François Cheng à la croisée de la Chine et de l`Occident. Sous la
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François Cheng à la croisée de la Chine et de l`Occident. Sous la
REVUE D’HISTOIRE LITTERAIRE DE LA FRANCE François Cheng à la croisée de la Chine et de l’Occident. Sous la direction de MADELEINE BERTAUD et CHENG PEI. Genève, Droz, 2014. Un vol. de 255 p. François Cheng poursuit régulièrement la publication d’une œuvre dense, exigeante, et la fin de l’année 2014 a vu paraître un petit livre très personnel, intitulé Assise ; hommage à un saint patron porteur des valeurs de charité et de compassion chères à l’écrivain, Assise, comme l’indique son titre, inscrit puissamment l’homme dans un espace, dans un cadre évoqué de façon poétique à la lumière de la géomancie chinoise. La même année, quelques mois plus tôt, la recherche universitaire franco-chinoise nous offrait un bel ouvrage collectif, coordonné par Madeleine Bertaud, une spécialiste de la littérature française du XVIIe siècle convertie à l’œuvre de Cheng et par Cheng Pei, ancien directeur du service des Littératures orientales à la BnF. Fruit d’un double colloque sur Cheng, organisé par la BnF et par l’université Fudan de Shanghai, ce livre se présente comme un ouvrage d’art avec, en couverture, une calligraphie originale de Cheng, que l’on peut traduire par le mot résonance, qui est au cœur de la pensée de l’académicien et au centre même de la plupart des articles. François Cheng est animé, sous des dehors fragiles, d’un inébranlable optimisme ; il croit au partage des valeurs universelles, à « la possibilité pour les cultures de se relier et par là de s’interpénétrer » dans un processus de métissage ou plutôt de fusion. L’écrivain a été un remarquable passeur et un grand traducteur ; il a éclairé d’un jour nouveau les poésies des Tang et des Song grâce à l’analyse structuraliste. Mais Cheng n’est pas seulement un talentueux intermédiaire ; le volume insiste sur le rôle du créateur à la croisée de deux cultures qui se fécondent mutuellement. Le fonds chinois constitue le métalangage d’une parole poétique qui préfère à la logique et à la raison la « résonance » de l’âme. Sur le plan formel, la poésie de la brièveté pratique l’ellipse à la manière chinoise. L’influence du taoïsme apparaît essentielle par rapport à celle, secondaire, du confucianisme, chez ce chantre du féminin qui loue la vierge Marie et exalte la compassion. L’ensemble de l’œuvre se structure autour de ce jeu du trois, cher à la cosmologie taoïste, qui supplante le système binaire occidental. Le poète s’est ouvert à l’Occident en parcourant inlassablement les musées, en s’imprégnant de la lecture de quelques écrivains qui l’ont profondément marqué : Segalen, Michaux, Claudel. Cheng est l’homme du lien ; il cherche à réunir Orient et Occident et, comme nos Romantiques, il croit à l’unité profonde des arts. En Chine, le poète est aussi un calligraphe, un peintre ; poésie et peinture se conjuguent à la fois dans l’abondant discours critique du passeur et dans des poèmes qui suggèrent des peintures invisibles. Cette fusion rêvée semble se faire au détriment d’un moi dont les romans évoquent les douloureuses divisions. Dans Le Dit de Tyanyi, le je éclate, devient triple et le héros dépossédé de son être est habité par une âme étrangère et il se dissout dans le vaporeux. L’œuvre de Cheng s’éclaire, au fil d’articles érudits consacrés à des thèmes (la nuit, le féminin), de multiples rapprochements avec les grands textes de la culture occidentale ou chinoise. L’étude des formes (roman et poésie) montre précisément les spécificités de l’écriture de Cheng. Cet ouvrage, qui fait dialoguer universitaires français et chinois, nous propose un précieux bilan momentané d’une œuvre encore en devenir. PIERRE-JEAN DUFIEF