Jackson Richardson

Transcription

Jackson Richardson
BIENTÔT À LA RETRAITE
SPORTIVE, JACKSON
RICHARDSON COMPTE
BIEN PROFITER
DE SES DERNIÈRES
ANNÉES EN TANT
QUE HANDBALLEUR
DE GÉNIE.
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société
«
UN BARJOT
»
AU GRAND CŒUR
JACKSON RICHARDSON. Qui aurait parié qu’un petit garçon
de Saint-Pierre-de-la-Réunion deviendrait l’une des icônes du sport français ?
Fabuleux destin que celui de Jackson Richardson, handballeur comblé par un
palmarès hors du commun et personnage très attachant. A la fin de l’année,
il quittera définitivement les terrains, mais ses mots simples et sincères
continueront de porter.
l est au handball français ce que Zinédine
Zidane est au foot tricolore. Né à la
Réunion, sacré meilleur joueur du monde
en 1995, Jackson Richardson fut de toutes
les épopées de l’équipe de France, depuis la
première médaille des « Barjots » aux Jeux
olympiques de Barcelone en 1992 jusqu’au
dernier podium mondial des Bleus en 2005.
Depuis, l’homme aux dreadlocks les plus
célèbres du sport tricolore, qui fut portedrapeau de la France aux Jeux d’Athènes en
2004, a pris sa retraite internationale. Après
neuf ans d’exil à l’étranger, ce personnage
charismatique de trente-sept ans fait les
beaux jours du club de Chambéry, sous les
couleurs duquel il dispute sa toute dernière
saison. Il pourra, ensuite, tout en préparant
sa reconversion dans l’immobilier, en gardant toujours un pied dans le handball, consacrer davantage de temps à ses deux enfants,
Melvyn (dix ans) et Ilana (cinq ans). Atypique sur le terrain, il donne sans compter
en dehors. Dans un café de Chambéry, il a bien
voulu dérouler le fil de son extraordinaire
carrière et confier ses engagements du
moment, le plus naturellement du monde.
I
Vivre : Comment devient-on le meilleur
joueur du monde quand on est un petit garçon de la Réunion ?
Jackson Richardson : Je n’ai jamais anticipé
l’évolution de ma carrière, j’ai toujours vécu au
jour le jour. Je ne rêvais pas d’être champion du
monde ou champion olympique. Mon but était
simplement d’aller toujours un petit peu plus
haut. Aujourd’hui, je ne veux pas me laisser
envahir par la nostalgie. Ma force est de sourire
et de voir les autres sourire autour de moi.
Cette carrière est quasi idéale. Y a-t-il
des valeurs sur lesquelles vous n’avez jamais
transigé ?
J. R. : Le plus important, c’est le respect. Mon
père me disait toujours que pour être respecté,
il fallait respecter les autres. Ensuite, bien sûr,
seul le travail peut payer.
Pour arriver au sommet, il vous a donc fallu
quitter la Réunion…
J. R. : Quand on est habitué au cocon familial,
la séparation est énorme. Et avec la nourriture et le climat, c’est difficile de trouver ses
repères. On fait cette démarche parce qu’on
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société L’invité
A Marseille, j’allais voir les
enfants cancéreux à l’hôpital.
doit réussir pour soi, mais aussi pour sa famille.
Si on rentre chez soi, on a l’impression d’avoir
échoué. Mais quand on réussit, il y a une fierté
pour notre petit « caillou ».
encore plus. Ça ne me pèse pas parce que mon
sport est encore mineur par rapport au foot
ou au basket. Je vis le tiers de ce que vivent
les stars de ces sports-là.
Comment avez-vous habité votre rôle de
capitaine de l’équipe de France, dont vous
êtes devenu l’emblème ?
J. R. : C’est un rôle collectif. Comme me disait
mon grand-père, un groupe c’est comme une
montre : s’il manque une petite vis, elle s’arrête. Donc tout le monde doit s’investir, donner son avis. Peut-être que le dernier arrivé
qui est un peu à l’écart peut apporter quelque
chose mais n’ose pas le dire par timidité. C’est
tout un groupe qui gagne et qui perd.
Pourquoi décide-t-on d’arrêter ?
J. R. : La tête suit mais plus le corps. L’envie
de se surpasser est toujours là mais le corps te
fait comprendre qu’il faut ralentir, il y a une
lumière rouge qui clignote ! Parfois, j’en rigole.
Quand un ballon passe à deux centimètres de
ma main, je me dis qu’avec deux ans de moins,
je l’aurais eu.
Comment vit-on avec le statut d’icône du
hand français ?
J. R. : Cette renommée, il faut la justifier. Faire
TROIS ÉVÉNEMENTS
QUI ONT
MARQUÉ VOTRE VIE :
LA NAISSANCE DE MES ENFANTS
J’ai « raté » celle de mon fils de très peu
parce que ma femme a accouché à Marseille
et qu’à ce moment-là, j’étais en Allemagne.
Mais je me souviens bien de celle de ma fille.
LE DÉCÈS DE MON PÈRE
Je parle souvent de lui. Je me suis accroché
à quelque chose, à une croyance. Son corps
est parti, mais son esprit est toujours là. Je
fais toujours appel à lui pour recevoir cette
force qu’il me donnait quand il était vivant.
MA PREMIÈRE MÉDAILLE AVEC L’ÉQUIPE
DE FRANCE
C’était aux Jeux olympiques de Barcelone.
La première fois pour cette équipe et le
début de mon aventure.
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Comment s’organise votre reconversion ?
J. R. : Le projet est d’ouvrir une agence de transaction de fonds de commerce à la Réunion.
Mais, tout en mettant cela en place, je vais rester à Chambéry encore quelques années pour
travailler au sein du club. Je ne veux pas couper les ponts tout de suite avec le hand. Ça permettra d’éteindre la flamme petit à petit…
Avez-vous déjà eu l’occasion de mettre
votre notoriété au service d’associations
caritatives ?
J. R. : Souvent. Je me souviens qu’à Marseille,
j’allais voir les enfants malades du cancer à
l’hôpital. Je faisais le père Noël. Ils ont peutêtre trouvé un peu bizarre de voir un père Noël
rasta ! J’espère que je ne les ai pas déboussolés… On m’a déjà proposé d’être parrain mais
ce n’est pas ce qui m’importe le plus. Quand je
vais quelque part, c’est juste que je sens que
c’est mon devoir. Et ce n’est pas le handballeur qui vient dans ces occasions-là. C’est
l’être humain.
Quand vous rentrez à la Réunion, vous
retrouvez des amis d’enfance dans des situations moins enviables que la vôtre.
J. R. : Certains de ceux avec qui j’allais à l’école
sont devenus SDF. Mais pour moi, ce sont les
BIOGRAPHIE :
• 1969 : naissance
à Saint-Pierre-de-laRéunion. C’est avec
son frère Charlette
qu’il découvre le
handball.
• 1988 : départ
pour la Métropole
et le bataillon de
Joinville, avant de
signer un an plus tard
au club de ParisAsnières.
• 1992 : médaillé de
bronze avec l’équipe
de France aux
Jeux olympiques
de Barcelone.
• 1995 : élu meilleur
joueur du monde,
l’année du premier
des deux titres
mondiaux de l’équipe
de France.
• 2005 : prend
sa retraite
internationale mais
continue sa carrière
en club, à Chambéry.
mêmes personnes. J’essaie de leur tendre la
main, de leur donner une petite étincelle qui
peut devenir une flamme.
Qu’avez-vous retenu de vos échanges avec
les enfants malades ?
J. R. : Au début, quand on n’a pas l’habitude,
ça surprend. Mais après, la maladie « passe à
côté ». Ils n’ont pas envie que tu leur parles de
ça, ils savent ce qu’ils ont, ils y pensent avant
de s’endormir ! Ce qui les intéresse, c’est qu’on
leur parle comme à n’importe qui d’autre.
Avez-vous été confronté à la maladie dans
votre entourage ?
J. R. : Deux mois après avoir quitté la Réunion,
j’ai appris qu’un de mes amis, avec qui j’avais
joué tous les jours pendant cinq ans, était
décédé d’un cancer généralisé. Il est parti alors
qu’il était en pleine forme. Tout de suite, j’ai
pensé à sa fille de cinq ans. Ça te fait réfléchir.
Quand vous ne jouerez plus au handball, vous
pourrez passer du temps avec vos enfants.
J. R. : L’autre jour, ils me disaient qu’ils n’aimeraient pas que je retourne en équipe de
France parce qu’ils me verraient moins. L’anniversaire de mon fils tombait souvent en
pleine compétition internationale. Quand
je l’appelais pour lui souhaiter, il me disait
que je n’étais jamais là. Il grandissait et il
commençait à comprendre les choses.
UN PERSONNAGE QUE
VOUS ADMIREZ :
Mohammed Ali. Pour
ce qu’il a fait en tant
que sportif et en tant
qu’homme. Le voir
vivre avec sa maladie
(Parkinson) et
toujours se battre.
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