N°183 du 6 juillet 2016 - Cinéma l`Image, Plougastel

Transcription

N°183 du 6 juillet 2016 - Cinéma l`Image, Plougastel
Associa on IMAGES « Clos de l’Image »
29470 PLOUGASTEL-DAOULAS
Tél. bureau 02 98 04 22 79 Tél programmes 02 98 40 30 79
Fax 02 98 04 26 09 ; Et h-p://www.imagecinema.org
E-mail : [email protected]
La le re de l’Image est un programme spécifique Art & Essai
N° 183 (Juillet 2016)
Semaine du 6 juillet 2016
F
ranç. (Durée : 1h45). Film d'aventure de Safy Nebbou avec Raphaël Personnaz,
Evgueni Sidikhine...
Pour assouvir un besoin de liberté, Teddy décide de partir loin du bruit du
monde, et s’installe seul dans une cabane, sur les rives gelées du lac Baïkal.
Une nuit, perdu dans le blizzard, il est secouru par Aleksei, un Russe en cavale qui vit
caché dans la forêt sibérienne depuis des années. Entre ces deux hommes que tout
oppose, l’amitié va naître aussi soudaine qu’essentielle.
"Dans les forêts de Sibérie" : 3 bonnes raisons
d'oser le grand froid avec Raphaël Personnaz
FROID – Après avoir brillé dans "L’Affaire SK1" ou "Quai
d’Orsay", Raphaël Personnaz s’octroie un séjour givré pour
les besoins de "Dans les forêts de Sibérie", le nouveau film de
Safy Nebbou, en salles ce mercredi. Soucieux de varier les
rôles et les plaisirs, le comédien s’y révèle très convaincant
sous les traits d’un homme qui choisit de quitter le vacarme
environnant pour rejoindre une isba reculée.
2011. Dans les forêts de Sibérie paraît en librairie et relate la retraite
de son auteur, Sylvain Tesson, aux abords du lac Baïkal. C’est là que
l’intéressé s’est retiré du monde, cherchant à jouir de cette liberté qui
fait souvent défaut au commun des mortels. Séduit par ce texte, le
réalisateur Safy Nebbou l’a porté à l’écran en confiant le rôle principal
à Raphaël Personnaz. Le comédien s'y montre impeccablement sobre
face au froid et à la solitude. Pour metronews, il revient sur l’une des
expériences les plus exaltantes de sa carrière, laissant poindre en
filigrane trois bonnes raisons de l’accompagner dans son voyage.
Parce que ça fait du bien de déconnecter un peu
"Le climat pesant dans lequel nous vivons donne envie de se faire la
malle. Les gens n’en peuvent plus. (…) Nous avons tourné Dans les
forêts de Sibérie juste après l’attaque de Charlie Hebdo, ce qui nous a
offert une respiration salutaire. En découvrant le film, j’ai ressenti un
apaisement physique. Les images n’y sont jamais explicatives. Safy
Nebbou a fait confiance aux panoramas sans recours esthétisant. Il a
joué avec le son et le silence si bien que les lieux se vivent de
manière physique. Par ailleurs, l’histoire n’est pas intellectuelle. Elle
est centrée sur un voyageur qui veut prendre son shoot de plaisir."
Parce qu’il n’y est pas question de leçon clé-en-main
"Il n’y a ni échelle de valeur entre la vie urbaine et la vie dans la
nature ni voix off moralisatrice. C’est vrai que le bruit de la ville est
usant, qu’on est tous agglutinés… Mais le scénario ne fait pas non
plus l’apologie d’un retour au monde sauvage. Mon personnage un
peu paumé fait simplement une trêve vitale pour revenir plus fort.
(…) Ce qui est différent par exemple d’Into the wild où le héros
cherche carrément à disparaître en brûlant son passeport ou de The
Revenant où DiCaprio est en lutte permanente avec les éléments. (…)
Le tournage a été jalonné d’improvisations qui ont donné un résultat
harmonieux."
Parce que Raphaël Personnaz est juste de bout en bout
"Sur le papier j’avais peur, putain. (rires) Mais en tant qu’acteur, c’est
impossible de dire non à un rôle pareil. Un tel déracinement, je ne
pense pas le revivre de sitôt. Je me suis préparé en amont pour
savoir comme jouer mais en me retrouvant devant ces paysages,
cette nature, j’ai appris à désapprendre. On ne peut pas y ramener sa
science. Mon boulot a été de faire confiance, de me laisser guider.
J’avais des a priori sur la Sibérie. On se dit que le ciel est bas, que
c’est austère… Mais je me suis trompé. Même si je n’aime pas le froid
et la neige, je m’y suis plu. Le plus dur n’est pas d’y aller mais d'en
revenir."
Mehdi Omaïs, Métro.
P
ari audacieux de Safy
Nebbou : adapter le récit de
Sylvain Tesson (prix Médicis
essai 2011), parti plusieurs
mois en ermite dans une cabane isolée en Sibérie. Fidèle à cette quête de
pureté, le cinéaste tourne le dos au sensationnalisme : sa mise en scène,
modeste, est centrée sur cette nature inhospitalière qu'il faut apprivoiser jour
après jour, geste après geste. Pour éviter un trop grand silence, il invente un
ami russe, braconnier et fugitif, mais les plus belles séquences restent celles
où Raphaël Personnaz marche dans la forêt ou glisse sur le lac gelé avec le
plaisir d'une innocence retrouvée. Grâce à cet acteur au jeu sobre et sincère
et à la belle lumière du chef opérateur, Gilles Porte, cette odyssée devient
une ode à l'humilité des vrais aventuriers.
Guillemette Odicino , Télérama.
"Dans les forêts de Sibérie", un exil glacé et galvanisant
Naufragé volontaire dans une cabane de Sibérie, au bord du lac
Baïkal, Sylvain Tesson nous avait offert un livre somptueux. Faire un
film de cette expérience de vie très intime relevait de la gageure.
Safy Nebbou réussit pourtant son pari haut la main.
"Je suis parti parce que la vie m'étouffait comme le col d'une chemise trop
serrée". Teddy est allé loin, à la recherche de grands espaces et de solitude.
Le voilà qui, après un long voyage, arrive sur les rives du lac Baïkal, en
Sibérie. Une modeste cabane fera l'affaire. Seul, face à l'immensité des
paysages, aux caprices d'une météo infernale et aux visites impromptues de
ses voisins ours, il peut entamer son introspection, un voyage immobile ou
presque, spirituel et alcoolisé.
Safy Nebbou s'est "librement inspiré" du merveilleux livre de Sylvain Tesson,
qui porte le même titre. Et, divine surprise, il ne le trahit pas, en retrouve
l'esprit sans pour autant nous en offrir un copié-collé en images. Comme
Sylvain Tesson, Teddy-Raphaël Personnaz mène une vie ascétique dans cette
cabane du bout du monde. Un peu de bois pour survivre et beaucoup de
vodka pour s'oublier. Les bouffées glacées de cette expédition un peu
foutraque sont galvanisantes. Sans esbroufe, sans volonté de nous en mettre
plein la vue, les images se suffisent à elles mêmes, comme ces
invraisemblables plans aériens suivant un camion sur les eaux gelées du lac
Baïkal…
Sur le conseil du romancier, qui craignait que le spectateur finisse par
s'ennuyer, Safy Nebbou a ajouté un personnage fort à l'aventure : un fugitif,
meurtrier planqué dans les forêts depuis dix ans, déconnecté de tout, qui
devient pour quelques temps le compagnon bourru et attachant du jeune
Français exilé. Là encore, ça marche, cette partie du récit inventée de toute
pièce s'insère harmonieusement dans les carnets de voyage. Raphaël
Personnaz, de tous les plans, est d'une impeccable sobriété (on parle du jeu,
et non de consommation de vodka).
"Dans les forêts de Sibérie" nous épargne toute leçon philosophique ou
écologique. Face au spectacle de ce naufragé volontaire dans l'une des
régions les plus rudes au monde, chacun trouvera ce qu'il cherche. Le
caressant réconfort de ne pas être à sa place… ou, au contraire, l'envie
puissante d'affronter, comme lui, l'air glacé et les tempêtes de neige de cette
fascinante Sibérie.
Pierre-Yves Grenu, Culturebox FranceTV.
-1-
Semaine du 13 juillet 2016
F
ranç. (Durée : 1h38). Drame de Pascal Bonitzer avec Agathe Bonitzer, Vincent Lacoste,
Lambert Wilson...
Nora Sator, jeune trentenaire dynamique, commence sa carrière dans la haute finance.
Quand elle apprend que son patron et sa femme ont fréquenté son père dans leur jeunesse,
elle découvre qu’une mystérieuse rivalité les oppose encore.
Ambitieuse, Nora gagne vite la confiance de ses supérieurs mais entretient des rapports compliqués
avec son collègue Xavier, contrairement à sa sœur Maya qui succombe rapidement à ses charmes…
Entre histoires de famille, de cœur et intrigues professionnelles, les destins s’entremêlent et les
masques tombent.
L
es premières images évoquent une publicité vintage pour laque
capillaire : arrivée d'une jeune femme à la chevelure
ostentatoire et à la démarche conquérante dans un univers de
bureaux tout en cloisons vitrées. C'est ironique. C'est aussi un
leurre : Nora (Agathe -Bonitzer, fille du réalisateur, qui s'est déjà fait un
prénom) est une débutante stressée. Elle prend ses fonctions d'analyste
financière chez un consultant prestigieux. Elle se con-forme à l'idée de ce
qu'elle croit devoir être. Le film part d'un cliché puis le dissèque, le dévoie
et le transcende.
La nouvelle venue trouvera, de fait, ce vertige qu'elle cherche : jeux de
pouvoir à la violence plus ou moins feutrée, rivalités mêlées de désirs
(Vincent Lacoste excelle en collègue issu d'un milieu modeste),
opportunités d'ascension rapide. Mais il y a aussi ce qu'elle ne s'attendait
pas à trouver : loin d'avoir été embauchée par hasard par ses deux
patrons glaçants (Lambert Wilson et Pascal Greggory), elle est d'abord, à
leurs yeux, la fille d'un homme (Jean-Pierre Bacri) qu'ils ont bien connu,
et humilié, autrefois.
Ambitions professionnelles et passions amoureuses, secrets de famille et
conflits de générations : il y aurait de quoi développer une série autour
des sept personnages de l'histoire, qui, c'est rare, existent tous fortement,
y compris la grande soeur de l'héroïne, jouée par Julia Faure, étincelante.
Ils ont entre la vingtaine et la soixantaine. Certains brandissent leur
morale et souffrent d'un sentiment d'échec ou d'un interminable deuil
sentimental. D'autres, à la prospérité arrogante, sont taraudés par la
culpabilité... Ces nombreux in-grédients de saga, Pascal Bonitzer en tire
un film d'une heure quarante à peine,
serré et acéré.
Grand scénariste depuis les années 1970 (pour Raoul Ruiz et Jacques
Rivette, entre autres), il a également réalisé sept films en vingt ans. La
plupart évoquent une certaine débâcle du masculin, comme Rien sur
Robert (succès porté par Fabrice Luchini), avec cruauté et froideur. Mais il
a fallu la rencontre avec Jean-Pierre Bacri (Cherchez Hortense, en 2012)
pour que davantage d'empathie et d'humanité viennent nuancer ce
cinéma grinçant et un peu hautain. Le pli est pris. Tout de suite
maintenant atteint, dans certaines scènes, la profondeur romanesque des
plus grandes réussites d'auteur de Bonitzer, comme Ma saison préférée
ou Les Temps qui changent (tous deux signés André Téchiné).
Car derrière la satire de la haute finance (et, au-delà, du monde
contemporain), où l'organigramme change à l'issue de chaque réunion ou
presque, le film traite avec subtilité de la confrontation entre les idéalistes
et les pragmatiques. « Les projets sont faits pour être réalisés, les rêves
pour être brisés », dit Lambert Wilson sans états d'âme. Pascal Bonitzer
raconte comment les rêves des uns se sont brisés et les projets des
autres, réalisés. Isabelle Huppert joue ainsi une femme qui a froidement
arbitré entre les trois hommes de sa vie. Ce personnage riche, fragilisé,
plein de haine de soi (encore une facette inédite de l'actrice, il fallait le
faire cette année...), mais à l'apparence bizarrement juvénile, donne une
clé décisive : il y a toutes sortes de façons de rester fidèle à soi-même.
Mais toutes ne se valent pas.
Louis Guichard, Télérama.
TRACTATIONS ET DÉRÈGLEMENTS DE misanthropie vinaigrée. Peu à peu apparaissent Ténèbres. Pascal Bonitzer, 70 ans, dirige sa
des liens torves entre Serge et le patron de la
COMPTES
banque où travaille sa fille, l’impétueux Barsac
Le nouveau Bonitzer dresse un portrait
(Lambert Wilson), Prévôt-Parédès (Pascal
cruel et balzacien du monde de la finance.
Greggory), son acolyte en perdition, et la femme
alcoolique de Barsac, Solveig (Isabelle Huppert).
Bonitzer confronte les vieux et les jeunes, ceux
qui débarquent et ceux qu’il faut débarquer, la
chair fraîche (donc corruptible) et la viande
froide (étalant au grand jour les couleurs de son
pourrissement).
On peut se dire que le film n’est tendre avec
personne, qu’il confond toutes les générations
dans un même opprobre cruellement sarcastique
dont on n’est pas étonné qu’il puise son style et
son inspiration de satire sociale chez Balzac (le
roman les Employés, tableau d’une certaine
Le nouveau film de Pascal Bonitzer, quatre ans médiocratie agressive en secteur administratif où
après Cherchez Hortense, baigne entièrement l’incompétence triomphe sur le mérite). Si l’esprit
«dans les eaux glacées du calcul égoïste», pour de calcul est ce qui mobilise et détruit les
reprendre la fameuse formule de Marx. On y voit agissements des personnages, le film, lui, en
une jeune femme, Nora Sator (Agathe Bonitzer), réalité, est profondément travaillé par l’écriture.
prendre ses marques au sein d’une grande La main qui dirige est aussi, sans qu’elle cherche
banque de finance où le caractère chiffrable des à s’effacer, la main qui écrit (scénario et
rapports humains se mesure à la taille du bonus dialogues cosignés par Agnès de Sacy), guidée
ou de la com’ en fin de transaction. Le calcul par une même volonté de lisibilité du récit et d’àévidemment dépasse largement le simple propos intempestif dans le déroulé conflictuel de
exercice comptable de ses activités et de celles l’action. Le film n’est tendre avec personne et
de ses coreligionnaires, parvenus ou ambitieux. pourtant quelque chose est quand même sauvé
Il structure les rapports humains dans des du jeu de massacre qui entrebâille derrière les
logiques de compétition par l’art de la prise de conflits d’intérêts les failles et blessures des uns
risque, du coup d’avance, de la stratégie du et des autres. «Les projets sont faits pour être
piège et du poignard planté dans le dos.
réalisés et les rêves pour être brisés», assène
Opprobre. Qui dit calcul dit dette et Barsac, slogan sans faux-semblant s’il en est du
banqueroute. Le père de Nora, Serge (Jean- pragmatisme contemporain. Ce programme ne
Pierre Bacri), est un brillant mathématicien qui plaît à personne mais il s’impose comme le seul
s’est sorti précocement de ce panier de crabes modèle, celui qu’il faut endosser - sauf à
pour macérer dans la pure théorie et une péricliter hors système.
-2-
propre fille, Agathe, dans le rôle principal qu’il
aime à contempler dans sa lutte complexe (mais
finalement valorisante) entre deux mauvais
pères. La supériorité du chiffre sur la lettre, du
calcul sur l’écriture, apparaîtra comme le cœur
douloureux de la vieille haine qui les tient, l’un
dans sa soif de pouvoir insatisfaite, l’autre dans
sa retraite atrabilaire. Les ténèbres montent
inexorablement dans ce périmètre humain où les
bilans comptables et le désespoir statistique
reposent sur des détails discrets qu’il est donné
à Agathe/Nora de comprendre dans une sorte de
précipité tout à la fois dévastateur et constructif,
comme on découvre qu’il existe un inconscient
très conscient.
Didier Péron, Libération.
Pascal Mérigeau Le Nouvel Observateur
(...) un film superbement écrit et
interprété. Il restitue en mode sombre les
tonalités qui, déjà, faisaient le prix de
"Cherchez Hortense".
Yann Tobin - Positif
Résultat, le charme qui opère est
plus persistant que le titre ne le laissait
présager.
Jean-Baptiste Morain Les inrockuptibles
Un film noir dans le milieu des affaires,
rongé par l'humour inquiet et vénéneux de
son auteur.
Semaine du 20 juillet 2016
E
n Version originale et sous-titrée. Avertissement : des scènes, des propos
ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs.
Singapourien. (Durée : 1h36). Drame de Boo Junfeng avec Fir Rahman, Wan Hanafi
Su, Ahmad Mastura…
Aiman officie dans une prison de haute sécurité. Rahim, le bourreau en chef, y accompagne
les derniers jours des condamnés. Rapidement, il prend le jeune gardien sous son aile et lui
apprend les ficelles du métier. Aiman s’avère être un exécutant très appliqué, mais sa
conscience et ses véritables motivations le rattrapent peu à peu...
U
N FILM SURPRENANT ET FASCINANT SUR LA PRISON
L'univers carcéral décrit avec précision, sans voyeurisme. Envoûtant.
Après deux premiers longs restés inédits en France, Junfeng Boo raconte l'arrivée dans une prison
de haute sécurité d'un jeune gardien, pris sous son aile par le bourreau qui accompagne les
derniers jours des condamnés à mort.
Boo décrit cette ambiance carcérale avec une précision jamais voyeuriste. Et décrypte les raisons qui ont poussé
ce jeune homme à venir se confronter à la mort. Des motivations liées à sa famille, cachées à ses supérieurs,
mais qui referont surface, avec les dommages collatéraux qu'on imagine... ou pas.
Car le film reste surprenant jusque dans sa conclusion, toujours menée sur le même rythme envoûtant. Un temps
long indispensable au voyage sinueux de ce personnage pour se libérer de la violence commise hier en s'en
approchant au plus près aujourd'hui.
Thierry Chèze , Studio Ciné Live.
Q
UAND LA PEINE DE MORT EST VUE PAR LE
BOURREAU
Six ans après avoir présenté son premier long
métrage "Sandcastle" à la Semaine de la
Critique, le cinéaste singapourien Boo Junfeng
signe son retour à Cannes en compétition Un Certain
Regard avec "Apprentice". Ce drame, en salles dès le 1er
juin, nous plonge de façon implacable dans le couloir de
la mort.
Dancer in the Dark, La Dernière Marche, La Ligne Verte… Au gré
des années et des continents, on ne compte plus le nombre de
films qui ont investi le couloir de la mort pour glacer le
spectateur ou l’émouvoir aux larmes. En revanche, parmi toutes
les œuvres carcérales ayant jalonné l’histoire du cinéma, rares
sont celles qui ont adopté le point de vue exclusif du bourreau.
Avec Apprentice, le réalisateur singapourien Boo Junfeng ,
remarqué en 2010 à la Semaine de la Critique pour Sandcastle, propose ainsi à son public d’épouser le regard de
celui qui inflige le trépas aux tôlards.
Cliniquement incarné par Fir Rahman, dont c’est le premier rôle à l’écran, Aiman débarque dans une prison de
haute sécurité l’esprit perdu. Malgré la présence d’une sœur qui le materne dans l’appartement chichement
meublé qu’ils partagent, le bonhomme est froid, las, impénétrable. Bientôt, Rahim, bourreau en chef de son lieu
de travail, le prend sous son aile. « Apprivoise la corde », lui conseille-t-il, sans préambule. Apprivoise cette corde
dont le nœud, une fois la manivelle activée, brise les souffles et les vies avec une violence sèche. Voilà… L’histoire
aurait pu s’arrêter là et se résumer au simple apprentissage d’un métier (pas) comme un autre.
Spatialisation de la mort
Mais c’est sans compter un scénariste qui a eu la bonne idée d’apporter de l’ambiguïté à l’entreprise à travers le
lien unissant Aiman et Rahman. Le second est en effet celui qui a exécuté le père du premier. Ce paramètre fort
dérangeant apporte dès lors une épaisseur considérable à la quête psychologico-identitaire du protagoniste.
Lequel, d’une certaine manière, se pose en point de rencontre entre le bien et le mal, aimantant à lui seul toutes
les opinions hétérogènes concernant la peine capitale. Cette dualité, qui s’infiltre et malmène nos perceptions,
crée de l’inconfort en flux tendu.
Ici, l’évolution du personnage passe par un épatant cheminement sensoriel. Grâce à un travail passionnant sur le
son et à la façon dont Boo Junfeng utilise l’espace avec sa caméra, le spectateur aura vite fait de se retrouver luimême prisonnier d’un maillage ténu entre l’intimité domestique du héros et celle, plus insoutenable, des mises à
mort. Cet entrelacs qui est sien, induisant en substance une idée de fatalité, s’apparente aux cellules et aux
couloirs alentour. Car, in fine, cette prison fantomatique, où tout n’est que pure mécanique mortifère, se révèle
bel et bien aussi retorse que les dilemmes qui cravachent Aiman.
Mehdi Omaïs, Métro.
HÉROS EN UNIFORME
Contrairement à la plupart des films sur la peine de
mort, le héros d'Apprentice est un homme qui revêt
l’uniforme et qui participe à ce rituel. Boo Junfeng a fait
ce choix pour que le spectateur puisse davantage
s'identifier au personnage. Le metteur en scène confie :
"Si j’avais pris un condamné à mort, le film aurait été
OBJECTIVITÉ
Même si Boo Junfeng est contre la peine de mort, il
n'a pas voulu que son film prenne position sur le
sujet. Le cinéaste a davantage cherché à sensibiliser
les gens de la manière la plus objective possible pour
qu'ils puissent élaborer leur propre réflexion.
"Apprentice, c’est surtout ça : l’amorce d’une
trop partisan et le public l’aurait senti. Le personnage
d’Aiman (Fir Rahman), le jeune apprenti bourreau, plus
neutre, suscite plus facilement l’empathie. Les
spectateurs peuvent ensuite aborder le sujet en se
posant les bonnes questions."
conversation que beaucoup de gens n’ont pas envie
d’avoir. Vous savez, à Singapour, on cultive beaucoup
l’insécurité. La peine de mort, ça rassure nos
concitoyens : les criminels disparaissent, ils ne sont
plus un problème", explique-t-il.
-3-
L
a corde doit être placée
contre l'oreille gauche,
tout
près
de
la
mâchoire. Sa longueur
doit correspondre au poids exact
du condamné : 500 grammes de
plus ou de moins, et on
n'entendra pas le son
reconnaissable entre tous — un
léger « crac » — qui signifie que
la mort a été instantanée.
Presque douce... C'est ce
qu'explique le vieux bourreau au
disciple qu'il s'est choisi, un jeune
homme à l'adolescence agitée,
devenu irréprochable. Cela fait
longtemps qu'Aiman s'est assagi :
il a quitté la brutalité des gangs,
s'est engagé dans l'armée, puis a
rejoint cette prison comme
gardien. Avec l'appui du vieil
homme, le voilà tout proche du
but qu'il a fui, mais poursuivi
toute sa jeune vie. Car Aiman a
un secret...
A sa façon de filmer une
exécution, on devine l'opinion du
jeune réalisateur sur la peine de
mort qui semble être allègrement
pratiquée dans son pays : à
Singapour, un simple trafic de
stupéfiants, en effet, peut mener
droit à la potence. Il saisit avec
ferveur la -solitude du condamné,
souvent abandonné par les siens
et dont seul -l'exécuteur finit par
prendre soin. Appren-tice ne se
veut pas pour autant un
pamphlet comme André Cayatte
en signait, jadis (Nous sommes
tous des assa-ssins) ou comme
en interprétait Sean Penn, plus
récemment (La Dernière Marche,
de Tim Robbins). C'est aussi un
film sur la faute et le regret. Car
la mort ne quitte pas la vie du
héros et de sa soeur aînée, qui
tentent de la rejeter, chacun à sa
façon : elle en suivant en
Australie l'étranger qui la lui fera
oublier. Lui en s'en rapprochant
au plus près, au contraire, avec
une r é p u ls i on m ê l é e d e
fascination... Devenir bourreau
pour expier un péché peut
devenir une sorte de rédemption.
Avec ferveur et rigueur, Boo
Junfeng filme un piège qui se
referme. Un innocent dans un cul
-de-sac.
Pierre Murat, Télérama.
Semaine du 27 juillet 2016
P
rix SACD à la Quinzaine des Réalisateurs, Cannes 2016. En version originale et
sous-titrée.
Franco-islandais. (Durée : 1h23). Comédie dramatique de Solveig Anspach avec Florence
Loiret-Caille, Samir Guesmi, Didda Jonsdottir…
Samir, la quarantaine dégingandée, grutier à Montreuil, tombe raide dingue d’Agathe. Comme elle
est maître-nageuse à la piscine Maurice Thorez, il décide, pour s’en approcher, de prendre des
leçons de natation avec elle, alors qu’il sait parfaitement nager. Mais son mensonge ne tient pas
trois leçons - or Agathe déteste les menteurs ! Choisie pour représenter la Seine-Saint-Denis,
Agathe s’envole pour l’Islande où se tient le 10ème Congrès International des Maîtres-Nageurs.
Morsure d’amour oblige, Samir n’a d’autre choix que de s’envoler à son tour...
S
ólveig Anspach nous a quittés il y a près d'un an. Son tout dernier film est d'autant plus émouvant qu'il
célèbre avec grâce la joie d'une nouvelle vie, l'élan d'une rencontre. Le prix décerné lors de la Quinzaine
des réalisateurs de Cannes ne doit rien à un hommage posthume : c'est la récompense méritée d'un talent vif, d'un regard chaleureux, mais
aiguisé, et dont l'aboutissement est cette comédie romantique originale et réussie. « L'effet aquatique », c'est l'autre nom du coup de foudre
que l'on éprouve pour une sirène, même pour la plus bourrue de toutes. Agathe, garçonne et gracile, est maître-nageur. Samir, lui, est grutier et très
amoureux. Comme la belle a coutume d'envoyer vertement balader tous les soupirants qui passent, il imagine un ingénieux stratagème pour
l'approcher en douceur : faire semblant d'apprendre à nager.
Voilà donc ce grand type doux, et plutôt digne, qui patauge comme un gosse dans le petit bassin de la piscine municipale de Montreuil, serré dans un
affreux slip de bain orange orné de palmiers... Cette première partie du film, les pieds dans l'eau et les yeux dans le chlore, est un cocktail de
délicatesse et d'humour. Côté fous rires, on peut compter sur les équipements défectueux et le personnel un peu foufou de l'établissement de bains.
Les nombreux obstacles rencontrés par le pauvre Samir dans sa quête sentimentale en milieu flottant sont désopilants. On retrouve la même légèreté
délicieuse, la même poésie fantasque lorsque le film déménage : Samir piste Agathe jusqu'en Islande, où se tient un improbable congrès international
des maîtres-nageurs. On troque les carreaux de la piscine française contre de beaux paysages nordiques, on échange des farfelus banlieusards pour
leurs homologues internationaux, mais la réalisatrice continue à filer avec malice toutes les métaphores de l'amour : se jeter à l'eau, perdre pied et,
enfin, se laisser porter... Ainsi progressent Samir et Agathe, dans le grand bain de leurs sentiments, en dépit des contretemps prévisibles (sa
maladresse à lui, sa méfiance à elle) ou inattendus (un plongeon mal venu, une cafetière agressive, une amnésie bizarre)... Ce festival de loufoquerie
rêveuse est un cadeau pour les comédiens : entre Samir Guesmi et Florence Loiret-Caille, que Sólveig
Anspach avait déjà réunis dans Queen of Montreuil, l'alchimie est exceptionnelle. Un pur concentré de
charme : « effet aquatique » garanti.
Cécile Mury, Télérama.
Thomas Sotinel - Le Monde
Roland Hélié - Les fiches du Cinéma
"L’Effet aquatique" est un film généreux,
vif et serein.
Tendre et cocasse à la fois, cette bluette délicate peine un
peu cependant à rassembler toute son énergie.
Programme des Court-Métrages du mois du mois, en partenariat avec
:
Semaine du 6 juillet :
Brume, Cailloux et métaphysique de Lisa Matuszak. Animation. (Durée : 5min46). Au c'ur d'une forêt, un renard médite, assis près de
l'eau. Sur la rive opposée, un canard s'amuse à faire des ricochets.
Semaine du 13 juillet :
I follow you de Jonatan Etzler. Fiction. (Durée : 3min17). Anna tombe sur Jesper dans le train du matin. Elle ne l'a jamais vu
auparavant, mais il s'avère que celui-ci connaît absolument tout d'elle.
Semaine du 20 juillet :
À domicile de Bojina Panayotova. Fiction. (Durée : 8min44). Pas si facile pour Vincent de parler à son père. Même sur un
terrain de rugby...
Semaine du 27 juillet :
Foudroyés de Eric (dit Bibo) Bergeron. Fiction. (Durée : 12min16). Hannah et Natan sont deux anti-héros aux antipouvoirs. Natan lève un bras ? Boum ! La foudre s'abat sur lui. Hannah aime quelque chose ou quelqu'un ? Vlan ! Aussi sec,
des trombes d'eau lui tombent dessus. Leur rencontre sera-t-elle une double catastrophe ou la plus grande chance de leur
vie ?
Prochainement sur nos écrans :
Fievel et le nouveau monde Film d'animation de Don Bluth.
(à partir de 4 ans, copie restaurée)
L’Age de Glace : les lois de l’univers Film d'animation de Galen T. Chu et
Mike Thurmeier. (à partir de 5/6 ans)
En avant première, le mardi 12 juillet à 20h30, en 2D.
LE BGG (le Bon Gros Géant) Film familial de Steven Spielberg avec la voix de
Dany Boon avec aussi Ruby Barnhill, Mark Rylance... (en sortie nationale, en 2D et 3D,
à partir de 7/8 ans)
Insaisissables 2 Thriller de Jon M. Chu avec Jesse Eisenberg, Daniel Radcliffe,
Lizzy Caplan... (en sortie nationale)
-4-
P o u r
p l u s
d’information sur la
programmation
du
cinéma
Image,
consultez son site
internet :
www.imagecinema.org