Chronique de jurisprudence fiscale

Transcription

Chronique de jurisprudence fiscale
38
JURISPRUDENCE
FISCALE
Chronique de jurisprudence fiscale
Par Maître Mahmoud MTIR
DEA en droit économique et des affaires
Diplômé de l'École Nationale des Impôts - France
Avocat au barreau de Tunis
1- Présentation
1-2- La régularisation de la situation fiscale
Un groupement d’entreprises étrangères a conclu un
Le groupement a procédé à la régularisation de sa
marché de travaux avec une entreprise tunisienne.
situation fiscale.
Le g rou pement d oi t, notamment, i nstal ler des
La déclaration d’impôt déposée par le groupement s’est
équipements pour le compte de l’entreprise tunisienne.
basée sur une comptabilité tenue conformément aux
dispositions de la loi de 1996 relative au système
Après une année d’exercice en Tunisie, le groupement
n’ayant pas déposé de déclaration annuelle d’impôt,
les services de contrôle de l’administration fiscale lui
ont adressé un avis conformément aux dispositions de
l’article 47 du code des droits et procédures fiscaux,
pour déposer la déclaration en question dans un délai
de trente jours.
comptable des entreprises.
Par ailleurs, la déclaration déposée par le groupement
ne concerne pas l’impôt sur les sociétés, mais elle
concerne plutôt l’avance de 25% prévue par le code
de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés
concernant les sociétés de personnes et ce en
application des dispositions de l’article 4 du code
Ce délai dépassé, le groupe n’ayant pas déposé de
susvisé.
déclaration, les services de contrôle fiscal ont procédé
La comptabilité ayant dégagé un déficit, le groupement
à sa taxation d’office.
n’a pas été soumis au paiement de l’avance sus-
Toutefois, le groupement a régularisé sa situation
indiquée.
fiscale, en déposant sa déclaration annuelle, et ce dans
la période intervalle qui s’est écoulée entre le délai
2- L’enrôlement de l’affaire devant le tribunal
donné par l’administration fiscale et l’établissement de
2-1- La défense
l’arrêté de taxation d’office.
Devant le tribunal, la défense a soulevé trois arguments
que nous allons présenter par ordre d’importance :
1-1- La taxation d’office
L’administration fiscale a procédé à la taxation d’office
a- La nature de l’impôt
du groupement et a considéré dans son arrêté de
La défense a soulevé en premier lieu que l’impôt
taxation d’office que le groupement est soumis à l’impôt
appliqué au groupement, à savoir l’impôt sur les
sur les sociétés.
sociétés, ne correspond pas à la nature de la personne
Elle a pris le chiffre d’affaires réalisé en Tunisie par le
imposable.
groupement et lui a appliqué un pourcentage de
En effet, l’administration fiscale a soumis le groupement
bénéfice net sur lequel elle a appliqué l’impôt sur les
dans sa taxation d’office, à l’impôt sur les sociétés alors
sociétés au taux de 35%.
que le groupement n’est pas soumis à cet impôt.
LA REVUE COMPTABLE ET FINANCIÈRE N ° 61 - TROISIEME TRIMESTRE 2003
39
Le groupement est soumis simplement à une avance
de 25% du bénéfice réalisé par le groupement.
En conséquence, la taxation est mal fondée, elle n’a
pas plutôt de fondement juridique.
b- La régularisation de la situation fiscale
La défense a également soutenu que le groupement a
par ailleurs, régularisé sa situation et ce en déposant
sa déclaration annuelle.
Le délai de dépôt de la déclaration d’un mois prévu par
l’article 47 du code des droits et procédures fiscaux
n’a aucune incidence vis-à-vis du contribuable, dans
la mesure où les articles 19 et suivants du même code,
relatifs à la prescription, donnent droit au contribuable
de régulariser sa situation durant la période non
couverte par la prescription.
Le fait de considérer que les dispositions de l’article 47
ne permettent pas de régulariser la situation des
contribuables est une négation des dispositions des
articles 19 et suivants.
Or, les articles 19 et suivants constituent le fondement
de la théorie de la prescription et du droit de reprise de
l’administration.
En fait, les dispositions de l’article 47 susvisé ont une
portée limitée, elles permettent simpleme nt aux
services de contrôle de l’administration fiscale de
procéder à la taxation d’office, elles ne peuvent en
aucun cas remettre en cause le droit du contribuable
de régulariser sa situation fiscale au cours de la période
non couverte par la prescription.
c- La base imposable
La défense a en outre soutenu que les services de
l’admini stration fiscale ont déterminé le bénéfice
imposable d’une manière forfaitaire et ce, en appliquant
au chiffre d’affaires du groupement, un taux de bénéfice
net déterminé forfaitairement également.
Or, le groupement tient une comptabilité conformément
aux dispositions de la loi de 1996 relative au système
comptable des entreprises, cette comptabilité a fait
ressortir un résultat déficitaire, en ce qui concerne
l’exercice objet de la taxation d’of
fice.
L’administration a-t-elle le droit de ne pas prendre en
considération la comptabilité sans se prononcer sur la
régularité et la valeur probante de cette comptabilité ?
La réponse est, certes, négative. L’administration ne
peut passer outre une comptabilité conforme à la
législation comptable en vigueur qu’après examen de
la comptabilité en question et la constatation de son
irrégularité.
Par ailleurs, l’administration fiscale, en cours de procès,
sans reconnaître explicitement qu’elle s’est trompée,
a implicitement reconnu son tort et ce en rectifiant la
nature de la taxation.
En effet, l’administration a présenté un rapport rectificatif
par lequel elle a remplacé l’impôt sur les sociétés de
35% par l’avance de 25% et ce sur les mêmes bases
précédemment exprimées.
La défense a soutenu que les rectifications apportées
par l’administration fiscale constituent un changement
radical de la nature de la taxation, ce qui est illégal.
2-2- Le tribunal
Le tribunal a été sensible à l’argumentation soutenue
par la défense, le jugement a ainsi décidé ce qui suit :
«Attendu qu’il appert de la consultation du dossier de
l’a ffaire que l ’ad ministra tion fi scale, l ors de la
détermination du bénéfice fiscal soumis à l’impôt, a
basé l’arrêté de taxation d’office attaqué sur les
dispositions relatives à l’impôt sur les sociétés et a
appliqué un taux de 35%, par la suite elle a changé les
bases de l’impôt exigible et a soutenu l’imposition de
la demanderesse à une avance sur les bénéfices au
titre de l’exercice 2001 au taux de 25%, cela est
contraire aux principes juridiques et fiscaux, car en
changeant la base légale et réelle dans le cadre du
même arrêté de taxation d’office, ce dernier devient
irrégulier et ne peut constituer une base de travail.
Attendu qu’en plus de ce qui a été précédemment cité,
l’article 51 bis - I du code de l’impôt sur le revenu des
personnes physiques et de l'impôt sur les sociétés
dispose : «les sociétés et groupements (1) ... sont
soumis au paiement d’une avance au titre de l’impôt
sur le revenu des personnes physiques ou de l’impôt
sur les sociétés dû sur les revenus de leurs associés
ou membres».
Attendu qu’il appert de l’étude minutieuse de l’arrêté
de taxation d’office que l’administration fiscale a
contrevenu aux dispositions de l’article susvisé.
Attendu qu’en outre de ce qui a été précédemment cité,
l’administration fiscale a reconnu la validité des bilans
des exercices 2000 et 2001.
Attendu qu’ il ap pert des bi lans suscités que la
demanderesse n’a pas réalisé de bénéfice, ce qui fait
que l’exigence d’une avance de 25% sur les bénéfices
- base légale nouvelle préconisée par l’administration est infondée légalement.
(1) Il s’agit des sociétés et groupements visés à l’article 4 du code de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés.
LA REVUE COMPTABLE ET FINANCIÈRE N ° 61 - TROISIEME TRIMESTRE 2003
40
Attendu que, dans ces conditions, le tribunal ne peut
que juger par l’annulation de l’arrêté de taxation d’office.
Pour ces raisons, le tribunal a jugé en premier ressort
d’accepter l’opposition en la forme et d’annuler, quant
au fond, l’arrêté de taxation d’office» attaqué.
En effet, la décision du tribunal érige en principe fiscal,
réellement incontesté, mais apparemment peu diffusé,
le changement des bases d’imposition implique
automatiquement l’annulation de l’arrêté de
taxation d’office.
c- La taxation d’office pour défaut de dépôt de
la déclaration fiscale
3- Observations
Plusieurs questions ont été posées dans cette affaire,
dont notamment :
- la nature de l’impôt réclamé par l’administration
fiscale et la qualité de la personne imposée ;
- le changement des bases de l’imposition par
l’administration ;
- la taxation d’office pour défaut de dépôt de la
déclaration fiscale ;
- la tenue de comptabilité et la taxation d’office.
a- La nature de l’imposition et la qualité de la
personne imposable
L’administration fiscale a réclamé l’impôt sur les
sociétés à une personne soumise à une simple avance.
À notre avis, le juge aurait pu annuler l’arrêté de taxation
d’office en se basant uniquement sur ce point.
En effet, le fait de soumettre une personne à un impôt
auquel elle n’est pas soumise suffit à notre avis pour
annuler la taxation d’office.
Le groupement de sociétés est soumis à la simple
avance de 25% en application des dispositions du code
de l’IRPP et de l’IS.
En conséquence, son imposition à l’impôt sur les
sociétés doit être annulée d’office.
b- Le changement des bases de l’imposition
par l’administration
Le tribunal s’est appuyé essentielleme nt sur cet
argument pour annuler l’arrêté de taxation d’office.
Certes, le tribunal a raison, mais, à notre avis, il aurait
été préférable qu’il se base sur le premier moyen
ci-dessus évoqué.
Mais, le tribunal mérite quand même qu’il soit salué.
Le code des droits et procédures fiscaux prévoit qu’une
personne qui ne dépose pas ses déclarations fiscales
dans les délais prévus par la loi peut être taxée d’office
après sa mise en demeure pour régulariser sa situation
dans un délai d’un mois à partir de la date de la
notification de ladite mise en demeure. Toutefois, le
code n’a pas prévu le cas de régularisation de la
situation fiscale hors le délai d’un mois.
En effet, en cas de régularisation de la situation fiscale,
il n’est pas normal que la taxation d’office soit maintenue
parce que le législateur a prévu la possibilité de
régularisation pendant la période non couverte par la
prescription.
d- La taxation d’office et la tenue de comptabilité
Par ailleurs, en cas de tenue de comptabilité, la question
se pose quant à l’intérêt d’une telle comptabilité si
l’admini stration passe outre celle-ci et détermine
unilatéralement des bases d’imposition forfaitaires.
L’administration peut prétendre que la taxation d’office
est intervenue alors que le contribuable n’a pas encore
déposé sa déclaration fiscale et par conséquent,
l’administration ignore si une comptabilité est tenue ou
non.
Mais, à notre avis, cette argumentation démontre tout
simplement que cette procédure de taxation d’office
est simpliste, hâtive et sans fondement juridique
valable.
Autant de questions sont soulevées par cette
pro cédur e d e ta xation d’ office , de s que stions
auxquelles le CDPF ne donne pas de réponses et
auxquelles le législateur d’une part et le juge d’autre
part sont appelés à trouver des solutions. Dans
l’immédiat, cette procédure doit être revue et adaptée
à la réalité pour éviter les abus.
La gestion s'améliore avec
La Revue Comptable et Financière
4, Rue Habib Maâzoun 3000 Sfax - Tél. : 74 224 012 - Fax : 74 297 234
LA REVUE COMPTABLE ET FINANCIÈRE N ° 61 - TROISIEME TRIMESTRE 2003

Documents pareils