Le Le Rapport Anna Lindh 2010 123 Le défi d’un monde de plus en plus interdépendant est interdite en vertu de l’article 12 (discrimination) du Code (des rédacteurs). La Commission [...] a souligné le danger que des données inexactes, trompeuses ou dénaturées puissent générer une atmosphère de peur et d’hostilité qui n’est pas corroborée par les faits» (Meyer, PCC, 2003). La clause de non discrimination du Code de bonnes pratiques, mise au point par les rédacteurs euxmêmes, a été controversée depuis que les journalistes ont mis en place le PCC en 1991 comme organisme d’autoréglementation. Il ne couvre pas les «remarques générales sur les groupes ou catégories de personnes» (Beales, 2009). Celles-ci restent à la discrétion du rédacteur, tout comme la mention de la nationalité d’une personne. Dans les années 1970 et 1980, ce pouvoir s’est étendu à l’emploi de termes racistes dans certains tabloïds (Searle, 1989; Borzello, 1998) qui réservent aujourd’hui leurs flèches aux Arabes, aux musulmans, aux Roms et aux «bohémiens». MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS ROYAUME-UNI Un autre rapport du Centre européen de recherche musulman soutient : «Les images islamophobes, négatives et injustifiées d’un musulman de Londres décrit comme Londonistan [le titre d’un livre écrit par un chroniqueur du Daily Mail (Phillips, 2006)] et la représentation des musulmans londoniens comme des terroristes, des sympathisants terroristes et des subversifs dans les médias semblent constituer un motif pour un nombre significatif de crimes de haine antimusulmans» (Githens-Mazer & Lambert, 2010). Cette couverture médiatique hostile peut aider à expliquer la conclusion de l’Ofcom en 2008 selon laquelle «les groupes de minorités ethniques sont à la pointe de la communication numérique au Royaume-Uni, avec des niveaux élevés de souscription à la téléphonie mobile, à Internet et à la télévision par câble ou satellite.» Ceci peut, à son tour être un signe d’aliénation, en particulier parmi les jeunes musulmans britanniques. S’exprimant sur la série télévisée de la BBC «Génération djihad», un officier supérieur de la police britannique a prévenu que le Royaume-Uni allait devoir faire Donner un aperçu de la vie des autres La prise de conscience culturelle dans les médias La Loi sur l’égalité des chances et les campagnes menées par des groupes de la société civile, y compris l’Union nationale des journalistes, ont aidé les médias du Royaume-Uni à recruter des équipes plus diversifiées qu’ailleurs en Europe. Après que l’étude d’une Société de rédacteurs eut révélé une très faible représentation des minorités ethniques et religieuses dans les salles de rédaction (Cole, 2004), un nouveau système de bourses a été mis en place pour encourager davantage de membres des communautés minoritaires à suivre une formation de journaliste. La Grande-Bretagne a également obtenu de bons résultats dans l’étude «Media4 Diversity» 2009 de l’Union européenne qui a salué les initiatives structurelles et stratégiques menées pour améliorer la représentation des minorités dans les médias. La lutte contre l’aliénation et la discrimination requiert davantage qu’une salle de rédaction multiculturelle. Le statut insulaire de la Grande-Bretagne et son passé impérial peuvent être des obstacles à la reconnaissance du monde comme d’autres le voient, mais ce qui est sensiblement absent des médias, et pas seulement au Royaume-Uni, c’est la capacité à reconnaître l’expérience, l’histoire et la culture de «l’autre». Cela exige une volonté politique de relever les défis d’un monde de plus en plus interdépendant. Il est sans doute temps que la formation professionnelle des journalistes du monde entier inclue une période passée loin du familier, pour acquérir la connaissance et le respect du monde au-delà de sa propre culture et de ses frontières. Alors peut-être que l’ensemble de la couverture médiatique des affaires publiques deviendra plus précise, rationnelle et tolérante et encouragera l’équité dans le respect et la reconnaissance de la différence, offrant un antidote à la démagogie qui menace le progrès et la sécurité à travers le monde. MIKE JEMPSON est Directeur de l’organisation caritative pour un journalisme éthique MediaWise et chargé de cours à l’Université de l’Ouest de l’Angleterre. Royaume-Uni - Réseau de diversité culturelle Au Royaume-Uni, l’une des initiatives institutionnelles les plus importantes est le CDN qui réunit désormais les chaînes grand public et les sociétés de production indépendantes, dans un effort commun pour améliorer la représentation de la société multiculturelle du Royaume-Uni à l’écran, et hors de l’écran. Le CDN travaille avec ses membres sur le partage des compétences, des ressources et de bonnes pratiques, y compris la modernisation de la distribution et de la représentation des minorités ethniques dans la programmation générale, le partage de la recherche non commercialement sensible sur la diversité culturelle, l’obtention d’une image complète de l’emploi des minorités ethniques de la radiodiffusion au Royaume-Uni et l’établissement de normes industrielles pour la collecte des données de surveillance ethnique. Parmi ses initiatives, le CDN a lancé l’Engagement de la diversité qui vise à aider à la fois la production indépendante, la post-production et les entreprises des autres fournisseurs à prendre des mesures quantifiables pour améliorer la diversité dans l’industrie grâce à la surveillance des pratiques de la diversité. En outre, en septembre 2009, CDN a lancé un Prix annuel pour la diversité. www.culturaldiversitynetwork.co.uk Le Rapport Anna Lindh 2010 SUÈDE ALEXA ROBERTSON Les changements démographiques, les flux migratoires et la mondialisation ont conduit à une recrudescence de travaux de recherche sur les questions in-terculturelles dans le champ médiatique suédois. Ils ont également suscité, comme le souligne Alexa Robertson, des études spécifiques sur la diversité culturelle dans les salles de rédaction. Malgré les restrictions économiques ambiantes et les problèmes de recrutement, il est encore possible, selon Alexa Robertson, d’optimiser le potentiel unique des médias à toucher toutes les communautés et à donner la parole aux groupes minoritaires dans les médias nationaux grand public. Par rapport à de nombreux pays européens, la Suède reste socialement et culturellement homogène. Seulement quatorze pour cent de la population dans son ensemble, et vingt pour cent de ceux qui vivent dans la capitale, Stockholm, sont ce qu’on appelle «nés à l’étranger» dans le langage officiel, c’est-à-dire nés à l’extérieur du pays, ou dont les parents sont nés à l’étranger. Les principaux groupes d’immigrés (après les Finlandais) proviennent des pays des Balkans, d’Iran et d’Irak. Pendant des décennies, l’égalité entre les hommes et les femmes, et entre personnes de différentes origines ethniques, a été valorisée dans le débat public suédois. Pourtant, alors que près de la moitié du corps journalistique est de sexe féminin depuis le début des années 1990, seulement 5% sont des immigrants, et seulement 2% sont nés hors d’Europe. Dans ce contexte, cet article va donner un bref aperçu des valeurs associées à la presse suédoise, à la diversité cultu-relle et aux relations interculturelles ayant une incidence sur la région euro-méditerranéenne, considérées du point de vue des décideurs, des universitaires et des professionnels des médias.. Tendances nationales et accès aux médias La législation suédoise sur les médias est fondée sur une longue tradition de liberté de la presse. Le système de responsabilisation et de partage des principes éthiques est établi équitablement du côté à la fois des éditeurs et des journalistes. Une des règles régissant l’éthique de la presse suédoise stipule que les journalistes doivent s’abstenir d’attirer l’at-tention sur «l’origine ethnique, le sexe, la nationalité, la profession, l’appartenance po-litique, religieuse ou les préférences sexuelles d’un individu si elles manquent de perti-nence» par rapport au sujet traité et qu’une telle attitude «est irrespectueuse». La frontière entre le respect de cette diversité et la liberté des médias est une source de tension, et fait l’objet de négociations continues. La sentinelle qui se tient en permanen-ce à la frontière est le Club des publicistes (une organisation d’éditeurs et de journalistes qui débat de la conduite éthique des médias depuis 1900), le Médiateur de la presse, la Commission de radiodiffusion vers laquelle le public et les groupes d’intérêt peuvent se tourner pour porter plainte contre des reportages qui violent les règlements et les lignes directrices. La Commission a reçu un certain nombre de plaintes déposées par des Ita-liens et d’autres en 2005, lorsque la télévision suédoise (SVT) a diffusé une série de pu-blicités invitant les téléspectateurs à payer leur redevance et à soutenir ainsi «l’accès libre à la télévision». Les annonces ridiculisaient le Premier ministre italien et magnat des médias Silvio Berlusconi, la télévision italienne étant décrite, quant à elle, comme l’antithèse de la télévision de service public suédois. Quoi qu’on puisse penser de l’exac-titude ou de la pertinence de la campagne sur la redevance, on a officiellement attribué à SVT le titre d’«acteur majeur dans le développement d’une société de la diversité eth-nique et culturelle». Une partie de sa mission est «de lutter contre les préjugés et les idées stéréotypées, ainsi d’accroître la connaissance mutuelle des individus et leur com-préhension des personnes de différentes origines ethniques et culturelles» (Robertson, 2010; SVT, 2006; SVT, 2009). Des chercheurs spécialistes des médias en Suède ont réagi aux changements démogra-phiques qui ont résulté de l’immigration et de la mondialisation en produisant davantage de travaux interdisciplinaires. Une base institutionnelle collaborative a été fournie par le Réseau nordique de recherche sur les médias, l’immigration et la société et l’Association nordique IMER pour les migrations internationales et les relations ethniques. Outre les études émanant du monde universitaire, un certain nombre de rapports de recherche ont également été commandés par le ministère suédois de la Justice sur l’intégration, la dis-crimination structurelle et les relations de pouvoir, qui comprennent les études sur les médias (voir par exemple DjerfPierre et Levin, 2005). L’analyse des contenus média-tiques représente la majorité des sujets de recherche sur les médias et la diversité culturelle en Suède. Horsti (2008) fournit une utile classification de ces travaux. Les études sur la façon dont les immigrés sont dépeints dans les films offrent un agréable antidote à la préoccupation induite par le traitement des informations. L’analyse textuelle est un aspect majeur de la recherche suédoise dans ce domaine. Une autre partie de la recherche s’est concentrée sur les sociétés de médias elles-mêmes – sur leur gestion et leur mise en application de la diversité (Westin, 2001), et sur les ex-périences de leurs employés. Les journalistes interrogés par Hultén (2009) racontent les problèmes rencontrés par les professionnels des médias issus des minorités dans des salLe Rapport Anna Lindh 2010 125 face à une menace préparée depuis vingt ans par des terroristes ayant grandi à l’intérieur du pays, ce qui nécessitera «une génération de traitement pour prévenir la propagation de l’infection». Répétés dans la presse populaire, de tels propos alimentent les inquiétudes des communautés musulmanes déjà placées sous contrôle dans le cadre d’un programme gouvernemental contre l’extrémisme doté de plusieurs millions d’euros. MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS 124 MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS nombre est passé à 286 en janvier 2009, lorsque la campagne militaire israélienne contre Gaza a été signalée, et en juin 2009, a atteint un nouveau sommet de 609. Les rédacteurs en chef sont toujours réticents à admettre que leurs histoires sont susceptibles d’influencer le comportement du public, mais une consommation à haute dose de sujets hostiles à «l’étranger au milieu de nous» cause inévitablement de l’anxiété si ce n’est de l’’antipathie, et influence le discours public. Une étude des journaux nationaux entre 2000 et 2008 (Moore, Mason et Lewis, 2008) a révélé que la couverture médiatique des musulmans britanniques a été multipliée par douze jusqu’en 2006. Deux tiers des histoires soulignaient la «différence», des liens avec le terrorisme, ou présentaient les musulmans comme des «menaces» ou des «problèmes». Le racisme anti-musulmans et les attaques racistes représentaient 10% des reportages en 2000, mais seulement 1% en 2008, lorsque de telles attaques étaient devenues monnaie courante. Les histoires à propos de la Grande Bretagne «devenant un lieu pour musulmans uniquement, une zone interdite, où les églises ont été remplacées par des mosquées et où la charia serait bientôt appliquée», fait écho à la propagande du BNP. «Les références aux musulmans radicaux sont plus nombreuses que les références aux musulmans modérés avec un ratio de 17 pour 1», note le rapport. Les termes «terroriste», «extrémiste», «fanatique», «fondamentaliste», «radical» et «militant» sont devenus les qualificatifs les plus communément associés à l’Islam et aux musulmans, à la fois dans les journaux traditionnels et dans les tabloïds. Un point de départ familier dans la recherche sur les médias et la diversité est le constat que les journalistes ont en quelque sorte échoué dans leur entreprise de rap-porter l’information de façon équitable. Le travail sur le terrain (Robertson 2010) indique que de nombreux journalistes sont conscients de leur responsabilité, et que la réflexion doit se concentrer davantage sur les obstacles pratiques, plutôt qu’idéologiques (des ressources limitées et des créneaux horaires définis, même à une époque de diffusion 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7). Bien que les travaux de Hulten apportent une contribution importante, en explorant les contraintes organisation-nelles qui pèsent sur les reportages, il y a un manque évident de recherches sur le fonc-tionnement et les pratiques journalistiques professionnelles dans ce contexte (Horsti, 2008). Selon des résultats récents (Anna Lindh/Gallup, 2009), seulement 12% des Sué-dois ont trouvé des informations dans les médias qui ont changé ou renforcé leur point de vue sur les populations des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée dans un sens plus positif Problèmes, thèmes et tendances L’islamophobie et les attitudes racistes sont uniformément condamnées dans les re-portages des médias suédois. Il existe Suède - Radio multilingue L’organisme de service public SR diffuse des nouvelles et des actualités en 16 langues, le sami, le finnois, l’albanais, l’assyrien, le bosniaque, le croate, le serbe, le yiddish, le kurde, le persan, le roumain, le russe, le somalien, l’allemand, l’anglais et l’arabe, visant à offrir des programmes pour tous, indépendamment de l’âge, du sexe et du contexte culturel. Fin octobre 2010, un certain nombre de services linguistiques ont été abandonnés (y compris les langues des Balkans et l’assyrien), mais la programmation sera renforcée en arabe, identifié comme «la langue la plus importante pour les nouveaux arrivants en Suède», en somali, qui vise «les groupes d’auditeurs qui en ont le plus besoin» et en roumain. En outre, le site de la Radio suédoise rend tous les programmes disponibles à la demande partout dans le monde 24 heures sur 24 pendant 30 jours après la diffusion originale en FM. Une expérience particulièrement intéressante, Halal TV, a été lancée par la société sœur de SR, le radiodiffuseur public de la télévision suédoise, en 2008, dans le but d’inverser le regard, et de dépeindre la société suédoise du point de vue des intervenants du programme. www.sverigesradio.se Le Rapport Anna Lindh 2010 Italie - Zalab Television Depuis 2007 ZaLab TV organise des ateliers vidéo participatifs dans quatre pays méditerranéens : l’Italie, la Palestine, l’Espagne et la Tunisie, dirigés par de jeunes équipes de médias internationaux et ciblant les jeunes qui ont un accès limité aux médias numériques. L’initiative a pour objectif primordial de recueillir des «récits inédits», de réunir des talents inconnus par-delà le mur de la fracture numérique, et d’utiliser la vidéo comme outil de création pour rompre l’isolement social, géographique et culturel et lutter contre les stéréotypes des médias. Grâce au site Web du projet, les participants aux ateliers et «les points focaux ZaLab TV» ont l’occasion de se rencontrer, de discuter et de publier leurs vidéos, un processus qui crée des ponts entre les diverses expériences de vidéo participative de différents pays. L’initiative est dirigée par les participants, de l’étape de la conception du projet jusqu’à la mise en œuvre et le suivi. Le fait qu’un groupe de participants assume la paternité éditoriale signifie qu’il y a un contrôle sur le contenu et la liberté d’expression, soutenant ainsi un processus d’analyse au niveau local. www.zalab.tv des preuves pour suggérer que «l’autre» dans une grande partie du discours des médias suédois est l’extrémiste de droite qui veut débarrasser le pays des Suédois «pas de souche». Sur deux questions assez délica-tes, cependant, il y a absence d’accord, et des tendances contradictoires dans les re-portages. L’une de ces questions a trait à la création d’établissements privés ou d’écoles «libres» qui ont un profil religieux. La réforme qui a développé cette ten-dance avait pour objectif d’élargir le choix, mais il a été souligné dans les médias que dans certaines communautés d’immigrés, il a en réalité restreint le choix, en re-fusant aux enfants (et surtout aux filles) la possibilité de se socialiser dans une so-ciété où le choix des vêtements et des partenaires est une question individuelle, plu-tôt qu’un choix familial. L’autre sujet pourrait être considéré comme une continuation suédoise de l’histoire commencée par le danois Jyllands-Posten et le scandale qui a éclaté après la publication de ses caricatures de Mahomet. La question a été chaudement débattue en Suède comme ailleurs, et a été perçue comme un conflit entre le respect de la sensibilité religieuse d’autrui, et l’importance de défendre le droit à la liberté d’expression. L’histoire – et la controverse – a été alimentée par les dessins de Lars Vilks, qui représentent Mohammed comme «un chien de rond-point» (une forme d’installation urbaine en Suède, où les chiens en général repré-sentent des figures autres que le Prophète). Bien que la plupart des voix qui se sont fait entendre aient rejeté l’art de Vilks considéré comme une provocation, et aient condamné les auteurs des menaces de mort reçues par l’artiste, il y a eu un débat pour savoir si la liberté d’expression devait l’emporter sur le respect des minorités. Une variété d’initiatives visant à promouvoir la diversité ont déjà été mises en pra-tique, y compris des stratégies visant à améliorer la représentation des minorités et à recruter davantage de journalistes issus de cultures différentes, mais il reste beau-coup d’efforts à faire sur ce front. En Suède, comme ailleurs, il y a eu des appels aux professionnels des médias pour poursuivre les bonnes pratiques journalistiques relatives à la diversité en évitant les stéréotypes et les généralisations, et en interro-geant les minorités ethniques en leur qualité de parents, de locataires, d’experts, de passionnés, d’employés, de dirigeants, d’artistes et ainsi de suite – plutôt que com-me des «musulmans» ou des «immigrés». Hultén (2009) a conclu que le travail sur la diversité est entravé par des problèmes économiques, des difficultés de recru-tement, des hiérarchies immuables, et un manque de sensibilisation et de compéten-ce là où ça compte. En partant du constat que les entreprises de radiodiffusion ont plus d’importance par la diversité de leur travail que les journaux, ceci suggère que le travail à fournir pour améliorer la diversité dans les médias, et dans les représen-tations de la société que les médias proposent, ne peut être laissé aux seules forces du marché. S’il est nécessaire de veiller à ce que les responsabilités soient assumées au niveau sociétal, il faut aussi faire des efforts au niveau de la prise de conscience individuelle. Les étudiants qui fréquentent les écoles avec une forte proportion d’élèves «allochtones» doivent être informés du fait qu’une carrière dans les mé-dias est non seulement possible, mais aussi une valeur pour la société, cela dépen-dant d’un meilleur recrutement. Concernant les représentations de personnes d’autres origines ethniques et culturel-les dans les médias suédois – non seulement des résidents de la Suède, mais aussi de gens qui vivent ailleurs en Europe, dans la région du Sud de la Méditerranée, et audelà – il peut être pertinent de suivre les conseils d’immigrés très en vue, qui ont reproché aux médias suédois d’être trop circonspects dans leur traitement des pro-blèmes liés aux minorités ethniques. Les journalistes en Suède essaient souvent d’éviter les stéréotypes négatifs en se référant à «un citoyen suédois» quand ils couvrent un crime, par exemple. La phrase a en fait l’effet contraire, aucun Suédois d’origine étrangère n’étant jamais appelé «citoyen suédois». Faire des reportages plus directs sur les questions sensibles permettrait également de réduire la propen-sion à placer tous les non-Suédois dans une catégorie spécifique. Les efforts visant à promouvoir la diversité culturelle doivent se concentrer, bien entendu, sur le fait de rappeler que les gens sont différents, et qu’il y a beaucoup de différences dans les catégories «nés à l’étranger», «immigrés» et «musulmans», par exemple. La diversité dans la couverture médiatique des nouvelles n’a pas seulement à voir avec ce qui est rapporté – les stéréotypes négatifs qui résultent de l’association des jeu-nes immigrés du Sud de la Méditerranée à la criminalité, ou des musulmans avec l’oppression des femmes, ou des personnes de régions du Sud de l’Europe avec des conflits violents. La diversité se rapporte davantage à la façon dont les gens nous sont présentés, afin que leurs problèmes et les actions qui en résultent puissent être mieux compris. Dans ce contexte, la technique narrative utilisée par des journalistes suédois qui nous transportent, métaphoriquement et concrètement, dans les foyers et les lieux de travail des «autres», et les laissent s’adresser directement à nous avec leurs propres mots, est d’une valeur considérable. ALEXA ROBERTSON est Professeur associée au Département de Sciences politiques de l’Université de Stockholm. Elle a publié des études sur les diffuseurs et les chaînes d’information globales. Le Rapport Anna Lindh 2010 127 – un pourcentage inférieur à la moyenne des pays dans le sondage. On ne sait pas dans quelle mesure cela peut avoir à faire avec un échec de la part des médias suédois, et les études portant sur les expériences qui se cachent derrière ces chiffres constituent une autre lacune universitaire. Les résultats pourraient indiquer que la majo-rité des répondants suédois n’avaient rien entendu du tout sur ces pays (ce qui n’est pas improbable, compte tenu de la relative absence de proximité géographique et culturelle); si, comme cela a été suggéré, la logique des médias implique un penchant pour le conflit, alors la maxime «pas de nouvelles, bonnes nouvelles» pourrait s’appliquer. Les sources d’impressions positives les plus fréquemment mentionnées sont la télévision (43%), la presse écrite (34,2% – à comparer avec la moyenne européenne de 26,7%), d’autres sources (15,5%), des films documentaires (10,8%) et la radio (7,7%, une moyenne encore une fois plus élevée que la moyenne européenne de 5,7 %), suivie de près par les livres (7%). Le nombre modeste de personnes interrogées citant l’Internet (6,7%) et les blogs (0%) est intéressant, compte tenu de la haute pénétration de l’Internet en Suède. Il semble que si les Suédois doivent acquérir des informations qui permet-tront d’améliorer leur point de vue sur les personnes vivant dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, cela doit leur être servi : ce n’est pas quelque chose qu’ils rechercheront activement (à moins d’avoir déjà une opinion positive sur ces pays, acquise de manière non-médiatisée, par le biais de voyages de vacances par exemple). Si l’on s’attache à analyser les valeurs véhiculées par les médias qui ont une incidence sur la diversité culturelle et les relations interculturelles, alors on doit s’intéresser en urgence à la culture populaire. Le récent débat sur ce qu’on pourrait appeler la partition culturelle de l’Europe, au moment où les «nouvelles» démocra-ties en sont venues à dominer le concours de l’Eurovision (une forme médiatique qui pourrait bien se nicher dans la catégorie précitée «autres sources»), indique qu’il y a un travail important à faire sur la dimension populaire de l’intégration culturelle. C’est un débat qui a à la fois une connotation idéologique et politique, étant donné que les Européens sont plus enclins à voter pour le concours de chan-sons que lors des élections du Parlement européen. Le concours est également inté-ressant en ce que la frontière européenne, dans cette «eurovision», est élargie aux pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée.. MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS 126 MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS les de presse de tendance majoritaire, et ont insisté sur la nécessité de changer la culture des salles de rédaction. Des inquiétudes ont été exprimées quant aux tendances à «nor-maliser» la diversité de la culture dans le contenu des médias qui peuvent avoir pour effet involontaire d’exclure les voix des minorités. Un troisième axe de recherche a por-té sur la façon dont les immigrants utilisent les médias, que ce soit les médias de leur nouveau domicile, ou des médias transnationaux qui leur permettent de rester en contact avec leur pays d’origine et la diaspora. Un projet en cours (Sjöberg et Rydin 2008) a montré que les migrants combinent les sources d’information et se tournent vers les mé-dias internationaux comme Al-Jazeera pour trouver des représentations alternatives à celles rapportées par les médias suédois. Tandis que beaucoup d’autres recherches sué-doises ont mis l’accent sur les représentations de la migration, les réfugiés et le racisme, Sjöberg et Rydin ont identifié, au moyen d’entrevues, que les «nés à l’étranger» voient les médias comme responsables de la création et de la reproduction du discours de «l’immigré». Il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine d’étude en plein essor. La tendance dominante dans la recherche suédoise a été, peut-être ironiquement, d’adopter une perspective nationale sur la façon dont les immigrants et les Suédois nés à l’étranger sont représentés dans le cadre national. Dans un monde globalisé, où les frontières deviennent de plus en plus poreuses, il devient urgent d’enquêter plutôt sur la façon dont les gens au-delà des frontières de la nation sont représentés, et de savoir si les téléspectateurs sont décrits comme ayant des connexions ou des engagements avec ces derniers. TURQUIE Turquie - Nouvelles Bianet MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS 128 Erhan Üstündağ et Tolga Korkut soulignent l’importance des liens historiques de la Turquie avec différents pays en relation avec la façon dont les faits sont rapportés actuellement. Le traitement médiatique de l’Union européenne et des Etats-Unis en Turquie est également analysé en fonction des relations actuelles entre les pays et de la façon dont cette couverture a un impact sur la compréhension de l’«autre» euro-méditerranéen. Au-delà de cette perspective régionale, les auteurs étudient la manière dont les différentes communautés internes à la Turquie peuvent promouvoir de nouvelles voix dans les médias. La Turquie est un pays aux multiples identités culturelles, ethniques, religieuses, au carrefour de nombreux pays et régions : l’Europe, le Moyen-Orient, le Caucase, les Balkans et la Méditerranée. Pourtant, différentes parties de sa population éprouvent des difficultés à exprimer leurs besoins et leurs exigences dans les médias traditionnels. La représentation que se fait la société turque de l’Union européenne, des Etats-Unis et des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée dépend principalement des circonstances politiques, tandis que les lois et les règlements concernant les médias ont tendance à restreindre la diversité culturelle. Le code de déontologie de l’Association des journalistes de Turquie (TGC) est probablement le texte le plus complet sur les médias et la diversité culturelle, mais il convient aussi de mentionner le Code de bons principes du Conseil de la presse. Le monde des médias a connu une avancée notable en 2007, lorsque le TGC et le British Council ont publié une série de lignes directrices sur les médias et la diversité culturelle. La publication, par la Fondation IPS Communication, de directives et de livres sur les droits et le journalisme basé sur les droits à destination des professionnels des médias et des étudiants en journalisme a également joué un rôle important. En outre, l’introduction récente de médiateurs dans les médias a eu une certaine influence sur le travail des journalistes et des dirigeants. Les organismes de surveillance des médias sont rares en Turquie mais certaines initiatives méritent d’être mentionnées, telles celles qui visent à évaluer la couverture médiatique réservée aux droits des femmes, des personnes lesbiennes, gay, bisexuelles et transgenres (LGBT) et des minorités, ou encore les travaux récents d’associations de journalistes, de défenseurs des droits et d’universitaires qui se sont attachés à révéler systématiquement les pratiques discriminatoires des médias. Néanmoins, ces efforts sont restés limités et n’ont pas permis de provoquer des changements positifs. Par conséquent, la question de la création d’un mécanisme efficace de contrôle reste entière. Le «processus d’’initiative démocratique», comme l’appelle le gouvernement, a offert la possibilité aux médias de présenter la diversité culturelle d’une manière beaucoup plus large, appuyés en cela par l’annonce, par le gouvernement, d’un projet de création d’une commission contre la discrimination. Une grande Le Rapport Anna Lindh 2010 partie des médias traditionnels sont devenus relativement plus courageux quand il s’est agi de publier des histoires sur les Kurdes ou sur d’autres minorités et leurs problèmes. TRT, l’organisme de radiodiffusion publique de Turquie, a ainsi lancé une chaîne appelée «TRT Şeş (6)» qui diffuse des émissions en kurde. Après que le Président, Abdullah Gül, et le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, ont mentionné les anciens noms non turcs de deux villes dans leurs discours publics, les grands médias ont même diffusé des interviews de la population locale en kurde avec traduction simultanée, et la diffusion par des médias locaux dans d’autres langues que le turc, soit en majorité en langue kurde, est devenu moins restreinte. Dans le même temps, bien que le gouvernement ait affirmé sa détermination à développer «l’initiative démocratique», il reste beaucoup à faire, à commencer par la reconnaissance et l’application totales des droits des minorités, les changements en cours sur les libertés n’étant pas encore transcrits dans la loi ou la constitution. Dernièrement, le gouvernement a annoncé la prochaine mise en place de nouvelles mesures en faveur des droits de l’Homme, y compris une commission spéciale de lutte contre la discrimination. De nombreux défenseurs des droits de l’Homme ont jugé cette initiative positive, mais absolument pas suffisante, rappelant qu’un changement fondamental dépend d’une réforme complète de la constitution, plus démocratique. Quant à la recherche universitaire sur les médias et la diversité culturelle, elle ne s’est que très récemment emparée de ce domaine, les restrictions aux libertés des universitaires rendant difficiles les approches critiques. Analyse des contenus La population de la Turquie a des racines historiques profondes dans les aires géographiques et les cultures voisines. Pourtant, la couverture médiatique et la langue créent souvent des distinctions entre les Etats/les gouvernements et les individus, ce qui peut aisément donner naissance à une langue totalisante et homogénéisant et à des stéréotypes renforcés par un manque de représentation de la diversité culturelle parmi les journalistes employés dans les médias grand public. En ce qui concerne la perception des Etats-Unis et de ses habitants, les médias les www.bianet.org présentent généralement positivement en termes de relations économiques et militaires et comme source de richesse alors que la politique américaine dans les pays du Moyen-Orient, notamment en Israël et en Palestine, est critiquée. Quant à la perception de l’Union européenne et des habitants de l’Europe, le processus d’adhésion à l’Union est généralement présenté comme un objectif commun dans la plupart des grands médias. Toutefois, les médias nationalistes de droite critiquent le processus, dénonçant «les demandes injustifiées des “ Européens chrétiens ” qui menacent notre indépendance nationale» tandis que les médias dits nationalistes de gauche (essentiellement kémalistes) présentent le processus comme une «pression de l’impérialisme contre l’indépendance de la Turquie contemporaine». Les grands médias les rejoignent facilement en cas de conflit d’intérêts concernant certains sujets tels la question chypriote, les relations avec l’Arménie, ou encore les droits des minorités. De nombreuses personnes vivant en Europe, en particulier en Allemagne et aux Pays-Bas, ont des liens avec la Turquie, l’«Etat-mère». Les violations de leurs droits sont surmédiatisées, alors que leurs succès politiques et économiques sont présentés comme «les succès des Turcs en Europe». Les minorités musulmanes ou turques de pays des Balkans comme la Grèce et la Bulgarie sont présentés comme des frères et sœurs, et leurs formations politiques pour la défense des droits de l’Homme sont donnés comme des exemples de réussite, à l’instar du «Mouvement des droits et libertés» en Bulgarie. Par ailleurs, les touristes européennes sont habituellement décrites en Turquie comme des objets de désir dans les pages «société» des magazines et, à la télévision, dans les bulletins d’information, tandis que les immigrants provenant de pays européens ou des Etats-Unis («l’Occident») qui vivent en Turquie sont généralement présentés comme «l’un d’entre nous» et que la question est de savoir «à quel point ils sont “ turquifiés ”». Concernant les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, la plupart des informations ont trait au peuple palestinien, et la politique du gouvernement israélien est généralement diffamée et critiquée, jusqu’à engendrer des expressions antisémites dans les medias nationalistes/islamistes. Une grande partie de l’intérêt des journalistes dépend des relations diplomatiques et de l’actualité concernant les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Ainsi, le Liban, qui, habituellement, est invisible, a fait la une des médias pendant le conflit armé avec Israël en 2006, tout comme la Syrie et les Syriens, lorsque la Turquie et la Syrie ont convenu de supprimer les visas entre les deux pays, les populations des deux pays ayant de nombreux parents de part et d’autre, essentiellement des Arabes, la zone ayant été séparée par un accord frontalier dans les années 1930. Quant aux pays nord-africains et à leur population, ils sont à peine visibles dans les médias dominants de Turquie. L’information sur les peuples des pays étrangers est publiée/diffusée dans les pages « politique» ou «économie». Qu’ils soient citoyens turcs ou étrangers, les gens de cultures différentes, ne sont généralement cités que s’ils sont directement liés à l’histoire elle-même. Par exemple, il est presque impossible, dans les médias, de voir une femme médecin grecque orthodoxe parler de problèmes de santé ou un économiste Rom s’exprimer sur les avantages sociaux. D’autre part, les réfugiés ou demandeurs d’asile sont facilement criminalisés, tout comme les Roms de Turquie. Les mariages mixtes sont habituellement présentés positivement, à plus forte raison si l’époux est de Turquie, ou s’il est «d’Occident» et «brillant». Une série télévisée récente appelée «Le fiancé étranger» parlait d’une jeune femme turque issue d’un milieu traditionnel et d’un jeune homme grec. La production est devenue très populaire en Turquie et en Grèce L’enquête en perspective Le sondage Anna Lindh/Gallup est représentatif des caractéristiques démographiques en Turquie et ses résultats sont conformes aux attitudes présentées ci-dessus vis-à-vis des médias et de la diversité culturelle. Il révèle qu’il existe une grande marge d’action pour améliorer le rôle des médias dans la promotion du multiculturalisme, étant donnée la volonté politique actuelle dans ce sens. Seules trois personnes sur dix ont déclaré qu’elles avaient récemment lu ou entendu quelque chose dans les médias qui avait changé d’une manière positive leur point de vue sur les Européens. Bien que la différence soit marginale, un pourcentage plus élevé de lecteurs instruits a répondu par l’affirmative à cette question. On peut ainsi supposer que les individus instruits ont tendance à suivre les avis des médias respectés qui, à leur tour, ont tendance à fournir des comptes rendus objectifs et équilibrés des événements et à éviter les troubles. Lorsqu’on les interroge sur la source de cette information positive, la majorité des sondés, soit environ trois personnes sur quatre, citent «les nouvelles/les informations télévisées», tandis que d’autres se réfèrent à la presse écrite. Depuis la déréglementation des médias électroniques dans les années 1990, la télévision a gagné en importance en tant que source principale d’informations alors que la presse a vu sa diffusion et sea part de revenus publicitaires diminuer. La télévision par câble et par satellite, qui propose les grandes chaînes européennes, s’adresse Le Rapport Anna Lindh 2010 129 ERHAN ÜSTÜNDAĞ ET TOLGA KORKUT MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS Des changements positifs dans les médias traditionnels Le site Web bianet.org de nouvelles turques a été mis en place par la Fondation IPS Communication et fait partie du projet BIA, Le Réseau de communication indépendant, qui regroupe plus de 130 journaux, stations de radio et de télévision locaux, est un très bon exemple d’un projet qui s’intéresse en particulier à la diversité culturelle en Turquie. Depuis son lancement officiel en janvier 2001, elle a publié des articles sur les minorités, les réfugiés, les immigrants, leurs droits et la défense du journalisme sur les droits de l’Homme et pour la paix, thèmes qui sont généralement négligés par les grands médias turcs. Ainsi, elle est le reflet de la Turquie, un pays d’identités culturelles, ethniques et religieuses diverses. Comme les femmes sont un groupe particulièrement vulnérable parmi les personnes d’origine étrangère, le site contient également un site spécifique, «La Fenêtre des Femmes», qui met l’accent sur les droits des femmes et les questions concernant les femmes. La Fondation de IPS Communication soutient également des publications pour les journalistes et organise des formations pour les journalistes et les étudiants en journalisme pour renforcer le pluralisme et la participation dans les affaires publiques. Bonnes pratiques et domaines d’action Le site Internet de nouvelles bianet.org (Réseau d’Information Indépendant) et son principal partenaire, la Fondation IPS Communication, mettent particulièrement l’accent sur la diversité culturelle. Le site bianet.org couvre souvent des sujets sur les minorités, les réfugiés, les immigrés, leurs droits et sur le traitement journalistique des droits de l’Homme et de la paix. La Fondation publie des livres pour les journalistes et organise des formations pour les professionnels en activité et les étudiants en journalisme. Il existe un certain nombre de bonnes pratiques dans les médias non musulmans, notamment Agos, l’hebdomadaire papier en arménien et en turc; les journaux de la communauté arménienne Jamanak et Marmara; Salom, l’hebdomadaire de la communauté juive, et Apo Yevmatini, journal hebdomadaire de la communauté grecque orthodoxe. Bien que leur diffusion soit relativement faible, la plupart des médias les suivent régulièrement et les citent parfois. Acik Radyo (Radio Ouverte) est une radio locale, dirigée par un collectif, qui traite des questions des minorités et de la diversité culturelle. Nor Radyo est quant à elle une radio en ligne faite par des jeunes de différentes origines ethniques et religieuses qui défendent la devise du «vivre ensemble» et tentent de montrer que la diversité culturelle est une richesse. De nombreuses radios et télévisions locales persistent à diffuser des émissions en kurde, principalement dans les provinces de l’Est et du Sud-Est de la Turquie, malgré les sévères restrictions imposées par la loi. Bien que peu prisées par les Kurdes de Turquie, les émissions kurdes et multilingues de la TRT ont été des avancées, particulièrement pour les femmes kurdes ne parlant pas turc. Un programme hebdomadaire intitulé «Résidents étrangers» est consacré aux immigrés vivant en Turquie et essaie de témoigner de leur participation à la vie culturelle à travers des histoires de Le Rapport Anna Lindh 2010 131 parcours individuels. A partir de ces exemples, les domaines d’action possibles concernent la formation, les programmes d’échanges, les directives, les changements législatifs et la création de réseaux d’échanges d’informations. Concernant les formations et les ateliers, pour les professionnels en exercice et les étudiants en journalisme, ils devraient inclure des définitions essentielles et des approches telles que l’éducation aux médias, la discrimination, la diversité culturelle, les réfugiés, les droits de l’Homme, le journalisme basé sur les droits et le journalisme fondé sur la paix. Les ateliers devraient inclure l’utilisation de la langue, les techniques de reportage, la couverture des conflits et la promotion de la diversité. L’autre aspect à prendre en compte est la dimension socio-économique, et les formations et ateliers devraient porter sur la discrimination et la diversité culturelle avec ses résultats visibles, tels que la pauvreté, le harcèlement psychologique ou l’exclusion en fonction du sexe ou de l’âge. En terme de changements législatifs, la Turquie a un besoin urgent d’une loi anti-discrimination qui concerne aussi les médias, et les journalistes devraient participer activement à son processus de préparation. Les programmes d’échanges et les ateliers pour les journalistes et les étudiants en journalisme devraient fournir des opportunités pour une meilleure compréhension des autres sociétés, de leurs différences, et de leurs similitudes. Ces programmes pourraient inclure des reportages faits depuis des pays étrangers, voire, pour plus d’efficacité, depuis des pays avec lesquels le propre pays des journalistes est en conflit. Des journalistes de différents pays pourraient partager leurs problèmes et leurs méthodes dans les ateliers et trouver ensemble des moyens de promotion de la diversité. Quant au partage et à la mise en œuvre de lignes directrices, plusieurs associations de journalistes de différents pays ont leurs propres directives sur la diversité et le reportage. Elles pourraient être traduites et diffusées. MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS 130 MÉDIAS – ÉTUDES PAR PAYS aux franges de la population les plus aisées et les plus instruites, tandis que les chaînes nationales populaires ont recours à des discours nationalistes et à des divertissements. Les documentaires, les livres, les blogs ou les films sont à peine mentionnés dans le sondage. Il apparaît nettement que les chômeurs, les personnes vivant dans les zones rurales et celles sans instruction mentionnent davantage la télévision comme une source que les autres groupes sociaux. Les étudiants, les personnes ayant un degré plus élevé d’éducation et les jeunes citent plus que les autres Internet. On observe aussi que les personnes dont un ou les deux parents sont nés hors de Turquie ont tendance à considérer davantage Internet comme une source de contribution positive sur les Européens. Bien qu’elle soit encore relativement faible, la croissance exponentielle de l’Internet en Turquie constitue une opportunité concrète pour la diffusion de discours alternatifs, tout en restant une menace, un vecteur potentiel de discours de haine, de xénophobie et d’intégrisme. Une comparaison avec la moyenne des autres pays euro-méditerranéens où le sondage a été réalisé révèle que le degré de couverture positive de l’Europe dans les médias est identique en Turquie et dans les autres pays. Par conséquent, on peut affirmer que l’idée de «l’Europe» est plutôt couverte d’une manière négative que positive dans les médias. Pourtant, les sources d’information positives du public euro-méditerranéen sont différentes de celles du public turc, qui cite moins souvent que les autres les documentaires et les films. La relative faiblesse de l’’industrie cinématographique explique sans doute cette situation. D’autre part, les associations internationales comme la Fédération Internationale des Journalistes (FIJ) ont conçu des directives et des documents destinés à la formation. Le renforcement de la coopération internationale dans ce domaine pourrait contribuer à la constitution d’une précieuse base de données multilingue aux journalistes qui s’intéressent à ce sujet. Le développement des réseaux régionaux et des programmes d’échanges d’informations est également recommandé. Au sein d’une même région, de nombreux journalistes ne sont pas en contact avec leurs collègues des autres pays – ou ne savent même pas qu’ils existent. La plupart de leurs sources sur d’autres pays proviennent des agences de presse internationales. Des réseaux régionaux durables de journalistes sensibles à la diversité pourraient permettre l’échange d’informations sûres sur les différents pays et sociétés. Une telle pratique devrait inclure une base de données de contacts accessible et l’archivage des articles et des reportages d’actualité stockés en ligne pour une plus grande efficacité. ERHAN ÜSTÜNDAĞ travaille comme journaliste et rédacteur en chef pour le Réseau Indépendant de Communication (BIA) depuis 2004. TOLGA KORKUT travaille comme rédactrice spécialisée dans les droits de l’Homme pour bianet.org. Le Rapport Anna Lindh 2010 CONCLUSIONS ET PROPOSITIONS D’ACTION CONCLUSIONS ET PROPOSITIONS D’ACTION 134 Remarques conclusives tirées du Rapport Anna Lindh Il est important de souligner au début de ces conclusions que le Rapport Anna Lindh a constitué un exercice participatif interculturel qui a effectivement réuni des experts de premier plan, des leaders d’opinion, des professionnels de la société civile et des représentants politiques. Du Conseil des gouverneurs de la Fondation Anna Lindh, composé de hauts fonctionnaires des 43 pays de l’Union pour la Méditerranée au Conseil consultatif de la Fondation et aux Réseaux nationaux de la société civile, l’exercice a impliqué les principaux intervenants tout au long du processus, en plus du travail de supervision du «comité scientifique» dont le rôle dans la préparation et l’analyse sur l’Enquête a été crucial. À cet égard, le Rapport de la Fondation Anna Lindh s’est appuyé sur une méthodologie triple qui combine l’approche quantitative (le sondage Anna Lindh/Gallup), l’approche qualitative (l’analyse des experts) et l’expérience de terrain (les bonnes pratiques des réseaux). Outre le fait d’avoir innové en réalisant, avec Gallup, le premier sondage d’opinion réunissant 13 000 personnes de treize pays euro-méditerranéens, l’élaboration du Rapport a mobilisé quarante experts de renom et leaders d’opinion, et a identifié les bonnes pratiques à travers les Réseaux Anna Lindh, une approche qui constitue une base pour la formulation de conclusions significative.. Grâce à l’analyse des valeurs, des perceptions et des comportements, le Rapport est en mesure d’établir les relations nécessaires entre les connaissances et les stéréotypes ou les attitudes et les valeurs, et nous fournit un aperçu des tendances en cours, des obstacles, des contradictions et des atouts communs, tous de grand intérêt et d’importance pour la définition de stratégies appropriées sur le dialogue interculturel. L’originalité de l’exercice provient principalement de son orientation et de son envergure, puisqu’il prend ses racines dans la constitution et l’expérience de la Fondation Anna Lindh en tant que principale institution pour le dialogue interculturel qui rassemble plus de 3000 organisations de la société civile travaillant dans et entre les sociétés des 43 pays de l’EuroMéditerranée. À cet égard, le Rapport va au-delà des traditionnelles divisions Nord-Sud ou Occident-Islam, révélant l’existence d’une région avec des valeurs méditerranéennes partagées et démontrant qu’il est possible d’établir des comparaisons intéressantes et des connexions à travers ses pays grâce à l’interaction entre les diverses similitudes et différences qui caractérisent cet espace. Un sentiment d’appartenance à la région euroméditerranéenne Une des principales conclusions du Rapport Anna Lindh est que les personnes qui vivent aux quatre coins de la région euro-méditerranéenne partagent un encourageant sentiment d’appartenance. Il y a une perspective partagée sur les images communes que les individus associent à la Méditerranée, telles Le Rapport Anna Lindh 2010 qu’un mode de vie particulier, un sens profond de l’hospitalité et un vaste patrimoine culturel commun, alors que, dans le même temps, certaines valeurs comme la solidarité familiale et le respect des autres cultures peuvent être identifiées comme des «valeurs relais» à travers les sociétés de la région. Dans le même temps, la région est également associée à un certain nombre de défis importants auxquels fait face la communauté internationale au sens large, allant des conflits et des préoccupations environnementales aux mouvements de résistance au changement et d’opposition au dialogue. Ce que les conclusions du rapport confirment, outre la prise de conscience des interrelations humaines et sociales croissantes, c’est l’existence d’une «attitude méditerranéenne», un état d’esprit commun qui pourrait permettre aux habitants de la région euroméditerranéenne de se sentir membres d’un espace commun avec des valeurs spécifiques différentes de celles existant dans d’autres groupements régionaux, un tel état d’esprit constituant un atout majeur pour la stratégie de la Fondation Anna Lindh. En effet, l’existence d’un «sentiment d’être chez soi», renforcée par des valeurs communes partagées par les habitants de la région et en particulier par sa jeunesse, est un facteur décisif lorqu’on souhaite créer une interaction positive entre individus, au sein de contextes culturels différents, et il constitue un préalable indispensable à la construction d’un projet collectif autour de la Méditerranée. C’est aussi une perspective qui doit toutefois être envisagée à l’aune de la complexité réelle de la région, en tenant compte des défis sociaux, économiques et politiques existants et des conflits qui continuent d’influer sur les perceptions mutuelles, qui servent de terreau aux stéréotypes traditionnels, provoquent des oppositions idéologiques et suscitent des peurs sociales et culturelles. La qualité des relations humaines fait que le dialogue a lieu Malgré les continuelles restrictions sur la mobilité transfrontalière et la libre circulation, et les freins à la circulation des idées et des informations, le Rapport de la Fondation Anna Lindh révèle que la région euro-méditerranéenne existe comme un espace d’interaction sociale. Selon l’Enquête du Rapport, environ un répondant sur trois a eu l’occasion l’année dernière de rencontrer des gens d’autres pays de la région, que ce soit à travers le tourisme, les affaires et Internet, ou, bien sûr, grâce aux communautés de migrants vivant dans le voisinage d’Européens, un résultat qui montre que la Méditerranée existe comme un espace réel de l’interaction humaine et virtuelle. Le Rapport confirme également que rencontrer d’autres personnes est la meilleure source pour une connaissance non biaisée, malgré la distance géographique, et c’est la raison pour Les idées fausses persistent malgré l’intérêt mutuel Les conclusions du Rapport Anna Lindh confirment qu’il existe au sein de la majorité des personnes interrogées un niveau positif d’intérêt commun en termes de situation et de pratiques économiques, culturelles et religieuses. Néanmoins, en dépit du fait que les gens de différents pays de la région ont l’occasion de se rencontrer, d’accéder à un éventail d’informations sur les uns et les autres et de montrer un vif intérêt mutuel, des malentendus et un manque de connaissances profondes ont été révélés par les résultats, en particulier en termes de perception de l’échelle des valeurs de chacun. Ce qui est évident, c’est que les habitants de la rive Sud et Est de la Méditerranée ont tendance à surestimer l’importance que les Européens accordent aux valeurs individualistes, alors que les Européens ont tendance à sous-estimer le poids des «croyances religieuses» et de la «curiosité» pour les populations du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Quant aux groupes sociaux spécifiques qui peuvent avoir une incidence sur les tendances relatives aux valeurs, les femmes et les jeunes méritent une attention particulière. Les femmes déclarent une forte curiosité envers «l’autre» et ont un rôle important dans l’élaboration et la transmission des valeurs sociales majeures, alors que le potentiel des jeunes à agir en tant que forces motrices de la société dans son ensemble se révèle grâce à la combinaison de leur niveau d’exposition à différentes communautés de la région et de leur intérêt à en savoir plus sur elles. Modifier les perceptions mutuelles et accroître la sensibilité du public à la valeur de la diversité culturelle apparaît comme un processus à long terme qui implique un changement des perspectives qui ont été construites au cours des siècles et par le biais d’une multitude de sources, et c’est précisément pour cette raison que le plein potentiel d’action de la société civile et des institutions devrait constituer la base d’une action commune à plus grande échelle. Des médias, des établissements scolaires, et des chefs religieux aux décideurs, aux institutions euro-méditerranéennes et aux organisations de la société civile, tous ces acteurs doivent être soutenus et encouragés à jouer un rôle important dans le dialogue durable. La religion comme un élément important pour le débat interculturel Dans la région euro-méditerranéenne, la religion est un facteur incontournable dans les relations et les perceptions entre personnes des différents pays, et l’un des défis majeurs est de comprendre des différentes approches des valeurs et des pratiques religieuses. L’enquête de la Fondation Anna Lindh/Gallup montre l’importance de la religion dans l’échelle des valeurs de la plupart des pays méditerranéens du Sud et, en comparaison, un goût moins prononcé et une place moins centrale pour la religion chez les Européens dont les sociétés sont dans l’ensemble plus laïques, même si la religion a une place dans la sphère publique de nombreux pays européens. Il est important de replacer cette conclusion dans son contexte historique et culturel pour analyser les valeurs et les comportements. De même, il est fondamental de comprendre et d’expliquer les tendances religieuses dans la région pour traiter des mauvais usages faits de l’élément religieux par des mouvements extrémistes et pour apaiser les craintes des citoyens provoquées par les opinions exprimées par certains leaders d’opinion alarmistes et certains responsables politiques locaux et religieux. À cet égard, les données empiriques recueillies pour le présent Rapport peuvent être utilisées comme éléments de preuve pour démontrer que l’appartenance religieuse n’a pas d’incidence sur l’intérêt des personnes ou sur l’ouverture vers les «autres». En général la laïcité, comme un processus social, a caractérisé la perception de la modernité européenne, alors qu’un composant religieux accompagne également les transformations et les changements qui se produisent au sein des sociétés du Sud de la Méditerranée et les circonstances actuelles démontrent la nécessité de parler d’une variété de processus et de prendre en considération l’importance de la religion dans le débat interculturel. Les villes comme principaux espaces d’interaction et d’expérience humaine interculturelle Les interactions interculturelles dans la région euro-méditerranéenne ont historiquement eu lieu principalement au niveau local, et les villes ont toujours été des espaces de rencontre pour les personnes de divers milieux culturels, en particulier sur les rives de la Méditerranée, un processus accéléré par la mondialisation et l’augmentation des mouvements de population dans la région. Le Rapport Anna Lindh montre que les citadins sont les plus exposés à l’échange interculturel, conséquence des flux migratoires ainsi que la croissance des villes et de la diversité de leur population, les habitants des villes déclarant un intérêt relativement plus élevé pour la vie socio-économique et Le Rapport Anna Lindh 2010 135 La méditerranée comme un espace significatif laquelle la Fondation Anna Lindh plaide ardemment en faveur du rapprochement des personnes de pays et d’horizons culturels différents et soutient le développement de communautés virtuelles pour le dialogue. Dans le même temps, la Fondation est plus que consciente que de tels échanges doivent être complétés par des mesures qui assurent de meilleures conditions pour une connaissance approfondie et impartiale de «l’autre», certains résultats de l’enquête fournissant des preuves scientifiques que l’interaction ne génère pas automatiquement d’intérêt mutuel et des visions non stéréotypées des «autres». C’est le cas pour les jeunes, en particulier parmi les populations masculines, qui expriment un plus faible niveau de curiosité à l’égard de la situation économique, sociale et culturelle des autres sociétés, bien qu’ils soient les plus exposés à une interaction réelle et virtuelle, sans doute en raison de la mauvaise qualité de cette interaction en termes de connaissance réelle et dépourvue de préjugés. L’attitude envers la rencontre, ainsi que les modalités et les conditions sociales et économiques dans lesquelles elle a lieu, semblent également avoir un impact sur les perceptions mutuelles, un exemple étant la conclusion que l’intérêt des femmes «avant la rencontre» leur fait trouver plus de similitudes que de différences avec les autres lors de l’échange, avec le même genre de capacité à identifier les similitudes que celle identifiée parmi les jeunes impliqués dans la communication intense en ligne. C’est la raison pour laquelle un défi majeur pour la Fondation est de trouver le moyen de s’assurer que les nouveaux outils de communication, qui, comme l’enquête et les analyses du Rapport l’ont mis en évidence, jouent un rôle croissant dans l’interaction sociale à travers la Méditerranée, peuvent être utilisés au maximum de leur potentiel en tant que plates-formes de dialogue, plutôt que comme instruments servant à renforcer le racisme et la diffusion de l’intolérance. CONCLUSIONS ET PROPOSITIONS D’ACTION CONCLUSIONS attiré l’attention sur le potentiel des formats de divertissement comme les téléfilms ou les longs métrages à renforcer la compréhension interculturelle, principalement en raison de leur portée intime dans des questions d’origines et des histoires personnelles. En effet, les résultats du rapport confirment que le contexte urbain apparaît de plus en plus comme un laboratoire pour la fécondation interculturelle où il est possible d’observer, au niveau individuel, le potentiel et les défis liés à la transformation en cours dans la plupart des villes. Une politique urbaine intégrée pour la promotion d’une culture de pluralisme, de respect et d’échange ne sera efficace que si les principales parties prenantes, des municipalités aux établissements d’enseignement en passant par les organisations non gouvernementales, coordonnent leurs actions, une perspective de la plus haute importance pour le travail de la Fondation Anna Lindh. Attentes envers le projet euro-méditerranéen Les médias face au défi de la complexité culturelle Les médias ont été choisis comme le thème principal de ce premier Rapport Anna Lindh eu égard au grand intérêt qu’ils représentent pour la promotion du dialogue interculturel et la diversité culturelle dans la région euro-méditerranéenne. Les données qualitatives et quantitatives du Rapport apportent la preuve du potentiel des médias comme un instrument central du dialogue : d’une part, les médias peuvent être une grande source de connaissances, un vecteur de valeurs interculturelles et un promoteur de la richesse de la diversité culturelle de la région, tandis que, d’autre part, ils peuvent véhiculer très efficacement des images stéréotypées de la « des autres méditerranéens» et servir d’outil pour des discours politiques et idéologiques xénophobes ou extrémistes. Dans le même temps, le Rapport met également en évidence les contraintes et les défis auxquels les journalistes d’aujourd’hui doivent faire face quand ils font des reportages sur les différentes cultures et sur les questions d’intérêt majeur pour les habitants de la région. L’objectif prioritaire étant d’inverser les images stéréotypées de certains groupes culturels présentés par les médias, l’analyse qualitative souligne l’importance de créer une multitude d’images et de pratiques qui donnent un aperçu et une exposition de la complexité de nos sociétés, plutôt que de critiquer directement des catégorisations larges. Dans le sondage d’opinion publique, il apparaît que près des quatre cinquièmes des personnes interrogées dans huit pays européens et deux tiers des personnes interrogées dans cinq pays partenaires du Sud méditerranéen ont été incapables de se rappeler quoi que ce soit venant récemment des médias ayant amélioré leur point de vue sur les personnes de «l’autre» groupe. En fait, malgré la prédominance de nouvelles à la télévision comme principale source d’information positive sur les gens d’autres pays de la région – ce qui a émergé de l’enquête –, un certain nombre d’études ces dernières années ont Le Rapport Anna Lindh 2010 À cet égard, de nouveaux formats de médias pourraient être des outils appropriés pour la promotion des valeurs interculturelles parmi de larges pans de la population de l’espace euro-méditerranéen. L’existence d’un pluralisme des médias et l’accessibilité des nouvelles technologies apparaît comme une condition sine qua non pour améliorer le rôle des médias traditionnels et émergents en faveur de la connaissance et du dialogue. De l’étude Anna Lindh, il ressort que les médias en ligne sont un outil primordial, surtout pour les jeunes dans les pays méditerranéens du Sud et de l’Est, pour rencontrer des Européens et pour avoir accès à l’information. 137 Le Rapport Anna Lindh a révélé que la «Méditerranée», en tant que catégorie socioculturelle, existe pour la majorité des habitants de la région. Ceci est d’une importance indéniable lorsqu’on se réfère au Partenariat euro-méditerranéen, le cadre politique de coopération qui, jusqu’en 1995, rassemblait les pays européens et les pays partenaires méditerranéens du Sud et l’Est, avant d’être renouvelé avec le lancement de l’Union pour la Méditerranée en 2008. CONCLUSIONS ET PROPOSITIONS D’ACTION 136 CONCLUSIONS ET PROPOSITIONS D’ACTION culturelle des populations d’autres pays tout en révélant un niveau plus élevé d’interaction. Les flux migratoires ont également un impact sur les communautés d’origine des migrants. C’est un facteur qui revêt une importance dans la conclusion du Rapport puisque près de la moitié des répondants des pays de la rive Sud et Est de la Méditerranée ont déclaré avoir des amis ou des membres de leur famille qui vivent en Europe, transmettant à leurs proches, dans les pays d’origine, des informations, opinions et perceptions sur des personnes de cultures différentes. En conséquence, le rôle des migrants comme agents de dialogue et de sensibilisation culturelle entre les communautés autour de la Méditerranée devrait être reconnu et soutenu, en particulier dans le contexte urbain, et considéré comme un élément majeur de la dimension humaine de l’Union pour la Méditerranée, la Fondation jouant un rôle de facilitateur. En effet, l’une des conclusions les plus enthousiasmantes de l’enquête, qui rassemble les voix de plus de 13 000 personnes, montre que les habitants de la région s’attendent à ce que l’Union pour la Méditerranée apporte à leur société des retombées positives pour l’avenir. L’innovation et l’esprit d’entreprise sont les principaux avantages mentionnés par les personnes vivant sur les rives Sud et Est de la Méditerranée, et le respect des autres cultures, la solidarité sociale et le dynamisme de la jeunesse, sont les plus appréciés par les Européens. Ces résultats, dont le contexte et la pleine signification doivent être analysés en profondeur, sont dans l’ensemble d’une grande importance pour la mise en place des valeurs qui seront à la base d’un projet commun autour de la Méditerranée. Le Rapport Anna Lindh 2010 Propositions en faveur du dialogue interculturel dans la région euro-méditerranéenne CONCLUSIONS ET PROPOSITIONS D’ACTION 138 Le Rapport 2010 Anna Lindh, en termes de contenu et de conclusions, représente un outil majeur pour l’action mis dans les mains des institutions, de la société civile, des gouvernements, des médias et des individus engagés dans l’amélioration les relations interculturelles. S’appuyant sur les réflexions et les analyses du rapport, les orientations et propositions suivantes ont été réunies en vue de mettre en œuvre des actions par l’intermédiaire du programme de la Fondation Anna Lindh et d’influencer les politiques interculturelles des 43 pays de l’Union pour la Méditerranée. 1. Développer des outils pour une meilleure qualité d’interaction Veiller à la qualité, plus qu’à la quantité et au nombre d’échanges interculturels est l’un des besoins primordiaux qui résulte de l’analyse du Rapport. Afin de promouvoir une attitude d’ouverture envers les «autres», ainsi que pour permettre aux gens d’interagir dans des contextes culturels différents et avec des personnes de différents pays, la Fondation Anna Lindh a besoin d’investir dans des outils novateurs pour améliorer les compétences interculturelles des personnes. En développant des activités spécifiques visant à améliorer la qualité de l’interaction, il devrait y avoir un regain d’attention aux manuels existants, aux équipements et aux programmes, ainsi qu’une attention particulière auxmoyens d’optimiser le potentiel des communautés virtuelles comme plates-formes pour la promotion du dialogue qui est mis en évidence par les résultats du sondage d’opinion. L’importance de ces compétences interculturelles doit être transmise à la grande majorité des habitants de la région, dont les voix ont été entendues dans cet exercice et l’organisation d’un événement annuel de dialogue interculturel à travers les principaux pays euroméditerranéens pourrait contribuer à accroître la sensibilisation du public et l’engagement autour de cette question. Les Réseaux de la société civile Anna Lindh et les principaux partenaires de la Fondation doivent participer activement à l’élaboration de ces outils et activités pour s’assurer qu’ils sont adaptés aux différents contextes nationaux et qu’ils s’accordent avec les besoins des institutions et de la société civile. 2. Transmettre des images clés et de valeurs associées à la region Comme souligné dans l’analyse qualitative du rapport, la transmission d’images positives que les gens associent avec la Méditerranée peut constituer une base pour l’amélioration des perceptions mutuelles et la promotion d’un sentiment de copropriété émotionnelle envers le projet euro-méditerranéen commun. Afin d’atteindre cet objectif, l’engagement au niveau Le Rapport Anna Lindh 2010 des institutions et de la société civile est essentiel. Les déclarations politiques de l’Union pour la Méditerranée doivent toujours souligner la dimension humaine et sociale du projet, et nous recommandons l’adoption d’une devise pour l’Union conçue autour des valeurs clés partagées et des images associées à la région méditerranéenne. À cet égard, l’introduction de questions telles que le respect de la diversité culturelle, l’entrepreneuriat et l’innovation, la solidarité et l’encouragement du dynamisme des jeunes, mentionnées comme les principales attentes sociales des personnes dans le sondage d’opinion, pourraient être définies et défendues comme des jalons pour la création d’une union partagée pour les populations en faveur desquelles elle a été conçue. 3. Investir dans l’éducation pour l’apprentissage interculturel Conformément aux conclusions du Rapport concernant les intérêts interculturels et la sensibilisation des jeunes, l’éducation représente un instrument privilégié pour l’apprentissage interculturel. La Fondation Anna Lindh, en conséquence, soutiendra la conception d’approches interculturelles novatrices dans les programmes scolaires et par le biais de programmes éducatifs non formels, dans le but de développer et de stimuler la pensée critique, l’empathie et la curiosité, et en prenant pleinement en considération les résultats de la question sur la valeur de la famille posée dans le rapport, qui démontrent l’importance de la participation active des parents dans ce processus. Des mesures spécifiques sont également proposées pour promouvoir la compréhension et la sensibilisation des enfants à la «carte des valeurs euro-méditerranéennes» contemporaine et à l ‘importance des religions dans la région comme l’a révélé l’étude de la Fondation Anna Lindh. À cet égard, des méthodes innovantes peuvent être développées grâce à l’intégration d’une composante artistique et médiatique dans les programmes scolaires, ainsi qu’en renforçant et promouvant les liens entre les membres du Réseau Anna Lindh et les écoles de leur région dans le but de faciliter les activités spécifiques pour les enfants de l’école, leurs familles et la communauté locale. 4. Soutenir la dimension interculturelle dans l’espace urbain En raison du fait que les résultats du Rapport établissent que les possibilités de rencontre ainsi que l’intérêt et la sensibilisation ont relativement augmenté au sein des populations urbaines, l’importance de soutenir les échanges interculturels et les approches transnationales est considérée comme essentielle pour le développement de l’ouverture culturelle en milieu urbain. La Fondation Anna Lindh et ses réseaux vont établir une priorité 5. Faire des individus avec des origines étrangères des agents pour le dialogue Si l’on considère le nombre de personnes qui ont confirmé avoir des liens dans d’autres pays de la région, et l’attitude ouverte des personnes issues de l’immigration qui transparaît dans les réponses au sondage d’opinion, le Rapport confirme que la «dimension humaine» doit être au cœur des relations euro-méditerranéennes. Au-delà des problèmes perçus sur la question des migrations, et en tenant compte de ce rôle potentiel dans les relations humaines, l’action de la Fondation Anna Lindh nécessitera le développement d’une démarche au niveau local qui accorde une valeur significative au rôle positif des personnes issues de l’immigration. Les Réseaux nationaux de la Fondation investiront donc dans des initiatives et des mesures axées sur le fait de donner aux personnes ayant une origine étrangère la possibilité d’agir comme des agents efficaces de dialogue, ce qui devrait viser à renforcer la connaissance des communautés de migrants sur leurs pays d’origine et leur capacité à partager des informations avec le reste de la société, ainsi qu’à défier les stéréotypes et à stimuler l’intérêt et l’ouverture dans les sociétés d’origine et d’accueil. 6. Sensibiliser la communauté artistique En ligne avec l’objectif global du Rapport Anna Lindh vu comme un exercice scientifique visant à avoir un impact sur les diverses populations de la région, la Fondation soutient la créativité culturelle comme un instrument central pour exprimer des émotions et interpréter la complexité de la réalité humaine dans la région. À cet égard, la culture doit être utilisée comme un outil immédiat pour susciter l’intérêt d’un grand nombre de personnes pour d’autres communautés de la région et offrir des exemples concrets de dialogue à travers des expressions artistiques. Il est fondamental de sensibiliser la communauté artistique euroméditerranéenne sur les tendances actuelles des valeurs euroméditerranéennes et de soutenir les initiatives qui reflètent cette société contemporaine interconnectée. Le rôle de la communauté artistique dans le renforcement et l’élargissement du sentiment d’appartenance à une région commune est indispensable. Les possibilités et les obstacles pour le dialogue culturel soulevés par le Rapport peuvent faciliter la création d’espaces de rencontre et de réflexion critique partagée par des artistes de la région euroméditerranéenne, l’un des objectifs de la Fondation Anna Lindh. 7. Encourager la recherche sur la dimension culturelle euro-méditerranéenne Pour tirer parti du contenu et de la production du Rapport Anna Lindh, il est nécessaire d’encourager la coopération universitaire et la recherche autour des principales tendances interculturelles dans la région euro-méditerranéenne identifiées par le Rapport. En utilisant les résultats du Rapport comme base, les études universitaires et la recherche sur la dimension socioculturelle euroméditerranéenne doivent également être encouragées, elles seront un moyen de présenter le potentiel des similitudes et des différences de ses sociétés, et d’interroger plus avant le sens et l’impact de ces tendances sur l’avenir de la société méditerranéenne, en tenant compte des contextes particuliers nationaux. Dans le cadre de ce processus, le contenu de ce Rapport, ainsi que des recherches plus poussées dans le domaine des sciences sociales appliquées telles que la pédagogie, la gestion de la diversité ou la médiation culturelle, peuvent avoir un impact direct sur les institutions, les organisations de la société civile et les populations concernées si elles utilisent quelques-uns des principaux résultats dans des contextes sociaux caractérisés par l’interaction entre les personnes issues de diverses origines de la région. 8. Promouvoir la dimension culturelle des échanges économiques et du tourisme Le rapport souligne le rôle central de la dimension culturelle dans tout genre d’échange euro-méditerranéen afin d’assurer la compréhension de «l’autre» et la durabilité de la relation, et la Fondation Anna Lindh vise donc à promouvoir la dimension culturelle et humaine de la mobilité, que ce soit par le biais des réseaux, des échanges de jeunes, des relations économiques ou touristiques. Cette action sur la mobilité doit être basée sur la communication, l’apprentissage mutuel et l’interaction directe, les diverses initiatives développée tenant compte de l’utilisation des arts, de la création de fonds de mobilité, du soutien aux échanges d’étudiants, et de la dimension culturelle et sociale du tourisme. Une attention particulière devrait être portée à la communauté économique et institutionnelle dans la région avec le développement d’une dimension culturelle dans les échanges commerciaux et le renforcement d’une diplomatie culturelle dans le contexte euro-méditerranéen, en particulier à la lumière de la création de missions diplomatiques unifiées représentant tous les pays de l’Union européenne. En collaboration avec les institutions régionales et internationales appropriées, la Fondation Anna Lindh doit promouvoir des initiatives visant à assurer la qualité des échanges dans le domaine du tourisme, qui apparaît dans l’enquête comme un facteur essentiel de l’interaction humaine dans la région. 9. Renforcer le rôle des jeunes et des femmes en tant qu’acteurs principaux de l’Union pour la Méditerranée Comme le montre l’analyse quantitative et qualitative dans le Rapport, les jeunes sont les forces motrices pour la promotion du dialogue interculturel dans la région et la poursuite du travail fait par la Fondation Anna Lindh pour renforcer leurs capacités de leaders interculturels et de promoteurs actifs de valeurs communes est essentielle. La promotion de rencontres transnationales de jeunes et le soutien aux initiatives locales avec une dimension interculturelle Le Rapport Anna Lindh 2010 139 Onze domaines d’action dans leur programme en vue de faciliter les échanges entre les organismes locaux et régionaux des différents pays de la région, priorité axée sur le développement de lignes directrices pour une culture de pluralisme, de respect et d’échange entre les individus et les communautés présentes dans la ville. Le jumelage entre les différentes villes de l’espace euro-méditerranéen peut en particulier soutenir l’échange d’expériences, et de telles politiques urbaines doivent être construites autour d’un niveau global de coopération avec les acteurs de la société civile. Dans le même temps, un effort doit être fait pour cibler les populations rurales, une approche qui est justifiée par le niveau limité des connaissances et des interactions enregistré par le sondage d’opinion, et afin d’offrir et de garantir l’accès aux possibilités interculturelles à des personnes habituellement peu exposées aux rencontres interculturelles. CONCLUSIONS ET PROPOSITIONS D’ACTION PROPOSITIONS menées par des jeunes doit être poursuivie, tout en développant l’utilisation de plates-formes virtuelles et des médias en ligne dans le lancement et la coordination des campagnes de dialogue à l’échelle régionale, à la lumière de la large utilisation que les jeunes déclarent en faire tout au long du Rapport. Au niveau institutionnel, les échanges de jeunes doivent être facilités pour atteindre des chiffres pertinents et être durables, en élargissant les programmes Erasmus dans la région euro-méditerranéenne. Comme le souligne le Rapport, les élèves montrent le plus haut niveau d’intérêt et d’ouverture, par conséquent une telle initiative aura un impact réel sur la connaissance mutuelle et les perceptions. Le rôle important et la contribution des femmes, inscrits dans les résultats du sondage, dans l’élaboration et la transmission des valeurs au sein de leur communauté immédiate devraient être soulignés et soutenus par des programmes axés sur le renforcement de leur capacité à partager leur potentiel en faveur du dialogue interculturel et de la diffusion de valeurs communes à travers les sociétés euroméditerranéennes. outil utile pour atteindre un large public et démontrer la diversité et la richesse des sociétés de l’Euro-Méditerranée en fournissant des exemples de coexistence interculturelle. Dans le même temps, il est important d’investir dans une gestion plus efficace des médias avec la nomination de médiateurs, en investissant dans des bourses d’études pour les jeunes journalistes et en recrutant le personnel de rédaction parmi les différents segments de la société. Le Rapport Anna Lindh sur les tendances interculturelles, confirme la nécessité de faciliter la création d’espaces stables de rencontres pour les journalistes de la région, qui traitent des questions interculturelles et des reportages dans des situations de crise, afin d’éviter la «culturalisation» de l’approche médiatique. Leur fournir des informations régulières et des connaissances sur les questions interculturelles euro-méditerranéennes est la meilleure façon d’éviter la polarisation dans les récits des médias et de promouvoir une meilleure capacité à affronter la complexité de la plupart des questions et à se fonder sur une variété de perspectives. 141 Une des principales conclusions du Rapport Anna Lindh est la place centrale historique et contemporaine de la religion dans la région euro-méditerranéenne et les diverses perceptions des valeurs religieuses rencontrées dans les différentes sociétés. Pour trouver un terrain d’entente, un effort doit donc être fait pour faciliter un dialogue ouvert et la compréhension des valeurs humaines fondamentales et des aspirations des gens, en prenant en compte leurs points de vue différents sur les pratiques et les croyances religieuses. Etant donné la diversité des approches exprimées, l’un des axes de travail prioritaire de la Fondation Anna Lindh doit être la promotion d’espaces de rencontres et de débats au niveau local et international. Parler du rôle que la religion et la spiritualité peuvent jouer dans la société est sans doute un exercice utile pour éviter l’utilisation abusive de la religion et sa manipulation. Le Rapport Anna Lindh sur les tendances interculturelles euroméditerranéennes a démontré la nécessité d’investir dans des programmes de recherche centrés sur l’évolution historique et le développement des religions ainsi que sur les tendances religieuses et spirituelles actuelles afin d’offrir une base scientifique aux débats à l’échelle régionale. CONCLUSIONS ET PROPOSITIONS D’ACTION CONCLUSIONS ET PROPOSITIONS D’ACTION 140 10. Encourager le dialogue entre les personnes ayant des croyances et des convictions religieuses différentes 11. Développer le potentiel des médias pour améliorer la connaissance et le respect L’approche qualitative importante présentée dans le chapitre thématique sur les médias du Rapport a permis à la Fondation d’identifier un large éventail de mesures à élaborer pour la promotion de la contribution positive des médias dans l’élaboration des perceptions et des attitudes du public dans la région euroméditerranéenne. Les bonnes pratiques présentées dans les analyses des médias par pays du Rapport montrent qu’un aspect important de l’action de la Fondation dans le domaine des médias peut être la promotion d’outils existants tels que les organismes de médias transfrontaliers et les traités. Comme souligné dans les analyses qualitatives du Rapport, favoriser la production de nouveaux formats médiatiques et de divertissements, qu’il s’agisse de films, de récits de vies réelles ou de concours, peut aussi être un Le Rapport Anna Lindh 2010 www.annalindhreport.org Le Rapport Anna Lindh 2010 143 142 ANNEXES ANNEXES ANNEXES Le Rapport Anna Lindh 2010 Le Rapport Anna Lindh 2010 ANNEXE I Q4.3. Lors de cette rencontre/discussion, avez-vous eu l’impression d’avoir : Questionnaire du sondage Anna Lindh/Gallup Plus de points communs que de différences ...............................................................................1 Plus de différences avec les autres que de points communs.......................................................................................................................................2 Ne sait pas...................................................................................................................................................3 Refuse de répondre..................................................................................................................................4 Q4.4. Savez-vous de quel(s) pays viennent ces personnes ? ANNEXES I. Intérêt envers l’Autre Q1. Pourriez-vous citer TOUS les pays qui vous viennent à l’esprit quand vous entendez parler de la région méditerranéenne ? Q2.1. Maintenant, en pensant aux pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée/aux pays européens, comment qualifieriez-vous votre intérêt pour les nouvelles et les informations les concernant sur les sujets suivants (de A à C) ? Très intéressé..............................................................................................................................................1 Moyennement intéressé........................................................................................................................2 Pas intéressé...............................................................................................................................................3 Ne sait pas...................................................................................................................................................4 Refuse de répondre..................................................................................................................................5 A- Conditions économiques....................................................................................................................................................................... 1 2 3 4 5 B- Vie culturelle et style de vie................................................................................................................................................................... 1 2 3 4 5 C- Pratiques et croyances religieuses...................................................................................................................................................... 1 2 3 4 5 II. Interaction avec des gens d’autres pays et qualité de l’interaction Q4.1. Au cours des 12 derniers mois, avez-vous personnellement rencontré ou parlé avec une (des) personne(s) des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée/des pays européens ? Oui..................................................................................................................................................................1 No...................................................................................................................................................................2 Ne sait pas...................................................................................................................................................3 Refuse de répondre..................................................................................................................................4 Q4.2. Si oui, par quel biais avez-vous rencontré ou parlé à cette personne ? Affaires ou travail......................................................................................................................................1 Tourisme.......................................................................................................................................................2 Discussion sur Internet...........................................................................................................................3 Relations de voisinage............................................................................................................................4 Simplement dans la rue/dans un lieu public . ..............................................................................5 Autre..............................................................................................................................................................6 Ne sait pas...................................................................................................................................................7 Refuse de répondre..................................................................................................................................8 Oui..................................................................................................................................................................1 No...................................................................................................................................................................2 Ne sait pas...................................................................................................................................................3 Refuse de répondre..................................................................................................................................9 Q4.6. Si oui, quel(s) pays ? Q3.4. Avez-vous des parents ou des amis qui vivent dans l’un des pays européens ? (Pour les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée ?) 145 144 Le questionnaire commençait avec l’introduction suivante : «Nous sommes intéressés par la façon dont les gens vivent dans les différents pays, par ce qu’ils pensent les uns des autres et de la région méditerranéenne.» Q4.5. Avez-vous visité l’un des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée ? (Pour les pays européens) Oui..................................................................................................................................................................1 No...................................................................................................................................................................2 Ne sait pas...................................................................................................................................................3 Refuse de répondre..................................................................................................................................4 Q3.5. Si oui, quel(s) pays ? III. Valeurs et perceptions mutuelles Q5.1. Dans l’éducation de leurs enfants, les parents des différentes sociétés peuvent mettre l’accent sur des valeurs différentes. En se limitant à six valeurs – disons : la curiosité, l’obéissance, les croyances religieuses, l’indépendance, le respect d’autres cultures et la solidarité familiale –, je voudrais savoir laquelle de ces six valeurs vous diriez être la plus importante pour vous-même ? Et la deuxième plus importante? -. -. -. -. -. -. -. -. Curiosité...................................................................................................................................................1 Obéissance.............................................................................................................................................2 Croyances religieuses ........................................................................................................................3 Indépendance .....................................................................................................................................4 Solidarité familiale...............................................................................................................................5 Respect des autres cultures..............................................................................................................6 Ne sait pas...............................................................................................................................................7 Refuse de répondre.............................................................................................................................8 Q5.2. Parmi ces six valeurs, pourriez-vous en citer deux qui vous semblent les plus importantes pour les parents qui élèvent des enfants dans les sociétés européennes ? - Je voudrais savoir laquelle de ces six valeurs vous diriez être la plus importante pour vous-même ? Et la seconde la plus importante ? -. -. -. -. -. -. -. -. Curiosité...................................................................................................................................................1 Obéissance.............................................................................................................................................2 Croyances religieuses ........................................................................................................................3 Indépendance .....................................................................................................................................4 Solidarité familiale...............................................................................................................................5 Respect des autres cultures..............................................................................................................6 Ne sait pas...............................................................................................................................................7 Refuse de répondre.............................................................................................................................8 Le Rapport Anna Lindh 2010 Le Rapport Anna Lindh 2010 ANNEXES Le présent questionnaire a été soumis par Gallup Europe pendant l’été 2009 à un échantillon de 13 000 personnes de treize pays, l’Allemagne, la Bosnie-Herzégovine, l’Egypte, l’Espagne, la France, la Grèce, la Hongrie, le Liban, le Maroc, le RoyauneUni, la Syrie, la Suède, la Turquie. Les questions ont été organisées en quatre chapitres, auxquels s’ajoute une partie sur les médias et les données démographiques. Curiosité.......................................................................................................................................................1 Obéissance..................................................................................................................................................2 Croyances religieuses . ...........................................................................................................................3 Indépendance . ........................................................................................................................................4 Solidarité familiale....................................................................................................................................5 Respect des autres cultures..................................................................................................................6 Ne sait pas...................................................................................................................................................7 Refus de répondre....................................................................................................................................8 Q5.4. Certaines personnes croient qu’il existe des règles absolues sur ce qui est bon et mauvais et ce qui est vrai. D’autres disent qu’il n’y a pas de vérité absolue, mais que les choses sont relatives et que ce que nous considérons être bon ou mauvais dépend de la situation. Quel point de vue vous correspond le plus ? ANNEXES 146 La vérité est absolue ..............................................................................................................................1 La vérité absolue n’existe pas, tout dépend des circonstances......................................................................................................................................2 Ne sait pas...................................................................................................................................................7 Refuse de répondre..................................................................................................................................8 Q6.5. Dans un (des) pays particulier(s) ? Si oui, le(s)quel(s) ? V. Médias – sources et qualité de l’information Q8.1. Vous souvenez-vous avoir entendu, lu ou regardé récemment quoi que ce soit dans les médias qui ait changé ou renforcé positivement votre point de vue sur les populations des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée/des pays européens ? IV. Images de la région méditerranéenne et vision de l’avenir Q6.1. Des personnes différentes ont des idées diverses sur ce que représente la région méditerranéenne et sur leur vision de l’avenir. Je vais vous lire une série d’idées/d’images qui peuvent venir à l’esprit de personnes différentes. Veuillez me dire si vous pensez qu’elles caractérisent fortement, moyennement ou pas du tout la région méditerranéenne. Fortement....................................................................................................................................................1 Moyennement...........................................................................................................................................2 Pas du tout..................................................................................................................................................3 Ne sait pas...................................................................................................................................................8 Refuse de répondre..................................................................................................................................9 A – Mode de vie et cuisine méditerranéens.......................................................................................................................................... 1 2 3 8 9 B – Source de conflit...................................................................................................................................................................................... 1 2 3 8 9 C – Patrimoine culturel commun et histoire......................................................................................................................................... 1 2 3 8 9 D – Défi environnemental........................................................................................................................................................................... 1 2 3 8 9 E – Hospitalité.................................................................................................................................................................................................. 1 2 3 8 9 F – Résistance au changement.................................................................................................................................................................. 1 2 3 8 9 G – Créativité.................................................................................................................................................................................................... 1 2 3 8 9 Q6.3. Votre pays, avec les autres pays européens et les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, a décidé de renforcer les liens politiques, économiques et les échanges culturels dans le cadre d’un projet appelé l’Union pour la Méditerranée. Que pensez-vous que votre société peut tirer de ce projet commun ? Veuillez sélectionner trois éléments au maximum. Le Rapport Anna Lindh 2010 Innovation et esprit d’entreprise . ......................................................................................................1 Attachement aux valeurs morales et spirituelles..........................................................................2 Liberté individuelle et primauté du droit........................................................................................3 Solidarité sociale.......................................................................................................................................4 Egalité des sexes.......................................................................................................................................5 Respect de l’environnement.................................................................................................................6 Dynamisme social et de la jeunesse..................................................................................................7 Respect pour la diversité des cultures...............................................................................................8 Ne sait pas...................................................................................................................................................9 Refuse de répondre............................................................................................................................... 10 En Afrique....................................................................................................................................................1 En Amérique...............................................................................................................................................2 En Europe.....................................................................................................................................................3 En Asie...........................................................................................................................................................4 Dans les pays du Golfe............................................................................................................................5 Dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée..............................................................................................................................................6 Autre..............................................................................................................................................................7 Ne sait pas...................................................................................................................................................8 Refuse de répondre..................................................................................................................................9 Oui..................................................................................................................................................................1 Non.................................................................................................................................................................2 Ne sait pas...................................................................................................................................................3 Refuse de répondre..................................................................................................................................4 Q8.2. Si oui, quelle(s) source(s) véhicule(nt) cette impression positive sur les habitants des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée/des pays européens ? Films...............................................................................................................................................................1 Journaux/informations télévisées......................................................................................................2 Journaux/informations dans la presse écrite..................................................................................3 Films documentaires...............................................................................................................................4 Livres.............................................................................................................................................................5 Blogs..............................................................................................................................................................6 Autres sources Internet...........................................................................................................................7 Programmes radio....................................................................................................................................8 Autres............................................................................................................................................................9 Ne sait pas................................................................................................................................................ 10 Refuse de répondre............................................................................................................................... 11 Données démographiques D1. Etes-vous … un homme...................................................................................................................................................1 une femme..................................................................................................................................................2 D2. En quelle année êtes-vous né(e) ? D3. Vous ou vos parents êtes-vous né(s) dans un autre pays ? Oui..................................................................................................................................................................1 Oui, mes parents.......................................................................................................................................2 Oui, mes parents et moi.........................................................................................................................3 Non.................................................................................................................................................................4 Ne sait pas...................................................................................................................................................8 Refuse de répondre..................................................................................................................................9 D3A. Si oui, dans quel(s) pays ? (pour le répondant/pour ses parents Le Rapport Anna Lindh 2010 147 Q6.4. Si vous pouviez recommencer une nouvelle vie avec votre famille, où imagieriez-vous vivre ? ANNEXES Q5.3. Et parmi ces six valeurs, pourriez-vous en citer deux qui vous semblent les plus importantes pour les parents qui élèvent des enfants dans les sociétés des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée ? - Je voudrais savoir laquelle de ces six valeurs vous diriez être la plus importante pour vous-même ? Et la seconde la plus importante ? D5. Appartenez-vous à une religion ou à une confession religieuse ? Si oui, laquelle ? 148 D6. ANNEXES D7. Pas du tout religieux................................................................................................................................0 Très religieux............................................................................................................................................ 10 Famille pauvre............................................................................................................................................1 .............. Famille riche................................................................................................................................................7 Diriez-vous que vous vivez dans une région rurale ou dans un village, dans une ville petite ou de taille moyenne, ou dans une grande ville ? Région rurale ou village..........................................................................................................................1 Ville petite ou de taille moyenne........................................................................................................2 Banlieue de grande ville ou de métropole......................................................................................3 Grande ville ou métropole....................................................................................................................4 Quel est votre statut marital actuel ? Marié..............................................................................................................................................................1 Vivant avec un partenaire (pas marié)...............................................................................................2 Veuf................................................................................................................................................................3 Divorcé..........................................................................................................................................................4 Séparé...........................................................................................................................................................5 Célibataire....................................................................................................................................................6 D10. Quelle est votre statut professionnel actuel ? Etes-vous : -. -. -. -. -. -. -. -. Indépendant..........................................................................................................................................1 Employé...................................................................................................................................................2 A l’école, encore étudiant..................................................................................................................3 Au foyer....................................................................................................................................................4 Service militaire....................................................................................................................................5 Retraité.....................................................................................................................................................6 Au chômage...........................................................................................................................................7 Autre.........................................................................................................................................................8 L’agriculture................................................................................................................................................1 Le secteur public d’Etat..........................................................................................................................2 Le secteur privé.........................................................................................................................................3 Les services publics..................................................................................................................................4 Les services privés....................................................................................................................................5 Autre..............................................................................................................................................................6 D12. Et dans votre emploi actuel, quelle est votre principale activité ? Non, je n’appartiens à aucune confession.......................................................................................0 Catholique . ................................................................................................................................................1 Protestant....................................................................................................................................................2 Orthodoxe (russe/grec/etc.)..................................................................................................................3 Juif..................................................................................................................................................................4 Musulman....................................................................................................................................................5 Hindou......................................................................................................................................................... 6 Bouddhiste..................................................................................................................................................7 Autre..............................................................................................................................................................8 En prenant tout en compte, quel est le niveau de vie de votre famille ? Sur une échelle de 1 à 7, où 1 signifie une famille pauvre et 7 une famille riche, et où les autres chiffres représentent des positions intermédiaires, où placeriez-vous votre famille ? D9. Sans se référer à une religion particulière, à quel point diriez-vous être religieux ? D8. D11. Travaill(i)ez-vous dans … Primaire........................................................................................................................................................1 Secondaire...................................................................................................................................................2 Universitaire et au-delà...........................................................................................................................3 Aucune éducation formelle .................................................................................................................4 Ne sait pas...................................................................................................................................................5 Refuse de répondre..................................................................................................................................9 Spécialiste et technicien (par exemple médecin, enseignant, ingénieur, artiste, comptable)..................................................................................................................................................1 Cadre supérieur administratif (par exemple banquier, directeur dans de grandes entreprises, haut fonctionnaire du gouvernement, dirigeant de syndicat) .......................2 Personnel de bureau (par exemple secrétaire, employé, chef de service, fonctionnaire, comptable) . ...............................................................................................................................................3 Professionnel de la vente (par exemple directeur des ventes, propriétaire de magasin, employé de magasin, agent d’assurance, acheteur) ..................................................................4 Professionnel des services (par exemple propriétaire de restaurant, agent de police, serveuse, coiffeur, concierge, infirmière)..........................................................................................5 Travailleur qualifié (par exemple agent de maîtrise, mécanicien automobile, imprimeur, couturière, outilleur-ajusteur, électricien).......................................................................................6 Travailleur spécialisé (par exemple maçon, chauffeur de bus, travailleur dans une conserverie, charpentier, ferblantier, boulanger).................................................................7 Travailleur non qualifié (par exemple ouvrier, manutentionnaire, ouvrier non qualifié dans une usine, personnel de ménage) ..........................................................................................8 Travailleur agricole (par exemple ouvrier agricole, conducteur de tracteur)..................................................................................................................................................9 Encore étudiant ..................................................................................................................................... 10 Je n’ai jamais travaillé........................................................................................................................... 11 Méthodologie En Turquie et dans les pays européens, les rencontres ont été menées par le système d’entretien téléphonique assisté par ordinateur (CATI) et en face-à-face dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée. En Hongrie, afin d’élargir le spectre de l’enquête, 700 entretiens ont été menés par CATI et 300 en face-à-face. Les éléments suivants représentent les principaux aspects de la philosophie du sondage Gallup : • L’échantillon représente toutes les régions de chaque pays, y compris les zones rurales. • La population ciblée comprend toutes les personnes de 15 ans et plus. • Le questionnaire a été traduit dans les principales langues de chaque pays. • Des procédures de contrôle de qualité ont été utilisées pour s’assurer que les échantillons appropriés sont sélectionnés et que la bonne personne est choisie au hasard dans chaque ménage. Une sélection aléatoire de répondants utilise soit la méthode «dernier anniversaire» soit la grille de Kish. L’enquête porte sur un échantillon aléatoire de 1000 entrevues réalisées par pays dans la population générale. Dans les pays où les enquêtes ont été menées en face-à-face, les listes de recensement des unités d’échantillonage primaires (UEP), composées de grappes de ménages, ont constitué le principal moyen de sélection de l’échantillon. Les UPE ont été stratifiées selon la taille de la population et/ou la géographie et un regroupement a été réalisé par une ou plusieurs étapes d’échantillonnage. Dans les pays où les entretiens téléphoniques ont été employés, le système de génération aléatoire de numéros de téléphone (Random-DigitDial) a été utilisé (échantillonnage en une étape). Dans certains pays où la pénétration des téléphones mobiles est élevée, une base de sondage double a été utilisée (téléphones fixes et mobiles). Pour le sondage Anna Lindh/Gallup, la marge d’erreur est de plus ou moins 1,4% avec un intervalle de confiance à 95%. Le Rapport Anna Lindh 2010 Le Rapport Anna Lindh 2010 149 Quel niveau scolaire avez-vous atteint ? ANNEXES D4. Index des Tableaux Index des Bonnes Pratiques LE RAPPORT ANNA LINDH 2010 ANALYSES DES EXPERTSE ET BONNES PRATIQUES Graphique 1.1 Graphique 1.2 Graphique 1.3 Graphique 1.4 Graphique 1.5 Graphique 1.6 Graphique 1.7 Graphique 1.8 Graphique 1.9 Graphique 1.10 Graphique 1.11 Graphique 1.12 Graphique 1.13 Graphique 1.14 Graphique 1.15 Graphique 1.16 Graphique 1.17 Graphique 1.18 Graphique 1.19 Graphique 1.20 Graphique 1.21 Les pays qui vous viennent à l’esprit quand vous entendez parler de la rég Caractéristiques de la région Méditerranéene Hospitalité Source de conflit Créativité Lieux privilégiés pour commencer une nouvelle vie Intérêt pour la situation économique d’autres pays Intérêt pour la vie culturelle et le mode de vie d’autres pays Intérêt pour les autres pays Parents ou amis vivant dans un pays européen Pays visités du Sud et de l’Est de la Méditerranée Interactions avec les peuples d’autres pays Pays visités du Sud et de l’Est de la Méditerranée Moyen d’interaction Les valeurs considérées par les participants comme étant les plus importantes à transmettre à leurs enfants Perceptions des participants des valeurs considérées comme étant les plus importantes à transmettre à leurs enfants par les parents en Europe Perceptions des participants des valeurs considérées par les parents du Sud et de l’Est de la Méditerranée comme étant les plus importantes à transmettre à leurs enfants Opinion sur l’existance d’une vérité absolue La société profiterait du projet de l’Union pour la Méditerranée Les médias ont changé positivement les points de vues sur les autres pays Les sources d’ impression positive sur les peuples des autres pays 19 19 20 20 21 21 22 22 23 23 24 24 25 26 27 28 29 30 31 33 33 ANALYSES DES EXPERTS ET BONNES PRATIQUES Graphique 2.1 Graphique 2.2 Graphique 2.3 Graphique 2.4 Graphique 2.5 Graphique 3.1 Graphique 3.2 Graphique 3.3 Graphique 3.4 Graphique 4.1 Graphique 5.1 Graphique 5.2 Graphique 5.3 Graphique 6.1 Les significations de la Méditerranée Sources d’inquiétude Hospitalité Source de conflit Valeurs considérées importantes par les répondants dans l’éducation des enfants Intérêt envers les autres pays Lieux pour commencer une nouvelle vie Les valeurs considérées par les participants comme étant les plus importantes à transmettre à leur enfants Modes d’interaction La révolution démographique dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, 1970-2010 Valeurs dans l’éducation des enfants les pays du sud et de l’est de la méditerranée Distribution relative de six valeurs dans l’éducation des enfants Écart entre l’Europe et les pays du sud et de l’est de la méditerranée Caractéristiques de la région méditerranéenne Le Rapport Anna Lindh 2010 37 37 38 38 40 44 44 45 46 55 68 69 69 80 Autriche - Forum de l’École interculturelle Allemagne - Exposition sur l’immigration urbaine Jordanie - Voyages pour la compréhension interculturelle Albanie - Réseau de recherche sur la religion Maroc – Débats sur la religion et le pouvoir République tchèque - Conférence sur la perception de l’islam Suède - Publication pour l’apprentissage de la langue arabe Espagne – Publication trimestrielle sur les cultures méditerranéennes Palestine - Étude sur les communautés en situation de post-conflit Portugal – Livre sur des Idées pour le dialogue Souk de la recherche interculturelle Israël - L’Orchestre des jeunes judéo-arabes Pologne - Des ateliers éducatifs sur l’islam Croatie - Débats sur le multiculturalisme Finlande - Conférence «mer Baltique et mer Méditerranée» Lettonie - Semaine interculturelle Malte - Exposition sur le dialogue dans la vie quotidienne Luxembourg – Fête du dialogue 51 59 60 63 65 66 69 70 73 74 77 78 80 81 83 84 86 87 ANALYSE THEMATIQUE DES MÉDIAS – ETUDES PAR PAYS Prix du journalisme Anna Lindh Groupe de travail des médias euro-méditerranéens Mécanisme de réponse rapide des médias Bosnie-Herzégovine – Le Centre des médias de Sarajevo Tahqiq Sahafi – Reportage d’investigation Egypte – Le Service européen de Radio Cairo Ondes méditerranéennes Le prix Media des diversités - France Belgique - Bourses pour journalistes Allemagne – La série «Lindenstrasse» Grèce – Station radio interculturelle Albanie – Le magazine Le Pont Liban - Initiative d’information publique Maroc – Libre antenne Maroc – Journalisme inclusif Espagne – Publication trimestrielle sur les cultures méditerranéennes Image du monde arabe et musulman Suède – Radio multilingue Italie – ZaLab Télévision Turquie - Nouvelles Bianet Royaume-Uni – Réseau de diversité culturelle 91 92 93 99 100 102 103 105 106 108 111 112 115 117 118 120 121 123 124 126 130 Le Rapport Anna Lindh 2010 151 ANNEXE III ANNEXES 150 ANNEXES ANNEXE II ANNEXE IV Cunliffe, B. 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Elle a récemment participé à divers projets de recherche, dont «Le bien-être et les valeurs en Europe» (WAVE) et«La laïcité, un phénomène européen et international» qui cherche à comprendre pourquoi l’Europe est la partie la plus laïcisée du monde moderne. Elle est titulaire d’un doctorat de la London School of Economics et d’un doctorat honorifique d’Uppsala. HEIDI DUMREICHER Directrice et fondatrice de Oikodrom, elle est pionnière dans la recherche intégrée du développement durable relatif aux établissements humains. Elle travaille dans la théorie et dans la pratique sur l’avenir de la ville, contribuant à la Charte d’Aalborg, le document fondateur européen sur la durabilité urbaine. En tant qu’initiatrice et coordinatrice scientifique de nombreux projets de recherche et de sensibilisation, elle a mené des négociations sur des processus durables entre experts et habitants à Vienne, en Chine et dans six pays méditerranéens islamiques. Avec Bettina Kolb, elle a développé la théorie de la «copropriété émotionnelle». Elle est également membre du Conseil consultatif de la Fondation Anna Lindh. MONA EL HAMDANI Responsable de programme pays au Media Diversity Institute (MDI) au Maroc. Après des études en communication, elle a travaillé comme coordonnatrice en charge du suivi et de l’’évaluation des programmes des partis politiques au National Democratic Institute (NDI) au Maroc. Elle a participé à l’organisation et à la supervision des activités de la société civile et de manifestations nationales et internationales, telles que la Mission internationale d’observation pour les élections législatives de 2007. Ses travaux actuels portent en particulier sur la promotion du dialogue communautaire et la diversité en partenariat avec des partenaires locaux et internationaux.. THIERRY FABRE Responsable des programmes et des relations internationales au MuCEM, le Musée des civilisations de l’Europe et la Méditerranée basé à Marseille. Il est coordinateur du Réseau d’excellence des centres de recherche en sciences humaines sur la Méditerranée (Ramses2) à la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme d’Aix-en-Provence. essayiste, éditeur et chercheur, il a fondé le magazine Qantara, à l’Institut du Monde Arabe et il est le rédacteur en chef fondateur de «La Pensée de midi» et de «Rencontres d’Averroès». MIKE JEMPSON La Baronne Catherine Ashton a été nommée Haute Représentante de l’Union européenne pour les Affaires Etrangères et la Politique de Sécurité et Vice-Présidente de la Commission européenne le 1er décembre 2009. Elle a été commissaire européen au commerce d’octobre 2008 à novembre 2009 et a résolu un certain nombre de différends commerciaux de haut niveau avec les principaux partenaires du secteur au cours de son mandat. Auparavant, la Baronne Ashton avait été nommée à la tête de la Chambre des Lords et Lord Président du Conseil privé de la Reine dans le premier cabinet de Gordon Brown en juin 2007. Directeur de l’organisation caritative pour un journalisme éthique MediaWise, maître de conférences à l’Université de l’Ouest de l’Angleterre et professeur associé en éthique des médias à l’Université de Lincoln. Avec plus de 30 ans d’expérience dans la presse, l’audiovisuel et les relations publiques, il a conçu et dispensé une formation pour les journalistes sur les droits de l’Homme, les questions de la liberté de presse et de la régulation des médias dans quelque 40 pays et a travaillé avec des agences des Nations Unies et la Fédération internationale des journalistes. Il est vice-président du comité d’éthique de l’Union nationale des journalistes et a été conseiller pour l’étude pan-européenne sur les médias et la diversité financée par la Commission européenne. AÏSHA KASSOUL Président de la Fondation euro-méditerranéenne Anna Lindh pour le dialogue entre les cultures. En tant que Conseiller de feu Sa Majesté le Roi Hassan II et de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, il a joué un rôle central dans le processus national de réforme économique et dans l’augmentation des investissements étrangers au Maroc. André Azoulay est également Président de la Fondation Tres Culturas basée en Espagne. Il est connu pour sa contribution à l’obtention d’une paix juste et durable au Moyen-Orient et pour les nombreuses initiatives auxquelles il a participé pour soutenir la logique de réconciliation entre juifs et musulmans. Professeur à l’Institut Diplomatique et des Relations Internationales et au Comité des affaires économiques et sociales du Ministère des Affaires étrangères en Algérie. Elle enseigne le choc des civilisations et le dialogue des cultures et est l’auteur de plusieurs livres et pièces de théâtre. En outre, elle a publié de nombreux articles scientifiques dans différents journaux, tels que L’Opinion, La Nation, El Watan et Algérie Actualité. Parmi ses écrits les plus connus, on peut citer Alger en toutes lettres (2003), l’Algérie en français dans le texte (1990), Chroniques de l’impure (1998) et le Pied de Hanane (2009). Elle est également membre du Conseil consultatif de la Fondation Anna Lindh. BICHARA KHADER Président de la Fondazione Mediterraneo en Italie. Il a travaillé comme photographe, peintre, architecte et ingénieur, participant à la réalisation de plus de 500 projets dans divers pays du monde, avant de se consacrer à la promotion du dialogue interculturel et de la paix depuis 1994. Depuis, il a organisé différents programmes et projets sociaux et publié de nombreux articles et livres sur le partenariat euro-méditerranéen. Il a reçu de nombreux prix, dont la Distinction de l’indépendance du Royaume hachémite de Jordanie, pour son engagement et ses réalisations exceptionnelles dans la construction de ponts entre les cultures. Professeur en sciences économiques, politiques et sociales et Directeur du Centre d’Etudes et de Recherches sur le Monde Arabe Contemporain à l’Université Catholique de Louvain, en Belgique. Il a été membre du Groupe d’experts de haut niveau sur la politique européenne étrangère et de sécurité commune et membre du Groupe des Sages pour le dialogue culturel euro-méditerranéen. Titulaire d’un doctorat de l’Université catholique de Louvain, en Belgique, ses dernières publications sont le Monde Arabe expliqué à l’Europe (2009) et l’Europe pour la Méditerranée de Barcelone à Barcelone de1995 à 2009 (2009). BETTINA KOLB Maître de conférences à l’Institut de Sociologie de l’Université de Vienne. Elle est expert en sociologie visuelle, appliquant la méthode d’entretiens participatifs à partir de photos utilisées comme outil pour la recherche sociologique inter et transdisciplinaire et travaillant sur la représentation socio-culturelle dans les visuels qui combinent le lieu et l’espace. Les travaux de Bettina Kolb ont notamment porté sur les hammams, la sociologie de la santé, en particulier le développement social durable, combinant les aspects de la promotion de la santé et le développement durable. Avec Heidi Dumreicher, elle contribue à établir une théorie sociale sur le développement durable. RYM ALI ANNEXES 164 RASHA ABDULLA CATHERINE ASHTON ANDRÉ AZOULAY MICHELE CAPASSO ANDREU CLARET YOUSSEF COURBAGE Présidente du Département de journalisme et de communication à l’Université américaine du Caire. Elle est l’auteur de trois livres sur Internet dans le monde arabe dont l’un contient notamment la première étude universitaire à grande échelle sur l’usage d’Internet parmi les étudiants arabes en Egypte. Titulaire d’un doctorat de l’Université de Miami, Rasha Abdulla a également reçu des prix prestigieux. Elle concentre actuellement ses travaux sur l’activisme sur Internet et les questions de la vie privée et de la liberté d’expression. Sa dernière publication est l’Evolution des médias au Moyen-Orient au cours des 20 dernières années : opportunités et défis (Editions Koramy, 2010). Fondatrice du Jordan Media Institute. Elle a été productrice et correspondante dans de nombreux organismes de presse, dont le Bureau de United Press International de l’ONU à New York et CNN, où elle a commencé en tant que productrice à Londres avant de travailler comme correspondante à Bagdad. La Princesse Rym, qui est titulaire d’un DEA en sciences politiques de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et d’une maîtrise en littérature anglaise à la Sorbonne et a également un master de l’école de journalisme de l’Université de Columbia, a quitté son emploi à CNN pour rejoindre la famille royale jordanienne en 2004. Elle travaille depuis à la Commission royale du film de Jordanie. Directeur exécutif de la Fondation Anna Lindh depuis juillet 2008. Ancien journaliste, il a dirigé l’agence de presse espagnole EFE pour l’Afrique sub-saharienne, l’Amérique centrale et la Catalogne et été directeur de l’Institut Européen de la Méditerranée (IEMed). Analyste des affaires internationales, il s’est spécialisé dans les relations Nord-Sud, la coopération en Méditerranée et le dialogue interculturel. Il a également enseigné le journalisme politique à l’Universitat Pompeu Fabra (Barcelone). Il est actuellement membre du Conseil consultatif de la Foundation for the Future. Directeur de recherche à l’Institut National d’Etudes Démographiques (INED) à Paris et consultant, il est expert dans le domaine des relations entre la démographie et la politique, principalement dans les pays arabes et musulmans. Il a été directeur scientifique de l’Institut français du Proche-Orient à Beyrouth et est l’auteur de près de 350 publications, livres, articles, rapports et de matériel pédagogique. En collaboration avec Emmanuel Todd, il a ajouté une nouvelle dimension au débat en cours sur le choc des civilisations en prévoyant la modernisation du monde islamique dans leur livre le Rendezvous des civilisations (2007). Le Rapport Anna Lindh 2010 MARIA KONTOCHRISTOU Maître de conférences à l’Université ouverte grecque. Elle a collaboré avec des instituts de recherche de pointe et a travaillé de nombreuses années en tant que consultante. Elle a dirigé les départements de la Promotion et de la communication et les collaborations internationales de l’Organisation hellénique de la culture, au ministère grec de la Culture. Ses travaux de recherche actuels portent sur les médias, la politique audiovisuelle et culturelle, les médias et la construction identitaire, le militantisme des célébrités, les relations internationales et la culture, l’Union européenne et la diplomatie culturelle. Elle est l’auteur du livre Identité et médias dans la Grèce contemporaine (2007). Le Rapport Anna Lindh 2010 165 GRACE DAVIE ANNEXES ANNEXE V AMIN MAALOUF ANNEXES 166 ROBERT MANCHIN PREDRAG MATVEJEVIC TUOMO MELASUO Chargée de recherche senior et directrice des études à l’Unité des voisins méditerranéens de l’Institut Van Leer de Jérusalem et enseignante à l’Université hébraïque de Jérusalem. Entre 2005 et 2007, elle a été directrice d’études pour le projet sur l’«accessibilité des femmes à l’égalité de la citoyenneté au Moyen-Orient» au Centre d’études stratégiques et politiques de l’Université hébraïque de Jérusalem. Lapidot-Firilla est la rédactrice en chef de la nouvelle Revue d’études du Levant. Ses recherches portent sur divers aspects de la religion, de la politique, et de l’identité, en particulier en Turquie. Ecrivain et journaliste libanais, il est connu pour ses œuvres qui présentent un point de vue sensible sur les valeurs et les attitudes des différentes cultures du Moyen-Orient, de l’Afrique et du monde méditerranéen. Après des études de sociologie et d’économie, il a suivi la longue tradition familiale et est devenu journaliste, travaillant à l’âge de 22 ans pour le premier quotidien de Beyrouth, An-Nahar. Il a voyagé en Inde, au Bangladesh, en Ethiopie, en Somalie, au Kenya, au Yémen et en Algérie, couvrant souvent des guerres et autres conflits, avant d’émigrer en France où il a continué à travailler comme journaliste et écrivain. master «médiation interculturelle et participation des citoyens» (Université de Valence, Espagne). Elle a également travaillé dans l’équipe d’excellence de l’Union européenne Marie Curie Minoritymedia et collabore avec des organisations telles que le Réseau espagnol des médias communautaires. Elle a publié le livre Contra el Islam (2008), sur les représentations dominantes de l’Islam et du monde arabe dans les médias espagnols. MAGUED OSMAN NATALIA RIBAS-MATEOS Chercheur Ramón y Cajal à l’Université de La Corogne. Elle a obtenu une bourse Marie Curie pour faire des recherches au Laboratoire méditerranéen de sociologie d’Aix-en Provence en France et au Centre des études de la migration du Sussex au Royaume-Uni. Depuis 2009, ses travaux principaux de recherche portent sur les transferts de fonds, le sexe et les espaces frontaliers à El Paso (Etats-Unis) et à Jebala (Maroc). Parmi ses derniers ouvrages publiés, on peut citer la Méditerranée à l’ère de la mondialisation. Migrations, bien-être et frontières (Transaction Publishers, 2005). ISABELLE RIGONI Président et Directeur Général de la société Gallup Europe. Il a commencé sa carrière à l’Institut de sociologie de l’Académie hongroise des sciences après avoir terminé l’Université d’économie Karl Marx et l’Académie Ferenc Liszt de musique. Il a travaillé comme consultant et est co-auteur de plusieurs livres. À l’heure actuelle, il dirige l’enquête Eurobaromètre Flash, le plus grand projet actuel d’enquête au niveau européen. Il est également professeur au Collège d’Europe à Bruges et Directeur de l’Institut des sciences comportementales avancées au Luxembourg. Professeur au département des langues slaves et de littérature de l’Université de Rome La Sapienza, il, vit actuellement à Rome après avoir quitté la Bosnie-Herzégovine en 1991 en raison de son activisme politique. Le gouvernement français lui a décerné la Légion d’honneur et ses livres, publiés dans plus de vingt langues, ont reçu de nombreux prix littéraires internationaux. Titulaire d’un doctorat de la Sorbonne, Matvejevic est vice-président du PEN International à Londres. Il fut l’un des membres du Groupe des Sages de la Commission européenne à Bruxelles et membre fondateur de l’Association Sarajevo à Paris et à Rome. ALEXA ROBERTSON Professeur de recherche sur la paix et les conflits et directeur de recherche de TAPRI, Tampere Peace Research Institute, à l’Université de Tampere. Titulaire d’un doctorat en sciences politiques, il est également professeur d’histoire politique à l’Université de Turku. Ses travaux portent en particulier sur l’histoire récente de l’Afrique du Nord et les relations internationales en Méditerranée. À TAPRI, en plus de diriger l’Institut, il se concentre sur les études méditerranéennes et les relations euro-méditerranéennes, et notamment sur les évolutions socio-économiques et culturelles. Il est Vice-Président du MOST, le programme de gestion des transformations sociales de l’Unesco, et membre du Conseil consultatif de la Fondation Anna Lindh. MARTIN ROSE NAOMI SAKR ANTOINE MESSARRA DALIA MOGAHED AMRE MOUSSA LAURA NAVARRO Professeur à l’Université libanaise et à l’Université Saint-Joseph, fondateur de la Fondation libanaise pour la paix civile permanente. Il est membre du Conseil Constitutionnel au Liban et du Conseil consultatif de la Fondation Anna Lindh. Comme journaliste, il a travaillé pour Le Jour, L’Orient-Le Jour, et d’autres journaux. Il est membre du Comité exécutif de master, une coopération entre journalistes francophones de l’Université Libanaise, l’Institut français de la presse (IFP, Paris) et le Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ, Paris). Analyste senior et Directrice générale du Centre Gallup pour les études islamiques. Elle dirige l’analyse de l’enquête Gallup portant sur les opinions de plus d’un milliard de musulmans du monde entier et est co-auteur du livre Qui parle au nom de l’Islam ? Ce qu’un milliard de musulmans pensent réellement, qui est l’étude la plus importante et la plus complète en son genre. Elle fait partie de divers organismes importants, tel que le Groupe de haut niveau de l’Alliance des civilisations des Nations Unies et elle a été choisie par le président américain Barack Obama comme conseillère à la Maison Blanche au Bureau des partenariats basés sur les croyances et de voisinage. Secrétaire général de la Ligue des États arabes depuis 2001. Avec un diplôme en droit de l’Université du Caire, il a rejoint le Service égyptien des Affaires étrangères en 1958. Ensuite, il a servi comme conseiller auprès du ministre des Affaires étrangères d’Egypte, ambassadeur d’Egypte en Inde et représentant en chef de l’Égypte auprès de l’ONU à New York. Depuis 2003, il est membre du Comité de haut niveau des Nations unies sur les menaces, les défis et les changements pour la paix et la sécurité dans le monde. Il a reçu des décorations de divers pays, y compris de la Fédération allemande, et notamment le Grand Cordon du Nil de l’Égypte. Chargée de cours en communication interculturelle à l’Université de Valence, en Espagne, elle est chercheur dans le projet Mediamigraterra (Université Paris 8) sur les médias et les migrations dans l’espace euro-méditerranéen, et intervient dans le Le Rapport Anna Lindh 2010 Président du Centre d’information et d’aide à la décision du Cabinet des ministres égyptiens.. En tant que pionnier des statistiques et de l’information nationale en Egypte, il est également professeur à la Direction de la Statistique de l’Université du Caire. Il a une grande expérience technique et de consultant dans les domaines de la méthodologie de l’enquête, des sondages d’opinion, et des analyses démographiques. En outre, il est membre de l’Association internationale pour la formation en statistiques, de l’Association américaine de statistiques, de l’Union internationale pour les études scientifiques sur la population (UIESP), et de la World Future Society. Chef de l’’équipe d’excellence de l’Union européenne Marie Curie MINORITYMEDIA implantée à Migrinter – Université de Poitiers en France. Elle est titulaire d’un doctorat en sciences politiques de l’Université Paris 8 (France, 2000), et a obtenu une bourse de post-doctorat au Centre de recherche en relations ethniques (Université de Warwick, 2001-2003) et au Centre Marc Bloch (Berlin, 2004-2005). Elle est actuellement professeur à l’université de Poitiers, et elle a enseigné auparavant dans les universités de Paris 8 Saint-Denis et d’Evry-Val d’Essonne (1996-2005). Elle travaille sur les médias ethniques, les migrations, les mobilités transnationales et les questions de genre. Professeur associée au Département de sciences politiques de l’Université de Stockholm et affiliée au Département de journalisme et de communication de l’université. Sa recherche actuelle, financée par une bourse du Conseil de recherche suédois, compare les reportages dans des chaînes d’information globales «contre-hégémoniques» avec les comptesrendus de l’actualité mondiale faits par des chaînes globales bien établies pour voir comment l’Europe est dépeinte ses «autres». En 2010, elle a publié un livre, Cosmopolitisme médiatisé : le monde des nouvelles à la télévision. Directeur du British Council au Maroc. Il a été Directeur du projet «Notre Europe commune», Directeur fondateur de «Contrepoint», le Comité britannique de réflexion sur les relations culturelles et la diplomatie publique. Il a fait beaucoup d’interventions et a écrit de nombreux articles sur les relations culturelles. Ses publications comprennent Confiance, réciprocité et relations culturelles (avec Nick Wadham-Smith, 2004), Diplomatie britannique publique à l’ère des schismes (avec Mark Leonard, 2005) et Un passé commun pour un avenir partagé (2009). Il a travaillé au British Council de Bagdad, Rome, Bruxelles et Ottawa. Professeur en politique des médias et directrice du Centre des médias arabes à l’Institut de communication et de recherche sur les médias de l’Université de Westminster. Elle a travaillé auparavant à l’Unité d’intelligence économique en tant que spécialiste du Moyen-Orient et rédactrice en chef des rapports sur les risques politiques et les prévisions économiques. Elle a reçu le Prix 2003 du livre d’études du Moyen-Orient pour Des royaumes satellites : télévision transnationale, mondialisation et Moyen-Orient. Son livre le plus récent, La télévision arabe aujourd’hui (2007), étudie le droit et la politique, la création et le statut des journalistes, y compris des femmes présentatrices et reporters de guerre. JORGE SAMPAIO Haut Représentant des Nations Unies pour l’Alliance des Civilisations, l’initiative des Nations Unies dont l’objectif est d’améliorer la compréhension et les relations de coopération entre les nations et les peuples et entre toutes les cultures. Il a été président de la République du Portugal de 1996 à 2001. En tant que président, il a beaucoup œuvré pour l’éducation, les questions sociales, les droits de l’Homme, les affaires internationales et européennes. En mai 2006, il a été désigné Envoyé spéciale pour la lutte contre la tuberculose par le Secrétaire général de l’ONU, avec pour mission d’atteindre l’Objectif du Millénaire pour le Développement de faire reculer la maladie d’ici 2015. ELDAR SARAJLIĆ Rédacteur en chef dans les journaux «Impulsion de la démocratie» et «Statut». Ses principaux domaines de recherche sont la politique comparée et la théorie politique, avec un intérêt particulier pour l’ethnopolitique et l’ethnocentrisme, la démocratie, la politique post-communiste, les élites politiques et la religion. Il écrit sur la politique, la culture et la société de la Bosnie-Herzégovine et intervient dans de nombreuses universités, notamment l’Université d’Édimbourg et l’Université d’Oxford. Il a publié un livre et plusieurs articles dans diverses publications à travers l’Europe. SABINE SCHIFFER Chef de l’Institut de la responsabilité des médias (IMV) en Allemagne. Ses recherches portent sur la discrimination dans les médias d’information et sur l’impact des médias sur les attitudes et les valeurs, en particulier sur les valeurs des enfants. Les formes modernes de propagande sont l’un de ses sujets de recherche les plus importants, notamment «l’ennemi (Feindbild) Islam», qui joue un rôle important aujourd’hui. Titulaire d’un doctorat en linguistique, ses publications comprennent un ouvrage sur la «couverture de l’islam dans la presse allemande» (2005) et une analyse comparative des discours de haine anti-juifs et anti-islamiques (2009, avec Constantin Wagner, IMV). Le Rapport Anna Lindh 2010 167 ANAT LAPIDOT-FIRILLA Rédacteur en chef dans le domaine des droits de l’Homme de bianet.org. Après avoir travaillé comme programmateur radio, il a continué sa carrière en travaillant comme rédacteur en chef chargé des actualités internationales pour divers groupes médias grand public en Turquie, et comme rédacteur en chef et membre de l’équipe de Acik Radyo (Radio Open). Depuis 1997, il a travaillé dans le domaine du journalisme sur Internet et il a également été directeur commercial et directeur de la rédaction pour des revues et des sites Internet d’information de divers groupes de médias. Sur bianet.org, il s’est spécialisé dans les technologies de journalisme sur Internet, le journalisme basé sur les droits de l’Homme, la lutte contre la discrimination, la diversité sociale et le journalisme de paix. ANNEXES TOLGA KORKUT 168 ANNEXES ISMAIL SERAGELDIN Directeur de la Bibliotheca Alexandrina, il préside les Conseils d’administration de chacun des instituts de recherches et des musées affiliés à la bibliothèque. Il est également président et membre d’un certain nombre de comités consultatifs pour la recherche, la science et les institutions internationales et la société civile. Il a aussi occupé un certain nombre de fonctions à la Banque mondiale, notamment en tant que Vice-Président pour le Développement Durable Environnemental et Social (1992-1998), et dans des programmes spéciaux (1998-2000). Il a publié plus de 60 livres et monographies et plus de 200 articles sur une variété de sujets. SARA SILVESTRI Maître de conférences en politique internationale à la City University de Londres et responsable d’un programme de recherche à l’Université de Cambridge. Elle a obtenu un doctorat à l’Université de Cambridge avant de déménager à Bruxelles pour travailler sur le dialogue interculturel pour le Président de la Commission européenne. Ses travaux de recherche interdisciplinaire et ses publications concernent les politiques d’identité musulmanes et les politiques publiques envers la religion dans l’Union européenne, les réseaux confessionnels, l’intégration des immigrants, et la sécurité. Elle est membre du Conseil consultatif de la Fondation Anna Lindh. KATÉRINA STENOU Directrice de la Division des politiques culturelles et du dialogue interculturel à l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). Elle est spécialiste dans le domaine de la communication interculturelle. En tant que membre de divers instituts de recherche consacrés aux relations interculturelles, elle souligne surtout les liens entre la diversité, le dialogue et le développement, favorisant ainsi la compréhension mutuelle globale, conformément au mandat de l’UNESCO. Elle a également publié plusieurs articles et ouvrages traitant de questions relatives à la formulation de politiques visant à répondre aux défis des sociétés multiculturelles. MOHAMED TOZY Professeur de sciences politiques à l’Université Hassan II à Casablanca et à l’Université d’Aix-en-Provence. Après la publication de Monarchie et Islam politique au Maroc (1997), il est devenu l’un des plus grands spécialistes des mouvements islamistes marocains. Il travaille également comme chercheur pour le Laboratoire de Sociologie Méditerranéen (MMSH/CNRS) et comme expert consultant auprès d’organisations internationales, telles que la FAO et l’USAID. Il est membre de différentes organisations, telles que le Conseil scientifique du Réseau européen d’analyse des sociétés politiques (REASOPO) et le Comité scientifique de la revue Prologues. ANNA TRIANDAFYLLIDOU Chargée de recherche senior à la Fondation hellénique pour la politique européenne et étrangère (ELIAMEP). Elle est également professeur associé au Collège d’Europe à Bruges en Belgique. Les études des discours et des médias sont l’un de ses principaux domaines de recherche. «Médias et éthique dans la sphère publique européenne du traité de Rome à la «guerre contre le terrorisme» (EMEDIATE) a été l’un des nombreux projets financés par l’Union européenne auquel elle a participé. Parmi ses récentes publications, on peut citer le livre la Sphère publique européenne et les médias (avec R. Wodak et M. Krzyzanowski, Palgrave, 2009). ERHAN ÜSTUNDAG Journaliste et rédacteur en chef pour le Réseau indépendant de communication (BIA) depuis 2004. Né en 1979 à Kirklareli en Turquie, il est diplômé de la Faculté de communication de l’Université Bilgi d’Istanbul. Il a organisé le premier Forum international des médias indépendants en 2006, à Istanbul, réussissant à rassembler des représentants des médias venant du monde entier. Ses domaines d’intérêt comprennent le journalisme sur les droits des enfants, le journalisme de paix, la politique de communication et l’économie politique des médias. Le Rapport Anna Lindh 2010