avoir 20 ans et vivre de la détresse psychologique

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AVOIR 20 ANS ET VIVRE DE LA DÉTRESSE
PSYCHOLOGIQUE : UN PARADOXE
CONTEMPORAIN1
Danielle DESMARAIS
Le présent article présente un premier portrait global du phénomène de la détresse psychologique
vécue par un nombre significatif de jeunes adultes au Québec. Des groupes de discussion avec
environ 150 jeunes de 18 à 30 ans ont permis de tracer un modèle descriptif du phénomène. Les
situations génératrices de détresse sont associées par les jeunes à trois types de déterminants
sociaux. Le malaise intérieur créé par la détresse reflète un certain nombre de problèmes que la
personne concernée doit décomposer et résoudre. Les jeunes adultes déploient un ensemble de
stratégies pour faire face à la détresse. Ils combinent à la fois des stratégies individuelles et le
recours à leur réseau primaire. Des propos des jeunes se dégagent plusieurs facteurs de préven tion de la détresse psychologique au niveau de l'ensemble de la société, au niveau de leurs milieux
de vie et enfin, au niveau de la personne prise individuellement.
Les parcours d'insertion sociale et professionnelle se sont transformés depuis vingt ans. Avant
ce moment, durant ’’les 30 glorieuses’’, le monde occidental a connu une période exceptionnelle
de croissance économique et sociale. Aujourd'hui, le marché de l'emploi fonctionne à partir de
nouvelles règles qui excluent un grand nombre de personnes. Les jeunes adultes font partie
des exclus.
En 1992-1993, 26% de la population du Québec présentait d'après l'enquête de Santé Québec
un niveau élevé de détresse psychologique.2 Les jeunes adultes de 15 à 24 ans sont les plus
touchés. En effet, 35% d’entre eux présentent un niveau élevé de détresse psychologique, soit
un peu plus d’un jeune sur trois. Dans ce qui suit, nous proposons un cadre descriptif global pour
tenter de comprendre ce phénomène tant au niveau de l'ensemble de la société que dans les
milieux de vie habituels des jeunes adultes et au niveau des logiques d’action des 18-30 ans
eux-mêmes.
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confirme une tendance déjà identifiée par Vézina et al (1992), soit la sur-représentation des
jeunes dans le secteur des services où le taux de syndicalisation est inférieur à celui de l’ensemble des travailleurs.
Afin d'obtenir un portrait global de la situation vécue par les 18-30 ans du Québec, un groupe
d'étude, mis sur pied par le Comité de la santé mentale du Québec, a tenu à rencontrer des
jeunes adultes afin d'obtenir leur point de vue sur cette situation. Nous avons rencontré près de
150 jeunes adultes (dont 10% étaient autochtones) dans quatre régions du Québec: Estrie,
Outaouais, Québec et Montréal.
L'emploi ne génère en moyenne que le tiers des revenus des jeunes adultes qui doivent cumuler
plus d'une source de revenus. Les plus importantes sont dans l'ordre: la sécurité du revenu
(33 %), le revenu issu d’un emploi (30 %), le soutien financier des parents (13 %), les prêts et
bourses (12 %) et l’assurance emploi (6 %). Les jeunes adultes de notre étude sont très
pauvres: les 3/4 d'entre eux ont un revenu annuel brut de moins de 10 000$.
Ces jeunes étaient invités à participer à un groupe de discussion (focus group) sur la base d'une
auto-évaluation de leur état de santé mentale selon trois catégories :3 en «bonne santé mentale», ayant vécu récemment un épisode de détresse psychologique ou atteints d'un trouble de
santé mentale et portant un diagnostic psychiatrique.
Notre corpus est constitué d’un peu plus d’hommes que de femmes; la moyenne d’âge est de
25 ans. Plus des trois quarts des jeunes adultes rencontrés sont célibataires; les autres sont
mariés ou vivent en union de fait. Presque la moitié des jeunes adultes disent pouvoir compter
sur le soutien d’un-e conjoint-e. Par ailleurs, seuls quelques jeunes adultes sont parents.
Au niveau de la formation, un quart des jeunes rencontrés n’ont pas terminé leurs études
secondaires, un quart d'entre eux poursuivent des études collégiales et un groupe à peine plus
important poursuit des études universitaires.
Plus des deux tiers des jeunes adultes interrogés ont quitté le domicile parental. Ils vivent seuls
dans plus du tiers des cas alors qu’environ un sur cinq partage son lieu de résidence avec un
colocataire. Les déménagements sont fréquents et se doublent d'une migration récente hors de
la région d'origine pour les deux tiers des jeunes adultes rencontrés. Par ailleurs, près d’un jeune
sur dix vit dans un appartement supervisé, une famille d’accueil ou un foyer de groupe, une
proportion qui reflète la présence de jeunes adultes souffrant d’un trouble mental diagnostiqué.
Plus de 40% de ces jeunes occupent un emploi. Le tiers d'entre eux occupent plus d'un emploi.
Un nombre légèrement inférieur cumule études et emploi. Environ la moitié des jeunes travaillent
à temps partiel. Ce sont majoritairement les jeunes aux études. La précarité en emploi est très
grande: près des deux tiers des personnes au travail occupent leur emploi depuis au plus un an.
Les emplois les plus courants appartiennent au secteur de la vente et des services, ce qui
Notre compréhension de la détresse psychologique comprend trois volets distincts: les différents déterminants de la détresse, l'expérience proprement dite de la détresse et enfin, la lutte
contre la détresse, la prévention de la détresse et la promotion de la santé mentale. L’ensemble
des déterminants et plus particulièrement les déterminants socioculturels conditionnent les
formes de détresse et leur intensité ainsi que les stratégies de lutte déployées par les acteurs
concernés. Cette dynamique se déploie dans le temps et peut être envisagée comme un
modèle descriptif du phénomène de la détresse psychologique vécue par les jeunes adultes.
L'expérience de la détresse constitue le volet central de notre modèle. Elle peut prendre quatre
formes: un état dépressif ou de l'anxiété, de l'irritabilité ou des troubles cognitifs (MSSS 1995).
Dans la foulée de Lazarus et al (1974; 1984) nous pensons que la détresse surgit lorsqu'il y a
rencontre d'un certain nombre de situations objectivement défavorables à la personne et d'une
évaluation subjective de celle-ci qui va dans le même sens. Deux auteurs américains, Mirowsky
et Ross (1989), se sont penchés sur les causes sociales de la détresse psychologique. Ils ont
circonscrit trois types de situations dans lesquelles l'on peut expérimenter de la détresse:
lorsque l'on vit de l'aliénation, de l'autoritarisme ou de l'injustice.
Toutes les situations d'aliénation sont susceptibles de générer une variété d'émotions associées
à la détresse. L'aliénation est ici définie dans son sens le plus large. Elle comprend plusieurs
facettes dont les principales sont: l'absence de contrôle sur sa vie, la distance face à soi, l'isolement social et enfin, l'absence de sens à sa vie.
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Les situations où l'on vit de l'autoritarisme sont elles aussi susceptibles de générer des émotions associées à la détresse, c’est-à-dire de la rigidité et de la méfiance. Ces situations limitent
les horizons et les occasions de se réaliser et exigent conformité et soumission des personnes.
Enfin, les situations d'injustice peuvent provoquer des expériences d'indignation, de culpabilité
et de colère. La colère et la dépression sont deux réactions à des situations frustrantes et
injustes. La dépression naît en partie du sentiment de ne pas avoir de contrôle sur soi et/ou sur
son environnement. Or, la victime, dans une relation marquée par l’injustice, est contrainte de
faire ce qu’elle n’a pas désiré, ce qui risque de l’entraîner vers la dépression (Weissman et
Paydel 1974, dans Mirowsky et Ross, 1989 ).
Les différents déterminants de la détresse et du bien-être ainsi que la lutte contre la détresse,
la prévention de la détresse et la promotion de la santé mentale peuvent à leur tour être
appréhendés à trois niveaux de réalité: le niveau microsocial, celui relevant de la personne, le
niveau mésosocial qui prend en compte les milieux de vie habituels des sujets et enfin, le niveau
macrosocial que Sévigny (1979) appelle les grands ensembles, soit l'État et ses institutions, la
culture, et en particulier les valeurs et les idéologies.
Au niveau macrosocial, les jeunes adultes pointent les défis et les écueils d'une formation
prolongée, les enjeux liés à l'insertion professionnelle et à l'insertion sociale.
La plupart de ceux et celles que nous avons rencontrés ne remettent pas en question la pertinence de se scolariser. Plus spécifiquement, certains y voient même -à raison- un facteur de
protection de la santé mentale, une source de valorisation. Pour certains jeunes adultes, la
scolarisation signifie plaisir d’apprendre, acquisition de compétence et augmentation de ses
chances d’insertion et d’avancement professionnels.
Or la pression exercée par le marché du travail sur la diplômation et plus globalement sur
l'allongement des études d'une part, et le report de l'insertion stable en emploi d'autre part,
posent des défis amplifiés aux jeunes adultes qui acceptent de poursuivre des études. Ils doivent
affronter entre autres la performance et la compétition, le financement des études et sa
conséquence inéluctable pour une majorité d'entre eux, l'endettement.
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Par ailleurs, les coûts d'une formation inadéquate et interrompue ainsi que l'absence de diplôme
sont énormes. À niveau de formation égal, le taux d'insertion en emploi est très défavorable aux
personnes sans diplôme et aux personnes sans formation qualifiante, c'est-à-dire «ceux et celles
qui abandonnent leurs études collégiales générales (ou qui considèrent qu'un tel diplôme leur
suffit) ou leurs études universitaires» (CSE 1997: 36).
Plusieurs des préoccupations des jeunes adultes rencontrés portaient de plus sur l'insertion
professionnelle et plus spécifiquement sur les exigences des employeurs face à la formation et
à l'expérience. Les jeunes adultes appréhendent de plus la recherche d’emploi toujours à recommencer et les conditions de travail actuelles, en particulier l’exigence d’un rendement soutenu.
Les effets de la précarité ont été beaucoup discutés par les jeunes adultes que nous avons
rencontrés. La précarité atteint directement leurs conditions de vie en créant de l’instabilité, en
prolongeant l’endettement lié aux études, en les empêchant de s’acquitter de leurs obligations
financières, en interférant sur leur capacité d’être autonome, en empêchant ou retardant la
planification de projets à long terme.
En sus de situations génératrices de détresse liées à la formation prolongée et à l'insertion
professionnelle, s'ajoutent un ensemble de situations liées à l'insertion sociale et plus spécifiquement aux transformations des valeurs dans la société québécoise. Plusieurs jeunes adultes
rencontrés questionnent l'importance grandissante de la richesse matérielle. Cette valorisation
de l’argent et des biens matériels génère de l'ambivalence chez les jeunes. Il est difficile de se
dissocier des valeurs prépondérantes de la société dans laquelle on vit. Il est aussi difficile d’être
pauvre dans une société riche qui accorde plus d’importance à l’avoir qu’à l’être et qui propose
aux jeunes adultes des modes de vie axés sur la consommation. Ces contradictions peuvent
devenir une source de frustration et de stress considérable.
Les déterminants mésosociaux se situent au niveau des milieux de vie habituels de la personne,
c'est-à-dire son réseau primaire (famille, milieu scolaire, milieu de travail) ainsi que les professionnels et intervenants des services sociaux et de la santé.
Les jeunes adultes se sentent coincés entre leur désir d'autonomie et leurs conditions de vie
d'un côté et le peu de crédibilité dont ils jouissent d'un autre côté. D’une part, les attentes de
leur réseau social à leur égard sont fortes. D’autre part, on ne leur reconnaît pas un statut
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d'adulte à part entière. Il leur faut faire leurs preuves, combattre une image dominante négative
tout en gardant en perspective leurs projets.
Les conditions de vie propres aux jeunes adultes retardent ou complexifient la formation du couple
et particulièrement la venue des enfants. Les relations de couple vécues par la génération de leurs
parents ne constituent plus un modèle pour les jeunes adultes. Le couple se forme souvent en
dehors des liens du mariage. L’engagement dans la relation n’est pas définitif. Ils ont peu de temps
pour investir la relation de couple, compte tenu de tous les défis à relever. Ce n'est plus la formation du couple mais plutôt la venue de l’enfant qui de nos jours fonde la famille et marque véritablement l’entrée dans l’âge adulte (Battagliola et al. 1993; Pitrou 1987; Dandurand et al. 1995).
Aux défis et écueils vécus dans les relations avec leur réseau primaire s'ajoutent pour un certain
nombre de jeunes que nous avons rencontrés des difficultés perçues au niveau du réseau
secondaire. Le recours à des ressources professionnelles s'avère problématique à divers
niveaux: difficultés liées à la démarche même de demande d’aide, méconnaissance des services
existants ainsi que problèmes d’accessibilité dans le réseau.
Aux déterminants macrosociaux et mésosociaux de la détresse psychologique vécue par les
jeunes adultes s'ajoutent cinq déterminants socioculturels rattachés à la personne: l'âge, le
genre, le statut civil et socioéconomique et enfin, la foi ou la pratique religieuse (Mirowsky et
Ross, 1989).
D'après Mirowsky et Ross (1989), la dépression atteint de nombreux jeunes adultes américains
dans le début de la vingtaine. Pour ce qui est de l’anxiété, elle est aussi en moyenne très élevée
au début de la vingtaine et décroît de façon constante tout au long de la vie adulte avec une
légère remontée autour de la quarantaine. Les résultats de l'enquête Santé-Québec confirment
ces tendances. De plus, à l’intérieur même du groupe de jeunes adultes, les plus jeunes sont
plus nombreux à vivre de la détresse que leurs aînés.
Les premières études sur le genre ont montré que, globalement, les femmes souffraient plus de
détresse psychologique que les hommes. Récemment, l'enquête de Santé-Québec a confirmé
cette situation pour l'ensemble des femmes québécoises de 15 ans et plus. Or les troubles mentaux associés spécifiquement aux femmes, c'est-à-dire les troubles affectifs et anxieux, ne sont-
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ils pas liés à la définition même de la détresse?
individuels parlent de la détresse spécifique des
scolaire, l'itinérance, la violence tournée contre
toxicomanie ou le suicide. Dans tous ces cas,
alarmantes pour les jeunes hommes.
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D'autres manifestations sociales de malaises
jeunes hommes et notamment le décrochage
les autres, la violence tournée contre soi, la
les statistiques sont systématiquement plus
S’ajoute au genre et à l’âge le déterminant individuel de la détresse qu’est le statut civil. Dans
l'ensemble de la population américaine, on a observé que les personnes mariées souffrent moins
de détresse que les célibataires non pas parce qu'elles partagent le même toit, mais bien parce
que, d'après Mirowsky et Ross (1989), un «bon» mariage donne le sentiment d’être pris en
charge, aimé, estimé et valorisé.
Par ailleurs, le statut socioéconomique se définit par le niveau d’éducation, le type d’emploi et le
niveau de revenu. Plus le niveau de scolarité relative et le revenu s’accroissent, moins on trouve de personnes présentant un taux élevé de détresse psychologique (MSSS 1995). C’est chez
les étudiants, les étudiantes et les personnes sans emploi qu’on enregistre les plus fortes proportions de personnes présentant un niveau élevé de détresse.
D'après les intervenants et intervenantes que nous avons rencontrés, l'absence de valeurs spirituelles constitue une autre piste intéressante pour expliquer l'augmentation de la détresse psychologique chez les jeunes adultes. Plus précisément, le facteur de protection de la détresse ne
serait pas lié à la foi ou la pratique religieuse en tant que telles mais bien à l'investissement, à
l’implication dans la conduite de sa propre vie (Mirowsky et Ross, 1989). Il semble que cette
implication génère une meilleure estime de soi qui se traduit par un bien-être psychologique.
Dans la vie quotidienne de chaque jeune adulte, le malaise intérieur créé par la détresse reflète
un certain nombre de problèmes que la personne concernée doit décomposer et résoudre avant
que la détresse ne devienne chronique. «Le bien-être émotionnel provient de la capacité de faire
face à des problèmes et de les résoudre » (Mirowsky et Ross, 1989: 182).
Les jeunes adultes déploient un ensemble de stratégies pour faire face à la détresse. Très souvent, ils combinent à la fois des stratégies individuelles et le recours à leur réseau primaire. Un
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certain nombre d'entre eux font même faire appel à des ressources institutionnelles ou communautaires. Généralement, les jeunes adultes essaient d’abord de régler leurs problèmes seuls.
Ils semblent élaborer de manière prépondérante des stratégies intrapsychiques, davantage
utilisées dans des contextes où l’environnement est considéré rigide et inflexible (Lazarus, Averill
et Opton 1974), c'est-à-dire des situations où ils sont victimes d'autoritarisme.
Ces stratégies individuelles ou microsociales ne leur permettent pas toujours de diminuer la détresse ou
de modifier la situation-problème. Plusieurs jeunes adultes rencontrés sont conscients de leurs limites à
ce niveau. Globalement, les jeunes adultes souhaitent développer une variété de stratégies pour retrouver leur équilibre le cas échéant. Les antécédents familiaux et sociaux joueront un rôle dans la capacité
du jeune adulte de faire face aux événements stressants de l’existence. Par ailleurs une bonne connaissance de soi, plus spécifiquement de ses capacités et de ses limites, joue aussi un rôle important.
Lorsqu’ils espèrent recevoir du soutien de la part du réseau primaire, les jeunes adultes
s’adressent, par ordre d’importance: aux ami(e)s, aux parents, aux frères et soeurs, au conjoint,
à la famille éloignée, aux voisins et aux collègues de travail. Les parents se retrouvent toutefois
en première place lorsqu'il s'agit de dépannage financier.
D'après les jeunes, l'accès aux professionnels de la santé et des services sociaux est difficile
parce que leur nombre est insuffisant. Pour minimiser l'impact des listes d'attente, les jeunes
adultes proposent la création de services d'aide accessibles en tout temps. Des campagnes
d'information dans les médias permettraient de faire connaître aux jeunes adultes les services
existants.
Les jeunes adultes rencontrés souhaitent enfin le développement de groupes de discussion,
d'entraide, d'associations afin de s'entraider, sortir de leur isolement social et aussi développer
et utiliser leurs ressources collectives pour créer de l'emploi.
Des propos des jeunes adultes que nous avons rencontrés se dégagent plusieurs facteurs de
prévention de la détresse psychologique au niveau de l'ensemble de la société et au niveau de
leurs milieux de vie. Ces jeunes se distinguent certainement en cela des générations
précédentes. Ils font appel à une conception globale de la santé mentale qui interpelle à la fois
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le bien-être physique et psychologique, la qualité des relations avec l’entourage ainsi que
l’insertion sociale et professionnelle.
Dans cette foulée, des impératifs s'imposent d'abord au niveau macrosocial. La société doit offrir
à ses jeunes adultes des conditions de vie décentes, une formation adéquate et enfin, un emploi
satisfaisant. S'ajoute, au niveau mésosocial, un bon réseau de soutien. Enfin, certains impératifs
apparaissent au niveau de la personne prise individuellement.
Afin de devenir une composante significative de la prévention de la détresse psychologique chez
les jeunes adultes, la formation doit valoriser l'apprentissage en tant que tel ainsi que le
développement d'une panoplie de stratégies d'apprentissage, interpeller la personne toute
entière et favoriser chez les jeunes adultes l'exercice de leurs responsabilités de citoyenne et
citoyen.
Au niveau plus spécifique de la santé mentale, il faut éduquer à la prévention dès l'enfance, en
amont des problèmes. L'école primaire doit être un lieu qui permette le développement global de
la personne, c’est-à-dire l'estime de soi, l'identification de ses forces et de ses faiblesses, le
développement de la tolérance envers soi-même et les autres, l'apprentissage de rapports
harmonieux avec l'entourage.
Le monde de l'éducation ne peut toutefois assumer seul la responsabilité de préparer des
citoyens responsables et autonomes. En plus des parents, des acteurs du monde du travail, du
patronat et des organismes syndicaux sont interpellés de même que le milieu communautaire.
Enfin, à tout seigneur tout honneur, il nous apparaît essentiel que les jeunes adultes eux-mêmes
soient présents à tous les niveaux de réflexion et d'action face à une perspective de formation
pour les années 2000.
La prévention de la détresse psychologique passe de plus par l'emploi. Les employeurs
devraient se préoccuper non seulement des compétences et de la performance de leurs
employé(e)s mais aussi du capital humain qu'ils représentent. Pour réduire la détresse, un emploi
doit remplir trois caractéristiques: 1) une rémunération qui permette de répondre adéquatement
aux besoins de la famille (ou, le cas échéant, aux besoins individuels); 2) l'exercice de ses
responsabilités qui permettent le développement de l'autonomie; 3) l'élimination, autant que faire
se peut, des conflits possibles entre les exigences du travail et les obligations familiales
(Mirowsky et Ross, 1989).
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Les propos les plus critiques et les recommandations les plus nombreuses des jeunes adultes
concernent la société en général et les instances gouvernementales en particulier.
Pour créer un espace propice à la santé mentale, la société doit se mettre à l'écoute de ses
jeunes adultes, leur donner la parole, croire en leur potentiel, leur faire confiance. La première
étape consiste à transformer le discours dominant sur la jeunesse et véhiculer une image
positive de cette dernière.
En remettant la personne au centre des préoccupations sociales plutôt que la croissance
économique, plusieurs groupes de personnes, dont les jeunes adultes, en sortiraient gagnants.
À ce titre, plusieurs jeunes adultes rencontrés soutiennent qu'il faut questionner certaines
valeurs de la société québécoise, soutenir davantage les plus démunis et ranimer la solidarité
sociale.
Au niveau individuel, plusieurs facteurs de prévention ont été mis de l'avant par les jeunes
adultes rencontrés, mais plus difficilement par les jeunes hommes vivant de la détresse
psychologique: 1) l’épanouissement personnel; 2) la réalisation de soi; 3) l’importance de se faire
plaisir; 4) la qualité de vie (la santé physique, l’activité physique, les loisirs, etc.); 5) une vie
spirituelle.
De nombreux jeunes adultes vivent aujourd'hui de la détresse psychologique. L'enquête Santé
Québec de 1988 puis celle de 1992-1993 en font toutes deux état. Nous avons rencontré près
de 150 jeunes adultes dans plusieurs régions du Québec qui nous en ont parlé. Quel paradoxe
alors qu'on dit souvent de la jeunesse que c’est le plus bel âge de la vie! Nous avons tenté de
comprendre les principaux éléments explicatifs de cette situation, tant dans l'ensemble de la
société que dans les milieux de vie habituels des jeunes adultes et dans la psychologie même
des 18-30 ans. Les jeunes adultes que nous avons rencontrés perçoivent la détresse psychologique comme une réaction aux demandes excessives de l’environnement, à l’impossibilité
de s’insérer socialement et professionnellement ainsi qu’à l’impossibilité d’actualiser les rêves
et les projets jugés les plus significatifs.
En conclusion à son ouvrage sur la vie des Montréalais en 1970, Le Québec en héritage, Robert
Sévigny écrit: «Etre du Québec d'aujourd'hui signifie faire l'expérience d'une situation ou
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presque tout est remis en cause en même temps» (Sévigny, 1979: i). Après la révolution tranquille, le Québec connaît-il aujourd'hui une nouvelle révolution? Mais cette fois, loin d'en être les
leaders et les bénéficiaires, les jeunes adultes ne font-ils pas les frais de ces bouleversements?
Docteure en anthropologie, Danielle Desmarais s’intéresse à la méthodologie de recherche en sciences humaines
et notamment à l’approche biographique ainsi qu’à diverses facettes de la réalité actuelle des jeunes adultes et de leur
construction identitaire: analphabétisme, exclusion par le travail, migration sur le territoire québécois et santé mentale.
Courriel : [email protected]
1
Le présent article reprend les grandes lignes de l'ouvrage Détresse psychologique et insertion
sociale des jeunes adultes. Un portrait complexe, une responsabilité collective, publié aux
Publications du Québec en janvier 2000 et dont les auteurs sont: D. Desmarais, F. Beauregard,
D. Guérette, M. Hrimech, Y. Lebel, P. Martineau, S. Péloquin.
2
Ce « niveau élevé de détresse psychologique » est défini par un score de 80% et plus à un
questionnaire auto-administré constitué de 29 questions de santé mentale, les auteurs de
l’enquête ayant classé les résultats en trois groupes : faible (niveau de détresse): de 0 à 59
points, moyen: de 60 à 79, et enfin, élevé : de 80 à 100 points.
3.
Les jeunes se sont répartis à peu près également dans les trois catégories.
This article presents an initial global portrait of the psychological distress experienced by a signifi cant number of young adults in Quebec. Discussion groups, in which around 150 young people
between the ages of 18 and 30 participated, made it possible to sketch a descriptive model of the
phenomenon. Young people associate distress-generating situations with three types of social
determinants. The internal discomfort created by distress reflects a number of problems that the
person involved must analyse and resolve. Young adults use a set of strategies to deal with dis tress. They combine individual strategies with recourse to their primary network. The participants’
remarks reveal a number of factors for preventing psychological distress at the level of the whole
society, at the level of their social circles and at the level of a person as an individual.
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