Rose Vincent née Buet

Transcription

Rose Vincent née Buet
AV1 AT V196/E01
Rose Vincent née Buet
Mme Rose Vincent est né en 1920 dans l’Yonne.
ENREGISTREMENT RÉALISÉ LE 06/11/2012 PAR MONSIEUR PANTÉLÉIMON
MAVROGIANNIS.
STATUT DU TÉMOIN
Cheminote pendant la Deuxième
Guerre mondiale
FONCTION À LA SNCF
Garde-barrière
DATE D’ENTRÉE ET
DE DEPART DE LA SNCF
1940-1975
AXE DE L’ÉTUDE
Vie et travail au quotidien pendant la
Deuxième Guerre mondiale : mémoire
et récits de cheminots
SUJET PRINCIPAL
Parcours d’une garde-barrière
résistante dans l’Yonne
THÈMES ABORDÉS
Vie familiale et travail de gardebarrière
Vie quotidienne et professionnelle
pendant l’Occupation
Résistance
Fin de la guerre et fonctionnement des
barrières
Motivations pour répondre à l’Appel à
témoignages
OUTIL DE CONSULTATION
CD audio
MATÉRIEL D’ENREGISTREMENT
TASCAM DR-40
DURÉE DE L’ENREGISTREMENT
2 heures 42 minutes 4 secondes
DURÉE APRÈS TRAITEMENT DU SON
2 heures 19 minutes 58 secondes
Communication
Le témoin autorise, à partir du 6 novembre 2012, la copie, la consultation, l’exploitation pour des
travaux à caractère historique ou scientifique, la diffusion sonore et la publication de la transcription
et de l’enregistrement avec mention de son nom, par contrat passé avec l’AHICF à laquelle toute
demande d’utilisation à d’autres fins de l’enregistrement et de la présente analyse doit être
adressée.
Fiche chronothématique réalisée par Sylvère AÏT AMOUR en novembre 2014.
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Documents fournis par la témoin et consultable auprès du SARDO
_Mémoires de la témoin « Histoire de Rose », 73 pages.
_Photographies de la remise de la croix de guerre à Mme Vincent à Auxerre.
_Photographies du monde ferroviaire (halte, barrières, train, poseur…).
Compte rendu analytique
I - Vie familiale et Travail de garde-barrière
(Plage 02) Rose Vincent est entrée à la SNCF en septembre 1940 [âgée de 20 ans] comme
« garde-barrière auxiliaire » à Arcy-sur-Cure [Yonne] où elle resta pendant neuf ans et demi.
« C’était pas tellement […] fréquenté. » « C’était une ligne très touristique. » On venait pour visiter
le vignoble et les grottes d’Arcy-sur-Cure [site d’art rupestre, l’un des plus anciens sites du genre en
Europe]. Après l’école primaire, elle entra au lycée à Auxerre [Yonne] mais un mois avant le brevet
elle tomba malade. Elle dut arrêter ses études et « apprit la couture » en apprentissage pendant
trois ans. Elle continua à coudre quand elle était garde-barrière. « Il arrivait que je fasse 16 heures
de présence au poste de garde. » (4mn:54s)
(Plage 03) Après son poste à Arcy-sur-Cure [Yonne], Rose Vincent occupa « la fonction de
gardienne de la gare de Lucy-sur-Cure [Yonne] ». Elle prit ses fonctions à la fin de l’année 1949 et y
resta six ans. « Là, j’avais deux passages à niveau à m’occuper. Un à distance qui était à 500
mètres […] et pis un à la maison […], une barrière traineau. » Elle se rappelle que la brigade d’Arcysur-Cure était composée de « cinq cantonniers pour entretenir les voies ». Et ils étaient parfois
amenés à déjeuner chez elle. (3mn:36s)
(Plage 04) À Lucy-sur-Cure [Yonne], Rose Vincent se rappelle que sa recette était importante car
« les billets de chemin de fer étaient taxés par paliers […], par dix kilomètres ». Les gares payaient
aussi les poseurs chaque mois. « On nous envoyait l’argent d’Auxerre [Yonne] sous un pli cacheté
et puis chaque fin de mois, je payais les poseurs, on remboursait les mandats de la caisse de
prévoyance, mandats maladie ou retraités. Tous les trois mois, je payais les retraites aux retraités
de trois communes […], peut-être une trentaine de retraités à payer. » Le prix des billets changeait
tous les dix kilomètres. La halte de Rose Vincent était située selon ses souvenirs à 186 kilomètres
de Paris alors qu’Arcy-sur-Cure était à 203 kilomètres. « Un billet pour Paris, un aller-retour coûtait
818 francs de cette époque-là et pis ça coûtait 834 francs pour aller à Arcy-sur-Cure. » (3mn:10s)
(Plage 05) En 1957, le travail de la gare fut supprimé [à Lucy-sur-Cure, Yonne]. Rose Vincent fut
donc mutée à Accolay [Yonne], site qui fut fermé quelques mois plus tard et elle partit alors pour le
passage à niveau de Vincelles [Yonne] « un passage à niveau de première classe ». Elle termina
sa carrière « quand on a mis les barrières automatiques, déjà en 1973 », elle n’avait alors que 53
ans. Mais suite à plusieurs drames familiaux, elle tomba malade et fut déclarée non apte à la
poursuite de ses fonctions. Plus tard, lorsque la halte de Vincelles fut en vente, elle l’acheta. Il « y
avait trois catégories » de passage. À Arcy-sur-Cure [Yonne], c’était une troisième catégorie
« parce que c’était considéré comme un chemin tandis que là c’était des routes à grande
circulation ». (3mn:26s)
(Plage 06) En 1939, elle habitait à Brosses [Yonne] avec ses parents. Elle avait des grands-oncles
cheminots, un « soudeur sur cuivre, il s’occupait que des tuyauteries des machines à vapeur » à
Villeneuve-Saint-Georges [Val-de-Marne]. Elle avait un cousin qui était « potassier », « c’est par lui
que j’ai su comment ça fonctionnait [dans les chemins de fer] ». Son mari, était quant à lui poseur.
Le passage à niveau [d’Arcy-sur-Cure, Yonne] était libre car la guerre l’avait privé de titulaire. Son
mari fit les démarches pour l’obtenir et y parvint. (3mn:50s)
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(Plage 07) Selon Rose Vincent, Arcy-sur-Cure [Yonne] était plutôt une ville de droite, tout comme
Brosses [Yonne]. « Les congés payés, […] ça a rapporté beaucoup dans les campagnes parce
qu’on a fait du commerce avec les Parisiens à ce moment-là. » Les Parisiens venaient notamment
en vacances dans la région. (2mn:14s)
II - Vie quotidienne et professionnelle pendant l’Occupation
(Plage 08) La déclaration de la guerre, « c’était terrible, c’était terrible ». En mai 1940, « mon père a
été obligé de mener ses chevaux à la réquisition à Vézelay [Yonne] et on y en a pris un ». Quand a
été signée [la capitulation de l’Allemagne dans la nuit du 6 au 7 mai 1945 à Reims [Marne]] « c’était
une fête », « les cloches ont sonné pendant 48 heures ». Par contre, en 1940 « on ne considérait
pas que c’était un armistice nous. On a toujours considéré que la France allait se défendre ». « Et
pis après les déclarations du général De Gaulle, on y croyait. » Au moment de l’Armistice en 1940,
les opinions étaient mitigées », il « y avait ceux qui profitaient des Allemands », « qui disaient : Oh
ben ça fait aller le commerce ! » « et pis d’autres qu’étaient complètement contre ». Elle se
souvient d’un homme prêt à dénoncer ceux qui ravitaillaient la Résistance mais mort avant d’avoir
pu le faire. (4mn:18s)
(Plage 09) Selon Rose Vincent, peu de personnes sont parties pendant l’Exode. Elle lit un texte sur
l’arrivée des Allemands et l’Exode qu’elle a écrit. Elle se souvient notamment de l’arrivée d’un
groupe d’une soixantaine de personnes avec leur équipement fuyant devant les Allemands. Ils ne
devaient rester qu’une nuit mais avec l’arrivée des Allemands ils durent rester plus longtemps. Sa
famille en hébergea un certain nombre et ils purent rentrer chez eux après un mois. « Dès l’arrivée
des troupes allemandes, les soldats français en déroute se cachaient pour ne pas être prisonniers.
À ceux qui sont venus chez mes parents, ma mère leur donnait des vêtements de travail de mon
père et de mon grand-père, elle brûlait dans notre four à pain les uniformes et tout ce qui marquait
l’armée française. Ces gars repartaient chez eux avec un outil agricole à l’épaule […]. Tous nos
vieux outils sont partis de cette façon. Plus d’une vingtaine ont ainsi trouvé la liberté. » Son beaufrère fut fait prisonnier vers Sens [Yonne] et partit à pied pour Dijon [Côte d’Or]. Mais il parvint à
s’évader et à rentrer chez lui. « À Mailly-le-Château [Yonne], la postière détournait les lettres
adressées aux autorités allemandes, les ouvraient à la vapeur, brûlait celles de dénonciation
nombreuses et retournait celles n’ayant aucune valeur. À Auxerre [Yonne], le facteur […] qui
distribuait le courrier à la Kommandantur gardait pour lui les lettres qui lui paraissaient suspectes. Il
en a ainsi récolté plusieurs centaines, une pleine valise qu’il a remis aux autorités militaires
françaises à la libération. » (6mn:29s)
(Plage 10) Le mari de Rose Vincent avait été mobilisé mais était en convalescence en 1940 à
l’arrivée des Allemands et ne s’est donc « jamais représenté ». « Il a brûlé les vêtements » militaires
et est resté chez lui. Ils se marièrent en 1940. En 1944, son mari fit partie d’un groupe de quinze
hommes d’Arcy-sur-Cure [Yonne] dénoncés et arrêtés. « Il a été martyrisé » à ce moment-là. Il était
titulaire à la SNCF pendant la guerre. Lorsqu’il fut mobilisé, ses parents touchèrent sa demi-solde
de cheminot. Rose Vincent quant à elle entra à la SNCF en septembre 1940, le mois de son
mariage. Pendant un mois, elle fut formée au métier de garde-barrière par le chef de canton d’Arcysur-Cure [Yonne]. Après sa formation, le chef de district lui fit passer « un petit examen […], c’est
pas difficile ». (4mn:29s)
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(Plage 11) Rose Vincent avait peu de contacts avec les autres agents. « Et puis on se méfiait de
tout le monde pendant la guerre, même des amis. » « On parlait jamais des événements. » « On
parlait surtout des restrictions. » Ils avaient un jardin et des animaux, ce qui les aidaient. Les
Allemands « se nourrissaient sur les villages où ils étaient ». Ils emportaient « tout ce qui était
nourriture ». « Ils réquisitionnaient tout. » Elle se rappelle que son père avait une double cave où il
dissimulait beaucoup de provisions. Rose Vincent se souvient de l’ambiance, « on était gêné que
c’était la guerre […], on n’était pas à son aise ». Selon elle, un jardin était accolé à toutes les gares.
Elle n’avait ni eau ni électricité à l’intérieur de la halte. Alors quand ils achetèrent un poste de radio
pour écouter Radio Londres, le mari tira un fil depuis l’installation électrique de la maison d’en face,
occupée par une vingtaine d’Allemands. (7mn:33s)
(Plage 12) Selon Rose Vincent, il y avait un médecin SNCF à Cravant [Yonne]. Elle évoque
également une assistante sociale qui fut écrasée à Migennes [Yonne]. Pour les problèmes de santé
plus importants, ils devaient se rendre à La Pitié [Hôpital de la Pitié, Paris]. Elle se rappelle
également que lorsqu’ils travaillaient à proximité, les cantonniers mangeaient chez elle. (2mn:21s)
(Plage 13) Rose Vincent évoque une famille ayant été en relation avec l’occupant pendant la guerre
ainsi qu’un homme qui après avoir été arrêté par les Allemands dénonça quinze hommes. Il fut
malgré tout fusillé. Les femmes de cette famille recevaient les Allemands et furent fusillées à la
Libération. (2mn:34s)
(Plage 14) Rose Vincent se souvient des restrictions qui les touchèrent très tôt. Pour son mariage
[en septembre 1940], ils firent une cérémonie en petit comité sans fête car beaucoup « étaient à la
guerre ». Ils « avaient le wagon économat » qui était toute l’année à Migennes [Yonne] et passait
une fois par mois dans toutes les gares. Cette situation a duré jusqu’en 1948. Ils pouvaient ainsi
avoir accès à des produits moins chers que dans les épiceries. Ce wagon permettait d’avoir accès à
« l’épicerie courante ». Pour les vêtements et les chaussures « c’était très difficile ». (2mn:08s)
III -
Résistance
(Plage 15) Pour le compte de la Résistance, Rose Vincent se rendit à Auxerre [Yonne] chercher
une arme et des munitions qu’elle transporta dans une boîte à chaussures. Elle débuta ses activités
de résistante fin 1943. Elle se faisait soigner par un médecin (le docteur Lamasson) près de chez
elle qui lui demanda si elle pouvait héberger quelqu’un le temps de le soigner. À partir de ce
moment « ça n’a plus arrêté ». Les malades et les blessés se succédèrent chez elle. Elle se
souvient notamment d’un blessé qui fut opéré dans son grenier sans aucun équipement. « Les
maquisards avaient une traction » avec laquelle ils venaient déposer leurs camarades en prenant
les précautions nécessaires. Les familles des maquisards écrivaient chez elle et elle transmettait
ensuite les courriers. (11mn:08s)
(Plage 16) Rose Vincent se rappelle que, près de chez elle, il y avait « le maquis Colbert », « la
Compagnie Raoul », selon le nom du chef de la compagnie. Les maquisards lui apportaient des
tickets pour qu’elle puisse nourrir ceux qu’elle hébergeait. Ils lui apportaient aussi parfois de la
nourriture. Elle fut également agent de liaison pour la Résistance. Elle connaissait donc
l’emplacement de tous les maquis. Parfois elle accompagnait également des résistants dans les
maquis autour d’Arcy-sur-Cure [Yonne]. Ils avaient un mot de passe, ils devaient lui dire « Peut-on
visiter les grottes ? » et elle répondait « le dimanche seulement ». Elle participa à des parachutages
et notamment un d’armes qui furent entreposées dans leur cave jusqu’à l’été 1944. (7mn:40s)
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(Plage 17) Rose Vincent se rappelle que les Allemands « avaient quand même le respect […] de la
parole donnée ». En effet, dans le règlement SNCF, il était dit « qu’on ne devait pas laisser visiter
notre maison si la personne n’était pas accompagnée de notre chef de district ». Lorsque les
Allemands vinrent perquisitionner chez elle [au moment de l’arrestation de son mari], elle leur
rappela ce règlement et elle leur indiqua une mauvaise destination pour trouver le chef de district.
Elle les envoya à Clamecy [Nièvre] et non à Avallon [Yonne] afin de les retarder car « la route était
coupée » par les résistants notamment « le maquis le loup ». Des ouvriers de l’usine Rhodia de
Clamecy participaient à ses actions. Le jour où les Allemands sont venus chez elle, il y avait trois
résistants dans son grenier et de nombreux objets liés à ses activités. Elle resta de 4h à 18h devant
sa porte pour les empêcher d’entrer. Il y avait trois militaires devant la porte pour monter la garde,
son mari avait quant à lui été immédiatement emmené. Les armes d’un parachutage cachées dans
sa cave y restèrent jusqu’à la fin de la guerre. Elle ne sortit donc plus de chez elle de peur qu’en
son absence les Allemands ne reviennent fouiller la maison. Par la suite les maquisards tirèrent à
partir des hauteurs sur un convoi allemand. Pour répliquer, les Allemands installèrent un canon
dans la cour de Rose Vincent, devant le soupirail de la cave. (7mn:07s)
(Plage 18) Le mari de Rose Vincent resta en détention de fin juillet jusqu’au 24 août [1944]. « Il a
été martyrisé […] dans la salle de torture là à l’hôpital psychiatrique […] à Auxerre [Yonne] ». « Ils
les faisaient tourner autour d’un pieu […], le torse nu […], pendant ce temps-là y’en a un qui les
fouettait fouettait. » Une sentinelle les accompagnait de la prison à l’hôpital pour être questionnés.
Elle se rappelle qu’une de ces sentinelles donna de la nourriture à plusieurs prisonniers, dont son
mari. À son retour, il dut être hospitalisé et après deux mois de convalescence il put reprendre son
travail. Des Allemands venaient en repos dans la maison en face de la halte. Chez elle, se tinrent
des réunions en lien avec la Résistance auxquelles elle n’assista pas. Elle estime qu’une
quarantaine de personnes furent soignées chez elle, mais elle resta peu en contact avec eux par la
suite. (8mn:42s)
(Plage 19) Rose Vincent dispensa elle-même des soins en suivant les conseils du médecin, elle se
souvient avoir notamment utilisé de la graisse de blaireau pour masser les entorses. Du fait de son
appartenance à la SNCF, elle pouvait voyager et porter des messages. Elle se souvient d’un petit
café à Auxerre [Yonne] qui était un lieu de rendez-vous de la Résistance. Elle évoque les quinze
hommes arrêtés par les Allemands à l’été 1944 et notamment l’évasion d’un garagiste qui était dans
la même cellule que son mari. Son mari avait été dénoncé pour avoir donné de la nourriture à la
Résistance. Elle estime que la plupart des résistants étaient des réfractaires au STO. Selon elle,
« les trains de déportés n’y passaient pas là », « c’était sur les grandes lignes » qu’ils passaient.
Elle n’avait pas de contact avec d’autres cheminots résistants. Elle ne se sentait pas surveillée et
n’avait pas reçu de consignes particulières de l’entreprise. (12mn:06s)
IV -
Fin de la guerre et fonctionnement des barrières
(Plage 20) Rose Vincent évoque l’épuration sauvage après la guerre et des personnes qui furent
fusillées sans raison. « Y a eu des choses ignobles de faites. Y en a qu’ont profité de ça pour faire
des vengeances personnelles. » (3mn:53s)
(Plage 21) Selon Rose Vincent, il y a « toujours eu » des Allemands à Arcy-sur-Cure [Yonne] mais
pas dans la gare, dans le village. Il n’y avait pas de cheminots allemands non plus. Pendant
plusieurs mois, il y eut un Allemand qui avait déserté dans le maquis. Le maquis changeait
fréquemment de lieu. Selon elle, ce n’était pas un maquis politisé « Y en avait de tout […], de tous
côtés. Y en a qui faisaient leur prière tous les jours, […] y avait même des Algériens qui avaient leur
religion […], c’était des gens, des hommes qui se cachaient c’est tout ». (4mn:12s)
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(Plage 22) Dans son travail, en dehors des heures de passage de train, Rose Vincent s’occupait
entre autres de ses tâches ménagères. « Il fallait rester 24h sur 24 au passage à niveau ». Elle
travaillait sept jours et avait le huitième jour de repos ce qui lui donnait un dimanche de repos toutes
les sept semaines. Sur la ligne Auxerre [Yonne] – Avallon [Yonne], « il passait mettons huit à dix
trains voyageurs […] par jour mais surtout beaucoup de trains marchandises ». Elle se rappelle que
pendant la guerre, elle mangeait du renard et en envoyait dans sa famille à Paris en leur disant que
c’était du lièvre. (5mn:35s)
(Plage 23) Au sujet du gouvernement de Vichy, « on peut pas savoir. Pétain, il avait gagné la
guerre de 14. On espérait tous qu’il allait nous sauver et il nous a mis dans la mouise. Il était trop
âgé. Il s’est laissé enrôler par les Allemands ». « Et pis à ce moment-là, on n’était pas en mesure
de se défendre. Notre armée valait pas celle des Allemands. » « Ils ont envahi toute la France, sans
qu’on se défende. » Elle ne pense pas qu’il y ait eu beaucoup de tracts dans la région. Elle évoque
la fin de la guerre. « La vraie Libération là, après la guerre, ça a été la fête […] pendant une
semaine. Toutes les cloches sonnaient, y avait des bals […], les gens étaient moitié fous hein,
tellement heureux ». Et le plus important, selon elle était l’attente du retour des prisonniers.
(2mn:56s)
(Plage 24) Jusqu’en 1948, il y eut des cartes d’alimentation. « Pour la vie, ça n’a rien changé » la fin
de la guerre. Pendant plusieurs mois après la guerre, Rose Vincent se souvient ne pas avoir vu de
trains car les lignes avaient été coupées par les bombardements comme à Laroche [Laroche-SaintCydroine, Yonne]. « On a été au moins trois mois sans train. » Puis le trafic a repris
progressivement avec d’abord un train par jour. Selon elle, la région fut fortement bombardée. Et
quand les prisonniers rentrèrent, beaucoup furent embauchés pour réparer les voies. « Ils ont
beaucoup embauché après la guerre […] pour refaire les voies. » Elle se rappelle qu’après guerre, il
y eut des grèves notamment en 1953. Personnellement elle ne se mettait pas en grève puisque les
trains ne passaient plus. Son mari par contre se mettait en grève avec toute sa brigade. (5mn:46s)
(Plage 25) Rose Vincent explique les systèmes de déclenchement des barrières et la sécurité. « Le
chef de gare [d’où partait le train] appuyait sur un bouton, ça faisait sonner la cloche jusqu’à la gare
prochaine. Toutes les cloches, tout le long, entre les deux gares. » Cela permettait de savoir quand
fermer les barrières pour l’arrivée des trains. Elle avait alors cinq minutes. Par la suite ce système
de cloche fut remplacé par « les sonneries électriques ». « Quand les trains passe sur une pédale,
ça fait sonner électriquement aux maisonnettes jusqu’à la gare suivante. Alors là on n’avait plus que
trente secondes. » Par sécurité, elle s’arrangeait pour fermer avant la sonnerie. « Avec les barrières
automatiques, c’est encore pire, parce que maintenant les pédales sont mises plus près. Et c’est à
quinze secondes. Ça sonne à la barrière quinze secondes avant le passage du train. » Rose
Vincent se rappelle qu’à l’époque des cloches, en cas de soucis, elle pouvait « courir » au-devant
des trains avec des pétards ou sa lanterne la nuit, ce qui permettait d’arrêter le train. À Vincelles
[Yonne], « c’était un mat avec un filet en dessous », des voitures les percutaient et se retrouvaient
sur la voie et parfois également des piétons. (4mn:18s)
(Plage 26) Rose Vincent évoque la fiabilité des signaux de barrières. Selon elle, le système des
cloches n’étaient pas toujours fiable car si le chef de gare oubliait d’appuyer sur un bouton, il ne
déclenchait pas le système des cloches jusqu’à la gare suivante. Mais elle connaissait les horaires,
« on devait savoir tous les heures des trains qui passaient et le numéro des trains ». « Le chef de
district, il passait presque tous les mois nous questionner et il disait : Quel train que vous
attendez ? » Il était respecté, « c’était notre chef ». Pour arrêter les trains en urgence, il y avait
« trois pétards […] qu’on incrustait sur le rail. […] Ça éclatait quand la roue passait dessus […], une
explosion formidable ». Elle agitait également un drapeau pour le stopper. La nuit, elle avait en plus
une lanterne acétylène avec un feu rouge et un feu vert pour le départ. (4mn:59s)
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V-
Motivations pour répondre à l’Appel à témoignages
(Plage 27) Rose Vincent écrivit ses mémoires au début de sa retraite. Elle retrace « tout ce qu’a été
ma vie ». Elle explicite l’expression « les sangliers […] les poseurs, parce qu’y fouillaient le
ballast ». « Quand ils changeaient les rails, ils se mettaient à plusieurs brigades ensemble pour
avoir la force de soulever les rails, les changer. » Elle indique qu’il fallait faire attention à la vapeur
des machines qui aurait pu blesser quelqu’un. Selon elle, des trains à vapeur ont continué à passer
jusqu’à son départ à la retraite à Vincelles [Yonne]. « Jusqu’en 72, il en passait encore »,
notamment les trains de marchandises venant du Morvan. Elle évoque les conditions de travail et
notamment lorsqu’elle était enceinte. Elle travailla jusqu’au moment de l’accouchement et put
bénéficier de trois semaines de congés payés par la suite. (5mn:00s)
(Plage 28) Rose Vincent parla peu de ces événements d’après-guerre. « Ça reste dans moi ». Elle
a vu l’Appel à témoins dans « la lettre au pensionné ». Elle évoque l’évolution des barrières,
aujourd’hui automatisées. Au sujet de la transmission et de la collecte « c’est bien que ça reste pour
les enfants ». Elle n’a d’ailleurs évoqué ces événements qu’avec ses enfants. (5mn:32s)
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