Voilà ce que nous sommes

Transcription

Voilà ce que nous sommes
Problématique
La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du
XVIème s. à nos jours
Comment cette pièce de théâtre nous permet-elle de
questionner notre rapport à l’autre ? Notre rapport au
monde ?
Documents complémentaires
à partir de l’étude de la comédie
Zoo ou l’assassin philanthrope
DOC A : Montaigne, des cannibales
DOC B : Pierre Boulle, la Planète des singes
L’Homme : un animal dénaturé
DOC C : Hegel, Esthétique
DOC D : Bataille, « une double négation » L’Erotisme
(Illustrations : 2001 L’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick)
Lecture transversale
Fonction argumentative de la mise en scène.
Lectures analytiques
1. de la classification des hommes (extrait de l’acte II, tableau 8)
De « JAMESON : Nous voulons montrer » à « Alors, il vaudrait mieux
tirer au sort, cela irait plus vite et ce ne serait pas moins exact. »
2. définition de l’homme (extrait de l’acte II, tableau 11)
De « JUSTICE DRAPER : Voulez-vous dire que » à « sans cette
rébellion… »
Activités complémentaires
2001 l’Odyssée de l’espace, étude du monolithe (aube de
l’humanité)
Séquence 7 –Voilà ce que nous sommes
de Vercors
Regard de l’Homme sur les Autres
Séquence 7 – Voilà ce que nous sommes
LECTURE ANALYTIQUE 1
de la classification des hommes
5
10
15
20
25
30
35
40
JAMESON : Nous voulons montrer, votre Honneur, que l’essentiel dans ce procès ce n’est
pas le sort de mon client ni de quelques malheureux tropis. Mais le destin peut-être de
nombreux petits peuples sans défense, que l’on s’apprête, vous l’avez entendu, à réduire
de nouveau en esclavage. La menace est pressante en Australie, elle pèse en Afrique du
Sud, de proche en proche, elle pourrait bien remonter jusqu’à nous et nos travailleurs
immigrés ! Seul peut encore anéantir ces projets monstrueux ce qui se décidera ici, si mon
client l’obtient, il se pourrait que ce fût au prix de son honneur et de sa vie. Il le sait et il
l’accepte. Et voilà, my lord, les choses comme elles sont en vérité.
Il se rassoit.
JUSTICE DRAPER (après avoir considéré Douglas, d’une voix douce) : Mademoiselle
Sybil Greame voudrait-elle revenir à la barre ? (Sybil s’avance.) Devons-nous décidément
comprendre, mademoiselle, que l’apparition parmi nous de ces pauvres tropis a si bien
bouleversé les notions généralement admises de l’espèce humaine, que, entre l’homme et
l’animal, il n’existe vraiment plus de frontière précise ? Que, pouvant la faire passer
désormais où cela paraît commode, rien n’empêche plus certains gouvernements cruels,
s’ils le décident ainsi, de rayer d’un coup de plume, de leur population, n’importe quel
peuple de couleur ?
SYBIL (un peu piquante) : Et pourquoi de couleur, my lord ? Cette discrimination pourrait
tout aussi bien se retourner contre les Blancs, le jour où ils perdraient leur suprématie.
JUSTICE DRAPER : Comment, que voulez-vous dire ?
SYBIL : Que le racisme, c’est la loi du plus fort, rien d’autre. Et que le jour où les peuples
d’Asie ou d’Afrique le deviendront, les plus forts, ils pourront tout aussi bien nous rendre
la pareille.
JUSTICE DRAPER (ébahi et choqué) : Et pour nous dominer, prétendre que nous
sommes, NOUS ! les Anglais, plus près du singe ?
SYBIL (amusée, ironique) : Et pourquoi non, my lord ? Ce ne serait pas sans motif. Le
Noir du Sénégal se tient plus droit, plus noblement que nous. Le squelette du Chinois est
plus délié, plus raffiné. L’Hindou a le système pileux le moins développé. Si nous sommes
les moins forts, ce sera bien leur tour de nous traiter en espèce inférieure, en simples
hominidés.
JUSTCIE DRAPER (grattant fougueusement sa perruque) : Oh ! Oh ! Alors il faudrait
sans tarder établir où elle passe, cette frontière, et empêcher ainsi toute contestation !
SYBIL : C’est certainement souhaitable, my lord ; seulement…
JUSTICE DRAPER : Ne pourrions-nous vous demander, mademoiselle, ainsi qu’à
monsieur votre père et à d’autres anthropologues de toutes nationalités, de se mettre
d’accord sur une définition zoologique de l’espèce humaine, après quoi vous reviendrez à
cette barre nous apporter vos conclusions ?
KREPS (à son banc et se frappant la cuisse) : Je vous la souhaite bonne et heureuse, my
lord ! Vous aurez de vrais cheveux blancs avant que vos anthropologues…
JUSTICE DRAPER (l’interrompant du marteau puis à Sybil) Est-ce donc si difficile ?
SYBIL : Pas difficile, mais arbitraire, my lord. La nature ne classifie jamais. C’est nous
qui le faisons, par commodité. Afin de nous y retrouver un peu. Mais chacun fait à son
idée. Alors, il vaudrait mieux tirer au sort, cela irait plus vite et ce ne serait pas moins
exact.
Séquence 7 – Voilà ce que nous sommes
LECTURE ANALYTIQUE 2
Définition de l’homme
5
10
15
20
25
30
35
JUSTICE DRAPER : Voulez-vous dire que, si nous portons des gris-gris, c’est parce que
nous sommes arrachés, séparés de la nature ? Que c’est pour ça que l’homme a peur ?
POP : Evidemment, my lord. Pour avoir peur d’être mouillé, il ne faut pas être dans l’eau.
Un poisson n’aura pas l’idée de se munir d’un parapluie. Pour trembler devant la nature,
comme aussi bien pour l’admirer, voire pour l’adorer, il faut avoir pris de la distance.
Nous la contemplons du dehors, comme un spectacle épouvantable et merveilleux.
JUSTICE DRAPER : Tandis que l’animal n’a pas pris cette distance, et par conséquent,
n’a pas même conscience du spectacle ?
POP : Evidemment.
JUSTICE DRAPER : En somme l’animal fait « un » avec la nature, tandis que l’homme
fait « deux » ? N’est-ce pas là, révérend, une grande, une très grande différence ?
POP (soudain songeur) : … Certainement assez grande…
JUSTICE DRAPER : Eh bien, mon père, nous vous…
Mais Pop, d’un geste, l’a interrompu. Un temps.
POP (se frappant, d’illumination, les paumes l’une dans l’autre) : Nom d’un pétard !!
(Confus.) Oh excusez, my lord….
JUSTICE DRAPER : Qu’y a-t-il, révérend ?
POP (excité) : L’œuf de Christophe Colomb1 !!
JUSTCIE DRAPER : Vous avez découvert l’Amérique ?
POP : Non, my lord, c’est vous !
JUSTICE DRAPER : Moi ? Qu’est-ce que j’ai dit ?
POP : L’animal fait « un » avec la nature, l’homme fait « deux » avec elle ! Il s’en est
arraché, il s’est… dénaturé !
JUSTICE DRAPER : Ai-je dit tout cela ?
POP : Non, mais c’est ce que ça veut dire (emphatique et ravi) : des animaux dénaturés,
voilà ce que nous sommes !
JUSTICE DRAPER : Dénaturés ?
POP : Sortis de la nature, afin de la comprendre et de la maîtriser !
KREPS : Ma parole, Pop, voilà bien la première idée raisonnable que je vous entends
articuler !
MINCHETT : Et en quoi cela nous avance-t-il ?
POP : En quoi ? Mais seuls, de toute la création, à demander des comptes, seuls à nous
insurger contre notre ignorance et notre état, cela explique tout ! Le langage, les religions,
les sciences ! L’histoire et la politique ! Ô Sainte Mère, quelle foudre !
MINCHETT : Je voudrais bien pouvoir partager votre enthousiasme, mais…
POP : Pourtant c’est l’évidence !
MINCHETT : Quoi ?
POP : Que rien d’humain n’aurait été possible, sans cette insurrection… sans cette
rébellion…
1. L’œuf de Christophe Colomb désigne une idée ingénieuse mais simple en référence à une anecdote prêtée au célèbre
navigateur. Lors d'un repas un invité aurait voulu minimiser l'importance de la découverte du Nouveau Monde en disant : « Il
suffisait d'y penser. ». Pour répondre à cette provocation, l'explorateur proposa un défi à ses convives. Il leur demanda de
faire tenir debout un œuf dur sur la pointe. Personne ne réussit, sauf Christophe Colomb, qui écrasa simplement l'extrémité de
l'œuf en s'écriant : « Il suffisait d'y penser ! »
Séquence 7 – Voilà ce que nous sommes
DOCUMENT COMPLEMENTAIRE
DOC A : Montaigne décrit dans ce passage le bonheur des tribus cannibales du Nouveau Monde.
Chacun rapporte pour son trophée la tête de l'ennemi qu'il a tué, et l'attache à l'entrée de son
logis. Après avoir longtemps bien traité leurs prisonniers, et de toutes les commodités dont ils se
peuvent aviser, celui qui en est le maître, fait une grande assemblée de ses connaissances ; il attache une
corde à l'un des bras du prisonnier, par le bout de laquelle il le tient éloigné de quelques pas, de peur
d'en être offensé, et donne au plus cher de ses amis l'autre bras à tenir de même ; et eux deux, en
présence de toute l'assemblée, l'assomment à coups d'épée.
Cela fait, ils le rôtissent et en mangent en commun et en envoient des lopins 1 à ceux de leurs
amis qui sont absents. Ce n'est pas, comme on pense, pour s'en nourrir, ainsi que faisaient anciennement
les Scythes2 ; c'est pour représenter une extrême vengeance. […]
Je ne suis pas marri3 que nous remarquons l'horreur barbaresque qu'il y a en une telle action,
mais oui bien de quoi4, jugeant bien de leurs fautes, nous soyons si aveugles aux nôtres. Je pense qu'il y
a plus de barbarie à manger un homme vivant qu'à le manger mort, à déchirer par tourments et par gênes
un corps encore plein de sentiment5, le faire rôtir par le menu, le faire mordre et meurtrir aux chiens et
aux pourceaux (comme nous l'avons non seulement lu, mais vu de fraîche mémoire, non entre des
ennemis anciens, mais entre des voisins et concitoyens, et, qui pis est, sous prétexte de piété et de
religion), que de le rôtir et manger après qu'il est trépassé.
[…] Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas
eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie.
Montaigne, Les Essais « Des Cannibales » (1572-1592)
1. Des lopins : des morceaux / 2. Peuples nomades antiques d’Asie et d’Europe / 3. Marri : désolé, attristé. / 4. Mais plutôt / 5. Plein de vie
Robert le Bougre, inquisiteur, fait brûler 183 personnes en Champagne au XIIIème siècle
suite à une rafle à Provins : c’est le bûcher du Mont-Aimé.
Séquence 7 – Voilà ce que nous sommes
DOCUMENT COMPLEMENTAIRE
DOC B : le professeur Antelle, Arthur Levain et Ulysse Mérou explorent une planète qui ressemble étrangement à la
Terre. Ils y rencontrent une jeune humaine Nova dont le comportement animal intrigue les deux hommes. Ils font ensuite
connaissance avec les autres humains sauvages de l’île, dont l’attitude est aussi bestiale.
Dans cet extrait, Ulysse découvre avec horreur qu’il est le gibier d’une partie de chasse dont les chasseurs sont des
singes.
Je faillis pousser un cri de surprise. Oui, malgré ma terreur, malgré le tragique de ma propre position j'étais pris entre les rabatteurs et les tireurs- la stupéfaction étouffa tout autre sentiment quand je vis cette
créature à l'affût, guettant le passage du gibier. Car cet être était un singe, un gorille de belle taille.
J'avais beau me répéter que je devenais fou, je ne pouvais nourrir le moindre doute sur son espèce. Mais
la rencontre d'un gorille sur la planète Soror1 ne constituait pas l'extravagance essentielle de l'événement.
Celle-ci tenait pour moi à ce que ce singe était correctement habillé, comme un homme de chez nous, et
surtout à l'aisance avec laquelle il portait ses vêtements. Ce naturel m'impressionna tout d'abord. A peine
eus-je aperçu l'animal qu'il me parut évident qu'il n'était pas du tout déguisé. L'état dans lequel je le
voyais était normal, aussi normal pour lui que la nudité pour Nova et ses compagnons. Il était habillé
comme vous et moi, je veux dire comme nous serions habillés si nous participions à une de ces battues,
organisées chez nous pour les ambassadeurs ou autres personnages importants, dans nos grandes chasses
officielles. Son veston de couleur brune semblait sortir de chez le meilleur tailleur parisien et laissait
voir une chemise à gros carreaux, comme en portent nos sportifs. La culotte, légèrement bouffante audessus des mollets, se prolongeait par une paire de guêtres. Là s'arrêtait la ressemblance ; au lieu de
souliers, il portait de gros gants noirs. C'était un gorille, vous dis-je ! Du col de la chemise sortait la
hideuse tête terminée en pain de sucre, couverte de poils noirs, au nez aplati et aux mâchoires saillantes.
Il était là, debout, un peu penché en avant, dans la posture du chasseur à l'affût, serrant un fusil dans ses
longues mains. Il se tenait en face de moi, de l'autre côté d'une large trouée pratiquée dans la forêt
perpendiculairement à la direction de la battue. Soudain, il tressaillit. Il avait perçu comme moi un léger
bruit dans les buissons, un peu sur ma droite. Il tourna la tête, en même temps qu'il relevait son arme,
prêt à épauler. De mon perchoir, j'aperçus le sillage laissé dans la broussaille par un des fuyards, qui
courait en aveugle droit devait lui. Je faillis crier pour l'alerter, tant l'intention du singe était évidente.
Mais je n'en eus ni le temps ni la force ; déjà,
l'homme déboulait comme un chevreuil sur le
terrain découvert. Le coup de feu retentit alors
qu'il atteignait le milieu du champ de tir. Il fit
un saut, s'effondra et resta immobile après
quelques convulsions. Mais je n'observai
l'agonie de la victime qu'un peu plus tard, mon
attention ayant été encore retenue par le gorille.
J'avais suivi l'altération de sa physionomie
depuis qu'il était alerté par le bruit, et enregistré
un certain nombre de nuances surprenantes :
d'abord, la cruauté du chasseur qui guette sa
proie et le plaisir fiévreux que lui procure cet
exercice ; mais par-dessus tout le caractère
humain de son expression. C'était bien là le
motif essentiel de mon étonnement : dans la
prunelle de cet animal brillait l'étincelle
spirituelle que j'avais vainement cherchée chez
les hommes de Soror.
1 : planète Soror : nom donné à la planète qu’ils explorent
La Planète des Singes, Pierre Boulle (1963)
Séquence 7 – Voilà ce que nous sommes
DOCUMENTS COMPLEMENTAIRES
DOC C : Hegel cherche ce qui caractérise l’être humain.
Deuxièmement, l'homme se constitue pour soi par son activité pratique, parce qu'il est poussé à se
trouver lui-même, à se reconnaître lui-même dans ce qui lui est donné immédiatement, dans ce qui
s'offre à lui extérieurement. Il y parvient en changeant les choses extérieures, qu'il marque du sceau de
son intériorité et dans lesquelles il ne retrouve que ses propres déterminations. L'homme agit ainsi, de
par sa liberté de sujet, pour ôter au monde extérieur son caractère farouchement étranger et pour ne jouir
des choses que parce qu'il y retrouve une forme extérieure de sa propre réalité. Ce besoin de modifier les
choses extérieures est déjà inscrit dans les premiers penchants de l'enfant : le petit garçon qui jette des
pierres dans le torrent et admire les ronds qui se forment dans l'eau, admire en fait une œuvre où il
bénéficie du spectacle de sa propre activité.
Hegel, Esthétique (1835).
DOC D : Bataille reprend le concept de Hegel et définit l’homme par une double négation.
Je pose en principe un fait peu contestable : que l'homme est l'animal qui n'accepte pas simplement le
donné naturel, qui le nie. Il change ainsi le monde extérieur naturel, il en tire des outils et des objets
fabriqués qui composent un monde nouveau, le monde humain. L'homme parallèlement se nie lui-même,
il s'éduque, il refuse par exemple de donner à la satisfaction de ses besoins animaux ce cours libre,
auquel l'animal n'apportait pas de réserve. Il est nécessaire encore d'accorder que les deux négations,
que, d'une part, l'homme fait du monde donné et, d'autre part, de sa propre animalité, sont liées.
L’Erotisme, Georges Bataille (1957)

Documents pareils