24 Heures Pepites

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24 Heures Pepites
Economie 13
24 heures | Vendredi 12 décembre 2014
Internet
Tous commerçants!
N’importe qui peut désormais lancer son site de vente. Les répercussions sont immenses
Richard Etienne
D
es porte-clés. En bois et munis d’un aimant racolant les
trousseaux les plus lourds.
Leur style épuré séduit.
Søren, trader à Genève et
designer de formation, en a vendu une
centaine ces derniers mois.
Marco, 37 ans, Zurich. Lui écoule depuis une dizaine d’années ses œuvres
d’art: des tableaux contenant une peluche. Pour les yeux, et c’est sa marque de
fabrique, l’artiste utilise des boutons de
veste. Ce qui donne un air tout à fait attachant à ses «Buttoneyes».
Des bijoux. Sara, 32 ans, les crée ellemême et les commercialise depuis Corseaux sur Vevey. Elle en a fait sa profession, via sa société Pepit9s, créée l’an
dernier avec l’aide de Genilem, une organisation romande d’accompagnement
pour jeunes pousses.
«Grossiste: métier en danger»
Tous ont commencé par vendre leurs
créations à des proches avant d’étendre
leurs activités dans des marchés à gauche
et à droite. De Shopify à Etsy et Magento
via Facebook, qui propose depuis peu des
activités commerciales à ses «amis», les
technologies permettent désormais à
n’importe quel particulier d’ouvrir un
site de vente en quelques clics. Du coup
ils pullulent.
«C’est incroyable. J’ai lancé Buttoneye.ch comme ça, pour archiver mes
créations. Aujourd’hui, j’en ai vendu plus
de 3800», s’étonne Marco, qui en fait son
gagne-pain. «Je suis aussi très surpris»,
relève Søren. Ses porte-clés, proposés dès
89 francs, s’écoulent si vite depuis deux
mois qu’il en a fait refabriquer. Quant aux
ventes de Sara, elles décollent depuis cet
été après des débuts plus difficiles. Pour
faire de la publicité, tous recourent aux
réseaux sociaux. Facebook, Twitter et
leurs semblables leur servent de caisses de
résonance. Ils permettent à des personnes
d’arrondir leurs fins de mois sinon de
transformer leur hobby en métier.
Les fêtes de Noël stimulent ces activités, les portails d’achat et de vente encore
plus. Les chiffres sont évocateurs: Ricardo.ch est le huitième site le plus consulté du pays, selon le groupe Alexa (il
était douzième en avril). Derrière lui,
Amazon.de (12e; 15e en avril; Amazon.ch
n’existe pas), Anibis.ch (20e; 38e en
avril), Tutti.ch (48e; 73e), eBay.ch (en recul, de la 72e position en avril à la 96e) ou
Petitesannonces.ch (153e; 173e).
Autoscout24, qui permet à tout un
chacun d’acheter et de vendre des voitures, pointe au 27e rang. En Suisse, les
ventes de véhicules d’occasion ont battu
un record en 2013, avec 730 677 transactions (contre 307 855 ventes d’automobiles neuves). La plupart des transactions se
font sur Internet, où les commissions sont
moindres que chez les garagistes.
«On vit une révolution que les gens ne
voient pas venir, celle de la désintermédiation», relève Nicolas Inglard, directeur
de l’agence Imadeo. «Grossiste est un métier en danger. Sur Alibaba, tout le monde
peut désormais commander une dizaine
de tablettes directement en Chine ou vendre tout autant ailleurs dans le monde.»
Le principe s’applique également aux
agriculteurs romands. Environ septante
maraîchers proposent ainsi quasi directement leurs aliments frais sur VitaVerDura.ch. «Nous avons supprimé des intermédiaires, ce qui permet aux producteurs de mieux s’y retrouver et à la clientèle d’avoir une meilleure traçabilité»,
lance Joël Saurina, cofondateur de cette
société rolloise. Fondée fin 2010, VitaVerDura.ch double de taille chaque année
depuis.
Les modèles sans grossistes, rendus
possibles par Internet, promettent de
transformer encore considérablement la
manière dont on va commercer, selon
Nicolas Inglard. Les entreprises qui ont
VC5
Contrôle qualité
Ephémère
Des lieux organisent des ventes
à durée limitée qui permettent
aux commerçants sur Internet
d’écouler leurs stocks. G. CABRERA
Sara crée des bijoux et les commercialise sur le Net. DR
Buttoneyes vend des peluches dans un cadre. DR
un vaste réseau de points de vente (Coop,
Migros, La Poste, les stations-service,
«On vit une révolution
Union) ont, à ses yeux, une
que les gens ne voient pas Western
bonne carte à jouer dans ce contexte.
venir, celle
de la désintermédiation» Nouveaux marchés
Nicolas Inglard
Directeur de l’agence Imadeo
Retour aux particuliers. Certains profitent
du fourmillement engendré par Ri-
Søren propose des porte-clés sur son site. DR
cardo.ch (20 000 articles s’y vendent au
quotidien) pour sonder le marché. C’est
notamment le cas de Giles Magnin, fondateur de la PME zurichoise Shop Group, ou
de Patricia van Dam-Bernhard, qui a lancé
le groupe appenzellois Luxury-foryou.ch. D’autres achètent à l’étranger
pour revendre plus cher en Suisse. «Vivre
à court terme d’un site de commerce est
Un terminal de paiement mobile pour particuliers
U SumUp. Les commerçants en herbe
n’ont plus que ces six lettres à la
bouche. Le terminal de paiement
mobile éponyme permet à n’importe
quel livreur de pizzas ou vigneron lors
d’une dégustation hors de son domaine
d’encaisser un dû en toute sécurité,
vite, facilement, sans espèces. Et
surtout n’importe où et sans
abonnement.
Les terminaux classiques, proposés
en Suisse par les sociétés Aduno, Six
Payment Services, Ingenico et ConCardis, visent les grosses structures. Leurs
appareils, en général fixes, coûtent vite
1000 francs, sans compter l’abonnement (contre moins de 100 francs pour
SumUp). La commission prise sur
chaque transaction par les terminaux
classiques, moins importante que celle
de SumUp, permet aux commerçants
d’une certaine taille de s’y retrouver.
Selon UBS, SumUp est intéressant dans
des volumes de transaction jusqu’à près
de 10 000 francs par mois.
SumUp, lancé de Berlin en 2012, est
disponible en Suisse depuis le mois de
mai. La société s’est alliée avec UBS, qui
propose ce système à un tarif réduit et
qui, en contrepartie, exige que ses
clients soient titulaires d’un compte
auprès de la grande banque. Que
l’application ait été distinguée lors du
Best of Swiss Apps, une référence dans
le monde de l’économie numérique, en
novembre a accéléré son attrait. Parmi
les petits commerçants, le bouche-àoreille l’avait déjà rendu populaire. Plus
de 3000 appareils ont trouvé preneur
en Suisse, notamment auprès de
coiffeurs, de chauffeurs de taxi ou
autres petits commerces.
24 heures a testé le dispositif qui
n’exige de l’acheteur rien d’autre que
d’avoir une carte, de crédit ou de débit,
et de ne pas oublier son code PIN.
L’encaisseur inscrit le montant sur son
smartphone, tend le terminal et
patiente jusqu’à six jours avant de
constater le transfert sur son compte.
Le reçu, envoyé par SMS et/ou courriel,
géolocalise la transaction.
Dans une société toujours plus
mobile, dépourvue de cash et permettant à n’importe quel particulier de se
muer en vendeur, le marché est
porteur. Un grand nombre d’entreprises misent d’ailleurs sur la virtualisation
des échanges, du leader américain
PayPal au porte-monnaie électronique
de Swisscom lancé cet été, Tapit, qui
permet de payer uniquement avec son
smartphone.
presque impossible et devenir visible en
ligne est difficile», prévient Yannick Bazin,
directeur du salon eCom à Genève. «Il faut
aussi réfléchir à ses capacités de stockage.
Beaucoup sont surpris de voir que leurs
activités peuvent démarrer rapidement.»
Pas besoin de créer une société
Quant aux règles, elles sont claires: «Les
gens doivent s’acquitter de la TVA, déclarer leurs revenus. S’ils dépassent les
100 000 francs par an, il faut s’annoncer
à la TVA, qui vous ouvrira un numéro de
contribuable», souligne Sébastien Fanti,
avocat spécialisé en nouvelles technologies. Nul besoin donc de s’inscrire au
Registre du commerce. «Se constituer en
société sert seulement à ne pas tout subir
soi-même en cas de faillite», rappelle
l’avocat.
La nouvelle classe de commerçants
représente enfin un marché, notamment
pour les tenants de locaux pour pop-up
stores (des points de vente d’une durée
éphémère), qui deviennent nombreux.
Sara et Søren ont ainsi pu profiter fin
novembre de la tenue d’un pop-up corner
collectif au Musée d’art moderne et contemporain de Genève pour écouler leur
stock et se faire connaître. Les nouveaux
marchands constituent un créneau pour
un grand nombre d’autres prestataires.
Les vendeurs de terminaux de paiement
par exemple (lire ci-contre) se frottent les
mains.