troubles paysans dans les landes

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troubles paysans dans les landes
TROUBLES PAYSANS DANS LES LANDES
PENDANT LA REVOLUTION
L’espace appelé à devenir le département des Landes en 1790 constitue, en
1789, une anomalie nationale puisqu’à l’été de 1789, il n’a pas connu le grand
ébranlement qui a traversé la France rurale jusqu’à la moindre paroisse, paniquant l’ensemble des campagnes. Je veux parler de la Grande Peur, dont j’ai démontré ailleurs1 qu’elle était venue mourir aux portes de la lande, dans les premiers jours d’août 1789, entre Sos et Gabarret, sans doute à cause de la marginalité et de l’imprénétrabilité relative de l’espace landais. Cette originalité ne se
dément pas par la suite, puisque les Landes échappent pareillement à ce que j’ai
appelé la tentative d’insurrection générale des campagnes du Sud-Ouest du début
de 17902 et qui vient mourir sur les bords de la Garonne dans les premiers jours
d’avril, pour la raison que l’espace landais est peu concerné par le poids de la
rente seigneuriale, qui est au cœur de ce soulèvement. (cartes)
Les premiers troubles à cause du partage des communaux
Est-ce à dire qu’à la différence des autres campagnes du Sud-Ouest la lande
est un espace de paix et de tranquillité ? Evidemment non, sauf qu’il faut attendre
une année supplémentaire pour que les Lanusquets se mettent en branle à leur
tour.
Les premiers troubles sont signalés le 19 avril 1791, à Souprosse3, dans le
district de Tartas. Un attroupement se porte à détruire les fossés des terrains cidevant communaux. Les paroissiens sans terre, métayers pour la plupart, estiment
avoir été volés lors du partage par les propriétaires. Le rassemblement a été
convoqué le dimanche précédent par le valet de la commune. Le 24, jour de Pâques, la maréchaussée de Tartas se porte à Souprosse, où elle ne peut convoquer
la garde nationale : presque tous « les soldats patriotiques » ont pris part aux désordres. En réplique à cette intrusion, le tocsin rassemble la population qui se
porte sur le reste des fonds communs. Au matin du 27, un nouvel attroupement
poursuit l’abattage des fossés. L'après-midi, le tocsin rassemble « une multitude
presque innombrable de paysans » en réponse à la rumeur qui annonce l'arrivée
de la troupe nationale de Tartas pour interrompre les destructions. Le directoire
ordonne prudemment la retraite. Le 1er mai, un décret de prise de corps est pro-
1
DELPONT (H) : Paysans et Révolution en Lot-et-Garonne, Agen, 1989, 120 p.
DELPONT (H) : La victoire des Croquants, les révoltes paysannes du Grand-Sud-Ouest pendant la Révolution
(1789-1799), Nérac, 2002, 500 p.
3 CHAUTON (Ch de) : « La Révolution française. Troubles à Souprosse (1790-1791) » Bul. Borda 1959 p. 5973, (1791-1793) p. 305-313, (1793-1795) p. 151-175. Des troubles similaires existent en juin 1791 à Pomarez
(A.D.Landes E suppl 1530-6-1 D 1).
2
1
noncé à l'encontre du valet de la commune et d'une quinzaine de complices, métayers pour la plupart.
Fin mai, dans les communes de Montaut, Brocas, Doazit, Coudures, Buanes
et Montgaillard situées au sud de Saint-Sever (toujours dans le district de Tartas)
des colons s'assemblent « au prétexte de religion, de surcharges d'impôts et autres droits ». Difficile de déterminer ici les causes exactes de l'affrontement.
Dans le proche district de Dax, des événements comparables secouent la paroisse de Sordes-l'Abbaye4 vers la même époque. Dans cette paroisse, « il y a très
peu de propriétaires, les autres sont tous ouvriers, tisserands, maçons et journaliers. Les digues, les pêcheries [nous sommes dans la confluence des Gaves
n.d.a.], les moulins... des ci-devant seigneurs leur fournissaient du travail, mais
ces propriétaires ayant cessé de leur donner de l'occupation, ces malheureux
sont tombés dans la misère et le brigandage ». La population dénonce un partage
des communaux réalisé en 1765 au seul bénéfice des propriétaires. Début 1790, à
l'instigation du curé, se crée une ligue des locataires qui réclame en vain les titres
et le terrier du partage. Encouragés par l'exemple des paroissiens de Salies-deBéarn qui ont forcé les propriétaires à un second partage, les habitants passent à
l'action en mai 1791, détruisant digues, baradeaux et bois de haute futaie. Début
juin, un commissaire du département enquête et réclame l'intervention des troupes de ligne en garnison dans les Landes, mais aussi à Orthez.
Le lien entre le partage des communaux et les troubles que nous venons
d’évoquer est donné par une délibération du district de Dax d’octobre 1790 que
ce même district reproduit presque à l’identique en octobre de l’année suivante5.
Le district affirme que « l’homme doit avoir pour sa portion [de communaux] une
part proportionnelle à ses propriétés, suivant le taux de l’imposition qu’il supporte en raison de son fonds, impôt désormais assis sur les bases parfaites de
l’égalité… le partage devra être assis sur les bases de l’égalité proportionnelle à
la propriété d’un chacun… ». Traduisons : le partage des communaux doit se
faire entre les possesseurs de la terre, au prorata de l’étendue de leurs propriétés,
évaluée selon leur imposition foncière. Ainsi, plus un propriétaire possède, plus il
reçoit, quant aux paysans sans terre, ils sont tout simplement exclus du partage.
On peut difficilement retourner le terme « d’égalité », employé à deux reprises,
avec une assurance aussi « parfaite ». Pour la comprendre6, il faut se rappeler que
dans l’esprit des députés de la Constituante qui remodèlent alors la France, liberté
et égalité sont inséparables de propriété, principe qui fait l’objet du dernier article
de la Déclaration des Droits de l’Homme et qui est la condition de la citoyenneté
puisque le nouveau droit de vote est réservé aux propriétaires et exclut ceux qui
4
A.D.Landes : 12 L 7. Rapport du commissaire Lomé, 10.6.1791.
ADL 27L1 n°19 1790 & n°10 1791.
6 La délibération estime cependant que : « dans les pays placés sur la rive droite de l’Adour, déserts incultes dont
les terres ingrates et stériles nécessitent de grands secours où les pacages sont aussi étendus que peu fertiles, il
faut laisser aux pauvres et aux petits propriétaires d’autres avantages que ceux que leur offrent un partage général ; alors une partie des fonds communs doivent rester indivis pour y conduire les troupeaux et y soutrager au
besoin… »
5
2
n’ont rien. Verrouillé par un vote censitaire, le régime qui naît de la Révolution
de 1789 est un régime de propriétaires, au motif que l’intérêt qu’un individu porte
au système politique dans lequel il vit est conditionné par la garantie et la défense
de ses biens. De là une égalité qui ne se conçoit qu’à l’intérieur du monde des
propriétaires et qui pousse « l’égalité » jusqu’à se calquer sur ses inégalités !
Quoiqu’il en soit et malgré un arrêté pris par le département le 15 décembre
1790 demandant aux municipalités de choisir entre vente, régie ou partage des
communaux en faveur des seuls propriétaires, il semble que cet arrêté resta lettre
morte et que la plupart des communes des Landes conservèrent leurs communaux
en l’état, jusqu’à la fameuse loi de 18577.
La plus grande cause des troubles : la suppression de la dîme
A côté des problèmes liés au partage des communaux, le motif central des
troubles ruraux qui agitent les campagnes landaises reste la suppression de la
dîme, motif qui n’est pas si éloigné de celui qui anime les autres paysans du SudOuest puisqu’il tient à l’interprétation du fameux décret du 4 août 1789 portant
abolition des privilèges et qui ordonne dans son article 5 que « les dîmes de toute
nature sont abolies ». On devine l’espoir provoqué par l’adoption de cette loi
dans les Landes, car si les redevances seigneuriales sont ici de peu de poids, la
dîme y est au contraire fort lourde sur les colons ou métayers, locataires fort
nombreux dans les Landes, qui paient le loyer de leurs exploitations en nature,
généralement par la moitié de leur récolte.
Mais la dîme a ceci de particulier qu’elle n’est pas acquittée directement par
le métayer qui la produit, mais par le propriétaire qui la prélève. Or, en décembre
1790 un décret stipula que « les fermiers et colons des fonds dont des fruits
étaient sujets à la dîme ecclésiastique ou inféodée seront tenus de payer aux propriétaires à compter des récoltes de l’année 1791 la valeur de la dîme qu’ils acquittaient ». Ainsi, la suppression de la dîme profite doublement au propriétaire
qui est libéré de son versement d’un côté, tout en continuant à la percevoir de
l’autre, tandis que le métayer est le grand perdant de ce tour de passe-passe, puisque rien ne change pour lui. Cette législation fut ainsi complétée par le décret de
mars-avril 17918 : « la valeur de la dîme de chaque fermage étant une fois fixée à
7
LALA NNE (F) : « La question des landes communales en pays d’Albret sous la Révolution » Les Landes et la
Révolution, Actes du colloque de Mont-de-Marsan, Mt-de-M, 1992, 300 p.
8 Dans l’article 3 de ce même décret d’avril 1791 qui fixe la cessation du paiement des dîmes on lit que « les dîmes de toute espèce abolies par l’article 5 du décret du 4 août 1789… comme aussi les dîmes inféodées appartenant aux laïcs, à raison desquelles il sera accordé une indemnité aux propriétaires sur le trésor public [souligné
par nous n.d.a.] cesseront d’être perçues à compter du 1.1.1791 ». Ainsi, toutes les dîmes sont abolies, soit par
suppression pure et simple (pour les dîmes ecclésiastiques payées au clergé), soit par rachat par l’état aux propriétaires pour les dîmes inféodées (concédées à prix d’argent par le clergé à des locataires). C’est la raison pour
laquelle les registres de délibération des districts des Landes fourmillent de procès-verbaux d’experts appelés à
évaluer des dîmes inféodées pour indemnisation des anciens bénéficiaires. (notamment ADL 22L2 n° 91 & 143)
Ce ne sont donc pas les paysans qui rachètent la dîme inféodée, comme cela a pu être écrit ici ou là. (auquel cas
les districts n’auraient pas eu à en délibérer).
3
l’amiable ou à dire d’expert, le fermier, jusqu’à l’expiration de son bail, en paiera
le montant chaque année au propriétaire, en argent, aux même époques que le
prix des fermages ». La nouveauté du paiement en argent était cependant soumise
à cette restriction « à moins que ce ne soit une clause expresse du bail ». Bref,
pour le fermier ou le métayer, les choses restent en l’état : à la différence des
propriétaires, ils ne profitent ni de la suppression de la dîme, ni de celle des droits
féodaux dont l’abolition, par le décret d’août 1792 tourne également au profit des
seuls propriétaires.
L'insurrection métayère qui court dans le département des Landes à l’été 17919
paraît pour la première fois le 26 juin à Saint-Martin-de-Seignanx, à l'extrême
sud du département. L'assemblée primaire des électeurs qui réunit les colons de
quatre paroisses (Saint-Martin, Saint-André, Saint-Barthélémy et Biaudos) dégénère en manifestation contre le paiement des dîmes. À la mi-juillet, les métayers
passent à l'acte : le 19, une quinzaine d’entre eux sont chez Dupruilh, pour récupérer la dîme. Le 23, le même reçoit une nouvelle visite de métayers, qui vont
chez Dospital le lendemain et chez la veuve Saboulin le 28, où ils taxent 280
conques de bled d'Inde à 9 livres la conque, ce que le district de Dax refuse le 30,
au nom de la libre circulation des grains. Le mouvement se poursuit le 31, qui
voit un attroupement se porter chez Duclerc.
L'instruction menée par le tribunal du district de Dax affirme que les « métayers, fermiers et colons » se sont assemblés à plusieurs reprises en accord avec
le maire « pour traiter d'un arrangement avec les propriétaires qui soit général
pour tous les colons ». Six syndics ont été élus, répartis par section, chargés de
faire appliquer les décisions (un partage à moitié ?) et d'ameuter contre les propriétaires récalcitrants. Pressé de réunir la garde nationale, le colonel qui n'est autre que le propriétaire Dupruilh refuse, au motif que beaucoup de « séditeurs » en
sont membres. L'affaire s'achève par l'arrestation de vingt-deux personnes10.
Quelques semaines plus tard elle rebondit à l’occasion du renouvellement de la
municipalité. Le 15 novembre, les métayers pénètrent armés de leurs bâtons dans
la salle du déroulement de l'élection, qui sera invalidée. Cela n'empêche pas que
le 4 décembre, le maire invalidé soit réélu. Si cette victoire des bérets sur les chapeaux reste symbolique, dans la mesure où la dîme reste due aux propriétaires,
nous avons ici, malgré les limites de nos sources, trace d’une action relativement
large puisqu’elle réunit quatre paroisses, mais surtout structurée, puisqu’elle fait
apparaître l’ébauche d’une organisation syndicale, – le mot est prononcé – avec
des représentants élus.
9
AN F 3680 ; A. D. Landes : 12 L 7 ; 27, 28, & 29 L ; 68 L 49 ; Es 1656 ; Es 1691.
– RICHARD (A) : « Les troubles agraires des Landes en 1791 et 1792 » A.H.R.F., 1927, p. 27-35.
– HIRIGOYEN (F). « L'année 1790 dans le sud-ouest des Landes », Bul. Borda, 1991, p. 244-265.
– « L'année 1791 dans le sud-ouet des Landes », Bul. Borda, 1992, p. 303-333.
10 A.D.Landes 68 L 49 Interrogatoires. Tribunal de Dax.
4
En juillet, un second foyer de troubles surgit au nord de Mont-de-Marsan, dans
le canton de Roquefort. Déjà, au mois de mai, une douzaine d'individus se sont
rendus au château de Cannenx, propriété du député Lassalle marquis de Roquefort, pour réclamer une indemnité de 600 livres en dédommagement de leur détention à Bayonne, suite à une ancienne condamnation pour fait de chasse. Malgré le juge de paix, ils menacent d'incendier les possessions du marquis. Le 30
juillet, celui-ci se plaint d'attaques et de menaces, malgré les démentis des municipalités de Cannenx et Roquefort11. Toujours en juillet, les métayers du canton
décident de ne pas payer la dîme et s’attroupent à Roquefort et à Cachen où une
demoiselle Meyrou est agressée pour l’avoir exigée12.
Fin août, les officiers municipaux de Lucbardez signalent que la garde nationale du village réunie à celle de Bargues a enlevé le grain du sieur Mesmes provenant des dîmes de ses métairies13, obligeant le directoire du district à rappeler
les colons partiaires au respect des lois et des propriétaires14. Mais le mouvement
d’enlèvement de la dîme chez des propriétaires se poursuit et s’élargit aux gardes
nationaux d’Arue. Dans une lettre du 5 septembre les officiers municipaux de
Roquefort informent le district que « plusieurs habitants armés d’Arue dont Labbé père et fils, Lague aîné, Bertrand Gleize et Devert colonel de la garde nationale d’Arue ont enlevé à Julien Lassalle sur la métairie de Henen la plus grande
partie du seigle récolté sur quatre métairies. Début octobre, le district règle les
frais de déplacement de la garde nationale de Mont-de-Marsan qui s’est portée à
Roquefort, Arue et Lucbardez « pour faire cesser les désordres ». La garde, qui
s’est rafraîchie au Caloy, s’est restaurée le lendemain à Saint-Avit où elle a procédé à la descente des cloches de l’église, comme à celle de Lucbardez15. À la
suite de ces troubles, le département ordonne aussi la confiscation des cloches de
Bargues, pour empêcher que le tocsin n'appelle à d'autres rassemblements.
Non loin de là plus à l’est, deux officiers municipaux de Rimbez sont dénoncés
comme coupables d’insubordination sans que nous en sachions la cause précise
tandis qu’au nord, dans la partie girondine de la Lande, une coalition avec attroupement est signalée à Préchac à la mi-juillet et une insurrection à Lucmau en
aout16.
Les actions de 1792 et 1793
Après cette première explosion, les deux années suivantes voient la poursuite
des luttes métayères. En 1792, l'agitation renaît dans la Lande à nouveau dans le
canton de Roquefort, de loin le plus agité des Landes. Le 6 février, Tastet, juge
11
ADL 22L1 p. 227. De juin à août 1791 des troubles sont signalés à Labrit entre la municipalité et la GN, sans
que les causes en soient signalées (ADL 32L4 du 3.6 et 6.8.1791).
12 ADL 12L29.
13 Mesmes possédait la dîme inféodée de Lucbardez (ADL 22L2 n° 143).
14 ADL 22L1 p. 247.
15 ADL 22L1 pp. 259 et 261.
16 A.D.G. : 5 L 6.
5
de paix de Roquefort souligne la nécessité d'établir une brigade de gendarmerie
dans le bourg « avec trois fusils pour défendre sa maison exposée aux pillages et
aux attaques ». Le 17 un procès-verbal de la municipalité relate un attroupement
qui s’est déroulé la veille. Le 8 mars, le juge délivre des mandats d’amener contre
plusieurs habitants de Bourriot suite à des troubles et des attentats17. Les attroupements se portent ensuite à Sarbazan, où quatre métayers sont arrêtés et
conduits à la prison de Roquefort dont ils ne tardent pas à être libérés par la population.
Début juillet au sortir de la messe, Labarthe, garde national de Sarbazan défend
aux colons de payer la dîme due aux propriétaires « sous peine de six livres
d’amende », ce qui conduit le procureur de la commune à se plaindre de citoyens
« tiennent des discours incendiaires capables d’insurrecter la paroisse concernant
les dîmes ». Le 22, la municipalité constate que la garde nationale du village s’est
attroupée à son de caisse sans en avoir reçu l’ordre. Une trentaine de personnes
armés de fusils et de haches se sont rendus chez Clauzet vigneron à Baloche où
ils ont « mangé l’omelette » et fait main basse sur trois quartiers de lard, deux
jambons, du pain et un fusil. L’attroupement s’est ensuite porté au Jay où le hangar d’une dame Lasserre de Roquefort a été incendié. Le chef de la gendarmerie
Vignes, qui a requis en vain municipalité et garde nationale de Roquefort, se
porte ensuite à Sarbazan avec ses trois collègues pour constater que le tout est
rentré dans le calme. Cependant, Clauzet ayant dénoncé les meneurs de la troupe
(notamment un tuillier, Castaing de Geronis, Poulet de Crabé, le chef de la métairie de Pomade tous de Sarbazan et le second officier de la garde nationale de
Saint-Gor), quatre d’entre eux ont été capturés et emprisonnés à Mont-deMarsan.
Le 28, Jeanne Clauzet se présente au département pour se plaindre que son
frère a été pris en otage par la population de Sarbazan qui l’envoie en messagère
pour obtenir la libération des quatre prisonniers contre la libération de son frère.
En fait le frère sera libéré au soir du 28 sans autre condition que de promettre de
demander la relaxe des quatre emprisonnés. Mais le trouble s’est étendu :
d’autres attroupements se sont formés contre la levée des dîmes comme à Lencouacq ou la demoiselle Lafitte a dû remettre la dîme à son métayer soutenu par
la garde nationale. Des troubles similaires se propagent à Bourriot, Saint-Gor,
Cachen et Guinas. Finalement, la garde nationale de Lencouacq, s’empare elle
aussi d’un propriétaire pris en otage contre l’assurance que la troupe ne pénètrera
pas dans le territoire communal.
Devant ce qui prend l’allure d’une rébellion générale, le département décide de
frapper fort : une troupe de 30 gendarmes (soit l’ensemble des brigades de la
ville) et de 80 gardes nationaux de Mont-de-Marsan équipée de deux pièces
d’artillerie s'ébranle le 29 vers Sarbazan, où elle arrive vers 14 heures. Une avantgarde se porte à Roquefort où elle essuie l’hostilité de la garde nationale et de la
17
ADL 22L2, n° 61, 70 et 90.
6
population qui lui reproche de « venir protéger les aristocrates, d’en vouloir aux
paroisses voisines etc. » Rendue sur place, la troupe qui ne trouve ni logement, ni
ravitaillement, est menacée de subir un lâcher de taureau18... Il semble que la démonstration de force du département suffit à ramener le calme, puisque le détachement armé rentre au chef-lieu dès le lendemain « après avoir tancé la garde
nationale de Roquefort ».
Plus à l’ouest, des troubles sont signalés dans l’axe Arjuzanx-Arengosse-Ygos
(près de Morcenx). Il est vrai qu’en octobre 1791, le district de Dax avait été saisi
d’une pétition des colons d’Igos au sujet de la dîme dans laquelle ces derniers
sollicitaient son intervention pour « inviter les propriétaires de s’arranger amiablement au sujet de la dîme ». Quelques mois plus tard, le 18 juin 1792, trois
propriétaires d’Arjuzanx portent plainte contre le maire le secrétaire et le procureur de la commune « pour avoir publiquement à la sortie de la messe provoqué
les métayers à la résistance à la loi en leur disant que la dîme leur appartenait et
que les propriétaires n’ont pas le droit de l’exiger… » A la mi-août, un attroupement de 200 personnes est signalé à Arengosse, par pour des motifs religieux. Un
mois plus tard, le 18 septembre un habitant d’Arjuzanx se plaint d’avoir été désarmé et taxé par la garde nationale, ainsi que d’autres l’auraient été. Enfin, en
octobre, des citoyens et gardes nationaux d’Igos armés de fusils ont enfoncé les
portes de la maison de Bonneau à Arengosse où ils ont enfoncé les portes des armoires, du chai où ils ont mis en perce des barriques de vin et bu à discrétion.
L’enquête du district relève que depuis huit mois plusieurs attroupements se sont
déroulés dans le secteur Ousse-Suzan-Igos-Arengosse. Les personnes interrogées
restent curieusement muettes sur les motifs de ces mouvements.
Plus à l’est, en avril, les métayers des paroisses d'Allons et de Goutz (dans la
partie Lot-et-Garonnaise de la lande), de connivence avec le curé, placardent un
« avertissement » qui incite les habitants à se rendre en armes à la messe « sous
peine d'amende ». Le vendredi 21 et le dimanche 22 avril, des attroupements se
forment et se dirigent vers les demeures de propriétaires où ils procèdent à des
réquisitions de grains. Tambour en tête, une centaine de personnes armées de bâtons se rendent au château de Capchicot, au sud d'Allons. Deux chars emportent
le seigle de la dîme. Le produit de sa vente est bu au cabaret. Le 26, un nouvel attroupement se forme sur les bords du Ciron, où l'on remarque la présence de
beaucoup de femmes armées de fourches et de volans. À la fin du mois, gendarmes et gardes nationaux de Casteljaloux procèdent à l'arrestation de trois métayers, et de trois brassiers19.
Plus au nord mais dans la partie girondine de la Lande20, des mouvements insurrectionnels de métayers sont signalés en juin dans les cantons de Préchac et de
18
ADL : 12 L 29 P.V. des communes de Sarbazan (22.7.1792), Saint-Gor, Lencouac, du commissaire du département Dufau ; RICHARD op. cit. p. 568-569.
19 ADLG L 608 & 609 ; L 161 ; 2 L 16 procédure contre Pillac d'Allons et Dulin d'Esquiès ; aussi ROBIN (P)
« Une révolte à Allons en 1792. La Révolution en Albret ». Bull. A.V.N. N°9-10. p. 109-113, 1989.
20 A.D.G. : 5 L 6 lettre du district de Bazas du 29.6.1792 ; 5 L 7, Lettre du district de Captieux du 30.6.1792 ; 5
L 26 P.V. des commissaires du district de Captieux du 1.7.1792.
7
Captieux « relativement à la perception de l'ancienne dîme ». Le mercredi 27
juin une troupe visite la plupart des métairies des quartiers de Lugajosse et de
Marques « pour couper les sillons de blé laissés sur le champ suivant l'ancien
usage » en paiement de la dîme. Après les avoir coupés, ils mettent « la paille au
rang des gerbes du capital de chaque métairie », signifiant ainsi aux maîtres que
les dîmes appartiennent aux métayers dans les mêmes proportions que les récoltes : à moitié. Dans leur action, les métayers se prévalent du soutien du juge de
paix. La municipalité reçoit une délégation de douze personnes « nommées par
les métayers » qui s'appuient sur la position du juge. D'autres font de la surenchère et réclament les deux tiers de la dîme. Tous préviennent l'objection des
maîtres qui disent devoir payer l'impôt en affirmant vouloir le partager en proportion de la dîme. À l'issue des vêpres, il est proclamé que la garde nationale ira
couper la dîme de ceux qui la laisseraient sur pied.
Les dernières révoltes métayères proches se déroulent en 1793 dans les paroisses de Préchac, Insos et Cazalis1, district de Bazas en Gironde. Le dimanche 3 février un charpentier convoque les métayers pour le lundi 11. La municipalité interdit tout attroupement et décide, le dimanche 10, de rester en alerte, et de réquisitionner les 150 hommes des quatre compagnies de gardes nationaux. C'est mal
connaître la malice des ruraux : alors que seulement une quinzaine de gardes nationaux répondent à la réquisition de leur commandant, dans la matinée du lundi,
« deux époux qui désirent être unis en mariage » se présentent, accompagnés de
leurs convives. Ce n'est pas tout : dans le reste de la matinée, quatre autres couples se présentent successivement, occupant la municipalité jusqu'à 11 heures du
matin2. Les gardes nationaux ne sont toujours pas réunis, d'ailleurs leur caisse a
disparu. Par contre, les convives des cinq « noces » qui viennent de se succéder
se sont accumulés : le charivari tourne à la sédition.
Pendant des heures, « le corps municipal décoré des marques distinctives de
son caractère a été investi de la populace ». L'explication est sévère : les métayers reprochent à l'ancienne municipalité d'avoir publié « un décret supposé et
fait à plaisir » qui attribue la totalité de la dîme aux propriétaires, et d'avoir gardé
le silence sur la loi « émanée de l'autorité légitime » qui la donne aux métayers.
À l'appui de leur thèse, ils invoquent le fait qu'aucun juge n'a cherché à faire appliquer cette prétendue loi. Pêle-mêle, ils accusent les propriétaires de vendre le
grain en fraude, d'en refuser l'achat en assignats. Les commissaires désignés pour
le recensement des grains étant « tous propriétaires », ils obtiennent que deux
pauvres de chaque section assistent à cette opération.
Le ton monte. Les uns réclament que « l'on dégageât » les bancs de l'église ;
d'autres que les riches soient contraints de vendre le blé aux indigents à « 12 livres en papier le boisseau » ; d'autres, exigent l'installation d'un prêtre résident
1
A.D.G. 5 L 32.
A.D.G. E dépôt 336 E 3° L'état civil de Préchac confirme que 5 mariages se sont tenus
le 11.02.1793. Il s'en était tenu trois le 9 et ne s'en tient plus aucun avant le 27.03.
2
8
pour avoir plus de messes, ou la restitution de la croix de l'église en argent. Un
métayer résume la journée par cette formule : « point de roi, point d'impôt ; point
de prêtres, point de dîmes, nous sommes tous rois ». Et il réfute par avance les
décisions des tribunaux et des administrations « toutes composées de citoyens riches, sangsues des indigents », ajoutant que « si l'Assemblée de Paris leur adressait directement la décision sur les dîmes, ils s'y soumettraient ». La réunion
s'achève par la résolution de ne plus payer les dîmes, et par des menaces sur ceux
qui en paieraient ou en recevraient. La municipalité avoue son impuissance devant le nombre de factieux armés de fusils et de bâtons.
A l’origine du problème du métayage
Comparée à la diversité et à la relative abondance des sources sur les actions
des propriétaires contre les rentes féodales, la rareté des documents à propos des
actions métayères conduit à penser que la connaissance de ces insurrections est et
restera plus lacunaire que celles des paysans-propriétaires. Peu de récits détaillés,
ne subsistent que de rares délibérations de districts, voire de communes souvent
inexplorées et si sommaires qu’elles n’indiquent même pas la cause des troubles.
On peut ainsi soupçonner que beaucoup de troubles nous échappent.
Tandis que les propriétaires ne lâchent rien et refusent toute concession, au
contraire les métayers ont des exigences modérées : élargir le partage à mi-fruits
aux rentes décimales et seigneuriales dans une sorte de partage des bénéfices. Ce
faisant, ils se placent sur le terrain juridique des maîtres. Les métayers auront
beau réclamer, s'insurger : ils ne seront pas entendus. On leur opposera deux types d'arguties juridiques. La première consiste à refuser de considérer l’objet des
redevances, – le paiement de droits à l'église ou à des seigneurs – pour ne les envisager qu’en fonction du contrat de location entre propriétaires et métayers. Pour
les propriétaires, toute modification de la perception des redevances ne peut intervenir sans la modification du contrat21.
Le second argument, complémentaire du premier, consiste à considérer le métayer non comme un producteur-exploitant, mais comme une sorte de salarié, qui
ne saurait bénéficier des abolitions de charges pesant sur la propriété. En Charente, l'accusateur public de Barbezieux donne une variante de cette thèse en affirmant que « les métayers n'étant que momentanés22 », ils sont incapables de garantir au maître les ressources nécessaires au paiement de l'impôt.
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« Cette loi est souverainement juste, lorsqu'un cultivateur a pris à moitié fruit le bien d'un propriétaire, il savait qu'il serait tenu de payer une forte capitation à raison de son état de métayer, qu'il ne partagerait d'autres
fruits que ceux qui resteraient après le prélèvement soit de la dîme soit de la rêve. Tant que le bail ne changera
pas il doit donc éprouver les mêmes prélèvements, et sa condition n'a point empiré parce que le propriétaire
perçoit la dîme au lieu du décimateur ecclésiastique » A.D.L.G. L 159 proclamation des commissaires civils de
Roquecor 21.8.1791 (extraits).
22 A.D. Char. L. 149, 6.6.1791. Lorsque les propriétaires sont à court d'arguments, ils n'hésitent pas à prêter aux
métayers le coupable projet du « partage des terres ». Le chef de la délégation des métayers de Riberac (24),
ayant… affirmé que les hommes étant égaux, les maîtres devaient « au moins partager cette année qui est très
disetteuse, le procureur lui observa que sa façon d'expliquer la constitution conduisait au partage des terres ».
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Là où les seigneurs échouent à transformer leurs rentes féodales en rentes de
propriétaires, les propriétaires bailleurs réussissent à le faire, s’emparant de rentes
féodales non seulement supprimées, (dîmes ou rêves) mais qui ne leur appartenaient même pas ! Comment expliquer ce double coup de force à l’heure où
triomphent les principes de liberté et d’égalité ?
D’une part, parce que les métayers sont, par opposition aux autres couches sociales rurales, ceux qui n'ont rien, à qui tout est interdit, de qui tout peut être exigé. Ils sont le repoussoir par rapport auquel l'ensemble du corps social se positionne et se positive. Les petits propriétaires, petits artisans volontiers solidaires,
le sont moins avec les métayers qu'ils considèrent comme un monde à part. Cette
vision des métayers, possède l'ineffable vertu d'être le meilleur ciment d'une société qui se scelle et se stabilise autour de la notion de propriété : parce que son
sort est pire, le métayer est celui dont la présence persuade les autres membres de
la communauté qu'ils ont un sort supportable. Journaliers, valets et domestiques
agricoles constituent un sous-prolétariat aussi démuni que les métayers, mais leur
position est différente : intégrés à la société rurale, ils vivent souvent chez les
propriétaires dont ils partagent le quotidien, les préoccupations, la culture. Cette
frange de coureurs de fermes paraît d’ailleurs comme un groupe avancé par qui
arrivent nouvelles ou rumeurs. Au contraire le métayer vit isolément, éloigné du
bourg, loin des courants de la communication ; on ne le voit que le dimanche. Les
seules visites qu'il reçoit sont celles du maître ou du curé. Paria il est, et restera.
Ignorants, isolés, les métayers ont peu d’alliés, notamment parmi les lettrés, qui
sont pourtant désignés comme à l’origine de la plupart des troubles : à Souprosse,
c’est Charles de Chaudon, noble libéral, qui a encouragé les métayers à détruire
les baradeaux des communaux ; à St-Martin-de-Seignanx, le maire semble avoir
pris le parti des métayers, comme plus tard le secrétaire d’Arjuzanx, le curé
d’Allons et même le juge de paix de Captieux.
Si les métayers sont isolés, inversement les propriétaires se savent tellement
maîtres du jeu qu’ils se plaignent bien moins que les seigneurs. Servis par la loi
qu’ils plient à leurs intérêts (ou n’appliquent pas quand elle les dessert23), ils sont
aussi maîtres de la justice et de la force publique. Ils sont surtout maîtres du terrain : ils ordonnent aux gendarmes, aux troupes de ligne et encadrent les gardes
nationales des villes importantes. Celle de Mont-de-Marsan prête main forte aux
gendarmes, alors qu’inversement les gardes nationales des villages qui rassemblent la jeunesse sont le noyau des soulèvements. Mais entre les troupes armées
23
On doit à la vérité de rappeler que le 1° brumaire an II (22 octobre 1793) une loi favorable aux métayers fut
adoptée, sous l’influence de Dartigoëte – fils d’un notaire landais de Mugron et ancien représentant en mission
dans le Gers – et de Roux-Fazillac, – ancien représentant en mission en Charente – qui défend aux propriétaires
d’exiger des métayers toute redevance féodale ou ecclésiastique « sous quelque dénomination qu’elle soit
connue ». Ignorée dans la plupart des cas, cette loi fut finalement abolie en 1796.
– FERAL (P) « L'arrentement féodal et sa persistance en Gascogne lectouroise jusqu'en 1840 ». BSAG. 1951 p.
228-256 ; aussi LESPIAU (J) : Luttes paysannes landaises. Mont-de-Marsan. 1994. 426 p. ; CAILLUYER (J) :
Regards sur l'histoire sociale des Landes. Toulouse 1983. 386 p.
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et organisées de villes et les bandes de jeunes braillards de village qui n’ont que
bâtons et mauvais fusils, le combat est inégal.
Alors que l’abolition de la rente féodale et de la dîme constituent le grand bénéfice de la paysannerie propriétaire pendant la Révolution, la transformation de
la dîme (et de la rêve) en « redevances » exigibles sur le métayer établit un véritable « transfert de féodalité » au profit des propriétaires-rentiers. Ce décalage
entre paysans propriétaires et paysans locataires créé par la Révolution maintiendra dans le retard, l'ignorance et la soumission une vaste frange de la paysannerie
du Sud-ouest, notamment dans le Gers, la Dordogne, la Charente, le Lot-etGaronne et particulièrement dans les Landes, jusqu'au vote de la loi sur le fermage et le métayage de 1946.
12 L 6
mai 1793 signalé attrouppement à Montaut, cause ?
12 L 7
23.5.1791 plainte du député Lassalle contre les habtts de Roquefort qui sont allés bousculer le chargé de ses intérêts de sa propriété de Cannens
aussi troubles de sordes sur biens nationaux, souprosse sur communaux aussi à
montaut, brocas, coudures et boulin et st-sever (24.5.91 en présence de Dartigoeyte) déjà étudiés dans ce dossier
68 L 49 refus de dîme interrogatoires de st martin de seignanx TI commentaire
au dos d'un interrogatoire : "troubles graves à St M de S, les colons s'assemblent
en armes & refusent de la dîme qu'ils veulent prélever à leur profit. Si on n'eut
sévi énergiquement, le pays était menacé d'une vle jacquerie"
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